TRAVAUX ET DOCUMENTS Responsable de la collection : Daniel Bach État, développement et rationalité en Afrique : contribution à une analyse de la corruption Alice Nicole Sindzingre Chercheur CNRS – CERED/Forum Université Paris X - Nanterre N° 43 - 1994 CENTRE D'ÉTUDE D'AFRIQUE NOIRE Institut d'Études politiques de Bordeaux 11, allée Ausone Domaine Universitaire F-33607 PESSAC CEDEX Tél. (33) 05 56 84 42 82 Fax (33) 05 56 84 43 24 E-mail : [email protected] ÉTAT, DÉVELOPPEMENT ET RATIONALITÉ EN AFRIQUE : CONTRIBUTION À UNE ANALYSE DE LA CORRUPTION L’échec du continent africain * A l’aube des années 90, le constat de la faillite, de la marginalisation, du “déclassement” international de l’Afrique, selon l’expression de Z. Laïdi, est devenu un lieu commun plus ou moins complaisamment repris, par les journalistes, les universitaires, les bailleurs de fonds, les Africains eux-mêmes. Tous les indicateurs peuvent être convoqués un à un, montrant leur détérioration pendant la “décennie perdue”, malgré quelques tentatives visant à déceler des signes d’amélioration, d’ailleurs rapidement controversés (Banque mondiale-PNUD, 1989). Quelques chiffres catastrophistes parlent d’eux-mêmes : un exemple parmi d’autres, en 1990, les ventes annuelles de l’Afrique subsaharienne (ASS) à l’Europe représentaient 0,33 % du PNB européen, c’est-à-dire un jour de production de la communauté européenne, soit 21,2 milliards de dollars, montant comparable au chiffre d’affaires annuel de BMW, 30e entreprise européenne (Colin et al., 1993). Confortant “l’afro-pessimisme”, de multiples explications ont été fournies, dans la littérature du développement, à cette régression en terme de niveau de vie du continent durant les années 80, pour la plupart bien connues, qu’il suffira donc de rappeler ici brièvement. Ce n’est que récemment que la “mauvaise gestion”, les phénomènes de corruption ayant régi les relations entre les divers protagonistes, au Nord et au Sud, ont été avancés comme facteurs déterminants (par exemple, Michaïlof et al., 1993 ; Adda et Smouts, 1989 ; Agir ici, 1992). L’argument général est ici que la redécouverte de la corruption est une étape discursive parmi d’autres, qu’il faut saisir à l’intérieur du dispositif de discours croisés tenus par les agences d’aide, les économistes, les Africains eux-mêmes. Ce concept apparaît plutôt comme un label, qui fait référence à de multiples contenus et disciplines, et sa valeur explicative, à lui seul, est très inégale. *Cette recherche s’appuie sur de nombreuses enquêtes de terrain menées depuis 1978 dans différents pays d’Afrique de l’Ouest, notamment la Côte-d’Ivoire, le Bénin, le Sénégal, effectuées dans le cadre du CNRS ou d’agences d’aide. Le ministère de la Recherche français a contribué en 1991 à une mission portant spécifiquement sur les thèmes analysés ici. 2 On présentera d’abord les points de vue des institutions de développement et des économistes, ensuite les perspectives des politistes, puis une analyse de la corruption elle-même - ceci afin de suggérer que malgré l’intégration de ce facteur, les approches et mesures choisies par ces institutions rencontrent leur limite dans le cadre conceptuel de départ ; au regard de la méconnaissance des organisations et représentations locales, celles-là ont même pu intensifier les comportements corruptifs. On esquissera enfin une explication des phénomènes de corruption en termes de situations : sous contraintes de représentations issues de l’histoire économique et politique des États, et des règles sociales spécifiques aux sociétés rurales africaines qui en forment le substrat, les individus agissent rationnellement. Ceux-ci sont en effet à l’intersection de réseaux de normes générant des droits et des obligations qui sont hétérogènes et peuvent être incompatibles. La figure de l’État n’est qu’un réseau de règles parmi d’autres. Par leur interaction avec les contraintes externes précipitées par un contexte de crise et avec les représentations locales de la pauvreté et de la réussite, induisant des raisonnements relevant de l’assurance au sein d’environnements devenus instables et incertains (l’acquisition volontaire de réseaux supplémentaires par exemple), ces comportements individuels ont transformé les règles “publiques”, et expliquent les phénomènes corruptifs et les inefficiences étatiques. Ces derniers, par des effets de durée et de formation d’anticipations, rétroagissent à leur tour sur les calculs et arbitrages individuels, aboutissant à une stabilité du dispositif que méconnaissent les “experts” du développement. Les causalités économiques avancées dans la littérature du développement L’environnement externe défavorable et de mauvaises politiques économiques menées par les États sont les causes les plus fréquemment mises en avant. A l’évidence, les dépendances africaines à l’égard des quelques produits de base, dont les prix ont fortement diminué, ont gravement affecté leurs termes de l’échange. Les exportations de ces produits comptent toujours pour un pourcentage élevé des PIB des États africains, parfois même croissant depuis le second choc pétrolier. Couplés à la montée des taux d’intérêts réels durant les années 80, les conséquences sont connues : raréfaction des devises, incapacité à assurer le service de la dette, creusement des déficits des balances des paiements. Des conditions météorologiques adverses, le plus fort taux d’accroissement démographique mondial (3,2 %) ainsi que l’absence de transition démographique, contribuent à l’assombrissement des perspectives. L’impossibilité subséquente d’importer suffisamment de biens d’équipement pour faire redémarrer l’économie, et la faiblesse de l’investissement privé (1) sont également à l’origine de l’aggravation de l’environnement économique. Les chocs externes liés à l’accroissement brusque des prix des produits d’exportation, (uranium nigérien, cacao ivoirien, pétrole nigérian, etc., selon la configuration classique de “dutch disease”) figurent parmi les causes les plus fréquemment avancées. Fondés sur une fiscalité frappant des produits aux prix hautement volatils et faiblement transformés, qui ont par ailleurs décru dès le début des années 80, les budgets publics ont été consacrés pendant la période d’expansion des années 70 à des investissements improductifs et à l’expansion du secteur public. Le processus a été maintes fois décrit : lors d’un boom, le gouvernement est politiquement tenu de partager la richesse, d’embaucher des fonctionnaires, ce qui accélère les migrations rural-urbain, et subventionne la consommation de cette population urbaine (2). Lors de l’inévitable phase de décroissance des prix, les États se sont retrouvés dans une position financièrement et politiquement intenable - licencier, réduire les salaires ou les subventions. Les solutions les plus faciles sont de réduire les dépenses d’importation de biens intermédiaires, de tailler dans les budgets d’investissement et de fonctionnement, de taxer davantage les producteurs, de recourir à la banque centrale où à l’endettement externe : cercle vicieux qui aggrave la détérioration économique, dont la gestion des États africains ne porte pas l’entière responsabilité (cf. par ex. Wheeler, 1984). Les “politiques économiques défectueuses” des États constituent la deuxième grande série de causes incriminées. Le meilleur exemple est une programmation des investissements étrangement fondée sur le maintien de cours élevés, croyance que les agences d’aide n’ont par ailleurs pas clairement démentie à l’époque. L’extension du secteur public s’est faite au détriment des agriculteurs (marketing boards, prix du vivrier maintenus volontairement bas, processus