La cantatrice chauve

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Eugène Ionesco 1912 – 1994
La cantatrice Chauve 1950
(The Bold Soprano)
La première pièce
d’un « nouveau théâtre »
La Cantatrice et la Huchette
Quelques mises en scène
Le livre-théâtre de Massin
Du texte à la scène et de la scène au livre
« Je n'ai jamais compris, pour ma part, la
différence que l'on fait entre comique et
tragique. Le comique étant l'intuition de
l'absurde, il me semble plus désespérant que
le tragique. Le comique est tragique, et la
tragédie de l'homme dérisoire. Le comique
n'offre pas d'issue. »
Années 1950 : naissance de ce qu'on appellera le « nouveau théâtre » (le « nouveau
roman » venait de naître) ou théâtre de l’absurde
Une volonté de rupture avec l'héritage : le psychologisme et l'humanisme traditionnels.
1953 : Samuel Beckett En attendant Godot, qui avec la Cantatrice (1950) est une pièce
fondatrice de ce « nouveau théâtre » qui n'avait pas encore été baptisé ainsi.
- Refus du théâtre tel qu'il se pratiquait alors. Dans La Cantatrice chauve, il n'y avait ni
cantatrice ni chauve : rien que des Smith et des Bobby Watson, rabâchant, à longueur de
soirée, des lieux communs empruntés à L'Anglais sans peine, un manuel de la méthode
Assimil.
- Refus : du théâtre psychologique, et philosophique de l’entre deux guerres : les subtilités
d'un Giraudoux ou d’un Cocteau. Les pièces à message d'un Camus, voire d'un Sartre
- Sans doute contre la métaphysique du langage revendiquer la « physique de la scène »
demandée par Artaud : « La scène est un lieu physique et concret qui demande qu'on le
remplisse et qu'on lui fasse parler son langage concret »
Dans La Leçon le langage n'est plus qu'un instrument de puissance : il assure la domination du
professeur sur son élève, une domination qui ira jusqu'au viol et au meurtre (le quarantième
meurtre de la journée du Professeur !)
Dans Les Chaises,
Chaises « le thème de la pièce n'est pas le message, ni les échecs dans la vie, ni le
désastre moral des vieux, mais bien les chaises, c'est-à-dire l'absence de personnes, l'absence
de l'Empereur, l'absence de Dieu, l'absence de matière, l'irréalité du monde, le vide
métaphysique ; le thème de la pièce, c'est le rien [... un] rien [qui] se fait entendre, se
concrétise, comble de l'invraisemblance ! ». (Ionesco)
Nicolas Bataille découvre le texte :
Lorsque je lus le manuscrit de
L’anglais sans peine, le premier titre
de La Cantatrice chauve, ce fut pour
moi, jeune comédien, une
découverte : ce texte ne ressemblait
en rien à ce que j’avais vu ou lu
jusque-là.
Quelques jours plus tard, je rencontrai
Ionesco qui m’expliqua :
« Je voulais apprendre l’anglais, j’ai
ouvert une méthode Assimil et j’ai
découvert tout un monde qui
s’exprimait d’une manière étonnante.
J’ai donc fait parler mes personnages
anglais comme des Français
apprenant l’anglais ».
Et par le sous-titre de L’anglais sans
peine, « Anti-pièce », il précisait que
c’était une critique du théâtre
bourgeois du début du siècle.
(Nicolas Bataille, metteur en scène)(
« Le premier héros ionescien est le langage, dont
cette pièce suit la décomposition grandissante, puis
galopante. Les phrases sclérosées se défont dans le
non-sens : « On peut prouver que le progrès social
est bien meilleur avec du sucre » ; le texte est rongé
de mots bâtards : « J'ai mis au monde un mononstre.
»
Quand le langage n'est plus irrigué profondément par
une pensée vive, il se flétrit et tombe en poussière.
La communication entre les êtres s'évanouit.
Mais c'est le spectateur, après la sortie, qui tire ces
conclusions ; Ionesco, lui, ne livre que des dialogues
entièrement mécanisés, et pousse le rythme de la
machine jusqu'au vertige du néant.
L'absurde tue le langage. […] Pour compenser ce
tragique, Ionesco prescrit la règle d'or : « Sur un
texte burlesque, un jeu dramatique. Sur un texte
dramatique, un jeu burlesque » (Notes et
contrenotes). »
Philippe Sellier
Pourquoi ce titre ?
