les romans la región más transparente et la muerte de artemio

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LES CAHIERS DE IRDA
Les cahiers de IRDA N 001 janvier 2014
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LES CAHIERS DE IRDA
Revue semestrielle
LES CAHIERS DE IRDA
Revue Scientifique d’Études Africaines
01 BP 525 Bouaké 01 Côte d’Ivoire
Tel. (225) 07 43 48 96/56 48 11 84/
46 26 26 16/31 63 51 61
http://www.institutirda.org/les-cahiers-de-l-IRDA.html
Courriel : [email protected]
No 001
Numéro Libre janvier 2014
Les cahiers de IRDA N 001 janvier 2014
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Ligne éditoriale
L’Afrique est traversée par des crises dont la nature complexe impose de conceptualiser un agir bien pensé, une
pensée qui a conscience de la structure labyrinthique des réalités africaines, qui l’ouvre au regard, qui en remanie le
mouvement giratoire. Cette attitude n’est possible que parce que nous avons répondu au rendez-vous frontal et
symptomal de la pensée par un questionnement lucide et informé, un questionnement auto-critique. Cette posture se
veut l’élan d’une pensée qui résiste, conteste, proteste contre les incertitudes sans lendemain et les certitudes closes
comme forme de savoir qui enferment et menacent la pensée. Alors, comment et pourquoi ne pas céder au pessimisme
suicidaire encore moins à l’optimisme béat, telle est l’urgence que nous imposent les conditions de notre survie, par une
reprise en charge impérative de soi par la pensée. Re-penser l’Afrique, c’est interroger son être et son devoir-être
comme devenir, la comprendre de fond en comble, sans tabou ni totem, sans paresse ni précipitation en développant
une pensée ferme et rigoureuse de la vigilance informée.
Pour ce faire, il lui faut une terre comme source et un territoire comme ressource de pensée, un lieu théorique pour
questionner, intuitionner ses rapports intérieurs et extérieurs aux choses. C’est pour satisfaire à ces exigences que
IRDA (Institut de Recherches pour le Développement en Afrique) a créé LesCahiers de IRDA. C’est une revue en ligne
qui se veut un espace de recherches et de productions critiques et auto-critiques sur tous les sujets en rapports avec
l’Afrique. Ouvert aux chercheur(e)s, enseignant(e)s et étudiant(e)s de toutes disciplines pouvant scruter tous les
horizons intellectuels, culturels et scientifiques touchant directement ou indirectement l’Afrique dans sa complexité
comme réalité rhizomatique, diversité des possibles épistémiques à buriner au concept. Comme écho à cette urgence
du moment comme exigence épistémologique et méthodologique, LesCahiers de IRDA répondent par la présence
érectile et féconde de la pensée, comme moyen de re-dynamiser l’espace africain dans son actualité passée et présente.
LesCahiers de IRDA ont une double mission : rétrospective et prospective comme inauguralité d’un jour nouveau
pour l’Afrique. Le caractère frontal et inaugural deLesCahiers de IRDA qui le fait donc réfléchir sur des horizons
épistémologiques et méthodologiques encore inexplorés dont l’originalité de l’éclat juvénile ramène les Africains à
repenser leur trajectoire spirituelle, pour déconstruire les actes manqués et les trous de mémoire de leur agir théorique
et pratique entre hier et aujourd’hui. Ce travail exige des remises en question pour valider et consolider les acquis mais
aussi tourner à rebours les paradigmes dominants, pour faire advenir de nouvelles préoccupations comme inquiétudes.
LesCahiers de IRDA veulent donc re-penser ce qui a déjà été, tout comme ce qui n’a jamais été comme moyen de
scruter l’avenir, de répondre à son appel comme rappel à l’ordre face aux défis et enjeux du développement.
LesCahiers de IRDA ont des feuillets où peuvent séjourner des discours théoriques contradictoires et différenciés.
Cette métaphore des feuilles donne à penser que l’on remet toujours sur le chantier de la discussion et de la recherche
toute forme de savoirs ou de pensées, les amener à révéler les scansions de son indicible secret. Comme tels,
LesCahiers de IRDA est espace de dialogue critique, de débats entre différentes postures épistémologiques et
méthodologiques agonistiques.
La spécificité de LesCahiers de IRDA est de favoriser le développement de productions scientifiques de qualité en
Études Africaines, d’une part. LesCahiers de IRDA est une revue ouverte à des travaux en Études Canadiennes et
Québécoises en relation avec des situations épistémologiques, méthodologiques, culturelles et politiques avec
l’Afrique, d’autre part. Telles sont les promesses que LesCahiers de IRDA veulent semer sur des terres africaines aussi
bien arides que fécondes. Éclater les limites du pensable par une réflexion ferme, rigoureuse et profonde, explorer et
retrouver le choc initial épistémique originel, originaire et original comme moment tensionnel d’émergence et de
développement des choses, pour que viennent au jour quelques faisceaux lumineux des impensés que l’ombre de
l’impensable peut produire, tel est le défi et l’enjeu que se donnent LesCahiers de IRDA pour re-configurer l’Afrique.
LA RÉDACTION
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CONSIGNES DE RÉDACTION
Pour que votre article soit publié,
Il ne doit pas dépasser 15pages. (maximun)
La police des caractères doit être du Times New Roman et le corps des caractères est de
12. , interligne simple, les marges sont haut : 3 cm, bas : 3cm; gauche 3cm; droite 3cm
Les signes de ponctuation uniquement suivis d’un espace sont : , .
Ceux précédés d’un espace et suivis d’un espace sont : ? ! ; : - « »
Pour les guillemets de ce type " " “ ” et les parenthèses, il n’y a pas d’espace à l’intérieur.
•
Quand la citation est comprise dans une phrase, le point final viendra endehors du guillemet : Phrase "institut".
•
Quand la citation est une phrase complète, le point est dans le guillemet:
"Institut de recherches."
•
Quand la citation est introduite par deux points, les deux sont possibles :
Quand la citation est longue et par exemple : comporte plusieurs phrases, il est
nécessaire de mettre le point à l'intérieur du guillemet. Quand la citation est un
mot ou très courte, on peut mettre le point à l'extérieur (il dit : "prends".).
•
Pour une phrase en français les guillemets doivent être de ce type : «
Institut de recherches »
•
Pour une phrase en anglais : "institut de recherches" et en italique
•
Accentuer les "À", les "É" et "Ê" majuscules. Par exemple : À ce propos,
École, Être, etc.,
NOTES DE BAS DE PAGE
Deux choix sont possibles (mais il faut choisir l’un ou l’autre pour tout le texte) :
•
Les notes sont placées : En bas de page. Le corps à utiliser est de 10
points soit 2 points de moins que le corps du texte. Les appels de note placés dans
le texte doivent avoir le même corps que les rappels et le texte des notes.
