histoire de la coopération

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JF VINCENT OCCE
LA COOPERATION
UNE HISTOIRE D’AVENIR
L’accroissement à l’échelle mondiale de l’inégalité économique et sociale entre les hommes,
l’aggravation de la malnutrition et des maladies endémiques, les menaces que font peser sur
l’équilibre écologique de la planète la recherche effrénée de la croissance, les licenciements
en masse et les délocalisations arbitraires, justifiés par la seule recherche de dividendes
supplémentaires, la montée des intégrismes et de leurs cortèges de violences… témoignent
des conséquences néfastes d’une économie marchande « libérée » c’est à dire d’une économie
livrée à elle-même.
Les marchés sont présentés comme des régulateurs infaillibles des processus économiques, la
liberté d’entreprendre, la dérégulation de l’économie sont sensés « libérer » l’activité humaine
et apporter plus de bonheur et d’équité à l’humanité…
Si comme l’écrivait Rabelais au XVème siècle « science sans conscience n’est que ruine de
l’âme » il est devenu absolument évident que la liberté sans régulation éthique est la ruine de
l’humanité et du lien social.
Dans le contexte actuel, deux horizons se dessinent : soit les excès du libéralisme continuent à
asservir toujours plus largement les activités sociales au règne du profit, soit au contraire la
société se donne les moyens de limiter cet asservissement et tente de réguler l’économie par
une nouvelle éthique démocratique et solidaire.
La coopération représente depuis plus d’un siècle et demi, une réponse à la fois économique,
sociale et éducative aux excès du libéralisme. Mais bien qu’elle emploie en France plus de
700 000 salariés et que ses activités concernent plus de 20 millions de nos concitoyens, son
projet est fort mal connu.
Je vais donc très rapidement dans un premier temps exposer les jalons essentiels de son
histoire et de ses caractéristiques économiques, sociales et éducatives avant d’envisager en
conclusion ses perspectives d’avenir.
1. De l’association aux premières expériences coopératives
L’association entendue comme regroupement d’individus partageant des mêmes difficultés,
un même besoin, pour s’organiser professionnellement, pour se protéger ou se défendre est
une réalité fort ancienne dans l’histoire de l’humanité.
Le compagnonnage illustre l’une des formes les plus stables d’organisation du travail et des
rapports sociaux. On dit que les esclaves qui construisaient les pyramides d’Egypte s’étaient
déjà regroupés pour mettre en place des actions de solidarité et d’entraide pour faire face aux
aléas de la vie et aux accidents du travail.
Plus tard, ce sont au travers des guildes, des confréries, des corporations de
compagnons…que ce sont exprimées les idées de solidarité, d’union, de partage, de
démocratie, de défense… qui vont progressivement à partir du milieu du XIX ème siècle,
amener la naissance des associations, des syndicats, des mutuelles et des coopératives.
1. a. En France, les premières activités coopératives naissent en milieu rural. On cite à cet
égard les célèbres « fruitières » du Jura ou encore « la communauté de Sauve » créée en 1661
en vue de la production et de la commercialisation de fourches en micocoulier.
Mais le désir d’échapper au salariat se manifeste surtout au début de la décennie 1830 dans les
milieux de l’artisanat qualifié parisien, qui devient le terrain expérimental de la coopération
1
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de production : le coup d’envoi est lancé avec l’Association des ouvriers menuisiers parisiens,
créée en 1831, suivie par l’Association chrétienne des bijoutiers en doré, créée par 4 ouvriers
parisiens en 1834.
Lyon constitue le berceau principal de la coopération de consommation. Elle y est pratiquée,
bien avant d’être conceptualisée, par les théoriciens associationnistes et mutuellistes : « A
Lyon, on a vu de tout temps des familles d'ouvriers domiciliés dans le voisinage les unes des
autres, se cotiser pour acheter au comptant et en gros ou en demi-gros, des denrées
alimentaires qu'elles se partageaient ensuite." 1
Le soutient des pouvoirs publics français durant la seconde moitié du XIXème siècle envers la
coopération sera plus ou moins important mais elle sera toujours perçue comme offrant une
alternative non violente à l’action révolutionnaire qui va progressivement s’imposer dans les
milieux ouvriers.
