Ethique et informatique Philippe Goujon University of Namur, Belgium le 13 décembre 2006 Plan: 1)Qu ’est-ce que l ’éthique 2 )Quatre grandes théories morales 3) Le monde change: l ’informatique et la cyberéthique 2 1) Qu’est-ce que l’éthique? L ’importance de l ’éthique La notion d’éthique, autrefois strictement réservée au champ de la philosophie, s’est répandue dans toutes les sphères de l’activité humaine et a aujourd’hui droit de cité dans le discours et les pratiques des organisations et des institutions modernes Cet appel constant à l’éthique et la position centrale que celle-ci occupe aujourd’hui comme question capitale relève de deux facteurs principaux: 1° le signe d’un malaise profond affectant nos sociétés occidentales; 2° une tentative de traitement de ce malaise soit en tentant de transformer le symptôme en signe de guérison, soit en s’efforçant d’en découvrir les racines et les significations” . 4 Quelle éthique? Lorsqu’on parle d’“ éthique ”, on peut parler de deux choses. * l’éthique consiste en une réflexion critique qui porte sur des théories morales controversées : l’utilitarisme, l’égoïsme, le kantisme, le contractualisme, etc Un fait et une valeur sont de choses radicalement distinctes. Les faits sont ce qu’ils sont. On ne peut le changer. Ils sont pour ainsi dire “ muets ”, en ce sens qu’ils ne “ disent ” pas qu’ils sont bons ou mauvais. * L’éthique consiste en une réflexion critique portant , cette fois-ci, sur divers problèmes moraux controversés : l’euthanasie, le clonage humain, la peine de mort, l’avortement, etc 5 L’éthique n’est pas un fait Un fait et une valeur sont de choses radicalement distinctes. Les faits sont ce qu’ils sont. On ne peut le changer. Ils sont pour ainsi dire “ muets ”, en ce sens qu’ils ne “ disent ” pas qu’ils sont bons ou mauvais. . David Hume (1711-1776) est le philosophe qui est à l’origine d’une distinction nette entre les faits et les valeurs. De cette distinction fondamentale provient ce qu’on appelle la “ loi de Hume ” touchant l’argumentation morale. Une argumentation morale est un raisonnement qui vise à justifier un jugement de valeur. La loi de Hume stipule que dans une argumentation morale on ne peut jamais conclure un jugement de valeur sur la base seulement d’un ou plusieurs jugements de fait. La loi de Hume nous dit en somme qu’une bonne argumentation morale doit comporter au moins un jugement de valeur dans ses prémisses. 6 L’éthique n’est pas la morale Il importe au départ de clairement distinguer entre éthique et morale. Plutôt que d’accepter la définition aussi communément répandue que simpliste du Petit Robert (1973), pour qui l’éthique est assimilable à “la science de la morale” et constitue “un art de diriger la conduite ”, il faut voir dans l’éthique, non le recours à un impératif catégorique, normatif, qui relève effectivement de la morale et qui prescrit ce qu’est le “bien” et ce qu’il faut faire pour l’atteindre, ou éviter de faire (dans ce cas, ce qu’il faut faire et ne pas faire est du ressort de la déontologie), mais un impératif hypothétique, c’est-àdire une réflexion critique sur les valeurs qui prévalent socialement et qui influent sur les pratiques individuelles et collectives, une réflexion qui a pour raison d’être d’orienter la conduite humaine dans un contexte socioculturel donné. 7 L’éthique n’est pas la déontologie la déontologie Du grec déon,-ontos, ce qu’il faut faire et -logia, théorie, la déontologie est l’ensemble des règles qui régissent une profession, la conduite de ceux qui l’exercent. Fondée sur des droits et obligations définis par la loi ou des textes fondamentaux, faisant référence à une “ morale professionnelle ”, la déontologie est un ensemble de principes d’action, pour les pratiques professionnelles de personnes agissant dans un cadre similaire, exerçant un métier identifié. La déontologie est par définition professionnelle, elle définit une règle, avant même la confrontation à une situation à risques. Responsabilité et déontologie peuvent et doivent être formalisées. Elles demandent à être articulées et intégrées dans les différents niveaux de l’organisation concernée 8 L’éthique n’est pas la déontologie(suite): La déontologie est par définition professionnelle, elle définit une règle, avant même la confrontation à une situation à risques. Responsabilité et déontologie peuvent et doivent être formalisées. Elles demandent à être articulées et intégrées dans les différents niveaux de l’organisation concernée En revanche, l’éthique renvoie d’abord à l’individu. Il est donc difficile d’en faire un objet de travail collectif au sein d’une entreprise, d’une administration ou d’une organisation syndicale. 