une idée du patrimoine en syrie du nord : entre usage et sauvegarde

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J.-C. DAVID, S. MÜLLER CELKA Patrimoines culturels en Méditerranée orientale : recherche scientifique et
enjeux identitaires. 2ème atelier (27 novembre 2008) : Identités nationales et recherche archéologique : les aléas du
processus de patrimonialisation (Levant, pays du Golfe, Iran). Rencontres scientifiques en ligne de la Maison de
l’Orient et de la Méditerranée, Lyon, 2008. http://www.mom.fr/2eme-atelier.html.
UNE IDÉE DU PATRIMOINE EN SYRIE DU NORD :
ENTRE USAGE ET SAUVEGARDE
Gérard CHARPENTIER*
RESUME
Les villages antiques de la Syrie du Nord font actuellement l’objet d’une demande d’inscription au patrimoine
mondial. Ils occupent un ensemble de plateaux calcaires connus sous le nom de « massif calcaire »qui s’étend sur une
surface de 2000 km2 comprise entre la frontière turque au nord et Apamée au sud, les vallées de l'Afrin et de l'Oronte
à l'Ouest et la plaine d'Alep à l'Est.
La mission archéologique syro-française de la Syrie du Nord (direction : G.Tate †, G. Charpentier et
M. Abdulkarim) a été sollicitée pour participer, à titre consultatif, au montage du dossier d’inscription. Cela concerne
notamment le chaînon sud (Gebel Zawiyé) sur lequel nous travaillons depuis une vingtaine d’années.
Parmi les différents travaux en cours qui s’inscrivent dans une démarche plus historique, deux opérations se
rattachent directement à la protection de ce patrimoine :
-L’établissement d’un inventaire à partir d’une carte archéologique (avec les modes et les limites
d’enregistrement).
-la validation des travaux archéologiques à travers la mise en valeur d’un site (choix entre restauration /
consolidation / signalétique).
Nous tenterons de montrer à travers ces deux interventions sur le terrain, outre les caractères historiques et
scientifiques évidents d’un tel patrimoine, d’autres aspects tout aussi importants liés à l’esthétique (la notion du
paysage), au pittoresque (maintenir le caractère pastoral) et au social (communication, information et participation
des habitants).
L’opportunité nous est offerte, dans le cadre de ce thème transversal consacré au patrimoine, de
présenter nos travaux de recherche archéologique selon un point de vue différent de celui généralement
développé dans les rapports ou les publications spécialisées. Avec l’ensemble des membres de la mission
archéologique syro-française de la Syrie du Nord, nous sommes en permanence confrontés sur le terrain à
la notion de patrimoine. Plusieurs membres de notre équipe ont d’ailleurs été sollicités pour participer
comme consultant, au montage du dossier d’inscription des villages antiques de la Syrie du Nord au
patrimoine mondial. Cette demande, initiée par l’état syrien auprès des instances internationales, s’inscrit
dans une politique patrimoniale plus large. Il est impossible d’en traiter ici tous les aspects dont les plus
essentiels, d’ordre économique et politique, nous échappent en partie. Ces derniers ne peuvent être traités
1
qu’avec le concours des instances gouvernementales syriennes et de l’UNESCO, en prenant en compte
les réactions, positives ou négatives, des habitants et des usagers 1.
Pour ce qui nous concerne, nous limitons notre propos à nos activités de terrain et aux
responsabilités qui nous incombent dans le domaine de la connaissance du patrimoine de la Syrie du
Nord. Il s’agit d’en définir les limites, en prenant en compte les valeurs d’usage qui régissent et modifient
en permanence son mode de préservation. L’étude de ce patrimoine exceptionnel qui concerne toute une
région et non un site, s’inscrit dans une démarche de collaboration et d’échange entre les différents
acteurs impliqués, volontairement ou involontairement, dans un programme de sauvegarde. Elle se traduit
de manière plus concrète, par le projet de mise en valeur d’un site que nous avons en partie fouillé et par
notre contribution à la constitution d’un inventaire le plus exhaustif possible des vestiges en place.
I - PATRIMOINE ET RECHERCHE : LES VILLAGES ANTIQUES DE LA SYRIE DU NORD
Fig. 2 : Bordure ouest du massif calcaire – vue aérienne (cliché
Maamoun Abdulkarim).
.
Fig. 1 : Carte de localisation.