aggravés dans certains pays par l’aide alimentaire) ainsi 3 découragés de produire, et par appropriation du secteur industriel par l’État. Les entreprises publiques se sont partout multipliées, inefficaces, protégées, puis surcapacitaires à la fin des belles années, évinçant un secteur privé qui trouvait ses niches dans les activités commerciales et de transport, ou dans la fuite des capitaux. L’accumulation de dettes, largement favorisée par le système bancaire du Nord (3) a servi à combler les déficits. Avec le recul, le vrai problème des années 80, s’avère avoir été l’augmentation des prix des matières premières, l’afflux soudain de devises, que les structures des États post-coloniaux n’avaient pas les moyens de gérer (Collier, 1990). Ces processus sont bien connus, et ont induit les mises en place des programmes de stabilisation et d’ajustement structurel (PAS) étendus à la plupart des pays africains au début des années 80 (4). Le soulagement financier (prêts ou dons) qu’ils représentent est assorti de conditionnalités, qui furent initialement d’ordre économique et exprimées dans le seul langage économique. Le “package” de mesures est toujours à peu près identique : contraction de la demande et réorientation de l’offre, réduction drastique des déficits de la balance des paiements, des finances publiques, correction de la surévaluation des taux de change, élimination des distorsions imposées par l’État en défaveur de l’agriculture, libéralisation du commerce et du marché du travail, retrait de l’État des secteurs productifs (donc privatisations, liquidations, réduction des salaires des fonctionnaires, compression des effectifs de la fonction publique). Ces conditionnalités justifiées par une aide à la balance des paiements ont induit des flux financiers massifs vers les États (5), et une “intrusion majeure” dans leurs politiques intérieures à laquelle n’ont cessé de résister les États suffisamment importants ou riches pour en avoir les moyens (Oyejide, 1990). Les résultats sont mitigés et controversés quant à l’efficacité respective des PAS et de l’injection de tels flux (cf. Killick, 1990), ce qui commence à être reconnu par la Banque mondiale elle-même (Elbadawi, 1992) (6). Le point à souligner ici est que ce bilan a introduit une nouvelle tonalité dans les analyses des bailleurs de fonds, manifestement accélérée par les événements politiques survenus à l’Est et dans le continent à la fin des années 80 : celle de la découverte de l’importance des institutions, de la nature de l’État et des organisations socio-politiques. Avec la publication notamment du rapport de la Banque mondiale sur l’avenir à long terme de l’Afrique (1989), de nouveaux éléments sont apparus dans le discours des agences d’aide comme déterminants dans la croissance économique : les “ressources humaines”, le “renforcement des institutions”, la “dimension sociale”, l’équité, les collectivités locales et l’“appropriation” par les destinataires des mesures qui leur sont appliquées (ce dernier point fait, ce qui ne laisse pas de surprendre, figure d’innovation). Surtout, sont entrées en scène la politique, la nature de l’administration, la “mauvaise gestion” et la corruption, sujets auparavant tabous (7). Ces nouveaux “concepts” accèdent à la légitimité. Les conditionnalités financières se muent progressivement en conditionnalités économiques et politiques, notamment avec celle de l’instauration de la “démocratie” émergeant au début des année 90 : la “governance” (terme typiquement anglo-saxon, désignation neutre d’institutions politiques pluralistes et respectées, cf. Young 1991), la “gouvernementalité” sont désormais associées aux causes économiques externes et internes, pour expliquer l’échec des politiques antérieures, celles de l’aide et celles des États africains. L’apparition de cette nouvelle thématique n’est pas fortuite. Elle sanctionne aussi des situations qui tiennent surtout à l’évolution des institutions d’aide : moindre intérêt des investissements en Afrique, constats d’échec et effets de lassitude, renouvellement des élites, justification du retrait des protagonistes du Nord eu égard à leur nouvel intérêt pour les pays de l’Est. A ceci s’ajoute la difficulté à gérer le paradoxe qu’affrontent les prémisses libérales des programmes d’ajustement, tenus statutairement de transiter par des États pour précisément amener ceux-ci à des politiques de désengagement de l’État. Récemment redécouverte, la “faiblesse de l’administration” est pourtant un phénomène documenté pour les institutions d’aide depuis longtemps, mais qui demeurait inaudible (8), autant qu’un aspect empirique de “terrain”, des projets et autres aides budgétaires ou alimentaires souvent évaporés dans les structures impliquées, et par là-même anecdotique. Le fait inédit tient à sa prise en compte comme candidat officiel à part entière à l’explication, des échecs de politiques économiques. En bonne logique libérale, les PAS ont soutenu que l’État en Afrique n’était pas, comme le croyaient les décennies suivant les indépendances, un moteur de la croissance économique. Mais ensuite, l’échec d’une décennie de mesures d’ajustement a conduit à une réflexion sur l’économie politique même de ces États et de l’assistance financière dont ils sont les destinataires, muée en conditionnalité politique dont chacun admet que 4 sa mise en oeuvre concrète est beaucoup plus délicate (Feinberg, 1990 ; Healey et Robinson, 1992). Cependant, eu égard aux limites conceptuelles de la théorie économique sous-jacente, le diagnostic se borne le plus souvent aux constats suivants : l’administration est dans l’incapacité de coordonner ou d’appliquer les réformes, le niveau de formation est faible, les groupes d’intérêts politiques se sentent menacés par les mesures de privatisation et de décentralisation qui modifient l’équilibre de la distribution des pouvoirs et de la richesse, les gouvernements hésitent à promulguer des mesures socialement impopulaires. Ces observations ont pour trait commun de rester le plus souvent descriptives, ou normatives. Elles s’inscrivent à l’intérieur du paradigme néo-classique ou dans le cadre opérationnel des analyses des bailleurs de fonds : actuellement défectueuses, les administrations sont nécessaires au fonctionnement du marché, à condition d’être minimales et performantes, il faut donc les “renforcer”. Faisant le constat d’États hypertrophiés par rapport à leur productivité et de rentes de fonctionnaires prélevées sur le monde agricole ou sur les rentes pétrolières ou minières, l’économie libérale trouve ses limites dans les hypothèses qui la constituent, c’est-à-dire, schématiquement, l’État et le secteur privé s’opposent l’un à l’autre, celui-là est cause de distorsions et d’imperfections des marchés, et décourage l’investissement privé et la recherche du profit. Pourtant, même d’un strict point de vue économique, ces prémisses ne vont pas de soi. On sait qu’aucun État développé ne pourrait affronter sans difficultés les chocs et contre-chocs de prix qui ont affecté les pays africains dans les années 80, puis la déprotection brutale préconisée par les PAS. Par ailleurs, certains économistes, se réclamant du néo-structuralisme, ont montré que dans un PED, l’État, loin d’être toujours un facteur d’éviction de l’initiative privée (crowding out), peut être la condition du développement de celle-ci (crowding in, Pegatienan, 1987). Lorsqu’elle est juxtaposée aux facteurs tenant à l’environnement externe et aux mauvais choix de politique économique, la mise en avant des variables “État”, “mauvaise gestion”, “corruption”, par les recommandations des économistes du développement achoppe sur l’absence