9 L’éthique n’est pas La religion La loi Les pratiques sociales Les émotions Il nous reste à essayer de dire de manière positive ce qu’est l’éthique 10 Aujourd’hui Ce qu’est (minimalement) l’éthique: Le caractère réflexif de l’éthique Le caractère social de l’éthique Le caractère universel de l’éthique Les dilemmes moraux Trois grandes théories morales Conséquentialisme Déontologisme Éthique de la vertu 11 Une conception minimale de l’éthique Le caractère réflexif de l’éthique Le caractère social de l’éthique Le caractère impartial et universel de l’éthique 1. Le caractère réflexif de l’éthique Réflexif = réflexion, réfléchir sur nos comportements Simplement vivre selon certaines règles n’est pas suffisant pour qu’on puisse parler d’éthique Il faut plus que suivre aveuglément les règles qu’on nous a inculquées quand nous étions petits Il faut plus que de vivre d’après certains tabous. Il faut que l’agent n’adopte que les règles qu’il puisse comprendre et justifier. C’est ce qui est nécessaire pour prendre soi-même sa propre décision et agir de manière responsable. 13 2. Le caractère social de l’éthique Implique la discussion, le dialogue Les raisons qui sont convenables pour justifier un jugement moral sont des raisons qui devraient pouvoir être acceptées par autrui On devrait pouvoir les présenter dans un débat 14 3. L’éthique comme impartiale et universelle Le point de vue moral est un point de vue universel, qui fait abstraction du fait que c’est moi plutôt qu’autrui qui est concerné Si c’est bon pour moi, il faut que ce soit bon pour les autres L’impartialité des jugements moraux : il ne faut pas que le jugement moral soit biaisé en faveur de nous-mêmes et de nos proches Un juge qui manque d’impartialité est un juge qui avantage ses amis, voire lui-même, aux dépens de ses ennemis. C’est la même chose pour l’agent qui veut être moral : il faut qu’il soit impartial (il ne faut qu’il favorise ses enfants par rapport à d’autres enfants, par exemple) Et il faut aussi que la justification que l’on donne pour une action ou un jugement puisse pouvoir être acceptée par tous – pas seulement par les membres de sa famille ou de sa communauté. 15 16 Les dilemmes moraux 17 Définition d’un dilemme moral Un dilemme moral consiste en un conflit impliquant des raisons morales qui donnent lieu à des obligations apparemment incompatibles. 18 Types de dilemmes moraux A. Conflits impliquant un seul principe moral Exemple de Jean et ses deux fiancées Principe: Il faut tenir ses engagements Conflit: La même promesse est faite à deux personnes différentes et c’est impossible de la tenir pour les deux Exemple de deux blessés graves aux urgences Principe: Il faut sauver la vie d’autrui Conflit: On ne peut que sauver une vie dans ce cas 19 Types de dilemmes moraux (suite) B. Conflits impliquant plusieurs principes moraux Principes en jeu: il faut être honnête et il faut éviter de faire souffrir autrui Quel principe doit l’emporter? Pas évident… La solution dépend peut-être du contexte Peut-être faut-il considérer les conséquences Peut-être croit-on que ne pas mentir est un impératif absolu (valable dans toutes les circonstances) 20 Dilemmes insolubles? L’idée est que parfois : un agent est moralement tenu de faire deux actions incompatibles aucun des devoirs moraux en jeu ne prime sur l’autre on ne peut pas simplement faire pile ou face Est-ce que de tels dilemmes existent vraiment? 21 Dilemmes insolubles (suite) Parfois, l’un des deux principes l’emporte clairement Parfois, le contexte permettra de rendre soluble un dilemme qui avait l’air insoluble Quoi qu’il en soit, « nul n’est tenu à l’impossible » (Kant) 22 2 )Quatre grandes théories morales. Quatre grandes théories morales Conséquentialisme (utilitarisme) Déontologisme Éthique de la vertu Éthique de la discussion Utilitarisme/Conséquentialisme Première grande approche morale Utilitarisme Fondateur: Jeremy Bentham (1748-1832), avocat Veut donner des fondements objectifs à la moralité Époque des Lumières Développements scientifiques on veut tout étudier scientifiquement, y compris la moralité Définition de l’être humain pour Bentham « Les êtres humains sont sous l’empire de deux maîtres souverains, la douleur et le plaisir » Le mobile fondamental de nos comportements est de rechercher le plaisir et de fuir la douleur 26 Principe moral central de l’utilitarisme Il faut promouvoir l’utilité générale, i.e. maximiser le plaisir et minimiser la douleur dans le monde Utilitarisme = utilité, conséquence Idée de calcul Toute action peut être mesurée en termes du plaisir ou de la douleur qu’elle procurera • Plaisir et douleur: états physiques indifférenciés Mesure de calcul: l’« UTIL » • Il faut faire le calcul pour chaque action Utilité doit être calculée pour le plus grand nombre • Ce n’est pas une théorie égoïste Bentham ne différencie pas entre les types de plaisir ou de douleur: tout s’équivaut 27 