À la fin du texte, elles seront dactylographiées à un interligne et demi, en
respectant le protocole suivant (y compris la ponctuation) :
•
Livre, nom de l’auteur, initiale du ou des prénoms, titre. Lieu d’édition,
nom de l’éditeur, année de publication, nombre de pages..
SAMBA DIAKITÉ (dir.) , Dictionnaire des auteurs africains. Abidjan, Presses
Universitaires de Côte d’Ivoire, 2013, 230 pages
•
Article, nom de l’auteur, initiale du ou des prénoms, « titre de l’article »,
nom de la revue, volume, numéro, année de publication : première et dernière
pages de l’article.
•
Vanier .C. « L’homme qui aime la femme », L’Homme, XVI, 2-3 : 103-
128.
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•
Texte dans un ouvrage collectif, nom de l’auteur, initiale du ou des
prénoms, année de publication, « titre du chapitre » : première et dernière pages
du chapitre, in initiale du ou des prénoms et nom du ou des directeurs de
publication, titre du livre. Lieu d’édition, nom de l’éditeur, année d’édition.
•
DUFFRENES M., « Le bleu et le noir » : 79-123, in F. Héritier-Augé et
É. Capen et Allenr (dir.), Les margouillats. Volume I : Les mangeurs de mil.
Paris, Éditions des Margouillats, 2013.
•
Document Internet, comme les rubriques ci-dessus et, à la place du lieu
d’édition et du nom de l’éditeur, la mention : Consulté sur Internet (adresse du
site), le (date). Conseil africain de Bamako, 2013, introductions de séance, 7, 8 et
9 décembre. Consulté sur Internet
(http://africa.ua.int/nations/off/conclu/dec2013/dec2013/_fr.htm), le 15 juillet
2013.
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ORGANISATION
Directeur de Publication :Prof. Samba DIAKITÉ
Directeur de Rédaction :Dr KOUMA Youssouf
Secrétaire de Rédaction : Dr KONATÉ Mahamoudou
COMITÉ DE RÉDACTION
Dr KOUMA YOUSSOUF, Maître-Assistant, Université Alassane Ouattara de Bouaké
Dr SORO DONISSONGUIMaître-Assistant Université Alassane Ouattara de Bouaké
DR KOUASSI KOUADIO LEONARD, Assistant, Institut National Supérieur d’Action Culturel Abidjan
DR SANGARÉ SOULEYMANEMaître-Assistant,Université Alassane Ouattara de Bouaké
DR KONATÉ MAHAMOUDAssistant, Université Alassane Ouattara de Bouaké
Dr KOUAKOU HYANCINTHE, Chercheur, Lycée Moderne d’Adzopé Côte d’Ivoire
DR SOUMAHORO FALIKOUAssistant, Université Alassane Ouattara de Bouaké
DR CHANTAL PALÉAssistant, Université Alassane Ouattara de Bouaké
DR SANOGO AHMEDAssistant, Université Alassane Ouattara de Bouaké
JACKIE DIOMANDÉ Doctorante,Université Alassane Ouattara de Bouaké
KOUAKOU EDWIGEDoctorante, Université Alassane Ouattara de Bouaké
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CONSEIL SCIENTIFIQUE
PROF. ABOU KARAMOKO, Professeur des Universités,Université Houphouët-Boigny ,philosophie de la
culture , théorie critique et philosophie africaine
PROF COULIBALY DAOUDA,Maître de Conférences,Université Alassane Ouattara , études américaines
PROF DANY RONDEAU,Professeure des Universités,Université du Québec à RIMOUSKI, éthique, philosophie
de la culture et des religions
PROF. DAVID MUSA SORO,Professeur des Universités,Université Alassane Ouattara, , philosophie grecque
et études anciennes
PROF. HOUNTONDJI PAULIN,Professeur des Universités,Université du Benin, , philosophie africaine et
philosophie politique
PROF. KOUASSI YAO EDMOND,Maître de Conférences, Université Alassane Ouattara, philosophie politique
et sociale
PROF. N'GUESSAN DEPRY ANTOINE, Maitre de conférences, Université F.Houphouet Boigny, philosophie
des sciences
PROF. SAMBA DIAKITÉ, Professeur des Universités,Philosophie de la culture, de l’éducation, éthique et
philosophie africaine
PROF. TRO DEHO, Maître de Conférences,Université Alassane Ouattara, littérature africaine
PROF. YACOUBA KONATÉ,Professeur des Universités,Université FÉLIX Houphouët-Boigny, esthétique,
philosophie de l’art et philosophie politique
PROF. BINDEDOU JUSTINEMaître de Conférences, Université Alassane Ouattara, philosophie politique
PROF. GRÉGOIRE BIYOGO, Professeur des Universités,Université Paris VII; Per Ankh Université
Panafricaine de la Renaissance; égyptologie, épistémologie, méthodologie, linguistique historique et comparée,
histoire de la philosophie, musicologie, poétique
PROF. MARIE STOLL, Professeur des Universités,Université of Michigan, Science and arts
PROF. NORMAND BAILLARGEON, Professeur des Universités, Université du Québec à Montréal Philosophie
de l’éducation
PROF. KOUASSI MARCEL, Maître de Conférences, Bioéthique, éthique des technologies, philosophie
pratique
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RÉVOLUTION ET IMAGINAIRE SOCIAL DANS LES
ROMANS LA REGIÓN MÁS TRANSPARENTE1 ET LA
MUERTE DE ARTEMIO CRUZ2 DE L’ÉCRIVAIN
MEXICAIN CARLOS FUENTES.
N’DRI N’GUESSAN Anatole∗
Doctorant
Le Mexique de la première moitié du 20è siècle gît dans les incertitudes liées aux
bouleversements engendrés par sa révolution de 1910. Cette quête d’une sorte de paradis
perdu a tenu le mexicain écartelé entre un passé difficilement repérable et un avenir plus
que redouté. La scène à laquelle il lui est donné d’assister a tout d’un cauchemar car c’est
tout le contraire de ce qu’il a voulu rejeter par la révolution qui lui est à nouveau servi.
L’immobilisme de fait qui est la résultante d’une telle situation ne peut qu’alimenter des
sentiments contrariés, et davantage de controverses. De tous les soubresauts qui en
découlèrent, Carlos Fuentes s’en fait l’écho à travers ces deux œuvres romanesques.
