La Vie, la Destinée dans Les Mémoires d`Hadrien

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FRON Jean-Baptiste, SARIBAN Noé
7e FRb
La Vie, la Destinée dans Les Mémoires d’Hadrien
Brillant soldat et administrateur hors pair, corps de fer au service d’un cerveau puissamment
équilibré, Espagnol de Bétique né à Italica comme son père adoptif, Hadrien (76 –138) désigné
comme héritier par Trajan mourant apportait à la dignité impériale un ensemble de qualités
exceptionnelles.
Hadrien avait eu sous Trajan une très brillante carrière. Le consulat, puis le gouvernement de
Syrie avaient été la récompense de ses brillants services. Toutefois, quoique doué de qualités
militaires sérieuses, Hadrien s’opposa à son prédécesseur en travaillant au service de la
stabilisation de l’Empire, de son rétablissement, de sa sécurité et de sa prospérité.
Empreint de lettres et raffiné, amateur d’arts et administrateur par vocation, Hadrien s’avéra
surtout un grand homme du gouvernement civil, un diplomate avisé dont les politiques intérieures
et extérieures instaurèrent la Paix Romaine, ainsi qu’un dynamisme économique sur tout le
Monde Connu.
Militaire de formation mais philosophe éclairé, artiste et brillant administrateur, tel est
aussi le double destin que décrit Marguerite Yourcenar dans sa recomposition des Mémoires
d’Hadrien, autobiographie fictive délivrée à la première personne par l’empereur lui-même, père
des nations policées.
I « L’armée est mon plus ancien métier »
Dès le second chapitre Hadrien nous entretient de son passé militaire : « J’avais seize ans : je
revenais d’une période d’apprentissage auprès de la Septième Légion », une partie essentielle de
son éducation qui permit au soldat Hadrien de se faire à la « vie rude » et à « la discipline
militaire », jugée essentielle par son tuteur.
Pour Hadrien, l’armée est une structure, mais aussi un corps, qui s’entretient, qui mue et se
développe, c’est son équilibre : « Le retour à l’armée me sauva ». La légion représente aussi pour
Hadrien le voyage, la découverte de nouvelles cultures : « Le départ pour l’armée signifiait le
voyage », « J’y étais poussé par mon goût du dépaysement » (p. 57). A la mort de Domitien,
l’armée se transforme alors en une machine organisée : Les généraux veulent « prévoir l’avenir, et
pas seulement leur avenir ». Rome, sous Nerva, part pour de nouvelles conquêtes. Mais la brusque
mort de ce dernier profite en un sens à Hadrien puisqu’il tente « d’apporter [lui-même] à [s]on
cousin la nouvelle de son avènement », récompensé puisqu’il en fut : « autant mieux reçu par
l’armée », puis nommé « tribun de la Deuxième Légion Fidèle ».
« La première expédition contre les Daces [qui] se déclencha l’année suivante », révèle la
nature profonde d’Hadrien, il se montre pacifique même s’il est présenté comme valeureux au
combat : « je me suis toujours opposé au parti de la guerre ». En outre Hadrien ressent que « ces
années de guerre comptent parmi [s]es années heureuses »(p.62), parce qu’il « vécu[t] là toute une
époque d’exaltation extraordinaire ». C’est dans l’armée qu’Hadrien sait reconquérir Trajan,
puisqu’il « [s]e savait utile ». Il partage la vie de ses troupes, étant ainsi reconnu comme vaillant
parmi eux, meilleur qu’un soldat : « Un certain nombre d’actions d’éclat (…) m’acquirent une
réputation à Rome et une espèce de gloire à l’armée »(p.64).
Plus tard, Hadrien est nommé général en chef, terme de sa progression hiérarchique dans les
responsabilités de l’armée. Cette seconde guerre des Daces marque fortement Hadrien et le
conforte même dans sa future défense de la paix puisqu’il nous dit de cette guerre: « Elle dura
onze mois, elle fut atroce ». Le comportement et les crimes de l’armée l’obligent à s’en référer à
la « Discipline Auguste », qu’il réussit à instaurer par sa popularité. Mais, le plus remarquable est
qu’il instaure cette austérité en se l’appliquant d’abord à lui-même.