La seconde République va par exemple encourager le développement de l’association
ouvrière. Un décret en date du 5 juillet 1848 affirme: "L'Assemblée Nationale, pénétrée du
désir de voir s'améliorer la condition des travailleurs et du devoir qui lui est imposé de
concourir par les moyens dont elle peut disposer, à faire passer les travailleurs de l'état de
salariés à celui d'associés volontaires, a voulu encourager l'esprit d'association »2
Sous la troisième République, un décret pris le 4 juin 1888 sous la pression des radicaux
(René Waldeck-Rousseau, Léon Bourgeois3…) et des socialistes modérés (Alexandre
Millerand, Paul Deschanel) stipule que, concernant les commandes publiques, « à égalité de
rabais, les sociétés ouvrières doivent avoir la préférence »4 .
En 1912 est créé un Groupe parlementaire de la coopération, particulièrement actif : « Ses
délégués parcourent les départements, reçoivent les doléances des sociétés, réchauffent le
zèle des préfets, signalent aux ministres de l’Intérieur et du Travail ceux dont la tiédeur
coopérative est persistante. » 5
1. b. En Grande-Bretagne, c’est au début du XIXe siècle, dans le contexte des
bouleversements économiques et sociaux induits par l’essor rapide de la grande industrie, que
s’est réalisée, face à l’individualisme libéral, l’alchimie des réflexes solidaires et d’une
réflexion associative.
Le premier nom qui vient à l’esprit lorsqu’on évoque la genèse de la coopération anglaise est
celui de Robert Owen (1771-1858) Ce philanthrope, propriétaire d’une fabrique textile, tirant
partie de la constitution à Londres, des premières coopératives artisanales (aux alentours de
1830) élaborera un projet de nouvelles sociétés intégralement autogestionnaires qui
influencera nettement la réflexion des penseurs français.
L’expérience coopérative à laquelle il est habituel de se référer concernant l’Angleterre, est
celle des pionniers de Rochedale6.
En 1844, 40 ouvriers, pour la plupart tisserands, fondent à Rochdale, près de Manchester, une
coopérative de consommation promue à une grande renommée, « la société des Equitables
1
Eugène Flottard, « Associations coopératives de consommation », in Annuaire de l’association pour 1867, p.
171.
2
Instruction pour l’exécution du décret du 5 juin 1848, cité in Enquête sur le fonctionnement des associations
ouvrières 1883-1884. Consultable au CEDIAS/Musée social.
3
La doctrine solidariste, exposée par Léon Bourgeois dans son ouvrage Solidarité, paru en 1896, apparaît
comme la conceptualisation des pratiques coopérativistes et mutualistes.
4
Congrès des Associations ouvrières de production, adhérentes à la Chambre consultative, juillet 1900.
Consultable au CEDIAS/Musée social.
5
Joseph Cernesson*, La Revue des deux mondes, 1911.
6
Si elle n’est pas à proprement parler la première expérience coopérative , elle est celle qui va influencer de la
façon la plus déterminante l’histoire de la coopération.
2
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pionniers ». Le principe en est simple : avec un petit capital alimenté par les cotisations
minimes mais régulières des sociétaires, la coopérative achète en gros des produits d’épicerie
revendus au prix coûtant.
Les grands principes coopératifs ont ainsi été édictés à Rochdale :
la ristourne,
la démocratie — un homme, une voix —,
les parts sociales rémunérées par un intérêt fixe,
la liberté d’adhésion,
la vente au comptant,
l’importance accordée à l’éducation des adhérents.
Sur ce dernier point, toutes les coopératives anglaises, établies sur le modèle de Rochdale, ont
un poste de dépense destiné à l’avancement moral et intellectuel des sociétaires..