Mots clés : émancipation, imaginaire, substitution, mythe, fonctionnement circulaire
Abstract
Mexico in the first half of the 20th century lies in the uncertainties disruptions caused
by the revolution of 1910. This quest for a kind of lost paradise held the Mexican torn
between a difficult past and spotted a dreaded future. The stage at which it is given to
attend all of a nightmare as it is just the opposite of what he wanted to reject the
revolution which is again used. The immobility of fact that is the result of such a situation
can only fuel feelings of upset, and more controversy. All the turmoil that resulted from
this, Carlos Fuentes in echoes through these two novels.
Key-words: empowerment, fantasy, substitution, myth, circular operation
Introduction
Á l’exemple des nations qui ont en général connu le drame de la colonisation,
l’existence du Mexique semble devoir remonter à la première moitié du 16e siècle,
exactement à partir de 15193. Plus qu’une simple référence historique ordinaire, cette date
représenta plutôt une sorte de séquelles dont la guérison tarde à se faire, tant les
1
2
La región más transparente, Madrid, Ediciones Cátedra, 1982, 565P.
La muerte de Artemio Cruz, México, Fondo de Cultura Económica, 1962,316P.
∗
Université Félix Houphouët Boigny Cocody-Abidjan
3
C’est à partir de cette année-là que la conquête du Mexique a commencé sous la houlette de l’espagnol
Hernán CORTES (1485-1547)
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évènements qui en découleront lui donneront toute sa force déterminante. Cela crédite
d’ailleurs la thèse de tous ceux qui protestent contre l’histoire officielle. En effet,
l’historien mexicain Edmundo O’gorman affirmait par exemple que « América no fue
descubierta : fue inventada »4 (l’Amérique n’a pas été découverte ; elle a été inventée).
Dans l’absolu, cette manière de concevoir la rencontre avec une nouvelle terre et un
peuple jusque-là inconnu ne fait que créer la polémique et fonder les relations qui en
découleront. Depuis lors, le Mexique a eu à porter sa croix ; à la suite de qui ? Nul ne
saurait le dire. Visiblement la tentative, du moins la nécessité de sortir des liens solides
du vraisemblable pour en arriver au rétablissement des faits liés à l’histoire de ce pays, ne
saurait être une sinécure.
Tel semble être cependant la vocation de l’écrivain Carlos Fuentes5 qui, par le
prétexte de la región más transparenteetla muerte de artemio cruztente, au moyen de la
révolution mexicaine de 1910, de scruter le mal mexicain et la réponse que ce peuple a
tenté d’y apporter. Loin de prétendre se substituer à l’historien, ce qui serait un non-sens,
l’écrivain Carlos Fuentes tente cependant de ressusciter le nécessaire débat autour de la
révolution mexicaine en essayant d’opposer les conséquences qui en ont découlé aux
prétentions de cette dernière.
Ainsi, nous essayerons, à travers les deux romans de voir en quoi cette révolution
était-elle nécessaire. Nous en arriverons ensuite à relever les pesanteurs dont elle a dû
souffrir, et voir finalement quels horizons scruter pour donner toute sa crédibilité à cette
entreprise.
Cela revient en d’autres termes à poser comme question fondamentale celle de la
justification de la révolution mexicaine de 1910 à travers ces deux romans. Les choses
semblent devoir s’envisager sous cet angle parce que les entreprises de ce genre, même
mal cernées, ont toujours des raisons qui les légitiment.
Cependant, la réussite ou l’échec sont toujours possibles et ne tiennent pas au sérieux
ou non des raisons de leur survenue, mais surtout à la manière de les mener. Autrement
dit, la révolution mexicaine de 1910 était nécessaire, mais elle n’a pas manqué d’engager
le Mexique et son avenir dans plus d’incertitudes.
I-La révolution mexicaine, une nécessité
I-I-La révolution mexicaine : une réponse approximative à un problème
fondamental ?
La révolution mexicaine est le fait de frustrations historiques attestées. De
ce fait, sa survenue implique plusieurs paramètres dont la connaissance apparaît comme
absolument nécessaire pour la compréhension de ce qui mérite au final d’être appelé la
question révolutionnaire mexicaine. La complexité qui a marqué cette révolution justifie
que l’on la ravale à des questions ou questionnements.
Il est à remarquer à travers La muerte de Artemio Cruz que le parcours du
protagoniste principal, Artemio Cruz, ressemble à un processus d’exhumation de
mémoire ; mieux c’est une mémoire exhumée. Parce que justement, Artemio Cruz
apparaît comme le personnage-témoin par excellence de la révolution mexicaine. La
4
Edmundo O’GORMAN est ici cité par Carlos FUENTES dans l’article "la tradición literaria
latinoamericana", publiée dans l’œuvre Identidad cultural de iberoamérica en su narrativa, Madrid,
Editorial Gredos, 1986, P19. Cette œuvre est de Fernando AINSA.
5
Carlos FUENTES (1929 – 2012) : Ecrivain mexicain; le Mexique et sa conquête sont au centre de ses
préoccupations littéraires. La révolution mexicaine découle bien évidemment de tout cela.
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configuration de l’incipit de ce roman ne peut par ailleurs qu’incliner à une telle lecture.
Il commence par « yo despierto »p.9, dans un ensemble qui tente de discréditer un
personnage qui semble s’assurer difficilement de sa présence physique, parce que très
malade. Toutefois, il rassure sur sa lucidité par l’occurrence du "Soy" (je suis), qui
marque 10 fois cette même première page sur autant de lignes. En fait, cette résistance
face au mal symbolique (la maladie) et au mal réel (la non maîtrise du destin de leur
pays), relève de la nécessité de localiser exactement le vrai mal et le combattre
efficacement. La révolution mexicaine affirme en cela sa nécessité historique, et se veut
une thérapeutique.
La región más transparente essaie par ailleurs d’avaliser une telle lecture à
travers ce qui suit:
« siempre hemos querido correr hacia modelos que no nos pertenecen, vestirnos con
trajes que no nos quedan, disfrazarnos para ocultar la verdad : somos otros, otros por
definición, los que nada tenemos que ver con nada, un país brotado como hongo en el
centro de un paisaje sin nombre, inventado antes del día de la creación » p.393.
Cette intervention de l’un des rares protagonistes qui tentent de s’assumer dans ce
roman, Manuel Zamacona, soulève beaucoup de préoccupations qui sont celles au
fondement de la révolution mexicaine. C’est à la fois une protestation qu’il élève contre
comment les colonisés sans peut être s’en rendre compte, s’aliènent davantage. Il soulève
tout aussi bien le problème des idéologies qui ont façonné le mexicain en un être
inaccessible et plongé dans une sorte d’inertie, à force d’être tiraillé de toutes parts.
