L’anthropologie du vivant : quelles méthodes pour quelle spécificité ? Anne-Marie GUIHARD-COSTA, UPR 2147 Par nature interdisciplinaire, l’anthropologie biologique a toujours été très liée aux domaines de recherche des disciplines voisines, biomédicales, sociales ou culturelles. Elle en a souvent adopté les méthodologies et les perspectives, au risque, parfois, de s’y fondre. L’investissement croissant des anthropologues dans des problématiques nouvelles en sciences biologiques, environnementales, ou sociales va de pair avec une dispersion thématique qui constitue à la fois la richesse, mais également la faiblesse de l’anthropologie biologique. Et pourtant, l’anthropologie biologique possède une démarche scientifique spécifique, qui traverse la multiplicité de ses champs d’intervention. Le point commun à tous les anthropologues est de partager le même paradigme : celui de l’espace/temps, c’est à dire celui de la diversité et de l’évolution humaine. Dans cette perspective singulière, quel que soit le thème de recherche abordé, l’homme est toujours envisagé en tant qu’être biologique, en total interaction avec son environnement physique, socio-économique et culturel. Pour se développer, l’anthropologie biologique doit s’appuyer sur une de ses caractéristiques essentielles : l’interdisciplinarité. Le caractère holistique de l’anthropologie biologique est en soi une chance pour la connaissance scientifique en général. A une époque où la parcellisation des savoirs et l’hyperspécialisation de la recherche commencent à atteindre leurs propres limites d’efficacité, le développement d’un champ disciplinaire par nature ouvert à tous les aspects de la diversité biologique humaine s’avère particulièrement important sur le plan conceptuel, comme sur le plan méthodologique. L’approche singulière de l’anthropologie biologique procure indéniablement aux disciplines voisines (biologiques, médicales, sociales et écologiques) un regard spécifique sur des objets d’étude communs. De plus, la demande sociétale concernant l’anthropologie biologique est forte. Les interrogations sur l’évolution biologique de notre espèce, son adaptation aux changements rapides de mode de vie et d’alimentation, l’influence des migrations sur l’évolution des flux géniques, les modifications morphologiques ou physiologiques éventuelles du corps humain dans un futur proche ou lointain, entrent dans le champ de la problématique anthropologique. Donner à comprendre la complexité des processus biologiques de transformation de notre espèce en fonction d’un milieu évoluant rapidement, tel est également l’enjeu de notre discipline. Cependant, en France, notre discipline est en crise, en termes de moyens matériels et humains qui lui sont consacrés. Nous ne sommes plus en mesure actuellement de répondre efficacement aux enjeux scientifiques énumérés plus haut. Bien entendu, les moyens à mettre en œuvre relèvent en grande partie des choix de la politique scientifique des institutions et organismes qui structurent et financent la recherche. Il n’en incombe pas moins aux scientifiques eux-mêmes de formuler clairement les priorités et de proposer des actions structurantes aux différents acteurs de la recherche, afin de promouvoir et soutenir les initiatives dans ce champ disciplinaire. C’est dans le cadre de cette démarche volontariste que s’est tenu à Carry le Rouet, du 1 au 4 octobre 2008, l’atelier de formation CNRS: «L’anthropologie biologique du vivant : nouveaux objets, nouvelles méthodes1» , tout à la fois atelier de réflexion sur les évolutions méthodologiques qui traversent notre discipline, et lieu de rencontre pour les acteurs de la recherche. Son but, au-delà de l’état des lieux concernant les nouvelles problématiques et méthodologies émergeantes, était de susciter des interrogations, croiser les points de vue sur des problématiques voisines, et par la même développer les échanges au sein de notre communauté. La présence, au cours de cet atelier, d’une grande partie des doctorants en anthropologie du vivant, invités à présenter leur propre démarche méthodologique, témoignait de cette volonté de développer la discipline en assurant son avenir. L’anthropologie du vivant : objets et méthodes - 2010 8 L’anthropologie du vivant : quelles méthodes pour quelle spécificité ? Les textes présentés ici sont le reflet du travail collectif de réflexion effectué au cours de cet atelier. Ils ne prétendent pas apporter une vision exhaustive des méthodologies employées pour l’étude anthropologique de populations actuelles, mais constituent certainement des pistes de travail à approfondir. De même, on ne saurait y trouver un catalogue de techniques plus ou moins spécifiques à l’anthropologie biologique : ce qui a été demandé aux auteurs est de définir des processus méthodologiques, à partir de leur propre expérience de recherche. Ce travail mène évidemment à une certaine hétérogénéité de l’ensemble, que nous n’avons pas cherché à gommer. Bien au contraire, cette diversité traduit parfaitement la multiplicité des approches méthodologiques dans notre discipline, qui est la clef de sa richesse conceptuelle. Le plan général de l’ouvrage est structuré dans une perspective d’utilisation pratique, le lecteur devant pouvoir facilement trouver les informations répondant à sa problématique personnelle. C’est ainsi que les textes des différents auteurs sont regroupés en quatre grands chapitres. Les trois premiers chapitres alimentent la réflexion sur les avancées méthodologiques dans les grands domaines de recherche actuels de l’anthropologie biologique : anthropologie génétique, démographique et épidémiologique, anthropologie de la croissance, normes corporelles et alimentation, anthropologie du vieillissement. Le quatrième chapitre, plus transversal, propose quelques réflexions sur le recueil et l’analyse des données en anthropologie biologique. Le format électronique offre l’avantage certain d’une grande possibilité de diffusion, une gratuité qui permet à tous de pouvoir le consulter. Puisse cet ouvrage électronique, non « figé » dans un support papier, rester temporaire et modifiable, signe d’une recherche toujours vivante. L’auteur Anne-Marie GUIHARD-COSTA Directeur de Recherche au CNRS Directeur de l’UPR « Dynamique de l’Evolution Humaine: Individus, Populations, Espèces ». - UPR 2147, « Dynamique de l’Evolution Humaine: Individus, Populations, Espèces » (Paris, France) courriel : [email protected] Organisateurs : N. Chapuis-Lucciani (UMR 6578), A.M.Guihard-Costa (UPR 2147), Gilles Boëtsch (UMR 6578), la Formation Permanente de la Délégation Provence et Corse du CNRS, le RTP « Anthropologie biologie des populations actuelles ». 1 L’anthropologie du vivant : objets et méthodes - 2010 9