LA CONTAMINATION PAR LE VIRUS DU SIDA DEVANT LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF 1 Wahid FERCHICHI Docteur en Droit, assistant à la Faculté de Droit de Sfax « Lorsque la vie s’éclipse devant un sursis qui précède l’échéance, la souffrance et la mort, il y a forcement une injustice à vouloir défendre un risque moyen. Le cri des transfusés comme celui de tous les séropositifs ne ressemble pas à un merci » 2. INTRODUCTION La contamination par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), dans le cadre des établissements de Santé Publique, pose un grand nombre de problèmes qui sont liés au Droit et à sa capacité d’intégrer des faits nouveaux et de suivre l’évolution scientifique et notamment médicale. A ce niveau, le Droit tunisien n’a pris en considération le virus du SIDA, qu’en 1992. Dans cette année, la loi relative aux maladies sexuellement transmissibles a été adoptée 3. Il en est de même en ce qui 1 2 3 Ce travail a été réalisé avec l’aimable aide de Mme Donia BEN ROMDHAN, juge au Tribunal Administratif. Jean-Yves GANNAC, Information et responsabilité des autorités publiques dans la contamination des hémophiles, RFDA, 10 (3), mai-juin 1994, p. 549. Loi n°92 –71 du 27 juillet 1992, JORT n°50 du 31 juillet 1992. 286 concerne les textes relatifs à la transfusion sanguine 4. Mais les cas de contamination par le V.I.H avaient eu lieu longtemps avant 1992. C’est en fait au milieu des années 1980 que les cas de séropositifs ont été découverts. Devant cette carence législative, le juge administratif a été saisi en matière de contamination et ce à deux reprises et pour deux cas de contamination très différents 5. Le juge est dans l’obligation de statuer sur l’affaire du sang contaminé alors qu’il n’y a eu aucun cas avant 1999. Devant la nouveauté de la matière, la particularité de la maladie et surtout l’absence d’un cadre juridique spécifique, les problèmes posés au juge administratif étaient nombreux : - Qui est le responsable de la contamination ? - Quel sera le fondement de la responsabilité en matière de sang contaminé ? - A partir de quelle date doit-on retenir la responsabilité ? - Quel préjudice réparer ? La tâche du juge administratif n’était pas aisée. En effet, l’acte médicale et notamment la transfusion sanguine est complexe du fait qu’elle permet l’intervention de différentes personnes publiques : l’Etat, par le bais du ministère de la Santé Publique 6, qui demeure l’expression 4 5 6 En cette année le décret n°83-967 du 20 octobre 1983 organisant les centres de transfusion sanguine (JORT n°69 du 28 octobre 1983) a été modifié par le décret n°92-116 du 13 janvier 1992, abrogé aujourd’hui par le décret n°98-18 du 5 janvier 1998, JORT n°5 du 16 janvier 1998. Il a été saisi en appel pour une contamination à travers une transfusion sanguine dans un établissement public hospitalier par les héritiers de la victime qui est décédée suite à sa contamination. Il s’agit de la décision rendue par la 3ème chambre d’appel du Tribunal Administratif (T.A), dans l’affaire n°2192 du 16 avril 1999, Ministre de la Santé Publique c/ Héritiers Mustapha Ben Chadli Yaccoubi (non publié). Le T.A a été saisi en référé dans le cadre de la contamination d’un hémophile par le virus du SIDA (Jugement rendu par la 5ème chambre d’appel au TA affaire n°23347 du 25 mai 2001 Ministre de la Santé Publique c/ Aîcha Lourimi c (non publié). Mais en attend encore la décision du TA sur le fond qui sera prononcée le 10 mai 2002. Le ministère a été organisé par le Décret n°74604 du 28 novembre 1974, relatif aux attributions et à l’organisation du ministère de la santé publique, JORT du 3 décembre 1974, p. 2653. Ce décret a été remplacé en ce qui concerne l’organisation du ministère par le décret n°81-793 du 9 juin 1981, portant 287 la plus nette de l’existence d’un service public de santé. Ainsi, et au termes de niveaux d’exécution du service public, le ministère de la Santé assure la responsabilité suprême du service de la santé 7. Il relève de sa compétence de contrôler les opérations relatives à la santé publique et entre autres la transfusion sanguine. Il en est de même pour ce qui est des centres de transfusion sanguine et notamment le Centre National 8 qui a le monopole des opérations de collecte du sang et qui a pour mission d’assurer le contrôle médical des prélèvements, le traitement , le conditionnement des dons de sang et de surveiller leur qualité. L’intervention de l’établissement public hospitalier est aussi importante. C’est au sein de ces établissements que les cas de contamination avaient eu lieu. Cette multitude d’intervenants se renforce et se complique d’avantage lorsqu’il s’agit de produits sanguins (notamment Le Facteur VIII) importés auprès d’établissements étrangers. La question se pose donc : au niveau de quel maillon de cette chaîne se situe le responsable de la contamination par le VIH ? Pour des raisons multiples, le juge administratif a retenu la responsabilité de l’Etat, écartant de ce fait une éventuelle co-responsabilité. Mais sur quelle base déclare-t-on l’Etat responsable en matière de sang contaminé par le VIH ? Dans une atmosphère dominée par la responsabilité pour faute et notamment la faute de service, où la victime se tourne non vers un agent de l’Etat mais, vers le service de son ensemble, le juge administratif, considère la contamination issue de la transfusion sanguine, tant qu’il 7 8 organisation des services de l’administration centrale du ministère de la Santé Publique. JORT n°40 du 12 juin 1981, p. 1405. Pour ce qui est des niveaux d’exécution du service public voir, A-S. Mescheriakoff, Droit des services publics, P.U.F 1991, p. 262. Le Centre National de Transfusion Sanguine a été créé sous forme d’établissement public, par l’article 14 de la loi n°63-58 du 31 décembre 1963, portant loi de finances pour 1964, JORT du 31 décembre 1963. Alors que la loi n°82-26 du 17 mars 1982 a organisé la transfusion sanguine, JORT n°19 du 19 mars 1982. De même, c’est le décret n°83-967 du 20 octobre 1983 qui a organisé les établissements de transfusion sanguine (JORT n°69 du 28 octobre 1983) a été modifié par le décret n°92-116 du 13 janvier 1992, abrogé aujourd’hui par le décret n°98-18 du 5 janvier 1998, JORT n°5 du 16 janvier 1998. 288 s’agit d’acte médical au sein d’un établissement public hospitalier, une faute de service. Adoptant ainsi, et selon l’expression de H. Dupeyroux, « la théorie de l’anonyme et inconnu, faute collective où les responsabilités de chacun se fondent et disparaissent »9. Mais, la responsabilité pour faute doit respecter certaines caractéristiques, et la preuve de la faute doit être apportée par la victime. A ce niveau, et dans un souci de privilégier les victimes, le juge administratif a retenu la présomption de la faute comme fondement de la responsabilité en matière du sang contaminé. Dans son choix de la présomption, le juge présume aussi l’existence d’un lien de causalité entre le dommage subi, la contamination par le VIH et la transfusion subie dans l’établissement public hospitalier, et renverse la charge de la preuve. Il s’agit en fait d’un système de présomption, le juge administratif présume d’une part l’existence d’une faute de service, à savoir un acte entraînant un dommage. D’autre part, il présume le lien de causalité en se basant sur un ensemble d’indices qui ne peuvent, si pris isolément, justifier ce lien de causalité. Ainsi, et comme l’écrit Michel Paillet « si le juge ne va pas la plupart du temps jusqu’à exiger que l’administration ait eu une connaissance réelle du dommage, c’est-à-dire qu’elle ait été informée avec certitude que l’événement dommageable allait se produire, son appréciation repose sur la probabilité de cet événement » 10. Ce système de présomption a permis au juge de répondre à la question relative à la période où l’autorité administrative est reconnue responsable des dommages causés par le sang contaminé. La réponse du tribunal, même si n’est pas précise, permet de conclure que la période de responsabilité coïncide avec la période de l’importation du sang contaminé. Ainsi et pour des raisons d’équité le juge administratif a élargi cette période permettant de sorte d’indemniser l’ensemble des personnes contaminées dans les établissements publics hospitaliers. Nous allons donc, consacrer nos propos en matière de responsabilité du fait du sang contaminé par le VIH à ce système de présomption établi par le juge administratif. Retenons ainsi, la présomption de la faute elle même 9 10 Faute personnelle et faute de service, Thèse, 1922, p. 213, cité par J-Y. Gannac, op. cit., p. 548. La faute de service public en droit administratif, LGDJ, 1980, p. 33. 