Le destin des Aztèques - Risc-CNRS

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DR
Reconstitution du grand temple
Tenochtitlan, xve siècle.
Soleil et sang Le destin des Aztèques
Des siècles après sa disparition, l’empire aztèque
fascine toujours. Sa riche mythologie, sa violence,
sa fin brutale alimentent bien des fantasmes.
Les historiens aujourd’hui encore s’emploient à
démêler mythes et réalité.
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N° 209
S
elon la légende, c’est le dieu Huitzilopocht li qui g uida les A ztèques
durant la longue migration qui les
mena des zones désertiques du nord du
Mexique jusqu’à la vallée de Mexico. C’est
également lui qui leur indiqua le terme de
cet exil, le cœur de leur puissance future :
là où ils verraient un aigle se poser sur un
cactus. À cet endroit, ils construisirent un
premier et fruste sanctuaire, centre précurseur de l’immense cité Tenochtitlan,
nom qui signifie : « près du figuier de Barbarie ». Mais la métaphore va plus loin
puisque l’aigle est une des représentations
Références
H
du soleil et de Huitzilopochtli et que le fruit
du cactus (ici un nopal) a la forme d’un
cœur humain, l’offrande même faite au
dieu par les Aztèques (encadré p. 52).
Tenochtitlan, cette « Venise des Amériques », s’étendra sur 31 km² (cinq fois plus
que Londres à la même époque) comptera
jusqu’à 300 000 habitants à l’arrivée de
Hernán Cortés (encadré ci-dessus) et résulte
d’un colossal travail de drainage et de terrassement opéré en quelques dizaines
d’années seulement.
Parmi eux, une petite tribu :
les Aztèques
Le récit aztèque des origines est cependant
une combinaison perpétuelle de mythe et
de réalité. Tout le travail historiographique
depuis la fin du xix e siècle a consisté à
démêler l’un de l’autre. Tout d’abord,
Tenochtitlan n’a certainement pas été
créée ex nihilo. La date retenue pour sa
création, 1325, coïncide, selon l’archéologue Eduardo Matos Moctezuma, avec une
éclipse solaire, le 13 avril 1325. Voir dans la
ernán Cortés (14851547) est issu d’une
famille noble et pauvre
d’Estrémadure. Après de
brèves études, il travaille
sans conviction chez un
notaire. Mais dès 1504, il
part chercher fortune et
embarque pour les Indes.
Il combat les Indiens à Haïti
puis à Cuba où il obtient la
protection du gouverneur
Diego Velázquez. Celui-ci
confie à H. Cortés le
commandement d’une
fondée sur la diplomatie et
le refus du combat sauf à y
être contraint. Percevant
rapidement, au cours de
discussions avec les
Totomaques, que l’empire
aztèque suscite des
rancœurs, il décide de
partir à sa conquête. Afin
de décider les plus
sceptiques parmi ses
hommes, il fait saborder
ses navires, les
contraignant ainsi à aller
de l’avant avec lui. Après
expédition au Mexique
dont le but est seulement
de commercer par troc et
de se procurer de l’or.
L’ambition de H. Cortés lui
fait voir plus loin et,
engageant ses deniers
personnels, il part le
18 février 1519 de Cuba à la
tête de 11 navires, 500
soldats, 16 chevaux et une
quinzaine de canons.
Sa stratégie est, au départ,
s’être allié avec Tlaxcala, il
entre pacifiquement à
Tenochtitlan le 8 novembre
1519 où Moctezuma le
reçoit fastueusement. La
ville le laisse pantois
d’admiration.
Mais H. Cortés s’empare
de l’empereur et se sert de
son otage pour imposer
ses volontés.
Diego Velázquez ayant
dépêché une expédition
fondation de la ville une victoire du soleil
sur les ténèbres, comme c’était le cas pour
les Aztèques, trouvait là une illustration
frappante.
