Observation clinique Hématologie 2006 ; 12 (5) : 357-9 Maladie de Biermer révélée par une hépatite à Epstein-Barr virus Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Pernicious anaemia disclosed by Epstein-Barr virus hepatitis Fatou Samba Diago Ndiaye Lamine Diouf Seynabou Fall Souhaibou Ndongo Mamadou Mourtalla Ka Thérèse Moreira Diop Service de médecine interne du CHU Le Dantec, BP 10599, Dakar Liberté, Sénégal <[email protected]> Résumé. L’Epstein-Barr virus (EBV) a été associé à plusieurs manifestations hématologiques, mais aussi auto-immunes, parmi lesquelles le lupus érythémateux disséminé et les hépatites auto-immunes. La maladie de Biermer, à notre connaissance, n’a pas encore été associée à cette infection. Nous rapportons deux observations d’hépatite ictérique à EBV, révélant une maladie de Biermer chez deux Sénégalais de 30 et 44 ans immunocompétents. La maladie a été révélée par un syndrome anémique et un subictère. Le diagnostic d’hépatite aiguë à Epstein-Barr virus a été posé devant une importante cytolyse hépatique avec présence d’anticorps anti viral capsid antigen de type IgM et négativité des marqueurs sérologiques des hépatites virales A, B, C et cytomégalovirus. Une anémie macrocytaire mégaloblastique, avec gastrite atrophique fundique et présence d’anticorps anti-facteurs intrinsèques, était le diagnostic de maladie de Biermer. L’évolution a été favorable sous vitaminothérapie B12 parentérale. La maladie de Biermer, comme d’autres affections auto-immunes, pourrait être associée à une infection par le virus d’Epstein-Barr. Mots clés : Epstein-Barr virus, hépatite, maladie de Biermer Abstract. Epstein-Barr virus has been associated with several haematological and autoimmune diseases such as systemic lupus erythematosus and autoimmune hepatitis. Pernicious anaemia, in our knowledge, has not yet been associated with that infection. We report an observation of icteric Epstein-Barr virus hepatitis disclosing pernicious anaemia in two immunocompetent Senegalese patients, 30 and 44-year-old. The disease was revealed by anaemia and jaundice. Diagnosis of acute Epstein-Barr virus hepatitis was made on basis of high hepatic cytolysis with presence of viral capsid antigen IgM antibodies and absence of A, B, C and cytomegalovirus hepatitis serological markers. Macrocytic and megaloblastic anaemia with fundic atrophic gastritis and presence of intrinsic factors antibodies supported diagnosis of pernicious anaemia. Evolution was favourable under parenteral B12 vitamin treatment. So pernicious anaemia, like some other autoimmune diseases, could be associated with Epstein-Barr virus infection. doi: 10.1684/hma.2006.0055 Key words: Epstein-Barr virus, hepatitis, pernicious anaemia Tirés à part : F.S.D. Ndiaye Hématologie, vol. 12, n° 5, septembre-octobre 2006 E pstein Barr virus (EBV), agent de la mononucléose infectieuse, a été associé à plusieurs manifestations hématologiques, mais aussi auto-immunes, avec des arguments épidémiologiques et immunologi- ques. Le lupus érythémateux disséminé, la polyarthrite rhumatoïde, la maladie de Basedow et les hépatites autoimmunes figurent parmi ces affections [1, 2]. La maladie de Biermer, à notre connaissance, n’a pas encore été associée à 357 cette infection. Nous rapportons deux observations d’hépatite ictérique à EBV, révélant une maladie de Biermer chez deux adultes immunocompétents. