Langue française Les Adverbes d`énonciation. Comment

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Les Adverbes d’énonciation. Comment les
dénir et les sous-classier ?
Christian Molinier
Langue française / Volume 2009 / Issue 161 / May 2012, pp 9 - 21
DOI: 10.3917/lf.161.0009, Published online: 09 May 2012
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Christian Molinier (2012). Les Adverbes d’énonciation. Comment les dénir et les
sous-classier ?. Langue française, 2009, pp 9-21 doi:10.3917/lf.161.0009
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Christian Molinier
Université de Toulouse-Le Mirail
CLLE-ERSS (CNRS)
Les Adverbes d’énonciation.
Comment les définir et les sous-classifier ?
1. INTRODUCTION
La distinction Adverbes de phrase vs Adverbes adjoints ou intégrés à la proposition est devenue classique aujourd’hui. Tandis que les seconds portent sur le
verbe ou tel ou tel constituant auprès duquel ils jouent le rôle de modifieur, les
premiers portent sur la phrase prise globalement, à laquelle ils assignent des
commentaires de diverses sortes 1. Dans l’ensemble des adverbes de phrase, une
fois isolés les adverbes conjonctifs – ou connecteurs, qui établissent un lien
entre la phrase où ils figurent et une ou des phrases du contexte gauche –, il
semble légitime de distinguer deux grandes classes d’adverbes, ceux qui
concernent l’acte d’énonciation et ceux qui concernent le contenu de l’énoncé.
Ainsi, pour R. Quirk et S. Greenbaum (1973 : 242), les premiers, dénommés par
ces auteurs « style disjuncts », sont « des adverbes qui véhiculent le commentaire du locuteur sur la forme de ce qu’il dit, définissant en quelque sorte sous
quelles conditions il parle », tandis que les seconds, dénommés par ces mêmes
auteurs « attitudinal disjuncts », « commentent le contenu de l’énoncé ». Cette
nouvelle distinction est à son tour largement admise et la classe des adverbes
1. Pour isoler l’ensemble des adverbes de phrase, on peut se fonder conjointement sur la propriété
de rejet de l’extraction dans C’est … que – qui indique qu’un constituant n’est pas sous la dépendance du verbe, et sur la propriété d’admission en position détachée en tête de phrase positive ou
négative – qui indique la portée sur la phrase entière (Ch. Molinier et F. Levrier 2000). Ainsi, Au
fond, Franchement ou Apparemment sont des adverbes de phrase dans les phrases suivantes :
(Au fond + Franchement + Apparemment), cet homme est dangereux
puisque l’on a :
*C’est (au fond + franchement + apparemment) que cet homme est dangereux
(Au fond + Franchement + Apparemment), cet homme (n’) est (pas) dangereux.
L A N GUE F R A NÇA I S E 161
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Les marqueurs d’attitude énonciative
d’énonciation fait l’objet dans les études spécialisées de définitions proches les
unes des autres, du genre de celle de R. Quirk et S. Greenbaum. Pour C. Guimier (1996 : 154), qui parle à leur propos d’adverbes allocutifs, un tel adverbe
est « apte à caractériser l’acte d’allocution ou les partenaires de cet acte, individuellement ou conjointement ». Pour O. Ducrot (1995 : 605), dans le cadre de sa
théorie de l’énonciation, plus spécifiquement, un adverbe d’énonciation « qualifie l’énonciation dans laquelle l’énoncé est apparu » et l’auteur ajoute que de
tels adverbes « participent à une représentation de l’événement énonciatif à qui
ils attribuent tel ou tel caractère ». Cela étant, il est difficile de tracer des limites
précises à la classe et de les répartir en sous-classes cohérentes, comme le
montre H. Nølke (1993 : 87 et sq.).
On posera donc simplement et informellement, en nous référant aux formes
les plus représentatives de la classe (franchement, honnêtement, concrètement,
etc.), que les adverbes d’énonciation servent au locuteur à rendre compte de
conditions particulières de la production de l’énoncé et qu’ils constituent une
forme de manifestation particulière du locuteur dans l’énoncé.