Mais la région avait déjà connu une première période de stabilité et d’épanouissement du ive au xe siècle. Des centres urbains
étaient nés (notamment Teotihuacan),
abritant des sociétés développées qui possédaient des clergés très hiérarchisés et
une activité artistique raffinée. Pour des
raisons qui restent encore mal connues,
ces cités connaissent un déclin brutal vers
900. S’ensuivent des déplacements et brassages de populations, en particuliers avec
des nouveaux venus, des nomades du nord
parlant la langue nahuatl. Notamment les
Toltèques. Ceux-ci fondent leur ville, la
« légendaire Tula », vers 856, et leur civilisation brillante rayonnera sur toute la région
jusqu’au début du xiie siècle. Sous les pressions migratoires, affaiblie par des luttes
intestines, Tula s’effondre. Elle restera
néanmoins un modèle mythique pour ses
successeurs (et surtout les Aztèques) qui
DR
Hernán Cortés
contre lui, H. Cortés revient
sur la côte et réussit à
convaincre son chef de se
joindre à lui. Lorsqu’il
revient à Tenochtitlan, la
brutalité de ses troupes
conduit au soulèvement
des Aztèques et il subit une
défaite (la Noche triste du
30 juin 1520). Mais le
recrutement d’auxiliaires
lui permet d’entamer un
siège de Mexico qui résiste
durant trois mois à tous les
assauts. À la fin, il ne resta
que des ruines de la
splendeur de
Tenochtitlan. n t.j.
conserveront ses coutumes, son langage et
son organisation sociale militarisée jusqu’à l’arrivée des Espagnols.
Les nouvelles vagues de peuples barbares
venus du nord se mêlent alors aux populations sédentaires dispersées, ce sont les
Otomis, les Tépanèques et surtout les
Chichimèques. Peuples du désert à l’organisation sociale rudimentaire, ils ont tout
à apprendre et soif de conquêtes. Parmi
eux, une petite tribu : les Aztèques.
Depuis un demi-siècle, nos connaissances
sur la Mésoamérique des Aztèques ont été
considérablement enrichies. Comme le
rappellent Danièle Dehouve et Anne-Marie
Vié-Wohrer dans le maître ouvrage qu’elles
ont fait paraître récemment (1), c’est d’abord
l’archéologie qui a permis de réviser un certain nombre de théories jusque-là admises
sur la civilisation aztèque.
Ceci permet de relativiser les récits indiens
et aide à faire la part du mythe. Héritiers
d’un passé déjà riche, les Aztèques donnaient d’eux-mêmes une image issue d’une
réécriture permanente, d’un ajustement
Novembre 2009 Sciences Humaines 51
N° 209 Références
Nourrir les dieux : les sacrifices humains
es sacrifices humains sont
attestés en Mésoamérique
aussi loin qu’on puisse
remonter. Alibi tout trouvé pour
les esclavagistes, voire
argument supplémentaire pour
justifier la « mission
civilisatrice » de l’Occident, le
sacrifice chez les Aztèques est
avant tout un « fait social total ».
Le roi notamment pratiquait
sang, tout comme les prêtres à
certaines périodes.
Scarifications, mortifications et
automutilations étaient
courantes. Des animaux étaient
également immolés en toute
occasion.
Tout repose sur la vision
tragique qu’ont les Aztèques de
l’existence, sur leur vision d’un
monde « instable et menacé ».
Mais ils ont également créé le
soleil, grâce au sacrifice de l’un
d’eux qui, se jetant dans un
brasier en ressortit transformé
en astre. Cependant il fallait du
sang pour que ce soleil se
mette en mouvement. Les
autres dieux se sacrifièrent
alors pour lui permettre de
débuter sa course. Pour que ce
soleil continue à apporter la vie,
rapport de réciprocité, ont la
responsabilité de le nourrir de
« l’eau précieuse » (chalchiuatl).
Il existait de multiples formes de
sacrifice mais toutes étaient
extrêmement ritualisées. Celui
des guerriers était organisé
ainsi : maintenue sur la pierre
sacrificielle au sommet du
temple pyramidal, la victime
avait le cœur arraché par le
l’autosacrifice et offrait son
Les dieux ont créé le monde.
les hommes, engagés dans un
prêtre avant que son corps soit
jeté au bas de l’escalier. On
récupérait la peau par
écorchement puis celui qui avait
apporté le prisonnier ramenait
son corps afin de le manger avec
sa famille. Il faut noter que les
futurs sacrifiés pouvaient rester
vivre plusieurs années dans
cette famille et en devenir
comme un membre, entouré de
tout le respect dû à sa condition.
Le sacrifice humain chez les
Aztèques n’était donc pas une
pure barbarie sur laquelle il
suffirait de porter un jugement
moral. C’était une pratique
complexe, et comme l’écrivent
Danièle Dehouve et Anne-Marie
Vié-Wohrer « une activité sacrée
et dangereuse dont
dépendaient leur vie et leur
mort ». n t. j.