La guerre d’Arménie succède à celle de Décébale, elle-même génitrice de celle des
Parthes : « Mes pronostics restaient sombres. L’élément juif et arabe était de plus en plus hostile à
la guerre »(p.90). L’évocation de cette période de vie militaire permet de mettre en valeur
l’honnêteté intellectuelle et la capacité d’autocritique d’Hadrien qui reconnaît à cette occasion
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s’être trompé : « J’avais blasphémé le Génie de l’empereur », il montre même des signes
d’inactivité pendant cette période: « J’enviais au moindre de nos soldats la poussière des routes
d’Asie, le choc des bataillons cuirassés de la Perse » (p.97).
A son intronisation, Hadrien, alors « légat aux armées » réfute son passé militaire, il n’accepte
pas les triomphes de guerres auxquelles « mon seul mérite était d’avoir mis fin ».
Ensuite vient le temps des réformes militaires : «J’annulai les privilèges ; j’interdis les congés
trop fréquents accordés aux officiers » (p. 135). Parce Que « L’armée devenait le trait d’union
entre le peuple et la forêt », le maintien des règles et de la discipline sauve le peuple.
Puis Hadrien relègue les pouvoirs militaires à ses gouvernants : « mon préfet Cornélianus me
satisfit de tout ». Il peut alors se concentrer sur sa carrière car : « Un ordre intelligent régissait ces
masses d’hommes » (p.191). A l’heure de sa mort, Hadrien porte le commentaire: « Quinze ans
aux armées ont duré moins qu’un matin à Athènes ». Cette métaphore de la brièveté révèle
l’étrange opposition qui habite Hadrien ; situé entre discipline et courage de sa jeunesse, et
pacification de sa carrière.
II « Je voulais le pouvoir. Je le voulais pour imposer mes plans, essayer mes remèdes, restaurer la paix »
La carrière politique d’Hadrien commence dès son jeune âge ; aussi Hadrien fait-il mémoire de
son enfance. Un enfance qui semble l’avoir marqué par sa dureté et cet apprentissage d’un
élément fondamental pour sa future carrière : « Ce Grec amer m’a enseigné la méthode ».
Quoique éloquent et élogieux sur la Grèce, qu’il ressent comme sa patrie, dont il partage la
langue, Hadrien la juge néanmoins « trop passive ». Son jeune esprit dévoile alors son « appétit de
puissance, d’argent ». Mais déjà il se passionne pour la gérance de l’Etat, le gouvernement : « je
sentais que la plus banale discussion au sujet de l’importation des blés d’Egypte m’en eût appris
davantage sur l’Etat que toute la République de Platon » (p. 48).
Son entrée en activité dans les fonctions du gouvernement le forme, il en apprend les vices et les
détours, particulièrement vis-à-vis du sénat, dont il analyse et dénonce le jeu « conservateur ».
C’est à cette période qu’il s’enquiert du droit légal, grâce auquel il a su « faire opérer certaines
réformes ». Enfin, heureux hasard ou destinée, il quitte Rome et conclut rétrospectivement : « Si
elle c’était prolongée trop longtemps, cette vie à Rome m’eût à coup sûr aigri, corrompu, usé ».
