Que dire à un patient atteint de la maladie de Huntington ? (Iere partie)

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L’éthique
au quotidien
Que dire à un patient atteint
de maladie de Huntington ? (I partie)
ère
A.C. Bachoud-Lévi*
Aucun traitement de la
maladie de Huntington
a maladie de Huntington est une maladie neurodégénén’est validé actuellement,
rative génétique, autosomique dominante à pénétrance
en dépit d’une recherche
intensive destinée à élucicomplète. Elle provoque inexorablement, à partir du
d e r l e s m é c a n i s m e s déclenchement des signes cliniques, une détérioration intelLa première chose à
conduisant à la mort neulectuelle,
des
désordres
moteurs
et
des
troubles
prendre en compte, c’est le
ronale dans le striatum.
caractère génétique de la
psychiatriques
sévères.
Elle
débute
à
tout
âge
mais,
préféPourtant, si les réponses
maladie. Dans la plupart
rentiellement,
autour
de
30-40
ans,
c’est-à-dire
qu’elle
aux attentes des patients
des cas, les patients ont vu
restent un problème pour atteint des adultes jeunes, en pleine activité professionnelle
leurs proches (parents, frales cliniciens qui doivent et qui ont souvent des enfants en bas âge à élever. L’issue de
trie, cousins) en mourir. Ils
faire face au pronostic de
la maladie est fatale en 10 à 20 ans, le malade
savent donc quelles peula maladie et à l’absence
vent être les conditions de
s’éteignant – souvent par cachexie – dans un tableau de
de traitement curatif validé, le paysage a considé- rigidité posturale et de démence (1). Elle requiert une prise fin de vie. Ils ont l’angoisrablement évolué depuis en charge médicale, psychiatrique et sociale majeure avec se de la grabatisation et de
la mort en institution,
la découverte du gène.
placement en institution des sujets jeunes et, du fait de son inutile d’en rajouter et de
Contrairement à ce qui est
caractère génétique, elle impose soutien et soin des
noircir le tableau. Bien
écrit, il y a moyen d’améqu’ils se présentent souproches
de
la
famille.
Elle
représente
ainsi,
malgré
le
liorer l’état des patients
atteints de maladie de nombre modéré de patients atteints en France, un véritable vent à la recherche d’un
verdict, les patients
Huntington, et le caractèproblème de santé publique du fait des placements
connaissent l’existence
re inexorable de l’évoluprécoces
et
des
comportements
souvent
agressifs
des
d’essais thérapeutiques, et
tion peut être inversé tempatients.
Le
gène
responsable
de
la
maladie
a
été
localisé
leur objectif est avant tout
porairement par une
d’être rassurés et orientés
en 1993 sur le bras court du chromosome et le défaut
bonne prise en charge. La
question reste évidemmoléculaire révélé sous la forme de la multiplication d’une sur les possibilités de soins
qu’on peut leur apporter.
ment de savoir jusqu’à
séquence répétée de type CAG dans un gène (IT15)
Le choc du diagnostic
quelle durée ce temporaicodant pour une protéine appelée “huntingtine”, dont l’ac- génétique doit être atténué
re peut s’étendre… mais
tivité est actuellement encore inconnue, même si l’on soup- par une préparation en
tout bénéfice est forcéconsultation spécialisée
ment bien pris par le
çonne son intervention dans certaines voies liées à
(quand il s’agit de diagnospatient, sa famille et ses
l’apoptose (2).
tic prédictif), ou par le
médecins. Par ailleurs,
neurologue aidé par un
l’espoir de pouvoir traiter
psychiatre ou un psychoun jour cette maladie se
rapeutiques en France et à l’étranger, et la
logue si nécessaire, et, dans tous les cas,
profile au travers des différents essais thémanière de percevoir les patients et la
par le maintien d’un suivi serré une fois
maladie s’est donc transformée avec l’apque le diagnostic est connu. Même inforparition notamment de consultations spémés de leur diagnostic, les patients mettent
cialisées.
souvent en œuvre des mécanismes de
défense (déni partiel, rationalisation des
L’expérience du terrain et les informations
* Service de neurologie,
tirées de la littérature permettent de dégager
symptômes) qu’il convient de ne pas soushôpital Henri-Mondor
quelques pistes concrètes de prise en charge.
estimer.
et Inserm U421, Créteil.
Choc diagnostique
et réaménagements
quotidiens
L
Act. Méd. Int. - Neurologie (1) n° 5, octobre 2000
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Le caractère familial de la maladie impose
de prendre en compte non seulement les
patients mais aussi leurs familles. Un certain nombre d’informations répondant à
leurs demandes doivent être fournies au fil
des consultations. Les angoisses concernant
la maladie doivent être abordées explicitement. Les patients les exprimeront rarement
d’eux-mêmes si on ne les y incite pas. Ils
doivent savoir qu’une amélioration est possible par une prise en charge globale et
structurée. L’efficacité de cette prise en
charge repose sur l’explication claire des
symptômes et du projet thérapeutique et sur
la participation active des patients à ce projet.