289 (Première Partie) et la présomption du lien de causalité (Partie Deux) 11. PREMIERE PARTIE LE JUGE ADMINISTRATIF PRESUME LA FAUTE EN MATIERE DE TRANSFUSION DU SANG CONTAMINE. Le Tribunal Administratif considère que la contamination de la victime par le VIH dans un établissement public hospitalier constitue une faute présumée de la part de cet établissement et ce en « considérant qu’il ressort du dossier de l’affaire, une série de preuves affirmant la responsabilité de l’administration sur la base de la faute présumée que l’administration n’a pas pu infirmer » 12. Ainsi, le juge administratif continue à asseoir la responsabilité médicale sur le système de faute en général (A) et la faute présumée en particulier (B). A- La contamination par le VIH correspond à une faute de service Survenue dans un établissement public hospitalier, la contamination par le VIH correspond à une faute de service. Ceci ressort de l’acceptation du tribunal de statuer sur l’affaire. D’autant plus que ce dernier, en condamnant l’Etat à indemniser les ayant droits de la victime n’a pas prévu pour l’administration le droit de recourir à une action récursoire contre l’agent fautif. Le Tribunal Administratif ne semble pas rompre avec sa jurisprudence antérieure, bien au contraire, il n’a fait que confirmer cette jurisprudence, que ce soit au niveau de la conception de la faute de service qui demeure large (1) au niveau du type de faute consistant dans 11 12 Nous écartons de ce fait l’étude de l’indemnisation qui n’a pas soulevé des spécificités en la matière, du moins dans le cadre de l’affaire du sang contaminé du 16 avril 1999, en attendant la décision du TA relative à la contamination d’un hémophile prévue pour début mai 2002. T.A. Jugement du 16 avril 1999, op. cit. non publié. 290 la contamination par le VIH qui est à la fois une faute dans le fonctionnement du service (2) et un manquement à l’obligation de sécurité (3). 1- Une conception large de la faute de service Le Tribunal Administratif retient, entre autres, en matière de contamination lors d’une transfusion sanguine, une définition structurelle de la faute de service. En effet, dès la première affaire en matière de responsabilité médicale, la juridiction administrative retient une définition structurelle de la faute de service hospitalier. Ainsi, « l’établissement hospitalier, pris en sa qualité de service public, établit des rapports avec des particuliers, usagers de ce service… fournit des prestations à l’occasion desquelles il peut réussir, comme il peut commettre des fautes… l’origine et les contours de cette faute changent, car parfois, celle-ci pèse sur le médecin et parfois peut être une faute des auxiliaires, dans les deux cas, elle rend l’établissement, gestionnaire du service public, responsable vis à vis de l’usager » 13. La faute commise est considérée faute de service du fait qu’elle a été commise dans le cadre d’un acte effectué au sein d’un établissement public de santé soit par des médecins 14 ou des auxiliaires de santé15 « faisant fonction de fonctionnaires de l’Etat et non par des médecins de libre pratique contractant avec les malades » 16. 13 14 15 16 T.A, app. 5 janvier 1976, K. Zaher c/ ministre de la Santé Publique. Publié dans le recueil de 1976. On trouve les traces de cette jurisprudence dans les arrêts les plus récents du T.A. En effet, dans un jugement du 13 juillet 2001, affaire n°19330, Héritiers Ben Kmicha c/ ministre de la Santé Publique et Etablissement hospitalier H. Thameur (non publié) le juge administratif a décidé que « l’administration est responsable des fautes personnelles de ses agents, commises lors de l’exercice d’un service public, alors qu’elle demeure exonérée de cette responsabilité si la faute commise par l’agent n’a aucun lien avec la mission de service public ». T. A. app. 25 janvier 1988, ministre de la Santé Publique c/ F. Bouglitah, rec. 1988. T.A app. 21 octobre 1991, ministre de la Santé Publique c/ M. Jouini et T.A app. 17 juin 1996 ministre de la Santé publique c/ K. Méjri, rec. TA, 1991 et 1996. Ce considérant figure dans tous les arrêts relatifs à la responsabilité médicale des établissements publics. T.A, app. 5 janvier 1976, K. Zaher c/ ministre de la Santé Publique. T. A. app. 25 janvier 1988, ministre de la Santé Publique c/ F. 291 Cette conception qui fait de la faute de service toute faute commise dans le cadre d’un établissement hospitalier par un agent public est très large et englobe de ce fait toute transfusion sanguine entraînant la contamination du malade usager. Ainsi, et correspondant à une faute commise dans le cadre « d’un établissement de santé publique » selon l’expression même du juge administratif 17, la contamination par le VIH, qu’elle soit d’origine connue ou non individualisée constitue une faute dans le fonctionnement de l’administration entraînant sa responsabilité à l’égard de l’usager. 2 - La contamination par le VIH constitue une faute de fonctionnement du service La complexité des interventions médicales dans le cadre d’un service hospitalier peut entraîner qu’une ou plusieurs fautes soient commises dans les soins. Qu’elles soient ou non identifiées, elles demeurent inhérentes à un service et non à une personne. Dans ce cadre « l’Etat n’étant pas une personne physique, la faute de l’administration peut-être … soit un défaut d’organisation, soit un défaut d’entretien, d’insuffisance, de manque de prudence ou de négligence »18. La faute de service est, en principe, une faute non individualisée dont l’auteur n’est pas nécessairement connu, ni que l’acte ou la défaillance constitutifs de la faute soient localisés à l’intérieur du service et que le mécanisme soit démontré. Le juge administratif semble dans l’impossibilité de déceler un facteur autre que l’erreur de service il impute ainsi le dommage au fonctionnement ou plutôt au mauvais fonctionnement du service. Le T.A retient à ce niveau des formules larges sur la base desquelles il fonde la responsabilité de l’Etat. « Les troubles constatés révèlent un fonctionnement défectueux du service de 17 18 Bouglitah, rec. 1988. T.A app. 21 octobre 1991, ministre de la Santé Publique c/ M. Jouini et T.A app. 17 juin 1996 ministre de la Santé Publique c/ K. Méjri, rec. TA, 1991 et 1996. T.A. jugement du 13 juillet 2001, affaire n°19330, Héritiers Ben Kmicha c/ ministre de la Santé Publique et Etablissement hospitalier H. Thameur (non publié) T. A. app. 25 janvier 1988, ministre de la Santé Publique c/ F. Bouglitah, rec. 1988. T.A app. 21 octobre 1991. T.A. app. Aff. n°21883 du 24 janvier 1997, ministre de la Santé Publique c/ Ali Mlaess, rec, 1997, p. 66. 292 nature à engager la responsabilité de l’Etat »19 ou encore « les troubles constatés ne peuvent être vus comme révélant une faute dans l’organisation ou le fonctionnement du service » 20. Il est impossible ainsi, de déceler un facteur autre que l’erreur de service. Le seul constat sûr est le dommage subi, en effet, « l’état antérieur du patient… ne serait expliquer les graves séquelles dont il a été victime suite à l’acte médical pratiqué sur lui au sein de l’établissement de santé » 21. Cette position du juge constitue une jurisprudence constante du T.A inspirée entre autre de la jurisprudence Bianchi, où il a été arrêté que « un dommage dont l’existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le malade est particulièrement exposé... » 22. La transfusion sanguine qui entraîne la contamination du patient par le virus du SIDA ne serait être expliquée selon la juridiction administrative que sur la base d’un fonctionnement défectueux du service de nature à engager la responsabilité de l’Etat. Cette position a été clairement exprimée par le Tribunal administratif de Paris dans un jugement du 11 janvier1991, dans lequel on peut lire que « l’introduction dans l’organise du patient d’un sang contaminé révèle une faute dans l’organisation ou le fonctionnement du service hospitalier de nature à engager la responsabilité de l’assistance publique à Paris et ouvrir droit à la réparation du préjudice subi du fait 19 20 21 22 T.A. app. Aff. n°110118 janvier 1993, , Héritiers Aicha Ouaness c/ ministre de la Santé Publique, rec 1993, p. 445. T.A. app. 25 février 1988, Besbes c/ ministre de la Santé Publique et T.A. app. 8 juillet 1996, Bouchoucha c/ ministre de la Santé Publique. Paraphrasant ainsi, l’un des arrêts les plus célèbres du T.A en matière de responsabilité médicale à savoir T.A. app. 31 décembre 1993, Hafsi c/ ministre de la Santé Publique. C.E ass. 9 avril 1993, Bianchi, rec. Leb., p. 127, concl. S. Daël, RDP, 1993, p. 1099, note M. Paillet, AJDA, 1993, p. 383 et chron., p. 344, RFDA, 1993, concl. S. Daël, D. 1993, Somm., p. 65, obs. P. Bon et Ph. Terneyre, JCP. 1993. II. 22061, note, J. Moreau. Cette même position a été reprise dans un arrêt récent du T.A en date du 13 juillet 2001, aff. n°16874, A. Mathlouthi c/ ministre de la Santé Publique (non publié). Dans cette affaire le juge a arrêté que « lorsque on entre pour soigner une grippe et que l’on sort avec une paralysie du memnre inférieur, on ne peut que présumer une faute de service hospitalier ». 