Nous proposerons ici un inventaire et un classement des adverbes d’énonciation en partant de l’ensemble, préalablement constitué, des adverbes de
phrase, et en usant de traits de différenciation par rapport aux classes voisines,
pour délimiter notre classe des adverbes d’énonciation.
Par adverbe 2, nous entendons les formes monolexicales traditionnelles
(cf. franchement, honnêtement, etc.), mais aussi des groupes prépositionnels figés à
degrés divers (cf. en toute honnêteté, entre nous, etc.) ou encore des phrases plus ou
moins figées utilisées en incise (cf. autant que je sache, si j’ai bonne mémoire, etc.).
Pour circonscrire la classe, on peut dans un premier temps recourir aux propriétés suivantes, non exclusives l’une de l’autre, qui mettent en évidence la
portée de l’adverbe sur le dire du locuteur :
Possibilité pour l’adverbe d’entrer dans une paraphrase dans laquelle il qualifie un verbe de parole placé dans une phrase supérieure :
Honnêtement, cet homme est dangereux
= Je te dis honnêtement que cet homme est dangereux
– Présence dans des formes syntaxiquement complexes de substantifs tels
que mots, termes, propos, ou de verbes tels que parler ou dire :
(En deux mots + Soit dit entre nous), cet homme est dangereux
– Possibilité de paraphrases mettant en jeu des substantifs tels que mots,
termes, propos, ou de verbes tels que parler ou dire :
En clair, cet homme est dangereux
= En termes clairs, cet homme est dangereux
2. Cf. la notion d’adverbe généralisé de M. Gross 1990.
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Les Adverbes d’énonciation
On isole ainsi essentiellement des adverbes concernant le locuteur en tant
que personne morale ou la formulation de l’énoncé par ce même locuteur.
On peut encore comprendre dans la classe des adverbes d’énonciation des
formes incluant presque toujours un morphème de première personne dont
l’objet est d’indiquer la part d’engagement du locuteur dans l’information qu’il
transmet, celle-ci pouvant être le résultat d’un jugement subjectif (cf. à mon avis,
à mon sens, à mon sentiment etc.), être donnée sous toute réserve (cf. autant que je
sache, à ma connaissance, sauf erreur de ma part, etc.), ou être seulement relayée (cf.
à ce que j’ai entendu dire, à ce qu’il paraît, etc.).
Certaines formes, de type reformulatif notamment, cf. en bref, en résumé, en
conclusion, etc., répondent à la fois à la définition des adverbes conjonctifs ils
établissent un lien avec le contexte gauche –, et à la définition des adverbes
d’énonciation – ils concernent la formulation de l’énoncé. Dans la mesure où les
adverbes conjonctifs sont isolés en priorité dans l’ensemble des adverbes de
phrase, ces adverbes relèvent donc des conjonctifs.
Nous étudierons successivement les trois sous-classes majeures qui se dégagent dans l’ensemble des adverbes d’énonciation : les adverbes qui concernent
la disposition psychologique ou morale du locuteur vis-à-vis de l’interlocuteur
(§2), les adverbes concernant la formulation de l’énoncé (§3), les adverbes
concernant la source de l’information (§4).
2. ADVERBES CONCERNANT LA DISPOSITION PSYCHOLOGIQUE
OU MORALE DU LOCUTEUR VIS-À-VIS DE L’INTERLOCUTEUR
On peut regrouper ces adverbes selon diverses rubriques sémantiques :
– L’adverbe permet au locuteur d’engager sa franchise, son honnêteté, sa
sincérité, autant de qualités premières normalement requises de tout locuteur 3.
Le locuteur se rend ainsi plus persuasif, plus digne de confiance, plus crédible
auprès de son interlocuteur, comme le montre l’ajout de l’adverbe à la phrase
de base dans l’exemple suivant :
(Franchement + Honnêtement + Sincèrement), cet homme est dangereux
Nous avons dans cette rubrique les formes suivantes, en relation syntaxique
de paraphrase pour la plupart d’entre elles :
franchement, honnêtement, sincèrement, sérieusement
franchement parlant, honnêtement parlant, sincèrement parlant, sérieusement parlant
à franchement parler
en toute (franchise + honnêteté + sincérité)
3. Cela apparaît clairement par le fait qu’un adverbe de manière du type de fourbement (Il a parlé
fourbement) est inconcevable en tant qu’adverbe d’énonciation.
