Sécurité cardiovasculaire des antidiabétiques dossier thématique Traitement antidiabétique et insuffisance cardiaque Antidiabetic drugs and heart failure R. Roussel* Épidémiologie La prévalence de l’insuffisance cardiaque dans la population générale est de l’ordre de 1 à 4 % pour les tranches d’âge les plus élevées. Elle est d’environ 12 % chez les diabétiques, une proportion atteignant 22 % chez les sujets âgés de plus de 65 ans (2, 3). Malheureusement, ces patients sont souvent exclus des grands essais cliniques. Réciproquement, la prévalence du diabète dans la population générale est de l’ordre de 4 à 10 %, et elle atteint, selon les études, 10 à 38 % des insuffisants cardiaques symptomatiques (4). Les patients diabétiques sont d’autant plus à risque de développer une insuffisance cardiaque qu’ils cumulent les facteurs de »»L’insuffisance cardiaque est fréquente chez les diabétiques, et, réciproquement, le diabète constitue un facteur pronostique péjoratif chez les insuffisants cardiaques. »»Les glitazones multiplient par un facteur de 1,5 à 2 le risque d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque, mais, selon les données disponibles, pas la mortalité cardiovasculaire. »»Cet effet secondaire est lié à une rétention hydrosodée sensible aux diurétiques de type amiloride ; il n’y a pas d’argument en faveur d’une toxicité myocardique directe. »»La metformine est le seul antidiabétique associé à une réduction du risque d’insuffisance cardiaque, et, en cas d’antécédent d’insuffisance cardiaque, elle est associée à un meilleur pronostic vital. »»Ces observations sont essentiellement épidémiologiques, et nécessitent une confirmation dans des essais randomisés contrôlés. Mots-clés : Insuffisance cardiaque – Diabète – Traitement antidiabétique – Effet secondaire – Metformine. Keywords: Heart failure – Diabetes – Anti-diabetic drug – Side-effect – Metformin. risque cardiovasculaire. Un indice de masse corporelle élevé (+ 2,5 kg/­m²) augmente le risque d’insuffisance cardiaque de 12 % (5). Les autres facteurs de risque indépendants sont l’âge, les antécédents de complications micro-angiopathiques (rétinopathie et néphropathie en particulier, qui s’accompagnent de protéinurie, voire d’insuffisance rénale), macro-angiopathiques (antécédents coronariens) et des caractéristiques du diabète lui-même : une longue durée d’évolution du diabète et la nécessité d’un recours à l’insuline, 2 aspects très liés, sont également des facteurs de risque d’insuffisance cardiaque chez le diabétique. L’hypertension est également un de ces facteurs de risque indépendants. Elle est très fréquente chez le diabétique de type 2. Le développement d’une insuffisance cardiaque est un Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIV - n° 9 - novembre 2010 © La Lettre du Cardiologue-Risque Cardiovasculaire n° 438 - octobre 2010 * Service d’endocrinologie diabétologie nutrition, groupe hospitalier BichatClaude-Bernard, Paris. 285 P o i nt s f o rt s L es liens entre insuffisance cardiaque et diabète de type 2 sont étroits et réciproques. Le risque d’insuffisance cardiaque chez les patients diabétiques n’est pas complètement expliqué par les facteurs de risque connus d’insuffisance cardiaque. Le diabète, par l’hyperglycémie chronique et sans doute aussi par d’autres facteurs qui lui sont intimement liés – comme les anomalies lipidiques caractéristiques du diabète de type 2 –, induit des transformations structurales et fonctionnelles, notamment énergétiques, qui peuvent favoriser le développement d’une insuffisance cardiaque. Plusieurs études ont rapporté que les traitements antidiabétiques eux-mêmes pouvaient avoir un impact sur les événements liés à l’insuffisance cardiaque : on pense, en particulier mais pas exclusivement, aux glitazones contre-indiquées chez les patients à tous les stades de la classification de la NYHA. D’autres molécules, en particulier l’insuline, ont également été associées à un surrisque. Ainsi, au cours de la Framingham Heart Study, l’excès