Troubles psychiatriques, génétique ou environnement : vers la fin du

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L’Information psychiatrique 2007 ; 83 : 117-21
NEUROSCIENCES EN 2007
Troubles psychiatriques, génétique
ou environnement : vers la fin du débat ?
Marie-Odile Krebs*
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017.
RÉSUMÉ
Bien que les données d’épidémiologie aient clairement montré l’agrégation des principaux troubles psychiatriques au sein de
certaines familles, l’identification des gènes impliqués se heurte à leur mode de transmission complexe, l’hétérogénéité des
présentations cliniques et surtout l’implication de facteurs environnementaux. Les stratégies développées ces dernières années
vont dans le sens, d’une part, d’une meilleure caractérisation des formes cliniques ou de « marqueurs phénotypiques », allant
parfois à l’encontre des catégorisations nosographiques classiques, et, d’autre part, de l’utilisation de stratégies croisées
étudiant des gènes candidats issus d’hypothèses physiopathologiques documentées, des anomalies chromosomiques, des zones
d’intérêt révélées par les études de liaisons utilisant des marqueurs « anonymes ». Les résultats marquants de ces dernières
années concernent la démonstration d’interactions entre certains polymorphismes génétiques et certains facteurs d’environnement dans le déterminisme de troubles psychiatriques, mettant un terme au débat opposant génétique et environnement dans le
déterminisme des troubles psychiatriques.
Mots clés : troubles psychiatriques, génétique, environnement
doi: 10.1684/ipe.2007.0095
ABSTRACT
Psychiatric disorders: genetics vs. environment. Towards an end to the debate? Although epidemiological data have
clearly shown an accumulation of the main psychiatric disorders within certain families, identifying the genes involved can be
tricky due to their complex mode of transmission, the diverse nature of clinical presentations and above all the association of
environmental factors. Strategies developed in the past years are directed at, on the one hand, improved characterisation of
clinical forms or “phenotypic markers”, sometimes going against classic nosographic categorisation and, on the other hand, the
use of cross strategies between candidate genes coming from documented physiopathological hypotheses: characterisation of
chromosomal anomalies and zones of interest revealed by studies into links using “anonymous” markers. Significant results of
these past years include the confirmation of the role played by interactions between certain genetic polymorphisms and certain
environmental factors in determining psychiatric disorders, bringing to an end the debate opposing genetics and environment
in the determinism of psychiatric disorders.
Key words: psychiatric disorders, genetics, environment
RESUMEN
Trastornos psiquiátricos, genética o entorno : ¿ hacia el fin del debate? Aunque los datos epidemiológicos hayan
mostrado claramente la agregación de los principales trastornos psiquiátricos dentro de ciertas familias, la identificación de los
genes implicados se ve dificultada por su complejo modo de transmisión, por la heterogeneidad de las presentaciones clínicas
y sobre todo por la implicación de factores del entorno. Las estrategias elaboradas estos últimos años se orientan por un lado
hacia una mejor caracterización de las formas clínicas o de los ″marcadores fenotípicos″, lo que va a veces contra las
categorizaciones nosográficas clásicas y por otro lado hacia la utilización de estrategias cruzadas entre genes candidatos
escogidos a partir de hipótesis fisiopatológicas documentadas, la caracterización de anomalías cromosómicas, de zonas de
interés evidenciadas por los estudios de enlace a partir de marcadores ″anónimos″. Los resultados más concluyentes de estos
últimos años conciernen la demostración de interacciones entre ciertos polimorfismos y ciertos factores del entorno en el
determinismo de los trastornos psiquiátricos, poniendo punto final al debate que opone genética y entorno en el determinismo
de los trastornos psiquiátricos.
Palabras clave : trastornos psiquiátricos, genética, entorno
* Inserm U796, Université Paris-Descartes, 2ter, rue d’Alesia, 75014 Paris. SHU, Pr Lôo, Pr Olié, Hôpital Sainte-Anne, 7, rue Cabanis, 75014 Paris
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Tirés à part : M.-O. Krebs
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Les données convergent aujourd’hui montrant l’existence de facteurs génétiques dans la transmission d’un
risque accru de présenter un trouble schizophrénique ou un
trouble bipolaire. Cependant, ces facteurs génétiques n’ont
à ce jour pas été identifiés. Les principaux écueils sont
l’hétérogénéité des syndromes classiques, le mode de
transmission complexe et l’implication de plusieurs gènes
de pénétrance variable, interagissant entre eux et avec des
facteurs environnementaux, eux non plus non identifiés.
