VII° dimanche du temps ordinaire (A) Jusqu`où ?

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VII°dimanchedutempsordinaire(A)
Jusqu’où?
PèreOlivierPLICHON,RecteurdeSaint-LouisdesFrançaisdeLisbonne
Lacrucifixionblanche
MarcC HAGALL (Vitebsk,1887–Saint-PauldeVence,1985)
Huilesurtoile,154,3x139,7cm,décembre1939
ArtInstituteofChicago(Illinois,U.S.A.)
VII°dimanchedutempsordinaire(annéeliturgiqueA-2017)
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ÉvangiledeJésusChristselonsaintMatthieu5,38-48.
En ce temps- là, Jésus disait à ses disciples : « Vous avez appris qu’il a été dit : ‘Œil pour œil, et dent
pour dent’. Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ; mais si quelqu’un te gifle sur la
joue droite, tends-lui encore l’autre. Et si quelqu’un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique,
laisse-lui encore ton manteau. Et si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille
avec lui. À qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos ! » Vous avez appris
qu’il a été dit : ‘Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi.’ Eh bien ! moi, je vous dis : Aimez
vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est
aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les
justes et sur les injustes. En effet, si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritezvous ? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Et si vous ne saluez que vos frères, que
faites-vous d’extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Vous donc, vous serez
parfaits comme votre Père céleste est parfait. »
L’artiste
MarcCHAGALLestnéle7juillet1887àVitebsk(Russie).Issud'unefamillejuiveettrèscroyante,ilestl'aîné
deneufenfants,samèreétaitfemmeaufoyeretsonpèreemployédansundépôtdehareng.
Sa jeunesse est marquée par la tradition hassidique, ses séjours à la campagne chez son grand-père, sa
fascinationpourlesanimauxdeferme.Trèsjeuneilpuisesoninspirationdanslachaleureuseviefamiliale
et l'observation du quotidien. Dès son plus jeune âge, on lui trouva un grand talent artistique, il entrera
dansl'atelierPENàVitebsk,pouryétudierledessinetlapeintureetpratiqueleviolon.Ilpartiraavecun
ami à Saint-Pétersbourg pour étudier la peinture. Étant juif, il doit obtenir un permis de travail donc
trouverunemploi,parchanceilrencontreunavocatquil'engagecommedomestiqueetluilaissetoutloisir
desuivrelescoursdepeinturedeNicolasROERICH,puisdeLéonBAKST.Grâceàcedernier,décorateurdes
balletsrusses,iltrouveplusdelibertéetaffirmesavisiondecoloriste.En1910,ilpartpourunvoyagede
quatrejoursàParisgrâceàunmécène,ils'installeàMontmartredansl'appartementd'unamirusse,c'est
là qu'il eut son premier atelier. Il découvre les impressionnistes (GAUGUIN, VANGOGH...). En 1911, il fait sa
premièreexpositionauSalondesindépendantsappeléeMoietmonvillage.En1914,àlafindesonséjourà
Paris, il envoie un ensemble de ses œuvres à la Galerie Der Sturm à Berlin qui réalisera sa première
exposition.
En1915,ilretournedanssonvillagenatalpouryépouserBellaROSENFELDdontilauraunefilleetsevoit
contraint de rester en Russie à cause de la guerre. Il retrouve le monde de son enfance, et revient à une
sorte de réalisme. En 1917, il retrouve sa liberté créatrice à travers des toiles inspirées par l'amour qu'il
porteàsajeunefemme.IlretournedéfinitivementenFrance(exceptédurantladeuxièmeguerremondiale
où il se réfugie aux Etats-Unis). Dans les années 30, CHAGALL développa de nombreux thèmes bibliques,
suite à deux voyages qui le marquèrent profondément : le premier en Palestine (1931) et le second à
Amsterdam, où il découvre l'œuvre de REMBRANDT. Ses œuvres majeures révélèrent une profonde
connaissancedestextesbibliques,servieparunstylenarratif,libreetmobile
En1944,safemmeBelladécèded'uneinfectionvirale.Durantdesmoisilseraincapabledereprendreson
travail.En1949,ils'installeàSaint-JeanCapFerratsurlacôted'Azur(France),oùilseretranchedeplusen
plus,tantartistiquementquedanssavieprivée.En1950,ils'établitàSaint-PauldeVenceoùilréaliseses
premières céramiques. Malgré sa renommée internationale, les œuvres de la dernière période de sa vie
furent marquées par un côté intimiste et surnaturel. En 1952, il se remarie avec Valentina BRODSKY. En
France, son style évolue vers des compositions de plus en plus oniriques, habités de fleurs, de paysages,
d'animaux(poissons,coqs,chèvres...)etd'amoureux(LesmariésdelatourEiffel-1928).De1959à1968,il
crée des vitraux pour la cathédrale saint-Etienne de Metz, puis en 1976 pour la chapelle des cordeliers à
Sarrebourg. En 1962, il fait un voyage à Jérusalem pour l'inauguration des vitraux de la synagogue
HadassahàJérusalem.Ildécèdeàl'âgede98ans,le28mars1985àSaint-PauldeVence(France).