Le mouvement coopératif britannique de cette première moitié du XIXe siècle est donc
résolument tourné vers l’organisation de la consommation ouvrière.
1. c. En Allemagne
L’action simultanée de Friedrich Raiffeisen et d’Hermann Schulze a rapidement abouti à la
prééminence de la coopération de crédit sur toutes les autres formes de coopération en
Allemagne. Leur but était de permettre aux cultivateurs pauvres et aux ouvriers d’éviter de
contracter des emprunts auprès des banquiers ou des usuriers, en leur proposant des prêts avec
un taux faible, et remboursables sur une longue période.
Le développement ultérieur des banques populaires en France et en Italie sous l’égide de
Luigi Luzzatti est directement inspiré des théories d’Hermann Schulze, tandis que Friedrich
Raiffeisen influencera en France le courant du crédit agricole.
2. Du socialisme utopique au socialisme révolutionnaire
Un point commun aux diverses expressions de la pensée coopérative en Europe exprimée par
ceux que Karl Marx et Friedrich Engels nommaient « les socialistes utopiques », est la
référence constante aux valeurs démocratiques, fraternelles et égalitaires.
En dépit de leurs divergences, Owen, Saint-Simon, Louis Blanc, Charles Fourier (inventeur
du Phalanstère), Pierre Joseph Proudhon (la propriété c’est le vol)… et plus tard Charles Gide
ou Georges Fauquet, ne cessent de promouvoir l’association démocratique comme réponse
pragmatique à l’exploitation des salariés et au lancinant problème de l’alimentation
quotidienne.
Mais la fin du XIXème siècle va être marquée par l’opposition grandissante entre deux
conceptions majeures du socialisme : le socialisme utopique et le socialisme
révolutionnaire.
2.a. Lors du premier Congrès ouvrier de 1876 à Paris du 2 au 10 octobre les critiques
formulées à l’ encontre de l’association ouvrière, portent sur son incapacité à résoudre le
problème du prolétariat « La coopération c’est conserver en améliorant » déclare Isidore
Finance.
Cependant pour la majorité des 350 congressistes les coopérations de crédit, de consommation
ou de production, si elles évitent le piège de la « corporation », représentent un moyen
d’émancipation selon une logique simple exposée par le serrurier Nicaise : « Les sociétés de
consommation ne s’adressent pas seulement aux ouvriers d’une même corporation, mais à
tous les ouvriers habitants le mêmes quartiers… Nous considérons ces sociétés comme des
moyens d’acquérir le capital nécessaire à la fondation de sociétés de production par les
3
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économies qu’elles procurent. C’est pourquoi nous les plaçons avant les sociétés de
production. »
On voit très clairement apparaître ce qui allait, quelques années plus tard, sous la plume de
Charles Gide devenir la trame de la construction de « la société coopérative ».
Face à cette dynamique démocratique et non violente de « refondation sociale » les idées
révolutionnaires portées par les « marxistes» groupés en France autour de Jules Guesde,
commencèrent vers 1877 à pénétrer les milieux ouvriers. Opposé aux méthodes pacifiques et
réformistes du socialisme utopique, le socialisme révolutionnaire affirme la nécessité de la
conquête du pouvoir politique de l’Etat et de l’expropriation massive du capitalisme en
utilisant la lutte des classes et les conflits du travail et du patronnât.
2.b. Lors du troisième congrès ouvrier de Marseille du 20 au 31 octobre 1879 à une
grande majorité, les congressistes affirment qu’ils ne reconnaissent plus dans la coopération
qu’un rôle secondaire, sans portée efficace sur la classe ouvrière
Elle est même accusée par certains congressistes de diviser la classe ouvrière en brisant la
nécessaire solidarité de classe des travailleurs.
