Génétique de la maladie de Parkinson : intérêt pour la pratique clinique ● ● A. Brice* L e diagnostic de maladie de Parkinson pose peu de problèmes au neurologue, d’autant qu’à la triade parkinsonienne est associée une bonne réactivité à la L-dopa ou aux agonistes dopaminergiques. Cet élément permet de distinguer la maladie de Parkinson de nombreux syndromes parkinsoniens. Cependant, en raison de sa fréquence, de sa nature progressive et de l’épuisement du traitement, la maladie de Parkinson pose toujours un problème médical et de santé important. Le défi est maintenant de ralentir ou d’empêcher la progression de la maladie grâce à des approches neuroprotectrices ou par une action directe sur les mécanismes de la mort neuronale. C’est pourquoi tous les outils qui contribuent à élucider la physiopathologie de la maladie sont prometteurs dans une perspective thérapeutique. Parmi ceux-ci, la génétique devrait contribuer de façon significative au développement de nouvelles approches diagnostiques et thérapeutiques. Alors qu’il y a dix ans la maladie était considérée comme une affection dans laquelle le déterminisme génétique était faible, voire négligeable, les progrès récents de la génétique éclairent les causes de la maladie sous un jour très différent. Déjà, des applications en termes de diagnostic sont possibles, avec des indications déterminées par le mode de transmission, l’âge de début et l’origine géographique. Il est important de savoir quand ces applications peuvent être mises à profit, comment interpréter les résultats des analyses génétiques et de quelle façon transmettre cette information sensible aux patients et à leurs familles. La plupart des retombées de l’approche génétique sont encore à venir. La connaissance des gènes et des facteurs de susceptibilité génétique permettra de comprendre, à l’échelle moléculaire, les mécanismes de la dégénérescence des neurones dopaminergiques, de développer des modèles appropriés et d’identifier de nouvelles cibles thérapeutiques. Gène de la Parkine Le gène de la Parkine est le plus fréquemment impliqué dans les formes autosomiques récessives. Ce gène, identifié par T. Kitada et al. (1) au Japon, concerne près de 50 % des formes autosomiques récessives de la maladie de Parkinson (2) avec un début avant l’âge de 45 ans. Compte tenu de la petite taille des fratries en Europe, les cas “parkine” se présentent dans la plupart des familles comme un patient unique avec une maladie de Parkinson de début précoce. Dans ces familles, le gène de la Parkine est muté chez plus de la moitié des patients pour lesquels la maladie débute avant l’âge de 20 ans et chez environ 25 % de ceux pour lesquels elle débute entre 20 et 30 ans, puis sa fréquence relative décroît rapidement (3). Les deux autres gènes impliqués dans des formes autosomiques récessives de maladie de Parkinson, Pink1 (4) et DJ-1 (5) sont respectivement environ 10 fois et 100 fois plus rares dans la population française (6, 7). Ainsi, en pratique clinique, la recherche de mutations du gène de la Parkine n’est justifiée que dans des cas compatibles avec une transmission autosomique récessive et pour lesquels le début de la maladie se situe avant l’âge de 35 ans. Les avancées les plus importantes intervenues au cours de la dernière décennie concernent les formes monogéniques de la maladie de Parkinson, pour lesquelles les applications diagnostiques sont déjà entrées dans la pratique. La mise en évidence de deux mutations dans le gène de la Parkine permet d’affirmer l’origine de la maladie alors que l’absence de mutations de ce gène permet, avec une quasi-certitude, d’en exclure la responsabilité. Cependant, chez certains patients dont l’âge de début est variable, une seule mutation à l’état hétérozygote de ce gène est mise en évidence. Ici, l’interprétation des résultats est très délicate, car la signification des mutations hétérozygotes reste très discutée. Plusieurs hypothèses rendent compte de cette situation : présence d’une seconde mutation non détectée avec les techniques utilisées en raison de sa nature ou de sa localisation ; la mutation n’a pas de rapport avec la maladie ; la mutation à l’état hétérozygote pourrait conférer un risque accru de survenue de maladie de Parkinson. Il existe des arguments en faveur de chacune de ces hypothèses, mais il est actuellement impossible de trancher à l’échelle individuelle. Alors que la population dans laquelle la pratique d’un diagnostic génétique pour la Parkine se justifie, est bien définie, l’interprétation des résultats n’est pas toujours aisée. * Université Pierre et Marie-Curie, UFR Pitié-Salpêtrière, département de génétique et de cytogénétique et Fédération des maladies du système