John Stuart Mill Il y a une hiérarchie entre les types de plaisir « Mieux vaut être Socrate insatisfait qu’un porc satisfait » Aujourd’hui, les conséquentialistes tentent de trouver le meilleur fondement du calcul: les intérêts, les préférences, etc. IL est important de tenir compte des intuitions morales populaires On peut suivre des règles établies même si on ne fait pas à chaque fois un calcul Si on a adopté ces règles, c’est qu’elles ont une utilité 28 Conséquentialisme de l’acte/de la règle De l’acte Il faut, pour chaque action, faire le calcul de l’utilité afin de savoir quel est le bon geste à poser De la règle: Ne pas faire le calcul à chaque fois, mais obéir aux règles établies puisqu’elles produisent les meilleures conséquences Exemple du mensonge pour faire plaisir 29 Exemples de conséquentialisme aujourd’hui Le calcul coûts/bénéfices dans les entreprises Guerres préventives QALY’s en médecine Publicité de la Croix-Rouge « Un don peut sauver 4 vies » 30 Pour le conséquentialisme Ne pas se soucier des conséquences est égoïste Maximiser une valeur pour tous est mieux que de favoriser une valeur pour moi seul C’est souvent la meilleure approche pour établir des politiques publiques On veut ce qui a les meilleures répercussions pour la majorité 31 Problèmes généraux soulevés par l’utilitarisme classique : cette forme de conséquentialisme (qui ne mesure la moralité des actes qu’au seul regard des conséquences) laissera volontiers sur le côté de la route un nombre de personnes minoritaires au nom du confort du plus grand nombre. La simplicité excessive de l’utilitarisme dans sa version la plus simple peut conduire à des choix discutables: par exemple, faut-il couper les soins médicaux aux malades du SIDA en phase terminale, car leur espérance de vie est faible? Ceux qui disent que oui, et le pratiquent dans le NHS et aux USA, le justifient par une argumentation utilitariste: les moyens employés pour ces personnes en fin de vie pourraient être employés pour sauver des enfants, p. ex., qui ont devant eux une vie prolongée, donc la somme de bonheur sera plus élevée en utilisant les ressources limitées pour sauver ces enfants plutôt que pour traiter des gens en fin de vie.. L’utilitarisme semble très exigeant sur le plan moral, semble exiger un grand altruisme ll est difficile d'appliquer le principe d'utilité car on ne sait pas mesurer le plaisir, les êtres humains n'étant pas psychologiquement identiques.Il est très difficile de quantifier le plaisir et la souffrance? 32 Problèmes généraux soulevés par l’utilitarisme classique (suite) : Enfin une critique concerne le caractère trop complexe du critère d'utilité : en effet chaque loi, chaque mesure politique produit une infinité de conséquences plus ou moins heureuses, de telle sorte qu'il devient vite impossible d'énumérer les répercussions bénéfiques et les effets nocifs, même pour les experts, comme l'attestent leurs divergences d'opinions. toutes ces critiques montrent que l ’utilitarisme ne peut constituer La solution 33 Approche déontologiste Deuxième grande théorie morale caractéristiques de l’approche déontologiste Les conceptions antiques de la morale pouvaient se définir comme étant des morales du bonheur. Agir moralement consistait à se conduire selon certaines règles afin de vivre en accord avec la nature, la morale se composait d'un ensemble de conseils permettant l'acquisition d'un bien relatif, c'est-à-dire l'établissement d'une relation harmonieuse entre l'individu et la nature. Kant va s'inscrire en faux contre cette conception de la morale et ceci à partir d'une réflexion sur la nature même de la volonté et de l'acte moral. La théorie déontologique est une théorie qui, plutôt que de nous donner un but vers lequel nos actions devraient tendre, nous dicte les limites que nous devons respecter dans l’atteinte de nos buts. Selon Kant, la morale doit : avoir une base rationnelle, pouvoir se systématiser, se baser sur ce qui nous distingue des animaux (l’homme est libre, il échappe au déterminisme). 35 caractéristiques de l’approche déontologiste (suite) La morale désigne toujours les mœurs, et, plus précisément, un ensemble de préceptes préconstitués. On doit d'ailleurs parler de morales, car il y a autant de morales que de sociétés ou même d'époques. L'éthique, c'est la réflexion sur la morale. La morale dit, par exemple : "il ne faut pas tuer". L'éthique demande : "pourquoi ne faut-il pas tuer ?", "sur quoi est fondé ce précepte en l'homme ?". Et, plus généralement, elle pourra se demander : comment définir une action bonne, qu'est-ce qui fait qu'une action est morale, … ainsi que, pourquoi pas : d'où vient la morale (cf. Nietzsche) ? La morale ne se prononce pas sur ces questions. On peut dire que, alors que l'éthique est philosophique (= philosophie