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Cequejevois
«Quandjepeins,jepeins;ceàquoij’aipenséetcequejevoulaisexprimer;
jel’apprendsensuitedanslesjournaux»
MarcCHAGALL
CettesurprenantepeintureauraitétéréaliséeparMarcCHAGALLaprèslaNuitdeCristal,pogromcontreles
JuifsduIII°Reichquisedérouladanslanuitdu09au10novembre1938.Onpeutlaregarder,etmêmela
lire,commeuncriderévoltedupeintreàl’encontredesexactionsdurégimenazi.Certainshistoriensd’art
yontvuunerelecturepicturaled’unpoèmedeUriZviGREENBERG(1896–1981),TheKingdomoftheCross:
Monfrèreestsuspenduauxéglises,crucifié,frigorifié.
Àvospieds,unmonceaudeJuifsauxtêtescoupées,detalithsinsensés,
Parcheminspercés,feuillesblanchescouvertesdesang.
AntiquedouleurjuiveduGolgotha,
Frère,vousnevoyezdoncpasqueleGolgothaestpartoutautourdenous...
Maisici,cenesontpasleschrétiensquisontdésignéscommebourreauxmaislenazisme.Autourdecette
croixblanche,onpeutdistinguercinqscèneshistoriques:
1. La Révolution russe de 1917 et le procès de
Moscouen1933,
2. LesloisdeNurembergde1935,
3. Laguerred’Espagneen1937,
4. LaNuitdeCristaldu09novembre1938,
5. Etlaconférenced’Évianen1938.
MaisaucentredetouscesévénementsdramatiquesdominecetteCrucifixionblanche.LeCrucifién’enest
nilasourcenil’inspiration,ilenestl’éclairage,commearchétypedelasouffranceéclairéeparlalumière
divine.Jésusesticiàlafoispassé,présentetavenir.
Passé
Leperizonium(tissuquiceintlecorps)estreprésentécommeuntalith,cevoilejuifquel’onportepourla
prière. De plus, le titulus (l’inscription en haut de la Croix) est écrit en araméen («RoidesJuifs»). Et aux
piedsdeJésusonremarquelamenorah,chandelieràseptbranchesquirappellelashekhinah,laprésence
deDieuquiaccompagnalePeupledansledésertsouslaformedelanuée.EllerayonnelasaintetédeDieu,
surmontéed’uneauréoledivine.MêmelatêtedeJésusestcouverted’unlinge,plutôtquedelacouronne
d’épines,telleunekippapourlaprière.Ilestmort,lesyeuxclos,lesbrasencroix.Ilsemblepresquedormir,
ous’êtreendormidanslaprièrepoursonPeuplequisouffrelemartyr.
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MêmelesPatriarches(au-dessusdelaCroix)selamententdecesmassacres.
CetteCroixestenracinéedansl’histoireduPeupleélu.Elleestemblématiquedecepassédanslequelnotre
foichrétienneprendsasource.«Spirituellement,noussommestousdessémites!»proclameralePapePieXI
en1937.
Présent
LeJuif,maisaussileChrétien,toutcroyantvitcedramedumondeprésent.
• QuecesoientleshommesmassacréslorsdelaRévolutionrusse(1)parceuxquiseréclamentdu
drapeau Rouge. Le stalinisme de 1938, faucille en main, continuait sans vergogne cette dérive du
lynchageetdelacondamnation.
• Quecesoientceuxqui,malgrélaconférenced’Évianquicherchaitvainementunesolutionpourles
réfugiés juifs, se virent obligés de fuir le régime nazi à tout prix, quel qu’en soit le moyen (5). Ce
bateauserait-ilcommelapréfigurationdudramedel’Exodusen1947?
