Comment prévenir l`invalidité dans le mal de dos ?

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Quadrimed 2014
G. Rivier
Dr Gilles Rivier
Clinique romande de réadaptation
Suvacare
Avenue Grand-Champsec 90
1951 Sion
[email protected]
Rev Med Suisse 2014 ; 10 : 250
la lombalgie, un
symptôme fréquent
et d’origine imprécise
La lombalgie est depuis longtemps
déjà un problème de santé publique
en Suisse. Ce symptôme banal, du fait de
sa prévalence élevée dans la population
générale, est une cause fréquente d’inca­
pacité de travail et de demande de presta­
tions à l’assurance invalidité. Du point de
vue diagnostique et thérapeutique, il est clas­
sique de séparer la lombalgie spécifique
(10% – spondylarthropathie, métastase, frac­
ture, syndrome radiculaire en rapport avec
une hernie discale, etc.) de la lombalgie non
spécifique (LNS) ou commune (90%).
Malgré les progrès de l’imagerie et des
connaissances physio et anatomopathologi­
ques, l’étiologie de la LNS reste peu claire.1
Un accès aigu de LNS n’implique rien d’au­
tre qu’une intervention médicale légère (an­
talgie, rassurer, maintien des activités to­lé­
rées, repos sans excès, éviter les labels
diagnostiques anxiogènes), car l’évolution
naturelle est la plupart du temps favorable
en quelques jours ou semaines.
Lorsque la douleur dure ou récidive sou­
vent, elle devient très gênante et la situation
se complique, notamment pour le travailleur
manuel, car les traitements antalgiques à
disposition, bien que nombreux, n’ont pas
toujours l’effet spectaculaire attendu.
éviter l’entrée dans
un processus conduisant
à l’exclusion du monde
du travail
Lorsque le patient ne fait pas face à la
douleur et à ses conséquences, il consulte,
demande un certificat d’incapacité de tra­
vail, puis son renouvellement. Le praticien
devrait alors, en plus de réévaluer le diag­
nostic de LNS, apprécier le contexte et la
manière de «faire face» (coping) du patient.
En effet, il a été démontré que des facteurs
personnels et environnementaux peuvent
constituer des obstacles importants à la re­
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Comment prévenir l’invalidité
dans le mal de dos ?
prise des activités. Parmi ceux-ci, il y a l’in­
tolérance à la douleur, une catastrophisa­
tion élevée, des représentations dramatiques
sur l’état du dos, l’évitement des activités
physiques et professionnelles par conviction
que le dos est sérieusement atteint et par
peur d’aggraver son état.2
Lorsqu’un comportement douloureux ina­
dapté est identifié (questions ciblées), il faut
s’attendre à une réintégration profession­
nelle difficile. Le risque d’évolution vers une
exclusion durable du monde du travail est
réel et la prise en charge bidisciplinaire clas­
sique (médecin et physiothérapeute) n’est
plus suffisante. Une approche interdiscipli­
naire (ambulatoire ou stationnaire) est né­
cessaire, du fait de la complexité des obs­
tacles (physiques, psychologiques et con­
textuels) à la récupération.
le médecin praticien et la
médecine des assurances
Lorsque l’incapacité de travail perdure,
les agendas de l’employeur et de l’assureur
viennent au premier plan. Le risque de licen­
ciement est élevé. L’assurance perte de gain
met la pression. Un contact avec l’assu­
rance-invalidité (AI) pour une détection pré­
coce est à discuter avec le patient. Dans
tous les cas, le patient devrait s’annoncer à
cette assurance avant que l’incapacité de
travail n’atteigne six mois consécutifs, afin
de préserver ses droits.
Alors que le modèle pour la pratique cli­
nique est bio-psychosocial, le modèle ap­
pliqué par le système de compensation est
bio-psychiatrique.3 Seules une lésion clai­
rement identifiable et/ou une affection psy­
chiatrique sont reconnues comme une at­
teinte à la santé susceptible de justifier une
incapacité de travail. Le patient a l’obligation
de faire des efforts importants pour limiter
le dommage et le médecin celle de se pro­
noncer sur les limitations fonctionnelles
dues à l’atteinte à la santé. Il lui est ainsi de­
mandé d’indiquer quelles sont les activités
limitées (se tenir debout ou assis, porter des
charges, monter sur un échafaudage, etc.)
et dans quelle mesure. Il s’agit d’un exercice
périlleux, d’autant plus que la médecine des
assurances réclame d’éliminer l’influence
souvent défavorable des facteurs psycho­
sociaux.
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 29 janvier 2014
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Lorsque la situation est stabilisée sur le
plan médical, c’est au juriste, non au méde­
cin, de déterminer le degré de la perte de
gain (notion non médicale), puis de se pro­
noncer sur le droit à une rente d’invalidité.
Des litiges peuvent survenir entre le patient
et les assurances. Le médecin devrait alors
être prudent. Il lui faut éviter de prendre
parti en l’absence de données médicales
solides et d’une connaissance de l’essen­
tiel du droit réglant la médecine des assu­
rances.
conclusion
Il faut tout faire pour éviter l’entrée dans
un processus conduisant à l’exclusion du
monde du travail. La reconnaissance pré­
coce des facteurs de risque d’incapacité
de travail de longue durée permet de diriger
le patient vers une prise en charge interdis­
ciplinaire. Le dommage est indemnisé selon
des règles précises et le patient doit en être
informé de façon à ne pas nourrir des es­
poirs mal fondés. Incapacité de travail et
invalidité ne sont pas synonymes. Pour pou­
voir accompagner efficacement un patient
lombalgique chronique, il faut non seulement
avoir des connaissances médicales, mais
aussi des notions de médecine des assu­
rances.
Bibliographie
1 Jensen TS, et al. Vertebral endplate changes : A sys­
tematic review of prevalence and association with non
specific low back pain. Eur Spine J 2008;17:1407-22.
2 Nicholas MK, et al. Early identification and mana­
gement of psychological risk factors («yellow flags»)
in patients with low back pain : A reappraisal. Phys Ther
2011;91:737-53.
3 Incapacité de travail. Lignes directrices pour l’éva­
luation de l’incapacité de travail par suite d’accident
ou de maladie. Brochure éditée en 2013 par Swiss In­
surance Medicine (swiss-insurance-medicine.ch).
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