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Observation 1 358 B. N., 44 ans, d’origine sénégalaise, sans antécédent particulier, est référé à la clinique médicale du CHU Le Dantec le 12 mars 1997 pour anémie sévère et hépatite aiguë. La maladie évoluait depuis six mois, marquée par une dyspnée d’effort, des vertiges et un amaigrissement modéré non chiffré. À l’examen clinique, les muqueuses étaient pâles et subictériques. Son poids était de 63 kg. L’auscultation cardiaque trouvait un souffle systolique apexien d’intensité moyenne et une tachycardie régulière à 104 battements/mn. Le reste de l’examen clinique était normal. Le bilan paraclinique donnait les résultats suivants : – hémogramme : anémie sévère à 2,3 g/dL, macrocytaire (VGM = 121,3 fl), normochrome (CCMH = 34,4 g/dL), arégénérative (réticulocytes = 44 800/mm3) leucocytes : 10 400/mm3 dont 86 % de neutrophiles, 11 % de lymphocytes et 3 % de monocytes ; – biochimie : bilirubine totale = 25 mg/L dont 9,5 mg/L de conjuguée, Gamma GT = 48 UI/L (2 N), phosphatases alcalines = 120 UI/L (normale N ≤ 90) ; – transaminases : ASAT = 1 706 UI/L (N ≤ 24), ALAT = 882 UI/L (N ≤ 32) ; L’électrophorèse des protides montrait une protidémie à 66 g/L et une hypergammaglobulinémie à 22 g. Le taux de prothrombine était à 55,6 % et la vitaminémie B12 < 67 ng/L (N : 217-570 ng/L). Les sérologies virales suivantes étaient négatives : Ag HBs, anticorps anti HBc IgM, anticorps IgM anti VHA, anticorps anti VHC, anticorps IgM anti-cytomégalovirus et sérologie VIH. Les anticorps anti VCA IgM (EBV) étaient positifs à 2,6 index (taux significatif > 1). Les auto-anticorps anti-réticulum endoplasmique et anticytosquelette étaient négatifs tandis que les anticorps antifacteurs intrinsèques étaient positifs. Le myélogramme montrait une moelle très riche de type III-IV avec mégaloblastose faisant évoquer une maladie de Biermer. L’endoscopie digestive haute mettait en évidence une gastrite d’allure atrophique du fundus confirmée par l’examen histologique. L’échographie abdominale montrait un foie homogène de taille normale sans signe d’hypertension portale. Devant ce tableau clinique, le diagnostic de maladie de Biermer associée à une hépatite à Epstein-Barr virus était posé. Le patient fut transfusé (3 unités) et mis sous vitaminothérapie parentérale B-12 à raison de 1000 lg/j pendant une semaine. Une crise réticulocytaire a été notée à j7 après la mise en route de la vitaminothérapie, avec amélioration du tableau clinique et biologique : la NFS montrait un taux d’hémoglobine à 5,5 g/dL, avec un VGM à 112 fl et une CCMH à 35 g/dL. À la date du 16 avril 1997, l’hémogramme était normal (taux d’hémoglobine = 14,2 g/dL et VGM = 89 fl), de même que les tests hépatiques et le taux de prothrombine. Sous vitaminothérapie B12 parentérale et mensuelle, ces données restaient stables vingt mois plus tard avec une prise pondérale de sept kilogrammes. Observation 2 Mme M.F, âgée de 43 ans, sans antécédents particuliers, est hospitalisée du 25 mai 2005 au 16 juin 2005 au CHU Le Dantec dans le service de médecine interne pour prise en charge d’un syndrome anémique associé à un syndrome œdémato-ascitique, le tout évoluant dans un contexte de troubles dyspeptiques et d’altération de l’état général. Le début de la symptomatologie remonte à environ deux mois ; il a été marqué par l’apparition de vertiges, de type rotatoire, d’intensité modérée, survenant à la station debout, sans notion de chute. Ces vertiges sont associés à une dyspnée d’effort survenant lors des activités domestiques et à la marche avec un périmètre de marche estimé à 50 mètres. Cette dyspnée disparaît progressivement au repos pour réapparaître lors d’un prochain effort. Elle ne s’accompagne pas de toux. Environ un