de risque d’insuffisance cardiaque chez les diabétiques a été confiné aux patients traités par insuline. La suspicion concernant l’insuline est cependant loin d’être systématiquement évoquée : elle a même été associée (après administration aiguë) à une amélioration de la tolérance à l’effort (1). Sécurité cardiovasculaire des antidiabétiques dossier thématique tournant très péjoratif dans l’évolution de la maladie : dans l’étude DIABHYCAR (The non-insulin-dependent DIABetes, HYpertension, microalbuminuria or proteinuria, CARdiovascular events, and ramipril), qui portait sur des diabétiques de type 2 micro- ou macro-albuminuriques, le développement d’une insuffisance cardiaque était associé à une mortalité multipliée par 12 au cours du suivi (36 % versus 3 % chez les diabétiques ne développant pas d’insuffisance cardiaque) [6]. Dans une étude américaine épidémiologique portant sur des patients diabétiques âgés, la survie à 5 ans après le diagnostic d’insuffisance cardiaque était inférieure à 15 % alors qu’elle s’élevait à 80 % chez les sujets ne présentant pas d’insuffisance cardiaque et appariés par l’âge. Pourquoi les diabétiques développent-ils fré­quemment une insuffisance cardiaque ? Plusieurs mécanismes ont été proposés : ✓✓ De façon générale, les facteurs de risque d’insuffisance cardiaque sont fréquemment observés chez les diabétiques, comme l’hypertension, les pathologies ischémiques, l’obésité, etc. ✓✓ L’hyperglycémie chronique, mais également les autres anomalies métaboliques associées à l’hyperglycémie (hypertriglycéridémie en particulier postprandiale, élévation des acides gras libres, baisse de la leptine, etc.) ont probablement un effet direct sur le myocarde. ✓✓ Le diabète est associé à des anomalies des systèmes hormonaux vaso-actifs (activation de la noradrénaline et de l’endothéline-1), mais aussi à une activation de cytokines pro-inflammatoires, dont l’IL-6 ou le TNFα. L’insuffisance cardiaque présente également ces anomalies, avec cependant une élévation des concentrations circulantes de ces marqueurs à des niveaux bien supérieurs, corrélées au pronostic (7). Or, l’insuline possède des propriétés anti-inflammatoires (peut-être émoussées dans les situations d’insulinorésistance) ; cette observation concorde avec un bénéfice démontré de l’insuline dans certaines situations de dysfonction cardiaque (1, 8). Certains traitements antidiabétiques exercent une toxicité sur le myocarde. Cependant, dans une étude britannique rétrospective publiée en 2005 (ne portant que sur les sulfamides, la metformine et l’insuline, et excluant donc les glitazones), le risque d’insuffisance cardiaque était élevé chez les diabétiques commençant un traitement (sans différence entre les différentes classes) seulement la première année, ce qui suggère que la durée du diabète et la sévérité de la maladie métabolique étaient les vrais facteurs en cause, plus que l’aspect thérapeutique lui-même (9). Enfin, rarement, le diabète et la myocardiopathie sont deux conséquences d’une même maladie systémique, comme l’hémochromatose. 286 Impact de la prise en charge thérapeutique du diabète sur les insuffisances cardiaques Quel effet du contrôle glycémique ? Sur le plan épidémiologique, les patients diabétiques déséquilibrés ont un risque plus important de développer une insuffisance cardiaque : + 10 à 15 % par point d’HbA1c supplémentaire. Cette relation épidémiologique n’a pas pour l’instant trouvé de prolongement à l’occasion des grands essais d’intensification du traitement antidiabétique : au cours de l’étude UKPDS (UK Prospective Diabetes Study), le risque d’insuffisance cardiaque n’a pas été réduit chez les diabétiques soumis à un contrôle intensif (7 % d’HbA1c moyenne) par rapport aux sujets sous traitement conventionnel (7,9 % d’HbA1c moyenne) [10]. Il s’agissait, il est vrai, de diabétiques plutôt jeunes, un peu plus de 50 ans à l’inclusion, dont le diagnostic de diabète était récent. Dans les essais publiés ces 2 dernières années (ACCORD, VADT et ADVANCE), le