Aisa/Leemage
L
Sacrifice humain au dieu Huitzilopochtli, miniature tirée d’une page du Codex Magliabecchi,
xvie siècle, Archives nationales, Florence.
constant à leur mythologie d’une part, à
leurs conquêtes d’autre part : il fallait bien
une origine merveilleuse à ce destin
singulier.
Ainsi les avis des historiens divergent au
sujet de ce modèle de sédentarisation de
nomades guerriers. Au cours des années
1990, un vif débat eut lieu entre, d’une part,
les tenants de l’origine chichimèque des
Aztèques et, d’autre part, ceux pour lesquels
les Aztèques sont originaires de Mésoamérique, cultivateurs parmi d’autres, dont
l’ascendance nomade serait pure légende.
52 Sciences Humaines Novembre 2009
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C’est sans doute l’anthropologie qui permet
d’en savoir plus sur la question. Dans Les Îles
dans l’histoire (2), Marshall Sahlins expose
l’existence d’un « même schème fondamental du pouvoir, depuis les îles Fidji et les Amériques jusqu’à l’Inde et l’Antiquité classique »,
celui de la « royauté sacrée ». Le roi est le
représentant des forces cosmiques et, par sa
fonction rituelle, assure la survie du groupe
social. Et l’un des traits marquants de cette
royauté sacrée, c’est son extériorité, sa différence d’essence, provenant de son rapport
direct avec le divin. Dans l’Antiquité occi-
dentale par exemple, les demi-dieux fondent des cités (l’exemple le plus fameux
étant celui de Rome, fondée par Romulus et
Remus, fils de Mars et d’une mortelle).
Ensuite ils convolent plus ou moins pacifiquement avec les femmes autochtones (les
Sabines pour poursuivre sur le même exemple), s’imposant comme le nouveau pouvoir
après avoir détrôné l’ancien. D’où cette dualité que l’on retrouve chez les Aztèques entre
le Chichimèque, guerrier nomade venu du
nord, et l’agriculteur sédentaire héritier de
la civilisation de Tula.
Références
Vaisselle
rituelle :
masque de
Tlaloc,
Tenochtitlan,
1400-1521.
Thierry Jobard
ayor, M
exico
(1) Danièle Dehouve et Anne-Marie Vié-Wohrer,
Le Monde des Aztèques, Riveneuve, 2008.
(2) Marshall Sahlins, Des Îles dans l’histoire (1985),
trad. Jacques Revel, Gallimard, 1989.
mplo M
Le retout du serpent à plumes
H. Cortés arrive au Mexique l’année « 1roseau » du calendrier aztèque. Or, pour les
Aztèques, cette année correspond au retour
éventuel du dieu Quetzalcoatl (« serpent à
plumes de quetzal ») annoncé dans les prophéties mythologiques. Quetzalcoatl, justement décrit comme portant une barbe
noire, devait venir un jour réclamer son
royaume. Il y eut là comme une soumission
au destin, tout à fait propre à la culture aztèque, mais aux conséquences fatales.
La rencontre de H. Cortés avec Malintzin
(La Malinche), esclave noble et fort intelligente, allait également lui permettre d’acquérir un précieux avantage. Celle qui
devint sa maîtresse parlait maya et nahuatl,
elle favorisa les contacts avec les autochtones et resta l’a lliée la plus f idèle de
H. Cortés.
Celui-ci sut également jouer des
dissensions entre la Triple
Alliance et ses vassaux.
L e s T l a x c a lt è q ue s
notamment qui, après
des combats meu rtriers et vains contre les
Espagnols, la issèrent
parler leur hostilité vis-àvis des Aztèques et se rangèrent aux côtés des Européens. Tout com me les
Otomis, les Totonaques ou
les tribus d’Uexotzinco et du
sud de la vallée de Mexico.
Vinrent ensuite les épidémies : grippe, variole, rougeole, typhus, face auxquel-
les les organismes indiens étaient sans
défense. On estime ainsi que la population
du Mexique est passée de 25 millions d’habitants en 1519 à 1 million au début du
xviie siècle.
Selon l’archéologue Dominique Michelet,
quand bien même H. Cortés eût été vaincu,
la conquête aurait été poursuivie par
d’autres et en définitive, c’est de leur propre système de pensée que les Aztèques
ont été victimes. Trop hégémoniques, ils
ont finalement repoussé les alliés potentiels. Il demeure que cette civilisation,
frappée en plein essor, n’avait pas exaucé
toutes ses promesses. Elle reste l’objet de la
même fascination que celle que ressentirent les conquistadores entrant dans
Tenochtitlan. n
del Te
Une ligue de cités autonomes
Quant au tribut, il était adapté aux particularités de chaque province. TenochtitlanMexico étant située à plus de 2000 mètres
d’altitude, beaucoup de produits lui faisaient défaut. Céréales, tissus, vêtements,
peaux, plumes d’oiseaux (dont les Aztèques
étaient friands pour leurs parures), pierres
précieuses mais aussi main-d’œuvre
affluaient sur le plateau central en énormes
quantités.