morale), la morale ne l'est pas. 36 Principe de base du déontologisme Il y a des actes absolument interdits, peu importent les conséquences Il faut respecter autrui, peu importent les conséquences L’autonomie et la dignité humaine sont fondamentales Autonomie: décider ce qui est bon pour soi 37 Historique du déontologisme Platon (427-357 av. J.C.) Il existe des règles morales absolues (monde des Idées) et il faut s’y conformer Mène chez Platon à un élitisme • Seule une petite catégorie de gens peuvent avoir accès à la connaissance des ces règles et ils doivent diriger les autres • Concept du philosophe-roi… 38 Historique (suite) Emmanuel Kant (1723-1804) Époque des Lumières: Kant met l’emphase sur la raison (versus autorité ou tradition) • Sapere aude: oser penser par soi-même Plaisir et douleur n’ont rien à voir avec la moralité • Il faut souvent combattre nos inclinaisons pour être moral! L’intention prime sur les conséquences 39 La raison, pour Kant Est universelle, partagée par tous les être humains Nature de l’homme = être rationnel Concept d’autonomie (nomos: loi) Chacun définit par sa raison les lois morales auxquelles il doit se soumettre Puisque la raison est commune à tous les êtres humains: On arrivera tous aux mêmes conclusions sur ce que sont les règles morales (Kant n’est pas relativiste) Il faut respecter tous les humains, car leur raison les rend digne de respect, leur confère des droits 40 La bonne volonté pour Kant La seule chose vraiment bonne est la bonne volonté Définition: volonté qui se laisse guider par le respect du devoir (la loi morale) Une action bonne est une action produite par la bonne volonté Agir par respect du devoir, en fonction des principes moraux corrects Les conséquences n’ont aucune importance dans cette vision des choses 41 Comment déterminer les lois morales? Principe d’universalisation Il s’agit d’un test que notre raison peut faire passer aux principes moraux Il faut pouvoir déterminer si notre action peut devenir une loi universelle (si on peut vouloir que tout le monde s’y conforme) 42 Kant et les droits humains Kant est-il un rigoriste, un « sans-cœur »? Ex. du Juif en fuite, idée de ne pas tenir compte des conséquences, de suivre la loi à tout prix… Attention: dimension profondément humaine de l’éthique kantienne: « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours comme fin en soi et jamais simplement comme un moyen. » (impératif catégorique) 43 Implications de l’impératif catégorique L’homme se distingue de toute chose par sa raison: il est autonome, il représente une valeur morale absolue en soi Tout individu a le droit d’exiger le respect absolu de ses droits, de sa dignité Ma liberté d’action s’arrête où celle des autres commence Les autres ne sont pas des moyens que je peux utiliser à mon gré pour arriver à mes fins Par la conscience de la loi morale, l'homme est puisqu'il peut choisir la manière dont il va déterminer son action, selon l'impératif catégorique ou selon l'impératif hypothétique. Mais la conscience de la loi morale ne suffit pas pour que cette liberté se traduise en acte, il faut qu'intervienne un élément qui fasse que je ne suis pas indifférent à celle-ci, cet élément est le respect qui constitue le mobile de la raison pure pratique. Le mobile de l'action ne pouvant se trouver dans une fin extérieure à la loi morale, il ne peut être suscité que par la seule représentation de la loi morale. Ce mobile qui nous meut quand nous agissons moralement est un sentiment, car c'est par lui que nous nous sentons obligés d'agir moralement, mais c'est un sentiment singulier car il n'est pas de l'ordre du sensible, du plaisir ou de la peine, de l'inclination ou de la crainte. 44 Implications de l’impératif catégorique (suite) L’homme se distingue de toute chose par sa raison: il est autonome, il représente une valeur morale absolue en soi - Car ce n'est pas un sentiment de plaisir, il implique l'humiliation de l'amour de soi comme individu particulier. Mais ce n'est pas non plus un sentiment de peine car il procure l'estime de soi dans sa dignité d'être raisonnable. Il s'agit donc d'un sentiment singulier suscité par la raison et qui outre la loi morale ne peut s'appliquer qu'à des personnes, à des libertés incarnant la loi morale, je ne peux respecter des choses ou des animaux qui n'ont pas le mérite d'être ce qu'elles sont puisqu'elles suivent la nécessité naturelle Ceux qui se représentent la doctrine de Kant comme dominée par la loi et la culpabilité font une erreur fondamentale. Le but principal de Kant est d'approfondir et de justifier l'idée de Rousseau que la liberté est le fait d'agir selon une loi que nous nous donnons à nousmême. Et ceci ne conduit pas à une morale basée sur le commandement strict, mais à une éthique du respect mutuel et de