Pratique Organisation des soins Soins palliatifs et soins d’urgences, le choc des cultures Parler de soins palliatifs dans un service d’accueil des urgences est assez récent. L’augmentation des personnes en fin de vie admises dans notre unité et le peu de services de soins palliatifs existants a conduit l’équipe à mener une réflexion sur la nécessité de se former à ce type de prise en charge, très différente des soins habituels réalisés aux urgences. Karine Jan Cadre de santé Service d’urgence générale, Hôpital Lariboisière, AP-HP 2 rue Ambroise-Paré, 75010 Paris, France © 2014 Publié par Elsevier Masson SAS Mots clés - famille ; fiche d’engagement thérapeutique ; fin de vie ; formation ; soins palliatifs ; urgences A ccueillant chaque année plus de 70 000 patients, le ser vice d’accueil des urgences (SAU) générales de l’hôpital Lariboisière à Paris (AP-HP, 75) est le plus important de France en termes de volume d’activité. Chaque année, le taux de passage de patients augmente, entraînant certains jours une saturation des secteurs et une inadaptation des locaux au regard de l’activité. L’établissement, situé dans le nord de la capitale, reçoit beaucoup de patients en situation précaire. C’est aussi un service exposé régulièrement à des situations 26 difficiles liées le plus souvent à l’admission de patients alcoolisés, toxicomanes ou relevant d’une pathologie psychiatrique. Les personnes en fin de vie hospitalisées aux lits portes C’est dans ce contexte que sont admis des patients relevant d’une prise en charge en soins palliatifs. Même s’il a paru longtemps inconcevable que ces patients puissent rester plusieurs jours dans un secteur de soins d’urgence, il a fallu faire face à la réalité. Par manque de lits d’aval, de plus en plus de patients nécessitant ces soins spécifiques sont admis dans le secteur d’hospitalisation de courte durée (UHCD) ou “lits portes”. Leur durée moyenne de séjour est de 3 jours alors qu’elle est de 24 heures pour les autres patients. Leur nombre est en constante augmentation (+ 33 % ces quatre dernières années). Le personnel des urgences doit donc, régulièrement, accompagner le patient jusqu’au terme de sa vie. Mais comment prendre en charge des patients en fin de vie dans un contexte d’urgences, où culturellement les soignants mettent tout en œuvre pour sauver les vies ? © BSIP/Amélie Benoist Le malaise des équipes Adresse e-mail : [email protected] (K. Jan). Le personnel des urgences de l’hôpital Lariboisière fait appel à l’équipe mobile de soins palliatifs lorsqu’un patient en fin de vie se présente. © 2014 Publié par Elsevier Masson SAS http://dx.doi.org/10.1016/j.aidsoi.2014.04.009 Les agents ont été confrontés à un bouleversement dans leur représentation des soins d’urgences. La spécificité de cette prise en charge a entraîné une réelle remise en question des pratiques professionnelles. Par manque de connaissances et d’informations, les soignants se sont repliés sur une approche plutôt technicienne : soulager la douleur et les autres symptômes, assurer tous les soins L’aide-soignante ● Juin-Juillet 2014 ● n° 158 Organisation des soins d e c o n f o r t n é c e s s a i re s a u bien-être. La plupart adoptent une attitude d’évitement vis-à-vis de la famille et du patient. De plus, nous ne savons pas toujours si le patient connaît sa situation et ce qui a été dit à la famille. L’appréhension de devoir aborder certains sujets difficiles comme celui de la mort, et la peur d’être maladroit font que l’on ne s’attarde pas trop longtemps dans la chambre pour ne pas trop communiquer. Et tout autour, la spirale des urgences continue. Cette spécificité de prise en charge inhabituelle entraîne un réel malaise chez les médecins et les soignants, qui ont le sentiment de mal faire. Un service de soins se doit de s’adapter et de s’organiser en fonction des personnes qu’il prend en charge. Il a donc fallu se remettre en question pour répondre aux besoins d’un nouveau profil de patients admis au SAU et de leur famille afin de les accompagner au mieux dans ces situations particulièrement difficiles. Enquête auprès du personnel soignant La psychologue du service a élaboré un questionnaire destiné aux équipes, de jour comme de nuit, permettant d’identifier les axes d’amélioration à apporter. L’analyse des résultats a permis de confirmer les constats suivants : • il existe un manque évident d’uniformisation des pratiques professionnelles ; • le recours à l’unité mobile de soins palliatifs pour les patients le nécessitant n’est pas systématique ; • pris dans la spirale des urgences, un manque de réelle concertation pluridisciplinaire, de réflexion autour du L’aide-soignante ● Juin-Juillet 2014 ● n° 158 patient et des proches est identifié. Il ressort également que l’équipe reste extrêmement motivée et se sent très impliquée dans cette démarche d’amélioration de qualité de la prise en charge. Très sensibilisée, elle demande à approfondir ses connaissances sur les soins palliatifs. Une formation apportée par l’équipe mobile de soins palliatifs Pour familiariser les soignants à cet accompagnement spécifique de la fin de vie, des formations assurées par l’équipe mobile de soins palliatifs sont organisées au sein du