Son dévouement envers le nouvel empereur Trajan, dès l’annonce de la mort de Nerva fera
d’Hadrien un homme de troupe sûr et impliqué dans l’Empire pour l’armée. Trajan, en revanche à
cette époque n’estimait aucunement Hadrien : il le jugeait « incompétent », ses traits
« l’inquiétaient » et il lui inspirait « fort peu confiance ». Enfin Trajan réprouvait l’homosexualité
avérée du fougueux jeune homme. C’est pourquoi, Hadrien, conscient que son goût pour les
hommes « faillit [l]e perdre », convaincu qu’il n’éprouvait d’abord « n’occupai[t] d’abord que des
« postes secondaires », ne bénéficiant pas de la « bienveillance de Trajan », pendant ces
campagnes militaires, travaille à se rattraper, à briller même au sein de l’armée, et devant le yeux
même de Trajan : « Mes succès militaires auraient pu me valoir l’inimitié d’un moins grand
homme que Trajan. Mais le courage était le seul langage qu’il comprît »(p.66). Ainsi, par le
déploiement de ses vertus militaires sérieuses, (bravoure, résistance à la fatigue, expérience du
commandement) Hadrien opère un renversement radical d’opinions chez Trajan. En témoignant
dune Virtus hors du commun, il rompt la disgrâce à laquelle le condamnait son homosexualité et
accède à la reconnaissance de ses talents et mérites, dignes d’exercer l’Impérium « il passa à mon
doigt l’anneau de diamants qu’il tenait de Nerva »(p.67), symbolisant la future accession au trône
d’Hadrien.
Le rôle de l’impératrice Plotine, femme de Trajan et intime d’Hadrien, sera essentiel dans ses
futures fonctions, elle le formera à l’intendance des affaires d’Etat et aux affaires subordonnées,
comme l’écriture des discours et leur éloquence . Elle arrangera le mariage d’Hadrien avec la
petite nièce Trajan, Hadrien en sera ainsi plus intimement lié à Trajan.
La véritable carrière d’Empereur commence à ce moment. Hadrien est nommé tribun du peuple,
il devient connu, réputé, de plus il effectue « des largesses au peuple », sa renommée est faite, il
parle de : « [S]a popularité commençante ». Hadrien compose des discours pour des sénateurs,
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mais aussi pour l’Empereur. Il avoue que lors de ses compositions oratoires : « essayant mes effets
devant un miroir, je me sentais empereur ».
Quelques surprises profitent à la fortune d’Hadrien : « Un jour où j’avais à parler en public par
un temps épouvantable, je perdis mon manteau de pluie (…).S’enrhumer à Rome est un privilège
d’empereur (..) à partir de ce jour-là, la revendeuse du coin ou le marchand de pastèques crurent à
ma fortune »(p.68-69).
Plusieurs autres facteurs de politique extérieure favorisent le destin d’Hadrien. Lors des
incursions Daces, il y est envoyé « avec le titre de gouverneur de Pannonie et les pouvoirs de
général en chef », onze mois plus tard, il constate : « Je rentrai à Rome couvert d’honneurs. Mais
j’avais vieilli ». C’est aussi à ce retour qu’Hadrien est nommé sénateur, prenant place aux avantspostes de la gestion de l’Etat. La concentration de Trajan sur le plan militaire profite à nouveau à
Hadrien puisque « le gouvernement civil reposait de plus en plus sur moi ». Hadrien s’entoure
alors de ses amis pour la gestion du gouvernement civil, amis qui « seuls eussent pu [l]e
supplanter par leurs aptitudes ou leur connaissance des affaires, mettaient une modestie très noble
à [l]e préférer à eux »(p.86). Ces amis sont très importants puisque la future accession d’Hadrien
devient évidente et que si : « le groupe de mes partisans augmentait, celui de mes ennemis faisait
de même ».
Hadrien est ensuite nommé gouverneur de Syrie, il reviendra à Rome empereur. « Un an avant
la guerre, je fus promu au poste de gouverneur de Syrie, auquel s’ajouta plus tard celui de légat
aux armées ». C’est en Syrie qu’il éprouve beaucoup d’inquiétude pour le gouvernement et pour
Rome. Trajan s’est enfoncé en conquérant dans les terres, et toute la péninsule se lève contre
l’envahisseur, enfermant l’empereur et son armée dans un étau.