Les travaux des dernières années ont montré l’incapacité
des méthodes classiques à apporter une réponse et de nouvelles stratégies doivent être appliquées, visant à affiner la
définition des sujets par des caractéristiques « phénotypiques » et à intégrer la prise en compte des facteurs d’environnements qui pourraient être à l’origine de nombreuses
non-réplications des études.
Prédisposition familiale et génétique
Les troubles schizophréniques, les troubles bipolaires
ou les troubles anxieux sont plus fréquents chez les apparentés de premier degré d’un patient. Le risque accru est
illustré par le calcul du risque relatif par rapport à la
population générale. Les études de vrais jumeaux (jumeaux
monozygotes) montrent par exemple, que le risque est 50
fois plus grand de déclencher une schizophrénie pour le
vrai jumeau d’un sujet atteint que dans la population générale (prévalence d’environ 1 %) [1] ; ce chiffre est sensiblement le même pour les troubles bipolaires. Les études
d’adoption pour leur part permettent de séparer le risque lié
aux parents biologiques (génétique) de celui des parents
adoptifs (familial non génétique et environnemental). Dans
la schizophrénie, il a été montré que les enfants adoptés
conservaient le risque de survenue de schizophrénie dû à
leurs parents biologiques. Cependant, la diminution rapide
du risque relatif quand le lien de parenté diminue montre
que cette transmission est complexe, non mendélienne et
implique l’interaction de plusieurs gènes à effet mineur. Par
ailleurs, le support génétique seul ne suffit pas à expliquer
le déclenchement de la maladie puisque la concordance
entre jumeaux monozygotes est de seulement 50 % (et non
100 %) illustrant le poids respectif, des facteurs environnementaux et des facteurs génétiques [1].
Études génétiques « classiques »
L’identification de facteurs génétiques passe classiquement par l’analyse de polymorphismes génétiques soit au
sein de familles, soit au sein de groupes de sujets. Certains
de ces polymorphismes ont des conséquences fonctionnelles (par exemple mutation modifiant la séquence de la
protéine), mais la plupart servent simplement de marqueurs
du génome, sans conséquence fonctionnelle apparente.
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Le principe des études de liaison repose sur la comparaison de la transmission de variants génétiques et de la
transmission de la maladie au sein d’une ou plusieurs
familles. En l’absence de mode de transmission réellement
connu, les études en viennent à tester plusieurs modèles et à
prendre en compte non seulement le trouble étudié au sens
strict mais les troubles « du spectre » plus ou moins élargi
(incluant par exemple pour la schizophrénie les troubles
schizophréniformes, la personnalité schizotypique, les
autres psychoses, voire les troubles affectifs). Les études de
liaison ont identifié des « zones d’intérêt » sur le génome,
mais ces zones sont nombreuses (18 et 14 chromosomes
contiendraient des localisations génétiques pour, respectivement, la schizophrénie et les troubles bipolaires) et les
faibles significativités (LOD scores faiblement positifs)
[2]. Très peu de ces résultats ont été reproduits dans des
études indépendantes et les récentes méta-analyses ne permettent pas non plus de conclure, neuf régions pour la
schizophrénie et cinq pour les troubles bipolaires, et certaines de ces zones sont communes aux deux troubles (au
niveau des chromosomes 22q, 13q), remettant au goût du
jour la classique notion de continuum entre les deux troubles. Les études de liaison ont évolué vers l’utilisation de
caractéristiques bien définies dites « endophénotypiques »
ou phénotypes intermédiaires (par exemple électrophysiologiques ou neurocognitives [3-6]) et vers l’utilisation de
méthodes non paramétriques (sans hypothèse sur le mode
de transmission) : étude de paires de germains atteints ou
études d’associations intrafamiliales [2].
Les études d’associations comparent la fréquence d’un
polymorphisme de gènes candidats dans deux groupes de
sujets. Une fréquence d’un variant génétique plus élevée
dans le groupe de patients suggère que ce polymorphisme
confère un risque pour la maladie, à la condition que les
deux groupes soient strictement comparables pour les
autres caractéristiques susceptibles d’influencer la répartition des variants génétiques, en particulier l’origine ethnique. Pour contourner ce biais, les études de déséquilibre de
transmission ou du risque relatif au sein des « triades »
(patients + ses parents) ont été proposées, mais elles perdent en puissance statistique et nécessitent plus de génotypages [2].