• Que ce soient ceux qui virent leurs synagogues, leurs magasins, leurs habitations, brûlés par la
haineirraisonnéeduJuifencetteNuitdeCristal(4).MêmelesrouleauxdelaTorahsontarrachés
auPeupleJuif.LaParoleleurestconfisquée…
• Que ce soient ceux qui, comme lors de la guerre d’Espagne en 1936, virent leur village incendié,
sansqu’ilspuissentfuir,livrésauxflammesdelahaine(3).
• Que ce soient toutes ces communautés israélites éclatées après les lois de Nuremberg de 1935,
obligeantchaqueJuifàportersonjudaïsmecommeunehonte.Unhommeetunefemmeàl'enfant
tententdefuirens'évadantdutableau.Lejuiferrant,dansunhabitvert,marchesurlaTorahen
flammes,marquantencoredavantagequelaterreestsensdessus-dessous.
Avenir
L’avenir pourrait paraître bien sombre, bien lointain en cette scène dramatique. Et pourtant un avenir
radieux se dessine, discrètement. C’est celui de cette lumière blanche qui baigne toute l’œuvre, ce rai de
lumièrequivientducieletquiillumined’abordlaCroixpuislaterredanslaquelleelleestplantée.LaCroix,
signe que la mort et la haine sont définitivement vaincues. Cette lumière blanche, signe de pureté et
d’innocence,rappeldelarobedel’Agneauimmolé.Oui,endépitdetouscesdramesquisedéroulentsous
nosyeux,uneespérance,unsalutestpossible…
Unsalutestpossible…
Un élément du tableau, tout à la fois discret et central, nous l’indique: l’échelle. Bien sûr, elle rappelle le
songedeJacobvoyantlesangesmonteretdescendresurcetteéchellequirejointlescieux(Genèse28,1119). Mais elle est surtout le symbole par excellence de l’ascension spirituelle que nous devons faire pour
passerdel’humainaudivin,desténèbresàlalumière.
Nousnoussentonsperdus,abandonnésdevantunetellesituation,àl’imagedecethommeaupremierplan.
Le petit personnage de vert vêtu, avec son lourd fardeau sur les épaules est un symbole récurrent chez
CHAGALL.Ill’appelleralejuiferrantfigureemblématiquedelaconditionjuive.Ellerenvoieaussibienàla
réalité de l’époque où les juifs sont à nouveau persécutés et obligés de fuir qu’à la mémoire juive avec la
fuiteenEgypteetl’exil.
Iciencorelasymboliquedelacouleurestimportante.«Levertgardeuncaractère
étrange et complexe, qui tient de sa double polarité : le vert du bourgeon et le vert de la mort de la
moisissure.... Il est l’image des profondeurs et de la destinée. » (Jean CHEVALIER et Alain GHEERBRANDT,
Dictionnairedessymboles,EditionsRobert,2008,page1007).CHAGALLasuutilisercesdeuxfacettesdela
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couleur dans ses tableaux, mais ici c’est à l’errance du peuple juif, à son instabilité permanente qu’il fait
référence. En yiddish, l’expression « vert-jaune » est utilisée pour décrire l’état d’une personne atteinte
d’une grave maladie. Teinte qui renvoie bien sur à la souffrance des personnes juives persécutées et
obligéesdefuiravecunmaigreballuchon.LepersonnagesetrouveàlamêmedistancedelaTorahquise
consumeetdel’échelleenéquilibrequiconduitauChrist,commes’ilfaisaitlelienentreladestructionde
l’Écritureetladémolitiondel’échelle.
Pourquoi refuse-t-il de prendre cette échelle? Pourquoi fuit-il le salut? Peut-être parce qu’il n’a plus
d’espoir,parcequ’iln’apascomprisqueledésespoirn’empêchaitpasl’espérance…Aurait-ilsombrédans
laTentationdudésespoirdontparlesibienGeorgesBERNANOSdanslapremièrepartiedeSouslesoleilde
Satan (1926)? En fait, la question qui émerge ici tient en quelques mots: Jusqu’où? Jusqu’où accepter,
supporter, tolérer avant de se révolter, voire de sombrer? Jusqu’où croire que le salut est effectivement
possible?
Jusqu’où?
C’est peut-être là que se situe le défi de l’Évangile de ce jour… Doit-on se laisser massacrer, insulter,
bafouer, martyriser? Jésus semble répondre que oui. Il semble nous inviter à tendre continuellement
l’autrejouepourlasecondebaffe!