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Les marqueurs d’attitude énonciative
pour être (franc + honnête + sincère + sérieux)
sans mentir
On notera les traits de figement suivants : seul franchement entre dans la
structure à Adj-ment parler, les formes suivantes en effet ne sont pas utilisées :
*A (honnêtement + sincèrement + etc.) parler, je suis déçu
Le N = : sérieux n’entre pas dans la structure en tout N :
*En tout sérieux, il n’y a pas de temps à perdre
Toutes les formes Adj-ment et en tout N sont admises en tant que modifieur
de manière d’un verbe (Je lui ai parlé (franchement + en toute franchise)), mais
alors que les formes en – ment utilisées en tant que modifieur d’un verbe
admettent les paraphrases de (façon + manière) Adj ainsi que avec N, ces paraphrases sont exclues pour l’adverbe d’énonciation :
*(De manière franche + Avec franchise), elle est à plaindre
On observera que la possibilité d’adjonction du gérondif parlant à la forme
en – ment pour former une unité synonyme (franchement = franchement parlant)
concerne aussi les adverbes de point de vue ((Juridiquement = Juridiquement parlant), cet homme est responsable), mais c’est là un trait isolé de la classe des
adverbes de point de vue, clairement identifiable par ailleurs et nettement distincte de la classe des adverbes d’énonciation.
L’ensemble de ces formes – à l’exception de celles qui présentent la structure
Pour être Adj –, sont admises dans une phrase interrogative. Le locuteur
demande alors à l’interlocuteur d’engager sa franchise, son honnêteté, etc., dans
la réponse à sa question.
Notons pour terminer que la présence de telles formes dans l’énoncé ne
garantit pas l’honnêteté, la franchise, etc. du locuteur. Un locuteur peu très bien
dire : Sans mentir, vous êtes le phénix des hôtes de ces bois ou Sans mentir, j’ai rarement entendu une interprétation de cette qualité, sans être nécessairement sincère.
– L’adverbe indique que le locuteur s’exprime au nom de la vérité ou de la
réalité. C’est le cas pour les trois adverbes suivants :
réellement, vraiment, véritablement
dans des phrases du type suivant :
(Réellement + Vraiment + Véritablement), je ne m’attendais pas à cela
Il convient de distinguer ces adverbes des modaux, qui statuent sur la
vérité, le degré de certitude ou d’évidence de la proposition qu’ils accompagnent, et ce d’une façon parfaitement objective :
(Nécessairement + Incontestablement + Probablement + De toute évidence + etc.), le
sage est heureux
Contrairement aux modaux, vraiment, réellement et véritablement adverbes
d’énonciation sont toujours accompagnés d’une intonation « affective », et ils
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Les Adverbes d’énonciation
produisent un effet d’insistance ou d’intensité. Ainsi, à propos de réellement,
Danjou-Flaux (1982) note « qu’un énoncé avec réellement a plus de force qu’un
énoncé sans réellement ».
Vraiment, réellement et véritablement, contrairement aux modaux, sont toujours possibles en tête de phrase interrogative, le locuteur exigeant de son interlocuteur qu’il dise la réalité ou le vrai :
(Réellement + Vraiment + Véritablement), est-ce que tu t’attendais à cela ?
Comme dans le cas des adverbes d’énonciation précédemment examinés, les
paraphrases pour ces adverbes sont lacunaires. En N est admis pour vraiment et
véritablement :
(En vrai + En vérité), je ne m’attendais pas à cela
mais pas pour réellement. En réalité est un marqueur d’opposition, utilisé en
contexte argumentatif, servant à opposer l’apparence et la réalité (cf. DanjouFlaux (1982)).
