Cours #5 - les crimes contre la personne

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Les entrevues avec témoins
et victimes
Présenté par
Michel St-Yves
Psychologue judiciaire
Service de l’analyse du comportement
Sûreté du Québec
Université de Montréal, Novembre 2007
Introduction
L’audition des témoins et des suspects
représente une part considérable du travail
des enquêteurs. Ces auditions renferment
souvent la clé pour résoudre l’enquête. Mais
encore faut-il que les renseignements
recueillis soient exacts. Or, avec les mêmes
précautions que l’on prend pour protéger une
scène de crime, il faut prendre tous les
moyens pour ne pas que la mémoire des
témoins ne soit contaminée afin que leurs
témoignages reflètent le plus fidèlement
possible ce qui s’est réellement passé.
L’exactitude du témoignage
 Le récit a-t-il été influencé par les questions posées
par le policier?
 Ce dernier a-t-il rapporté fidèlement les propos du
témoin?
 Le récit est-il fidèle à ce qui s’est passé ou déformé,
volontairement ou non, par le témoin?
 L’événement rapporté est-il fondé?
La mémoire
Définition
 La mémoire est une fonction qui permet
de capter, conserver et restituer les
informations que nous percevons.
La mémoire
Ses vulnérabilités
 La mémoire est vulnérable:
– Aux oublis;
– À la distorsion;
– Aux erreurs.
La majorité des déclarations faites à la police
sont fondées, mais inexactes.
La mémoire
Ce qui l’influence
 La perception et le codage peuvent être
influencés par:
– Les croyances;
– Les attentes;
– Le niveau de développement cognitif;
– Les connaissances acquises;
– Le contexte (ex: l’effet de l’arme).
Problèmes les plus fréquents dans
les entrevues d’enquête
 La contamination (rares sont les gens qui sont rencontrés
par la police immédiatement après avoir été témoin ou victime d’un crime);
 La suggestion (surtout avec les enfants: Papa a-t-il touché ton
sexe?; Avait-il une moustache?);
 Le délai
(le temps peut altérer le souvenir. Plus un souvenir est vague,
plus il devient facile de le modifier).
« Le temps qui court, c’est la vérité qui s’enfuit »
Edmond Locard
Le souvenir relatif…
 Même si un souvenir est rapporté avec conviction,
détails et éléments sensoriels, cela ne signifie pas
nécessairement que les événements soient
réellement survenus. Le souvenir reconstruit possède
tous les attributs subjectifs du souvenir véridique. Les
émotions qui y sont liées et la confiance avec
laquelle il est raconté ne sont pas garants de sa
véracité historique. Un témoin peut ne pas être
certain de l’information qu’il rapporte, et celle-ci peut
s’avérer exacte, comme il peut afficher une certitude
et rapporter une information erronée.
Techniques d’entrevue avec les
témoins et les victimes
 Déclaration pure;
 Entrevue cognitive;
 Hypnose judiciaire;
 Entrevue non suggestive (avec enfants).
L’hypnose
DÉFINITION
L’hypnose est un état de conscience altéré qui se
situe entre l’éveil et le sommeil
Dans la plupart des cas, l’hypnose est un état
provoqué par un hypnotiseur qui focalise l’attention
d’un sujet sur un objet particulier (pendule, yeux de
l’intervenant, etc.) et lui parle de façon calme et
répétitive
L’hypnose
 Demandes issues surtout
des crimes majeurs;
 Interventions auprès de
témoins ou de victimes;
 Recherche d’éléments
nouveaux;
 Peut servir à corroborer
des éléments de preuve;
 Éléments admissibles à la
cour;
 Peut aider à établir un
portrait robot.
Entrevues avec les enfants
 Questions non suggestives et non
directives (questions ouvertes);
 S’adapter au niveau de développement
(cognitif, verbal, scolaire) de l’enfant en
utilisant des mots/concepts appropriés
pour son âge;
 Ne pas supposer connaître le sens d’un
mot utilisé par l’enfant (valider);
Entrevues avec les enfants (suite)
 Respecter le rythme de l’enfant;
 Un seul vidéo possible;
 Enregistrement intégral, sans
interruption, indiquant heure, voir à
l’écran toutes les personnes présentes;
 Connaissance vérité/mensonge;
 Expérience requise pour interroger un
enfant en matière de délits sexuels
(formation policier);
 L’utilisation de poupées est prohibée.
Entrevues avec les enfants (suite)
A) Préparation de la salle
- pas de jouets
- pas d’affiches
- pas de crayons/livres
- chaise fixe…afin de diminuer les
stimuli amenant l’enfant à faire
diversion
Entrevues avec les enfants (suite)
B) Préparation de l’entrevue
Si possible, rencontrer l’enfant et le(s) parent(s) la
veille de l’entrevue (dans son environnement) afin
de:
-créer un contact initial (diminution des
résistances à la verbalisation lors de
l’entrevue)
-aviser le parent de ne pas parler des faits
avec l’enfant, de le coucher tôt, de le faire
déjeuner, pas de promesses/menaces
-ne pas parler des faits de la cause avec
l’enfant
Entrevues avec les enfants (suite)
- Vérité/mensonge
- Ne sait pas/ ne se rappelle pas/ pas
obligé de répondre pour me faire plaisir

Aider l’enfant à structurer sa pensée de
façon chronologique (ex.: T’as fait quoi
depuis ton réveil ce matin?)