d’instruments disponibles dans l’économie néoclassique pour penser la nature et le rôle des États africains (9). Dans cette optique, en résumé, le fonctionnement actuel des administrations n’est que l’expression d’un dysfonctionnement, qui pourra être amélioré par des mesures appropriées, par exemple une meilleure formation des cadres, une réorganisation des services, une modernisation des infrastructures, etc. Malgré la thématique désormais classique du “rent-seeking” (par exemple Krueger, 1974 ; Tollison, 1982), la structure de l’État reste une “boîte noire”, où ne peuvent être prises en compte les dimensions de l’histoire de ces États, des conditions internationales et internes - à la fois politiques, économiques et sociologiques - qui les ont constitués tels qu’ils apparaissent aujourd’hui. Et surtout, les approches économiques éprouvent quelque difficulté à analyser l’État comme institution, comportant des rapports particuliers, “sociologiques” ou “culturels”, à l’intérieur de l’État et entre l’État et les autres groupes sociaux, commerçants, paysannerie par exemple. On peut certes mentionner le courant actuel dit “new institutional economics” (North, 1990 ; Lafay, 1992, et, exemple appliqué à la “faisabilité” de l’ajustement, Frey et Eichenberger, 1992 ; Rama, 1992). Celui-ci demeure cependant situé à l’intérieur des hypothèses néoclassiques, même s’il a le mérite d’intégrer les notions d’institution et d’organisation. Or les échecs des politiques économiques et des PAS ne peuvent être conçus comme de simples “ratés”, détournements, ou maximisations des institutions par les individus. Ils requièrent une compréhension de la logique qui gouverne ces relations, de la nature de cette “governance”, des enjeux que représente un État africain pour ses agents et pour ceux qui sont situés à l’extérieur de lui. Les analyses issues de l’économie politique Les travaux sur l’économie politique de l’État en Afrique sont très nombreux. On rappellera donc seulement quelques points critiques relatifs aux rôles respectifs des États et des variables économiques dans l’explication de la récession actuelle des pays d’Afrique subsaharienne Tout d’abord, on sait que dans de nombreuses économies non occidentales, c’est l’État qui a mis en place les conditions de la croissance et du développement industriel, dans le cadre d’alliances entre la classe 5 politique et le secteur privé, cimentées par un consensus nationaliste qui manifesta une grande efficacité économique (ainsi les exemples connus de la Corée du Sud ou du Japon, cf. par exemple Morishima, 1982). En contraste avec le discours néoclassique, ces pays ont montré que l’hypothèse individualiste qui le fonde une société est composée d’agents rationnels indépendants, disposant de droits individuels - n’est pas partout le primum movens de l’entrepreneurship “schumpeterienne”, ni celui du développement, et que le gouvernement n’incarne pas une limite à ces droits dans beaucoup de PED, mais au contraire s’avère un allié, un prolongement, une protection au-delà de l’individu (Hamilton, 1989), de même qu’il peut contribuer à l’émergence d’une couche d’entrepreneurs (cas de la Corée). L’État n’est pas en lui-même le facteur des échecs ou des “distorsions”. Par ailleurs, comme il est bien connu, les États ayant comporté les plus fortes croissances peuvent également exhiber des phénomènes de clientélisme et de corruption appréciables (par exemple la Thaïlande, ou bien le Japon). Pour les pays d’Afrique subsaharienne, l’histoire économique est encore davantage celle de l’impulsion des États, d’abord des États colonisateurs, puis des États post-indépendances qui héritèrent des logiques “minières” et prédatrices de l’époque coloniale (Austen, 1987), des infrastructures commerciales et industrielles laissées par les colonisateurs, sans aucune alternative possible en l’absence d’une nation et d’un secteur privé situés “en face”, que celle de la protection des “infant industries” et de l’État comme super-employeur et entrepreneur (cf. Mytelka, 1988). Malgré l’oubli induit par l’acceptation désormais majoritaire des vertus du marché et de la compétitivité, ainsi que par l’obligation désormais écrasante de l’insertion internationale, l’État fut dès la colonisation, et bien davantage lors de la décolonisation, considéré en Afrique subsaharienne comme la seule base institutionnelle possible de l’allocation des ressources. Une question pertinente devient alors la suivante : pourquoi, à côté d’autres pays, notamment aujourd’hui asiatiques, les mêmes causes n’ont-elles pas produit les mêmes effets, et l’État a-t-il pu être associé à des effets économiques aussi négatifs, à une administration aussi “inefficiente” ? L’économie politique a donné des éléments de réponses qui tiennent essentiellement à l’histoire institutionnelle des groupes que sont schématiquement, la paysannerie, le secteur dit privé et l’État. Comme l’ont souligné de nombreux travaux, la rente prélevée sur les paysans, via les marketing boards, a constitué la classe des fonctionnaires et construit l’actuel “biais urbain”. Ceux-ci ont été subventionnés pour des motifs de support politique par le biais de la parafiscalité des organismes de stabilisation qui maintenaient des prix aux producteurs peu élevés ou hors marché. Les paysans écartés de l’État n’ont pas pu s’organiser ni constituer de classe politique, ni même une classe ouvrière embryonnaire, ni même un secteur “privé” qui est devenu à la fois un prolongement de la bureaucratie et qui s’est approprié celle-ci. Les ingrédients d’un État régulateur de secteurs situés en dehors de lui (tels l’agriculture ou l’industrie, dont l’existence constitue les prémisses élémentaires des politiques libérales) n’ont pas fait partie des données de départ. Les structures administratives mises en place en Afrique subsaharienne ont formé une autre entité, un autre modèle que ce que l’économie néoclassique sous-entend par “État”. Ceci à engendré malentendus et effets pervers, qui sont apparus avec l’application de ces politiques dans les années 80. Les politologues ont largement rappelé qu’historiquement, certains des attributs essentiels de l’État ont manqué : dans certains États, la stabilité politique, dans d’autres la possibilité même d’une alternance des politiques, comme en Côte-d’Ivoire par exemple, où se sont progressivement élaborées une logique trentenaire à la Guizot (“enrichissez-vous”), l’existence de dispositifs de sanctions indépendants des règles apparentes de l’exécutif, la légitimité du “siphonnage” des gains publics puisque dûs à des conjonctures extérieures de prix internationaux, et même parfois la sanction lorsqu’une logique de service public était en compétition avec celle du maintien d’une clique politique. Certaines fonctions essentielles ont également manqué : notamment la garantie des droits de propriété, la mise en place des services publics indispensables à la production (infrastructures, santé, éducation), certes avec des exceptions, mais minoritaires devant les monuments emblématiques de l’unification de l’État aux coûts récurrents exponentiels. Un trait a été partout commun : aux indépendances, en l’absence de secteur privé capitaliste, l’État s’est massivement substitué à ce secteur pour promouvoir l’accumulation du capital. Cette politique ne fut pas nécessairement négative, comme l’a montré le cas de la Côte-d’Ivoire, ou celui des NPI. On ne peut davantage incriminer, comme à l’ordinaire, la part excessive des dépenses publiques, à peu près identiques en Afrique et dans les autres PED (oscillant 6 autour du quart du PIB), qui ne sont pas, rapportées au PIB, si élevées en moyenne que ce que les