Les « villes mortes » de la Syrie du Nord, comme on les désignait autrefois, constituent un des
ensembles archéologiques les plus extraordinaires au monde (fig. 1). Il s'agit de plus de sept cents sites
d’époque romaine et byzantine qui se trouvent dans une vaste région comprise entre la frontière turque au
nord et Apamée au sud, les vallées de l'Afrin et de l'Oronte à l'ouest et la plaine d'Alep à l'est. Ils occupent
* Archéorient (UMR 5133 du CNRS), Lyon. Ce texte a été réalisé avec la contribution des membres de la mission archéologique
syro-française de la Syrie du Nord. Sauf spécification, tous les clichés sont de l'auteur et appartiennent à la mission archéologique
franco-syrienne.
1
Ces différents aspects pourront faire l’objet d’une communication à part présentée lors d’une prochaine journée sur le patrimoine
(Lyon 2010).
2
un ensemble de plateaux calcaires connus sous le nom de « massif calcaire » (fig. 2). Avec une superficie
d'environ deux mille km2, celui-ci se divise en quatre groupes de chaînons: Gebel Simaan et Gebel
Halaqa au Nord, Gebel Baricha et Gebel I1-A'la au centre, Gebel Wastani à l’ouest et enfin, au sud, Gebel
Zawiye que nous avons parcouru plus en détail dans le cadre du programme patrimonial.
Les ruines du massif calcaire ont été repérées, au XIXe siècle par M. de Voguë 2, puis de nouveau
explorées par H. C. Butler 3, de 1901 à 1910. On leur doit des ouvrages fondamentaux qui nous livrent
une très riche documentation. Mais c’est à G. Tchalenko 4, entre 1934 et 1975, qu’il revient d’avoir
explicité les problèmes historiques posés par l’existence de ces ruines de villages et non pas de villes. De
nouvelles études furent lancées, sous l’égide de l’Institut Français d’Archéologie du Proche-Orient. Elles
se sont poursuivies dans le cadre de la mission de la Syrie du Nord qui a obtenu depuis 1994 un statut de
mission mixte syro-française, resserrant ainsi les liens de coopération entre la Direction Générale des
Antiquités de Syrie, l’Université de Damas représentée par le responsable de son département de
l’archéologie et co-directeur de la mission (M. Abdulkarim), et les institutions françaises représentées,
dans le cadre de cette mission MAE, par le CNRS et les Universités de Lyon 2 et de Versailles-SaintQuentin 5.
Des recherches ont été engagées sous différents aspects liés à l’environnement géographique,
aux changements éventuels du climat, à l’évolution des ressources en eau, en fonction des critères
chronologiques liés à l’évolution des villages, grâce aux fouilles archéologiques engagées sur les sites de
Sergilla, de Déhès, d’El-Bara et de Ruweiha. Ainsi, les géologues, les pédologues et les archéologues
étudient, dans ses permanences et dans la diachronie, dans ses traits généraux et dans ses particularités
locales, une région rurale de l’Antiquité en prenant en compte les paysages ruraux, les structures de
l’habitat, l’évolution démographique et sociale dans son cadre environnemental. D’autres recherches,
directement liées au patrimoine, sont consacrées à l’étude des vestiges antiques, par l’analyse
architecturale de monuments spécifiques comme les temples, les églises, les tombes, les pressoirs, les
bains et bien sûr les maisons qui représentent la grande majorité des bâtiments antiques 6.
En raison du nombre considérable de vestiges en place et de l’état remarquable dans lequel ils sont
conservés, les études de prospections, menées conjointement aux opérations de fouilles, restent en grande
partie focalisées sur les périodes romaine et byzantine. Toutefois, de nouveaux programmes sur les
périodes islamique et médiévale ont été engagés, avec la fouille d’une mosquée et d’un hammam dans le
village d’El-Bara. En revanche, les recherches réalisées pour les époques modernes et contemporaines
sont quasiment inexistantes. Ces phases d’occupation sont pourtant bien réelles et de nouvelles études
dans ce domaine permettraient de combler un hiatus sur l’occupation des villages du massif calcaire, de
l’Antiquité à nos jours.
2
Vogüé 1865-1877.
3
Butler 1903 et 1920.
4
Tchalenko 1953-58.
5
Tate 1992.
6
Charpentier et alii 2007.
3
II - PATRIMOINE ET USAGE : ENTRE SITE ET PARC ARCHÉOLOGIQUE
Fig. 3 : Vue aérienne du village d’El Bara (cliché Maamoun Abdulkarim).
