T-ShaRe2011 Bourdin Larchanché (2) - T

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Centre Françoise MINKOWSKA
CAS CLINIQUE
Marie-Jo BOURDIN
Attachée de Direction, Responsable du Pôle Formation et du MEDIACOR
Corédactrice en chef de la Revue TranSfaire et Cultures
Centre Françoise MINKOWSKA
Stéphanie LARCHANCHÉ
Anthropologue médicale, coordinatrice du Pôle Eudes, Enseignement et
Recherche
Mme Y
Cette patiente âgée de 31 ans présente une trajectoire de vie particulière
dans laquelle elle a entraîné toute sa famille (ses parents et ses trois frères
et sœurs). Elle est mariée, séparée de son mari et a une fille de 8 ans. Elle a
subi un périple particulier avec un exil de la Tchétchénie dans des conditions
violentes, elle aurait passé 5 ans en Pologne, puis expulsée vers la Norvège,
à nouveau vers la Pologne pour arriver enfin en France. Il n’y a pas de
tradition de migrations dans la famille.
Mon mari me poursuit…
Elle parle de divorce, car elle rejette le mariage arrangé « culturel » qu’elle a
dû accepter probablement dans des conditions où elle n’était pas forcément
concernée par la négociation entre deux clans familiaux. Elle dit présenter
des attaques de panique, on retrouve également des éléments dépressifs,
une légère désorientation temporo spatiale, des troubles du sommeil mais
pas d’éléments délirants, évoquant une décompensation psychotique.
Mme Y est orientée par une assistante sociale suite à un épisode d’attaque
de panique aux urgences de l’Hôpital Bichat.
Elle sera reçue dans le cadre du MEDIACOR en équipe réduite (psychiatre,
Assistante sociale et interprète linguistique et culturel)
Elle déroule le « Illness »….
« Je suis en alerte permanente. Je ne sais plus comment réagir. Je n’ai plus de
forces. Quelle faute j’ai commise? Aidez moi à comprendre. J’en ai bavé mais ce
n’est pas fini. Mon histoire est pleine de catastrophes. Mon père est aussi en
psychothérapie. »
Quels sont les éléments traumatiques ?
Elle présente effectivement toute une série de symptômes qui évoquent un
syndrome post traumatique (PTSD- classification CIM 10 F 43.1). Elle présente des
troubles du sommeil, des réminiscences douloureuses et à l’origine de
cauchemars, des troubles du caractère, des troubles de la série phobo
hypochondriaques, des troubles de l’humeur (état dépressif réactionnel au début
et chronique actuellement).
Quelles sont les capacités de résilience de cette femme ?
En partant du principe qu’il y ait eu un traumatisme important au moment de la
séparation et de l’exil, il est fort à parier que Mme Y a vécu l’équivalent d’une
agonie psychique. La manière avec laquelle elle s’est réorganisée dans sa
trajectoire migratoire montre qu’il existe un potentiel de résilience qui serait à
l’origine de ses capacités sociales et des liens qu’elle a su recréer, comme si elle
« retricotait » (B. CYRULNIK) ses outils psychologiques et son énergie psychique
pour entamer un néo développement différent du précédent mais
développement quand même. Ceci est fréquemment le cas de personnes ayant
présenté dans leur prime enfance un attachement sécure (B. CYRULNIK).
Quel est l’impact du sickness? : analyse des déterminants sociaux
Les déterminants sociaux ont eu un impact sur la souffrance psychique de Mme
Y : Le mariage imposé par les membres d’une famille influente auquel elle a été
contrainte. Madame Y parle de « kidnapping ». Son mari qu’elle ne connaissait
pas avant la cérémonie, appartient à un clan du pouvoir et a organisé le mariage
en présence des caméras de la télévision « j’ai été obligée de sourire ».
Cette dimension culturelle manipulée par les jeux d’alliances entre clans
familiaux qui mettent en avant l’importance de la tradition dans l’équilibre de la
société et qui « ne veut rien de plus que le bonheur du groupe » représente un
facteur de déstructuration individuelle lorsque le sacrifice personnel exigé ne
correspond nullement aux aspirations de la personne concernée. Ses parents,
d’un autre clan, étaient opposés à cette union, mais sans réels moyens de
l’empêcher .
Une fille est née de cet « arrangement ». Dans ce cas on peut alléguer que
l’impact de cette violence sociale laissera des traces dont il faudra tenir compte
lorsqu’il s’agira d’évaluer la souffrance psychique ou le désordre psychologique.
C’est dans cet esprit qu’il faut comprendre la notion de sickness telle qu’au centre
Minkowska nous voulons lui donner sa place, comme un facteur important dans
la compréhension de la plainte et donc de l’analyse de la demande et non pas
comme un déterminisme culturel ou social qui viendrait obscurcir la vision
holistique du sujet.
L’exil : après une année de mariage, Mme Y a fui la Tchétchénie avec sa fille,
entraînant avec elle ses parents, ses deux frères et sa soeur. Ils partent pour la
Pologne où ils s’installent pendant 5 ans. Pendant toute cette période, Mme Y dit
avoir été menacée par son mari (interventions menaces, exactions de la part
d’amis du mari), d’où nouvelle fuite vers la Norvège où ils restent 5 mois avant de
retourner en Pologne et venir en France en mai 2008. Cette mobilité imposée
quelque part par l’inquiétude, l’incertitude et même parfois le sentiment de
persécution peut, à cause de l’alerte permanente dans laquelle baigne la
personne, déstabiliser le travail d’acculturation dans lequel est engagée toute
personne qui cherche à s’adapter dans une société nouvelle.