293 de cette contamination ». 23 Ce même tribunal va jusqu’à voir dans l’attitude des autorités administratives à l’égard du sang contaminé une faute résultant de la passivité de l’Etat qui aurait dû intervenir de façon autoritaire 24. Telle démarche a été confirmée par la Cour administrative d’appel de Paris 25, d’autant plus que le Conseil d’Etat en assemblée a retenu la responsabilité de l’Etat de la faute qui résultait de sa carence dans l’utilisation de son pouvoir de réglementation des produits sanguins et d’avoir tarder à interdire l’utilisation des produits non chauffés 26. Cette faute dans le fonctionnement du service peut avoir différents aspects : un défaut d’entretien, une insuffisance ou un manque de prudence, une négligence… en fait un manquement à l’obligation de sécurité qui pèse sur l’établissement de santé publique vis à vis de ses usagers. 3- La contamination par le VIH constitue un manquement à l’obligation de sécurité Selon le tribunal administratif « l’une des missions essentielles du service hospitalier est de veiller à la sécurité des patients » 27.Cette obligation de sécurité qui n’est pas formulée dans un texte général ni consacrée comme obligation générale dans un texte peut être un principe qui justifie la condamnation de tout acte portant atteinte à la sécurité des 23 24 25 26 27 T.A Paris, 11 janvier 1991, aff. M.J. Req. N° 881177/4, AJDA 20 janvier 1992, p. 85. « L’Etat pouvait se retrancher derrière l’absence de disponibilité de tests de dépistage fiables pour justifier son attentisme dès lors que les cas de SIDA dans la communauté hémophile révélaient l’existence d’un lien de causalité entre l’administration des produits sanguins et la contamination ». TA. Paris 20 décembre 1991, trois espèces, RFDA, 1992, p. 552, Concl. Stahlberger. C.A.A Paris 16 juin 1992, M.Y., M.Z., X., AJDA 20 octobre 1992, p. 678, note Laurent Richer, concl. Darce Wright, L.P.A, 24 juillet 1992, n°89, pp. 8 et s. C.E. ass., 9 avril 1993, M.G., M. et Mme B., M.D. rec. 1993, p. 110, AJDA 20 mai 1993, pp. 344 et 381. T.A. 18 janvier 1993, Héritiers Aicha Ouennes, op. cit. p. 445 et confirmé récemment dans un jugement de la troisième chambre de 1ère instance au TA dans l’affaire n°16742 du 13 juillet 2001, Héritiers Anis Akrimi c/ ministre de la Défense Nationale et ministre de la Santé Publique (inédit). 294 patients 28. Ainsi, la négligence, l’imprudence, le défaut d’entretien… constituent des manquements à l’obligation de sécurité. En effet, cette obligation devrait, selon la doctrine et la jurisprudence comparées, être une obligation de résultat quant à l’innocuité du sang transfusé. La solution est certaine pour le sang qui ne doit pas être infecté par le virus du SIDA 29. Ainsi, « le vice interne du sang, même indécelable, ne constitue pas une cause d’exonération, en raison de son absence d’extériorité » 30. La contamination par le virus du Sida lors d’une transfusion sanguine, qui témoigne à la fois d’une imprudence, d’une négligence et d’un manquement à l’obligation de sécurité, peut être comparée à un matériel infecté mais utilisé lors d’un acte médical, dont témoigne la décision rendue par le Tribunal Administratif dans l’affaire du bacille tétanique 31. A ce niveau, et en droit comparé, autre que français, les tribunaux ont procédé à retenir la responsabilité en matière de sang contaminé sur l’obligation de sécurité ou des notions voisines. En effet, la Cour Fédérale de Justice d’Allemagne retient la responsabilité en matière de sang contaminé sur une extension de l’obligation imposée à tout fabricant en tant qu’il a le contrôle d’une source de risques, ainsi, toutes les mesures en leurs pouvoirs doivent être prises par les fabricants de produits sanguins pour exclure les opérations de prélèvement de sang sur 28 29 30 31 Voir pour ce qui est de l’obligation de sécurité Ph. le Tourneau , Obligation de sécurité, Jurisclasseur civil, Fasc. 30, art. 1136 à 1145 et Y. Lambert- Faivre, Fondement et régime de l’obligation de sécurité, D. 1994, chron. p. 81. Cour d’appel de Toulouse, 5 novembre 1991, Gaz. Pal. 1993, 2, p. 441 note A. Dorsner-Doliver, RTD civ. 1991, p. 117, obs. P. Jourdan, Cour d’appel Paris 28 novembre 1992, D. 1992, p. 85, note A. Dorsner-Doliver, Cour d’appel Montpellier, 13 février 1992, JCP 1992, éd. G. IV, 2094 ; Cour d’appel Toulouse, 9 juin, D. 1992, p. 204… Cour d’appel Paris 28 novembre 1992, D. 1992, p. 85, note A. Dorsner-Doliver. T.A. 25 février 1988, Besbes c/ ministre de la Santé Publique, présence du bacille tétanique dans le matériel utilisé pour l’accouchement. Consulter aussi, A. Benzarti, Contribution à l’étude de la responsabilité médicale hospitalière, à propos de 20 affaires jugées en dernier ressort par le Tribunal Administratif, thèse pour le Diplôme d’Etat de Doctorat en médecine, Faculté de Médecine de Tunis, 1999, thèse répertoriée sous le n°22/99. 295 les personnes appartenant à des groupes à risque. Il s’agit selon la cour d’une obligation de vigilance qui englobait déjà en 1984 le dépistage du VIH dans les échantillons de sang 32. En droit polonais, et sur la base d’un arrêt rendu par la Cour Suprême du 21 novembre 1974, qui retenait l’établissement de santé responsable de toute contamination survenue lors du séjour des patients, la doctrine et la jurisprudence considèrent que l’établissement hospitalier est tenu d’assurer aux patients « la sécurité du séjour ». Ainsi, si le patient a été contaminé par le VIH pendant son séjour à l’hôpital à la suite d’une intervention médicale, la responsabilité de l’établissement est fondée sur « la faute dans l’organisation »33. Il en est de même en Argentine où la loi 23-798 concernant la lutte contre le Sida, créé une obligation spécifique pour les professionnels chargés de recueillir du sang destiné à la transfusion à la préparation du plasma ou d’autres dérivés sanguins d’origine humaine, cette obligation consiste à respecter les « normes de biosécurité » dont l’omission constitue un manquement très grave entraînant de ce fait une « faute très grave » à la charge du responsable 34. Cette jurisprudence comparée converge ainsi avec celle tunisienne, où le T.A a déjà formulé ses conclusions depuis 1988 en considérant qu’il s’agit « d’une faute dans l’organisation du service, secondaire à la présence du bacille tétanique dans le matériel utilisé »35. Ces conclusions ne sauraient que renforcer l’attitude de la juridiction administrative qui considère les infections contractées dans le cadre des soins principaux, les séquelles neurologiques graves suite à une injection 36, les brûlures subis par un nouveau-né 37, des fautes dans 32 33 34 35 36 37 W. Bottke, Sida et droit en Republique Fédérale d’Allemagne, in Droit et Sida, comparaison internationale, sous dir., J. Foyer et L. Khaiat, CNRS Editions, 1994, pp. 39 et 40. Ewa Skrzydko-Tefelska, Les problèmes juridiques du Sida en Pologne, in Droit et Sida, ibidem., p. 349. N. Minyersky, E.J. Monti et M. Vasquez Acuna, La problématique du Sida en Argentine, in Droit et Sida , ibidem. p. 48 T.A. 25 février 1988, Besbes, op. cit. T.A. 8 juillet 1996, Bouchoucha, op. cit. T.A. 6 mai 1991, Trabelsi c/ ministre de la Santé Publique. 