taux d’insuffisance cardiaque n’était pas non plus affecté par le contrôle glycémique chez des sujets plus âgés (62 ans dans ACCORD et VADT et 66 ans dans ADVANCE) dont le diabète évoluait depuis environ 8 à 10 ans. Autres interventions thérapeutiques chez les diabétiques Bien que cet aspect sorte du cadre de cette mise au point, il est clair que l’efficacité de l’intensification du contrôle tensionnel chez les diabétiques est acquise : les sujets soumis au contrôle intensif dans UKPDS présentaient un risque diminué de 56 % de développer une insuffisance cardiaque. De plus, dans l’escalade thérapeutique, la généralisation du recours précoce aux bloqueurs du système rénine-angiotensine, inhibiteurs de l’enzyme de conversion et surtout sartans, en particulier chez les patients présentant une néphropathie diabétique plus ou moins évoluée, a probablement contribué, récemment, à limiter l’incidence de l’insuffisance cardiaque chez les diabétiques. Traitements pharmacologiques antidiabétiques Insuline L’insulinothérapie a été associée à un risque accru de décès chez les insuffisants cardiaques de plusieurs études observationnelles. Au sein de l’essai SAVE (Survival And Ventricular Enlargement), les sujets traités par insuline après un infarctus du myocarde compliqué d’une fraction d’éjection abaissée avaient un moins Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIV - n° 9 - novembre 2010 Traitement antidiabétique et insuffisance cardiaque bon pronostic (risque ajusté de décès + 38 %) que les patients recevant d’autres antidiabétiques (11). Ce résultat a été retrouvé dans d’autres études, méthodologiquement médiocres (sous-groupes, absence d’ajustement). En revanche, aucune augmentation du risque de décès associée au recours à l’insuline n’a été retrouvée dans la très vaste analyse des données de patients de Medicare (12). On peut donc conclure que l’insuline n’est pas associée à un bénéfice chez les insuffisants cardiaques mais qu’elle n’aggrave pas non plus le risque de mortalité. On sait aussi qu’elle est souvent un choix par élimination et/ou échec des autres options, et que l’absence de traitement n’est pas une alternative raisonnable. Sulfamides Le recours aux sulfamides est très fréquent chez les diabétiques présentant une insuffisance cardiaque : chez 1 833 diabétiques canadiens souffrant aussi d’insuffisance cardiaque, 42 % étaient traités par sulfamide en monothérapie et 47 % par une association sulfamide/ metformine (13). Les sulfamides hypoglycémiants se lient à un récepteur situé sur la membrane des cellules bêta du pancréas, SUR, couplé à un canal potassique, Kir6.2, et induisent une insulinosécrétion : ils favorisent donc l’hyperinsulinisme d’origine endogène, efficace pour réduire la glycémie dans un contexte d’insulinorésistance. Ils présentent l’inconvénient d’induire des hypoglycémies, l’insulinosécrétion survenant quelle que soit la glycémie après liaison du sulfamide à son récepteur. La grande fréquence de leur utilisation reflète probablement la réticence vis-à-vis du recours à d’autres hypoglycémiants chez ces patients fragiles et présentant potentiellement des contre-indications à d’autres classes, glitazones et biguanides. Chez les diabétiques récemment diagnostiqués d’UKPDS, les sujets du bras de traitement initial par sulfamide, après échec des mesures hygiénodiététiques, ne présentaient pas une incidence supérieure des nouveaux cas d’insuffisance cardiaque. Dans une analyse rétrospective américaine, les sulfamides étaient au contraire associés à une incidence inférieure d’insuffisance cardiaque, en comparaison à l’insuline (− 36 %) [14]. La similitude entre les canaux potassiques des cellules bêta pancréatiques (les sulfamides hypoglycémiants les activent, induisant une dépolarisation) et les canaux potassiques myocardiques a fait craindre, en particulier avec les sulfamides les plus anciens (chlorpropamide, glibenclamide), un risque accru de troubles du rythme et de mort subite. Cependant, aucune association avec