Ces trois adverbes peuvent aussi être des adverbes modifieurs d’un verbe :
Ces choses-là ont existé (réellement + vraiment + véritablement)
et les deux premières ont un emploi intensif d’usage courant :
Ce vin est (réellement + vraiment) bon
– L’adverbe indique le rapport intersubjectif que le locuteur veut instituer
avec l’interlocuteur (confidentialité, secret, connivence,…). Nous avons ainsi les
adverbes suivants :
confidentiellement, en toute confidentialité, en confidence
soit dit entre nous, entre nous soit dit, entre nous
de vous à moi
Exemples :
(Confidentiellement + En confidence + Entre nous), ses affaires vont mal
De vous à moi, vous m’avez eu, mon amour (S. Gainsbourg)
Ces adverbes, comme ceux des rubriques précédentes, sont admis dans des
phrases assertives et dans des phrases interrogatives, et en outre, entre nous, soit dit
entre nous, entre nous soit dit, de vous à moi peuvent figurer en phrase injonctive :
Entre nous, ne lui fais pas trop confiance
Nous observons encore pour ces adverbes des traits de figement qui leur
sont propres et qui ne concernent pas leurs correspondants adverbes de
manière. Entre nous adverbe de manière admet la paraphrase exacte entre toi et
moi (ou entre vous et moi) :
Désormais tout est fini (entre nous + entre toi et moi)
Cela doit rester (entre nous + entre toi et moi)
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Les marqueurs d’attitude énonciative
mais non l’adverbe d’énonciation :
*Entre toi et moi, il se trompe
En confidence adverbe de manière est synonyme de en secret mais en secret
n’existe pas en tant qu’adverbe d’énonciation :
Je te le dis (en confidence + en secret)
*En secret, son affaire va mal
- L’adverbe indique une attitude de déférence, de respect (réelle ou ironique), du locuteur vis-à-vis de l’interlocuteur, en fonction des positions
sociales respectives :
sauf votre respect, sauf le respect que je vous dois
Ces formules, aujourd’hui vieillies, permettent au locuteur de s’excuser de
sa liberté de ton. D’autres ont pour fonction de ménager la susceptibilité de
l’interlocuteur, d’éviter de paraître désobligeant :
sans vouloir vous (vexer + offenser + blesser + critiquer + etc.)
ne vous déplaise, ne vous en déplaise
sans (te + vous) commander
Cette dernière accompagne normalement une injonction :
Sans te commander, passe-moi le tournevis
- Les formules de serment qui ponctuent le discours et sont censées témoigner de la sincérité du locuteur (le locuteur engage son honneur, sa parole, ou
prend à témoin une puissance supérieure) peuvent être considérées comme des
adverbes d’énonciation. Ces formules sont désuètes, littéraires, ou propres au
langage des jeunes, et elles sont en général démotivées :
je te le jure, juré, promis, promis juré
(je te le jure + E) sur la tête de (mon père + ma mère)
parole d’honneur, ma parole, parole
par (Zeus + Jupiter + Jéhovah)
par la barbe de (Zeus + Jupiter + Jéhovah + etc.), par ma barbe
etc.
Exemples :
Autant s’établir épicier, ma parole d’honneur ! (G. Flaubert, Madame Bovary)
Tous les enfants de chœur, montrant le poing aux nues/Criaient : Par Jupiter, la noce
continue (G. Brassens)
Ces formules, généralement chargées d’émotivité, sont proches des interjections et en tant que telles elles reflètent des propriétés de l’énonciation.
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Les Adverbes d’énonciation
3. ADVERBES EXPRIMANT UN COMMENTAIRE DU LOCUTEUR
SUR LA FORMULATION DE L’ÉNONCÉ
Il existe des adverbes qui expriment un commentaire du locuteur sur la formulation de l’énoncé, et dont l’objectif est de faire en sorte que l’énoncé soit bien
compris, bien interprété par le destinataire. Nous les regroupons selon leur sens.
– L’adverbe indique que la formulation de l’énoncé présente des propriétés
qui le rendent aisément accessible, qui facilitent son interprétation :
concrètement, objectivement, simplement, clairement
en termes (concrets + objectifs + simples + clairs)
en clair
On observera que en clair est seul de son espèce (cf.* en concret, *en objectif, *en
simple) et qu’il ne connaît pas l’emploi adverbe de manière, comme clairement :
Je lui ai parlé (clairement + *en clair)
Clairement, d’un usage récent en tant qu’adverbe d’énonciation, semble se
répandre :
Clairement, nos finances sont en déficit
Tous ces adverbes sont admis dans des phrases assertives, interrogatives et
injonctives.