296 l’organisation, le fonctionnement du service hospitalier et dans l’administration des soins. Cette insertion des fautes médicales dans la catégorie des fautes de fonctionnement du service de santé favorise et facilité l’insertion des fautes médicales dans le cadre des fautes présumées. D’autant plus qu’elles demeurent d’origine inconnue et difficilement individualisées, vu la complexité des soins, le grand nombre d’intervenants dans l’acte médical ainsi que les conditions et les moyens d’hospitalisation et de soins, souvent manquants et défectueux. B- La contamination par le VIH relève des fautes présumées Pour le Tribunal Administratif « il ressort du dossier de l’affaire une série de preuves affirmant la responsabilité de l’administration sur la base de la présomption de faute» 38. La présomption de faute, mécanisme qui n’est pas prévu par un texte clair, demeure un fondement de la responsabilité retenu et appliqué par le juge et non par le droit. Mais et pour justifier ce recours à la présomption une certaine lecture des textes s’est imposée par le juge. En effet, le Tribunal Administratif a toujours rappelé dans ces décisions antérieure à 1996 39, que le Décret Deylical du 27 novembre 1888 (relatif au contentieux de l’administration) servait de base à retenir la responsabilité sur la base de la faute présumée. En effet, ce décret qui stipulait dans son article 1er que l’administration peut être déclarée débitrice à raison de « toute acte ayant, sans droit porté préjudice à autrui » servait de fondement à la responsabilité pour faute présumée. Ainsi, le tribunal rappelait systématiquement cette lecture du décret de 1888 dans les termes suivants : « Considérant que, contrairement aux arguments avancés par le ministère de la Santé Publique, la responsabilité basée sur la présomption de la faute n’est pas en contradiction avec les données de 38 39 T.A. 16 avril 1999, Héritiers Yaccoubi, op. cit. L’année ou la justice administrative a connu l’une des réformes les plus importantes, par les lois n°96-38 ; 96-39 et 96-40 du 3 juin 1996. 297 l’article 1er du décret du 27 novembre 1888, tant qu’elle reste fondée sur la faute »40. De même, ce fondement (la présomption) demeure toujours valable après l’abrogation du décret de 1888 41. En effet, l’article 17 nouveau de la loi n°72-40 du 1er juin 1972 stipule que « les chambres de première instance sont compétentes pour statuer…sur les recours tendant à déclarer l’administration débitrice … à raison de son action administrative illégale… ». Ainsi, l’expression « action administrative illégale » a remplacé l’expression « sans droit » et constitue de ce fait le fondement de la présomption de la faute 42. En retenant la responsabilité de l’administration sur la base de la faute présumée, le juge administratif a procédé à un système de la faute plus allégé, ainsi, il a opté pour une conception souple de l’acte fautif (1) et il renversé la charge de la preuve (2). 1) Une conception souple de l’acte fautif et de son auteur La présomption de la faute a pour effet de permettre une conception plus souple de l’acte fautif et de son auteur. Ainsi, la responsabilité du service hospitalier fondée sur la faute présumée est établie « sans que l’agissement fautif ne soit désigné ni que soit recherché l’auteur de la faute à l’intérieur du service » 43. 40 41 42 43 T.A app. 16 avril 1999, affaire du sang contaminé, mais aussi dans toutes les affaires où le TA a retenu la responsabilité pour faute présumée : T.A app. 31 décembre 1993, Hafsi, TA 24 janvier 1997, ministre de la Santé Publique c/ Mlaess, TA app. 3 juillet 1997, ministre de la Santé Publique c/ Farhat, TA. app. 7 octobre 1996 ministre de la Santé Publique c/ Chebbi… En effet, l’article 4 de la loi n°96-39 du 3 juin 1996, modifiant et complétant la loi n°72-40 du 1er juin 172 relative au Tribunal Administratif. Voir à ce niveau les décisions rendues par le T.A, 3ème chambre de 1ère instance du 13 juillet 2001, les affaires n°16330, Heritiers Ben Kmicha c/ ministre de la Santé Publique et n°16874 Mathlouthi c/ ministre de la Santé Publique. De même, T.A. 29 décembre 2000, aff. n°16068 Rifat Eddine Echikh c/ ministre de la Santé Publique et les établissement de santé Fattouma Bourguiba (Monastir) et Sahloul (Sousse). Tous des arrêts inédits. T.A. 24 janvier 1997, Mlaess, op. cit. 298 La responsabilité de l’administration est retenue et ce « quelque soit la cause du dommage occasionné à l’intérieur des établissements hospitaliers et quelque soit la qualité de l’agent public générateur de la faute, personnelle soit elle » 44. Dans ce cadre le droit polonais consacre une notion fort intéressante et significative, à savoir « la faute anonyme ». Notion qui a été consacrée, voire inventée par la jurisprudence de la Cour Suprême dans son arrêt du 21 novembre 1974 45. Ainsi, la présomption de la faute a pour effet de rendre inutile de rechercher une faute personnelle 46. Si le comportement fautif importe peu, et si de même l’auteur de la faute importe peu aussi, sur quel élément la responsabilité de l’Etat sera-t-elle engagée ? et par ricochet, les deniers publics qui serviront à indemniser les victimes des dommages médicaux. Il semble que le juge administratif a recours à la présomption de faute lorsqu’il ne sait pas ou ne peut pas (souvent ne veut pas) savoir ce qui s’est passé exactement. Il se base sur le résultat des actes médicaux produits à l’intérieur d’un service public hospitalier par un agent public. A ce niveau, le Tribunal Administratif décide que « la responsabilité de l’Etat est retenue sur la base de la faute présumée chaque fois qu’un patient est victime d’un préjudice dont le degré de gravité ne saurait découler de la cause pour laquelle il a été hospitalisé ou de l’examen qu’il a subi »47. Celle attitude rappelle en fait celle du juge J-L. 44 45 46 47 T.A. 3 juillet 1997, Farhat, op. cit. Selon la cour « s’il est difficile d’établir quel est le fonctionnaire de l’établissement qui est coupable ou fautif, mais qu’il est évident que la négligence a eu lieu dans cet établissement, c’est que l’on appelle la faute anonyme et c’est la responsabilité du Trésor Public de l’Etat qui est engagée ». E. Skrzydko-Tefelska, Le problème juridique du Sida en Pologne, in Droit et Sida, op. cit. p. 349. Selon le T.A. « rechercher une faute personnelle dans cette affaire n’est pas nécessaire puisque la responsabilité de l’administration se trouve engagée sur la base de la présomption de faute ». T.A. 24 janvier 1997, Mlaess, op. cit. et T.A. 29 décembre 2000, aff. n°16068 Rifat Eddine Echikh c/ ministre de la Santé Publique et les établissement de santé Fattouma Bourguiba (Monastir) et Sahloul (Sousse), inédit Cet attendu est presque constant dans les décisions ou le T.A a retenu la responsabilité sur la base de la faute présumée, et notamment T.A. app. 31 décembre 1993, Hafsi, op. cit. et T.A. 3ème chambre de 1ère instance 29 décembre 299 Duvillard, dans sa note sur le jugement rendu par le Tribunal administratif de Paris le 11 janvier 1991, « quant on entre à l’hôpital pour une coxarthrose et qu’on en ressort avec le Sida, la preuve d’une faute de service est apportée » 48. Sur cette base, et dans toutes les affaires relatives à la responsabilité médicale, le juge administratif commence par rappeler l’existence d’un dommage causé par des actes médicaux et ce quelque soit la cause du préjudice et quelque soit la qualité de l’agent public générateur du fait dommageable 49. Pourquoi présumer la faute lorsque le préjudice est grave et ne converge pas avec les causes de l’hospitalisation ? Il semble que le juge administratif retient l’idée relative aux conditions de travail dans les établissements publics hospitaliers et notamment dans un pays dont les moyens médicaux demeurent limités devant le nombre de patients et la nécessité des soins. Il ne cesse de rappeler en effet, que « nombreuses sont les irrégularités graves qui sont observées lors du déroulement des activités du service hospitalier, irrégularités qui consistent en un manque en médicaments, en personnel, une durée excessive d’attente… »50. Il en est de même pour ce qui est du « manque en moyens de précaution nécessaires d’évaluation… l’absence de médecins… » 51. Ces irrégularités qui peuvent causer la mort du patient ou lui causer des séquelles neurologiques graves deviennent d’une gravité alarmante lorsqu’il s’agit de vérifier la qualité du sang à transfuser et notamment les produits dérivés importés. Ainsi, les