Ce travail d’acculturation qui, en soi, n’est nullement connoté de risque psycho
pathologique, mais qui, s’il est mis en échec par des éléments perturbateurs
comme c’est le cas de cette patiente. La difficulté à établir des liens solides et
fiables dans une société nouvelle peut générer un sentiment de frustration qui
devient un frein aux capacités de créativité ou de travail de deuil de certains
événements traumatiques.
Egalement une certaine précarité en France, où la famille a sollicité l’asile
politique, comme l’hébergement en hôtel, la demande d’asile rejetée par l’OFPRA
(Office Français pour les Réfugiés et Apatrides) et l’attente d’un recours auprès de
la CNDA ( Commission Nationale des Demandeurs d’Asile), tout cela peut
participer à alourdir le Sickness.
On peut également discuter la part des représentations culturelles en jeu et leur
impact structurant ou pas.
On retrouve cet enjeu dans la discussion diagnostique et les indications
thérapeutiques, tâche qui consiste à repérer l’articulation entre culture et
personnalité chez Mme Y. En effet, bien qu’il semble qu’elle ait accepté (au sens
groupal) un mariage arrangé qui se serait fait dans des conditions d’alliance de
clans et de partis politiques, elle ne le vit pas comme un choix personnel.
C’est toute la problématique entre ce que le sujet peut intimement choisir et ce
qu’il peut culturellement demander. La marge de manoeuvre n’est jamais simple
lorsque les déterminants socio culturels ont un impact dictatorial ou autoritaire
sur le sujet. Le rôle du Surmoi est ici d’une grande cruauté et le Moi doit trouver
l’énergie nécessaire pour mettre en place les mécanismes de défense qui lui
permettront de ne pas se sentir totalement envahie.
5. Diagnostic ou la partie « disease » de l’A.M.C.
Autant le DSM IV - R que la CIM - 10, nosographiquement parlant, évoque un syndrome
de stress post traumatique (PTSD). Pour la nosographie plus proche des outils
classiques de la psychiatrie organodynamique (Henri EY), cette patiente vit un rêve
éveillé cauchemardesque où paradoxalement elle paraît libérée d’un certain joug
culturel et en même temps semble ne pas disposer de l’aide et du soutien nécessaire
pour faire le travail d’acculturation en France, sans y perdre son équilibre.
En tout cas elle est débordée par l’angoisse et par les équivalents dépressifs qui
peuvent prendre l’allure d’une détresse purement social. Pour l’établissement d’un
diagnostic, il faudrait retrouver d’autres signes pathologiques, les regrouper en
syndrome, et donc de facto se retrouver en situation de confrontations de modèles
explicatoires puisqu’il faudra bien s’y retrouver dans le florilège de symptômes qui soit
se réfèrent à la souffrance sociale, soit cadrent avec une cohérence culturelle (Illness),
ce qui peut en dérouter plus d’un, sauf si, avec la notion de compétence culturelle le
thérapeute accepte cette remise en cause du modèle bio-psycho-social en se
décentrant et en recadrant la sémiologie en connotant chaque moment de sa
démarche d’un décodage des éléments sur lesquels la personne appuie l’expression de
son malaise, de sa souffrance ou de sa pathologie.
DISCUSSION
L’approche ethno psychiatrique qui pourrait privilégier une compréhension de la
personnalité essentiellement sur les modes culturels, mais cela ne suffirait pas à
rendre compte de la totalité des dégâts de la personnalité car dans le cas de
cette patiente l’impact des références culturelles joue sur un registre
transitionnel entre les références du pays d’origine et les nécessités socio
administratives du pays d’accueil le tout « embedded » (embarquées) dans un
processus d’acculturation (l’acculturation étant une dynamique faite d’emprunts
et de renoncements, et pas une psycho pathologie ).
Il y a donc dans le cas présent, de la culture, de l’individu, du système, du
sociétal de l’environnemental . Accepter de ne pas réduire le sujet à un
cloisonnement reste la garantie de ne pas tomber malencontreusement soit dans
la stigmatisation soit dans la réponse parcellaire
6. Indications thérapeutiques
Il va de soi que la prise en charge va nécessiter plusieurs approches qui d’un
point de vue holistique vont permettre une diminution de la souffrance
psychique, une évacuation des impacts négatifs sur la santé mentale d’un point
de vue socio administratif et un soutien psychothérapeutique pour
accompagner le travail de perlaboration nécessaire pour que cette patiente
puisse se dégager du stress post traumatique. Un appoint médicamenteux ne
sera pas négligeable si l’importance des troubles de l’humeur le nécessite.
Travailler en co-thérapie est un facteur déterminant pour ce que nous appelons
les bonnes pratiques en santé mentale c'est-à-dire reconnaître la souffrance
psychique d’une personne en y distinguant d’une part les références culturelles
et sociales, d’autre part les troubles graves de la personnalité.
Mme Y a été orientée, en interne, vers un psychiatre ayant une langue en
commun avec elle.
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