nerveux, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Inserm U679, Paris. Le phénotype des patients avec mutations du gène de la Parkine est maintenant bien connu, avec des conséquences en termes de pronostic (2, 8). Outre un âge de début précoce, les patients porteurs de mutations du gène de la Parkine sont caractérisés PRÉSENT La Lettre du Neurologue - Vol. XI - n° 4 - avril 2007 Mouvements anormaux-Parkinson M ouvements anormaux-Parkinson 135 Mouvements anormaux-Parkinson M ouvements anormaux-Parkinson par une évolution très lente de la maladie, une amélioration par des doses plus faibles de L-dopa, l’apparition plus tardive de fluctuations motrices, une réponse favorable à la stimulation cérébrale profonde, et l’absence de démence ou de signes dysautonomiques, même après des décennies d’évolution. Ces éléments sont à prendre en compte dans la stratégie thérapeutique. Une autre particularité des cas “parkine” est neuropathologique. La plupart des cas examinés à ce jour présentent une dégénérescence pure de la substantia nigra et du locus coeruleus sans corps de Lewy. Place du gène LRRK2 dans les formes autosomiques dominantes À ce jour, la responsabilité de deux gènes a été validée dans les formes autosomiques dominantes : ceux qui codent pour l’alphasynucléine (9) et la protéine LRRK2 (ou dardarine) [10, 11]. Le gène de l’alpha-synucléine est particulièrement intéressant de par l’éclairage qu’il apporte sur la physiopathologie de la maladie de Parkinson. L’alpha-synucléine est un composant majeur des corps de Lewy qui a permis d’établir un lien fonctionnel entre la maladie de Parkinson idiopathique et la forme familiale due à des mutations de ce gène. De plus, les duplications et triplications de ce gène ont conduit à établir un effet clair de son niveau d’expression. Ainsi, les triplications du gène sont responsables d’un tableau évocateur de démence avec corps de Lewy (12) alors que les duplications causent une maladie de Parkinson proche de la forme idiopathique (13, 14). Cependant, la rareté des mutations du gène de l’alpha-synucléine rend peu rentable leur analyse pour le diagnostic génétique. En revanche, l’étude du gène LRRK2 a souligné sa fréquence très variable en fonction des populations. Dans la population européenne, une mutation particulière, G2019S, rend compte de 1 à 2 % des cas apparemment sporadiques, et de 3 à 10 % des cas familiaux. Les autres mutations de ce gène sont très rares en dehors de cas particuliers (mutation R1441G chez les Basques, par exemple). En revanche, la mutation G2019S s’est avérée extrêmement fréquente, aussi bien dans les formes familiales que dans les cas apparemment sporadiques, chez les Arabes d’Afrique du Nord et dans la population juive ashkénaze (15, 16). Les patients présentant cette mutation ont un âge de début très variable et un tableau clinique non distinguable de celui de la maladie de Parkinson idiopathique. Chez ces patients, la stimulation cérébrale profonde donne également des résultats favorables (17). Étant donné le mode de transmission autosomique dominant de la maladie, la mise en évidence d’une mutation du gène LRRK2 a de fortes implications familiales. Dans cette situation, il est important, avant de réaliser le test génétique, de discuter avec le patient des conséquences possibles pour ses apparentés. Le tandem neurologue-généticien joue ici un rôle capital pour la transmission des informations et le conseil génétique. L’identification de porteurs de mutations du gène LRRK2 aura des conséquences croissantes en termes de conseil génétique et 136 de demandes de diagnostic présymptomatique. De plus, cette mutation est souvent trouvée chez des patients qui n’ont aucune histoire familiale de maladie de Parkinson et pour lesquels la découverte d’une mutation dominante constitue donc un choc. La mutation G2019S provient d’un effet fondateur, ce qui signifie que la mutation ne résulte pas d’un événement récent mais qu’elle a été transmise. En conséquence, les membres de la fratrie du patient ainsi que ses enfants sont à risque d’être porteurs. Cette situation ne manquera pas de générer des demandes de tests présymptomatiques de la part des personnes à risque dans les familles concernées. À l’instar de celles relatives à d’autres maladies neurodégénératives d’origine génétique, les demandes seront prises en charge par des équipes pluridisciplinaires assurant la continuité avant, pendant et après le test. Par rapport à la maladie de Huntington, par exemple, la particularité ici est la pénétrance réduite. Ainsi, être porteur de la mutation G2019S ne signifie pas obligatoirement développer la maladie. Actuellement, la pénétrance de cette mutation n’est pas connue avec précision en raison des biais inhérents