la mortalité n’a été observée dans différentes études rétrospectives de cohortes (12). Enfin, une autre étude rétrospective de grande taille conduite en Grande-Bretagne a conclu que les patients en monothérapie, comparativement à la metformine, avaient un risque de mortalité significativement augmenté sous sulfamides de première ou seconde génération (de + 24 à + 61 %), et un risque d’insuffisance cardiaque congestive augmenté d’environ 25 % sous sulfamide de seconde génération (15). En France, la quasi-totalité des patients sous sulfamides reçoit une molécule dite de seconde génération. Sans distinction de génération, chez des patients canadiens sous antidiabétique en monothérapie, les sulfamides à fortes doses étaient associés à un risque d’insuffisance cardiaque supérieur à celui des patients sous faibles doses de sulfamides, et à celui des patients sous metformine. On peut évoquer un biais de confusion dans ce type d’étude rétrospective, où la forte dose peut être le reflet de l’ancienneté et de la sévérité du diabète, mais aucun effet n’était associé à la metformine à forte dose, comparativement à la faible dose de metformine (16). Globalement, les arguments sont faibles pour affirmer un effet délétère des sulfamides vis-à-vis du risque d’insuffisance cardiaque, mais la comparaison avec la metformine semble favorable à cette dernière. Glitazones Les glitazones, ou thiazolidinediones, sont des ligands de PPAR-γ (Peroxisome Proliferator-Activated Receptor gamma), un facteur de transcription exprimé dans le tissu adipeux, mais aussi au niveau de l’endothélium, des cellules bêta du pancréas et des macrophages. En ce qui concerne l’effet métabolique recherché, leur cible moléculaire est située essentiellement au niveau des adipocytes dont ils stimulent la croissance en modifiant le phénotype dans un sens métaboliquement plus favorable : les adipocytes, dont les dépôts augmentent en situation sous-cutanée et régressent modérément dans leur localisation abdominale, sont en moyenne de plus petite taille et ont un profil sécrétoire d’adipocytokines, telle l’adiponectine, plus favorable. Ils sont plus sensibles à l’action de l’insuline, et, par l’intermédiaire des adipocytokines, d’autres tissus périphériques améliorent leur sensibilité à l’insuline : le muscle et le foie. Ces traitements sont donc associés par nature à une prise de poids, un élément a priori défavorable chez les insuffisants cardiaques. Cette prise de poids est liée à la croissance adipeuse, mais aussi à la rétention hydrosodée. La prise de poids moyenne la première année est de l’ordre de 4 kg, répartis de façon équivalente entre l’augmentation de la masse grasse et la rétention hydrosodée. Elle se poursuit au cours des années de traitement ultérieur à un rythme moins soutenu. Ces observations sont similaires pour les 2 représentants de Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIV - n° 9 - novembre 2010 287 Sécurité cardiovasculaire des antidiabétiques dossier Annoncez vous ! Contactez Valérie Glatin au 01 46 67 62 77 ou faites parvenir votre annonce par mail à [email protected] 288 thématique la classe, la pioglitazone et la rosiglitazone. La traduction clinique de cette rétention hydrosodée comprend également des œdèmes périphériques fréquents (de l’ordre de 20 %) et une élévation des peptides natriurétiques (17). Les mécanismes à l’origine des œdèmes ne sont pas parfaitement clairs : une interaction des glitazones avec les transporteurs de sodium au niveau des tubules et des canaux collecteurs est probable, peut-être également une augmentation du transport hydroélectrique au niveau de la muqueuse intestinale. Sur cette base, et d’après des essais de courte durée, la rétention hydrosodée associée aux glitazones pourrait être limitée de façon importante par une coprescription de diurétiques de type amiloride. Les grands essais cliniques qui ont évalué l’une ou l’autre des glitazones par rapport à un placebo, de même que plusieurs études observationnelles de grande taille