irrégularités et les carences qui caractérisent le service hospitalier 48 49 50 51 2000, aff. n°16068 Rifat Eddine Echikh c/ ministre de la Santé Publique et les établissement de santé Fattouma Bourguiba (Monastir) et Sahloul (Sousse), inédit A.J.D.A. 2 0 janvier 1992, jurisprudence, p. 87. Dans le cadre de l’affaire du sang contaminé le T.A. a commencé par un constat évident : la contamination par le VIH est la cause qui a entraîné le décès de la victime. T.A, 16 avril 1999, op. cit. De même, le Tribunal administratif de Paris, dans une décision du 11 janvier 1991 (AJDA, 1992, p. 85.), était la première juridiction administrative à accepter la réparation d’un préjudice résultant de la contamination par le VIH, et ce en présumant une faute dans l’organisation et le fonctionnement du service public hospitalier. Voir à ce niveau, Fabrice Leclere, Le juge administratif face au Side, LPA, n°21 du 17 février 1995. T.A. 17 juin 1996, ministre de la Santé Publique c/ M. Arfaoui. T.A. 8 juillet 1996, Bouchoucha, op. cit. 300 permettent au juge de présumer la faute dans les actes de soins qu’il assure et qui causent des préjudices graves aux patients, ces derniers, et devant la particularité de leurs rapports avec les établissements de soins demeurent dans l’incapacité de prouver la faute ou de déterminer l’agent générateur du fait dommageable. 1) Un renversement de la charge de la preuve La conséquence la plus importante du système de la présomption de la faute est le déplacement de la charge de la preuve. En effet, dans un système de faute, la charge de la preuve incombe au demandeur (victime de l’acte médical) et non à l’établissement hospitalier. Mais, vu la nature de la relation entre le patient et l’hôpital, le mode de fonctionnement et l’organisation des établissements de soins, la volonté du juge s’est vue orientée vers l’assouplissement des règles de la preuve en matière du sang contaminé. Quant à la victime, ou ses ayant droits, il ne sont pas tenus de présenter des éléments précis et suffisants pour asseoir la conviction du juge qui reconnaît souvent « l’impossibilité pour la victime de rapporter la preuve d’une faute commise par le service hospitalier, ainsi la responsabilité de l’administration sera retenu pour faute présumée » 52.Ce qui incombe à la victime c’est notamment la preuve d’un dommage et que ce dernier avait été occasionné dans l’établissement hospitalier. Il s’agit en fait d’une preuve libre, mais en l’absence de preuve le juge est amené à rejeter la demande. Cependant, le défaut de prouver la faute ne signifie pas qu’une faute n’a pas été commise. Il incombe donc à l’administration de prouver qu’aucune faute n’a été liée à ses actes médicaux. Le renversement de la charge de la preuve a été consacrée par toutes les juridictions qui ont retenu la responsabilité sur le terrain de la faute présumée. En effet, les premières décisions des tribunaux français ont retenu la responsabilité de l’Etat en matière de sang contaminé sur la 52 T.A. 3ème chambre de 1ère instance 29 décembre 2000, aff. n°16068 Rifat Eddine Echikh c/ ministre de la Santé Publique et les établissement de santé Fattouma Bourguiba (Monastir) et Sahloul (Sousse), inédit et T.A. app. 31 décembre 1993, Hafsi, op. cit. 301 base du système de la présomption 53. Il en est de même pour la Cour Fédérale de Justice en Allemagne qui a abouti à un renversement de la charge de la preuve. Ainsi, la personne contaminée ne doit pas voir imposer la charge de prouver que le produit utilisé était contaminé, mais c’est au contraire, le fabricant de produits sanguins qui doit apporter la preuve que le produit utilisé n’était pas contaminé 54. Il relève donc, de la responsabilité de l’administration de procéder à « infirmer, sérieusement la présomption de sa faute dans la contamination de la victime par le virus du Sida »55. Pour ce faire, l’administration doit « démontrer que toutes les mesures de prévention et de sécurité ont été prises correctement afin d’éviter le dommage dont a été victime le demandeur et ce pour pouvoir se décharger de la responsabilité »56. Le juge administratif retient donc la responsabilité de l’administration toutefois que cette dernière n’a pas su prouver son « innocence ». Le système de la présomption de la faute semble être conçu essentiellement pour un souci d’indemnisation des victimes, souci qui se renforce d’avantage avec la présomption de lien de causalité entre le dommage subi et l’acte de soin. 53 54 55 56 Tribunal administratif de Paris, 11 janvier 1991, op. cit. W. Bottke, Sida et Droit en République Fédérale d’Allemagne, op. cit. p. 40. T.A. 16 avril 1999, op. cit. T.A. 31 décembre 1993, Hafsi, op. cit. 302 DEUXIEME PARTIE LA PRESOMPTION DE LA CAUSALITE BASE DE LA RESPONSABILITE DE L’ADMINISTRATION En matière de responsabilité médicale et précisément dans le cadre du sang contaminé, il existe une faute commise à l’occasion d’un service public, faute qui peut résulter d’un ou plusieurs actes de soin identifiés ou non. La victime demeure incapable de démontrer avec précision l’origine et l’auteur de la faute. Pour le patient l’établissement public hospitalier se présente comme une boîte noire. A ce niveau, le système de la présomption de la faute offre l’avantage de présumer le lien de causalité entre l’acte commis dans l’établissement de soins et le dommage subi par la victime. La présomption s’opère donc au niveau du déplacement de l’objet de la présomption : au lieu d’exiger la démonstration directe du lien de causalité, on se contente d’indices à partir desquels on présume l’existence de la causalité. Dans l’affaire du sang contaminé le Tribunal Administratif décidait que «la présomption de contamination de la victime par le virus du Sida a été renforcée par la dissimulation de son dossier et le refus de l’administration de le communiquer aux experts désignés par la cour » 57. Cet élément n’est qu’un indice parmi d’autres qui prouvent l’existence du lien de causalité entre la contamination par le VIH et la transfusion sanguine subie par la victime. Le tribunal retient donc la méthode de l’équivalence des conditions. Ainsi, « le décès a été secondaire à la contamination par le virus du Sida », « la contamination a été secondaire à la transfusion sanguine qu’a subie la victime lors d’une intervention chirurgicale en avril 1986 » et ce « une année après l’importation du sang contaminé et notamment le Facteur VIII, auprès d’un institut français » de même que le « ministre de la Santé Publique a reconnu 57 T. A. 16 avril 1999, op. cit. 303 l’existence de 12 cas de contamination par le sang importé dont 3 ont déjà trouvé la mort» 58 . Ces conditions retenues par le juge sont de nature à consolider le système de la présomption et notamment au niveau des dates retenues pour la contamination (A), mais la présomption demeure fragilisée par les causes d’exonération de la responsabilité de l’administration (B). A- Le rôle des délais dans la présomption de la contamination par le VIH Sur la base des rapports médicaux, le T.A. retint avec une certaine nuance que « la contamination de la victime remonte probablement à sa transfusion au sein de l’établissement public hospitalier en avril 1986 ». Cette présomption qui figure dans deux certificats médicaux délivrés par des médecins de la Santé Publique (médecins traitant de la victime) a permis au juge de trancher sur la date de la contamination à savoir 1986 (1). Par cette acceptation le T.A. rejette l’argument de l’administration qui soutenait que même s’il s’agit d’une contamination par le VIH elle aurait dû être passée lors de l’opération qu’avait subie la victime en novembre 1989, mais être contaminé en novembre ne saurait entraîner la mort un mois après. Mais peut-on voir dans la contamination de 1989 une sur contamination ? (2) 1- Retenir 1986 une date de la contamination par le VIH Il ressort de la décision du T.A. du 16 avril 1999, que la contamination de la victime par le VIH survenue en avril 1986 s’inscrit dans une période de contamination et de ce fait dans une période de responsabilité de l’administration. On s’interroge ainsi, sur l’étendue de cette période, à partir de quelle date on peut présumer la contamination ? et par ricochet, jusqu’à quelle date la présomption est valable ? L’examen de la décision de 1999, permet de conclure que les dates retenues par le juge administratif sont fonction de l’importation des produits sanguins contaminés. « Il ressort de la déclaration du ministre 58 T. A. 16 avril 1999, ibidem. 