Très concrètement, le neurologue traitant
aura à gérer un certain nombre de difficultés
d’ordre psychologique, au premier rang desquelles on retrouve fréquemment les problèmes liés aux secrets familiaux, à la culpabilité, à l’anticipation péjorative de la
maladie et à la honte. D’autres mécanismes
peuvent être évidemment en jeu et doivent
être analysés et traités individuellement.
Le secret de l’existence de la maladie de
Huntington dans la famille est particulièrement fréquent et dévastateur. Il est indispensable d’en démêler les fils et d’en discerner
les effets afin de juguler les conflits familiaux qui en découlent ou qui vont forcément en découler.
La culpabilité ressentie du portage du gène
et de sa transmission éventuelle aux descendants alourdit le sentiment de fatalité et de
malédiction.
L’anticipation péjorative de leur avenir en
référence à ce qu’ils ont vu ou connu de
leurs parents et de leurs proches est l’une
des causes majeures d’anxiété ou de dépression chez les patients. Il est donc primordial,
à l’initiation de la prise en charge, de comprendre à quelles réalités ont été confrontés
les patients et ce qu’ils savent réellement de
la maladie. Peu à peu, il va falloir les amener à dissocier leur avenir de celui des
proches atteints, sachant qu’au sein d’une
même fratrie, certains patients peuvent avoir
des débuts plus ou moins précoces ou des
formes plus ou moins psychiatriques, cognitives ou neurologiques. Il ne faut pas hésiter
à accepter l’idée que la maladie est “terrifiante” et “inacceptable”, et qu’il est donc
normal d’être terrorisé. À charge pour nous,
ensuite, de juguler la réaction de catastrophe
et de recadrer les soins pour conduire les
patients à reprendre leur vie, admettre leur
maladie, et se rappeler qu’ils ont une vie en
dehors du Huntington. Une des angoisses à
ce sujet est, pour des patients peu ou non
symptomatiques, de savoir quand le “compte à rebours” va commencer. La médecine
n’est pas une science divinatoire, et même si
des statistiques sérieuses montrent une corrélation entre l’âge de début et le nombre de
codons, il existe un certain nombre de
formes tardives comportant le même
nombre de codons que des formes débutant
vers 35-45 ans. Il est vraisemblable que,
outre le nombre de codons, d’autres facteurs, dont des gènes modificateurs, peuvent
expliquer la variabilité d’expression phénotypique (âge de début, nature des manifestations…). La prudence suggère donc de ne
pas se hasarder à des pronostics sur l’évolution individuelle des patients. Il faut leur
expliquer les lacunes de nos connaissances
dans ce domaine.
La honte, souvent associée au portage du
gène, est encore renforcée par le regard des
autres lorsque les mouvements deviennent
trop importants. Parfois, le patient est
confronté à des réalités pénibles (contrôle
des papiers pour “ivresse”) et des humiliations qu’il convient de contrecarrer par des
certificats circonstanciés dont le patient
peut se munir lorsqu’il se promène dans la
rue. Il faut toutefois rester prudent, car l’alcoolisme est assez répandu parmi les
patients.
La prise en charge
des symptômes
La maladie de Huntington s’organise autour
de trois grands pôles symptomatiques :
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moteur, psychiatrique et cognitif, mais
d’autres symptômes sont répertoriés. C’est
pourquoi la vision du patient doit être globale et, si possible, la prise en charge réalisée par des équipes multidisciplinaires ou
des réseaux de correspondants entraînés,
avec pour chaque type d’atteinte une orientation thérapeutique spécifique.
La maladie et la prise en charge vont durer
longtemps, il faut donc aider les patients à
structurer l’organisation de leur quotidien
de manière à ce qu’ils puissent trouver
autour d’eux les aides dont ils risquent
d’avoir besoin le cas échéant. Les patients
ont tendance à l’isolement social ou familial : on doit les en informer afin de leur
donner les moyens de réagir. La reprise ou
le maintien des activités professionnelles,
lorsqu’ils sont possibles, sont souvent souhaitables, mais une réorganisation du
temps, autour de loisirs planifiés et en
dehors du cadre familial peut être tout aussi
efficace. Le patient doit être orienté sur des
activités extérieures structurées (mairie,
associations, rééducation). Outre les progrès des patients, la rééducation (orthophonie, kinésithérapie, Taï Chi Chuan…) joue
un rôle fondamental en permettant au
patient de ne pas rester enfermé dans sa
famille, de garder un lien avec l’extérieur si
sa mobilité est réduite (en particulier, avec
l’équipe soignante), et d’atténuer nombre
de conflits intrafamiliaux. L’objectif est soit
de préserver, soit de restaurer un tissu
social en essayant de conserver au maximum une indépendance par rapport à la
famille et au conjoint en particulier.
