La citoyenneté à l’école Si c’était plus que théorique ? Stéphanie Demers, Ph.D. Professeure, Département des sciences de l’éducation Université du Québec en Outaouais 21e Colloque pédagogique Enseignants Droits Devant Alliance des professeures et professeurs de Montréal Pour commencer… Pensez au moment de votre vie où vous vous êtes vraiment senti citoyenNE ou vous avez véritablement compris ce que signifiait être citoyenNE Écrivez-le sur une feuille Comparer ce moment avec celui des collègues assis près de vous Qu’est-ce que ces moments ont en commun ? Des questions fondamentales Devient-on citoyenNE en apprenant ce que sont les institutions publiques et leurs règles de fonctionnement ? Devient-on ou peut-on devenir citoyenNE à l’école ? Si vous en doutez, pourquoi ? Quel type de citoyen former ? Westheimer et Khane (2004) ont étudié 10 programmes d’éducation à la citoyenneté d’où émergent trois types de citoyens Participatif Personnellement responsable Orienté vers la justice Le citoyen personnellement responsable (Type 1) entretient une relation individualisée avec l’État agit de façon responsable au sein de sa communauté, obéit aux lois, fait don de sang, contribue aux cueillettes pour les démunis et fait du bénévolat, par exemple. Implicite à cette conception de la citoyenneté est l’idée que les problèmes sociaux sont issus d’une déficience individuelle de caractère de certains citoyens et que leur résolution réside dans les gestes des citoyens de bon caractère (honnêtes, responsables, qui obéissent aux lois). On nie par le fait même la possibilité que les problèmes de la société soient structuraux. analogue à ce que Crick (2007) appelle la citoyenneté minimaliste : obéir aux lois, payer ses impôts, conduire avec prudence, agir de façon socialement acceptable, sans toutefois agir avec d’autres sur des enjeux qui peuvent influencer les politiques publiques … mais … cette citoyenneté est minimaliste : obéir aux lois, payer ses impôts, conduire avec prudence, agir de façon socialement acceptable, sans toutefois agir avec d’autres sur des enjeux qui peuvent influencer les politiques publiques … une dictature peut elle aussi s’accommoder de ce type de citoyen; en fait, un dictateur préfère même en général les citoyens qui se conforment à ses lois. En somme, le citoyen personnellement responsable n’est pas un «bon» citoyen propre aux seules démocraties Le citoyen participatif (type 2) celui qui s’engage à participer dans sa communauté à divers paliers. les citoyens participatifs planifient (et participent activement dans) des efforts communautaires pour encourager le recyclage, venir en aide aux démunis, etc. Il s’agit de citoyens qui comprennent le fonctionnement des institutions publiques et des organismes communautaires et s’y engagent. traduit une vision de la résolution des problèmes sociaux comme émanant de la participation active des citoyens dans les systèmes étatiques et communautaires établis. … mais Cette conception est tout à fait cohérente avec la vision libérale de la démocratie comme tributaire d’un haut niveau de participation citoyenne à ses institutions «le maintien des institutions libres dépend d’un niveau élevé de participation populaire dans les affaires publiques, à la fois comme nécessité pratique et comme devoir moral et civique » (Crick, 2007 : 244, traduction libre). MAIS… elle ne remet pas en question le pouvoir, ses structures, les injustices qui y sont générées… elle cherche à palier cette injustice au sein même des structures et du cadre existant Le citoyen orienté vers la justice (type 3) Il déploie les efforts analytiques et rhétoriques en quête de justice sociale. Comme le citoyen participatif, le citoyen orienté vers la justice sociale accorde toute son importance à l’action collective en lien avec la vie et les enjeux propres à la communauté, mais il s’en distingue par sa critique de la structure à l’origine des problèmes de la communauté. S’il organise une collecte de denrées alimentaires, il questionne aussi et d’abord les causes de la pauvreté et de l’insécurité alimentaire, les dénonce et agit avec d’autres pour modifier les structures à la bases de ces causes Les programmes scolaires qui privilégient la formation de citoyens orientés vers la justice sociale examinent les mouvements sociaux se préoccupent des façons de provoquer et de soutenir le changement social. Les enseignants de ces programmes suscitent chez les élèves l’analyse critique et la discussion concernant les structures économiques, sociales, politiques …afin de les conscientiser aux causes structurelles des inégalités et de l’injustice et de leur permettre d’envisager des stratégies favorables au changement social. Ils leur donnent par ailleurs des occasions d’agir sur des injustices de façon authentique …MAIS Pour développer ce troisième type de citoyen, il faut aussi développer (Bowen, 1996; Fricker, 2006; Coady, 2002; Robertson, 2009): Le mode de pensée ET d’agir critique L’autonomie intellectuelle L’élaboration d’une argumentation/d’une prise de position raisonnée et appuyée La conscience/ l’évaluation/ la corroboration des sources d’informations valides et des limites du savoir L’autoréflexion consciencieuse (et le désir d’autocorrection) L’accueil des idées nouvelles Le scepticisme raisonnable La remise en question de l’orthodoxie La capacité à gérer la complexité et l’ambiguïté Encore faut-il… Que NOUS disposions, comme éducateur, de ces outils et moyens et que nous sachions comment le déployer pour agir en faveur de la justice sociale Un exemple : la BADASS TEACHERS ASSOCIATION [http://www.badassteacher.org/] Elle a émergé dans