aux études familiales. Elle dépassait 80 % dans les familles étudiées initialement, mais une étude plus récente suggère qu’elle pourrait rester en deçà de 40 % (18). Il est possible que la pénétrance varie en fonction de l’origine géographique, et des études à plus grande échelle seront nécessaires pour la déterminer avec précision. Les exemples de la Parkine et de LRRK2 montrent que les conséquences des tests génétiques sont très différentes pour le patient et sa famille selon les paramètres génétiques de l’affection (mode de transmission, pénétrance, variabilité d’expression). Il faut souligner que les gènes connus n’expliquent toujours qu’une minorité des formes autosomiques récessives et autosomiques dominantes de la maladie de Parkinson. Ainsi, d’autres gènes sont certainement en cause, et leur identification conduira à de nouvelles applications diagnostiques. FUTUR Ouverture sur la physiopathologie Au-delà des applications diagnostiques, qui en sont à leur début, la connaissance des gènes impliqués dans les formes monogéniques de la maladie de Parkinson suscite un espoir considérable pour comprendre les mécanismes moléculaires de la dégénérescence des neurones dopaminergiques. Par exemple, comme la Parkine est une E3 ubiquitine protéine ligase, il est possible que son altération perturbe la voie ubiquitine-protéasome, principale voie de régulation du niveau d’expression des protéines dans la cellule, et entraîne l’accumulation de substrats toxiques. Cependant, plusieurs expériences, dont l’inactivation du gène de la Parkine chez la drosophile, suggèrent un rôle protecteur de cette protéine au niveau de la mitochondrie. Ces expériences ont d’ailleurs conduit à établir un lien fonctionnel entre la Parkine et Pink1, qui est localisée dans la mitochondrie. Enfin, la protéine LRRK2 mutée voit son activité kinase augmenter d’où l’hypothèse d’un gain de fonction. La modulation de l’activité kinase de La Lettre du Neurologue - Vol. XI - n° 4 - avril 2007 LRRK2 pourrait donc représenter une approche thérapeutique originale. Bien que les résultats obtenus in vitro ou dans des modèles animaux soient prometteurs, il reste encore beaucoup à faire pour comprendre les mécanismes par lesquels les mutations de ces protéines provoquent une mort sélective des neurones dopaminergiques et pour déterminer comment s’y opposer. C’est pourtant là un enjeu essentiel. Identification des facteurs de susceptibilité génétique À côté des formes monogéniques de la maladie de Parkinson qui occupent une place croissante, des facteurs de susceptibilité génétique jouent probablement un rôle important dans les autres cas. Les outils de génotypage à haut débit tels que les puces à ADN laissent espérer que ces facteurs seront mis en évidence. Les approches actuelles combinent l’étude de marqueurs de l’ensemble du génome à très haute densité dans des populations de grande taille. Théoriquement, de telles études devraient permettre d’identifier des régions du génome associées à une susceptibilité à la maladie de Parkinson, même si le risque relatif conféré par chaque facteur de susceptibilité est faible. Les premiers résultats de ces approches semblaient prometteurs (19), mais ils n’ont pas pu être reproduits (20). Il est néanmoins probable que les développements technologiques et méthodologiques en cours, ainsi que le recours à de grandes populations de patients et de témoins, permettront de surmonter les difficultés actuelles. En combinant les connaissances sur les mécanismes impliqués dans les formes monogéniques et ceux par lesquels les facteurs de susceptibilité agissent, il sera possible d’avoir une vision précise des étapes qui conduisent à la mort neuronale dans cette pathologie. Le chemin qui reste à parcourir entre l’identification des gènes déjà en cours, la compréhension des mécanismes et les traitements futurs est encore long. ■ 3. Periquet M, Latouche M, Lohmann E et al. Parkin mutations are frequent in patients with isolated early-onset parkinsonism. Brain 2003;126:1271-8. 4. Valente EM, Abou-Sleiman PM, Caputo V et al. Hereditary early-onset Parkinson’s disease caused by mutations in PINK1. Science 2004;304:1158-60. 5. Bonifati V, Rizzu P, Van Baren MJ et al. Mutations in the DJ-1 gene associated with autosomal recessive early-onset parkinsonism. Science 2003;299:256-9. 6. Ibanez P, Lesage S, Lohmann E et al. Mutational analysis of the PINK1 gene in early-onset parkinsonism in Europe and North Africa. Brain 2006;129:686-94. 7. Ibanez P, De Michele G, Bonifati V et al. Screening for DJ-1 mutations in early onset autosomal recessive parkinsonism. Neurology 2003;61:1429-31. 8. Lohmann E, Periquet M, Bonifati V et al. 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