La surveillance de la douleur FICHE E 26 L’Association internationale pour l’Étude de la douleur définit ainsi le processus douloureux comme : « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable liée à des lésions tissulaires, réelles ou potentielles, ou décrites en termes de telles lésions ». Ainsi, la composante émotionnelle participe à l’origine de la douleur. La douleur ne se limite donc pas à la perception d’une simple sensation. Cela souligne le caractère subjectif de toute perception douloureuse, qui est modulée par le contexte dans lequel elle intervient, sa signification, les expériences antérieures, la culture et l’état psychologique du sujet (anxiété, dépression, etc.). But du soin Mettre en évidence l’existence d’une douleur. ■ Reconnaître les différentes expressions de la douleur. ■ Évaluer de manière objective la nature, la localisation, la fréquence, l’intensité de la douleur. ■ Participer à la prévention, à la prise en charge et au suivi de la douleur. L’évaluation de la douleur doit être effectuée à différents moments de la journée en fonction des objectifs de prise en charge du malade dans le service : ■ à l’arrivée du patient dans le service (point de référence) ; ■ au retour du bloc opératoire (ou de la SSPI19) ; ■ à heure fixe afin de vérifier l’efficacité d’un traitement antalgique ; ■ 19. Service de soins et de surveillances postinterventionnelles (ex. : salle de réveil). 94 ■ ■ avant et après les soins douloureux ; après chaque modification d’un traitement antalgique. Préparation du matériel L’évaluation de la douleur dépend impérativement du degré de participation du patient. Lorsque celui-ci est en mesure d’évaluer objectivement sa douleur, on emploie plusieurs outils. Les outils d’auto-évaluation ■ ■ ■ Échelle visuelle analogique : EVA Échelle numérique : EN Échelle verbale simple : EVS Les outils d’hétéro-évaluation Les échelles comportementales : elles permettent d’évaluer les répercutions de la douleur sur les activités du malade. Elles sont plutôt utilisées pour des patients moins coopérants ou moins conscients qui ne seraient pas en mesure d’utiliser les outils d’auto-évaluation. Ces échelles ont l’avantage commun de rendre possible des mesures rapides, répétées qui permettent d’étudier l’évolution de la douleur dans le temps. L’échelle visuelle analogique (EVA) est souvent préférée du fait de sa plus grande sensibilité liée au plus grand nombre de réponses possibles. Elle se présente sous forme de réglette qui concrétise auprès du malade une sorte de « thermomètre » de la douleur. Description des outils L’échelle visuelle analogique (EVA) L’EVA se présente sous la forme d’une réglette en plastique de 10 cm graduée en millimètres, qui peut être présentée au patient horizontalement ou verticalement. Sur la face présentée au patient se trouve un curseur qu’il mobilise le long d’une ligne droite dont l’une des extrémités correspond à « Pas de douleur », et l’autre extrémité à « Douleur maximale ». Le patient doit, le long de cette ligne, positionner le curseur à l’endroit qui correspond le mieux à sa douleur. Sur l’autre face se trouvent des graduations millimétrées vues seulement par le soignant. La position du curseur mobilisé par le patient permet de lire l’intensité de la douleur, qui est mesurée en millimètres. Fig.22 Réglette EVA. L’échelle verbale simple (EVS) C’est une échelle catégorielle constituée d’une liste de 4 ou 5 qualificatifs classés dans un ordre croissant d’intensité (par exemple : douleur absente, modérée, moyenne, forte, insoutenable). Ses inconvénients sont un manque de sensibilité (nombre limité de réponses) et des réponses suggestives du patient pouvant orienter les réponses de l’évaluateur. des notes de 0 à 10, 0 étant l’absence de douleur et 10 une douleur insupportable20. 26 FICHE La surveillance de la douleur L’échelle comportementale Les échelles comportementales sont des outils d’hétéro-évaluation (réalisés par un tiers). Elles évaluent indirectement l’existence et l’intensité douloureuse d’un patient ayant des troubles de la communication verbale ou présentant des troubles sévères des fonctions supérieures. Elles reposent sur l’observation par les soignants des modifications des attitudes corporelles, du comportement ou des attitudes du patient susceptibles d’être présentées par un patient douloureux. Il existe de nombreuses échelles comportementales, mais peu sont validées à cause de leur fréquente complexité (ex. : Doloplus). On propose plutôt des échelles comportementales dites simplifiées (ECS) dont il existe plusieurs variantes. L’ECS se présente sous la forme d’un tableau comportant plusieurs items observés par les soignants et qui permettent d’apprécier le retentissement de la douleur sur le comportement du patient. Elle est moins sensible et moins précise que l’EVA et suppose la connaissance préalable de l’état du patient. Fig.23 L’EVS. L’échelle numérique (EN) Cette méthode permet d’évaluer l’intensité de la douleur par affectation d’un pourcentage. Sa présentation peut être verbale ou écrite. Elle est facile à comprendre et bien adaptée à la personne âgée. On demande au patient de quantifier sa douleur avec Fig.24 L’échelle HEDEN. 