Hier, j'étais dans le métro et j'entendais deux dames dire :
" Encore ces juifs avec leurs
histoiresàl'ONU.Quelsemmerdeurs!".C'estvrai.Noussommesdesemmerdeurs.Çafait
des siècles qu'on emmerde le monde. C'est dans notre nature, que voulez-vous. Abraham
avec son Dieu unique, Moïse avec ses tables de la Loi, Jésus avec son autre joue toujours
prête à la deuxième baffe. Puis FREUD, MARX, et EINSTEIN, tous ont été des géneurs, des
révolutionnaires,desennemisdel'Ordre.
HerbertPAGANI
Devrions-nous être toujours prêts à la deuxième baffe? Pourtant, Jésus lui-même qui nous y invite, l’a
refusécettedeuxièmebaffe!AllezlireensaintJean(18,19-23):
Le grand prêtre interrogea Jésus sur ses disciples et sur son enseignement. Jésus lui
répondit:«Moi,j’aiparléaumondeouvertement.J’aitoujoursenseignéàlasynagogueet
dans le Temple, là où tous les Juifs se réunissent, et je n’ai jamais parlé en cachette.
Pourquoim’interroges-tu?Cequejeleuraidit,demande-leàceuxquim’ontentendu.Eux
saventcequej’aidit.»Àcesmots,undesgardes,quiétaitàcôtédeJésus,luidonnaune
gifleendisant:«C’estainsiqueturépondsaugrandprêtre!»Jésusluirépliqua:«Sij’ai
malparlé,montrecequej’aiditdemal?Maissij’aibienparlé,pourquoimefrappes-tu?»
Jamaisiln’atenduladeuxièmejoue!Alorscommentcomprendrecetappelàunepatienceàtouteépreuve
etdesfaitsquisemblentlecontredire?Peut-êtreenserappelantcetavertissement…(Matthieu10,16-20):
«Voici que moi, je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. Soyez donc
prudents comme les serpents, et candides comme les colombes. Méfiez-vous des
hommes:ilsvouslivrerontauxtribunauxetvousflagellerontdansleurssynagogues.Vous
serez conduits devant des gouverneurs et des rois à cause de moi: il y aura là un
témoignagepoureuxetpourlespaïens.Quandonvouslivrera,nevousinquiétezpasde
savoir ce que vous direz ni comment vous le direz: ce que vous aurez à dire vous sera
donnéàcetteheure-là.Carcen’estpasvousquiparlerez,c’estl’EspritdevotrePère
quiparleraenvous.
Le chemin est difficile, la voie est étroite. L’équilibre est compliqué, mais c’est celui que le chrétien doit
continuellement rechercher. Comme cette échelle en équilibre instable au pied de la Croix. Un difficile
équilibreentrelabonté,ladouceur,lapatience,lacandeur,lamiséricorde…et…laprudence,lajustice,la
force,laconviction,voirelaruse!Eneffet,pourquelajusticesoitjuste,ilestimpératifqu’ellesevivedans
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lajustesse,etnonladémesure.Làestlaclé:lamesure.Car,commeledisaitlePèreSEVIN:«Démesuren’est
pointvaillance!»Alorsjusqu’oùaller?
Jusqu’oùaller?
Il me semble que plusieurs règles peuvent être reçues de l’Évangile. Permettez-moi de vous les donner
commedespointsderepère,desbalisessurlapistededécollageverslasainteté!
• Distinguerlepéchédupécheur.
• Accorderlajusticeetlajustesse.
• Laconfiancen’exclutpaslecontrôle!
• Croirequel’hommepeuttoujoursseconvertir,
• Maisnepasfairepreuvedenaïveté!
• Sedonner,oui!Sefairevolersonâme,non!
• Toujoursdemanderàl’Esprit-Saintdem’éclaireretdemeguider,commelanuée…
Etpeut-êtrequ’unedevisepeutnousaider:
«Perdrelaviepoursauversonhonneur,
perdrel’honneurpoursauversonâme»…
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«L’étoiled’or»d’HerbertPagani(1972)
C'était un pauvre paysan
Qui cultivait depuis longtemps
Son tout petit lopin de terre,
Petit lopin de rien du tout,
Rien que du sable et des cailloux,
Quatre sarments sous la lumière.
Avec l'étoile sur le cœur,
On traque beaucoup mieux la bête
Et notre pauvre paysan
Perdit sa femme et ses enfants
Et puis le cœur et puis la tête.
