Les “jours de…”

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le débat
Prévention LES “JOURS
DES JOURS AVEC OU
Dr Cécile Bour, radiologue en Moselle,
membre du Collectif Cancer rose
Les campagnes de prévention font-elles
vraiment changer les comportements?
« On ne parle pas
des facteurs
de risque du
cancer du sein
pendant
Octobre rose;
cela dédouane
tout le monde
alors que
le cancer
se porte toujours
très bien »
C’est évident que cela change le comportement
des gens, mais cela dépend de leur caractère
plus ou moins influençable. La pression
médiatique y est pour beaucoup et c’est
aussi lié au fait que les individus ont
l’impression d’agir. Le Moi(s) sans tabac,
c’est de la prévention, car on agit directement
sur les causes du cancer du poumon. Il y a
une relation de cause à effet entre le facteur
de risque et la maladie. Ce n’est pas le cas
avec Octobre rose car le dépistage n’a rien
à voir avec la prévention. La malbouffe,
les pesticides, les hormones, l’inactivité,
l’alcoolisme, le tabac sont les facteurs de risque
de ce cancer. Or on n’en parle pas pendant
Octobre rose! Cela dédouane tout le monde
alors que le cancer se porte toujours très bien.
Ce type d’opération ne serait-il pas détourné
de son but avec les campagnes marketing qui
fleurissent autour?
Si, totalement. Octobre rose par exemple est
très porteur! Le problème, ce sont les produits
labellisés “rose”, alors qu’ils n’ont rien à voir
avec la cause elle-même. Il faudrait qu’il soit
exigé des enseignes un cahier des charges
éthique afin qu’elles affichent les sommes
reversées à la cause, les recherches financées et
surtout la toxicité des produits labellisés roses,
comme les déodorants! Pour le moment, il y a
un triumvirat gagnant: une association qui se
met en partenariat avec une enseigne et qui est
soutenue par un laboratoire pharmaceutique.
Chacun de ces acteurs trouve son intérêt.
Quels sont les effets contreproductifs
de ces campagnes?
L’information “santé” au profit du malade
souffre beaucoup. Pour Octobre rose,
avec cette couleur, on renferme les femmes
sur leur corps qui, même malade, est utilisé
comme un jouet commercial. Mais attention,
certaines campagnes sont [tout de même]
bien conduites. Par ailleurs, tous ces sujets
occupent beaucoup trop le terrain médiatique.
C’est anxiogène. Le potentiel “client” est pris
en otage, enfermé dans une cage d’angoisse
DR
© Espaceinfirmier.fr, Initiatives Santé 2016
Moi(s) sans tabac, Octobre rose, Movember, Semaine des retraités et
des personnes âgées, Sidaction, Journées de l’obésité, du cancer, de la prostate...:
toutes ces campagnes dédiées, pendant un laps de temps bien délimité,
à une “cause” sanitaire, servent-elles réellement à quelque chose?
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L’INFIRMIÈRE LIBÉRALE MAGAZINE - N° 331 - DÉCEMBRE 2016
le débat
DE…” SONT-ILS
DES JOURS SANS?
Fabien Biasutti, directeur
des stratégies au sein de l’agence
de communication Australie*
Les campagnes de prévention font-elles
vraiment changer les comportements?
Il ne faut pas considérer les campagnes
de prévention comme des exercices de
communication isolés. Elles s’intègrent dans
un ensemble au sein duquel coexistent, par
exemple pour le tabac, des lois, un discours de
la population médicale, des pouvoirs publics
et une politique tarifaire. On ne peut donc pas
isoler les effets de la seule communication.
Il faut aussi tenir compte du ressenti, qui varie
d’une personne à l’autre : on a un rapport
personnel au sujet. En fonction de notre stade
dans la vie, on sera plus ou moins réceptif.
Ce type d’opération ne serait-il pas détourné
de son but avec les campagnes marketing qui
fleurissent autour?
Il y a d’abord une question potentiellement
morale. Par exemple, lorsque des courses
à pied sont organisées et que l’organisme
reverse une partie seulement de l’argent
des participants à la cause, c’est à chacun de
juger si c’est de la récupération ou non. Le
sujet n’est pas tant celui de la communication
que de l’utilisation d’une cause. En parallèle,
se pose la question de la visibilité du sujet.
Le fait qu’au moment d’Octobre rose, tout
le monde parle du ruban rose, j’ai tendance
à penser que c’est une bonne chose car c’est
une caisse de résonance. Le dépistage du
© E.Legouhy57
© Espaceinfirmier.fr, Initiatives Santé 2016
où on lui fait croire que ses étapes de vie sont
potentiellement médicalisables. On nous
prive de la jouissance du présent, cela devient
contreproductif. On pourrait être davantage
pédagogique et placer le médecin au cœur
de cette prévention.
cancer du sein, il faut s’en préoccuper. Que
ce soit dit par un laboratoire, un média ou
lors d’une kermesse, selon moi, c’est positif.
Quels sont les effets contreproductifs
de ces campagnes?
C’est difficile à évaluer car l’État n’est pas
l’émetteur unique. Si c’était le cas, il serait
plus simple de hiérarchiser les messages et
d’organiser les sujets. Mais, aujourd’hui, de
nombreux acteurs font des petites campagnes
qui ont une faible résonance. Qu’est-ce que
cela produit in fine ? Je n’en sais rien. Est-ce
contreproductif ? Est-ce qu’il ne faudrait pas le
faire parce que cela peut être angoissant pour
les populations ? J’ai tendance à dire : “tant
pis”. Les médecins ne font pas réellement
de prévention, personne d’autre non plus
d’ailleurs. Alors, quelle est l’alternative à ces
campagnes ? Aujourd’hui, dans l’organisation
de notre système de santé, je n’en vois pas... <
« Le fait
qu’au moment
d’Octobre rose,
tout le monde
parle du ruban
rose, j’ai
tendance
à penser que
c’est une bonne
chose car c’est
une caisse
de résonance »
PROPOS RECUEILLIS PAR LAURE MARTIN
* C’est cette agence qui a notamment réalisé, pour l’Assurance maladie, la fameuse
campagne “les antibiotiques, c’est pas automatique”.
DÉCEMBRE 2016 - N° 331 - L’INFIRMIÈRE LIBÉRALE MAGAZINE
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