Les anomalies caryotypiques [7] permettent de localiser
des anomalies génétiques associées à des maladies psychiatriques. Si la voie a été ouverte dans le domaine de
l’autisme avec l’individualisation des formes associées à
l’X fragile, la microdélétion sur le chromosome 22
(22q11), dont la forme complète est le syndrome velocardiofacial [2], est associée à une schizophrénie dans 30 %
des cas ou à un trouble bipolaire (20 %). Cette anomalie
pourrait rendre compte de 1 à 8 % (selon les études) des cas
de schizophrénie, mais elle est largement sous-estimée car
le syndrome dysmorphique peut être relativement discret et
l’examen caryotypique spécifique est rarement demandé.
Soulignons que, malgré cette assez forte association, cette
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région n’a pas toujours été repérée par les études de criblage du génome. Elle contient le gène de la proline déshydrogénase (ProDH) et de la catéchol-O-méthyl transférase
(COMT), respectivement associé à un retard mental et à des
performances cognitives altérées.
Il serait faux néanmoins de tomber dans un pessimisme
global. Si les techniques classiques, prises isolément, n’ont
pas permis de démontrer des résultats concluants, dans la
plupart des cas, la combinaison de différentes approches
permet aujourd’hui de voir émerger des gènes candidats
sérieux, en particulier dans la schizophrénie : gènes de la
neuréguline (NR1), de la dysbindine, DISC1 (initialement
identifié dans une famille porteuse d’une anomalie chromosomique associée à la schizophrénie), G72 [2]. Ces
premières « convergences » ont permis d’aller plus loin
dans l’exploration des modifications neurobiologiques
associées et permettent d’espérer identifier des « processus
physiopathologiques » candidats à l’origine des troubles
psychiatriques. Concernant la schizophrénie et l’autisme,
les données convergent vers un dysfonctionnement de la
synapse [8]. Une source d’interrogation réside dans la
convergence croissante entre les études réalisées dans le
trouble bipolaire et dans la schizophrénie, y compris pour
ces gènes candidats « phares » [9]. Si la qualité de la détermination phénotypique peut toujours être discutée, l’accumulation de telles études positives et, surtout, la convergence également retrouvée entre trouble bipolaire et
schizophrénie dans les études post mortem rendent peu
probables une simple confusion diagnostique [8]. Reste à
comprendre la nature d’un « terrain commun » et l’origine
des différences d’expression phénotypique et évolutives.
De quoi hérite-t-on ?
Modèle de vulnérabilité
Le modèle de vulnérabilité postule que les facteurs
génétiques seraient responsables d’une transmission d’un
terrain de « vulnérabilité », présentant un risque accru de
déclencher la maladie. La transmission de ce risque se
traduit par la présence d’anomalies appelées marqueurs de
vulnérabilité. Ce terrain vulnérable évolue, ou non, vers la
pathologie en fonction de certains facteurs (génétiques
et/ou environnementaux). Ces marqueurs ont été étudiés en
population générale (identifiant des facteurs de risque pour
déclencher ultérieurement une schizophrénie ou un trouble
bipolaire), chez des apparentés au premier degré et des
sujets à haut risque génétique (enfants de patients). Parmi
les marqueurs de vulnérabilité, par exemple, il a été démontré que la schizophrénie s’accompagnait de troubles neurologiques, cognitifs ou électrophysiologiques (notamment
motricité fine, langage, capacités attentionnelles, diminution de la modulation du réflexe de sursaut, etc.) et que la
plupart de ces anomalies étaient présentes chez une partie
des apparentés des patients, même chez ceux apparemment
indemnes de pathologie psychotique [3-6]. Ce modèle,
principalement développé pour la schizophrénie, s’adapte
tout à fait à la plupart des troubles psychiatriques (troubles
anxieux, addictions, etc.).
Le modèle de vulnérabilité ne préjuge pas de l’origine
environnementale ou génétique (ou d’une interaction des
deux) des anomalies. En parallèle à ce modèle et à la
recherche de nouveaux outils pour « disséquer » les phénotypes complexes que représentent les maladies psychiatriques, la notion d’« endophénotype » s’est développée [4].