concepteurs des programmes de stabilisation laissent entendre (10). Les concepts de néopatrimonialisme et de gouvernement personnel ont ainsi été largement utilisés par les politologues pour expliquer la dégradation politique et économique, la routinisation de la corruption, auxquels on peut ajouter le factionalisme, le clientélisme, la non-intégration des sociétés paysannes face à des groupes qui s’approprient le pouvoir (11). C’est dans ce courant, où elle est analysée depuis longtemps, qu’à la fin des années 80, les économistes des agences d’aide extraient le leitmotiv de la corruption devenue soudain cause de tous les maux. Dans la perspective politiste, les multiples sociétés traditionnelles constitutives de l’État post-colonial n’ont pu fonder la légitimité d’un gouvernement ramené à un groupe particulier : celui-ci a dès lors fondé son pouvoir sur les liens patrons-clients, sur l’usage des biens de l’État comme moyen de renforcements de subtils équilibres d’allégeances, sur la coercition et le secret (cf. Sandbrook, 1986 ; Fauré, 1989 pour la Côte-d’Ivoire ; Van de Walle, 1989 pour le Cameroun). L’attraction qu’il a exercé s’est également davantage appuyée sur la forme du poste occupé que sur son contenu. Le monopartisme a constitué le moyen le plus “adapté” au maintien de cette gouvernementalité personnelle. Le recrutement des fonctionnaires s’est effectué sur des critères de renforcement des allégeances, de même que la direction des multiples sociétés d’État. L’expansion massive du secteur public et de l’emploi public est venue confirmer la légitimité de l’État comme premier redistributeur des ressources. Tous ces faits sont biens connus de la littérature africaniste, mais ils restent en un sens descriptifs, et fondés sur des raisonnements post hoc - qui se bornent parfois à un nominalisme supposant la préexistence d’entités collectives, ainsi que l’intentionnalité des groupes de cette façon objectivés (l’“État”, la “volonté hégémonique”). Par ailleurs, lorsque les économistes s’aventurent dans ce domaine d’analyse, l’irrationalité macroéconomique en est toujours soulignée : gaspillage des ressources, fuite des capitaux, éviction de l’investissement privé, investissements de prestige improductifs. Dans cette perspective, l’affaiblissement de la capacité bureaucratique est expliquée comme une dérivation du néopatrimonialisme ; les critères de promotion de type affiliatif qui excluent la compétence ou proposent l’activité administrative comme partage du “gâteau national” sont les plus éloignés de l’efficacité capitaliste que Weber assignait à une bureaucratie (à charge, par exemple, pour ceux voulant maintenir leur compétence, de partir à l’étranger). Parmi les autres irrationalités économiques figurent le système fiscal, qui taxe précisément les producteurs, les paysans (caisses de stabilisation) et le secteur privé formel, et s’appuie sur les distorsions des flux commerciaux (barrières tarifaires et non tarifaires élevées, fiscalité à la complexité labyrinthique résultant de l’accumu-lation de textes pré et post-coloniaux). Ainsi sont privilégiés les riches, ainsi que les sociétés d’État subventionnées dont les résultats ont été notoirement négatifs (cf. Knight, 1989). Ces mécanismes ont des incidences d’autant plus importantes que souvent, les effectifs publics et parapublics représentent les deux tiers du secteur dit formel (12). Le désaccord reste cependant ouvert sur la notion d’État (cf. le “Kenya debate” de l’économie politique africaniste des années 80). On a pu ainsi parler d’État quasi-informel, quasi-fictif ou parasite (Mc Gaffey, 1987) où la majorité des individus vivent à l’extérieur d’un État qui n’est qu’un dispositif de prélèvement pour un groupe particulier, à côté de salariés qui sont dans l’État et pour qui la majeure part des revenus est constituée par des activités menées en dehors de l’État, sous la couverture et la garantie mêmes du cadre de l’État. Il existe de multiples autres conceptions, notamment celles de l’État “mou” (Myrdal), ou de l’État prébendaire proposé par Joseph (1983) et Theobald (1990) qui trouvent le concept de patrimonialisme trop englobant. Callaghy (1983) parle d’aristocratie politique, tandis que Bayart fait référence (1989) à la “politique du ventre”. Cependant, peu ont tenté d’appréhender de l’intérieur, au delà des analyses du pillage, de l’effondrement et des intérêts en jeu, la rationalité de ces modes de relations, selon un mode qui serait davantage “bottom up” que les approches “top down” des politologues, qui, souvent, présupposent les notions d’État, à tout le moins de registre politique. Le plus fréquemment, des “spécificités sociales ou culturelles” liées à la persistance des liens traditionnels, paraissent caractériser cette “éthique” africaine. Ici, la tradition en Afrique ne ressortit pas au domaine de la rationalité, elle relèverait de normes non économiques, notamment la réciprocité et la redistribution, et non prioritairement de considérations sur les coûts et bénéfices de transactions en termes de marché (“économie morale”, “économie de l’affection”, cf. par exemple Hyden, 1980, 1983, discuté par Lemarchand, 1989). Dans cette perspective, la prééminence de normes de solidarité 7 est une rémanence des formes d’échange de la tradition, et explique d’une part pourquoi la paysannerie africaine est située hors d’un État “suspendu” ailleurs, et d’autre part pourquoi ces normes coexistent au sein de l’appareil bureaucratique. Ces thèses ont été maintes fois discutées. Cependant, on soulignera ici d’une part que la réciprocité n’est pas un apanage des sociétés “traditionnelles”, d’autre part que le comportement paysan est tout autant rationnel que celui de n’importe quel agent, en termes de calcul et de couverture de risques, de coûts et d’avantages eu égard à l’environnement rural africain (cf. Bates, 1986), et enfin que cet argumentaire vague n’explique pas l’articulation entre les différents registres de normes et de représentations pour un individu ou un groupe donné. Ce qu’un individu perçoit de l’État et de ses normes n’est pas une entité abstraite, mais une relation dans une situation avec des individus donnés, avec “un” fonctionnaire, “un” commerçant, etc., où chacun relève de multiples réseaux d’appartenance, d’activités, d’obligations, de qualificatifs. On peut défendre ici un individualisme méthodologique : antérieurement au concept de néo-patrimonialisme, existent les seules représentations des individus. La prise en compte de la dimension de l’échange, ainsi que des contraintes pesant sur l’entrée et sur le maintien dans une transaction, est essentielle pour comprendre le fonctionnement de l’appareil bureaucratique ainsi que ses relations politico-économiques avec le développement, les politiques économiques et les institutions promues par les bailleurs de fonds - c’est là une approche plus utile que celles en termes simplistes d’échecs. Ces contraintes ressortissent simultanément de champs que les disciplines ont découpés en niveaux politique, économique, et de représentations individuelles - c’est pourquoi il est si délicat d’analyser une notion comme la corruption, qui n’est qu’une expression. Les constats sur l’effondrement administratif, les prébendes et les détournements, sur la prévalence des normes “affectives” ou patrimoniales au sein de la bureaucratie et leurs effets désastreux en termes d’efficacité économique, ne tiennent en effet pas compte du fait qu’il s’agit malgré tout d’États, au sens d’institutions, d’organisations stables perdurant quel que soit par ailleurs leur qualificatif, qui établissent et diffusent certaines normes et comportements spécifiques. Ceux-ci, ne