L’empire aztèque, bien que dominateur, est
en fait (sauf exceptions) une « ligue de cités
autonomes », selon l’expression de Jacques
Soustelle. Son territoire n’est d’ailleurs pas
continu à son apogée, des enclaves indépendantes subsistent. Dans les régions
frontalières ou stratégiquement essentielles, des « gouverneurs » aztèques étaient
nommés et des contingents installés.
Mais du fait même de cette ritualisation de
la guerre, où il importait davantage de faire
des prisonniers que de tuer ses ennemis, les
Aztèques seront totalement déstabilisés
par la façon de combattre des Espagnols et
ne sauront, malgré leur vaillance et leur
entraînement, leur opposer une résistance
adéquate.
Museo
Il n’en demeure pas moins que peu de civilisations ont à ce point tendu vers la guerre.
C’est que la guerre (yaoyotl) représente un
devoir sacré pour les Aztèques. Intégrée
dans une cosmogonie complexe (encadré
p. 54), expression de la volonté des dieux,
elle est très ritualisée. Et si des motifs platement économiques pouvaient la déclencher,
la guerre devait respecter tout un ensemble
de conventions. L’entrée en campagne supposait un casus belli précis, certes plus ou
moins sincère, suivi de la notification officielle au récalcitrant de l’affrontement
imminent. Affrontement sur le lieu et la date
duquel tout le monde se mettait d’accord
avant de prier les dieux de leur accorder la
victoire. Celle-ci se manifestait par la prise
du temple de la cité adverse, dont l’incendie
marquait la domination de Huitzilopochtli
(dieu tribal des Mexicas et divinité guerrière
par excellence) : les dieux avaient parlé. Le
versement d’un tribut par le vaincu était
désormais l’expression de sa soumission.
Pour autant, celui-ci, à condition qu’il
reconnaisse la suprématie de Huitzilopochtli, conservait ses rites, ses coutumes et
ses institutions.
Références
Une société pyramidale mais ouverte
Une noblesse fondée sur
le mérite
La noblesse aztèque ne constitue pas un
état au sens où on pouvait l’entendre en
Europe à la même époque. Ce sont les
mérites qui fondent les honneurs et non
l’inverse. Ainsi tout « homme du commun »
(macehualli), s’il se conduisait avec bravoure sur le champ de bataille, faisant un
ou plusieurs prisonniers, était honoré par
son peuple et pouvait connaître une ascension sociale, voire devenir noble et entrer
dans des ordres militaires d’élite, avec le
droit de s’habiller différemment, de porter
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des bijoux et de participer à certaines danses rituelles. Les avis divergent sur l’évolution supposée de la noblesse aztèque.
Selon certains historiens, elle était sur le
point de se constituer en caste héréditaire.
Il est vrai qu’on avait commencé de distinguer à leur naissance les fils de ceux qui
s’étaient illustrés au combat en les appelant pilli (« prince »). Jacques Soustelle parle
de véritable « réaction aristocratique » au
moment du règne du dernier empereur
Montezuma II (1502-1520). Michel Graulich y voit un effet d’optique dû au modèle
révolutionnaire français. Selon lui, l’exemple le plus proche serait « louis-quatorzien ». Montezuma aurait souhaité consolider l’empire grâce à une noblesse unifiée,
gagnée à la puissance de l’État, plutôt que
d’agrandir encore les territoires, plus lointains, plus difficiles à contrôler.
Des dieux nombreux et protéiformes
L
e panthéon aztèque est
varié (144 dieux selon
certains) et complexe. Il
résulte à la fois de
l’évolution millénaire de
divinités de Mésoamérique
et de l’intégration
progressive des dieux des
peuples vaincus.
Un couple primordial incréé
est à la source de tous les
êtres : Ometecuhtli (« le
seigneur de la dualité ») et
Omeciuatl (« la dame de la
dualité »). « Né » de ce couple
(mais immortel et pouvant
mourir et renaître à l’infini),
Tezcatlipoca (« Miroir
fumant noir »). Il est
omniprésent, invisible et
peut tout voir grâce au
miroir qu’il porte. Il est donc
redouté. Dieu ancien des
Mexicas, il symbolise
également le ciel nocturne
et apporte souvent le
trouble, le désordre et la
peur chez les hommes.