304 de la Santé Publique que le ministère a importé un dérivé sanguin à savoir le Facteur VIII d’un institut français »59. Cette position du juge administratif permet d’apporter deux remarques, l’une est relative à l’origine du virus du Sida et l’autre est consacrée à la période de contamination. Quant à l’origine du virus du Sida, il s’agit d’une présomption, voire une certitude du juge, que le virus du Sida est d’origine étrangère, ou un produit importé. Ainsi, le Tribunal Administratif, rejoint l’argument du représentant de l’Etat qui prétend que « La Tunisie n’a connu le VIH que par sa proximité à l’Europe, où la maladie est très répandue ». Cette attitude ne permet donc de retenir que la responsabilité pour les produits sanguins importés des pays où il a été reconnu l’existence de sang contaminé. Quant à la détermination de la période de contamination, elle dépend de la période durant laquelle la Tunisie a procédé à l’importation de produits sanguins contaminés. Il importe donc de préciser la date de l’importation du sang contaminé et de vérifier la période de contamination dans le droit français et notamment la jurisprudence. Pour ce qui est de la période « juridique » de contamination par le VIH, elle représente une manifestation des rapports entre le Droit et la Science. En effet, le Droit a été amené à suivre une hésitation scientifique des plus importantes. A ce niveau, si la découverte de la maladie remonte à 1978, son identification n’a été possible qu’à partir de 1981, mais ce n’est qu’à partir de février 1983 que le virus a été découvert et ce n’est qu’à partir du 23 juillet 1985 que les tests permettant le dépistage du sang ont été agréés et que le dépistage a été rendu obligatoire 60. Mais de février 1983 au 23 juillet 1985 on savait déjà que le VIH se transmet entre autres par la voie de transfusion du sang et de ses 59 60 T. A. 16 avril 1999, op. cit. Il s’agit en fait de l’arrêté du 23 juillet 1983 modifiant celui du 17 mai 1976 et qui a rendu le dépistage du sang obligatoire. Le même texte a agréé le Test Elisa de dépistage des anticorps VIH, alors que le test Abbot a été agréé au Etats Unis d’Amérique le 2 mars 1985. 305 dérivés 61. C’est en effet, cet élément qui a permis au C.E de faire avancer la date de la contamination juridique par le VIH du 12 mars 1985 62 au 22 novembre 1984 63 et ce en raison du retard de l’Etat dans l’interdiction de l’utilisation des produits sanguins non chauffés 64. Mais peut-on remonter à une date plus avancée ? Au début de l’année 1983 par exemple 65, puisque la contamination était réelle dès le début des années 1980. A ce niveau, l’assemblée du Conseil d’Etat a estimé qu’au début de 1983, Les informations alors disponibles tant sur l’évolution de la maladie que sur les techniques susceptibles d’être utilisées pour éviter la transmission présentaient un caractère contradictoire et incertain, du fait que la communauté scientifique française et internationale est restée longtemps divisée sur les questions de la transmission du VIH par la transfusion sanguine et l’effet du chauffage des dérivés sanguins. Ces arguments peuvent conduire le Tribunal administratif en Tunisie à ne pas étendre la présomption de la contamination au delà des délais retenus par la jurisprudence du Conseil d’Etat français, sauf si la Tunisie a procédé à l’importation de produits sanguins auprès d’Etats qui reconnaissent la contamination du sang à des périodes autres que celles 61 62 63 64 65 Consulter pour ce qui est des dates et délais de la responsabilité du fait du sang contaminé par le VIH, Serge Daël, conclusions sur CE ass. 26 mai 1995, 3 espèces, Consorts N-Guyen, Jouan et Pavan, in RFDA, 11 (4) juillet-août 1995, pp. 748 et s. Selon le Tribunal administratif de Paris du 20 décembre 1991 et confirmé par la Cour administrative d’appel de Paris du 16 juin 1992, M.D., M.G. et M.B. voir conclusion Stahlberger, RFDA, 1992, p. 552. C.E ass. 9 avril 1993, M.D., M.G. et M.B. in AJDA, 20 mai 1993, pp. 381 et s. Alors que le 22 novembre 1984, le Dr. Brunet, épidémiologiste à la Direction Générale de Santé faisait une communication à la Commission Consultative de la transfusion sanguine d’où il ressortait que la transfusion était un mode privilégié de transmission du virus et que l’inactivation du virus par le chauffage des dérivés était prouvée. Comme le souhaitait les hémophiles dans leur requête devant le C.E dans les affaires jugées le 9 avril 1993. 306 retenues en France 66. Les dates ont donc une importance majeure dans la détermination de la période de contamination et par conséquence la responsabilité de l’administration. Mais dans l’affaire du sang contaminé devant le T.A., une autre date a été retenue par le juge mas et surtout par le représentant de l’Etat à savoir 1989. 2- En 1989 s’agit-il d’une sur contamination ? Dans l’affaire de 1999, le représentant de l’administration, en refusant que la contamination ait eu lieu en 1986, retient que si la contamination avait eu lieu lors de l’hospitalisation de la victime en 1989, elle ne saurait aucunement être la cause de son décès. Le virus du Sida, selon lui, ne tue pas un mois et demi après la contamination. Mais, le juge administratif a présumé que la contamination avait eu lieu en 1986 lors d’une première transfusion opérée sur la victime, et c’est elle qui a entraîné sa mort en décembre 1989, à savoir deux ans et huit mois après sa contamination. On se demande donc si la contamination de 1989 ne constituait pas une sur contamination de la victime par le virus du Sida ? A ce niveau, une retenu qu’il pouvait y contamination. Le juge a responsabilité médicale : 66 67 certaine jurisprudence judiciaire française a avoir un préjudice résultant de la sur utilisé un mécanisme fréquemment utilisé en la perte de chance 67. Cette idée de sur En Allemagne la Cour Fédérale de Justice a retenu toute l’année 1984 comme faisant partie de la période de contamination, puisque l’obligation de vigilance englobait en 1984 le dépistage du VIH dans les échantillons du sang. W. Bottke, op. cit. p. 39. En Australie, aucune responsabilité pour faute ne peut être retenue pour des actes commis antérieurement au mois d’avril 1983. D. Hirsch, Sida et Droit en Australie, in Droit et Sida, op. cit., p. 88. Aux Etats Unis d’Amérique, les juridictions ne retiennent que les contaminations qui ont eu lieu après 1985, puisque c’est à cette date que l’on a commençait à analyser systématiquement le sang collecté. Koszup c/ Georgetown Universty Hospital, 663 F. Supp. 1048 (D.D.C) 1987, cité par N. Lee Jones, Les différents aspects juridiques des problèmes posés par le Sida aux Etats Unis, in Droit et Sida op. cit. p. 53. Tribunal correctionnel de Paris, jugement du 23 octobre 1992 cité par J. Foyer et L. Khaïat, Droit et Sida : la situation française, in Droit et Sida, op. cit. p. 336. 307 contamination pourrait servir même ceux qui sont déjà contaminés lors d’une transfusion par du sang contenant le VIH. Il en est de même pour l’idée de perte de chance qui permettrait d’indemniser ceux qui sont déjà porteur du virus du Sida 68. Mais, le juge administratif tunisien n’avait pas à entrer dans des propos de cette nature tant qu’il a retenu la responsabilité de l’administration à partir de 1986. D’autant plus que la jurisprudence administrative française a considéré que « les conséquences physiologiques de la sur contamination des personnes déjà séropositives à la date du 12 mars 1985 sont, en l’état actuel des connaissances scientifiques totalement hypothétiques et que, par suite, le préjudice allégué de ce fait est purement éventuel et ne saurait ouvrir droit à réparation »69. Il en est de même pour le Conseil d’Etat qui n’avait pas besoin de trancher dans la mesure où les contaminations avaient été intervenues après le point de départ de la responsabilité de l’Etat 70. Les dates de contamination révèlent ainsi, la grande difficulté de toute preuve de la contamination par la transfusion sanguine et ce pour au moins quatre raisons : En premier lieu, il n’est pas facile pour les victimes d’apporter la preuve qu’elles n’étaient pas contaminées avant la transfusion dans la période de responsabilité de l’Etat. Ensuite, il n’est pas aisé d’établir