l'estime pour soi-même. 45 Déontologisme en général Thèse centrale Un acte doit se conformer aux obligations morales peu importent les conséquences • Importance de l’acte lui-même, du respect des règles, de l’intention Justification profonde Nous devons refuser de faire certaines actions par respect pour autrui 46 Répercussions de la théorie de Kant aujourd’hui Codes de déontologie Morale contractualiste Les rapports entre les individus doivent toujours s’établir sur le respect des accords ou des engagement conclus entre les individus considérés comme des être libres et autonomes Théorie du consentement éclairé vs paternalisme Ex.: Relations avec le médecin hier et aujourd’hui Relations publiques hier et aujourd’hui 47 Pour le déontologisme Établit des limites à ce qui est tolérable Met l’accent sur les droits humains Est moins exigeant que le conséquentialisme On ne doit pas se sacrifier pour autrui, il faut seulement s’assurer de respecter ses droits 48 Contre le déontologisme Abstraction Cependant, c’est aussi considéré comme une qualité: si c’est trop concret, ça ne peut pas être interprété pour plusieurs cas On pourrait reprocher à cette conception de la morale de tourner à vide, d'être purement formelle dans la mesure où elle fait abstraction de tout donné empirique, de toute recherche du bonheur comme principe déterminant. La volonté d'être heureux n'étant pas l'origine de l'action morale on pourrait reprocher à la morale de Kant de vouloir réaliser la raison pour elle-même, donc de vouloir réaliser la raison sans raison. Mais ce reproche ne tient pas car pour que s'accomplisse la rationalité du devoir (la forme universelle de la loi, l'ordre universelle de la raison), il faut qu'il ait pour objet la réalisation du bonheur de l'humanité, pour objet, mais par pour principe déterminant. La loi morale se détermine elle-même mais son objet est le souverain bien qui est l'union du bonheur et de la vertu. 49 Contre le déontologisme (suite) Semble exiger des actes monstrueux (ex. du Juif) S’il faut faire des exceptions, c’est en tenant compte des circonstances… Problème de l’interprétation Conflit entre deux principes: comment choisir? Faut-il tenir compte des conséquences…? 50 L’éthique de la vertu Troisième grande théorie morale Selon l’éthique de la vertu Les deux théories précédentes sont: Universalistes : prétendent valoir partout, pour tous Formalistes : c’est compliqué d’agir moralement Il faut soit faire des calculs, soit combattre ses inclinaisons et tester nos actions rationnellement Or, l’éthique de la vertu veut tenir compte Du pluralisme De nos traits de caractères moralement admirables (les vertus) 52 Les déontologistes… croient qu’il suffit de suivre une règle… mais ce à quoi il faut être attentif va beaucoup plus loin que les règles On n’estime pas une personne qui ne fait que son devoir Il faut beaucoup plus que des règles abstraites pour nous guider dans l’action 53 Les conséquentialistes… soutiennent qu’il faut se soucier du bienêtre des gens, mais comment déterminer quel est ce bien-être? Ce sont les vertus et l’examen du contexte qui vont nous sensibiliser aux différentes facettes du bien-être 54 l’éthique de la vertu Une théorie, c’est bien pour la science, mais pour l’éthique, il faut autre chose que des principes généraux à appliquer à des cas concrets Il ne faut pas agir en fonction de principes, de règles, ou en calculant des conséquences Il faut chercher à devenir une bonne personne Il faut répondre à la question « que faire? », mais il ne faut pas négliger la question « comment dois-je être pour bien agir? » « Sois vertueux, et tes actions seront correctes. » 55 Aristote, premier éthicien de la vertu 384-322 av. J.C. Éthique et science sont deux choses très différentes Dans le domaine moral, « il faut se contenter (…) de montrer la vérité de façon grossière et approchée (approximative) » Théorie célèbre d’Aristote: la doctrine du juste milieu Il faut toujours opter pour la voie modérée La vertu se trouve entre deux vices • Ex.: Le courage est entre la témérité et la couardise, la générosité est entre la prodigalité et l’avarice 56 Aristote (suite) L’éducation est centrale à la moralité On apprend à être vertueux en voyant agir des gens qui le sont C’est très intuitif pour nous aussi: un enfant nous imite beaucoup Les émotions sont aussi centrales à la moralité Il faut avoir la bonne émotion au bon moment Si je n’ai pas de plaisir à être bon, je ne le suis pas réellement 57 Qu’est-ce qu’une vertu? Définition.: Un trait de caractère admirable acquis par l’habitude Ça ne s’apprend pas par cœur Les gens vertueux Examinent les particularités de chaque cas avant d’agir (cas par cas) Ont une bonne disposition (vertu) qui les fera bien agir selon les circonstances 58 Vertus plus importantes que