De la même manière, l’histoire du Mexique est tout aussi inventée, sa marche lui est
étrangère et c’est peu dire que d’affirmer que le mexicain est de ce fait l’objet d’une
histoire au centre de laquelle il ne se trouve pas. Cet extrait signale ainsi le problème de
l’inadaptation du mexicain à sa propre histoire et à son actualité qui n’est autre que le
fruit de la superposition idéologique contractée à travers cette histoire-là. Le terme qui
traduit le plus cette réalité est celui de "pirámide" (pyramide). La "pirámide" dans ces
deux œuvres de Fuentes n’évoque donc pas seulement l’idée de stratification sociale
peut-être propre à toutes les sociétés, mais elle parle surtout de stratification idéologique.
En effet, le colonisateur espagnol a imprimé à sa colonie mexicaine toutes les
caractéristiques méprisables d’une société féodale, notamment dans la structure politique,
et surtout sociale. L’Espagne a ainsi pris le contrôle de l’économie par la mainmise sur
les terres arables, et celui des populations mexicaines dans un élan d’intenable
asservissement. Quand Carlos Fuentes fait référence à "La tienda de raya"6 dans la
muerte de Artemio Cruz p.228, il n’évoque ni plus ni moins qu’un système social cruel et
détestable, parce qu’avilissant.
Par exemple, les tentatives de contestations ponctuées par l’indépendance
prétendument acquise en 1821 n’ont pas permis au Mexique de s’émanciper de la tutelle
de l’Eglise et de la puissance colonisatrice, l’Espagne. La gestion même de
l’indépendance n’est point chose aisée pour toute nation qui s’émancipe d’une longue
tutelle. Car, c’est alors qu’on mesure toute l’ampleur des instruments de contrôle
sociopolitiques et idéologiques. Quand on a une compréhension inversée des choses, et
une lecture trop naïve de ce que veut dire l’indépendance et les responsabilités qu’elle
6
Ce fut une institution de cynique mémoire, c’est un système d’asservissent par le crédit consistant pour les
détenteurs de propriétés agricoles de concéder à leurs ouvriers tout ce dont ils ont besoin pour leur survie,
quitte à rembourser ces crédits après avoir reçu leur paye. Et comme cette paye est dérisoire, ils n’arrivent
jamais à solder, ce qui du coup les maintient dans l’esclavage (la dépendance) vis-à-vis du maître.
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implique, sa gestion reproduit des actes combattus et c’est peu dire que d’affirmer que
l’élite révolutionnaire incarnée par Artemio Cruz et Federico Robles sont à leur propre
insu les nouveaux bourreaux de leurs frères qu’ils entendaient défendre par leur gestion
du pouvoir. Cette substitution de fait interroge à la fois l’indépendance et la révolution
parce ce que c’est le mexicain indépendant qui est venu faire la révolution de 1910.
I-II-La gestion de l’héritage idéologique
Jusqu’à sa révolution, le mexicain était toujours sous le contrôle des intérêts
divers qui se jouaient sur son sol. Il était en quelque sorte un être "taillé sur mesure" qui
devait du fait de sa révolution se retrouver du jour au lendemain, par le poids de ses
nouvelles responsabilités, devant une immensité absorbante : la gestion même du pouvoir
né de la révolution. Historiquement, relativement à l’indépendance, l’un des hommes qui
a le plus eu à assumer tout ce lourd héritage en termes de responsabilités, ce fut Porfirio
Díaz7. Il mesurait par ailleurs le défit politique à relever, mais il ne manqua pas de se
faire prendre au piège de l’hydre idéologie dressée comme le dernier rempart des
puissances impérialistes, le piège des lois du capital plus précisément. Il aura essayé de
s’en prémunir. Les différentes idéologies qu’utilisèrent les "científicos"(op.cit, p.262) ne
lui furent d’aucun secours durable. Ces fameux stratèges ou éminence grise trouvèrent
comme appui idéologique à son régime le positivisme. Le mexicain Octavio Paz dit à ce
sujet ce qui suit :
« Debemos a Leopoldo Zea un análisis muy completo de las ideas de este período. Zea
observa que la adopción del positivismo como filosofía oficiosa del estado corresponde a
ciertas necesidades intelectuales y morales de la dictadura de Díaz… La época de Díaz
necesitaba una filosofía de orden. Los intelectuales de la época la encontraron en el
positivismo de Comte8, con su ley de los tres estados y, más tarde, en el de Spencer9 y el
evolucionismo de Darwin10. » El laberinto de la soledad p. 274.
C’est, en effet, toute l’instrumentalisation de l’idéologie qui se traduit à travers la
philosophie dite de l’ordre (orden), comme si le mexicain n’en avait pas déjà assez
souffert. Cela donne de comprendre en partie pourquoi la magistrature suprême était
essentiellement assurée par des gens issus des corps armés (les militaires notamment).
Qu’il s’agisse de Santa Ana11, de Benito Juárez12, et maintenant de PorfirioDíaz, pour ne
7
Porfirio DIAZ (1830-1915) : Général et homme politique mexicain. Il accède au pouvoir à l’issue d’un
coup d’Etat en 1876. En dehors de 1881-1884, c’est lui occupa la magistrature suprême de ce pays jusqu’à
ce que la révolution mexicaine de 1910 l’en chasse.
8
Auguste COMTE (1798-1857) : Sociologue français, père du positivisme, auteur du Cours de philosophie
positive en 1830.
9
Herbert SPENCER (1820-1903) : Philosophe et économiste Anglais.
10
Charles DARWIN (1809-1882) : Naturaliste Anglais, célèbre pour sa philosophie de l’évolutionnisme à
partir de son œuvre L’origine des espèces (1859).
11
Antonio LOPEZ de Santa Ana (1795-1876) : Militaire et homme politique mexicain. Il fut au cœur de
nombreuses controverses, et cette vie agitée l’amena à être 11 fois président de la République entre 1833 et
1855. Ses maladresses répétées ont fait perdre au Mexique le Texas en 1836 (qui s’est séparé de la
fédération), et une grande partie du territoire à l’issue de la guerre contre les Etats-Unis (1847-1848)
12
Bénito JUAREZ (1806-1872) : D’origine indienne, il exerça à plusieurs reprises les charges de président
de la République entre 1858 et 1872. Las Leyes de la Reforma (Les lois de la réforme), consacrées par la
constitution de 1857 et qui se déclinèrent pour l’essentiel dans la nationalisation des terres, donnèrent
satisfaction aux masses populaires mais frustrèrent l’Eglise (qui perdit ses privilèges appelés Fueros), tout
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pas aller plus loin dans l’histoire du Mexique, tous étaient issus de cette corporation.