C’est ainsi que une des résolutions déclare que « ces sociétés ne peuvent aucunement être
considérées comme des moyens assez puissants pour arriver à l’émancipation du
prolétariat…. Mais que néanmoins ce genre d’association doit être accepté, au même titre
que les autres genres d’association dans le but d’arriver le plus vite possible à la solution du
problème social par l’agitation révolutionnaire la plus active. »
Apparaît très clairement à cette époque le conflit entre les formules autoritaires voire
« dictatoriales » et les tendances d’autonomie, de mutualité, de solidarité. L’opposition entre
l’idéalisme libertaire ou anarchiste et l’idéalisme révolutionnaire. Ce conflit sera plus ou
moins permanent, plus ou moins violent durant une bonne partie du XXème siècle.
2.c. En 1920, le Comité des coopérateurs communistes et révolutionnaires engage les
militants les plus dynamiques à infiltrer la coopération traditionnelle. Cette thèse est reprise
en 1926 par la Commission coopérative centrale du Parti communiste français : « Les
communistes opposent au sein des coopératives le principe de la lutte de classe à celui de
l'intérêt général défendu par les réformistes."
Globalement, l’image de la coopération dans les milieux syndicalistes demeurera pour le
moins mitigée. Bien que la CGT entretienne des rapports réguliers avec la FNCC, la centrale
syndicale ne cachera pas ses réticences à l’encontre des coopératives ouvrières de production
qui lui semblent trop marquées par un esprit corporatiste.
3. Expansion et diversification coopératives
Après la seconde guerre mondiale dans un contexte d’expansion économique et de plein
emploi, les sociétés coopératives vont se développer et se diversifier.
3.a. Durant la décennie 1970, dans le désarroi causé par la crise du système capitaliste, les
coopératives ouvrières de production apparaissent comme un refuge contre le dépôt de
bilan et le chômage. La reprise très médiatisée de Lip par les salariés en 1973 est
symptomatique de ce phénomène de « coopératisation » des entreprises capitalistes en
difficulté ; un phénomène à l’égard duquel la CGSCOP exprime une réserve circonspecte :
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« La récupération des laissés pour compte du patronat n'est pas une vocation coopérative et
l'épargne des travailleurs n'est pas destinée à pallier les déficiences du patronat."7
3.b. Dans le domaine de la consommation, les coopératives de consommation ont d’abord
continué à grignoter des parts de marché sur le petit commerce. En 1960, l’enseigne COOP
rassemble plus de 3,5 millions de ménages sociétaires, soit un consommateur sur six.
La vague coopérative touche des secteurs très variés : l’alimentation (où se multiplient les
SPAR et autres CODEC) le meuble (Monsieur Meuble), en passant par les chaussures
(Arbell).
Après avoir ouvert son premier magasin en 1949, Edouard Leclerc lance des « centres
distributeurs » ; la Fédération nationale d’achats des cadres (FNAC) voit le jour en 1954.
l’Union française des coopératives de commerçants (UFCC), créée en 1964, soit un an après
l’ouverture du premier hypermarché en France fédère 156 supérettes et 445 libres-services8.
Mais une décennie plus tard, face au développement des chaînes de magasins et des grandes
surfaces, la coopération de consommation ne doit qu’au soutien du Crédit coopératif de se
maintenir dans les petites localités.
3.c. Dans le domaine agricole la pénurie alimentaire de l’après guerre amène le ministère de
l’Agriculture à appuyer la création de Coopératives d’utilisation du matériel agricole
(CUMA), ainsi que de Coopératives de commercialisation et de transformation des céréales et
produits laitiers. Ces groupements créés à l’initiative de militants issus du vivier syndical ainsi
que de la Jeunesse agricole catholique (JAC), s’adaptent à toutes les étapes de l’activité
agricole : production, vente, transformation des produits, services, collecte, stockage, vente.
3.d. Dans le domaine du crédit le Crédit mutuel s’ouvre à l’ensemble des milieux
professionnels et sociaux, par le statut légal de 1958, qui en fait la banque des salariés. On
observe dans le mouvement des banques populaires la même démarche pragmatique
d’élargissement de la clientèle, ratifiée par la réforme de leur statut en 1962.