ont indiqué que le risque de décompensation congestive à l’insuffisance cardiaque (ayant conduit à une hospitalisation avec le diagnostic d’insuffisance cardiaque congestive) était presque doublé de façon similaire par l’une ou l’autre glitazone. Ce risque est-il simplement lié à une décompensation d’une insuffisance cardiaque connue ou latente via la rétention hydrosodée, ou les glitazones ont-elles un effet délétère sur la structure et la fonction myocardique ? Les arguments expérimentaux, mais surtout les résultats de 2 essais sur 52 semaines, comparant l’un la rosiglitazone à un sulfamide, le glibenclamide, l’autre la rosiglitazone à un placebo chez des patients avec une insuffisance cardiaque de stade NYHA I ou II, ont indiqué de façon concordante que les glitazones n’étaient pas associées à une altération de la fraction d’éjection du ventricule gauche ou à d’autres marqueurs fonctionnels (18, 19). Dans ces études, le traitement de l’insuffisance cardiaque, en particulier le recours aux diurétiques, était plus intense dans les groupes sous glitazone. Un petit essai comparant le glimépiride, un sulfamide, à la rosiglitazone pendant 16 semaines chez 12 patients sous meformine a même suggéré une amélioration de la fonction diastolique sous glitazone (20). Une récente analyse a porté sur plus de 20 000 patients traités par pioglitazone ou rosiglitazone dans 7 essais randomisés. Elle montrait que, comparativement aux témoins, les sujets sous glitazone avaient un risque augmenté de 72 % de décompensation d’insuffisance cardiaque, une augmentation cependant qui n’était pas associée à une élévation du risque de mortalité cardiovasculaire (− 7 %, non significatif). Lors d’une analyse rétrospective d’un registre américain portant sur plus de 16 000 patients diabétiques, avec insuffisance cardiaque, les glitazones, comparées à d’autres traitements non insulinosensibi- lisateurs (ni glitazone ni metformine) étaient associées à un profil cardiovasculaire en demi-teinte : si le risque de décès dans l’année était diminué de 13 % significativement, le risque de réadmission hospitalière était, lui, augmenté (12). D’autres études, également observationnelles, chez des vétérans américains ne relevaient ni ce bénéfice sur la mortalité ni cette association avec de nouvelles hospitalisations pour insuffisance cardiaque. Qu’en est-il lorsque l’insuffisance cardiaque est déjà connue ? Dans la plupart des essais randomisés, elle constituait un critère d’exclusion. Une étude, déjà mentionnée ci-dessus, a comparé la rosiglitazone à un placebo pendant 1 an chez 224 patients au stade I ou II de la NYHA. Hormis les œdèmes, aucun événement clinique n’était affecté par la rosiglitazone sur cette période relativement brève. Dans l’étude PROactive, où la pioglitazone était comparée à un placebo chez plus de 5 000 diabétiques à haut risque cardiovasculaire, le nombre de patients traités pour une insuffisance cardiaque à l’inclusion n’était pas précisé (les sujets des classes II à IV de la NYHA étaient exclus). Cependant, près de la moitié des patients avaient un antécédent d’infarctus du myocarde. L’incidence des hospitalisations pour insuffisance cardiaque a été de 6 % sous pioglitazone, contre 4 % sous placebo (p = 0,007). La mortalité par insuffisance cardiaque était en revanche similaire. Des analyses exploratoires ultérieures ont rapporté que le risque de mortalité ou de présenter un événement cardiovasculaire majeur après une première poussée d’insuffisance cardiaque était inférieur sous pioglitazone. Ces poussées seraient donc plus fréquentes mais “moins graves” sous pioglitazone, un argument indirect pour soutenir un simple effet de rétention (21). Les arguments sont-ils définitifs pour contre-indiquer les glitazones chez les insuffisants cardiaques ? Cette thérapeutique est associée à un effet antidiabétique modéré avec une baisse de l’ordre de 1 à 1,5 % de l’HbA1c à 6 mois. Les autres bénéfices sont relativement peu consistants : on sait que la rosiglitazone a été