« …un jour, pendant une
répétition, le capitaine des
pompiers récitant
l'histoire du « rhume », eut
un trou de mémoire, sauta
trois lignes
et au lieu de parler d'une
cantatrice très blonde,
nous présenta une
cantatrice… chauve.
Ionesco s'exclama : « Le
titre est trouvé ! Ce sera
La Cantatrice chauve !
Pour justifier ce titre,
j'ajouterai quelques
répliques ».
[Rapporté par Nicolas Bataille]
16 mai 1950. Soir de première au Théâtre des
Noctambules. Ionesco entouré de ses interprètes.
« Alors, c'est vrai ? Vous voulez jouer ma pièce ? Mais
tout le monde me dit que ce n'est pas jouable ! »
Mai 1950 aux Noctambules
La mise en scène est de Nicolas Bataille. Pas de décors et les
costumes sont empruntés à un tournage de film. De Gauche à droite
Claude Mansart, odette barrois, Nicolas Bataille, Henri-Jacques Huet et
Simonne Mozet.
Du point de vue de la longévité
de programmation, La
Cantatrice, couplée avec la
Leçon, constitue un
phénomène unique. Reprise
en 1956 dans la petite salle du
théâtre de la Huchette,- 85
places, au cœur du quartier
latin, elle n’a pas quitté
l’affiche !
Aller à la Huchette est devenu
un rite pour les étrangers
amateurs de théâtre de
passage à Paris.
La reprise en 1956 au Théâtre de
la Huchette
La réception de la pièce est difficile.
Mépris ou dérision le plus souvent,
mais André Breton, Jean Tardieu,
Raymond
Queneau,
Benjamin
Péret,
Gérard
Philippe
reconnaissent tout de suite la
valeur de la pièce.
En 1952, Jacques Lemarchand,
critique au Figaro littéraire est un des
rares à soutenir la pièce :
« Le théâtre de la Huchette recèle en
ses petits flancs de quoi faire sauter
tous les théâtres de Paris ... C'est le
spectacle le plus intelligemment
insolent que puisse voir quiconque
aime mieux le théâtre que ne le font
les professeurs, mieux la tragédie
qu'on ne la sert aux Grands-Guignol,
et mieux la farce qu'on ne le fit jamais
au Pont-Neuf. Quand nous serons
bien vieux, nous tirerons grand orgueil
d'avoir assisté aux représentations de
La Cantatrice Chauve et de la Leçon »
Après-guerre au quartier latin.
Dans ce périmètre de
la rive gauche, entre le Luxembourg et la Seine des
directeurs désintéressés et éclairés de petites salle
font connaître est le périmètre où des directeurs
désintéressés de petites salles font connaître
Audiberti, Ghelderode, Pichette, Schéhadé, Adamov,
Ionesco, Genêt et Beckett.
Citons Les Noctambules, le Quartier Latin, le Lutèce,
le Mouffetard, l'Epée-de-Bois le Kaléidoscope, tous
fermés pour d’autres affectations. La Huchette est la
seule salle survivante et témoin de l’époque.l
Paris 1952, au Théâtre de la Huchette
dans la mise en scène de Nicolas
Bataille.
En 1970, Salle Valhubert, mise en scène de
Pierre Davoine
En 1977, mise en scène de Daniel
Benoin au théâtre Sorano de
Vincennes
En 1972, à la Huchette, la mise en
scène de la compagnie du
Scorpion
Mise en scène Daniel Benoin,( assis Paul
Charieras et Sophie Duez, debout Fanny
Cottençon et Eric Prat)
« Pour Benoin, ce langage qui tourne à
vide, c'est celui de nos puissants, de
nos riches et de nos stars des médias.
Après avoir fait apparaître Ionesco luimême dans des vidéos qui s'inscrivent
sur les murs d'un vaste décor blanc et
chic, le metteur en scène donne à la
rencontre des personnages les allures
d'un dîner mondain où tous les
personnages, vêtus de blanc, paradent,
sont avec leurs mots ridicules au plus
fort de l'insolence et de la volonté de
dominer sociale et érotique. Arrive la
domestique : c'est une immigrée.
Arrive le pompier : c'est un
présentateur de la télévision avec sa
musique jingle qui lui colle à la peau.