un contexte de privatisation de l’élaboration des curricula (Fondation Gates) et de l’élaboration, la vente et la gestion de tests standardisés (Pearson). Les résultats de ces tests sont utilisés pour déterminer - La sécurité d’emploi des enseignants; - Leur qualification; - La survie ou la disparition des écoles; - Le mode de financement de certaines écoles. C’est un moment charnière de déshumanisation de la profession et de l’éducation “We’ve had enough. We are not your doormats. We are not your punching bags. We are some of the hardest working, most idealistic people in this country and we are not going to take it anymore. We are going to stand up for ourselves, and stand up for our students even if no organization really supports us. We are Badass. We are legion. And we will force the nation to hear our voice! La BAD ASS TEACHERS ASSOCIATION (BATs) DÉCLARATION DE MISSION (traduction libre) La Badass Teachers Association a été créé afin de donner voix à chaque enseignant qui refuse de porter le blâme pour l’échec de notre société à éradiquer la pauvreté et l’injustice par l’éducation. Les membres de cette association refuse d’accepter les tests standardisés, évaluation et interventions (telles les conventions de gestion) créés et imposés par des entités dirigées par l’entreprise privée qui mérpisent l’enseignement et l’apprentissage authentiques Le BAD ASS TEACHERS ASSOCIATION (BATs) Les objectifs des BATs BATs visent à réduire ou éliminer le recours aux tests à enjeux élevés Augmenter l’autonomie des enseignants dans la classe et dans leur travail en général Inclure la voix des enseignants et des familles dans les processus législatifs qui affectent les élèves. Comment les BATs se sont organisés D’abord un groupe Facebook, puis une page Web et des actions Des sorties médiatiques en masse, par les enseignants, qui décrivaient leur réalité Des actions pendant les campagnes électorales Des pétitions et des lettres aux élus, ainsi que des rencontres des élus La production de documents d’information (y compris des livres) pour expliquer leurs positions Le réseautage entre divers groupes des BATs Le réseautage avec les professeurs des facultés d’éducation pour appuyer leurs revendications sur les résultats de recherche et la participation aux congrès scientifiques Ce que les BATs ont réussi à faire Influencer des résultats d’élections fédérales et dans leurs états respectifs Influencer des commissions scolaires à changer le curriculum et/ou à se retirer des tests standardisés Nourrir les luttes locales contre les fermetures d’écoles basées sur les tests standardisés Convaincu les 2 plus grosses centrales syndicales d’enseignantEs à rejeter le financement de la Fondation Gates et son curriculum, ainsi que d’appuyer la lutte contre les tests standardisés Donner voix aux parents des milieux appauvris http://www.washingtonpost.com/blogs/answer-sheet/wp/2013/05/17/three-days-of-marches-in-chicago-to-protestschool-closings/ http://america.aljazeera.com/watch/shows/the-stream/the-stream-officialblog/2013/11/1/chicagostudentsgozombietoprotestpublicschoolclosures.html http://www.cpr.org/news/story/thousands-students-protest-colorado-standardized-tests https://www.facebook.com/comiteprintemps2015/posts/738307232953778 Ce qu’il faudrait retenir Un concept: PRAXIS Réflexion libre et créative, basée sur une évaluation critique de la société et de ses structures et l’action consciencieuse pour transformer le monde dans et par cette action, qui sert aussi à apprendre à nommer et analyser le monde et se donner des outils pour se donner du pouvoir avec les autres sur le monde «Un enseignement qui prend la liberté pour fin est celui qui donne à ses élèves non des performances mais une compétence, c’est-à-dire le pouvoir de réaliser un nombre indéfini de performances imprévisibles et pourtant adaptées à la situation. […] De même pour l’éducation morale ; la seule digne de ce nom est celle qui ne se contente pas d’inculquer de bonnes conduites mais qui développe la responsabilité et l’autonomie. Ce qui distingue l’enseignement de l’endoctrinement, ce n’est pas que ce dernier soit mensonger, c’est qu’il empêche l’élève de chercher et d’apprendre par lui-même, qu’il réprime la pensée. Ce qui nous montre, a contrario, que l’enseignement véritable ne va pas sans le développement de l’esprit critique, autrement dit sans le risque que nos élèves finissent pas penser autrement que nous. Bref, une éducation qui prend la liberté pour fin est celle qui donne aux éduqués le pouvoir de se passer de maîtres, de poursuivre par eux-mêmes leur propre éducation, d’acquérir par eux-mêmes de nouveaux savoirs et de trouver leurs propres normes.» (Reboul, Le langage de l’éducation, 1984, p.158-159) Références Bowen, H. R. (1996). Investment in learning: The individual and social value of American higher education (2e éd..). New Brunswick, NJ: Transaction Publisher. Coady, C.A.J. (2002). Testimony and intellectual autonomy. Studies in history and philosophy of science, 33, 355-372. Crick, B. (2007). Citizenship : the political and the democratic. British Journal of Educational Studies, 55(3), 235-248. Fricker, E. (2006). Second-Hand Knowledge. Philosophy and Phenomenological Research 73 (3), 592– 618. Reboul, O.(1984). Le langage de l’éducation. Paris: Presses universitaires de France. Robertson, E. (2009). The epistemic aims of education. Dans H. Siegel (dir.), Handbook of philosophy of education. Oxford: Oxford University Press. Westheimer, J. & Kahne, J. (2004). What Kind of Citizen? The Politics of Educating for Democracy. American Educational Research Journal, 41(2), 237-269.