suspendue en Europe en raison d’un possible risque d’augmentation de l’incidence des infarctus du myocarde – bien que non définitivement avéré –, alors que la pioglitazone a été associée en revanche à un possible bénéfice au regard de la coronaropathie, mais là aussi non avéré puisqu’il ne s’agissait que d’un critère de jugement secondaire (22). La balance n’est donc pas favorable à l’utilisation de ces traitements chez les insuffisants cardiaques. Toutefois, il est à noter qu’aucune augmentation de la mortalité totale ou cardiovasculaire n’a été observée sur l’ensemble des études ou des méta-analyses. En ce qui concerne la rétention hydrosodée, les études observationnelles ont montré Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIV - n° 9 - novembre 2010 Traitement antidiabétique et insuffisance cardiaque que les prescripteurs, maintenant très bien avertis de ce risque, le géraient en intensifiant les traitements cardioprotecteurs, en particulier en recourant facilement aux diurétiques. Les recommandations sont de ne pas utiliser cette classe dès que le patient est en stade I de la NYHA. Metformine La metformine est un traitement antidiabétique efficace (baisse de l’HbA1c de 1 à 2 %) de la classe des biguanides, dont elle est le seul représentant. La phenformine a été utilisée jusque dans les années 1970 et son retrait a été précipité par son implication dans plusieurs centaines de cas d’acidose lactique, une situation dramatique, puisque la mortalité de cette pathologie est de l’ordre de 50 %. La metformine a hérité de l’aura sulfureuse de la phenformine, bien qu’elle en diffère sur de nombreux points : elle ne connaît pas de métabolisme hépatique et est excrétée intacte par le rein. Augmente-t-elle le risque d’acidose lactique ? Cela a été admis comme une évidence jusqu’à très récemment. Les mentalités commencent à évoluer en raison de plusieurs observations. Elle a été, en raison du passé de la phenformine, interdite sur le marché américain jusqu’en 1996. Elle a alors été réintroduite avec une pharmacovigilance très active. Cela a fourni l’occasion d’observer si l’incidence des acidoses lactiques chez les diabétiques augmentait après l’introduction de la metformine : ni cette étude américaine de pharmacovigilance ni 2 autres cohortes rétrospectives américaine et canadienne n’ont mis en évidence un surrisque associé à la metformine. Un facteur de confusion vient notamment du fait que le diabète, de par sa nature et également des comorbidités qui lui sont fréquemment associées, est un facteur de risque d’acidose lactique. Par exemple, dans l’étude américaine, 2,6 % des patients diabétiques non traités par metformine ont présenté une acidose lactique, un taux nettement supérieur à celui d’une population non diabétique. En revanche, la proportion pour les patients diabétiques traités par metformine n’était que de 2,3 %, et donc non significativement différente. Aucune étude ne nous fournit de données spécifiquement chez les patients présentant un diabète et une insuffisance cardiaque, une condition qui suffit à augmenter considérablement le risque d’acidose lactique. Cependant, nous avons récemment présenté les résultats d’un registre mettant en évidence une réduction de la mortalité de 24 % chez les sujets diabétiques du registre REACH (REduction of Atherothrombosis for Continued Health) en prévention secondaire associée à la metformine : cette réduction était encore plus marquée chez les sujets ayant, en plus d’un antécédent athérothrombotique, un antécédent d’insuffisance cardiaque, ce qui suggère que si l’on ne peut exclure que le risque d’acidose lactique sous metformine existe dans cette population, il est très probablement largement contrebalancé par des bénéfices associés à la metformine sur la mortalité à d’autres titres (figure 1) [23]. Cette observation est concordante avec le travail de F.A. Masoudi et al. chez des patients diabétiques âgés et hospitalisés pour insuffisance cardiaque, dont le pronostic vital à 1 an était meilleur