La notion de patrimoine change selon les époques et il ne s’agit plus de protéger des sites limités
aux bâtiments antiques, mais de sauvegarder des secteurs entiers en y associant la notion de paysage. Les
paysans et propriétaires de la région ont contribué, depuis des siècles, à modeler une partie des
campagnes de la Syrie du Nord, y compris les villages antiques qui, selon leur mode d’occupation ou
d’abandon, se fondent dans le paysage ou tendent à disparaître progressivement. Comme partout ailleurs,
plusieurs d’entre eux ont manifestement servi de carrière pendant des siècles, bien avant que ne se
mettent en place les institutions de protection du patrimoine. Malgré cela, une cinquantaine de villages
antiques sont quasiment complets ; leurs constructions offrent des élévations atteignant jusqu'à dix mètres
et pour certaines d'entre elles, il suffirait d’installer les planchers et les charpentes en bois des toits
couverts de tuiles, pour leur rendre leur état originel. De nombreux villages ont été entièrement
réoccupés, certains dès l’époque médiévale, comme à El-Bara, d’autres aux périodes modernes et
contemporaines comme à Deir-Sumbul. Toutefois, ils sont pour la plupart abandonnés et leurs vestiges se
sont fondus dans le paysage avec la mise en culture de parcelles imbriquées dans les champs de ruines
comme à Déhes ou à El-Bara (fig. 3). Des zones plantées d’oliviers ou d’arbres fruitiers ont été épierrées
à la main aux abords des agglomérations antiques. Elles sont délimitées par des murs d’enclos construits
sur un mètre de hauteur à l’aide de petites pierres posées les unes sur les autres. Ces murets, qui exigent
un entretien régulier en raison de leur fragilité, s’étendent sur une grande partie du massif calcaire, au sein
des agglomérations antiques comme dans les campagnes. Ils se superposent aux cadastres antiques
parfaitement conservés dans les zones plus arides, comme à Ruweiha et à Gerade. Les travaux agricoles
ont, ainsi, modelé progressivement les campagnes de la Syrie du Nord que Georges Tchalenko arpentait
encore à cheval dans les années cinquante. Depuis une trentaine d’années, les voies de circulation se sont
multipliées sur l’ensemble du territoire pour constituer un réseau de chemins et de routes de plus en plus
dense. Un bon nombre d’entre elles s’interrompent aux abords des agglomérations antiques pour accéder
4
aux parcelles cultivées à l’intérieur de ces
villages ou aux quelques fermes installées
dans les ruines, comme à Dalloza (fig. 4).
Ces dernières, plus nombreuses qu’il
n’y paraît, sont construites intégralement en
pierres. Longtemps négligées dans le cadre
de nos études, elles correspondent à un
habitat traditionnel dont l’histoire reste en
partie méconnue. D’une manière générale,
ces constructions sont datées du XIXe et du
début du XXe siècles. Elles n’occupent
Fig. 4 : Le remploi dans une maison de village – Gebel Barisha.
qu’une partie des ruines dont les blocs
éboulés sont pour la plupart, remployés dans les murs d’enclos modernes (fig. 5). Les voûtes en moellons
qui couvrent les salles du rez-de-chaussée, reposent sur des murs en pierres sèches disposés contre les
murs en grand appareil. Les éléments ajoutés sont indépendants des constructions antiques, à l’image des
murs en pierres posés au-dessus des élévations antiques en pierres de taille ou entre les colonnes des
portiques. Ces éléments viennent parfaitement s’imbriquer dans les ruines protobyzantines dont les faces
parementées des murs ne portent aucune trace moderne de démontage ou d’ancrage.
Fig. 5 : La face est d’une maison antique de Gerade actuellement
occupée. Fig. 6 : La transformation d’une maison de Sergilla ;
face sud de la maison 17.
Un grand nombre des maisons sont encore occupées par des familles de paysans qui entretiennent
en permanence l’ensemble de ces maçonneries colmatées à la terre. D’autres sont abandonnées et
menacent de s’effondrer au risque de provoquer des désordres irréversibles sur les bâtiments antiques.