20. Certains utilisent des échelles numérotées de 0 à 100. MODULE 2 Les paramètres vitaux 95 FICHE 26 LLa surveillance de la douleur Informations données au patient Mettre le patient en confiance, lui dire qu’il n’est pas normal de souffrir et que sa douleur va être prise en compte. Expliquer l’importance des différents outils de validation de la douleur et leur impact dans la prise en du processus douloureux. Déroulement du soin Avant d’effectuer une évaluation de la douleur, le soignant doit : ■ s’informer du degré de participation du patient ; ■ connaître les chiffres des évaluations antérieures et le type d’outil utilisé ; ■ s’informer sur les traitements antalgiques du patient et sur la modification de ceux-ci ; ■ accepter l’idée que seul le patient peut être juge de sa propre douleur et que toute douleur verbalisée doit être prise en compte ; ■ se montrer disponible et à l’écoute des demandes du patient ; ■ questionner le patient pour connaître la localisation de la douleur, l’heure approximative de début… ■ lui proposer ensuite d’évaluer sa douleur en utilisant l’échelle d’évaluation retenue par le service21 ; ■ selon l’outil utilisé, soit on lui demande de déplacer le curseur de l’EVA jusqu’à l’endroit représentant au mieux la douleur ressentie, soit on lui demande de quantifier sa douleur de 0 à 10. Si le service emploi l’EVS, demander au malade de choisir parmi les items proposés ; ■ noter la date, l’heure et le chiffre ou l’item obtenu ; ■ prendre les paramètres vitaux à la recherche d’une tachycardie, d’une polypnée ou d’une élévation de la pression artérielle qui peuvent être 21. La douleur doit être cotée avec les mêmes outils et à peu près dans les mêmes conditions pour que les résultats soient fiables. 96 des éléments renforçant les outils d’évaluation de la douleur22 ; ■ noter sur la feuille de suivi de la douleur : les soins, les positions ou les gestes qui augmentent ou diminuent la douleur, les positions antalgiques prises par le patient ; ■ noter tout changement de comportement du patient (repli sur soi, apathie, agitation, agressivité) ; ■ dire au patient que vous avez noté sa douleur et que vous allez en référer à l’infirmier ; ■ réinstaller le patient confortablement (coussins, mousses, arceaux) et mettre ses affaires personnelles et la sonnette à portée de mains avant de quitter la chambre. Dans la pratique, les outils d’autoévaluation : ■ ne donnent pas d’information sur la nature de la plainte douloureuse ; ■ ne permettent que des comparaisons intra-individuelles uniquement ; ■ aident à identifier le malade exigeant un traitement de la douleur ; ■ ont une implication limitée pour la décision thérapeutique ; ■ facilitent le suivi du patient23. Complément d’informations Selon l’ANAES24, les échelles numériques cotées de 0 à 10 doivent être interprétées de la manière suivante : ■ de 0 à 1 : simple inconfort ; ■ de 1 à 3 : douleur légère ; ■ de 3 à 5 : douleur modérée ; ■ de 5 à 7 : douleur intense ; ■ de 7 à 10 : douleur très intense. 22. Il est extrêmement rare qu’un patient décrive sur un outil auto-évaluation une douleur intense alors que les résultats de sa fréquence cardiaque et respiratoire sont normaux. 23. Sources : Direction générale de la santé. 24. Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé. Le patient entoure sur le schéma les zones douloureuses. Ce document est ensuite inclus dans le dossier de soins. 26 FICHE La surveillance de la douleur Fig.25 L’échelle des visages. Cette échelle des visages est surtout utilisée en pédiatrie où l’on demande aux enfants en âge de l’utiliser (de 4 ans à 10 ans) de montrer qu’elle est le visage qui correspond le mieux à leur douleur : « Montre-moi le visage qui a mal comme toi ». On peut également utiliser cette échelle dans des services où les patients sont conscients, mais ont du mal à communiquer (réanimation, soins intensifs, neurologie, etc.). Fig.26 Schéma topographique des zones douloureuses. TRANSMISSIONS – Signaler à l’infirmier toute douleur verbalisée par le patient. – Retranscrire les mots exacts cités par le patient pour exprimer sa douleur. – Localiser précisément la douleur et son mode d’apparition. – Transmettre l’évaluation de la douleur en fonction de l’outil choisi. – Transmettre les signes cliniques associés : visage crispé et douloureux, positions antalgiques prises par le malade, tachycardie, sueurs, changement de comportement ou d’humeur, etc. – Remplir la feuille d’évaluation de la douleur dans le dossier de soins. – Transmettre toutes les informations lors des transmissions interéquipes. Fig.27 Fiche d’évaluation comportementale de la douleur chez la personne non-communicante. MODULE 2 Les paramètres vitaux 97 ÉTAPE La surveillance de la douleur PAR ÉTAPE 2 1 3 4 Le patient peut exprimer sa douleur grâce à un geste (par exemple, en fronçant les sourcils, en mettant la main devant sa bouche ou sur sa poitrine, ou encore sur sa tête). 