quelle transfusion étaient à l’origine de la contamination, et ce en raison du manque dans les sérothèques où sont conservés les échantillons des produits sanguins administrés. Puis, il faut tenir compte de la période dite de séroconversion, pendant laquelle le virus, bien que présent dans l’organisme, n’est pas décelé par les tests de dépistage. Enfin, la contamination peut résulter de faits autres que la transfusion sanguine. Et c’est en effets ces éléments qui permettent de conclure que la 68 69 70 Le T.A a déjà retenu l’indemnisation pour perte de chance en matière médicale. Il s’agit en fait de la décision rendu en appel le 17 juin 1996, ministre de la Santé Publique c/ M. Arfaoui. « Considérant que la responsabilité de l’administration est retenue… vu les nombreuses et graves irrégularités observées… irrégularité ayant engendré une perte de chance de survie… » T.A. Paris, 20 décembre 1991, M.D., AJDA, 20 mai 1993, p. 348. C.E. ass. 9 avril 1993, op. cit. 308 présomption de causalité n’est qu’une présomption simple et en aucun cas irréfragable. D’où l’administration peut se décharger de sa responsabilité du fait du sang contaminés administré dans les établissements publics hospitaliers. B- Les causes exonératrices de la responsabilité de l’administration Dans la jurisprudence du Tribunal Administratif, en matière de responsabilité médicale, et pour que l’administration hospitalière arrive à se décharger de sa responsabilité il lui revient de « démontrer que toutes les mesures de prévention et de sécurité ont été prises correctement afin d’éviter le dommage subi par la victime. Le cas échéant, il faut démontrer qu’il y a eu une faute de la part de la victime, des circonstances exceptionnelles ou une force majeure qui ont engendré le dommage »71. Dans l’affaire du sang contaminé le représentant de l’Etat a soutenu que l’administration n’est pas responsable de la contamination de la victime par le VIH et que la contamination aurait résulté du comportement de la victime ou de son mode de vie, qui peut être qualifié de comportement à risque. Cet élément révèle ainsi, que la présomption de la contamination n’est que simple et que l’administration peut apporter la preuve de son irresponsabilité en prouvant qu’elle a bien mené sa tâche (1), que la contamination est inhérente à une cause étrangère (2) ou enfin, que la contamination est le fait de la victime (3) 1- L’administration aurait dû prouver qu’elle a pris toutes les mesures nécessaires Pour pouvoir s’exonérer de sa responsabilité, l’administration doit apporter la preuve qu’elle a pris correctement toutes les mesures nécessaires de prévention et de sécurité afin d’éviter le dommage subi. 71 Ce considérant figure dans un grand nombre de décisions rendues par le Tribunal Administratif en matière de responsabilité médicale. Nous citons à titre d’exemple : T.A. app. 31 décembre 1993, Hafsi, T.A. 3 juillet 1997, Farhat, T.A 3ème chambre de 1ère instance, aff. n°16068 du 29 décembre 2000, R. Echikh, op. cit. 309 Mais dans l’affaire du sang contaminé l’administration n’a pas procéder à prouver cet élément, mais au contraire, le représentant de l’Etat reconnaît qu’en 1986 la Tunisie importait déjà le Facteur VIII auprès d’un établissement français. De même, le ministre de la Santé reconnaît les mêmes faits en ajoutant qu’il en a résulté 12 cas de contamination dont trois décès. La reconnaissance de ces faits ne saurait exonérer l’administration de sa responsabilité du fait de l’utilisation du sang contaminé. En effet, importer du sang contenant le virus du Sida d’un pays, qui reconnaît lui même la contamination des ses réserves sanguines ne peut être une cause exonératrice de responsabilité. Rappelons toutefois qu’en 1986 l’affaire du sang contaminé a pris un élan médiatique et ce dans le milieu scientifique et médical ainsi que dans la presse. L’administration, en important du sang contaminé ne peut pas prétendre avoir pris « toutes les mesures de précaution et de sécurité afin d’éviter le dommage subi par la victime »72. Au contraire, aucune mesure n’a été correctement prise. D’autant plus que la législation tunisienne de l’époque imposait le contrôle de l’innocuité du sang et ses dérivés. Ainsi, l’article 8 da la loi n°82-26 du 1 mars 1982 relative à la transfusion sanguine 73, imposait « le contrôle de l’innocuité du sang et ses dérivés et de garantir leur qualité… ». Il en est de même, pour le décret n°83-967 du 20 octobre 1982 74, relatif aux établissements de transfusion sanguine, applicable à l’époque, et qui imposait à ces établissements de contrôler la qualité du sang et de ses dérivés. Ainsi, et selon ce décret les établissements de transfusion ont le monopole des opérations de collecte du sang et ont pour mission d’assurer le contrôle médical des prélèvements, le traitement, le conditionnement et la fourniture aux utilisateurs des produits sanguins 75. 72 73 74 75 Pour reprendre les termes du juge administratif lui même. JORT n°19 du 19 mars 1982. JORT n°69 du 28 octobre 1983, tel que modifié par le décret n°92-116 du 13 janvier 1992 et abrogé aujourd’hui par le décret n°98-18 du 5 janvier 1998, JORT n°5 du 16 janvier 1998. Les article 6 et s. du décret n°83-967 du 20 octobre 1983, op. cit. 310 C’est en fait et sur la base d’éléments de cette nature que le Conseil d’Etat français a retenu en assemblée la responsabilité des centres de transfusion sanguine, qui doivent veiller à la qualité du sang et de ses dérivés. S’agit-il donc, d’un fait de tiers, étranger à l’administration, et par conséquent lui permettant de se décharger de sa responsabilité du fait du sang contaminé par le VIH ? 2- De la responsabilité d’un tiers : les centres de transfusion sanguine Au moment de la contamination, c’était le Centre National de Transfusion Sanguine 76, établissement public administratif, doté de la personnalité juridique et d’un budget rattaché pour ordre au budget de l’Etat, qui détenait le monopole de la collecte, du contrôle et de la distribution du sang et dérivés. Ces mêmes considération ont amené le Conseil d’Etat français à décidé « qu’en vertu des dispositions de la loi du 21 juillet 1952 modifiée par la loi du 2 août 1961, les centres de transfusion sanguine ont le monopole des opérations de collecte du sang et ont pour mission d’assurer le contrôle médicale des prélèvements, le traitement, le conditionnement… qu’eu égard, tant à la mission qui leur est ainsi confiée par la loi qu’aux risques que présentent la fourniture de produits sanguins, les centres de transfusion sont responsables même en l’absence de faute, des conséquences dommageables et de la mauvaise qualité des produits fournis… »77. Ainsi, ayant le monopole de la transfusion sanguine au niveau de la collecte, du contrôle et de la fourniture, les centres de transfusion demeurent responsables des dommages causés par le sang qu’ils gardent et qu’ils fournissent aux hôpitaux. Mais, ces centres pourraient-ils se baser sur le fait de tiers, notamment l’importation du sang contaminé, pour se décharger de leur responsabilité ? 76 77 Créé par l’article 14 de la loi n°63-58 du 31 décembre 1963, portant loi de finances pour l’année 1964, JORT du 31 décembre 1963. C.E. ass. 26 mai 1995, 3 espèces , RFDA, 11 (4) juillet- août 1995, pp. 763 et s. 311 A ce niveau, la victime n’est pas dotée des moyens juridiques nécessaires pour porter plainte conte un organisme étranger. Rappelons aussi que le centre de transfusion est l’importateur du sang et chargé par la loi de veiller à contrôler la qualité des produits qu’il détient même si ces derniers sont de fabrication étrangère. Ces propos ont conduit certains droit comparés, autre que français à retenir un fondement objectif à la responsabilité des centres de transfusion sanguine, à savoir la responsabilité du fait de produits. Au Pays Bas, les juridictions, dans l’affaire du sang contaminé portée devant elles à l’automne 1989, appliquent l’article 1407 a à j du code civil qui stipule que « le producteur est responsable de ses produits sauf en cas d’usage contraire…» et sur cette base on a déclaré le centre de transfusion responsable de la contamination de la victime par le VIH 78. Il en était de même en Argentine où la responsabilité en matière de contamination par le VIH contenu dans le sang transfusé, a été retenue sur la base de l’article 1113 2ème § du code civil, relatif à la responsabilité « du fait des choses » 79. Enfin, si l’administration ne peut pas se prévaloir d’un fait de tiers pour se décharger de sa responsabilité, serait-elle en mesure de prouver la faute de la victime ? 