Prétendre que la nécessité de l’ordre commande l’exercice du pouvoir par des militaires
permet de comprendre pourquoi le Mexique était en prise au militarisme, et que sa
vocation à la démocratie s’en trouvait contrariée. C’est l’image du caudillo13(la muerte
de Artemio Cruz p.137) qui est ainsi de mise, et c’est pour cette même raison que les
personnages de premier plan que sont Artemio Cruz et Federico Robles dans les deux
corpus sont passés par l’aventure militaire. Malheureusement, la violence entretenue par
les inconséquences de l’action militaire a jeté le doute sur la portée de la révolution.
Pour en revenir aux supports idéologiques du porfirisme (est ainsi appelée la
philosophie politique de Porfirio Díaz), leurs contenus sont savamment utilisés en vue de
la manipulation des masses, ou pour justifier leurs misères. En effet, il est avéré que le
libéralisme consécutif à la Réforme n’a pu régler les problèmes de fond. C’était une
atmosphère de vives tensions qui prévalait donc au moment de l’arrivée de Díaz au
pouvoir. En y arrivant, il savait que les gens aimaient l’impression du nouveau, et c’est ce
rôle qui a imposé le positivisme qui au regard de l’extrait ci-dessus devait évoluer dans le
temps. La loi des trois états d’Auguste Comte dont il est question stipule le
développement de la pensée humaine suivant trois âges de l’intelligence : "l’âge
théologique" où « l’ esprit humain se représente les phénomènes comme produits par
l’action directe et continue d’agents surnaturels plus ou moins nombreux »14 ; "l’âge
métaphysique" où « les agents surnaturels sont remplacés par des forces abstraites »15
comme la Nature, Dieu, ou encore la Raison des siècles des lumières ; et enfin nous
avons "l’âge positif" qui s’explique les phénomènes sociaux par « leurs lois effectives,
c'est-à-dire leurs relations invariables de succession et de similitude »16. C’est donc le
temps où l’on s’attache à l’objectivité des connaissances établies par l’expérience.
Mais quel était le véritable rapport de ces théories à la réalité mexicaine ? Tout
simplement, cela servait de support idéologique pour justifier le régime de Porfirio Díaz
dans ses faiblesses réelles. Carlos Fuentes qui, au demeurant, affichait sa proximité
intellectuelle avec Leopoldo Zea disait par exemple dans La región más transparente
relativement aux intellectuels qui sont les supports idéologiques du régime porfiriste :
«Quieren prestigio y consideración, querido, et ça suffit ; no quieren a las ideas ni a la
obra ni a la pasión que lleva a crearlas ; nada más quieren estar a la vitrina» p. 299.
Tout porte donc à contester la nécessité de s’afficher positiviste en cette période de
l’histoire du Mexique, si ce n’est pour abuser des masses fragilisées et désorientées.
L’idéologie positiviste comme toute autre idéologique est pratique et non spéculative. De
même que le nom s’attache à la réalité, l’idéologie traduit la réalité et non le contraire,
sauf exception contre-nature. Le cas mexicain apparaissait effectivement comme une
en irritant les grands propriétaires terriens du fait de la limitation des propriétés. Ces derniers ne tardèrent
pas à cerner cette réforme par diverses stratégies malveillantes.
13
Le Caudillo, c’est le leader politique très charismatique, une sorte de tyran prétentieux, et qui dirige
l’Etat d’une main de fer. Beaucoup d’hommes d’Etat d’Amérique du Sud ont souvent épousé cette figure.
14
Cette idée est d’Auguste COMTE, tirée de Cours de philosophie positive ; ici, il est cité par le sociologue
Jean François DORTIER dans son article sur Auguste COMTE dans l’ouvrage collectif La Sociologie,
histoire et idées, publié en 2000 aux éditions Sciences Humaines, Auxerre, France, P. 20.
15
Ibidem
16
Ibidem
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exception contre-nature puisque en un laps de temps relativement court, soit entre 1876
et 1910, ce pays s’est essayé à plusieurs idéologies à des fins politiciennes.
L’allusion qu’Octavio Paz a faite à la lecture philosophique du positivisme au
Mexique atteste d’un honteux abus des populations mexicaines. Les recours idéologiques
variaient par nécessité, et passer d’Auguste Comte à Spencer et ensuite à Darwin était
trop précipité pour être innocent. Tout cela visait à neutraliser les mexicains qui avaient
de réels motifs de se révolter. Mais tant que leur situation, soit de misère, soit
d’oppression semblait justifiée, ils ne savaient pas comment s’y prendre pour la
contestation. Spencer est un chantre de l’individualisme à outrance, et Darwin de
l’évolutionnisme et de l’émergence du plus apte. Au fond toutes ces idéologies servaient
d’appui au libéralisme qui de fait se pratiquait sans s’avouer. Autrement dit, le passage de
la Réforme au Porfirisme, et du Libéralisme au Positivisme fut une imposture car la
réalité n’avait point changé, peut-être le discours l’avait-il été.
Il suit donc de toute cette démarche que ce fut au bout d’un processus de frustrations
longtemps contenues que la révolution de 1910 éclata (20 novembre 1910), et emporta
dès ses premières heures Porfirio Díaz (25 mai 1911). La révolution mexicaine fut à ce
titre l’expression d’une nécessité historique. Indépendamment des tueries massives et des
crises à répétitions qui l’ont marquée pendant la période véritablement trouble, elle
constituait le rendez-vous que les mexicains se sont donné pour chercher à assumer leur
propre histoire. Cela avait tout d’un défi à tentacules divers car assumer des siècles
d’histoire et tenter d’inverser les choses dans un autre sens ne pouvait se faire sans
difficultés majeures. Cela renvoie un peu à la créature qui veut continuer à vivre dans le
monde de son créateur en instituant ses propres règles. Le produit du système de pensée
veut penser autrement que ce qui lui a été enseigné. En cela la révolution devait être
difficile, mais elle était autrement nécessaire.
II-Ré
évolution et imaginaire social
II-I-Le jeu de substitution
La révolution de 1910 au Mexique apparaît à certains égards comme une
réponse excessive à une situation intolérable, mais mal évaluée. Tout discours touchant
dans ce cas à la situation sociale des populations ne manque pas de faire des émules.