5 6 … Ou encore grâce à différents outils comme l’échelle visuelle analogique. 98 FICHE E 39 Les surveillances postopératoires de l’opéré Après l’intervention, le patient passe obligatoirement quelques heures en salle de surveillance post-interventionnelle (SSPI). Il remonte dans sa chambre quand il a récupéré une bonne conscience et une autonomie respiratoire, cardiaque et motrice correcte. En postopératoire immédiat, le patient nécessite une surveillance permanente car l’anesthésie a modifié les principales fonctions vitales (neurologique, respiratoire, cardiovasculaire, digestive et urinaire). Il sera pris en charge par un binôme infirmier/aide-soignant ou chacun participe, selon ses compétences, à la surveillance. Celle-ci porte sur les points suivants. La conscience Si le patient a subit une anesthésie générale, il revient dans sa chambre endormi ou somnolent. Il faut surveiller la reprise de la conscience, vérifier qu’il est orienté dans le temps et dans l’espace (Où se trouve-t-il ? Quel âge a-t-il ? Quel est son nom ?) et que ses propos sont cohérents. Si ce n’est pas le cas, et si les troubles persistent, il faut prévenir rapidement l’infirmier car il pourrait s’agir des premiers signes d’une complication anesthésique ou chirurgicale. La respiration On surveillera la fréquence, le rythme ventilatoire et les extrémités à la recherche d’une cyanose ou de marbrure (hypoxie). Le plus souvent les patients « fragiles » sont monitorés (cardioscope et saturomètre) et mis sous oxygène. 152 Le système cardiovasculaire Pendant l’intervention, le patient a peutêtre perdu un peu de sang (chirurgie orthopédique, par exemple) ce qui aura une incidence sur sa pression artérielle. De plus, les produits anesthésiques ont souvent un effet hypotenseur et bradycardisant. Il convient donc de surveiller les constantes toutes les demiheures pendant les 3 premières heures. Puis toutes les heures jusqu’à la reprise de l’autonomie. Les patients sont de plus en plus souvent placés sous un appareil automatique qui contrôle ces différents paramètres (Dynamap®). On recherche les signes d’un état de choc : ■ pâleur ; ■ moiteur de la peau, sueurs ; ■ hypotension ; ■ tachycardie, pouls filant ; ■ agitation, propos confus ou prostration anormale ; ■ dyspnée ; ■ anurie. Si le patient présente un seul de ces signes dans la période postopératoire, il faut immédiatement prévenir l’infirmier, l’anesthésiste ou le médecin. La douleur C’est souvent un élément qui accompagne la période postopératoire. Elle peut être majorée par l’angoisse, par une mauvaise manipulation du personnel lors du passage du brancard vers le lit, par une mauvaise installation du patient ou par une literie inconfortable. Pour les patients sous morphinique (antalgiques à base de morphine), il convient de surveiller la fréquence respiratoire et les téguments (la morphine provoque des bradypnées, voire des apnées qui entraînent des hypoxies). La morphine et ses dérivés provoquent également des vomissements et favorisent la constipation. Il faudra donc prévenir ces inconvénients en mettant le patient en position latérale de sécurité avec une protection sous la tête et surveiller la reprise du transit. la température corporelle. Les malades ayant une température basse ont des besoins en oxygène augmentés. Une hausse de la température au-dessus de la normale signe souvent un problème infectieux. Les vomissements La rétention urinaire Ils sont maintenant plus rares avec les nouveaux produits d’anesthésie. Cependant ils sont toujours d’actualité pour les patients sensibles et restent dangereux (risques de fausse route). Pour éviter cela, il est nécessaire, en tenant compte de l’intervention et de l’état de conscience du malade, de le mettre en position latérale de sécurité (PLS) ou bien la tête tournée sur le côté, avec une protection de lit (changer la literie peut être douloureux chez un opéré récent). La rétention d’urine est un phénomène réflexe dans la période opératoire et postopératoire immédiate. Elle résulte de l’injection des produits anesthésiants qui inhibent l’envie d’uriner au niveau du cerveau et qui sont hypotenseurs. Pour les anesthésies locorégionales (péridurale et rachianesthésie), l’anesthésie de la région basse du corps à souvent pour conséquence de provoquer un globe vésical. Un