3- La faute de la victime ou son comportement à risque Selon le représentant de l’administration « la propagation de la maladie du Sida en Europe remonte à deux facteurs principaux : l’homosexualité et l’injection des stupéfiants, et il est probable que la victime a été contaminée par l’un de ces moyens »80. Mais le juge administratif n’a pas retenu cet argument et ne lui a apporté aucune réponse directe du fait qu’il a retenu la responsabilité de l’administration et l’absence de faute de la part de la victime. Alors qu’en droit comparé 78 79 80 Dineke Zeegers, Droit et Sida : perspectives aux Pays-Bas, in Droit et Sida, op. cit. pp. 327 et s. M. Minersky et autres, La problématique du Sida en Argentine, op. cit. p. 50. T.A. 16 avril 1999, héritiers Yaccoubi, op. cit. 312 le mode de vie de la victime joue un rôle important dans l’évaluation de la responsabilité du fait de la contamination par le VIH. En effet, le comportement de la victime a fait l’objet d’un ensemble de décisions rendues par les juridictions comparées et notamment françaises. A ce niveau, la première position du juge administratif remonte à un jugement rendu à Paris le 20 décembre 1990. Dans cette décision la présomption de causalité n’apparaît pas son limites. En effet, la preuve pourrait être rapportée de « l’existence de symptômes pathologiques antérieurs, évocateurs d’un syndrome de primo-infection VIH permettant de conclure à une séropositivité acquise antérieurement à celle révélée par le test de dépistage » 81. L’existence de ses symptômes témoignent d’une attitude à risque de la part de la victime qui doit apporter la preuve de l’absence d’un comportement à risque dans sa vie. Telles que l’absence de relations sexuelles avec des personnes susceptibles d’être contaminées, l’absence de voyages dans des secteurs géographiques à forte endémie, « l’absence d’autres infections à cytomégalovirus par ou à virus de l’hépatite B. fréquemment retrouvés associés à l’anti VIH parmi les populations à risque » 82. Ainsi, la présomption de causalité sera beaucoup moins forte, voire s’effacera lorsque la séropositivité apparaît chez un sujet appartenant à ce que l’on appelle parfois un groupe « à risque » 83. Ainsi, et comme le fait remarquer J-L. Duvillard, « on peut raisonnablement penser que, sur le plan de la consistance du lien de causalité, le juge sera moins exigent de la part d’un hémophile subissant en permanence des transfusions de produits sanguins que de la part d’un transfusé occasionnel, par ailleurs toxicomane » 84. Cette notion de groupe à risque a soulevé une vive critique au niveau de la doctrine. En effet, la dénomination de « groupe à risque » n’est pas appropriée parce qu’il est plus correct de parler de « conduites à 81 82 83 84 Tribunal administratif de Paris, 20 décembre 1990, M. D., B., G., in RFDA 1992, p. 552, concl. E. Stahlberger. J. Foyer et L. Khaïat, op. cit. 236. Ch. Debouy, La responsabilité de l’administration du fait de la contamination par le virus du sida, JCP, 1993, p. 56. J-L. Duvillard, note sous Tribunal administratif Paris, 11 janvier 1991, AJDA, 1992, spéc. P. 87. 313 risque » qui peuvent résulter d’un acte d’une personne n’appartenant pas aux groupes en cause 85. Rappelons tout de même que c’est à l’administration d’apporter la preuve de l’appartenance de la victime à un groupe à risque et que ce mode de vie était à l’origine de sa contamination par le virus du Sida. Ce qui ne semble pas une mission aisée. Devant la difficulté de prouver le lien de causalité, la tendance s’est orientée vers l’acceptation du système de présomption. Ce qui a fait l’objet d’une excellente démonstration dans les conclusions du Commissaire du gouvernement, E. Stahlberger, dans le cadre de l’affaire jugée par le Tribunal administratif de Paris le 20 décembre 1990. Dans ses conclusions nous pouvons lire que « c’est donc une présomption de lien de causalité que nous vous invitons à retenir chaque fois que le dossier et essentiellement le rapport d’expertise médicale où les certificats médicaux, s’ils sont suffisants, pourront établir avec une certitude suffisante que a séroconversion… est directement liée à une transfusion que la victime a subie pendant la période de responsabilité de l’Etat »86. Et c’est ce que le Tribunal Administratif tunisien a retenu lors de la première affaire relative au sang contaminé par le virus du Sida, le 16 avril 1999. 85 86 N. Minersky et autres, la problématique du Sida en argentine, op. cit. p. 48. RFDA, 1992, p. 552. 314 CONCLUSION « Il ressort du dossier de l’affaire que le décès de la victime a été secondaire à sa contamination par le Virus de l’Immunodéficience Humaine (SIDA) » 87. Ainsi, même si la faute est anonyme, non individualisée, même si le lien de causalité n’est qu’indirectement établi à travers un ensemble d’indices : la certitude c’est que le dommage a eu lieu, et c’est un dommage de taille : le virus du Sida synonyme de la souffrance et d’une mort certaine. Ainsi, le problème de la causalité « perd tout son intérêt. Seul compte le dommage lui même » 88. La présomption de la faute et du lien de causalité, même si on la présente comme un système favorable à la victime, demeure un système lacunaire. En effet, « une présomption peut normalement être combattue par la preuve contraire. Mais on se demande comment elle pourra l’être jamais. On passe d’un système de faute improuvable à un système de présomption en fait irréfragable, on frôle ainsi le risque »89. De même, le système de la présomption, résume aussi une certaine contradiction. En effet, et pour reprendre les propos du commissaire du gouvernement S. Daël, avec un terrain juridique qui est celui de la faute présumée on débouche en réalité sur les effets de la responsabilité sans faute « assortie d’une certaine censure morale » 90. Or dans la mesure même où il est certain qu’en la matière le produit peut être vicié alors même qu’aucune faute n’a été commise, il peut paraître injuste de présumer une faute. Pour mettre terme à cette hypocrisie juridique, il convient d’explorer le champ de la responsabilité sans faute. Pour rejoindre une certaine jurisprudence française qui a retenu la responsabilité hospitalière 87 88 89 90 T.A. aff n°21926 du 16 avril 1999, ministre de la Santé Publique c/ Héritiers Yaccoubi, non publié. C. Bréchon-Moulènes, Les régimes législatifs de responsabilité publique, LGDJ, 1974, p. 134. Fornacciari, concl. Sur C.E. Bailly, 1er mars 1989, Leb. p. 908. S. Daël, concl. sur C.E. ass. 26 mai 1995, RFDA 11 (4) juillet-août 1995, p. 756. 315 en matière d’acte médical en général 91 et en matière de contamination par le virus du Sida en particulier 92, sur le terrain du risque et non plus sur celui de la faute, prouvée ou présumée. Ce fondement, le risque, a été retenu par la loi française du 31 décembre 1991 portant dispositions diverses d’ordre social et qui a créé le Fonds d’Indemnisation des victimes du sang contaminé. Cette loi a remis en case le fondement de la responsabilité et a permis une indemnisation sur la base du risque 93. Ce risque une fois connu par les établissements hospitaliers, ils font courir à leurs usagers « un risque de contamination dont les conséquences excèdent très largement les limites de celles qui résultent normalement de leur activité, de tels risques sont de nature, en cas d’inoculation accidentelle du virus du Sida, à engager indépendamment de toute faute la responsabilité des services publics hospitaliers »94. En déplaçant la responsabilité de l’administration du terrain de la faute (prouvée ou présumée) au terrain du risque, on introduit ainsi un changement considérable dans le droit de la responsabilité hospitalière du fait des actes médicaux , en général et la contamination par le VIH en particulier. 91 92 93 94 C.A.A. Lyon, 21 décembre 1990, Consorts Gomez, AJDA, 1991, p. 167, chron. Jonguelet et Loloum, JCP, 1991, II. 21 698, note Moreau ; D. Chabaud, Vues nouvelles sur la responsabilité hospitalière, G.P. 21-23, juillet 1991. T.A. Marseille, 6 juin 1991, Consorts Nothelfer c/ A.A. P.M- CH de Toulon. Art. 47-IV, loi du 31 décembre 1991. T.A. Marseille, 6 juin 1991, Consorts Nothelfer. 316