d’autres au point de vue moral? Pour Aristote, 4 vertus cardinales: Courage Générosité Modération Esprit de justice Aujourd’hui, certains théoriciens de la vertu ajoutent: Discernement Fermeté Compassion Honnêteté 59 Pour l’éthique de la vertu On a intuitivement l’impression : Qu’il faut tenir compte des circonstances Que le caractère des gens est important L’éthique de la vertu tient compte de tout cela L'éthique de la vertu est à l'honneur aujourd'hui comme démarche individuelle 60 Contre l’éthique de la vertu Différence d’avec les 2 autres théories? La vertu pour les conséquentialistes est de promouvoir le bien… La vertu pour les déontologistes est de suivre la règle… Réponse: Ces définitions de la vertu ne sont pas les bonnes 61 Contre (suite) Qu’est-ce qu’une vertu? Comment savoir si une disposition est vraiment une vertu? R. Husthouse: Une vertu est une qualité nécessaire à l’épanouissement d’une personne M. Slote: Une vertu est un trait de caractère admirable L’éthique de la vertu ne permet pas de prendre une décision Par amour pour un proche (vertu), on pourrait tout aussi bien vouloir une euthanasie ou non Pas très utiles pour politiques publiques 62 Habermas: L ’éthique de la discussion 63 L ’éthique de la discussion : Contextualisation La seconde moitié du XX° siècle a fait l'expérience de la pluralité des manières de vivre. Parfois, cette pluralité était si diverse que toutes les options n'étaient pas compatibles entre elles. C'est ainsi qu'une école allemande a développé une approche nouvelle de la réflexion morale. Puisqu'il n'était pas possible de se mettre d'accord a priori sur des grands principes ou des valeurs que l'on tiendrait en commun, une méthode de procédure a été mise au point.Il faut tenir compte des conséquences d’un acte Nous rentrons ici dans un tout autre univers de l’éthique moderne. Et il s’agit d’une approche difficile. Les deux grands auteurs sont Jürgen HABERMAS (1929- ) et Karl-Otto Apel (1922- ). Ils font tous les deux parties de ce que l’on appelle l’école de Francfort. 64 L ’éthique de la discussion : Brève présentation Ce sont des éthiques d’accès difficile parce qu’elles sont construites à l’intérieur de l’univers philosophique du langage qui s’est développé après guerre dans le monde anglo-saxon. Ce sont des philosophies très complexes. Pour en donner une vague perception, disons que les structures du langage reflètent nos relations éthiques. L'éthique procédurale, pour faire très bref, consiste à insister sur la qualité de l'établissement des lois morales et non pas sur la loi morale elle-même. Ainsi, on pourra dire qu'une norme ou une loi morale sera bonne si elle a été élaborée selon des critères éthiques précis. La procédure est ici plus importante que le résultat. On perçoit assez vite le danger d'une telle approche qui risque de nier certaines valeurs que beaucoup considèrent comme universelles, puisque, a priori, il n'y a plus d'universel dans cette théorie sinon la capacité rationnelle de l'homme. 65 L ’éthique de la discussion :Méthode procédurale de délibération Il faut un accord/consensus préalable sur les règles procédurales de nature dialogiques et argumentatives Ce n'est pas seulement une méthode : " les questions morales sont susceptibles de vérité, vérité qui résulte d'un discours public et représentatif ". La morale post-conventionnelle : pensée basée sur l'interprétation rationnelle, basée sur le meilleur argument. Habermas définit sa philosophie comme non pragmatique et cherche à déterminer les conditions d'utilisation de la langue. Le langage vise l'intercompréhension. Hypothèse : Fonder la valeur prescriptive des normes sur les exigences de validité que nous émettons quand nous produisons certains actes de langage. L'argumentation fonde la norme morale parce que l'acte de parole est normatif en lui-même Quatre prétentions à la validité quand on parle : - Intelligibilité de ce qu'on dit - Se référer à une certaine vérité - Justesse se réfère à des normes sociales - Sincérité, authenticité 66 L ’éthique de la discussion :Méthode procédurale de délibération (suite) La vérité n'est pas inscrite dans la nature. Quand je parle j'ai besoin de l'assentiment des autres (vérité des normes sociales). Chacun parle librement et pourtant il ne peut pas dire n'importe quoi. Il faut donc 4 règles pour avoir " une situation idéale de parole" - 2 règles dialogiques : conditions de symétrie et de réciprocité - 2 règles systémiques : principes D (discussion = faire parler tout le monde, aller au bout de l'argumentation) et U (universalité) o D : " Ne peuvent prétendre à la validité que les normes qui sont acceptées par toutes les personnes concernées en tant qu'elles participent à une discussion pratique " o U : " Les conséquences et les effets secondaires qui proviennent, de