Chaque jour, le patient est réévalué et la fiche d’engagement thérapeutique complétée service. Elles s’adressent au personnel de jour comme de nuit. Ces formations sont périodiquement programmées au cours de l’année. Elles représentent l’occasion d’échanger sur des situations vécues, d’aborder des problématiques rencontrées ou encore de répondre à des questionnements. Un outil d’aide à la réflexion et à la décision Pour uniformiser les pratiques professionnelles, il est convenu de faire systématiquement appel à l’équipe mobile de soins palliatifs pour chaque patient le nécessitant et d’organiser des réunions pluridisciplinaires. L’équipe mobile de soins palliatifs a élaboré une fiche d’engagement thérapeutique. Cet outil permet de recueillir facilement les informations et les décisions prises pour le patient au cours d’une concertation collégiale à laquelle participent les médecins urgentistes et spécialisés, les infirmiers, les aides-soignants, le psychologue, le cadre et l’équipe mobile de soins palliatifs. Les onze questions de Renée Sebag, médecin [1], servent de guide de réflexion. Elles permettent d’analyser la situation pour chaque patient et représentent une aide précieuse à la décision. • Quelle est la maladie principale de ce patient ? • Quel est son degré d’évolution ? • Quelle est la nature de l’épisode actuel surajouté ? • Est-il facilement curable ou non ? • Y a-t-il eu répétition récente d’épisodes aigus rapprochés ou une multiplicité d’atteintes diverses ? • Que dit le malade, s’il peut le faire ? • Qu’exprime-t-il à travers son comportement corporel et sa coopération aux soins ? • Quelle est la qualité de son confort actuel ? • Qu’en pense la famille ? • Qu’en pensent les soignants qui le côtoient le plus souvent ? • Quel est l’état nutritionnel du patient ? Cette fiche, appelée fiche d’engagement thérapeutique, est le fruit d’une réflexion collective et est adaptée au service des urgences. Elle permet de définir le type et l’intensité des soins les plus adaptés au patient, en tenant compte de celui-ci dans toutes ses dimensions, et également de l’avis de ses proches. Elle est rédigée lors de chaque réunion pluridisciplinaire, dans un endroit calme et propice à la discussion. Chaque jour, le patient est réévalué et la Pratique 27 Pratique Références [1] Sebag R. Soigner le grand âge. Bruxelles : Desclée de Brouwer ; 1992. [2] Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, www. legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?ci dTexte=JORFTEXT000000446240. 28 Organisation des soins Encadré 1. Extraits de l’article 1 de la loi Leonetti Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. Ces actes ne doivent pas être poursuivis par une fiche est complétée suivant l’évolution du patient, jusqu’au transfert de ce dernier. Cette fiche est intégrée au dossier de soins. Elle est consultable par tous les professionnels intervenant auprès du patient et elle suit ce dernier dans les services d’aval pour favoriser la continuité de la prise en charge. Redonner sa place à la famille Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. L’objectif des soins palliatifs est de soulager les douleurs physiques et les symptômes d’inconfort, de prendre en compte la souffrance psychologique, sociale et spirituelle, mais aussi de soutenir la famille. obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie […]. Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et traitée. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu’à la mort. Si le L’accompagnement de la famille est désormais une priorité et les horaires de visite sont adaptés pour qu’elle puisse accompagner son proche 24 heures/24. La prise en charge du patient se fait en collaboration avec la famille. Conclusion Toutes ces actions sensibilisent et impliquent le personnel à la démarche palliative. Un réel changement dans l’attitude des équipes est constaté. Les retours positifs réguliers des familles pour la qualité de la prise en charge et la disponibilité des équipes à leur égard en sont le reflet. Intégrer une notion du soin médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance d’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qu’en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger sa vie, il doit en informer le malade […], la personne de confiance […] la famille ou, à défaut, un des proches. La procédure suivie est inscrite dans le dossier médical1. 1 Article 1 de la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, www.legifrance.gouv. fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTE XT000000446240. d’urgence différente de la conception habituelle est indispensable pour atteindre ce résultat. La mission des soignants dans un SAU est aussi de tout mettre en œuvre pour assurer une qualité de vie optimale du patient dans les derniers jours de sa vie, dans le respect de la loi Leonetti relative aux droits des malades et à la fin de vie [2] (encadré 1). Aujourd’hui, l’utilisation de la fiche d’engagement thérapeutique est étendue à tout le groupe hospitalier afin d’aider le mieux possible les différentes équipes à l’accompagnement délicat de ces patients en fin de vie. • L’aide-soignante ● Juin-Juillet 2014 ● n° 158