C’est le cas de la maison 17 de Sergilla datée du Ve siècle de notre ère et conservée jusqu’au niveau des
toitures. Les ruines du bâtiment principal étaient occupées par une famille de paysans. Le rez-de-chaussée
aménagés en deux salles voûtées, était précédé de quatre petites salles couvertes en voûtes d’arrête
disposées sous le portique (fig. 6). L’expropriation des derniers occupants, relogés dans le village d’El-
5
Bara, a permis de fouiller un petit pressoir accolé
aux
deux
salles
du
rez-de-chaussée.
Les
installations laissées en place ont subi, au fil du
temps, de multiples dommages et les infiltrations
dans les voûtes ont provoqué l’effondrement
d’une partie de la façade du bâtiment byzantin.
En
définitive,
ces
habitations
loin
d’endommager les vestiges sur lesquelles elles
sont installées, les protègent des intempéries
auxquelles elles sont exposées. Nous pourrions
Fig. 7 : La construction de terrasses en béton sur les ruines
d’une maison protobyzantine.
multiplier les exemples de ces maisons en pierre
toujours occupées et maintenues in situ. Nous constatons cependant qu’elles subissent, au même titre que
toute autre habitation, une modernisation caractérisée par l’emploi du béton, utilisé notamment dans les
couvertures en terrasse (fig. 7). Mais le maintien de ces exploitations offre d’autres aspects positifs dont
nous avons voulu tirer profit dans le projet de mise en valeur du site de Sergilla.
De l’étude d’un site à l’aménagement d’un parc
Le projet de mise en valeur du village de Sergilla a été réalisé sous la responsabilité des services
de la Direction Générale des Antiquités et des Musées et avec la participation des architectes syriens et
français de la mission archéologique. Plusieurs maisons byzantines situées à la périphérie du village
antique ont conservé les traces d’une occupation moderne. L’une d’elle, toujours habitée, a gardé une
activité pastoral avec ses troupeaux de moutons et de chèvres qui traversent quotidiennement le site, pour
le plus grand plaisir des visiteurs (fig. 8). Les animaux vont s’abreuver à proximité d’une citerne antique
d’où l’on tire encore de l’eau à la manière des anciens (fig. 9).
Fig. 9 : Puisage de l’eau dans la citerne antique d’une
maison de Sergilla. Fig. 8 : Le caractère pastoral du site de Sergilla.
Outre le caractère pittoresque de cette pratique ancestrale, le site est ainsi régulièrement désherbé,
sans être endommagé. Les enclos installés dans les ruines, ont par ailleurs été déplacés à la périphérie du
6
village afin de faciliter les visites des monuments. En définitive, l’activité de cette exploitation a été
maintenue dans le cadre du projet d’aménagement. Ce choix a permis de conserver un des caractères
essentiels de cette agglomération rurale qui depuis sa fondation ouvre directement sur le terroir. L’idée de
clôturer le site par un muret périphérique a été abandonnée et seuls, quelques murets ont été discrètement
érigés aux abords du site afin d’entraver tout passage entre les maisons antiques et dans le but de diriger
les visiteurs vers l’entrée principale du site.
Fig. 10 : La restauration d’une maison à l’entrée du site
de Sergilla. Fig. 11 : L’habitat traditionnel dans les ruines d’une
maison de Sergilla. Comme M. de Vogüe autrefois, on accède au site par le nord ; l’ancienne piste de terre qui se
fondait dans le paysage est dorénavant élargie pour faciliter le passage des bus. Du premier coup d’œil, le
visiteur découvre l’ensemble des vestiges avec, au premier plan, un groupe de sarcophages situés près
d’une carrière et dont les couvercles légèrement déplacés produisent un effet saisissant. L’accès au site a
cependant fait l’objet d’une opération spécifique fondée sur la réhabilitation des ruines d’une maison
byzantine transformée en maison d’accueil du public. Son bâtiment principal composé de deux salles en
rez-de-chaussée ainsi que son annexe constituée d’une seule pièce, ont été restaurés sur le modèle
antique (fig. 10) ; Situés sur un point haut du wadi, ces deux édifices couverts aujourd’hui d’un toit de
tuiles dominent l’ensemble du site. Ce projet, très affirmé, a été préféré à un second plus modeste. Celuici consistait à couvrir les salles par des voûtes en moellons, selon les techniques mises en œuvre dans
l’habitat traditionnel, à l’image de la maison 40 habitée au sud-est du site (fig. 11). De gros ouvrages de
terrassement ont également été engagés de manière à empêcher tout accès motorisé sur le site. L’ampleur
de ces travaux destinés à l’accueil et la sécurité des visiteurs se limite à l’entrée du site. En revanche, le
projet de présentation du village antique met en avant le caractère pastoral des lieux à travers la mise en
place d’une simple visite guidée.