– L’adverbe indique que la formulation de l’énoncé vise à l’exactitude ou à
l’essentiel, quitte à être réductrice. C’est le cas des formes ci-dessous :
à (strictement + proprement) parler
pour aller à l’essentiel
pour dire les choses comme elles sont
Les formes suivantes sont un commentaire métalinguistique indiquant comment interpréter l’énoncé ou une partie de l’énoncé :
stricto sensu, au sens strict, au sens large, dans le vrai sens du (mot + terme), au vrai
sens du (mot + terme)
Exemple :
C’est au vrai sens du mot un hypocrite
– L’adverbe indique à l’inverse que la formulation de l’énoncé est approximative et insatisfaisante. Le locuteur le signale à son interlocuteur afin de prévenir une mauvaise interprétation :
en quelque (sorte + façon + manière)
en gros, grosso modo, pour ainsi dire
entre guillemets, comme qui dirait
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Les marqueurs d’attitude énonciative
Les deux dernières formes, clairement métalinguistiques, portent en général
sur un mot ou une expression que le locuteur veut détacher du contexte pour
diverses raisons. L’ensemble de ces formes signale des problèmes d’adéquation
entre la pensée et sa formulation.
– L’adverbe indique que la formulation de l’énoncé relève d’un style particulier ou du style particulier du locuteur, qui demande à son interlocuteur d’en
tenir compte et de l’accepter :
si j’ose ainsi m’exprimer
si je puis ainsi m’exprimer
si vous me passez (le mot + l’expression + etc.), passez moi (le mot + l’expression)
comme on dit (chez nous + dans le patois de chez nous + à Marseille + etc.)
4. ADVERBES CONCERNANT LA SOURCE DE L’INFORMATION
Les adverbes concernant la source de l’information font intervenir l’énonciateur en tant que garant de cette information. Celui-ci intervient en effet pour marquer son adhésion plus ou moins grande à l’information qu’il communique, pour
marquer au contraire une distance prudente avec cette information, ou pour
signifier qu’il relaie simplement une information. Ces adverbes constituent généralement un chapitre à part de la grammaire, sous le nom d’adverbes médiatifs
ou évidentiels. Nous nous contenterons donc de les évoquer brièvement.
4.1. Les adverbes de conviction personnelle
On peut regrouper sous cette étiquette les adverbes suivants :
à mon avis, à mon sens, à mon sentiment, à mes yeux, à mon point de vue, de mon
point de vue, d’après moi, selon moi, pour moi
Ces adverbes présentent une grande homogénéité de structure. Ce sont des
groupes nominaux prépositionnels où le GN est soit le pronom personnel de
première personne, soit un N accompagné du déterminant possessif de première personne. Ces adverbes indiquent que le locuteur présente un point de
vue subjectif, parle en son nom propre, émet un jugement conforme à son univers de croyances. Ce faisant, celui-ci admet que d’autres visions des choses
sont possibles, que son point de vue peut ne pas être partagé ou peut même
être contredit. Une propriété caractéristique de ces adverbes est qu’ils refusent
la cooccurrence avec un verbe d’opinion tel que croire ou penser (*A mon avis, je
crois qu’il va pleuvoir), ce qui prouve la proximité de leur fonction sémantique.
L’ensemble de ces formes sont incompatibles avec la formulation de sensations, d’affects, d’impressions du locuteur, pour lesquels celui-ci est seul juge
de l’existence et de la réalité (cf. A. Berrendonner (1981), D. Coltier et P. Dendale (2004)) :
*(À mon avis + Selon moi + Pour moi), j’ai mal à la tête
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Les Adverbes d’énonciation
*(À mon avis + Selon moi + Pour moi), je suis mélancolique
vs (A mon avis + Selon moi + Pour moi), j’ai la grippe
À l’inverse, le jugement émis doit pouvoir être discuté et confronté à des
jugements différents, à des normes, à des critères objectifs. C’est ainsi que l’on
peut expliquer l’opposition d’acceptabilité entre les membres de chacun des
couples suivants :
? (À mon avis + Selon moi + Pour moi), ce film est long
(À mon avis + Selon moi + Pour moi), ce film est trop long
? (À mon avis + Selon moi + Pour moi), ce film est ennuyeux
(À mon avis + Selon moi + Pour moi), ce film est raté
Il convient enfin de noter que ces adverbes peuvent jouer une fonction pragmatique d’atténuation (cf. A. Borillo (2004)). En mentionnant la subjectivité de
son propos, le locuteur en relativise la portée, le rend moins catégorique, se
ménage une position de repli si celui-ci est démenti. Il peut même signaler
explicitement la possibilité d’un démenti (Selon moi, c’est une angine de poitrine,
mais je peux me tromper).