manière prévisible, du fait que al norme a été universellement observée dans l'intention de satisfaire tout un chacun, peuvent être acceptées par toutes les personnes concernées sans contrainte et préférées aux répercussions des autres possibilités » Habermas se trouve ainsi à mi-chemin entre les utilitaristes (qui s'intéressent plus aux conséquences) et les déontologistes. " Avant de penser que ce que je crois est une maxime universelle, je dois la soumettre aux autres " De par la discussion on peut découvrir si une norme que j'établi peut avoir une valeur normative universelle. Le consensus peut être efficace par pensée groupale (on accepte plutôt que de faire éclater le groupe). Ce consensus diminue la valeur de la norme et peut engendrer une harmonie factice. 67 L ’éthique de la discussion : avantages et limites Même si elle n'est pas sans risque, cette approche a permis de résoudre un certain nombre de problèmes. Ainsi les comités d'éthique dans les hôpitaux se sont d'abord inspiré de cette méthode parce que les membres des comités étaient de sensibilités philosophiques et spirituelles très diverses. Mais en général, l'éthique procédurale n'est jamais utilisée de façon pure et toujours interviennent aussi de grands principes comme l'universalisation de telle attitude ou l'instrumentalisation de la personne humaine ou non. Habermas défend une déontologie forte : priorité, pour la théorie morale, des questions de justice sur les questions concernant la vie bonne, séparation stricte entre les questions de fondement et d'application, fondation de la validité prescriptive des obligations, affirmation que les questions morales sont susceptibles de vérité, formalisme procédural, universalisme pragmatique construit à partir de la perspective de chacun en tant qu'il peut faire valoir ses intérêts de concerné. “toutes les questions litigieuses, tous les conflits, surgissent entre partenaires qui communiquent et ne peuvent être tranchés qu’au moyen d’arguments susceptibles de produire un consensus” 68 Conclusion sur les quatre approches théoriques 3 théories, 3 intuitions morales fortes Il faut tenir compte des conséquences d’un acte il faut penser l ’universalisation des motifs de ses actes Certains actes doivent être absolument interdits Le contexte et le caractère des gens sont très importants il faut être prêt à assumer moralement les conséquences de ses actes Il faut apprendre à reconnaître ces intuitions dans nos jugements moraux afin de les confronter avec les autres points de vue et de se justifier 70 3) Le monde change: l ’informatique et la cyberéthique 71 Éthique en général Chaque société établit des règles et limites pour une conduite acceptable. Ces règles forment un code morale. Ces règles forment un code morale. Des contradictions parfois entre ces règles. En général ce sont des croyances ou des conventions sur le bon et le mal, bonne ou mauvaise conduite, juste et injuste. Les règles parfois ne couvrent pas des situations nouvelles. 72 Informatique et société: Dans notre monde industrialisé les ordinateurs changent tout: de l'éducation à la santé, du vote aux relations humaines ou a la manière de faire la guerre. Les pays en voie de développement peuvent également participer entièrement au Cyberspace et profiter des opportunités offertes par les réseaux globaux. Nous sommes en présence d’une révolution technologique et informationnelle. Il est fondamental pour des responsables politiques, des chefs d’entreprises, des chefs, des professeurs, des informaticiens, des scientifiques d’être conscients et de tenir compte des impacts moraux et sociaux de ces technologies de communication. 73 Définitions de la cybertechnology et de la cyberéthique : Cyberéthique désigne le domaine de l'éthique appliquée qui examine les problèmes moraux, légaux et les conséquences sociales du développement et de l’utilisation des cybertechnologies. Cybertechnologie désigne au large domaine allant des ordinateurs aux réseaux de communication Éthique d'Internet et éthique de l'information. 74 Définition de Computer ethic ou éthique en informatique : Même définition que cyberéthique, ou L’étude des problèmes éthiques associés aux machines informationnelles et la profession informatique. . Le domaine de l’éthique professionnelle appliquée traitant des problèmes moraux aggravés, transformés, ou créés par l'informatique (1970, Maner) . 