Les ruines occupent la totalité d’un vallon avec ses deux versants orientés nord-sud. Le secteur le
plus détruit, situé au fond du vallon, fut débarrassé des amoncellements de pierres qui recouvraient de
nombreux murs conservés à moins d’un mètre du sol. De nouveaux vestiges furent ainsi mis au jour. Il
s’agit de modestes maisons simplement dégagées, à l’exception de trois d’entre elles qui ont été fouillées.
Ces vestiges correspondent à la première phase d’occupation du site. Relativement fragiles, nous avons
7
remblayé l’ensemble du secteur jusqu’à l’arase supérieure des murs pour constituer une réserve
archéologique dans la partie basse de l’agglomération.
Les grands bâtiments en pierre de taille qui
appartiennent à la deuxième phase d’expansion
protobyzantine, sont implantés à mi-pente et sur
le plateau. Ils sont remarquablement bien
conservés, à l’image des thermes et de l’auberge ;
deux magnifiques édifices qui se dressent à
l’écart des habitations (fig. 12). En raison de
l’exceptionnel état de conservation des vestiges,
nos interventions se sont strictement limitées à
Fig. 12 : La face sud de l’auberge de Sergilla.
des travaux de consolidation et de comblement
des sondages. En revanche, un effort particulier a été porté à la signalétique et une quinzaine de panneaux
ont été disposés sur le site le long d’un cheminement matérialisé par une couche de graviers colorés. Ces
allées se prolongent sur le versant est afin de
pouvoir
accéder
aux
édifices
les
plus
caractéristiques du village protobyzantin (bains,
citerne, auberge, ensemble ecclésial, pressoir,
mausolées et deux maisons) près desquels sont
disposés des panneaux explicatifs en trois
langues (arabe, français et anglais). La partie
graphique est constituée pour l’essentiel de
restitutions volumétriques dont le point de vue
coïncide avec celui des ruines, en fonction de
l’orientation du panneau placé à l’intérieur ou à
proximité de chaque bâtiment. C’est le cas de
l’ensemble ecclésial (fig. 13) dont la restitution
graphique correspond à la dernière phase
d’occupation. Les sondages archéologiques
ouverts à l’intérieur de l’église et dans la cour
ont été remblayés au niveau des sols de
circulation du VIe siècle. Certains blocs dégagés
lors des fouilles, comme les bases et les
chapiteaux, ont été disposés à l’intérieur du
complexe religieux, à proximité de leur
emplacement initial.
Fig. 13 : Un exemple de panneau installé sur le site
archéologique de Sergilla. 8
Une dernière opération avait été projetée en collaboration avec les architectes de la DGAM, dans
le cadre d’un projet de formation. Il s’agit d’un projet d’anastylose destiné au remontage d’une maison
située en bordure est du village, Tous les blocs ont été enregistrés et dessinés afin d’être remontés. Ce
dossier, validé à partir d’un cahier des charges détaillé, est en attente d’être réalisé dans le cadre d’une
opération programmée.
En définitive, la partie nord du site et le versant est du wadi ont fait l’objet d’une présentation
archéologique constituée essentiellement de panneaux explicatif disposés discrètement à l’intérieur des
bâtiments. En revanche, le public peut flâner à sa guise entre les ruines situées sur le versant opposé, en
dehors du circuit proposé aux visiteurs. Cette autre partie du site, propice à la ballade, se prête volontiers
aux parties de pique-nique si populaires en Syrie, notamment auprès des groupes scolaires dont les visites
se font de plus en plus nombreuses. La fréquentation des sites par les écoles est un des critères essentiels
qui a conduit à présenter le site de Sergilla sous la forme d’un parc archéologique ; entre visites guidées et
espace de villégiature.
