La moralité est un facteur de production

publicité
« La moralité est un facteur de production »
Entretien avec le professeur Ingo Pies
Retranscription d‘un entretien avec le professeur Ingo Pies dans le périodique
Managermagazin du 26 février 2008.
Q:
Fraudes fiscales, crise financière, corruption : si les dirigeants et les hommes
politiques continuent d‘agir ainsi, notre société va se disloquer. L‘affaire de corruption chez Siemens ou encore la crise des subprimes : il semble que l‘élite des
grands dirigeants d‘envergure internationale mène le reste de la société droit
dans le mur. Voilà qui est plutôt inquiétant, non ?
R:
Cette escalade est en effet explosive. Les entreprises devraient investir davantage dans leur crédibilité, sans quoi elles perdront non seulement la confiance
placée dans les entreprises, mais également celle accordée à la sphère économique en tant que système. Les données empiriques à ce sujet sont particulièrement préoccupantes.
Q:
Vous disiez que les entreprises devaient investir davantage dans leur crédibilité.
Il s‘agit là d‘un investissement coûteux. De nombreuses entreprises estiment
qu‘elles ne peuvent pas se le permettre.
R:
Façonner sa crédibilité n‘est pas une fin en soi, mais un investissement qui offre
un rendement. La moralité est un facteur de production. Pour qu‘une collaboration soit fructueuse, nous devons pouvoir faire confiance à notre partenaire.
Sans cette confiance, il devient difficile de mener correctement ses affaires.
Q:
Comment imaginez-vous la mise en œuvre concrète de cette théorie ?
R:
Cela commence dès la formation. En règle générale, les étudiants en gestion
d‘entreprise apprennent en priorité une chose à l‘université : l‘optimisation,
parvenir aux meilleurs résultats quantitatifs possibles au sein d‘un cadre donné.
Mais cela ne suffit plus aujourd‘hui. Les dirigeants doivent également apprendre à modeler le cadre afin d‘améliorer les règles du jeu en interne. Le transfert
de compétences traditionnel doit être étoffé.
Q:
Prenons l‘exemple de l‘affaire Siemens. Comment réagir face à la corruption ?
« La moralité est un facteur de production » – Entretien avec le professeur Ingo Pies
p1
R:
L‘équipe dirigeante est responsable de l‘intégrité de son entreprise. Elle doit
veiller à ce que les incitations soient justement réparties : le rôle d‘une prévention efficace de la corruption est de faire comprendre aux collaborateurs
que ceux d‘entre eux qui signalent des abus dans l‘entreprise ne sont pas des «
traîtres ». Ceux qui se comportent selon des principes moraux justes ne doivent
pas se retrouver du côté des perdants. Sinon ces principes moraux s‘érodent.
Q:
Le changement que vous préconisez exige d‘adopter une perspective à long
terme. Or les présidents des sociétés du DAX n‘occupent leurs fonctions guère
plus de cinq ans en moyenne.
R:
C‘est en réalité le signe d‘un fourvoiement. Le court terme est ici pris en considération alors qu‘il entre en contradiction avec l‘objectif : construire la confiance sur le long terme.
Q:
Et cela menace en fin de compte l‘acceptation par la société de notre système
économique ?
R:
Le risque existe. Les entreprises sont créatrices de richesses, telle est leur mission dans la société. Si la société a l‘impression que cette mission n‘est pas remplie dans les règles, elle peut alors retirer aux entreprises le fondement même de
leur activité.
Q:
En les nationalisant ?
R:
Ce ne serait que la solution extrême. Une épée de Damoclès plane au-dessus
de l‘économie de marché, tout comme elle plane au-dessus de la démocratie,
parce que les réglementations édictées par l‘État ne donnent pas les résultats
escomptés : une plus grande prospérité pour tous.
Q:
Posons la question simplement : à qui la faute ? Aux dirigeants, aux hommes
politiques ?
R:
Les deux parties contribuent au problème. De nombreux dirigeants se sentent
dépassés dès lors que quelque chose outrepasse le cadre de leur propre entreprise. Défendre l‘économie de marché n‘est pas leur problème. De nombreux
hommes politiques de leur côté ne comprennent pas la logique économique
ou cherchent à donner l‘impression, en toute mauvaise foi, qu‘ils peuvent améliorer le sort des citoyens à coups de textes législatifs. C‘est ainsi que l‘on avance, de campagne électorale en campagne électorale. Il s‘agit là d‘une fâcheuse
évolution, car cela mène à la perte de l‘autonomie de la société.
« La moralité est un facteur de production » – Entretien avec le professeur Ingo Pies
p2
Téléchargement