sont pas réductibles à la seule existence d’un gouvernement personnel ou à des pratiques de corruption. Ils viennent se superposer à d’autres normes et contraintes, notamment à celles de l’économie de l’échange solidaire (issues des lignages, des voisinages, des groupes professionnels, religieux, etc.), avec qui ils sont en compétition dans des situations données. Le problème, qui n’est pas toujours expliqué par les politologues, concerne précisément la compétition s’exerçant entre ces normes, car dans l’Afrique contemporaine, du point de vue individuel, chacun s’inserre dans plusieurs réseaux d’appartenance, et cherche à le faire (par exemple à travers des mutuelles ou des associations), à titre d’assurances en situation d’incertitude. Mais ces réseaux peuvent comporter des systèmes de règles éventuellement incompatibles. Les raisons sous-jacentes à la prééminence de tel système de normes, dans telle situation, constituent une question difficile (par exemple en quoi pourrait-il être préférable, rationnel, de détourner ou de détériorer l’instrument de travail). D’un point de vue microéconomique, on peut faire l’hypothèse de règles implicites prééminentes arbitrées dans une situation donnée : notamment la pénétration sur un marché à tout prix, l’indice d’économies en crise (cf. par exemple les économies de l’Est dites en transition, où l’économie de marché poussée à l’extrême signifie voler pour revendre). En outre, les États sont aussi construits par des relations économiques internationales, notamment avec les États ex-colonisateurs, les autres États africains et les bailleurs de fonds, privés et multilatéraux. Les PAS depuis les années 80, refaçonnent à leur tour le contenu des relations existant à l’intérieur de l’État et vis-à-vis des secteurs situés hors de l’État. Cette recomposition complexe des rapports de force entre les multiples protagonistes des flux de prescriptions de politiques et des flux financiers a aussi contribué à l’état de fait actuel. En particulier, les PAS comme ensemble de prescriptions externes tenues de passer par les structures de l’État pour promouvoir la réduction du secteur public, le désengagement de l’État et l’“entrepreneurship”, ont produit des effets de renforcement, de manipulation et de résistance qui ont remodelé les inefficiences et les perceptions de soi des agents de l’État (Coussy, 1989) : recomposition des statuts, goulets d’étranglement de la rente. Le fait que les États tirent désormais une part importante de leur budget, notamment d’investissement, de l’aide internationale - et donc de décisions et de compromis - provenant d’institutions extérieures, influe fortement sur les attitudes et perceptions que les agents peuvent se faire de la légitimité de ces flux, de leur 8 propre souveraineté sur leur gestion et de l’utilité de leur travail vis-à-vis de “projets” décidés en dehors d’eux. Ces flux englobent de plus en plus de registres : argent, information, pouvoir, hommes (voyages à l’étranger), biens (objets matériels de la modernité, ordinateurs, véhicules tout terrain, etc.), flux internes et externes qui déterminent la position au sein de l’État... Sur ces projets, soit les agents n’ont que peu de prise, soit ils se les approprient individuellement, selon une logique de mémorisation, d’anticipations toujours rationnelles, puisque quel que soit le résultat (et les menaces devenues peu crédibles après une décennie de programmes non respectés), les flux d’aide persisteront. L’apparition de la corruption dans les discours du développement participe aussi, des décennies plus tard, d’un début de modification de ce dispositif (par exemple Klitgaard, 1989). En outre, parmi les mesures standards des PAS, la baisse des salaires réels qui affecte au premier chef le secteur formel (soit, en Afrique, avant tout, les fonctionnaires) induit nécessairement la dévalorisation pour les agents d’une activité administrative mal rémunérée pour les catégories inférieures, vis-à-vis d’un État imputé de toutes les erreurs par les agences externes, tandis que les critères d’afflux de rémunérations extérieures (“projets”) ne dépendent pas de la qualité du travail effectué. Egalement, les rationalités locales s’articulent rapidement à celles des agences, qui, quant à elles, eu égard à leurs principes constitutifs (institutions financières), et comme toute organisation, ne peuvent que continuer quels que soient les échecs. La nature des comportements d’inefficience ne résulte donc pas seulement de causalités endogènes de clientélisme, de prébendes ou de prééminence de liens interpersonnels traditionnels antithétiques de la bureaucratie webérienne capitaliste. La chute de la légitimité des États, à la fois à cause des échecs de leurs politiques antérieures, puis à cause de leur prise en main par des institutions étrangères, qui en outre suivent des logiques contradictoires ou compétitives entre elles, a fortement imprégné les représentations des individus quant à la rationalité de leur travail. La corruption A côté des raisons tenant à l’environnement économique, la corruption est désormais une des causes progressivement avancées de la crise des États, de la stagnation économique, de l’évaporation des flux injectés par des décennies d’aide publique au développement. Celle-ci est indéniable : les détournement à des fins personnelles, l’évasion massive des capitaux, les prélèvements sur les recettes fiscales, les investissements somptuaires ont eu des conséquences économiques indiscutablement désastreuses, comme le soulignait déjà G. Myrdal (1968), précisément à propos de l’Asie. Les effets de mimétisme issus de l’exemple venu d’“en haut” (13) ont également précipité la diffusion des attitudes communes. D’une part, l’argent de l’État, et/ou l’“argent du Blanc” (et celui de la banque, comme le rappelle le funeste destin de la quasi-totalité des banques de développement africaines) est d’abord fait pour être approprié par les individus ; d’autre part, l’enrichissement n’est pas une rémunération du travail. Il n’en demeure pas moins que ces phénomènes, présents partout, peut-être plus encore dans les pays industrialisés, ne caractérisent en rien à eux seuls les États africains, où ils seraient même, de fait, d’une plus grande visibilité. La question devient alors celle de leur logique sous-jacente en Afrique, et celle de leurs caractéristiques spécifiques. Celle-ci a été examinée surtout par deux disciplines, l’économie et l’économie politique (au sens anglo-saxon) - étrangement peu par l’anthropologie malgré des travaux comme ceux de Smith (1963) sur la corruption dans les structures politiques hausa. Ayant la caractéristique de convoquer toutes les disciplines, le concept de corruption se dissout dans au moins trois niveaux de rationalité, économique, politique, représentationnelle ; il apparaît de ce fait peu opératoire. Parallèlement à la perception croissante des échecs des politiques économiques dans les PED, les analyses économiques de la corruption se sont faites de plus en plus nombreuses. De façon frappante, celles-ci ne se sont aucunement greffées sur celles élaborées dès après les indépendances, par certains politologues ou anciens membres de l’administration coloniale, pourtant les plus intéressantes (14). Bien que certains travaux se perdent parfois dans la recherche de définitions adéquates (les différences entre “bribes”, “graft”, “embezzlement”, etc.). Certaines monographies sont d’une précision analytique remarquable ; elles décrivent 9 une récurrence des mêmes faits et comportements quelles que soient les contrées, qui ne laisse pas de troubler quant à l’hypothèse d’effets de structure : par exemple outre