III - PATRIMOINE ET SAUVEGARDE : URGENCE ET INVENTAIRE
Les efforts réalisés par la DGAM pour préserver les sites antiques de la Syrie du Nord sur tout un
territoire, sont considérables. La protection du secteur sur lequel nous travaillons est assurée localement
par le directeur et le personnel du Musée d’Idlib dont dépendent également les gardiens des sites. Ils sont
constamment sollicités sur le terrain dont ils ont la charge. De plus, les usages et les pratiques du monde
des campagnes se sont considérablement modifiés depuis une quinzaine d’années, en raison d’une
démographie galopante. De nouvelles maisons s’implantent à l’extérieur des monuments antiques et aux
abords des villages, selon un mode de construction standard rapidement mis en place. D’une manière
générale, les murs des maisons sont construits en gros moellons de pierres calcaires liés au ciment. Ils
portent une dalle de béton faisant office de couverture terrasse. Situées à la périphérie des villages, ces
maisons constituent parfois de véritables hameaux qui se prolongent le long des nouvelles routes d’accès.
Les plus grandes, souvent pourvues d’un étage, ont des ossatures en béton auxquelles sont intégrés les
escaliers. L’essor économique de la région comprend aussi de nombreuses installations artisanales de plus
en plus imposantes. Il s’agit pour l’essentiel, de poulaillers à dimension industrielle, de cimenteries et de
carrières modernes qui se répartissent au fur et à mesure sur l’ensemble du terroir. Isolées dans les
campagnes, leurs installations engendrent la création de nouveaux accès matérialisés par des pistes
rapidement transformées en routes. On constate un phénomène identique pour ce qui concerne les travaux
agricoles, en raison de la multiplication des engins mécaniques utilisés de manière intensive pour épierrer
les champs. D’énormes blocs calcaires sont déterrés puis déposés en bordure de parcelle et le long des
chemins. Les alignements de ces rochers de plusieurs tonnes tendent à remplacer au fur et à mesure les
petits murs d’enclos traditionnels construits en pierres sèches. Les opérations d’épierrement réalisées à la
main il y a encore une dizaine d’années, tendent à disparaître pour être remplacées par des dégagements
d’envergure dont l’impact sur le paysage et aux abords des sites, est considérable. Depuis, une politique
9
de délimitation de zones protégées a été mise en place dans le cadre de la demande d’inscription au
patrimoine mondial des villages antiques de la Syrie du Nord. Cette initiative devrait permettre de
poursuivre les travaux d’inventaire commencés en 2002, avec un enregistrement systématiques des
vestiges les plus menacés.
La constitution d’un inventaire
La constitution d’un inventaire est la première étape indispensable à la préservation des sites. Une
première opération a été réalisée dans le cadre d’un programme européen. Elle s’est déroulée en étroite
collaboration avec quatre architectes de la DGAM qui ont contribué à la mise en place d’un processus
d’enregistrement le mieux adapté aux types de vestiges regroupés par village. Ces deux ans (2002-2004)
ont permis de réaliser et de compléter les relevés topographiques d’une dizaine de villages du Gebel
Zawiyé. Les bâtiments localisés sur chaque plan, sont identifiés à partir de clichés auxquels sont associés
des fiches documentaires.
Cinq premiers plans de village ont été dressés à partir de plans plus anciens réalisés d’après les
photographies aériennes des années trente. Ces derniers ont montré plusieurs déformations et un
redressement global des plans topographiques a été systématiquement appliqué avec la prise de points
topographiques ponctuels et la restitution des courbes de niveau. Ces points ont été géo-référencés dans
un même système de coordonnées afin de mettre en place une base de données rattachée au Système
d’Information Géographique (S. I. G.). Une méthode de relevé topographique a ensuite été appliquée à
sept autres villages, avec la matérialisation sur le terrain d’un canevas de stations. Nous avons ainsi
complété et actualisé les relevés de douze villages sur lesquels ont été reporté les angles de vue des
photos numériques de chaque édifice, à l’image du plan du village de Wadi Marta’un (fig. 14).
Fig. 14 : Le plan topographique du village antique de Wadi-Marta’un.
10
Un modèle de fiches descriptives des bâtiments et de leurs pathologies a été mis au point par les
architectes sur Excel puis dans une base de données Access. La version actuelle de cette base de données
répertorie plus de 500 bâtiments, répartis dans dix villages. Elle permet de consulter l’ensemble des
données qui sont cataloguées puis indexées. Il est possible de modifier et de compléter les informations
relatives aux bâtiments, par l’intermédiaire d’un formulaire présenté en français et en arabe (fig. 15). Ces
opérations s’effectuent à partir d’un formulaire d’accueil bilingue établi pour chaque agglomération. Les
vestiges apparents ont été enregistrés, décrits et identifiés par type de bâtiments en fonction de
l’architecture domestique, religieuse, funéraire, balnéaire et artisanale.