Il n'avait plus que son trésor,
Son étoile d'or...
Cet homme partageait son temps
Entre son Dieu et ses enfants,
Entre son champ et ses prières
Et n'avait qu'un petit trésor :
Une étoile d'or...
Un jour qu'il soignait ses raisins,
Il vit venir tous ses voisins
En cavalcade à ses frontières.
Il vit briller leurs grands couteaux.
Il leur dit : "Voulez-vous de l'eau ?"
Ils répondirent : "On veut ta terre."
"En quoi vous gêne-t-il, mon champ ?"
Ils répondirent : "Allez, va-t-en !"
Il prit son livre de prières,
Il prit sa femme et ses enfants
Et son étoile d'or...
Alors il traversa la mer
A la rencontre de sa terre.
C'était ça ou bien se pendre.
"Revendez-moi mon vieux désert.
- Tu sais, ça va te coûter cher.
- Tant pis : je prends !
- Tu peux le prendre."
Le temps de tracer un sillon,
Un coup de feu à l'horizon.
Il bascula dans la poussière.
Du sang par terre et, sur son front,
Une étoile d'or,
Une étoile d'or...
Ainsi partit le paysan,
En traversant la nuit des temps
A la recherche d'une terre.
"Mes bras sont forts, j'ai du courage.
J'accepte même un marécage... "
Il ne trouva que des barrières.
"T'es pas d'ici, t'as un accent.
Fais-toi prêteur, fais-toi marchand
Mais tu n'auras jamais de terre.
On se méfie de ton trésor,
Ton étoile d'or... "
Faute d'avoir un champ de blé,
L'homme se mit à cultiver
Son petit champ dedans sa tête.
On le vit scribe et puis docteur
Puis violoniste et professeur,
Peintre, savant ou bien poète.
"Tu fais du bruit, tu vends du vent.
T'as trop d'idées ou trop d'argent.
T'es un danger pour qui t'approche.
On va te coudre sur la poche
Ton étoile d'or... "
Et vint le temps des grands chasseurs,
Des chiens d'arrêt, des rabatteurs.
Ce fut vraiment la grande fête.
Demandez-le aux bons tireurs :
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«Plaidoyerpourmaterre»,HerbertPagani(11novembre1975)
Hier, j'étais dans le métro et j'entendais deux dames dire :
" Encore ces juifs avec leurs histoires à l'ONU. Quels
emmerdeurs ! ".
C'est vrai. Nous sommes des emmerdeurs. Ça fait des siècles qu'on emmerde le monde. C'est dans notre
nature, que voulez-vous. Abraham avec son dieu unique, Moïse avec ses tables de la loi, Jésus avec son
autre joue toujours prête à la deuxième baffe. Puis FREUD, MARX, et EINSTEIN, tous ont été des géneurs,
des révolutionnaires, des ennemis de l'Ordre. Pourquoi ? Parce que l'ordre, quel que fut le siècle, ne pouvait
les satisfaire, puisque c'était un ordre dont ils étaient toujours exclus. Remettre en question, voir plus loin,
changer le monde pour changer le destin, tel fut le destin de mes ancêtres. C'est pourquoi ils sont haïs par
tous les défenseurs de l'ordre établis.
L'antisémite de droite reproche aux juifs d'avoir fait la révolution bolchevique. C'est vrai. Il y en avait
beaucoup en 1917. L'antisémite de gauche reproche aux juifs d'être les propriétaires de Manhattan, les
gérants du capitalisme. C'est vrai Il y a beaucoups de capitalistes juifs.
La raison est simple : La culture, la religion, l'idée révolutionnaire, d'un coté, les portefeuilles et les
banques, de l'autre, sont les seules valeurs transportables, les seules patries possibles pour ceux qui n'ont
pas de patrie. Maintenant qu'il en existe une, l'antisémitisme renaît de ses cendres, pardon, de Nos cendres,
et s'appelle anti-sionisme. Il s'appliquait aux individus, Il s'applique à une nation. Israël est un Ghetto,
Jérusalem c'est Varsovie.
Les nazis qui nous assiègent mangent du couscous et parlent arabe, et si leur croissant se déguise parfois en
faucille, c'est pour mieux piéger les gauches du monde entier. Moi, juif de gauche, je n'en ai rien à faire
d'une gauche qui veut libérer tous les hommes au détriment de certains d'entre eux, car je suis précisément
de ceux-là. D'accord pour la lutte des classes mais aussi le combat pour le droit à la différence. Si la gauche
veut me compter parmi les siens, elle ne peut pas faire l'économie de mon problème.