75 Quels problèmes moraux ? Deborah Johnson: Éthique En ligne. la portée d'Internet est globale et interactive. L'Internet permet à des utilisateurs d'interagir anonymement. . La technologie d'Internet rend possible la reproductibilité de l'information de manières inenvisageables auparavant Les caractéristiques ci-dessus rendent le comportement on-line différents du comportement off-line. 76 La discussion continue: James Moore: Les technologies informatiques est “ logiquement malléables ” à la différences de technologies précédentes. Elle rendent possibles des " nouvelles possibilités pour l'action humaine ".. Brey: révéler des dispositifs non-évidents inclus dans les systèmes informatiques moraux qui peuvent avoir des implications morales. Alison Adams: Tenir compte des biais liés aux questions de genre. Combiner l'éthique féministe avec des études empiriques. 77 Exemples de questions en computer ethics : Ordinateurs dans le lieu de travail: une menace pour le travail?problème lié aux qualifications? Salubrité et sûreté? Degré de sécurité d'ordinateur: Virus. espionnage, vie privée, contrôle de l’accès aux ressources. Sécurité logique: Intimité, intégrité, service, accès de contrôle aux ressources. Propriété du logiciel: Propriété intellectuelle vs open source. Développement des logiciel: qualité, sûreté 78 Ordinateurs sur le lieu de travail Surveillance des employés: employeur vs perception de l’employé. être loyale ou dénoncer. Question de santé. Utilisation de travailleur intérimaires. menace pour le travail problèmes liés à la qualification 79 Degré de sécurité d'ordinateur Virus: code de programmation déguisé. Vers: propagation sans interposition humaine. Chevaux de Trojan: secrètement installé. Bombes logiques: exécutés conditionnellement. Bactéries ou rabbit: se multiplient rapidement. Escroqueries informatiques: détournement. Hackers: exploration ou vandalisme Le spamming 80 Sécurité logique Invasion d'intimité d'email, dossiers, et d'ordinateur (cookies). Bases de données partagées. Vol d'identité. Combattre le terrorisme: ex Patriot act. 81 Propriété du logiciel La connaissance: propriété privée, bien public. Profit vs générosité. Liberté d'expression et d'accès à l'information Droit de communiquer: partagez et apprenez dans un monde globalisé. La fracture digitale est immorale Open source software : Linux. Accés ouvert Flux d’information Nord-Sud. La connaissance indigène 82 Responsabilité professionnelle Codes d'éthique. Organismes professionnels: ACM. IEEE, CPSR. Licences. Certifications , normalisation Problèmes éthiques communs : Piraterie, partage inadéquat d'information, utilisations inadéquates des ressources informatiques. 83 Codes d’éthique Évitez de faire du mal aux autres. Soyez honnête et digne de confiance. Acquérez et maintenez la compétence professionnelle . Connaissez et respectez les lois existantes concernant le travail professionnel Évitez les conflits d'intérêt . Soyez honnête et réaliste en énonçant des affirmations ou des évaluations fondées sur des données disponibles 84 Information éthique globale Liberté d’expression . Contrôle de la pornographie. Protection de la propriété intellectuelle Invasion de la vie privée Cyberbusiness global Éducation globale: liberté de la presse Partage de l’information : accessibilité, fracture digitale 85 Le futur Hypothèse de Gorniak: computer ethics, une branche maintenant de l'éthique appliquée, se transformera en une éthique globale applicable à chaque culture. La révolution informatique conduira à un nouveau système éthique global et trans-culturel. Elle supplantera des théories comme celles de Bentham et Kant fondées sur des cultures particulières et locales. . L'hypothèse de Johnson: Opposé. 86 CONCLUSION 87 Conclusion Au delà de l ’action individuelle, il faut penser un contenu au nom société de l ’information un contenu qui ne se réduise pas au seul impératifs économiques et techniques un contenu qui ne se contente pas de se réduire au déterminisme technique et à la croyance en un progrès (mais pour quelle fin?) un contenu qui soit démocratiquement discuté et évalué en fonction d ’une normativité problématisée Le monde a besoin d'une vision, d'un projet qui puisse tenir compte de tous, en particulier des plus pauvres et des plus déshérités. Ce sont eux en effet qui détiennent la clé du futur. Si nous n'en tenons pas compte, nous irons collectivement à notre perte, eux avec nous. Si nous leur rendons leur vraie place, comme personnes humaines, et à ce titre infiniment précieuses, alors c'est nous qu'ils rendront plus riches de leurs différences, de leur développement. Ce sont eux qui créeront les conditions durables de la paix. Ce sont eux qui nous révéleront ce que nous ne pouvions pas voir, ce que nous n'étions pas capables de nous avouer sur nous-mêmes, les étroites limites dans lesquelles nous nous enfermions, les égoïsmes et les myopies. Comme l'écrit Riccardo Petrella, "le bien commun est représenté par l'existence de l'autre". Et celui qui se trouve être le plus défavorisé, est le plus "autre", justement parce qu'il est le plus défavorisé. Il est donc celui qui représente le mieux le véritable bien commun. (Philippe Quéau- UNESCO) 88