Les troubles moteurs
Les troubles moteurs peuvent être extrêmement variés : chorée au premier plan mais
aussi dystonie, bradykinésie, rigidité,
troubles de l’équilibre et de la marche et
dysarthrie. Peuvent s’y associer des signes
moins bien connus et parfois gênants :
apraxie, syncinésies d’imitation, tremblement d’attitude, troubles oculomoteurs…
Pour tous ces symptômes, il n’y a pas actuellement de traitement avéré. Très utilisés en
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France bien que peu à peu abandonnés dans
une indication antichoréique, les neuroleptiques ne diminuent les mouvements qu’au
prix d’une rigidité et d’une bradypsychie
importante. Ils ne sont, de ce fait, pas toujours très bien tolérés par les patients, d’autant que ceux-ci sont souvent moins gênés
par les mouvements que l’entourage qui les
regarde. Actuellement le seul traitement
validé dans cette indication est le tétrabénazine (Nitoman®) disponible par ATU (autorisation temporaire d’utilisation hors AMM)
dans les pharmacies hospitalières. Le
Risperdal® (rispéridone) est rapporté dans
certaines publications comme pouvant
avoir un intérêt. De grands espoirs sont
fondés sur le riluzole, à l’essai actuellement aux États-Unis comme antichoréique
et apparemment efficace chez le singe. Si
les traitements médicamenteux semblent
pour le moins aléatoires actuellement, la
kinésithérapie, le Taï Chi Chuan, la relaxation, la marche une heure par jour améliorent singulièrement l’état des patients.
L’aspect de rééducation des troubles posturaux et le contrôle moteur imposés par le
Taï Chi Chuan peuvent expliquer son
effet bénéfique sur les chutes. La chorée
étant augmentée en cas de stress ou de
fatigue, la relaxation peut réduire ces
deux facteurs. Les crampes accompagnant souvent la dystonie sont bien calmées par l’hexaquine ou les myorelaxants.
L’atteinte cognitive
Les troubles cognitifs correspondent au
profil de démences dites sous-corticales
(3). Cela revient à dire, de manière très
caricaturale, que la maladie de
Huntington comporte des troubles de
mémoire améliorés par l’indiçage, des
troubles de l’attention et des fonctions
exécutives sans atteinte, en tout cas au
début, des autres fonctions instrumentales. Les autres atteintes de type aphasie,
apraxie, troubles visuo-spatiaux n’apparaissent théoriquement qu’à des stades
plus sévères, mais la découverte du gène
Act. Méd. Int. - Neurologie (1) n° 5, octobre 2000
a permis de détecter des formes atypiques
pour lesquelles un diagnostic
d’Alzheimer avait pu être porté à tort. La
rééducation orthophonique peut considérablement améliorer la dysarthrie et les
troubles du langage en général. En particulier, elle permet de maintenir un minimum
de communication chez des patients dont la
fluence se réduit progressivement jusqu’au
mutisme.
De plus, elle peut parfois, en fonction des
techniques utilisées, améliorer leurs stratégies de mémorisation et de planification, en
les aidant, par exemple, dans l’organisation
de leur quotidien par la tenue d’un agenda.
Références
1. Bird ED, Coyle JT, Chapter I.
Huntington’s
disease.
In
Clinical
Neurochemistry. London : Academic Press
Inc, 1986 : 1-57.
2. Brouillet E, Peschanski M, Hantraye P.
Du gène à la maladie : la mort neuronale
dans la maladie de Huntington. Méd Sci
2000 ; 16 : 57-63.
3. Brandt J. Cognitive impairments in
Huntington’s disease: insights into the neuropsychology of striatum. In : Boller F,
G ra f m a n J, e d s . H a n d b o o k o f
Neuropsychology (Vol. 5). Amsterdam :
Elsevier pub, 1991 : 241-4.
La deuxième partie est à suivre
dans Les Actualités en Neurologie de novembre…
À retenir… À retenir… À retenir…
◆ Même informés de leur diagnostic, les patients mettent souvent en œuvre
des mécanismes de défense.
On retrouve fréquemment les problèmes liés aux secrets familiaux,
à la culpabilité, à l’anticipation péjorative de la maladie et à la honte.
◆ L’anticipation péjorative de leur avenir en référence à ce qu’ils ont vu ou
connu de leurs parents et de leurs proches est l’une des causes majeures
d’anxiété ou de dépression.
◆ La honte, souvent associée au portage du gène, est encore renforcée
par le regard des autres.
◆ La maladie et la prise en charge vont durer longtemps, il faut donc aider
les patients à structurer l’organisation de leur quotidien de manière
qu’ils puissent trouver autour d’eux les aides dont ils risquent d’avoir besoin.
◆ Les neuroleptiques ne diminuent les mouvements qu’au prix d’une rigidité
et d’une bradypsychie importantes.
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