4.2. Les adverbes distanciatifs
Les adverbes suivants :
autant que je sache, pour autant que je sache
à ma connaissance
si j’ai bonne mémoire, si ma mémoire est bonne, si je me souviens bien, si je ne me
trompe pas, si je ne m’abuse
sauf erreur de ma part
permettent au locuteur de prendre une certaine distance vis-à-vis de ce qu’il dit
– il n’en garantit pas l’authenticité parfaite (son information peut être incomplète, sa mémoire défaillante, son jugement incertain).
Toutes ces formes incluent un morphème de première personne (elles n’ont
pas de correspondant avec un morphème de troisième personne : ? autant
qu’(on + il) le sache, ? à la connaissance (de mon voisin + générale) ne semblent pas
attestés), elles accompagnent des phrases assertives décrivant des faits que le
locuteur ne peut garantir, mais non de simples conjectures ou des vues de
l’esprit, comme c’est le cas avec la classe précédente (à mon avis, selon moi…) :
Vous êtes très féru de Bergotte, si je me souviens bien. (Marcel Proust, Du côté des
Guermantes)
Mais Docteur, nous avons déjà travaillé ensemble, si ma mémoire est bonne ? (Alain
Robbe-Grillet, Les gommes)
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Les marqueurs d’attitude énonciative
N.B. Le second exemple présenté ci-dessus ne peut-être considéré comme
une phrase interrogative. C’est une assertion pour laquelle le locuteur demande
confirmation.
Cependant, ces formes partagent avec celles de la classe précédente la fonction pragmatique d’atténuation, en soulignant les limites du savoir (cf.
l’adverbe autant dans autant que je sache) ou de la connaissance (cette dernière
pouvant être le fait d’un seul individu : le locuteur), la possibilité de défaillance
mémorielle ou d’erreur.
Ces adverbes sont utilisés essentiellement en situation de dialogue. Cependant, à ma connaissance semble possible en style indirect libre, l’énoncé étant
alors la représentation de la parole ou de la pensée d’un personnage de la narration (le narrateur ou un tiers) : J’étais stupéfait. À ma connaissance, Luc n’avait
jamais eu de démêlés avec la justice/Max était stupéfait. À sa connaissance, Luc n’avait
jamais eu de démêlés avec la justice). Mais tel n’est pas le cas pour autant que je
sache, pour autant que je sache, si ma mémoire est bonne, si je me souviens bien, si je
ne m’abuse, etc., qui sont impossibles en dehors d’un dialogue.
4.3. Les adverbes d’emprunt à une source extérieure
Les formes suivantes :
à ce que j’ai entendu dire, à ce qu’on (dit + raconte), aux dernières nouvelles, à ce qu’il
paraît
de source (sûre + bien informée + diplomatique + etc.), selon une source (sûre + bien
informée + etc.), selon les propres termes de N
à en croire N, si l’on en croit N
aux dires de N, d’après N, selon N
servent au locuteur à attribuer une information à une source extérieure, information que le locuteur ne met pas en cause mais qu’il ne s’approprie pas non
plus.
L’ensemble de ces formes peut être décrit au moyen des notions de source,
d’inférence (présente ou absente), i.e. création de l’information à partir de données, et de position du locuteur par rapport à l’information, comme l’a montré
Ch. Marque-Pucheu (1999) dont nous suivons l’analyse.