Et mon problème, est que depuis les déportations romaines du 1er siècle après Jésus Christ, nous avons été
partout honnis, bannis, écrasés, spoliés, chassés, traqués, convertis de force. Pourquoi ? Parce que Notre
religion, Notre culture, étaient dangereuse.
Eh oui ! Quelques exemples : Le judaïsme a été le premier à créer le shabbath, c'est à dire le repos
hebdomadaire obligatoire. Vous imaginez la joie des pharaons, toujours en retard d'une pyramide ! Le
judaïsme interdit l'esclavage. Vous imaginez la sympathie des romains ! Il est dit dans la Bible : la terre
n'appartient pas à l'homme mais à Dieu. De cette phrase découle une loi : celle de la remise en cause de la
propriété tous les 49 ans. Vous voyez l'effet d'une loi pareille sur les Papes du moyen âge et les bâtisseurs
d'empire de la renaissance ; il ne fallait pas que les peuples sachent. On commença par interdire la Bible.
Puis ce fut la médisance. Des murs de calomnies qui devinrent murs de pierres : Les Ghettos, puis l'index,
l'inquisition, les bûchers, et plus tard les étoiles jaunes. Auschwitz n'est qu'un exemple industriel de
Génocide, mais il y a eut des génocides artisanaux par milliers. J'en aurais pour trois jours rien qu'a
nommer tous les pogromes d'Espagne, de Russie, de Pologne et d'Afrique du Nord !
À force de fuir, de bouger, le Juif est allé partout. On extrapole et voilà : il n'est de nulle part. Nous sommes
parmi les peuples comme l'enfant à l'assistance publique. Je ne veux plus être adopté. Je ne veux plus que
ma vie dépende de l'humour de mes propriétaires. Je ne veux plus être citoyen-locataire. J'en ai assez de
frapper aux portes de l'histoire et d'attendre qu'on me dise " entrez " ! Je rentre et je gueule ! Je suis chez
moi sur terre, et sur terre j'ai ma terre : Elle m'a été promise, elle sera maintenue.
Qu'est ce que le sionisme ? Ça se réduit à une simple phrase : " L'an prochain à Jérusalem ". Non, ce n'est pas
un slogan du club Méditerranée.
C'est écrit dans la bible (le livre le plus vendu et le plus mal lu du monde) et cette prière est devenue un cri,
un cri qui a plus de 2 000 ans , et le père de Christophe COLOMB, de KAFKA, de PROUST, de CHAGALL, de
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MARX, d'EINSTEIN et même de KISSINGER l'ont répétée, cette phrase, au moins une fois par an, le jour de
Pâques.
Alors, le sionisme, c'est du racisme ? Laissez moi rire : Est-ce que " Douce France, cher pays de mon enfance ",
est un hymne raciste ? Le Sionisme, c'est le nom d'un combat de libération.
Dans le monde, chacun a ses juifs. Les français ont les leurs : ce sont les bretons, les occitans, les
travailleurs immigrés. Les italiens ont les siciliens, les Yankées ont leurs noirs, les espagnols leurs basques.
Nous, nous sommes les juifs de TOUS. A ceux qui me disent : " Et les palestiniens ? " Je réponds : " Je suis un
palestinien d'il y a 2 000 ans. Je suis l'opprimé le plus vieux du monde ". Je discuterai avec eux, mais je ne leur
cèderai pas ma place. Il y a là bas de la place pour deux peuples et pour deux nations. Les frontières sont à
déterminer Ensemble. Mais l'existence d'un pays ne peut en aucun cas exclure l'existence de l'autre. Les
options politiques d'un gouvernement n'ont jamais remis en cause l'existence d'une nation. Alors pourquoi
Israël ? Quand Israël sera Hors de danger, je choisirai parmi les juifs et mes voisins Arabes, ceux qui me
sont frères par les idées. Aujourd'hui, je me dois d'être solidaire avec tous les miens, même ceux que je
déteste, au nom de cet ennemi insurmontable : le racisme.
DESCARTES avait tort : Je pense, donc je suis, ça ne veut rien dire. Nous, ça fait 5 000 ans qu'on pense, et
nous n'existons toujours pas. Je me défends, donc, je suis.
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