mois après, la patiente constate une augmentation progressive du volume de l’abdomen, associée à une pesanteur abdominale et à une lenteur à la digestion, sans nausées ni vomissements. Ce tableau évolue dans un contexte d’amaigrissement modéré non chiffré, d’asthénie physique et d’anorexie non sélective. L’examen clinique retrouve : – des muqueuses conjonctivales pâles et subictériques, – une tension artérielle à 120/70 mmHg, – une température à 37,2°C, – le pouls à 84 battements/mn, – une ascite de moyenne abondance dont la ponction a ramené un liquide jaune citrin, – une splénomégalie type 2 de la classification de Hackette. À la paraclinique, l’étude du liquide d’ascite a montré à la cytologie 40 leucocytes/mm3, à la biochimie, un taux de protides 24 g/L (rivalta négatif). Le taux de prothrombine est à 82 %. La numération formule sanguine retrouve un taux de : – hémoglobine à 5,3 g/dL avec un VGM à 136 fl et un CCMH à 32 g/dL, – globules blancs à 1100 éléments/mm3, – plaquettes à 81 000/mm3, – réticulocytes à 17 400 en valeur absolue. La C-réactive protéine est négative. La vitesse de sédimentation est à 40 mm à la première heure et à 75 mm à la deuxième heure. Le bilan biochimique retrouve un taux de : SGOT à 41 u.i/L ; SGPT à 37 u.i/L ; PAL à 216 u.i/L ; σGT à 176 u.i/L ; bilirubinémie totale à 19 mg/L ; bilirubinémie indirecte à 4 mg/L ; albuminémie à 38 g/L ; protidémie à 60 g/L ; vitaminémie B12 à 1 588 ng/L. Hématologie, vol. 12, n° 5, septembre-octobre 2006 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Les sérologies virales A, B et C sont négatives. La sérologie rétrovirale est négative. Le taux d’anticorps anti facteur intrinsèque est à 15kUR/L. Le taux d’anticorps anti EBV est élevé à 120 pour le type IgG et normal à 0,15 pour le type IgM. Le taux d’anticorps anti EBNA est élevé, à 14,60. Le taux d’anticorps anti cellules pariétales est élevé, à 160. Le taux d’anticorps anti mitochondries est en dessous du seuil de détection. L’échographie abdominale montre un foie augmenté de taille, d’échostructure homogène, un tronc porte dilaté à 16 mm, une splénomégalie homogène. La biopsie hépatique montre une discrète portite non spécifique. La fibroscopie œso-gastro-duodénale retrouve des varices œsophagiennes stade III, des varices cardio-tubérositaires et des ectasies vasculaires antrales. La biopsie gastrique (fundus) retrouve une subatrophie de la muqueuse gastrique. Le médullogramme a retrouvé des anomalies en faveur d’une maladie de Biermer. Devant ce tableau, le diagnostic de maladie de Biermer associée à une hépatite à Epstein-Barr virus est posé. Le malade est alors mis sous vitaminothérapie B12 à raison de 1000 lg/j pendant 7 jours puis 1000 lg/mois. Discussion Le diagnostic d’hépatite aiguë à EBV repose sur les arguments suivants : cytolyse hépatique importante, présence des anticorps Ig M anti VCA, négativité des marqueurs sérologiques des hépatites virales HBV, HAV, HCV et CMV. Les arguments étayant le diagnostic de maladie de Biermer sont l’anémie macrocytaire, mégaloblastique, l’hypovitaminémie B12, la gastrite fundique atrophique et la présence des anticorps spécifiques anti-facteurs intrinsèques. L’absence de syndrome mononucléosique n’infirme pas le diagnostic de primo-infection à EBV. Cependant l’absence de recherche des autres marqueurs sérologiques du virus (Early antigen et Nuclear antigen) ne permet pas d’exclure formellement une réactivation d’une infection à EBV. Dror et al. faisaient la même réserve à propos d’une observation de lupus érythémateux disséminé associé à une infection