Cette fois, le postulat stipule clairement que les anomalies
endophénotypiques (non apparentes cliniquement) ou les
phénotypes intermédiaires sont l’expression simplifiée des
variants génétiques simples (c’est-à-dire idéalement liées à
un polymorphisme dans un seul gène). Les maladies psychiatriques représenteraient un assemblage de ces différents phénotypes simplifiés. Cette vision est évidemment
schématique et, en réalité, les marqueurs endophénotypiques, qui recouvrent de facto les « marqueurs de vulnérabilité », sont souvent déjà des phénotypes complexes sujets
à des influences de l’environnement. En outre, les différents phénotypes sont susceptibles d’interagir entre eux : si
un individu a une forte impulsivité et dans le même temps
est dépressif, il aura plus de risque suicidaire que la simple
addition des deux risques.
La démarche faisant appel aux endophénotypes, même
si elle apparaît dans certains cas simpliste, a permis
d’apporter des résultats faisant sens. Parmi les études « précurseur », l’utilisation d’endophénotypes électrophysiologiques (défaut de modulation de l’onde P50 lors de potentiels évoqués auditifs) a permis, par exemple, la mise en
évidence d’une liaison avec un gène codant pour une sousunité du récepteur nicotinique [5]. Le choix de ce gène
candidat est cohérent avec les données pharmacologiques
montrant que la réponse P50 est modulée par la nicotine.
Selon le même principe, il a été montré qu’un polymorphisme fonctionnel du gène de la COMT (qui mène à une
variation dans l’activité de l’enzyme de dégradation des
monomamines) était associé aux performances en mémoire
de travail des patients schizophrènes et de leur apparentés
ainsi qu’à l’activité en imagerie fonctionnelle [4, 5]. Si
cette étude permet clairement de corréler les performances
au variant génétique, elle le fait à la fois chez les patients,
les apparentés et les sujets sains et ne permet pas de rendre
compte de la différence du niveau de performance entre
patients et témoins. En d’autres termes, on étudie la régulation génétique d’une fonction cognitive précise, par
ailleurs altérée dans la maladie, et non les anomalies génétiques à l’origine de la maladie.
Gène ou environnement :
la fin d’un débat
Après plusieurs décennies de discussion entre les
tenants d’un tout génétique et ceux d’un tout environne-
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ment, les résultats de plusieurs études récentes ont permis
d’apporter la « preuve de concept » de notion de l’interaction gène-environnement dans l’étiologie des troubles psychiatriques [1, 10]. La brèche a été ouverte par le modèle de
vulnérabilité, qui apporte un regard nouveau sur le poids de
la composante génétique des troubles psychiques et souligne l’importance des modulateurs épigénétiques. Loin
d’être inéluctable, l’apparition du trouble dépendrait de
l’interaction du support génétique avec différents facteurs
surajoutés environnementaux. L’influence des facteurs de
l’environnement dans l’expression des troubles était clairement tangible dans les études de jumeaux (montrant la
relativement faible concordance des phénotypes de deux
individus ayant un terrain génétique similaire à, théoriquement, 100 %). Les études d’adoption avaient permis de
faire la part entre le patrimoine « hérité » (parents biologiques) et l’environnement (milieu d’adoption). Ainsi, parmi
les paires de jumeaux discordants pour la schizophrénie,
les anomalies de développement sont plus marquées chez
le sujet atteint [1], montrant que, malgré un environnement
en partie partagé, le sujet ayant développé une schizophrénie avait eu le plus de perturbations au cours de son développement fœtal (par exemple liées à des anomalies du
placenta). Ou encore, les sujets prédisposés biologiquement à la schizophrénie se montrent beaucoup plus sensibles à l’influence de familles d’adoption « dysfonctionnelles » (par exemple ayant un trouble de la communication)
[1]. Des résultats similaires ont été montrés pour les troubles anxieux, dépressifs ou addictifs (alcoolisme) [1].
La nouveauté des études récentes est de démontrer un tel
lien entre un gène et un facteur d’environnement identifiés
[10]. Ces études ont respectivement démontré :
– la modulation par le gène de la mono-amine oxydase A
(MAO-A) de l’influence de la maltraitance précoce sur les
troubles des conduites et la violence ultérieure ;
– la modulation par les variants du transporteur de la sérotonine (5HTT) de la sensibilité aux événements de vie
stressants précoce ou récente aboutissant ou non à des
symptômes ou à un authentique épisode dépressif ;
– la modulation par les variants du gène de la COMT des
effets psychotomimétiques de la consommation de cannabis.