Le retour de l’expédition investit Hadrien commandant en chef. Trajan rejoint alors Rome mais
décède en route. Hadrien « devient » Imperator, il ne reçoit aucun sacre pour le moment : « Son
testament, qui me désignait comme héritier, venait d’être envoyé à Rome » (p.103). Il se
concentre désormais sur son métier d’empereur : « l’essentiel est que l’homme arrivé au pouvoir
ait prouvé par la suite qu’il méritait de l’exercer. » (p.105) « Ma propre vie ne me préoccupait
plus : je pouvais de nouveau penser au reste des hommes » (p.106).
Hadrien est, dès le début de son empire, comblé d’honneurs : « Au premier mois de mon règne,
le Sénat m’avait paré (…) d’appellations honorifiques » (p.118). Mais il ne pense guère à ceux-ci,
il ne s’estime pas meilleur : « chacun de nous a plus de vertus qu’on ne le croit », il ne pense pas
non plus mériter ces honneurs dûs aux empereurs : « je ne m’estimais pas encore digne ». Il veut
conquérir les honneurs, s’en paré et non pas les recevoir passivement.
Une vision d’Hadrien est celle des hommes de pouvoir. « Une portion de ma vie et de mes
voyages s’est passée à choisir les chefs de file d’une bureaucratie nouvelle ». Il s’entoure
d’hommes sûrs, laisse le pouvoir entre les mains de l’élite pour que Rome ne s’embourbe pas,
pour que la classe moyenne ne s’empare pas des commandes. Qu’aucune routine ne s’établisse.
Devant la mort, Hadrien raconte « il me semble à peine essentiel, au moment où j’écris ceci,
d’avoir été empereur » (p. 34). Ce sont les mémoires d’un homme, l’histoire d’expériences vraies
et vécues.
III « Ma vie, en apparence était sage ; je m’appliquais plus fermement que jamais à mon métier d’empereur. »
Hadrien bâtisseur
« J’ai beaucoup reconstruit » et « à Rome, j’utilisais de préférence la brique » (p.141) présentent
Hadrien comme un maçon de l’Etat. « Plotinopolis, Andrinople, Antinoé, Hadrianothères … J’ai
multiplié le plus possible ces ruches de l’abeille humaine » (p.143) Hadrien est un humaniste, la
cité est la révélation de l’Homme, face à l’animalité de la nature. La cité est aussi le lieu des
échanges « l’endroit où les paysans viennent pour vendre leur produits et s’attardent pour regarder
bouche bée les peintures d’un portique » (p.143). C’est de ces échanges que l’empire tire tout son
dynamisme, si cher à Hadrien car il apporte aux peuples le savoir et la raison.
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Ce sont mille travaux qui sont érigés « En Germanie, des fortifications ou des camps à rénover
ou à construire, des routes à frayer ou à remettre en état », « tout était à régler, à construire. » et
« les grands travaux d’Afrique » (p. 190), « nécessitaient à ce carrefour de routes le
développement d’une grande métropole » révèlent une vie passée à bâtir mais aussi à consolider et
à améliorer pour l’éternité. « l’érection d’un mur coupant l’île en deux dans sa partie la plus
étroite » «Mais déjà cet ouvrage purement militaire favorisait la paix ». Si Hadrien entreprend,
c’est dans un même et unique but : consolider, régir pour résister au temps.
Empereur diplomate
Hadrien le pacificateur est omniprésent dans les lettres : « Etre dieu oblige en somme à plus de
vertus qu’être empereur. » (p.161) C'est Hadrien en tant que tribun qui va d’abord révéler sa
finesse stratégique, diplomatique, à savoir l’apaisement. : « cette dernière tâche que négligeait tout
le monde » (p.57), « J’étais décidé à régler ces incidents de frontière par un moyen moins banal
que des légions en marche. »
L’implication politique de plus en plus importante permet à Hadrien, en tant que sénateur
d’utiliser son pouvoir à « une lutte secrète, mais continue en faveur de la paix »(p.83), « Ce qui
importait, c’est que quelqu’un s’opposât à la politique des conquêtes ». Bien sûr « Je n’ai pas la
naïveté de croire qu’il dépendrait toujours de nous d’éviter toutes les guerres ; mais je n’en
voulais que des défensives ». Hadrien veut mettre fin à ce dispersement des hommes de Rome et
d’Italie, il veut se concentrer sur l’état économique.