C’est pour cette raison qu’elle a provoqué dans un laps de temps relativement court
l’effondrement du régime de Porfirio Díaz. la situation de vie difficile aidant, les
populations ont pensé qu’elles avaient déjà vécu le pire et que seul le meilleur pouvait
leur arriver. Mais c’était sans compter avec le coté aventureux, voire tragique de
l’entreprise politique. C’est finalement au regard des conséquences provoquées par cette
révolution qu’on en juge le mieux. La page 277 de Lamuerte de Artemio Cruz expose à
cet effet ce qui suit:
« Legarás las muertes inútiles, los nombres muertos, los nombres de cuantos cayeron
muertos para que el nombre de ti viviera; los nombres de los hombres despojados para
que el nombre de ti poseyera [ ]Legarás este país; legarás tu periódico, los codazos y la
adulación, la conciencia adormecida por los discursos falsos de hombres mediocres, una
cobardía institucional. Les legarás sus líderes ladrones sometidos, sus nuevos
latifundios, sus inversiones americanas, sus obreros encarcelados, sus diputados
serviles, sus ministros lambiscones»
Cet extrait qui apparaît comme un
réquisitoire de la propre conscience d’Artemio Cruz, présenté sous la perceptive narrative
du Tú, est presque sans appel. C’est en quelque sorte l’héritage qu’a laissé la révolution
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mexicaine de 1910. La première impression que l’on a est celle d’un immense gâchis. De
toute évidence, il apparaît que la prise du pouvoir par les révolutionnaires répondait à une
logique de substitution, ce que Carlos Fuentes traduit par les termes : « una mascarada,
una sustitución, una broma que podía jugarse con mayor seriedad » La muerte de
Artemio Cruz ,p.43.
Cela relativise tout le bien-fondé de cette révolution et pose la question du pourquoi
les choses se sont-elles passées ainsi. En effet, toutes ces données ont des raisons liées à
la qualité des hommes qui ont été les porteurs du projet révolutionnaire. Artemio Cruz
n’a pas de qualités qui en soi le destinaient à des défis d’une telle ampleur. Mulâtre et
esclave, s’émanciper ne serait-ce que de cet opprobre17 suivant les chaînes de valeurs
instaurées par le colonisateur espagnol, n’était pas chose simple. Mais cette condition
d’émergence sociale faisait en même temps de lui l’homme le mieux placé pour
comprendre la nécessité de la révolution qui devait combattre ces dispositions
discriminatoires qui fondaient la structure sociale mexicaine d’avant la révolution.
A y voir de près, la portée toute relative de la révolution mexicaine témoigne par
ailleurs plus de l’insuffisance de la classe politique produite par la révolution, et qui
n’avait qu’une vision trop étriquée des tâches qu’elle avait à accomplir. Au vu de l’extrait
de la page 277, la révolution s’avérait en outre une compromission car la nouvelle classe
était en fait, l’ancienne, si contestée qui se répétait. Les actes répréhensibles se répétaient
aussi. Il est bon de savoir qu’Artemio Cruz est le fruit du viol de sa mère esclave noire
par un père blanc (qui ne l’a ni reconnu ni connu), Atanasio Menchaca, riche propriétaire
de terres et des esclaves qui y travaillaient ; ces derniers étant soumis à tous les abus.
Artemio Cruz à son tour use de son droit brutal de soldat pour violer Régina (pp.66-67).
Celle qui aura été sa femme légitime (Catalina Bernal) est elle aussi victime de viol ; ce
fut par un consentement forcé qu’elle s’est livrée à ce révolutionnaire triomphant qui était
chargé de la réforme agraire à Puebla. Don Gamaliel Bernal, le père de cette dernière, ne
pouvait sauver ses terres qu’en donnant sa fille à Artemio Cruz pour éviter d’en être
dépouillé autrement. L’idée de viol, c’est ce que traduisent le terme chingar et ses
dérivés, du reste très présents dans le langage des actants dans la muerte de Artemio
Cruz(pp.144,145,146), et à divers autres endroits dans le texte. Ils traduisent en fait
l’origine supposée bâtarde du Mexique et du mexicain. Cette croyance remonte à ce qui
se voit comme le véritable acte de conception de la mère patrie, le Mexique : c’est le viol.
Le premier acte de viol, ce fut l’acte de la conquête du Mexique et la possession
de la terre mexicaine par le colonisateur espagnol. Mais plus grave, celle qui est regardée
comme la mère de tous les mexicains (la Malinche pour les aztèques et Marina18 pour les
espagnols) est celle qui le plus a marqué le mexicain de cette infamie. Symboliquement,
de l’union de Cortés et de Marina naquit le véritable mexicain. La Malinche estdonc la
grande "Chingada". Fuentes dit d’elle, utilisant une allégorie biblique19 :« por la mujer
17
Il y avait une stratification sociale qui reléguait au-bas de l’échelle les noirs, les mulâtres, les indiens.
Marina (La Malinche) est effectivement une fille aztèque que Hernán Cortés a eue comme compagne.
Elle a joué plus que le rôle d’une simple compagne ; elle fut le symbole de la possession du Mexique par
l’Espagne représentée ici par le conquérant Cortés. En maîtrisant l’espagnol et le nahuatl, Marina servit
d’interprète à ce dernier tout en lui révélant quelques secrets de la cour impériale aztèque pour y avoir
séjourné. Cela fut pour beaucoup dans l’effondrement de l’empire aztèque.
19
Au chapitre 3 de la Genèse, Adam et Eve désobéissent à Dieu et mangent du fruit interdit. Depuis lors
jusqu’à ce jour, Dieu fait porter à la descendance de ces derniers le péché qu’ils auront commis.
18
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tuvo principio el pecado, por ella morimos todos »La muerte de Artemio Cruz p. 248. La
Malinche ou Marina est clairement regardée comme le principe du mal ou une source de
malédiction intarissable. Cet autre extrait est une preuve supplémentaire qui écarte toute
équivoque : « la chingada envenena el amor, disuelve la amistad, aplasta la ternura,
divide, separa, la chingada destruye, emponzoña», op.cit.p.146. Toutes ces
considérations font qu’au cœur de la révolution mexicaine, il y avait un défi de
réhabilitation identitaire à relever. Mais hélas, Artemio en violant à son tour ne faisait
que perpétuer ladite infamie et enfermer cette révolution dans l’impasse.
II-II- La représentation de la révolution
Ainsi que le dit si bien Gaston Bouthoul, « les mentalités sont des composés
psychologiques extrêmement stables. Ont ne peut pas changer à volonté de mentalité,
même sous la contrainte. »20 La révolution mexicaine et les idées qu’elle porte, qui ne
sont pas toujours clairement appréhendées, n’a pas manqué de buter sur les croyances
aztèques, secrètement mais durablement enracinées dans le subconscient mexicain où
l’ont refoulées les violences entretenues par la colonisation. Tout était le contraire des
idéaux de justice, de liberté que l’on voulait instaurer.
Au final, c’est la conception aztèque21 de la révolution qui aura triomphé.