Entrevues avec les enfants (suite)






Qu’est-ce qui s’est passé?
- Tu as dit quelque chose à maman qui
t’est arrivé. Veux-tu m’en parler?
Quoi? Quand? Comment? Qui?
Témoin?
Paroles prononcées? Par l’autre? Par
toi?
Qu’as-tu fait après?
Autre chose que tu ne m’as pas dit?
Séquence d’une entrevue
d’enquête standard
 1) Une question + ou – ouverte (Ex: «Dites
moi ce qui s’est passé»);
 2) Des interruptions fréquentes quelques
secondes après le début du récit du témoin,
pour poser des questions directes à réponses
courtes («Combien mesurait-il? Avait-il une
arme?»). Ces questions sont posées dans le
même ordre à tous les témoins;
 3) Questions suggestives (ex: «Portait-il une
chemise rouge?»).
Objectifs d’une entrevue d’enquête
 1) Augmenter la quantité d’informations;
 2) Diminuer la probabilité de souvenir
erroné.
Caractéristiques principales d’une
bonne entrevue d’enquête
 1) Établir un rapport avec le témoin;
 2) Poser principalement des questions
ouvertes;
 3) Poser des questions neutres et éviter les
questions suggestives;
 4) Mener l’entrevue en entonnoir (questions
ouvertes vers questions spécifiques).
Réduire la construction du témoignage
(voir les travaux d’Élizabeth Loftus)
 Expérience de Disneyland
Près du tiers des gens à qui on a montré une fausse publicité décrivant une
visite à Disneyland racontent ensuite comment ils sont persuadés d’avoir
rencontré Bugs Bunny et, pour plusieurs, lui avoir serré la patte et même fait un
câlin. Quelques-uns se souvenaient même lui avoir touché les oreilles ou la
queue (Braun, Ellis et Loftus, 2002). Pourtant, le scénario décrit par l'annonce
ne s'est jamais produit puisque Bugs Bunny est un personnage de dessin animé
de la Warner Bros et qu’on ne risque pas de le croiser sur une propriété de Walt
Disney (Braun, Ellis et Loftus, 2002).
 Expérience d’une collision d’automobile
Pour décrire un accident d’automobile, Loftus et Palmer (1974) ont observé que
le simple fait de remplacer le verbe «frappées» («À quelle vitesse roulaient les
automobiles lorsqu’elles se sont frappées ensemble ?»), par les mots : «entrées
en contact» ; «tamponnées» ; «entrées en collision» ; «fracassées», fait varier
considérablement la représentation mnésique de l’événement. Dans ce cas-ci,
le verbe «fracasser» produit la vitesse la plus rapide (40.8 mph) et le verbe
«entrer en contact» produit la réponse la plus lente (31.8 mph). Une différence
de près de 15 km/heure. De plus, 32% des sujets à qui ont a posé la question
en utilisant le verbe «fracasser» («smashed») ont rapporté que des vitres
avaient été brisées, comparativement à 14% pour ceux à qui ont a posé la
question en utilisant le verbe «frapper» («hit»).
Entrevue cognitive
(Geiselman & Fisher, 1988)
1)
2)
3)
4)
5)
L’introduction
Le récit libre
Les questions/clarifications
La révision
La conclusion
1) L’introduction
 Établir un rapport avec le témoin;
 Lui expliquer le déroulement de l’entretien;
 Recréer le contexte dans lequel les
événements sont survenus (circonstances,
environnement, émotions, pensées)
 Contrairement aux méthodes traditionnelles
d’audition, le témoin doit prendre une part
plus active que le policier dans l’entrevue.
C’est lui qui sait.
2) Le récit libre
 L’interviewé est invité à décrire l’événement en ne
laissant rien de côté. Tout est important.
 On laisse à l’interviewé le loisir de débuter son récit
où il le veut et d’en contrôler le débit. Le rôle de
l’enquêteur est d’écouter sans l’interrompre.
 L’objectif de cette étape est, bien entendu, d’obtenir
une version libre et détaillée de l’événement, mais
également d’identifier de quelle façon les
informations ont été stokées dans la mémoire du
témoin. Cela importe puisque chacune des
séquences pourra être reprise par la suite pour être
décrites en détails dans l’ordre où elles ont été
enregistrées et décrites par le témoin.
3) Les questions/clarifications
 Contrairement à la pratique habituellement constatée sur le
terrain, les questions ne sont posées qu’à la fin du récit libre, et
elles doivent être posées dans la logique du témoin, et non celle
de l’enquêteur.