Quetzalcoatl (« serpent à
plume de quetzal ») est son
frère. Dieu bienfaisant, déjà
honoré à Tula, il a participé
à la séparation du ciel et de
la terre et à la création de
l’humanité. Inventeur du
calendrier et de l’écriture, il
représente l’ordre et la
mesure et apparaît comme
le modèle du prêtre. Mais il
Bibliothèque de l’Assemblée nationale
C’
est autour de l’empereur (tlatoani, « celui qui a la parole ») que
tout s’organise. Celui-ci concentre en lui, à la fois la perfection due à ses
fonctions (guerrier, juge, prêtre et protecteur de son peuple) et la garantie de la
bonne marche de l’univers. Il est un exemple et un gardien. Mais, s’il était l’incarnation du soleil (et des différentes divinités
qui s’y associaient), le tlatoani devait également représenter la partie obscure, froide
et lunaire du monde. D’où cette particularité, le cihuacoatl (le « serpent-femme »), qui
consacre une forme de dualité au sommet
de l’État. Le cihuacoatl, sorte de vice-roi,
assurait l’intérim du pouvoir, exerçait les
fonctions de juge suprême, dirigeait la gestion du tribut et organisait les opérations
militaires. Il assurait également la régence
en période d’interrègne.
Car le roi, chez les Aztèques, n’est pas un
souverain héréditaire, il est élu. Du moins
est-il désigné, au sein d’une famille princière, par un conseil permanent et après
l’accord (de plus en plus formel) des deux
autres rois de la Triple Alliance. Après lui et
le cihuacoatl viennent les quatre plus hauts
dignitaires : le tlacochcalcatl (« chef de la
maison des javelines »), chargé de l’arsenal,
le tlacateccatl (« celui qui commande les
guerriers »), autre chef militaire, l’ezuauacatl
(« celui qui répand le sang ») et le tlillancalqui
(« seigneur de la maison de la noirceur »), aux
fonctions moins clairement définies.
Tlaloc, dieu de l’eau et de la pluie.
possède de nombreuses
guerriers.
autres facettes qui font de
Quant à Huitzilopochtli,
lui une divinité de premier
guide des Aztèques durant
plan dans toute l’aire
leur longue errance, c’est le
mexicaine.
dieu du Soleil à son zénith.
Tlaloc est le dieu de l’eau et
Dieu guerrier par
de la pluie. L’un des deux
excellence, son culte
sanctuaires du Templo
nécessite de grandes
Mayor lui était consacré,
quantités de sang humain.
l’autre à Huitzilopochtli,
Certains chroniqueurs
dieu tutélaire des Aztèques. avancent le chiffre, sans
Se trouvaient ainsi réunis le doute exagéré de 80 000
culte ancien des
victimes pour
sédentaires/agriculteurs et
l’inauguration de son
celui, récent, des nomades/ temple en 1487. n t.j.
Références
B i bl i o g ra p h i e
Le Monde
des Aztèques
La prêtrise pouvait également ouvrir la
voie à une promotion sociale. Elle était
également organisée selon une hiérarchie
complexe. À la dualité politique répondait
celle, religieuse, entre le prêtre de Huitzilopochtli (dieu solaire et guerrier) et celui de
Tlaloc (dieu de la Terre et de l’agriculture),
déjà honoré dans la région avant l’arrivée
des Mexicas. Venaient ensuite les nombreux desservants de chaque temple, leurs
administrateurs, leurs novices, mais aussi
les prêtresses. En somme tout un clergé
dont les principales fonctions étaient d’assurer les nombreux rituels, de veiller à la
construction et à l’entretien des temples et
de diriger les calmecac (écoles plutôt réservées aux enfants des classes aisées).
Particulièrement intéressant, le groupe
des pochteca (les marchands) présente des
caractéristiques propres au Mexique
ancien. Grands voyageurs, ils pratiquaient
l’import-export entre les différentes provinces mais ajoutaient à leur rôle purement commercial celui, stratégiquement
essentiel, d’espion. Organisant de longues
caravanes, se déguisant pour cacher leur
origine, ils recueillaient des informations
sur les contrées auxquelles l’empereur
pouvait s’intéresser. Il leur fallait d’ailleurs
être en mesure de se défendre en cas d’attaque et leur capture ou mise à mort
constituait un casus belli classique pour les
Aztèques. Une colonne fut ainsi attaquée
loin de Tenochtitlan à la fin du xv e siècle.