opéré doit reprendre une diurèse normale au plus tard dès la sixième heure postopératoire. Il faut être à l’écoute des plaintes du malade : difficulté ou impossibilité d’uriner, douleur au niveau abdominal. Sous anesthésie locorégionale, une agitation ou une hypotension peut être le signe de la présence d’un globe vésical. Les malades porteurs d’une sonde urinaire à demeure bénéficient d’une surveillance précise de la diurèse à la recherche d’une oligurie, d’une anurie ou d’une hématurie. L’encombrement pulmonaire Les patients douloureux ayant subi une anesthésie générale ont souvent une amplitude respiratoire réduite (ils respirent à minima). Le risque principal est l’encombrement bronchique. Cela peut avoir des conséquences graves sur les suites opératoires. Pour prévenir ce risque, et quand l’intervention le permet, le patient est installé en position demi assise et sa fréquence respiratoire surveillée régulièrement. Sur prescription médicale, un humidificateur est installé afin de fluidifier les mucosités. La température Les malades en postopératoire immédiat ont plutôt une température basse. Elle résulte à la fois de la période opératoire plus ou moins longue dans un environnement frais où le malade est entièrement dévêtu, et de l’administration des produits de l’anesthésie qui réduisent le métabolisme basal et diminuent donc 39 FICHE Les surveillances postopératoires de l’opéré La constipation L’anesthésie provoque un ralentissement du péristaltisme intestinal (majoré par les interventions au niveau abdominal et par l’injection de morphinomimétiques). Celui-ci reprend un fonctionnement normal au bout de 24 à 48 heures et est objectivé par l’apparition de gaz, puis de selles. Tant que le malade n’a pas repris son transit, il reste à jeun (les boissons en petites quantités sont autorisées dès que le patient a récupéré un réflexe de déglutition normal et que le risque de fausse route est écarté). MODULE 3 Les soins 153 FICHE 39 LLes surveillances postopératoires de l’opéré La surveillance des téguments L’opéré récent est un sujet à risque pour la survenue d’escarre. Celle-ci peut s’installer dès la salle d’opération (compression de longue durée sur un plan dur). En postopératoire immédiat, le malade est somnolent et douloureux, il se mobilise peu. Il convient donc de surveiller l’intégrité de la peau le plus rapidement possible et de mettre en place des préventions d’escarres : matelas anti-escarres, changements de positions, etc. La surveillance du pansement est importante car elle permet de prévenir d’éventuelles complications : hémorragie, infection, etc. Le premier pansement est effectué par le chirurgien et l’infirmier vers le 2e jour postopératoire (avant si problème ou souillures), l’aide-soignant participe à sa surveillance et transmet toute anomalie observée durant la réalisation des soins. L’aide-soignant participe à la surveillance des matériels : drain de Redon, lame, aspirations, sonde nasogastrique et urinaire. Il doit signaler immédiatement tout dysfonctionnement ou anomalie à l’infirmier. Les jours suivants L’aide-soignant participe avec l’infirmier au recueil des informations concernant l’état du malade (prévention des complications liées à l’intervention et au décubitus) : 154 ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ surveillance des paramètres vitaux (pression artérielle, fréquence cardiaque, fréquence respiratoire, saturation, EVA9) ; diurèse (bilan des entrées et des sorties) ; complications vasculaires (thrombophlébite) ; complications motrices (rétraction musculaire, compression, luxation, équinisme, etc.) ; complications digestives (constipation, vomissement, diarrhée) ; complications urinaires (infection, rétention) ; complications respiratoires (encombrements bronchiques, dyspnée, hypoxie) ; complications locales : cyanose, marbrures, inflammation, hématome, abcès de paroi, escarres. La reprise du transit entraîne une reprise progressive de l’alimentation : tout d’abord BYC10 (bouillon, yaourt, compote), puis alimentation normale si tout va bien. L’hydratation joue un rôle important en postopératoire car elle permet d’éliminer les toxines, d’éviter la stase urinaire et l’infection et de prévenir la constipation. Au bout de 72 heures sans problème, on estime que le risque de complications postopératoires liées à l’anesthésie et à l’intervention est quasi nul. 9. Échelle visuelle analogique. 10. Cette alimentation s’appelle désormais Réal 1. La surveillance postopératoire de l’opéré ÉTAPE PAR ÉTAPE 1 Surveillance de la diurèse. 2 Surveillance des paramètres vitaux et de la conscience. 3 5 4 6 MODULE 3 Les soins 155 ÉTAPE La surveillance postopératoire de l’opéré PAR ÉTAPE 7 8 Elle surveille le matériel médical (perfusion, sonde…). 9 Elle surveille le pansement et la douleur. 156 10