 L’enquêteur doit d’abord exploiter la richesse des images
mentales que le témoin a décrites dans son récit libre. Pour
faciliter le rappel de ces images mentales, le témoin peut être
invité à fermer les yeux pour mieux décrire ce qu’il a vu. Il existe
plusieurs façons de maximiser le rappel mnésique. On peut
demander au témoin de faire un croquis du lieu où le crime est
survenu, de mimer ou reproduire la scène, ou même retourner
sur les lieux du crime. On peut également demander au témoin
de raconter l’événement dans un ordre différent, à rebours par
exemple, ou de changer de perspective. Plus le témoin fait
travailler sa mémoire, plus il a de chance de se rappeler de
nouveaux détails (Fisher et Geiselman, 1992).
 Une fois que ces étapes de l’entrevue
complétées, l’enquêteur peut maintenant
questionner dans le but de clarifier certains
points précis. Il est important de poser des
questions ouvertes d’abord, puis de terminer
avec des questions spécifiques (si requis),
tout en évitant les questions suggestives.
 Les questions négatives («Vous ne l’avez
jamais vu?») et dirigées («Portait-il des
lunettes?») sont à proscrire parce qu’elles
incitent à répondre par la négative ou
peuvent influencer son souvenir.
4) La révision
 Cette étape permet de vérifier
l’exactitude des renseignements fournis
par le témoin. Cette révision permet au
témoin de corriger, s’il y a lieu, des
erreurs ou des omissions, ou d’ajouter
parfois de nouveaux éléments.
5) Conclusion
 À la fin de l’audition, l’enquêteur peut
recueillir tous les renseignements qu’il
souhaite à propos du témoin, puis il doit
l’encourager à le contacter à tout
moment lorsqu’il croit se souvenir de
nouveaux détails.
Fiabilité de l’entrevue cognitive
 Dans l’ensemble des études, l’EC
suscitait de 25% à 100% plus de
déclarations exactes que les entrevues
standards ou structurées (voir Bekerian
and Dennett, 1993; Fisher and McCauley,
1995 and Fisher & York, 2007).
Exercices pratiques
Réaliser une entrevues cognitive complète (étapes 1 à
5) en prenant soin de respecter ces règles:
a)
b)
c)
d)
e)
f)
g)
h)
i)
j)
Préciser clairement vos attentes au témoin et lui dire de
ne pas attendre les questions;
Poser principalement des questions ouvertes;
Éviter les interruptions;
Écouter;
Permettre les longues pauses;
Encourager le témoin à fermer les yeux;
Poser des questions compatibles avec les images
décrites par le témoin;
Éviter les questions dirigées;
Inviter le témoin à dire qu’il ne sait pas au lieu de
deviner;
Encourager le témoin à décrire l’événement selon
différentes perspectives.
Conclusion
Puisque la mémoire est une faculté qui oublie et qui
est malléable, le recueil du témoignage doit se faire à
l’exemple de l’examen d’une scène de crime. Avec
les mêmes précautions que l’on prend pour protéger
une scène de crime, il faut prendre tous les moyens
pour ne pas contaminer la mémoire du témoin afin
que sa version des faits reflète le plus fidèlement
possible ce qui s’est réellement passé. Chaque
question risque d’influencer la réponse. Même le
choix des mots. C’est pour cette raison que les
questions ouvertes sont les moins risquées. Elles
permettent également de recueillir beaucoup plus
d’informations, et d’une meilleure qualité.
« Racontez-moi tout ce que vous savez à propos de
cet événement ? ».
Lectures suggérées
BILAN, C. (2004). Psychologie du menteur. Ed. Odile Jacob, 255 pages.
CYR, M.-F. (2003). La vérité sur le mensonge. Les Éditions de l’Homme.
EKMAN, P. (1992). Telling lies: clues to deceit in the marketplace, politics and marriage. New York:
W.W. Norton.
FISHER, R.P. et GEISELMAN, R.E. (1992). Memory-Enhancing Techniques for Investigative
Interviewing. The Cognitive Interview. Charles C. Thomas Publisher.
GUDJONSSON, G.H. (2003). The Psychology of Interrogations and Confessions. A Handbook. John
Wiley and Sons. Chichester: England.
IMBAU, F.E., REID, J.E., BUCKLEY, J.P. et JAYNE, B.C. (2001). Criminal Interrogation and
Confessions. 4th ed., 499 pages.
SCHAFER, J.R. et NAVARRO, J. (2003). Advanced Interviewing Techniques. Charles C. Thomas
Publisher, 143 pages.
ST-YVES, M. et TANGUAY, M. (2007). Psychologie de l’enquête criminelle: La recherche de la vérité.
Éditions Yvon Blais, Cowansville, 730 pages.
ST-YVES, M. et LANDRY, J. (2004). Psychologie des entrevues d’enquête. De la recherche à la
pratique. Éditions Yvon Blais, 546 pages.
VRIJ, A. (2000). Detecting Lies and Deceit. The Psychology of Lying and the Implications for
Professional Practice. John Wiley and Sons. Chichester: England.
WILLIAMSON, T. (2006). Investigative Interviewing. Rights, research, regulation. Willian Publishing,
384 pages.
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