La source peut consister en un Nhum dont le locuteur rapporte les paroles
avec plus ou moins de fidélité (selon les propres paroles de Luc, à en croire Luc,
d’après Luc, selon Luc, etc.), en une voix impersonnelle le « on » de la rumeur
publique (à ce que j’ai entendu dire, à ce qu’il paraît, etc.) - ou encore en une production documentaire (selon les archives départementales, selon les statistiques,
d’après de vieilles inscriptions, etc.).
L’inférence consiste en la création de l’information à partir de l’examen de
données de diverses sortes. L’inférence peut être le fait du locuteur (qui interprète des données), comme vraisemblablement dans l’exemple : Selon les der-
18
Les Adverbes d’énonciation
nières statistiques de la chambre des notaires, la reprise de l’immobilier se confirme.
Dans ce cas, il n’y a pas de discours rapporté, donc pas d’emprunt et la question de la position du locuteur n’est pas pertinente (En me fondant sur les dernières statistiques de la chambre des notaires, je pense et dis que P). Mais il peut y
avoir ambiguïté et l’inférence peut être le fait de la source ou le fait du locuteur,
comme dans : D’après l’enquête de la direction du tourisme, le nombre des vacanciers
français stagne. L’assertion Le nombre des vacanciers stagne peut être attribuée à la
direction du tourisme, et dans ce cas il y a emprunt, ou bien au locuteur, qui
l’émet en se basant sur l’enquête de la direction du tourisme.
La question de la position du locuteur par rapport au crédit qu’il convient
d’apporter à l’information se pose essentiellement avec les formes incluant un
Nhum. En effet, dans des expressions du type aux dernières nouvelles, à ce que j’ai
entendu dire, le locuteur ne prend nullement parti. Avec selon Nhum, d’après
Nhum, le locuteur paraît proche de l’adhésion, mais il peut aussi expliciter sa
position, d’adhésion ou de rejet : Selon le porte-parole du gouvernement, les rebelles
ont été maîtrisés, ce qui est sans doute (vrai + faux).
4.4. Adverbes d’individuation
Les adverbes suivants :
Personnellement, en ce qui me concerne, pour ma part
peuvent être désignés sous l’étiquette d’adverbes d’individuation, en entendant par ce terme « la distinction d’un individu des autres de la même espèce
ou d’un groupe, de la société dont il fait partie ; le fait d’exister en tant qu’individu » (T.L.F.). À cette fonction d’individuation d’un actant humain (le sujet en
général), s’ajoute une fonction de thématisation.
L’adverbe personnellement considéré ici 4 (à distinguer de l’adverbe de
manière personnellement, cf. : Jean joue (très personnellement + de manière très
personnelle) ce concerto, et de l’adverbe personnellement focalisateur, cf. : Jean a
rencontré le ministre (personnellement + en personne)) accompagne nécessairement un actant humain de première personne, sujet dans le cas le plus
général :
Personnellement, je n’ai jamais fait cela
mais sujet ou objet dans le cas des verbes psychologiques, personnellement portant nécessairement sur l’actant « lieu psychologique » :
Personnellement, j’aime beaucoup Léa
vs *Personnellement, Léa m’aime beaucoup
Personnellement, Léa me plaît beaucoup
vs *Personnellement, je plais beaucoup à Léa
4. Pour une étude plus complète de personnellement, cf. Ch. Molinier 2003.
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Les marqueurs d’attitude énonciative
Notons qu’en style indirect libre, personnellement peut porter sur un actant
de troisième personne, le « il » étant une transposition du « je » du discours :
Jean parla de lui. Personnellement, il aimait beaucoup Léa
En ce qui me concerne et pour ma part ont des emplois analogues à ceux de personnellement et lui sont toujours substituables. Cependant la structure de ces deux
formes est susceptible d’accueillir des morphèmes autres que de première personne. L’adverbe ainsi formé a alors essentiellement une fonction de thématisation et se distingue nettement des adverbes d’individuation. Ainsi, dans le cas de
la structure en ce qui concerne N, N peut être un Nhum (groupe nominal ou
pronom) : En ce qui concerne Luc, il nie tout ; En ce qui le concerne, Luc nie tout, ou
un N-hum (groupe nominal) : En ce qui concerne la maison, elle est vendre, *En ce qui
la concerne, la maison est à vendre. Dans le cas de la structure Pour Poss part, Poss est
nécessairement un adjectif possessif humain, et Poss ne peut être associé à une
forme nominale (Pour sa part, Luc nie tout ; *Pour la part de Luc, il nie tout).