l’extraordinaire description entomologique de la bureaucratie zaïroise de Gould (1980) déjà citée, Charlton (1990) sur le Botswana, Pepinsky (1992) sur la Tanzanie, Beckman (1982) sur le Nigéria, Szeftel (1982) sur la Zambie, Morice (1991) sur le Brésil. On présentera ici les analyses économiques les plus récurrentes. La corruption est en général techniquement définie comme le pouvoir de modifier la structure des droits de propriété, mais aux fins d’obtenir un avantage personnel : ainsi par la détention d’une information, le pouvoir d’appliquer des pénalités ou récompenses, etc. (Lafay, 1990). L’État est le lieu privilégié de la capacité à modifier cette structure, et les approches économiques se centrent ainsi essentiellement sur la corruption publique. La plupart des études théoriques l’appréhendent dans le cadre de l’économie institutionnaliste, comme une forme particulière de recherche de rente (“rent-seeking”), comme une minimisation des coûts de transaction, ou comme une transaction avec information asymétrique. Ici les agents “corrompus” sont rationnels au sens où ils maximisent leur bien-être économique, compte tenu de certaines contraintes (15). Il est à noter que, préoccupées de respecter la règle implicite de l’évitement des jugements de valeur, les analyses micro-économiques se prononcent rarement sur les effets éthiques de la corruption, ou son aspect éventuellement macroéconomiquement dévastateur, mais seulement sur l’abstraction du “bien-être” de la société entière. La corruption peut même, d’un strict point de vue néo-classique, être positive puisqu’elle permet une meilleure allocation des ressources, qu’elle fluidifie les obstacles posés par l’abus des droits de propriété sur les positions, les files d’attente, les rationnements imposés par les mauvaises politiques de l’État (cf. par exemple Leff, 1964). Les analyses des marchés noirs ou parallèles vont souvent dans le même sens. L’“intervention de l’État”, qui perturbe les équilibres des différents marchés, reste ici la dimension négative. Parfois, très formalisées ou sophistiquées (par exemple fondées sur la théorie des jeux ou celle des rationnements et des phénomènes de queues (cf. Mac Rae, 1982 ; Andvig, 1990), les approches économiques intègrent la corruption en considérant généralement qu’un poste dans une administration confère deux catégories d’occasions de revenus illégaux : avoir un poste délivrant des services normalement gratuits face à une demande excessive, donc pouvoir en générer une rente ; avoir une position où l’on détient des informations asymétriques, par exemple sur des flux financiers et des dépenses (grands contrats, projets) que ne possèdent pas les bénéficiaires (et avoir aussi la possibilité d’exonérer) (16). Si elles se répètent dans le temps, ces opportunités ont pour conséquence de se stabiliser, de s’institutionnaliser rapidement, et d’induire des postes qui ont désormais un prix, qui ne sont plus recherchés que pour les revenus qu’ils assurent (douanes frontalières, monopoles de contrats, de licences, etc.). Ceci crée un ensemble permanent de droits de propriété, parallèles aux hiérarchies apparentes de l’administration, qui rationnent et remodèlent entièrement l’accès aux services de ladite administration et des projets de développement (Jagannathan, 1986). Les traits communs qui contribuent à l’entretien de ce mécanisme sont les suivants : l’absence de sanction (ou la faible probabilité d’être sanctionné ; une faible perte de bien-être en cas de sanction - dans certains cas, une logique du contrôle établit même la promotion de celui qui a détourné de façon avérée), l’absence d’une opinion publique comme contrepoids, soit par manque d’information, soit par acceptation ou tolérance. En outre, dans le modèle post-colonial, les individus sont incités à consommer ; les salaires publics sont bas par rapport aux dépenses espérées de consommation ; et enfin le secret - la non-diffusion des informations qui intéressent le fonctionnement de l’État - constitue un trait majeur. Requérant une coopération entre les agents qui trouvent davantage de bénéfices en faisant ce que font les autres (“poverty of honesty”, Dey, 1989), un système de corruption tend à s’autoperpétuer et même à s’étendre, en ce qu’il nécessite la partici-pation d’un nombre de plus en plus grand d’individus pour s’exercer, à un coût et selon des risques toujours moindres (“corruption breeds corruption”, Dey, 1989). Le fait de disposer d’un pouvoir de monopole, la discrétion, la non-obligation de devoir rendre des comptes, constituent les conditions permettant l’extension de la corruption (Klitgaard, 1988). Exemple des limites ou incohérences des “paquets” des programmes de stabilisation économique, il est intéressant de relever qu’un aspect des mesures d’ajustement structurel a récemment été incriminé par les économistes des agences d’aide eux-mêmes, dans le maintien - ou l’aggravation - de la déréliction de l’administration : la découverte des “motivations” que représentent le niveau des salaires de la fonction publique. Focalisés sur les déficits publics, en baissant les salaires réels des fonctionnaires, les PAS ont 10 engendré une “myopie sur les incitations” (Klitgaard, 1989) qui a précisément accéléré le délitement de l’État stigmatisé pourtant par les mêmes bailleurs de fonds - ce délitement a certes été initié avant les PAS qui en sont le symptôme, par la croissance exponentielle des effectifs de la fonction publique, cassée par la chute des recettes à la fin des années 70 (une croissance qui fut étrangement conçue comme éternelle tant par les politiques locaux que par les agences d’aide) (17). En dessous du niveau de pauvreté pour certains, dans les locaux que la réduction générale des budgets de fonctionnement a considérablement détériorés, et sans matériel, les individus qualifiés ont actuellement peu d’incitation à rentrer dans la fonction publique autrement que pour la rente anticipée, représentation construite sur au moins trois décennies. Et ceux qui sont déjà en place n’ont d’autre choix que d’accroître leurs revenus par tous les moyens, activités parallèles, stratégies de “caméléon”, commissions, fonctionnaires fictifs, absentéisme, sans compter la démoralisation engendrée par l’inactivité de règle pour des occupations dépourvues de moyens de fonctionnement et au personnel pléthorique, sans affectation précise ou en chômage technique. Les déficits publics et l’hypertrophie des recrutements antérieurs dans les administrations et les sociétés d’État ont contraint à ces choix dans tous les pays d’Afrique subsaharienne. Ces phénomènes étaient cependant déjà des conséquences des structurations étatiques post-indépendances : recrutement automatique des diplômés, surémunération des catégories supérieures, sous-rémunération des catégories inférieures, inflation des effectifs liée aux logiques redistributives et rentières (Géronimi, 1993). Les conséquences ont été l’accélération de la détérioration des administrations que les promoteurs des PAS ont pourtant comme interlocuteurs nécessaires (directions des finances, de la statistique, par exemple). Limités par les prémisses de l’économie institutionnaliste, les remèdes préconisés depuis peu proposant une amélioration de la “gouvernance” grâce à la mise en place de fonctionnaires directement rémunérés par les agences internationales (du type “cellules d’appui” horizontales ne travaillant plus que sur les programmes desdites agences), mais aux salaires de fait inégaux, puisque les moyens et objectifs de celles-ci ne sont pas les mêmes, ce qui contribue à une détérioration accrue de la situation. On accentue en effet les phénomènes d’inégalité