lorsque les sujets recevaient à la sortie de l’hôpital de la metformine, comparativement aux sujets non traités par un insulino-sensibilisateur (12, 13, 14, 24). Il est intéressant de relever que, dans ce dernier travail et dans une méta-analyse plus récente, non seulement la mortalité à 1 an mais également la réadmission hospitalière, toutes causes confondues ou pour décompensation d’insuffisance cardiaque, étaient moins fréquentes pour les patients sous metformine (figure 2). À l’évidence, les limites de ces études aux résultats provocants et faisant potentiellement de l’insuffisance cardiaque non plus une contre-indication mais une indication de la metformine, doivent être soutenues par des essais randomisés contrôlés spéci- Metformine Antécédent d’insuffisance cardiaque non oui 0,5 1,0 n/N Yes n/N No HR ajusté p 221/6,002 116/1,220 488/9,120 419/2,790 0,80 0,69 p = 0,034 p = 0,006 1,5 2,0 En faveur de la metformine P d’interaction : p = 0,39 n/N : nombre de décès sur 2 ans/nombre total de patients dans le groupe. Figure 1. Risque de mortalité associée à la metformine dans le registre REACH pour les patients diabétiques en prévention secondaire (le taux de mortalité des patients sous metformine est comparé à celui des patients non traités par la metformine, avec ajustement sur de multiples facteurs de risque cardiovasculaire et un score de propension lié à la prescription de metformine, afin de limiter le biais d’indication). La metformine est globalement associée à une réduction (ajustée) de la mortalité de 24 %, un effet similaire qu’il y ait ou non un antécédent d’insuffisance cardiaque. Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XIV - n° 9 - novembre 2010 289 Sécurité cardiovasculaire des antidiabétiques dossier thématique fiques. Quoi qu’il en soit, il est à noter que l’American Diabetes Association (ADA) a récemment modifié sa recommandation : l’insuffisance cardiaque traitée n’est plus une contre-indication, et la “metformine peut être utilisée chez les patients atteints d’une insuffisance cardiaque stable, si leur fonction rénale est normale. Elle doit néanmoins être évitée chez les patients avec ­insuffisance cardiaque instable ou hospitalisés”. 100 Groupe témoin Proportion des patients survivants (%) 90 Groupe metformine 80 Conclusion 70 60 Réduction de la mortalité : – 14 % (IC95 : 3 %-22 %) 50 0 50 100 150 200 250 300 350 Délai depuis l’hospitalisation (jours) Figure 2. Courbes de survie de patients diabétiques âgés après une hospitalisation pour poussée d’insuffisance cardiaque, selon qu’ils recevaient à la sortie d’hospitalisation un traitement comprenant de la metformine ou un traitement antidiabétique sans insulino-sensibilisateur (c’est-à-dire ni metformine ni glitazone : groupe témoin). D’après (12). Le problème du traitement antidiabétique chez les patients insuffisants cardiaques ou à fort risque de l’être est très courant, et son importance va encore grandir dans les années à venir. Deux conclusions s’imposent : les glitazones sont associées à un risque de décompensation de l’insuffisance cardiaque, par rétention hydrosodée, sans effet myocardique direct, et, résultat plus inattendu, la metformine se distingue par un profil favorable de façon homogène : moins de risque de décompensation qu’avec les autres antidiabétiques mais aussi un meilleur pronostic vital. Cependant, la nature essentiellement observationnelle des études revues limite leur portée, et les évolutions ultérieures des recommandations ne pourront survenir que sur la base d’essais randomisés. ■ Références 1. Guazzi M, Tumminello G, Matturri M, Guazzi MD. Insulin 10. UK Prospective Diabetes Study (UKPDS) group. Intensive 18. St John Sutton M, Rendell M, Dandona P et al. A compa- 2. Thrainsdottir IS, Aspelund T, Thorgeirsson G et al. The blood-glucose control with sulphonylureas or insulin compared with conventional treatment and risk of complications in patients with type 2 diabetes (UKPDS 33). 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