Hadrien recherche l’alternative à la guerre et aux combats incessants qui ont ruiné l’empire de
ses prédécesseurs. A l’annonce de sa proclamation de commandant en chef, Hadrien entame des
pourparlers avec l’ennemi Parthe. Une diplomatie dont il conjure son successeur, César Marc
Aurèle, de respecter et de faire durer cet « état de[s] choses », qui n’est autre que la Pax Romana.
“L’accord conclu entre nous au cours de cette visite dure encore; depuis quinze ans, de part et
d’autre rien n’a troublé la paix aux frontières. Je compte sur toi pour que cet état de choses
continue après ma mort” (p. 157).
L’égalité diplomatique règne au sein de l’empire puisque aucune préférence n’est établie. Il
n’y a pas d’annexes de l’Etat, il n’y a qu’un Etat : « je n’ai jamais eu le sentiment d’appartenir
complètement à aucun lieu, pas même à mon Athènes bien aimée, pas même à Rome.
Etranger partout, je ne me sentais particulièrement isolé nulle part » (p.138)
La diplomatie d’Hadrien s’établit aussi entre les peuples : « J’essayai de démontrer aux
Grecs qu’ils n’étaient pas toujours les plus sages, aux juifs qu’ils n’étaient nullement les plus
purs » (p.110). Il apaise les tensions entre les communautés au profit du développement du
marché commun, particulièrement sur les routes de l’Asie. Marché d’intérêt commun qui
immunise les territoires de toute guerre tant les bénéfices sont conséquents.
Empereur sans relâche
Hadrien est présenté comme un empereur voué et dévoué au service du maintien de la paix dans
son empire mais aussi au maintien de l’Ordre, de la justice et du développement. C’est sans
relâche qu’il opère.
Dans le premier chapitre des Mémoires, Hadrien parle des journées à Rome comme «
désagréablement encombrées », « une séance au sénat avait été suivie par une séance au tribunal,
et par une discussion avec l’un des questeurs ; puis par une cérémonie religieuse qu’on ne peut
abréger ».
A son avènement, il ne cesse de recourir aux affaires les plus urgentes pour apaiser l’empire qui
s’effrite de toutes par : Syrie, Egypte mais aussi l’Italie où ses ennemis menacent : « Ma vie était
rentrée dans l’ordre, mais non pas l’empire » (p.109), « Mais la révolte en Maurétanie fumait
encore. J’abrégeai ma traversée d’Espagne, négligeant même entre Cordoue et la mer de m’arrêter
un instant à Italica, ville de mon enfance et de mes ancêtres. » (p. 154)
L’activité de l’empereur ne cesse, puisque alors intervient un autre élément perturbateur :
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« Il m’eût été doux pour une fois, de passer le printemps à Rome, d’y retrouver la Villa
commencée, les caresses capricieuses de Lucius, l’amitié de Plotine. Mais ce séjour en ville fut
interrompu presque aussitôt par d’alarmantes rumeurs de guerre. » (p. 154). Sans relâche, Hadrien
stabilise, modère et adoucit son empire : « mais c’est nous qui (…) nous efforcions péniblement
de faire de l’Etat une machine apte à servir les hommes » (p.242), seul « L’Edit perpétuel (…) la
règle une fois pour toute » (p. 245)
A la tête du gouvernement civil Hadrien est tout aussi actif : « Nous sommes des fonctionnaires
de l’Etat, nous ne sommes pas des Césars » (p.135). Il interdit ainsi les bains mixtes, résorbe les
caisses de l’Etat, illumine et fait nettoyer les rues, vend une partie des galères de l’Empire, de
même qu’une partie son trop complet arsenal. Le nombre de chars autorisés en ville est aussi
considérablement réduit, Hadrien sait se montrer brillant gouverneur, intendant et gérant du
domaine public. L’empereur est aussi obligé de sévir contre la bigamie et les relations
extraconjugales mais : « nos lois civiles ne seront jamais assez souples pour s’adapter à l’immense
et fluide variété des faits » (p. 128)
Les femmes ne sont pas en marge, le mariage forcé est supprimé. Celles-ci peuvent désormais
hériter, administrer et tester leur fortune.
