Propagation des prions : les neurones sympathiques à l interface

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Propagation des prions :
les neurones sympathiques à l’interface
entre le système lymphoïde et le cerveau
● S. Haïk*
es maladies à prions entraînent une dégénérescence du
système nerveux central (SNC) caractérisée par une
spongiose, une gliose, une perte neuronale et l’accumulation d’une protéine physiologique de l’hôte (la protéine du
prion cellulaire ou PrPc) sous une forme anormale, partiellement
résistante aux protéases et riche en feuillets bêta-plissés, appelée
PrPres ou PrPsc. Les formes humaines de la maladie peuvent se
présenter sous une forme sporadique, transmise (infectieuse) ou
génétique. Dans toutes les formes, la maladie est en général transmissible à l’animal de laboratoire et, dans l’hypothèse du prion,
la conversion de la PrPc en PrPsc constituerait le mécanisme de
réplication de l’agent. Quelle que soit la nature des prions, la
PrPsc copurifie avec l’infectiosité. Sa présence et son niveau
d’accumulation sont utilisés comme un marqueur de l’agent
transmissible et de son niveau de réplication. Plusieurs modèles
ont été proposés (nucléation polymérisation, polymérisation
assistée par une amorce) pour tenter de modéliser le processus de
conversion de la PrP. Au cours des formes sporadiques de la
maladie, la PrP sc apparaîtrait spontanément et de manière
stochastique dans le SNC. L’existence d’une mutation ou d’une
insertion favoriserait la survenue du processus de conversion. Les
formes transmises des maladies à prions répondent à différentes
voies de contamination : la voie intracérébrale et la voie intramusculaire correspondent à des contaminations iatrogènes (greffes
de dure-mère contaminée, injection d’hormone de croissance
humaine extractive), la voie orale a récemment été mise en lumière
lors du passage du prion bovin à l’homme au cours de la nouvelle
variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (vMCJ). Comprendre
les voies de propagation des prions après une contamination par
voie orale est indispensable pour pouvoir proposer un modèle
pertinent de l’épidémie de vMCJ et pour évaluer le risque sanitaire
associé aux souches de prions qui se développent dans les espèces
consommées par l’homme.
L
LA VOIE ORALE CHEZ L’HOMME :
UNE HISTOIRE DE CANNIBALISME
D.C. Gajdusek a le premier rapporté la possibilité d’une contamination humaine par voie alimentaire lors de sa description du
Kuru touchant la tribu Fore de Papouasie-Nouvelle-Guinée. La
contamination se produisait vraisemblablement lors de la consommation du SNC dans le cadre de rites funéraires cannibales et la
maladie a progressivement disparu après l’arrêt de ces pratiques
à la fin des années 1950. Cinquante ans plus tard, l’épidémie de
Kuru est utilisée comme un modèle de contamination par la voie
orale chez l’homme, utile pour envisager l’évolution d’une nouvelle
forme de maladies à prions, la vMCJ. Un ensemble d’arguments
indirects montrent que le passage de l’agent bovin à l’homme est
responsable de l’émergence de cette nouvelle maladie, au spectre
clinique et neuropathologique bien particulier et qui touche de
façon caractéristique des sujets jeunes. Bien que l’origine du
premier cas d’encéphalopathie bovine reste inconnue, la dissémination de l’épidémie a été provoquée par l’utilisation de
farines animales dans l’alimentation avec un recyclage des carcasses d’animaux infectés. La contamination humaine résulterait
donc de la consommation de “vaches cannibales”.
LES PRIONS PROLIFÈRENT DANS LES TISSUS
LYMPHOÏDES…
* Laboratoire de neuropathologie R. Escourolle, INSERM U360,
hôpital de la Salpêtrière, Paris.
L’accumulation de PrPsc dans les tissus lymphoïdes, notamment
dans l’amygdale, permet de distinguer la vMCJ des formes sporadiques de la MCJ. Cette réplication dans des organes périphériques suggère que le vMCJ soit bien lié à une contamination par
voie extracérébrale. Le système lymphoïde est d’ailleurs une
cible primaire de réplication dans les modèles expérimentaux
d’infection périphérique. Par exemple, après une inoculation par
voie orale, la PrPsc s’accumule tout d’abord dans les structures
lymphoïdes associées au tube digestif (plaques de Peyer et ganglions lymphatiques). L’intégrité du système lymphoïde est, de
plus, un facteur contrôlant l’efficacité d’une inoculation périphérique. Les cellules responsables de la réplication des prions
à ce niveau semblent être les cellules folliculaires dendritiques
matures, dont la présence est dépendante de la production de
TNF par les lymphocytes B. Cependant, certaines données
La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. VIII - mars 2004
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expérimentales suggèrent que les prions inoculés par voie orale
pourraient court-circuiter le système lymphoïde et directement
gagner le système nerveux périphérique.
A.
B.
