La connaissance du vivant-9 Thierry Hoquet Sexe Mardi 30 novembre 2010 Université Paris Ouest LHUM 134 Partie I Questions sur la génération • les parents jouent-ils un rôle égal dans la fécondation? • l’embryon est-il formé d’une seule ou de deux semences? Provient-il d’un œuf ou de l’un de ces petits « animalcules spermatiques » que l’on peut désormais observer au microscope? Aristote • Aristote, De la génération des animaux : la semence du mâle fournit seule la cause efficiente de la vie la femelle donne, par son sang menstruel, la matière brute et passive qui sert à nourrir le fœtus. Conforte l’image d’une femme « réceptacle » ou d’une « terre fertile » fécondée par le mâle. • « Il s’est passé dix-sept ou dix-huit siècles sans qu’il ait plus rien paru de nouveau sur cette matière, attendu la stupide vénération pour ces deux maîtres, que l’on a conservé pendant tout cet espace de temps, au point de regarder leur production comme les bornes de l’esprit humain » (Encyclopédie de Diderot et D’Alembert) théories ovistes et animalculistes • Ovistes: tous les animaux doivent leur origine à un œuf engendré par l’organisme maternel. Régnier de Graaf, Histoire anatomique des parties génitales de l’homme et de la femme (1672) : l’embryon existe déjà préformé dans l’œuf maternel, et ce avant même le coït ; la semence du mâle agit à distance, telle une vapeur stimulante, pour lui donner vie. théories ovistes et animalculistes • Animalculistes: « animalcules spermatiques » présents par milliers dans la liqueur séminale paternelle. • Leeuwenhoek : 1677. • S’agit-il de parasites ou de principes actifs de la génération? • Nicolas Hartsoeker: un fœtus entier pourrait bien se loger dans chaque animalcule. (homuncule) Préexistence, préformation, épigenèse • Épigenèse: différenciation successive des organes • Préexistence, préformation: un simple accroissement de parties déjà existantes. • Préexistence: homuncule • Préformation: le corps des parents sert de moule. Avantages théologiques Malebranche: « les femelles des premiers animaux ont peut-être été créées avec tous ceux de même espèce qu’ils ont engendrés et qui devraient s’engendrer dans la suite des temps » (Nicolas Malebranche, De la recherche de la vérité, où l’on traite de la nature, de l’esprit de l’homme, et de l’usage qu’il en doit faire pour éviter l’erreur dans les sciences, Amsterdam, Henry Desdordes, 1688, t. I, p. 40.) Usages politiques: Sade • Les Infortunes de la vertu: • Bressac tente de convaincre Justine de se faire la complice de l’assassinat de sa mère : « Ce n’est pas le sang de la mère, d’ailleurs, qui forme l’enfant, c’est celui du père seul ; le sein de la femelle fructifie, conserve, élabore, mais il ne fournit rien. » Usages politiques: Sade La Philosophie dans le boudoir Eugénie demande si l’union des semences masculine et féminine est nécessaire à la formation d’un fœtus, Mme de Saint- Ange répond: « Assurément, quoiqu’il soit néanmoins prouvé que ce fœtus ne doive son existence qu’à celui de l’homme, élancé seul sans mélange avec celui de la femme, il ne réussirait cependant pas ; mais celui que nous fournissons ne fait qu’élaborer, il ne crée point, il aide à la création sans en être la cause ; plusieurs naturalistes modernes prétendent même qu’il est inutile, d’où les moralistes, toujours guidés par la découverte de ceux-ci, ont conclu, avec assez de vraisemblance, qu’en ce cas l’enfant formé du sang du père ne devait de tendresse qu’à lui. Cette assertion n’est point sans apparence, et quoique femme, je ne m’aviserai pas de la combattre. » Dolmancé : « Adoptez, sans crainte, ces mêmes sentiments, Eugénie, ils sont dans la nature, uniquement formés du sang de nos pères, nous ne devons absolument rien à nos mères » Découvertes expérimentales • Abraham Trembley et la reproduction du polype par bouturage. • Charles Bonnet et la parthénogenèse du puceron (1740) comment expliquer, sinon par l’ovisme et la préformation, que cet insecte soit capable de se reproduire en l’absence de tout commerce avec le mâle ? Découvertes expérimentales (2) • Lazzaro Spallanzani, 1770’s : • Démontre le rôle essentiel de la liqueur séminale dans la fécondation en réalisant la première insémination artificielle La querelle des monstres • Œufs malformés? • Accidents de développement? • Imagination des mères? Une conception sociale figée? Bernardin de Saint- Pierre, préambule à Chaumière indienne (1791): C’est cependant sur cette