et de jalousie au sein des mêmes services, en coupant davantage les nécessaires transmissions verticales et en accroissant la prébende et l’appropriation privée du service public. Les mesures proposées actuellement devant cette situation consistent communément à lier les rémunérations à l’effectuation des tâches - ce qui précisément ne peut fonctionner, car méconnaissant les causes et effets réels -, à l’amélioration des flux d’information et à la formation, ou à l’inverse à la mise en place des systèmes de contraintes rendant impossibles les détournements des activités ou des ressources (“scientific management”, “institutional management”, cf. par exemple Thomas et Grindle, 1990). Si elle a le mérite de la systématisation, cette approche microéconomique ne peut raisonner en-dehors des limites posées par ses propres hypothèses - impossibilité à penser les problèmes de légitimité, de légalité, les rapports entre l’État et le marché (ou bien par exemple, les phénomènes mafieux, cf. Cartier-Bresson, 1991 et 1992). Ainsi, il est permis de douter de l’efficacité de ces propositions, qui sont liées à la théorie des transactions : ces dernières ont des coûts trop élevés, instaurés soit par l’État, soit par des prélèvements privés, fluidifiés par la corruption. La théorie du secteur public sous-jacente est celle d’une entité souffrant de dysfonctionnements, d’inefficiences, de motivations mal gérées, que des mesures correctives pourraient remettre en état (incitations et sanctions). On ne prend pas en considération une dimension pourtant essentielle de l’institution administrative, à savoir qu’en tant qu’institution, elle forme aussi un système de représentations, elles-mêmes contraintes par des ensembles de valeurs, élaborées au long d’une histoire, et par des structurations sociales. La croyance qu’il suffit de sanctionner ou de corriger postule une extériorité, une position de pouvoir sur les formes institutionnelles d’une société. Or les individus qui en seraient les initiateurs sont eux aussi, par définition, pris dans ces ensembles de contraintes, de valeurs et règles sociales. Tout en comportant parfois des analyses fines, des études de cas (par exemple Wade, 1985, sur les projets de développement en Inde), les approches de “l’économie de la corruption” ne prennent pas en compte l’existence de configurations culturelles et sociales élaborées par l’histoire africaine, ni le fait que les caractéristiques de l’État sont indissociables des individus qui le constituent, et donc des contraintes sociologiques de l’“hors État” où ils sont immergés. 11 La pression communautaire Parmi les rares analyses essayant de conjoindre économie et anthropologie (c’est-à-dire les éléments d’une organisation sociale), les analyses de R. Mahieu peuvent être prises comme un cadre de référence fécond (1989a et b ; 1993). On en mentionnera seulement les principaux points. A l’instar des approches précédemment évoquées, les théories microéconomiques ne considèrent qu’un agent économique universel, et omettent les pressions que la “communauté” exerce en Afrique sur les individus, qui sont génératrices d’importantes redistributions et de fortes rigidités dans les comportements. Il est nécessaire de prendre en compte les événements qui ont modifié l’environnement économique des États africains, pour montrer que les effets des booms, des récessions et des programmes de stabilisation ont été fortement atténués et modifiés par la prégnance des liens avec des réseaux de communautés d’appartenance dans lesquels sont pris les agents. Ainsi les effets des PAS sur l’emploi et les niveaux des salaires (bloqués par exemple en Côte-d’Ivoire depuis 1981, ou non versés en 88-89 aux fonctionnaires du Bénin), ont été absorbés par l’activation des liens d’appartenance communautaire, qui induisent à la fois une grande flexibilité d’adaptation aux événements d’ordre macroéconomique et une rigidité des comportements face aux phénomènes de modernisation (urbanisation, éducation). L’argumentation est centrée sur les droits et obligations auxquels sont soumis les individus dans les communautés africaines, et qui constituent des normes auxquelles chacun doit se plier avant de satisfaire d’autres types de normes individuelles (par exemple calcul utilitariste, liberté). Les réactions à une modification de l’environnement économique sont donc contraintes par la force et la densité de ces réseaux d’obligations et de droits, par le caractère plus ou moins obligataire des normes issues des appartenances communautaires. Celles-ci déterminent aussi des critères de richesse ou de pauvreté, de choix d’activité, différents de ceux que l’on déduirait des seules classes de revenus ou d’occupations professionnelles. Ces droits et obligations vis-à-vis d’une communauté, ici entendue au sens de tout réseau d’appartenance disponible, s’expriment en effet sous forme de transferts, en biens et en temps, faiblement manipulables, auxquels un individu, du fait qu’il est un membre d’un groupe, ne se dérobe pas, sauf à encourir un risque supplémentaire (Mahieu, 1989a et b). Cette ligne d’analyse est familière à l’anthropologie : en Afrique, les sociétés lignagères du monde rural sont constituées par des systèmes de liens, généalogiques ou non, donnés ou acquis, qui non seulement définissent la personne même d’un individu (son être symbolique, ses héritages), sa position précise dans un réseau, mais aussi définissent des droits, des obligations, des prohibitions et des anticipations vis-à-vis de tous les autres. Ceux-ci sont la substance même de ces liens : ainsi vis-à-vis des parents - des frères et soeurs, enfants, alliés, parents des alliés, amis. Ils fondent classiquement les cycles d’échange, de dons et de contre-dons, d’“à valoir” instaurés par tout don, d’ouverture et de fermeture de dettes qui sont à la base de toute dynamique sociale. D’un point de vue anthropologique, ces ensembles de liens, de droits et d’obligations, constituent, en contraste avec l’individualisme occidental, plutôt des biens, des possessions, un patrimoine, que l’on peut faire fructifier, que l’on peut chercher à acquérir si on les juge insuffisants : il en est ainsi des adhésions volontaires, des appartenances à des associations ou mutuelles, phénomène en expansion en milieu urbain illustrant la nécessité de ne jamais être sans lien, superposables aux multiples niveaux possibles d’appartenance, groupe domestique, lignage, classe d’âge, quartier, village, métier, etc. Dans le Nord ivoirien, par exemple, la “possession” de nombreux liens, de nombreux dépendants sur lesquels on a des droits mais aussi des obligations réciproques, notamment de redistributions de nourriture et de revenus aux fins d’entretien, est la définition même de l’homme riche, c’est-à-dire celui qui détient un stock important de créances, et donc d’obligations. Et, schématiquement, la solitude est une sanction, une modalité de la pauvreté (comme autrefois le bannissement). Avec l’urbanisation, la nature de la “communauté” s’est certes modifiée, et additionnée de groupes multiples et hétérogènes - il n’y a pas une communauté, mais des réseaux donnés ou disponibles, nombreux et variables (sur des critères de village d’origine, de type de profession, de loisir, etc.). Mais la forme même du lien, définissant des droits et obligations, constitue la matrice de référence. Par ailleurs, la question du 12 caractère obligataire de ces systèmes de règles demeure des plus complexes, car elle implique à elle seule une théorie de la culture - impossible à approfondir ici. Selon Mahieu, elles ne sont pas manipulables, et suivent un ordre lexicographique, selon l’expression de J. Rawls, au sens