La diversité des interventions du Crédit coopératif, l’organisme prêteur des coopératives, est
un indicateur fiable de l’évolution du mouvement. Selon un rapport établi en 19639, on peut
distinguer, parmi les organismes emprunteurs, cinq branches coopératives qui connaissent des
problèmes de restructuration : il s’agit, par ordre décroissant, du Crédit maritime mutuel, des
coopératives de consommation, des coopératives de détaillants, des SCOP et des entreprises
artisanales. En outre, le Crédit coopératif intervient fréquemment en faveur des coopératives
de HLM.
3.e. Au cours des années 1960, de nouvelles catégories professionnelles rejoignent le
monde de la coopération, comme celles des transporteurs routiers de marchandises ou des
médecins organisés dans des cabinets médicaux de groupe ou encore des architectes.
Au cours des années 1980, le sentiment d’une certaine pérennisation de la crise économique,
auquel s’ajoutent les mutations commerciales, les nouveaux comportements consuméristes, et
la réhabilitation du libéralisme érigé en dogme quasi inopposable, sont autant de facteurs de
questionnement pour la coopération. Diversement atteintes par ce phénomène certaines
branches coopératives vont devoir procéder à une profonde restructuration, notamment les
7
Antoine Antoni, La coopération ouvrière de production, Paris, Edit. Scop, 1964.
Archives du Crédit coopératif, CAMT Roubaix
9
Rapport du conseil d’administration à l’assemblée générale du Crédit coopératif, 23 avril 1963.
CAMT, Roubaix
8
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deux familles « historiques » du mouvement : les coopératives de production et les
coopératives de consommation.
4. L’adaptation actuelle
4.a. Au tournant des années 1980, du côté de la coopération de production, on assiste à un
renouvellement important des sociétés, par un fort taux de mortalité doublé de nombreuses
créations, qui résultent en partie des difficultés du secteur industriel. Afin de permettre à
l’entreprise symbole du mouvement ouvrier, la Verrerie ouvrière d’Albi (VOA), de
poursuivre son activité sous statut SCOP10, est votée en 1985 une loi qui autorise les sociétés
de production à s’ouvrir aux capitaux extérieurs. Malgré son caractère circonstanciel, cette
disposition n’en constitue pas moins une révolution culturelle dans l’histoire d’un mouvement
enraciné dans le refus de la suprématie du capital sur le travail, mais dans l’association des
deux, et la gestion a-capitaliste.
Cette tendance se confirme avec la loi du 13 juillet 1992 relative à la modernisation de toutes
les coopératives en vertu de laquelle peuvent être admises « des personnes physiques ou
morales qui n’ont pas vocation à recourir à leurs services ou dont elles n’utilisent pas le
travail, mais qui entendent contribuer par l’apport de capitaux à la réalisation des objectifs
de la coopérative. »
Cependant, des garde-fou ont été institués, afin d’éviter la banalisation du mouvement : les
apports extérieurs sont limités à 35 % du capital, et le principe de l’impartageabilité des
réserves reste inscrit dans les statuts. C’est ainsi que globalement, le mouvement SCOP a
réussi la gageure de s’adapter à la réalité économique, tout en restant attaché à ses valeurs
historiques.
4.b. La seconde branche historique de la coopération, la coopération de consommation, a
moins bien résisté aux bouleversements de cette fin de siècle.
En 1972, le mouvement prend acte des mutations commerciales en adoptant une démarche
consumériste : attention portée à la qualité des articles, suivi des commandes, conseils aux
clients. Mais cela ne suffit pas à permettre aux COOP d’offrir des prix concurrentiels par
rapport à ceux pratiqués par les grandes surfaces, alors en pleine expansion. Une décennie
plus tard, alors même que leur marge bénéficiaire continue à se réduire, les COOP cherchent à
reconquérir leur sociétariat en gageant sur deux initiatives coûteuses : d’une part,
l’intensification de la distribution des ristournes, en fidélité à leurs principes fondateurs, et de
l’autre la modernisation de leurs infrastructures. L’endettement des quelques 230 sociétés
atteint un niveau critique, et les dépôts de bilan se succèdent. En 1986, le nombre des
sociétaires tombe au-dessous de celui de 1920. Le militantisme des consommateurs n’a pas
pour autant disparu, il semble qu’il se soit simplement déplacé vers les associations de
consommateurs.