L’imaginaire aztèque qui au fond constitue le substrat de la structure idéologique
mexicaine essaie de prendre le dessus sur le regard moderne qu’on porte sur l’idéologie
politique qu’est la révolution. Les aztèques dans le fonctionnement de leur société
admettent la dynamique circulaire de la vie sociale. Ils soutiennent donc que tout finit par
se répéter, et que la vie de la société ne se propulse qu’au moyen de crises. Cela justifiait
d’ailleurs les guerres entretenues comme des rituels en vue de faire des prisonniers et
ensuite les sacrifier à leur dieu, Huizilopotchli. C’est de cela qu’il s’agit quand Fuentes
parle de "Guerra florida" à la page 144 de La región más transparente. Il y a donc à
travers les deux romans la sensation que soit les hommes, soit les institutions nées de la
révolution, seraient marqués du "syndrome aztèque" ; ce qui explique leur instabilité, et
les bains de sang qui sont souvent occasionnés lors des inutiles crises répétitives. Cet
aspect qui relève de l’imaginaire trouve son incarnation à travers les deux personnages
très complices que sont Ixca Cienfuegos et sa mère Téodula Moctezuma. Dans La región
mástransparente où la mort est si omniprésente, c’est soit avec indifférence, soit avec
satisfaction qu’ils assistent aux différents drames.
Ce qui représenta par exemple la fin symbolique de Federico Robles ne put les
émouvoir outre mesure. Devant l’incendie22 de la résidence qui représenta l’émancipation
sociale de ce dernier désormais sur le déclin, Téodula Moctezuma n’eut qu’à dire : « Así
lo queríamos los dos, Ixca hijo. Te lo dije; ellos andan escondidos, pero luego salen a
recibir la ofrenda y el sacrificio » p.506. Quand elle dit cela, c’est parce qu’elle est ici
porteuse d’une tradition, et qu’elle perçoit un rapport de symétrie entre la révolution
20
Gaston BOUTHOUL : Sociologie de la politique, Paris, Presses Universitaires de France, 1971, p.35
Les Aztèques considèrent que la vie a un fonctionnement cyclique. Et le passage
d’un cycle à un autre, au bout de 52 ans, entraîne inéluctablement des tueries dont les
dieux se servent pour propulser le départ du monde nouveau : c’est la révolution
aztèque.
22
Les sacrifices par le feu ont aussi existé chez les aztèques comme dans beaucoup de
traditions religieuses.
21
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aztèque et la révolution mexicaine de 1910 : les vies sacrifiées, les biens matériels perdus,
le chaos généralisé ; il y a une telle identité des repères !
Quand le révolutionnaire politiquement et socialement consacré qu’est Artemio Cruz
proclame : « Estoy por encima de toda esta gentecita y la domino » p.267, il ne se savait
pas en train de jouer un rôle dans une autre réalité. Il incarne le souverain de l’empire
aztèque qui préside le culte ; c’est celui-là qui détient le pouvoir de sacrifier, et qui a donc
l’initiative des bains de sang et des sacrifices. La révolution mexicaine a eu tellement une
allure de sacrifice ! Les gens de valeur, historiquement ou dans les corpus, perdaient si
gratuitement la vie qu’on ne pouvait le comprendre que suivant cette approche. C’est en
cela que les instigateurs des violences sont auréolés de réussites sociales et politiques,
alors que les masses populaires et les intellectuels sont livrés à des destructions et à des
misères multiformes et incompréhensibles au regard de la raison. Cela fonde sous
certains aspects la spécificité de la révolution mexicaine.
évolution mexicaine : un évè
ènement singulier
III-La ré
III-I-Une promesse mal comprise
Les contradictions qui sont relevées relativement à la révolution mexicaine trouvent
leurs explications dans la nécessité de scruter de nouvelles perspectives qui permettent
d’apprécier sérieusement cet évènement de nature sociopolitique. De toute évidence,
Carlos Fuentes est choqué par les ratés de cette révolution. Il fait à ce titre dire à Ixca
Cienfuegos : « Todo fue un juego espantoso, nada más, un juego de ritos olvidados y
signos y palabras muertas » La región mástransparente p.544. Il condamne
manifestement l’hypocrisie de la révolution. Mais sous un autre angle, il semble saluer
ces mêmes insuffisances qui inciteront toute conscience sérieuse à ne pas desserrer l’étau
du nécessaire devoir. Il tente par ailleurs de pousser cette espèce de sarcasme
pédagogique plus loin en poussant les acteurs principaux et leurs adjuvants dans des
agissements compromettants quand Ixca Cienfuegos a le beau rôle. Ainsi, les discours
dissolvants de ce dernier en tant que représentant du monde aztèque, instruisent et
renforcent la tendance pessimiste, puis fataliste qui semble se dégager et décourager tout
élan optimiste. Les discours de Cienfuegos et les difficultés nombreuses achèvent de
convaincre le lecteur d’une telle tournure des choses.
Que le pessimisme semble prendre le dessus, c’est en fait pour confirmer tout le
bien-fondé de la révolution de 1910, et la nécessité qu’elle poursuive ses efforts.
Beaucoup de gens sont dans l’erreur, à commencer par les populations mexicaines
souffrantes à qui le politique a fait trop de promesses. De leur côté, les politiques tendent
au fatalisme parce qu’ils se sentent incapables de répondre convenablement à toutes les
attentes. Mais finalement, tout cela rentre dans l’ordre normal des choses. En fait, l’on
s’en émeut outre mesure du fait de lecture erronée de ce que fut la révolution mexicaine.
Il serait fâcheux d’oublier que le Mexique était durablement vendu aux idéologies venues
d’ailleurs et que dans ce cas, il était difficile de penser par soi-même, et d’avoir une juste
appréciation des choses du jour au lendemain. Tout naturellement, les solutions devraient
elles aussi être approximatives, avant d’en arriver à être décisives ou déterminantes.
Quand l’intellectuel Manuel Zamacona dit : « somos la calca de una calca»
p.183, il ne fait autre chose que justifier cette perception des choses et en appeler à plus
de profondeur. Cette profondeur de lecture est d’autant plus nécessaire que tomber tous
dans le pessimisme à l’issue d’une révolution du 20ème siècle est la meilleure manière de
se livrer aux puissances dominantes qui n’attendent que ce genre d’opportunités pour
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agir. Le pessimisme est en fait lié à la peur de l’avenir et à la tentation de renoncer au
combat. Mais le danger qui guette une telle manière de s’y prendre, c’est ce que dit cette
belle formule d’Anselme Belleguarrigue : « La peur n’est que la condamnation de soimême et, dès qu’on est condamné, les exécuteurs ne manquent pas »23.
Il est surtout bon de souligner que cette vision pessimiste est portée dans les textes par
des institutions qui se veulent intemporelles : La cosmogonie aztèque et l’Église
catholique. L’influence de la première semble discrète alors que la deuxième joue
ouvertement sa survie pendant cette révolution. Le père Paez disait par exemple à
Artemio Cruz : « la justicia final se imparte allá arriba, hijo. No la busques en este valle
de lágrimas » p.46. Il faut souligner que la révolution se voulait aussi l’occasion de
redéfinir la place de l’Église et de l’inscrire ou la réinscrire dans sa vocation première.