L’étude sur le 5HTT est particulièrement illustrative : en
l’absence d’événement stressant, la fréquence des troubles
dépressifs entre les porteurs de l’allèle S (à risque) est
identique à celle des sujets ne portant pas cet allèle à risque.
À l’inverse, la présence de plusieurs événements stressants
entraîne un risque modéré de dépression chez les sujets
ayant les deux allèles « protecteurs » (L) alors que ceux
porteurs de l’allèle S ont un risque majeur, en particulier les
homozygotes.
À la lecture de telles études, on peut penser que la prise
en compte du facteur environnemental peut permettre de
réconcilier certaines études négatives de la littérature et
certaines différences entre populations d’origine différente
120
pourraient aussi dépendre de contextes environnementaux
différents. Poussant le bouchon un peu plus loin, certains
auteurs proposent que les facteurs génétiques ne viendraient que moduler la « sensibilité à l’environnement »
pour révéler ou non une pathologie [1].
Perspectives
La méthodologie des grands nombres couplée à une
« pêche à la ligne » sur le plan génétique, très performante
dans d’autres domaines, a montré son impuissance non
seulement à identifier les gènes mais aussi à générer des
modèles de réflexion dans le domaine des troubles psychiatriques qui cumulent le double écueil d’être à la fois des
pathologies complexes et d’avoir des limites syndromiques
mal définies [2]. Comme pour les autres pathologies complexes, l’identification dans certaines formes familiales
rares d’un gène précis pourrait permettre d’avancer notablement (à l’instar de ce qui a été fait dans le diabète ou
dans la maladie d’Alzheimer). Une meilleure identification
des anomalies caryotypiques associées aux pathologies
pourrait en cela être particulièrement informative et nécessite que les psychiatres aient recours au conseil génétique,
notamment dans le cas de formes associées à de subtiles
dysmorphies. Les enquêtes familiales étudiant cette composante développementale, telle que celle en cours dans
notre laboratoire, sont aussi de nature à apporter des renseignements sur les processus associés au développement
pouvant être en cause dans la schizophrénie, et en particulier les facteurs d’environnement.
Le fait que le risque génétique suive un modèle polygénique (plusieurs gènes nécessaires pour avoir le phénotype)
et que ces gènes soient vraisemblablement fréquents dans
la population générale (fréquence du trouble), voire même
soient partagés avec d’autres troubles, explique les difficultés des études génétiques. Les orientations actuelles vont
vers un démembrement des phénotypes par l’utilisation de
marqueurs validés sur le plan clinique et vers le ciblage de
gènes candidats choisis dans le cadre d’une hypothèse
physiopathologique définie ou de régions candidates, identifiées soit par les quelques réplications positives d’études
de liaison, soit par l’identification d’anomalies chromosomiques associées à un tableau schizophrénique [2].
Ces démarches ne sont en rien contradictoires avec le
nouveau champ de recherche ouvert avec les premières
études « gène x environnement », qui nécessitent en réalité
d’avoir des hypothèses physiopathologiques entre un polymorphisme génétique et un facteur d’environnement identifié. En cela, les nouvelles études génétiques devront faire
le lien avec les études épidémiologiques qui ont permis
d’identifier certains facteurs de risque environnementaux.
Elles devront également prendre en compte les données
issues des travaux dans le domaine des neurosciences, par
exemple sur les modèles animaux, qui offrent l’opportunité
de contrôler les facteurs d’environnement dans un contexte
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 83, N° 2 - FÉVRIER 2007
Troubles psychiatriques, génétique ou environnement ?
génétique également contrôlé. Les espoirs générés par ces
études doivent être tempérés par la difficulté de mise en
œuvre des études, couplant les écueils des études génétiques à ceux des études épidémiologiques, pour des coûts...
faramineux !
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Emilie Benoist. Matière blanche, 2006. Graphite et aquarelle 50 x 65. le dessin cumule des données différentes et crée alors un document purement
esthétique. Le brouillage effectué par une multiplication de points, d’aiguilles et de couleurs interfère avec la zone saturée de graphite à l’avant de
l’hémisphère. Elle pointe la pensée située dans cette partie du cerveau.
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