Ces dernières années, est apparu un nouveau type de coopératives de consommation,
spécialisées dans la distribution de produits issus de l’agriculture biologique et du commerce
équitable, qui marquent comme un retour aux sources de l’éthique coopérative : le respect du
consommateur et du producteur et une conception humaniste de l’économie.
10
La Verrerie ouvrière d’Albi est néanmoins sortie du statut coopératif en 1992.
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En conclusion
Si l’utopie d’une société entièrement coopératisée a fait long feu, la coopération n’en reste pas
moins une fenêtre ouverte sur les moyens de concrétiser l’aspiration à l’humanisation des
rapports économiques ; de même qu’elle constitue une source d’inspiration pour les Pouvoirs
publics en quête de solutions aux problèmes d’emploi, de désertisation des territoires, de perte
du lien social.
Au bout du compte, il apparaît donc que la pratique coopérative ne profite pas qu’aux
sociétaires, mais de façon directe ou indirecte, à l’ensemble du corps social. Agissant au
coeur même de l’économie, les coopératives sont soumises à des règles imposées par
l’économie dominante. De ce fait, elles doivent -sous peine d’être menacées de disparaîtreégalement proposer aux consommateurs des produits concurrentiels comparables ou
identiques à ceux des entreprises classiques, ce qui nuit souvent à leur identification.
La finalité et le fonctionnement interne des coopératives n’en restent pas moins différents et
leur capital n’est pas placé en bourse ou entre les mains de personnes privées : il appartient
aux membres qui sont, en règle générale, les clients ou les salariés des coopératives… et il est
indivisible !
Les coopératives proposent généralement des produits originaux, qui témoignent de leur
spécificité. Elles génèrent des innovations sociales et économiques originales: elles renforcent
les liens sociaux, s’appuient sur la population locale, soutiennent le développement local, ne
sont pas délocalisables, suscitent de nouveaux échanges entre producteurs et consommateurs,
développent la solidarité avec les pays du Sud…
Les pratiques coopératives elles-mêmes n’ont cessé de se diversifier et de se renouveler, en
s’adressant à des catégories toujours plus larges de la population. La plus récente forme a
deux années d’existence : la Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC) est une
coopérative de production qui peut associer des salariés, des usagers, des collectivités locales,
des associations. Reconnue comme servant l’intérêt général, elle peut, à la fois, se situer sur
un marché économique, et bénéficier d’aides publiques.
Il ne s’agit pas de dire que les coopératives respectent toutes, à la lettre, tous les principes qui
ont inspiré leur création. La réalité est autrement plus complexe et, à l’instar de la vie
politique, on peut observer une multitude de situations et de formes d’exercices du pouvoir
démocratique dans le monde de la coopération.
L’engagement en coopération correspond à une manière de protester contre la logique
implacable du profit, en s’appuyant sur la force du collectif pour ne pas sombrer dans la
misère. Au delà de ces caractéristiques, souvent liées à la spécificité de chacune de ces
branches, l’histoire de la coopération montre également que durant ces deux siècles, elle a su
faire preuve de capacités d’adaptation considérables, tout en s’efforçant de rester fidèle à ses
valeurs de solidarité et à son idéal démocratique.
Bibliographie
Jean GAUMONT, « Histoire générale de la coopération en France » FNCC, Paris, 1923
DREYFUS, TOUCAS « Les coopérateurs : deux siècles de pratiques coopératives » Editions
de l’Atelier, 2005
André HENRY « Serviteurs d’idéal », L’Instant, 1987
JF DRAPERI les coopératives dans « la semaine de la coopération à l’Ecole » livret OCCE
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