Les galaxies spirales défient la matière noire De récentes observations sur des galaxies spirales suggèrent une corrélation entre la distribution de la matière ordinaire et celle de la matière noire. Un résultat complètement inattendu. Sean Bailly S'abonner La galaxie spirale NGC6503 est l'une des galaxies étudiée par Stacy McGaugh et ses collègues. NASA, ESA, D. Calzetti (University of Massachusetts), H. Ford (Johns Hopkins University), and the Hu Stacy McGaugh, de l’université Case Western Reserve, aux États-Unis, et ses collègues ontils mis le doigt sur une faille du scénario standard de la matière noire ? Il est beaucoup trop tôt pour le dire. Ce qui est certain, c’est que le comportement de la matière noire dans les galaxies spirales semble bien plus subtil qu’on ne le pensait. Ironie de l’histoire, c’est par l’étude de ces mêmes galaxies spirales que l’idée de matière noire a émergé à la fin des années 1960. À cette époque, l’astronome Vera Rubin, alors à l’institut Carnegie de Washington, mesurait la vitesse des objets dans plusieurs galaxies spirales en observant le décalage de la longueur d’onde de la lumière émise dû à l’effet Doppler. Ce décalage étant proportionnel à la vitesse de déplacement par rapport à l’observateur, Vera Rubin a ainsi pu établir le profil de vitesse de plusieurs galaxies. Elle a montré que la vitesse devenait constante à une certaine distance du centre galactique, au lieu de décroître selon la racine carrée de la distance d’après les lois de la gravitation de Newton. Les étoiles en périphérie des galaxies spirales tournent trop vite et auraient dû être éjectés. Or la vitesse de rotation des étoiles est déterminée par la quantité de matière contenue dans la galaxie. La masse observée directement (les étoiles et le gaz, ou matière baryonique) ne semblait ainsi pas correspondre à la masse déduite de la dynamique. Pour résoudre ce problème, les cosmologistes, dont James Peebles de l’université Princeton, ont fait l’hypothèse dans les années 1970 qu’un vaste halo de matière invisible et n’interagissant pas avec la matière ordinaire englobait les galaxies et contribuait à la majeure partie de leur masse et donc de leur champ gravitationnel. La matière noire est devenue un élément incontournable de la cosmologie. Représentant environ 80 % de la matière de l'Univers, elle explique la dynamique des galaxies spirales, mais aussi le mouvement trop rapide des galaxies au sein des amas des galaxies, une anomalie signalée dès les années 1930 par l’astronome Fritz Zwicky. Elle intervient aussi dans certains phénomènes de lentille gravitionnelle et dans l'interprétation des anisotropies du fond diffus cosmologique. Problème : sa nature reste toujours inconnue... L’approche de Stacy McGaugh et ses collègues pour étudier la dynamique des galaxies est proche de celle de Vera Rubin. Les trois chercheurs ont créé le catalogue SPARC (Spitzer photometry and accurate rotaton curves) en combinant les données du télescope spatial Spitzer sur la distribution de la lumière infrarouge avec des données sur le champ de vitesse du gaz. Ils ont établi le profil de vitesse du gaz interstellaire pour 153 galaxies à partir d’une vingtaine de points par galaxie, et calculé l’accélération centripète (dirigée vers le centre et dépendant de la masse totale). Ils ont aussi recensé l’ensemble de la matière baryonique à partir de la lumière émise dans l’infrarouge et ont alors calculé l’accélération centripète correspondant à la matière baryonique seule. C’est là la nouveauté de leur travail, car la relation masse-luminosité est plus fiable dans l’infrarouge que dans le visible, et c’est la première fois que l’accélération centripète du gaz observée est comparée à l’accélération centripète calculée à partir du recensement de la matière baryonique pour un si grand nombre de galaxies. Une étude similaire avait été réalisée en 2011 par Gianfranco Gentile, de l’université de Gand, en Belgique, et Benoît Famaey, de l’observatoire de Strasbourg, mais sur seulement 12 galaxies. L'étude de Stacy McGaugh et ses collègues confirme le résultat de Vera Rubin : la matière baryonique ne suffit pas à elle seule à expliquer l’accélération centripète observée, et donc le profil de vitesse. L’hypothèse de la matière noire semble donc confortée. Mais l'aspect le plus intéressant de cette étude est la comparaison de l’accélération centripète observée avec celle calculée à partir de la matière baryonique. Il faut souligner que l’échantillon de galaxies étudiées est très hétérogène : il y a aussi bien des grandes galaxies que des galaxies naines, des galaxies avec un bulbe et des galaxies qui en sont dépourvues, des galaxies où les étoiles sont plus nombreuses que le gaz et l’inverse. Et pourtant, une même relation simple semble relier l’accélération observée et celle déduite des étoiles et du gaz. Et cette relation reste valable même si la quantité de matière noire requise pour expliquer la dynamique de certaines galaxies est importante. La contribution de la matière noire semble ainsi être complètement spécifiée par celle de la matière baryonique. Un résultat tout à fait contre-intuitif, puisque la matière noire et la matière baryonique ne sont pas sensées interagir et donc que leur distribution ne devrait pas a priori être corrélée. Que conclure ? Stacy McGaugh et ses collègues proposent trois hypothèses mais restent prudents à ce stade. La première piste concerne la formation des galaxies. Les modèles actuels de formation des galaxies incluant la matière noire ne donnent pas des galaxies réalistes et doivent invoquer des mécanismes de « rétroaction » peu naturels. Cette observation donne-telle une indication sur un ingrédient manquant dans le processus de formation des galaxies ? Une autre piste est que la matière noire pourrait, d’une certaine façon, interagir avec la matière baryonique. Il existe déjà des modèles, motivés par divers arguments, dans lesquels la matière noire et la matière baryonique interagissent. Enfin, la dernière solution évoquée par Stacy McGaugh et ses collègues suppose que la matière noire n’est pas nécessaire et qu’une modification des lois de Newton dans un régime où les accélérations sont très faibles, comme c'est le cas dans les marges des galaxies, suffit à réconcilier l’accélération déduite de la matière baryonique avec les observations. Cette idée est au coeur de la théorie MOND (MOdified Newtonian Dynamics), proposée en 1983 par Mordehai Milgrom, de l’institut Weizmann, en Israël. Il n’y aurait dans ce cas plus de problème de corrélation entre matière ordinaire et matière noire. Cependant, si MOND est la solution pour expliquer les courbes de vitesse des galaxies et que la matière noire n’existe pas, il reste à expliquer toutes les autres situations où la matière noire apporte une explication efficace. En fin de compte, cette nouvelle étude ne remet pas nécessairement en cause l’existence de la matière noire, mais elle pose de nouvelles contraintes sur la dynamique des galaxies, qu'un modèle réaliste de matière noire devra expliquer.