opinion si réfutée par l’expérience, que les aristocraties fondent leurs prérogatives. Dans nos écoles qui ont flatté toutes les tyrannies, on les soutient par des raisonnements subtils. Tous les hommes, y dit-on, ont été contenus de pères en fils, dans le premier homme comme des gobelets renfermés les uns dans les autres. Leur naissance n’est que leur développement. Il en est de même de tous les êtres organisés. Chaque individu sort de son premier germe, où il était enclos avec toute sa postérité. Le premier gland renfermait tous les chênes de l’univers. On cite en preuve visible un oignon de tulipe, qui renferme sa fleur déjà toute formée ; et si on n’aperçoit pas, dit-on, dans la semence de cette fleur, une seconde génération de tulipes, c’est que l’œil de l’homme ne peut pas porter plus loin ses observations. […] Dire que tous les chênes étaient renfermés dans le premier gland, et toutes les générations de tous les hommes dans le premier embryon, c’est dire que tous les siècles du monde étaient renfermés dans la première minute. Ainsi un fils n’est pas plus contenu actuellement dans son père, que demain n’est renfermé dans aujourd’hui, et l’année prochaine dans l’année présente. Maupertuis, Vénus physique (1745) • • • réhabilite la thèse antique de la double semence imagine un système de formation des corps organisés qui s’apparente aux lois newtoniennes de l’attraction. Chaque partie du mâle et de la femelle fournit aux semences de petites particules appelées à s’unir dans la matrice et à recomposer, en vertu de cette force d’attraction, la même partie du corps sur l’embryon. « Pourquoi, si cette force existe dans la nature, n’aurait-elle pas lieu dans la formation du corps des animaux ? Qu’il y ait dans chacune des semences, des parties destinées à former le cœur, la tête, les entrailles, les bras, les jambes, et que ces parties aient chacune un plus grand rapport d’union avec celle qui pour la formation de l’animal doit être sa voisine, qu’avec tout autre, le fœtus se formera. » Prolongements littéraires • Tiphaigne de la Roche (Amilec ou La graine d’hommes qui sert à peupler les planètes, 1753), et de Reveroni de Saint-Cyr (Pauliska). • sur le rôle des sexes dans la génération à partir de Spallanzani : la possibilité de se reproduire en restant vierge? La connaissance du vivant-10 Thierry Hoquet Sexe (2) Mardi 7 décembre 2010 Université Paris Ouest LHUM 134 Partie II Signification du sexe pour la biologie contemporaine La signification du sexe • Le mélange de gènes (genetic reshuffling) • Le sexe n’est pas nécessairement lié à la reproduction (« sexe » bactérien) Combien de « sexes »? L’existence de deux « sexes » (ou « genres » M. Ridley) Comment savoir quel protagoniste est mâle? Femelle? Qu’est-ce qui fait qu’un mâle est un mâle et une femelle une femelle? N’y a-t-il que deux sexes? Un troisième sexe est-il possible? Mâle/Femelle: quelle définition ? • Définition mythique? (activité/passivité) • Définition génitale? • Définition chromosomique? • Définition générative ? Mâle : petit gamète (spermatozoïde) Femelle: gros gamète (ovule, œuf) (S, M, L) combien de tailles de gamètes ? • Espèces avec une seule taille de gamètes: isogamie • Plus d’une taille de gamètes: anisogamie. Origine ou évolution du sexe? • Origine du sexe : De la reproduction parthénogénétique à la reproduction sexuée • Evolution du sexe : D’où vient le dimorphisme sexuel? Partie III Origines du sexe Pourquoi le sexe ? Prologue: Lepidodactylus lugubris Pourquoi le sexe ? • Il existe des espèces « tout-femelles » (parthénogenèse): • Chez les insectes; dans plusieurs groupes de vertébrés: poissons, reptiles, (oiseaux?)… (Roughgarden 2006): « why aren’t all species allfemale ? » Reproduction asexuelle • Clonage, bouturage • Parthénogenèse: pas de fécondation par le mâle. • Gynogenèse : le sperme est nécessaire au développement mais ne contribue pas au matériel génétique. • À chaque génération: 100% des individus produisent des descendants. Mitose Sépare les chromosomes du noyau en deux ensembles identiques (dans deux noyaux différents) Il en résulte deux fois le nombre de cellules initial (avec le même nombre de chromosomes) Méiose: gamétogenèse • Diploïdie : 2N chromosomes. (46 chromosomes chez les humains). • Méiose: division réductionelle. Sépare les chromosomes homologues. Produit deux cellules haploïdes (N chromosomes) ( 23 chez les humains). Les cellules finales ont moitié moins de