Personnellement, en ce qui me concerne et pour ma part accompagnent souvent
des verbes d’opinion ou de jugement (penser, croire, considérer, estimer, etc.). Le
locuteur se démarque ainsi d’autres individus pour dire ce qu’il pense, ce qu’il
croit, ce qu’il sait (Personnellement, je pense qu’il a tort). On peut alors rapprocher
le groupe formé par l’adverbe et le verbe d’adverbes tels que à mon avis, selon
moi, d’après moi (A mon avis, il a tort).
5. CONCLUSION
La classe des adverbes d’énonciation, telle que nous la délimitons, se fonde
sur une subdivision hiérarchique de l’ensemble des adverbes de phrase, préalablement constitué. Dans ce premier ensemble, on isole d’abord les adverbes
conjonctifs ou connecteurs, qui réfèrent explicitement au contexte gauche (cf. :
en outre, en effet, à ce propos, etc.), et dans l’ensemble restant, on distingue deux
ensembles : les adverbes concernant l’énonciation (cf. : franchement, honnêtement,
entre nous, etc.) et les adverbes concernant le contenu de l’énoncé (cf. : curieusement, incontestablement, nécessairement, habituellement, etc.). Nous avons signalé
la proximité de certains adverbes d’énonciation avec ceux d’autres classes
d’adverbes (les reformulatifs, les évaluatifs, les modaux), ou avec certains
membres d’autres classes de morphèmes (les interjections, les exclamations).
Dans la classe des adverbes d’énonciation, nous avons distingué trois sousensembles : l’ensemble des adverbes indiquant la disposition psychologique ou
morale du locuteur vis-à-vis de l’interlocuteur (cf. : franchement, confidentiellement, de vous à moi, etc.), l’ensemble des adverbes spécifiant la formulation
adoptée par le locuteur (cf. : concrètement, simplement, à strictement parler, etc.) et
l’ensemble des adverbes indiquant la position du locuteur par rapport à l’information qu’il transmet (cf. : à mon avis, à mon sens, autant que je sache, personnellement, etc.). Les principaux membres de chacun de ces trois sous-ensembles ont
été énumérés et brièvement décrits.
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Dans la description de ces formes, nous avons fait apparaître des propriétés
de structure propres à cette classe d’adverbes, en relation pour la plupart d’entre
elles avec l’usage de morphèmes de première personne. Rappelons tout d’abord
que si les formes en – ment en usage comme adverbes d’énonciation (cf. : franchement, honnêtement, etc.) sont aussi en usage comme adverbes de manière, les
formes paraphrastiques associées à l’adverbe de manière : de (façon + manière) Adj
et avec N sont exclues comme adverbes d’énonciation (cf. : (*Franchement + D’une
manière franche), tu me déçois). Rappelons encore que si entre nous modifieur d’un
verbe admet la paraphrase entre toi et moi (ou entre vous et moi), entre nous adverbe
d’énonciation exclut cette paraphrase (cf. : (Entre nous + *Entre toi et moi), ce livre
est mauvais). Nous avons vu également qu’une série de formes ont une structure
qui accueille des morphèmes de première personne (et éventuellement de
deuxième personne) à l’exclusion de morphèmes de troisième personne (cf. : à ma
connaissance, si ma mémoire est bonne, si je ne m’abuse, autant que je sache, etc.) ou ne
sont compatibles qu’en cooccurrence avec des morphèmes de première personne
(cf. : personnellement). Enfin, lorsqu’une même structure accueille aussi bien un
morphème de première personne qu’un morphème de troisième personne, les
formes qui incluent un morphème de première personne ont des propriétés syntaxiques et sémantiques qui les situent à part et font qu’elles relèvent seules des
adverbes d’énonciation. Ce sont là des particularités qui caractérisent la classe et
dont l’explication relève de l’énonciation.
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