S'absente et revient Mrs. Smith, elle
chante comme Marilyn Monroe. Sort de
l'ombre Mr. Smith, chauve comme la
cantatrice invisible, nerveux comme un
homme d'affaires inquiet. »
Gilles Costaz
Au Grutli Théâtre de Genève (1984). La
mise en scène d’Alain Vernay dans un
dispositif scénographique étonnant.
2004. Sandra O Malley and Ciaran
McCauley en 2004 dans une mise en scène
du Blue Raincoat's Theater Company
Affiche de la troupe Les Indissolublesau Québec.
Mes. Jean Cossette.
1975 : mise en scène de Roger Guillo et Françoise
Gründ Au Théâtre National de Bretagne
1964 : Gallimard publie un « livrethéâtre » unique en son genre.
Massin,
directeur artistique des
éditions a consacré plusieurs années à
mettre en page, on peut dire mettre en
scène La Cantatrice
Il assiste à une vingtaine de représentations de la
pièce à la Huchette en 1960. Il l’enregistre pour
saisir inflexions et silences.
Massin est un mélomane et la typographie tente
de transposer à la fois la voix et la spatialité. Les
dialogues prennent corps dans les polices de
caractère, taille, inclinaison, anamorphoses,
rythme, graisses, contrastes… et les blancs …
pour le silence.
Ionesco et Massin Photo Yan Dieuzaide.
Il s’agit d’une
expérience
d’ «Interprétation
typographique»
d’une mise en scène
de Bataille
accompagnée de
photographismes
d’Henry Cohen.
Il arrive ainsi que des sons comme les raclements de gorge remplacent momentanément les
mots, ce qui situe en retour la parole au niveau d'un pure manifestation sonore et l'éloigne de
toute pensée rationnelle.
Espace de la scène
Du corps des comédiens
Des échanges de dialogue dans l’espace que décrit leur matière sonore
Les situations de parole se substituent au déroulement dramatique. Au
commencement, Monsieur et Madame Smith échangent des banalités de plus en
plus incongrues. Ionesco postule une incommunicabilité au sein de l'espace
conjugal, qu'il renforce par exemple en affublant du même nom une quantité
innombrable de personnes des deux sexes. C'est du même coup la convention
théâtrale, et le principe d'individualisation du personnage, qui se trouvent battus en
brèche…
MONSIEUR SMITH. L'oncle de Bobby Watson, le vieux
Bobby Watson, est riche et il aime le garçon. Il pourrait très
bien se charger de l'éducation de Bobby.
MADAME SMITH. Ce serait naturel. Et la tante de Bobby
Watson, la vieille Bobby Watson, pourrait très bien, à son
tour, se charger de l'éducation de Bobby Watson, la fille de
Bobby Watson. Comme ça, la maman de Bobby Watson,
Bobby, pourrait se remarier. Elle a quelqu'un en vue ?
MONSIEUR SMITH. Oui, un cousin de Bobby Watson.
MADAME SMITH. Qui ? Bobby Watson ?
MONSIEUR SMITH. De quel Bobby Watson parles-tu ?
Le « nouveau théâtre » contre la dramaturgie qui règne depuis Aristote.
L’action bien définie, progressivement menée est remplacée par des séries de
rencontres, de hasards ou de répétitions.
Les personnages n’ont plus d’intériorité, (le mythe de la profondeur est
dénoncé…) ils sont dans la simple présence, la surface de leurs paroles et de
leurs actes. Superficiels au sens fort…
Le langage : au lieu de servir la communication est la cause de
l'incommunicabilité entre les êtres : banalités, répétitions de lieux communs…
Le « nouveau théâtre » fut baptisé « théâtre de l'absurde » et la « présence »
simple de l’acteur devient synonyme de privation d’un ailleurs : « Est absurde
ce qui n'a pas de but [...]. Coupé de ses racines religieuses ou métaphysiques,
l'homme est perdu, toute sa démarche devient insensée, inutile, étouffante »
(Ionesco).
Conséquence paradoxale : le nouveau théâtre né dans une dénonciation du
sens est reçu comme un théâtre philosophique ou à message !
Saul Steinberg 1914-1999 artiste américain d’origine roumaine dessin de 1972 pour
la couverture de la Cantatrice Chauve
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