chromosomes que la cellule-parent. Une cellule diploïde se duplique, puis subit deux divisions (tétraploïde à diploïde puis diploïde à haploïde). Reproduction sexuelle ou asexuelle? Reproduction asexuelle : croissance exponentielle. ≠ reproduction sexuelle. La nature a expérimenté à plusieurs reprises avec des espèces clonales. Le sexe semble fonctionner; « ça marche! » pourquoi ? Avantages du sexe (1) Variabilité Reproduction asexuée : tous les membres de l’espèce ont les mêmes vulnérabilités. (l’avantage dépend de mutations aléatoires) Reproduction sexuée : grande quantité de variation. Avantage 1: Le sexe permet le mélange des gènes (gene shuffling) entre les différents membres de l’espèce (cross-over, recombination entre des loci multiples) Avantages du sexe (2) Diploïdie : pour chaque trait : deux ensembles différents de gènes (allèles): l’un provenant de chacun des parents. Avantage 2 : Le sexe en procurant deux copies de chaque gène masque les accidents potentiellement délétères. William Donald Hamilton (1936-2000) • Théorie de la reine rouge • La reproduction sexuée comme un moyen de pourésenter de nouvelles combinaisons de gènes aux parasites, qui évoluent plus rapidement que leurs hôtes. Sexe ou non sexe? Deux stratégies différentes Certains organismes peuvent se reproduire sexuellement aussi bien qu’asexuellement. Par exemple, les pucerons, certaines espèces d’étoile de mer (par fragmentation), et de nombreuses plantes. Les espèces asexuelles : sont de bons colons Lorsque les facteurs environnementaux sont favorables, la reproduction asexuée est utile pour exploiter des conditions favorables à la survie. L’accroissement exponentiel via la reproduction asexuée permet de tirer pleinement avantage des ressources abondantes. Quand les sources d’alimentation ont été consommées, les organismes passent à des modes sexués de reproduction. Prolongements littéraires • Ursula Le Guin, The Left hand of darkness Partie IV L’évolution du sexe et le dimorphisme sexuel Dimorphisme sexuel (1) Dimorphisme sexuel (2) Dimorphisme sexuel (3) • • • • Le Bœuf & Peterson, « Social status and mating activity », Science, 163-91 (3 Jan. 1969). 4 males (6%) mated with 88% of the 120 females. The 67 left are responsible for only 12% of the matings. In another group, another male performed 73% of the copulations. Variations au cours du temps • • • L’éléphant de mer (Mirounga angustirostris) Les mâles dominants (Alpha-Mâles): turn-over rapide Otaries : les mâles « contrôlent » un harem de 20 femelles pendant environ 1,5 cycles, (les femelles se reproduisent pendant 5,4 cycles). Darwin 1859 Sélection naturelle Sélection sexuelle Struggle for existence Struggle between the males for mating. Rigorous Less rigorous. The winner leaves more offspring. War Possession of weapons. Nature selects Female choice. Ornaments L’apport de Darwin Origin of species (1859) Armements Ornements Darwin 1871, 2nd p., ch. VIII Different sets of morphological differences between M & F: • Primary (reproductive organs), • Secondary : locomotion or sense organs. • Related to the habits of life Problems • Difficult (if not impossible) to decide which are primary and which secondary. • Sexual selection only refers to the advantage of certain individuals in leaving offspring. • Role of natural selection Mythe de la femelle prude (coy) Helena Cronin, 1994, p. 248 : what if the sex roles were reversed? Would a male investor be called « coy » if he hesitates, if he is « choosy »? Or rather good at discerning, at evaluating risks? And symmetrically, would the females be called « eager » or rather wanton, frivolous, wayward, brazen? The woman that never evolved? Antoinette Blackwell, The sexes throughout nature (New York, 1875) « With great wealth of detail, [Darwin] has illustrated his theory of how the male has probably acquired additional masculine characters; but he seems never to have thought of looking whether or not the females had developed equivalent feminine characters. » Geddes and Thomson « but even in the human species the contrast is recognised. Everyone will admit that strenuous spasmodic bursts of activity characterise men, especially in youth, and among the less civilised races ; while patient continuance, with less violent expenditure of energy, is as generally associated with the work of women. » (18) Le dimorphisme de taille Pioneer 10 (1972) Absence de dimorphisme? • Chez les pies? Aspidoscelis tesselata