… ET GAGNENT LE SYSTÈME NERVEUX CENTRAL
PAR LES NEURONES SYMPATHIQUES
En pathologie expérimentale, l’intervalle entre l’invasion du système lymphoïde et l’atteinte du SNC est plus en faveur d’une
progression des prions le long du système nerveux périphérique
que d’une dissémination par voie hématogène. Des données
récentes obtenues chez l’animal suggèrent l’implication du système nerveux autonome. Le système nerveux sympathique innerve
le tractus digestif, les tissus lymphoïdes qui lui sont directement
associés (plaques de Peyer, ganglions mésentériques) et la rate.
Nous avons donc émis l’hypothèse selon laquelle le système nerveux sympathique pourrait servir de voie de propagation aux
prions jusqu’au SNC après une contamination humaine par voie
orale. Nous avons alors recherché les stigmates de l’infection des
neurones des ganglions sympathiques correspondants (ganglions
cœliaques, mésentériques supérieurs et stellaires) au cours de la
vMCJ. En utilisant un panel de techniques biochimiques et morphologiques optimisées pour la détection de la PrPsc (immunohistochimie avec prétraitement spécifique, purification partielle et
Western blot, parafin embedded tissue blot), nous avons montré
que, chez les patients atteints de vMCJ, les neurones noradrénergiques exprimant la tyrosine hydroxylase accumulent la forme
pathologique de la protéine du prion (figure 1). Cette accumulation
de PrPsc n’était pas observée dans les ganglions sympathiques
prélevés chez des patients atteints de la forme sporadique de la
MCJ. Ces résultats suggèrent fortement une implication du système nerveux sympathique dans la physiopathologie de la maladie
au cours de son développement périphérique chez l’homme. Il
pourrait servir de voie de propagation pour les prions qui, depuis
l’intestin et les structures lymphoïdes associées, gagneraient ainsi
la moelle épinière, puis le reste du SNC. Ces observations apportent également un argument en faveur d’une contamination périphérique par voie orale au cours de la vMCJ.
PERSPECTIVES ET IMPLICATIONS
EN PATHOLOGIE HUMAINE
Une piste particulièrement intéressante sera d’explorer un aspect
assez méconnu du système nerveux périphérique : la jonction
neuro-immune. Les modalités de la connexion entre les terminaisons noradrénergiques et les cellules des tissus lymphoïdes
(lymphocytes, macrophages, cellules folliculaires dendritiques)
restent discutées, le terme de neuro-immunological synapse ayant
même été récemment proposé. Il est en tout cas remarquable
C.
Marquage PrP
D.
Marquage TH
Figure 1. Distribution de la PrPsc au cours de la nouvelle variante de la
maladie de Creutzfeldt-Jakob. Dépôts de PrPsc dans les centres germinatifs d’un ganglion lymphatique mésentérique (A) et de l’amygdale (B).
Accumulation de PrPsc dans les neurones sympathiques noradrénergiques
des ganglions cœliaques, immunopositifs pour la tyrosine hydroxylase
(TH) (C). Nombreuses plaques florides accompagnées de lésions de
spongiose dans l’isocortex occipital.
qu’un agent transmissible, dont la nature exclusivement protéique a été proposée, utilise cette connexion pour gagner, via les
neurones sympathiques, son tissu cible. Les mécanismes du
transfert des prions de la cellule phagocytaire au neurone périphérique sont à préciser (transfert de GPI, échange de fragments
membranaires ou d’organites cellulaires). Les modalités de la
migration des prions le long des neurones noradrénergiques
(transport axonal, conversion de la PrPc de surface avec un effet
“domino” le long des membranes neuritiques, progression suivant les cellules myélinisantes périphériques, puis centrales) restent également à explorer.
La jonction neuro-immune et les neurones sympathiques pourraient en théorie constituer la cible de stratégies thérapeutiques
visant à prévenir la vMCJ ou la MCJ iatrogène après une contamination périphérique. En effet, l’invasion des structures lymphoïdes chez l’homme précède de plusieurs années l’expression
clinique de la maladie. Cependant, l’absence de toute expression
clinique ne garantit pas l’absence de neuro-invasion comme cela
a bien été montré dans les modèles expérimentaux. D’une manière
générale, un des grands défis de la recherche clinique pour la
prise en charge des patients atteints de maladies à prions sera le
développement d’un test préclinique permettant le diagnostic
précoce de la neuro-invasion. L’hypothèse théorique d’une prévention de la neuro-invasion, par le biais d’une action ciblant le
système lymphoïde ou les neurones sympathiques, ne peut pour
l’instant être envisagée que dans les rares cas d’inoculations accidentelles périphériques.
■
➜ Haik S, Faucheux BA, Sazdovitch V et al. The sympathetic nervous system is involved in variant
Creutzfeldt-Jakob disease. Nat Med 2003 ; 9 (9) : 1121-3.
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