Fig. 15 : Le modèle d’une fiche d’inventaire, versions française et arabe : l’architecture domestique. 11
La fiche type la plus avancée est établie pour les maisons. Elle comprend : l’orientation générale
de la parcelle et les entrées, le nombre de bâtiments, de pièces et d’étages, les portiques et les galeries, les
cours et les citernes, les annexes et les caractéristiques liées aux techniques de construction et aux décors,
ainsi que les traces significatives liées aux phases de transformation. Cette fiche descriptive
s’accompagne de documents graphiques qui, dans le cadre d’un premier inventaire, sont constitués du
plan général de chaque maison et, le cas échéant, de l’élévation de son bâtiment principal. Les maisons
sont localisées sur les plans topographiques des villages, avec les reports systématiques des prises de vue
des élévations et des blocs les plus caractéristiques. Une seconde rubrique est réservée à un diagnostic
plus technique sur l’état de conservation des ruines et les risques de dégradation (sape à la base des murs,
fissures dans les murs etc…). D’autres fiches similaires seront établies à partir des études thématiques sur
l’architecture funéraire, religieuse, artisanale et balnéaire.
Il s’agit, à terme, d’établir une base de données gérée à partir d’une carte géo-référencée sur
laquelle sont mentionnés les agglomérations, mais aussi les monuments localisés sur les plans
topographiques des villages. Les anciennes cartes d’état-major, datées des années quarante, sont en cours
de vectorisation. Il est également prévu de caler, avec précision, toutes les photos aériennes qui ont servi à
établir ces documents, afin de reporter de nouvelles données dont les limites de cadastres qui ont disparus.
De multiples applications sont envisagées dans le cadre de futures collaborations, y compris le report des
zones archéologiques classées dont il conviendra d’assurer la protection.
Un patrimoine en perspective
Cette première phase du projet s’est déroulée en collaboration avec les institutions syriennes et la
Direction Générale des Antiquités et des Musées. L'élan est donné et il serait souhaitable de poursuivre
cet inventaire en y associant les travaux des doctorants et des étudiants qui participent aux activités de la
mission archéologiques. Les travaux réalisés dans le cadre du patrimoine ont permis d’accroître les
échanges entre les différents organismes spécialisés dans ce domaine, à l’image des quatre architectesstagiaires de la Direction Générale des Antiquités et des Musées de Syrie qui ont participé activement à
ce programme. Ils ont également suivi une formation de trois mois sur les techniques de restauration de
monuments historiques, à travers des cours de formations et de visites de sites organisés en France par le
Centre des Hautes Etudes de Chaillot et par l'Ecole d'Architecture de Lyon (LAF). Il existe d’autres
formes de collaboration qui mériteraient d’être mentionnées plus longuement. L’une concerne les
habitants des villages avec qui nous travaillons depuis plus de quinze ans sur les chantiers archéologiques,
à commencer par les gardiens des sites qui, depuis plusieurs années, suivent le déroulement des
campagnes de fouille. Ils y participent également par le recrutement des ouvriers mobilisés chaque année.
Cette main d’œuvre locale est constituée de paysans, de lycéens, d’étudiants ou de professeurs des écoles
très impliqués dans le bon déroulement du chantier. Grâce à leur participation active, la mission
archéologique entretient un rapport privilégié avec la population locale et il serait souhaitable de
multiplier les échanges auprès des usagers pour mieux appréhender ce patrimoine afin d’en garantir sa
protection.
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BIBLIOGRAPHIE
BUTLER H. C. 1903, Architecture and Other Arts, AAES, New York.
BUTLER H. C. 1920, Architecture, Section B, Nothern Syria, PAES, Leiden.
VOGÜE M. 1865-1877, Syrie centrale, Architecture civile et religieuse du Ier au VIIème siècle, 2 vol.,
Paris.
TCHALENKO G. 1953-58, Les villages antiques de la Syrie du Nord. Le massif du Bélus à l'époque
romaine, 3 vol., Paris.
TATE G. 1992, Les campagnes de la Syrie du Nord du IIème au VIIème siècle, Beyrouth.
CHARPENTIER G. et alii 2007, «Présentation des travaux réalisés en Syrie du nord dans le cadre du
programme européen 14 » in Abdul Massih J. (éd.), Cultural Heritage training Program (section :
Résultats du programme de formation à la sauvegarde du patrimoine culturel de Syrie), Damas, p. 161181.
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