Durant quatre ans, elle repoussa les
assauts des tribus qui l’assiégeaient. Quand
l’empereur arriva enfin avec les renforts,
les ma rcha nds revena ient avec les
dépouilles de leurs agresseurs. Cet exploit
contribua fortement à faire évoluer le
regard sur les pochteca qui commencèrent
à prendre une importance croissante dans
la société aztèque.
En bas de l’échelle sociale, les macehualli
(dont le nom viendrait du verbe macehualo : « travailler pour acquérir des mérites ») constituaient la masse du peuple.
Citoyens membres d’un calpulli (l’unité
territoriale de base à l’échelle d’un quar-
tier) dont ils recevaient un lot de terre à
cultiver, ils avaient des droits et des devoirs.
Le premier d’entre eux était le service militaire, davantage vécu comme une tâche
sacrée. Soumis à l’impôt, les macehualli ne
pouvaient se soustraire aux travaux collectifs (construction, entretien…). En revanche, denrées et vêtements leur étaient distribués régulièrement et leurs enfants
accédaient gratuitement à l’enseignement
des écoles de quartier. Avec l’extension de
l’empire, de nombreux postes administratifs étaient ouverts à l’homme du peuple,
sans compter l’artisanat ou alors, pour les
plus ambitieux, la carrière des armes ou la
prêtrise.
Comment satisfaire les besoins
en sang humain ?
La société aztèque, encore influencée par
la pauvreté égalitaire de ses débuts, n’avait
donc pas encore établi de frontières étanches entre ses différentes composantes.
Certaines tendances sont cependant discernables qui resteront à l’état de questions
quant à leur évolution.
l Quid de la tentation, pour la noblesse,
d’asseoir ses privilèges de façon durable et
de ne plus courir le risque, d’une génération à l’autre, de perdre la dignité acquise
faute de mérites guerriers ?
l Les rapports avec la classe des marchands, de plus en plus puissants mais
sans pouvoir reconnu, allaient-ils déboucher sur un conflit ?
l Comment financer le développement
d’une bureaucratie concomitant à celui de
l’empire, nouveau groupe social totalement à la charge de l’État ?
l Comment satisfaire les besoins en sang
humain, qui allaient grandissant et s’ajoutaient à un tribut dont beaucoup pensaient
qu’il relevait du simple racket ?
Inutile d’échafauder des théories sur ce qui
aurait pu ou dû se passer. Il demeure que
peu de cultures auront fait preuve d’autant
de volonté pour s’imposer en aussi peu de
temps, contre une nature difficile et des
peuples hostiles. Avant de comprendre que
Danièle Dehouve,
Anne-Marie Vié-Wohrer,
Riveneuve, 2008.
Belle synthèse à la riche
iconographie qui fait le
point sur les avancées
les plus récentes et offre
un panorama complet de
l’histoire de la société
aztèque.
Les Aztèques
Jacqueline de Durand-Forest,
Belles Lettres, 2008.
Guide de civilisation thématique, synthétique et pédagogique qui permet notamment
de donner un aperçu assez avancé de la
complexité de la cosmogonie aztèque.
Les Mayas
et les Aztèques
Antonio Aimi, Hazan, 2009.
Dans une collection essentiellement visuelle, ce
petit volume fait découvrir
la richesse artistique et
l’iconographie si particulière des Mexicas.
La conquête
Récits aztèques
Textes choisis et présentés
par Georges Baudot et Tzvetan Todorov,
Seuil, 1983, rééd. 2009.
Un ensemble de textes qui fait découvrir
la vision indienne de la rencontre avec les
Espagnols.
Les Aztèques à la veille
de la conquête espagnole
Jacques Soustelle, Hachette, 1955,
rééd. coll. « Pluriel », 2008.
La réédition en poche d’un grand classique sur le sujet par l’un de ceux qui introduisirent durablement l’intérêt pour les
Aztèques en France.
ceux qu’ils avaient pris au départ pour les
émissaires des dieux n’étaient que les
agents d’une barbarie qu’ils ne pouvaient
pas connaître, les éclaireurs d’un autre
monde censé être soumis aux lois d’un
dieu d’amour. n t.j.
Novembre 2009 Sciences Humaines 55
N° 209 
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