Socialement, Hadrien refuse les impôts volontaires des cités, annule toutes les dettes des
particuliers envers l’Etat. Le nombre d’esclaves est considérablement diminué au nom de la
sécurité, mais leur condition s’améliore. Les médecins et les professeurs sont de même favorisés
dans leur combat d’une « classe moyenne sérieuse et savante ».
Des réformes agraires sont notamment introduites pour une productivité accrue et une
équilibration des biens entre patriciens et pauvres. Les réserves de grains sont réparties afin
d’éviter l’inflation et la disette. Commercialement, ce sont les armateurs qui reçoivent un appui
pour le développement du commerce maritime.
L’empereur et la religion
Hadrien s’entretient peut sur les questions de religion, même dans sa politique il se montre
tolérant et pacifiste. Aucun dieu n’est pour lui assez signifiant pour être considéré comme
supérieur.
C’est sous Trajan qu’il fut témoin et marqué par les premières persécutions religieuses à la suite
d’un tremblement de terre à Antioche: « l’empereur commit la faute de laisser massacrer un
groupe de chrétiens »(p.90), mais Hadrien n’éprouve qu’« assez peu de sympathie pour cette
secte », « s’inquiéta[ant] du progrès de sectes de ce genre ». Tout de même, il rappelle que « les
diffamateurs de chrétiens seraient punis » (p.238). De plus ils s’oppose à l’idée chrétienne, à
« aimer autrui comme soi-même ; elle est trop contraire à la nature humaine pour être sincèrement
obéie par le vulgaire, qui n’aimera jamais que soi, et ne convient nullement au sage, qui ne s’aime
pas particulièrement soi-même » (p.240). Lors de sa première expédition, il avoue que « le culte
de Mithra » « [l]e conquit un moment ». L’initiation à différents cultes souterrains permet à
Hadrien de comprendre les dangers encourus pour l’Etat et l’oblige à « sévir contre [eux] » (p.64)
Sa préférence semble se porter sur les dieux greco-romains puisqu’ils précise « Je construisais
un nouveau temple » et « il [m]’effrayait pour nos vieilles religions » (p.239).
Ainsi dans les Mémoires Hadrien apparaît-il tout autant tribun du peuple que général en chef,
gouverneur, grand pontife, conquérant des Parthes, consul, Père de la Patrie et détenteur d’une vie
qui fit de l’Empereur Hadrien un Empereur divin, mais aussi « l’empereur romain qui avait
instauré et maintenu la paix ». Excellent officier appelé à un destin prestigieux, mais âme
pacifique, esprit cultivé épris de sciences, de lettres, d’arts, voyageur infatigable passant plus de la
moitié de ces vingt années de règne à parcourir l’Empire pour y semer beautés, paix, prospérité,
justice propres à « améliorer la condition humaine ». Hadrien s’avère au travers des Mémoires, un
esthète philosophe engagé de toutes ses forces dans la vie, mais exerçant les plus hautes charges
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avec la conscience de leur vanité et de son destin « [ma vie] me semble unique, et par-là même
sans valeur, inutile parce qu’impossible à réduire à l’expérience du commun des hommes ».
Au travers de l’évocation du « Je » et destin exceptionnel d’Hadrien, c’est sa propre nature
originale, complexe, amoureuse de la Grèce et grande voyageuse, que Marguerite Yourcenar nous
livre dans une réflexion lucide sur l’acceptation de la vie, de ses charges et de ses honneurs, de sa
finitude et de la mort.
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