Cela commandait de laisser le temporel et le matériel au pouvoir politique. La guerre
appelée guerra cristera24 n’était qu’une illustration de la dimension insaisissable de
cette institution.
Mis ensemble, ces éléments permettent de comprendre qu’en fait, la tendance qui
perçoit la portée de la révolution sous un angle pessimiste est représentée par des
personnes ou des institutions conservatrices. C’est donc une attitude proprement
réactionnaire, et qui est donc objectivement contestable. Il convient de reconnaître qu’en
politique, il faut se garder d’avoir des modèles de réussites parce que tout renferme des
intérêts et des idéologies toujours difficiles à cerner. A cet égard, si l’on doive s’en tenir
aux critères préétablis pour dire que tel mouvement mérite d’être appelé révolution, et tel
autre comme n’en étant pas digne, il va sans dire que l’on donnera dans l’équivoque. Ce
qu’il faut retenir, c’est qu’il y a eu une révolution mexicaine. Il n’y a pas lieu d’avoir
peur des singularités.
III-II-Une controverse utile
C’est curieux de voir comment les hommes veulent construire une société plurielle par
la pensée unique et l’approche unilatérale ! la lecture qui est souvent faite de la révolution
mexicaine n’échappe pas a cette perspective de vue ; comme si quelque révolution
survenue dans l’histoire des sociétés humaines ait jamais résolu tout les problèmes à la
fois, sinon après un long temps d’hésitation et de crises multiformes. En cela, il faut
reconnaître que les comparaisons sont souvent trompeuses, et que dans les aventures
politiques d’autodétermination comme la révolution, il ne faut pas toujours s’attendre à
des réactions favorables, surtout que trop d’intérêts sont en jeu. Tout le mérite de la
révolution de 1910 revient donc aux mexicains. Par leur action, ils ont pu prendre la
mesure de la responsabilité politique qui leur incombait. Cela excuse les contradictions
qui sont les signes du véritable apprentissage car l’expérience ne s’acquiert que dans
l’action ; et la prise de conscience de ses faiblesses ne se fait qu’après coup. L’erreur était
du coup inévitable, et les ratés, compréhensibles. Cette orientation permet en outre de
mieux comprendre la triplicité narrative caractéristique de La muertede Artemio Cruz
23
Anselme BELLEGUARRIGUE est ici cité par Emmanuelle ARSAN dans
l’hypothèse d’Eros, Paris 8è, Editions Filipacchi, 1974, P.11.
24
C’était une guerre menée par l’Eglise Catholique (1926-1929) face aux
conséquences de l’émergence de l’Etat laïc consacré par la Constitution de 1917 :
privilèges perdus, limitation de la pratique extérieure du culte. Lire à ce sujet Les
révolutions d’Amérique Latine, Paris, Seuil, sept. 1991, PP. 89-90, de Pierre
VAYSSIERE.
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(YO-TÚ-ÉL). C’était la marque de la diffraction de la conscience, chose qui témoignait de
tout le mal que le révolutionnaire Artemio Cruz, sous le regard accusateur des
populations mexicaines, avait à assumer son parcours. Mais cette triplicité narrative
constitue heureusement d’autres perspectives de lecture de la révolution. C’est
l’expression du regard pluriel, caractéristique de la société démocratique que le Mexique
voulait en dernière instance instaurer par sa révolution.
De même que la révolution aztèque annonce le siècle aztèque, la révolution mexicaine,
malgré trop d’approches contradictoires, annonce un nouveau départ pour ce pays qui
décidément n’est pas prêt à renoncer à aucun des combats que la nécessité lui imposera.
Ne l’oublions surtout pas, la révolution mexicaine était une tentative sérieuse de
restructurer politiquement et économiquement un pays frappé de crises multiformes et
profondes, qui tardaient à se dénouer de manière avantageuse. La simple ferveur qui l’a
caractérisée par la mobilisation des différentes populations témoignait de son opportunité.
Malgré donc ses ratés, chose normale dans toute entreprise politique, ce qui est à
saluer est la simple prise de conscience que le bilan controversé a permis d’opérer. Il y a
donc nécessairement une appréhension dynamique de l’avenir qui, malgré les réalités
écœurantes qui ont caractérisé cette révolution, semble prendre le dessus. La révolution,
qu’elle soit aboutie ou non, annonce un nouveau cycle. C’est une ère nouvelle qui s’ouvre
pour le Mexique, fort désormais de l’expérience de sa révolution pour se déterminer
sereinement. Les écarts liés à la faiblesse humaine ne manqueront pas ; ce qui compte,
c’est de toujours penser qu’on peut mieux faire. Plus qu’une donnée ponctuelle, la
révolution mexicaine, contrairement à l’opinion admise, fut plutôt un élan, une projection
confiante et salutaire vers l’avenir.
Conclusion
La lecture des événements historiques de grande ampleur comme la révolution
mexicaine crée des tensions normales et excusables, du simple fait du décalage entre le
temps de l’évènement et le temps de la lecture critique. Ne pas prendre en compte les
données spatiales réduit également le champ de compréhension et de crédibilité de toute
approche heuristique. Ce qui marqua le plus la révolution mexicaine de 1910 sous la
plume de Carlos Fuentes, c’est cette espèce de conflit entre l’histoire et la mémoire. En
effet, il y a comme une tentative de réécrire l’histoire du Mexique à travers sa
révolution ; ce qui n’est point aisé. C’est cependant le défit que le romancier a tenté de
relever pour en arriver à faire savoir que la révolution mexicaine mérite d’être réévaluée,
pour lui reconnaître tout le mérite qui lui revient en dépit des écarts regrettables constatés
du fait des inconséquences et des insuffisances de ceux qui ont eu à la gérer au plus haut
niveau.
De même, il procède de la lecture de ces deux romans des directives à faire prévaloir.
Ainsi, contrairement à la croyance populaire, la révolution n’a rien de radical ou de festif,
sinon des destructions qu’elle déclenche et la ferveur naïve qui l’accompagne. En la
considérant de près, elle s’avère être un projet marqué de gravité qu’un peuple envisage
au moyen d’une rupture. La nature et la profondeur de cette rupture ne sont fonction que
de la mentalité et du degré de conscience qui la génèrent, et surtout des valeurs réelles et
non surfaites qui portent un tel projet. C’est autant un avertissement qu’un appel à tous
les peuples qui souffrent, et qui perçoivent en la révolution l’unique porte de sortie.
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