à EBV [3]. Mais la coexistence d’une hépatite aiguë régressive et d’immunoglobulines M anti VCA, avec négativité des réactions sérologiques virales et auto-immunes classiques, rend peu probable une telle éventualité. EBV peut d’une part déterminer une hépatite aiguë [1], d’autre part être le facteur déclenchant d’hépatites autoimmunes chez des sujets prédisposés [4]. EBV a été impliqué dans plusieurs maladies auto-immunes [2, 5, 6]. Les mécanismes pathogéniques proposés sont de deux types : – un déficit génétique des fonctions immuno-régulatrices des lymphocytes T suppresseurs et un défaut d’élimination des cellules autoréactives induit par EBV, avec rupture de tolé- rance des protéines du soi au décours de l’infection aiguë à EBV [4, 7], – un mimétisme moléculaire plus souvent mis en cause. C’est un modèle par lequel une infection virale conduirait à l’activation de lymphocytes spécifiques, capables de détruire dans certains sites des auto-antigènes de structure stéréochimique proche [2]. L’association infection à EBV et maladie de Biermer dans notre observation est-elle fortuite ou y aurait-il un lien pathogénique ? La sévérité de l’anémie macrocytaire et son délai de constitution long après carence en vitamine B12 excluent a priori un rôle initiateur de l’infection virale, mais aussi une synthèse d’auto-anticorps anti-facteurs intrinsèques par les lymphocytes B infectés. Il y a en effet possibilité de production d’auto-anticorps, dont les facteurs rhumatoïdes, par les lymphocytes B infectés au cours de l’infection aiguë [2, 4]. EBV pourrait-il intervenir comme facteur aggravant des manifestations hématologiques, et donc révélateur de la maladie de Biermer, tout comme Dror le suppose pour le lupus érythémateux [3] ? La disparition précoce des immunoglobulines M anti VCA ne permet pas toujours de rapprocher une affection auto-immune d’une infection aiguë à EBV antérieure [8]. Ainsi, la maladie de Biermer pourrait figurer sur la liste des affections auto-immunes associées à l’infection par EpsteinBarr virus. En cas de cytolyse hépatique ou a fortiori de symptôme évocateur d’une infection à EBV au cours d’une maladie de Biermer, nous préconisons la recherche de stigmates d’infection récente à EBV, outre les sérologies virales classiques et auto-immunes. ■ RÉFÉRENCES 1. Raphael M, Feuillard J, Davi F, Camilleri-Broet F, Martin A. Syndrome mononucléosique et pathologies hématologiques liées au virus d’Epstein-Barr. In : Encyclopédie Médicale de Chirurgie. Paris : Elsevier, 1995 ; (13-028-A-10). 2. Goujard C, Delfraissy JF. Infections et maladies systémiques. In : Kahn AF, Peltier AP, Meyer O, Piette JC, eds. Maladies et syndromes systémiques. Paris : Flammarion Médecine-Sciences, 2000 : 67-75. 3. Dror Y, Blachar Y, Cohen P, Livni N, Rosenmann E, Ashkenazi A. Systemic lupus erythematosus associated with acute Epstein-Barr virus infection. Am J Kidney Dis 1998 ; 32 : 825-8. 4. Vento S, Guella L, Mirandola F, Cainelli F, Di Perri G, Solbiati M, Ferraro T, Concia E. Epstein-Barr virus as a trigger for autoimmune hepatitis in susceptible individuals. Lancet 1995 ; 346 : 608-9. 5. Manns MP. Hepatotropic viruses and autoimmunity 1997. J Viral Hepat 1997 ; 4(suppl. 1) : 7-10. 6. Vaughan JH. Viruses and autoimmune disease. J Rheumatol 1996 ; 23 : 1831-3. 7. Courageot MP, Desprès P. Viroses humaines et apoptose. Ann Inst Pasteur (Paris) 2000 ; 4 : 80-93. 8. Coyle PV, Wyatt D, Connolly JH, O’Brien C. Epstein-Barr virus infection and thyroid dysfonction. Lancet 1989 ; 22 : 899. 359 Hématologie, vol. 12, n° 5, septembre-octobre 2006