où on ne se dérobe pas à la priorité de les satisfaire avant les normes du bien-être individuel, en raison de l’environnement des représentations locales. Celui-ci se caractérise avant tout comme un univers incertain et instable, d’autant plus sous ajustement structurel externe que difficilement négocié pour son usage interne, où se soustraire à la pression communautaire engendre des risques disproportionnés avec le gain reçu. Ainsi, des comportements apparemment irrationnels (redistributions, prélèvements volontaires) recouvrent des calculs de couverture et d’assurance parfaitement rationnels, dirigés contre l’aléa (maladie, chômage), où n’être l’obligé de personne constitue un handicap, un indice de pauvreté majeur. On pourrait ici nuancer - ceci est un élément de la complexité des sociétés africaines - et ajouter que les systèmes de règles sont pluralistes, en milieu urbain notamment. D’une part, même en milieu rural, les obligations communautaires et celles qui garantissent symboliquement contre l’incertain (rituels) ne semblent pas être mises en concurrence avec les contraintes de la production agricole (on peut “demander pardon” à une entité extra-humaine tel jour rituellement interdit s’il faut impérativement cultiver), ce en quoi le paysan demeure toujours rationnel dans la perception des contraintes qu’il doit satisfaire pour sa propre sécurité (par exemple Bates, 1983 et les tenants de la “rational choice theory”, Bates, 1988). D’autre part, ces normes ne sont pas des croyances au sens fort, elles sont l’objet de distanciations possibles, notamment en milieu urbain, où chaque agent est au centre de plusieurs systèmes d’obligations en compétition (occidental, bureaucratique, communautaire par exemple) et a ainsi une certaine latitude de choisir et de faire prévaloir l’un ou l’autre (par exemple dans des situations techniques, médicales, etc.). Ceci n’infirme cependant pas l’idée générale que c’est en référence aux droits et obligations dont il est le centre que l’agent économique effectue ses choix accepter ou récuser les contraintes issues des différentes appartenances. État et communauté A l’instar de tout un chacun, les agents de l’État sont pris dans des réseaux de droits et d’obligations : d’une part, par les anticipations dont ils ont été historiquement l’objet, d’autre part par leur position situés à la charnière de systèmes hétérogènes d’obligations, bureaucratique et communautaire, en tant que salariés formels, situés à proximité de l’institution, ayant une prérogative sur l’exercice du pouvoir et la redistribution de richesses (l’État). Pour le fonctionnaire, ces systèmes s’ajoutent, s’accumulent, davantage par exemple que pour un paysan, et se mettent en concurrence. La compréhension des comportements dans l’administration tient à la perception de l’État par ceux qui en sont les employés (“dedans”) et ceux qui sont “à l’extérieur”, mais qui entretiennent des liens communautaires avec ceux-là. En termes des droits et obligations qui régissent ces deux groupes, l’appareil d’État est une émanation parmi d’autres des réseaux communautaires, et son histoire est ici déterminante. Lors des booms économiques des années 70, dans de nombreux pays africains, l’État, on l’a vu, a procédé au partage des ressources de la rente par le recrutement massif dans la fonction publique et les entités parapubliques (18). Phénomène significatif de l’oblitération des raisonnements des individus, de leurs résistances et jeux, de la concurrence de plusieurs normes, de l’existence d’“organigrammes” implicites en compétition, certaines administrations ont même vu leurs effectifs croître pendant les programmes d’ajustement, durant la période des injonctions de réduction des dépenses publiques (donnant lieu à des “administrations souterraines”, Géronimi, 1993, ou à l’intéressant concept de “fonctionnaire au noir”, comme dans les municipalités brésiliennes). Des événements macroéconomiques comme l’augmentation des recettes tirées des produits de base (les “windfall gains”) ont ajouté, du point de vue des individus, une dimension d’enrichissement en devises à la représentation de l’État comme employeur principal, déjà constituée dès les indépendances (équation diplômé-élite), comme source de revenus pour le plus grand nombre, qui plus est valorisé (avoir fait des études, être à proximité de la modernité occidentale, etc.). Dans nombre de pays 13 d’Afrique subsaharienne, l’État a garanti l’embauche des diplômés de l’Université, jusqu’à une époque très récente (par exemple au Niger jusqu’en 1986). L’État n’est pas ici un État au sens où l’entendent les agences occidentales. C’est, certes entre autres choses, plutôt le lieu où, après les indépendances et les ambitieux objectifs éducatifs des nouveaux États, les paysans ont massivement voulu envoyer leurs enfants à travers l’école, en se privant d’une part substantielle de leurs ressources pour payer les frais scolaires. Il a été l’objet d’une double anticipation : d’une part la certitude d’un revenu futur une fois passées les étapes des études supérieures ; d’autre part la redistribution ultérieure par le fonctionnaire d’une part de ce revenu, en tant que restitution obligée des à-valoir, des droits sur lui ouverts par les frais scolaires, par, d’une façon générale, les investissements engagés par ses réseaux d’appartenance. Restitutions, transferts, qui prennent plusieurs formes : monnaie, nourriture, services à rendre aux autres membres, etc. Les parents paysans n’ont pas seulement investi dans un revenu futur, mais aussi dans une institution symbolique de positions de pouvoir et d’influence, dans des gains escomptés en réseaux et en relations. Selon cette perspective, les palais présidentiels, les bâtiments administratifs, etc., sont ici une dépense nécessaire aux fins d’établir l’unification symbolique de cet État. Pendant les années de prospérité, tandis que les parents ressentaient moins la nécessité de diversifier les sources de revenus escomptés, les agents de l’État ont répondu à ces anticipations, et remboursé leur dette par les avantages liés à leur position, assurant de substantiels transferts ville-campagne (Mahieu, 1989). En outre, pas plus que l’État - c’est-à-dire les individus détenant le pouvoir - n’a redistribué équitablement les rentes induites par les hausses des matières premières exportables, il n’a laissé se constituer son avers, le secteur dit “privé” national, qui serait hors de la logique étatique ou hors des contraintes redistributives, dans une logique d’investissement et d’accumulation. Ceci est particulièrement visible en Côte-d’Ivoire, notamment en comparaison avec d’autres pays, le Cameroun par exemple (Warnier, 1993) ou le Nigéria (19). Ayant le monopole de la promotion du développement, l’État a constitué les secteurs industriels et commerciaux par le biais de sociétés d’État, et les liens de droits et obligations, inclusifs ou exclusifs, appuyés sur une tradition commerciale (d’où proviendrait une tradition d’investissement ?) ont induit les alliances bien connues entre bureaucratie et commerçants, une atrophie du secteur privé, notamment manufacturier (celui-ci créé et désigné le plus souvent par les contrats publics), la confusion de celui-ci avec les positions dans l’administration, les échanges d’influence, l’investissement préférentiel des secteurs du commerce et des transports. Les comportements se sont routinisés en termes de “coups”, d’“affaires”, greffés sur, selon l’expression nigériane, le “national cake”, lorsque (années 70) celui-ci a vu exploser ses recettes. Coextensif à l’État, le secteur “privé” en a présenté les mêmes structurations. Pour analyser les inefficiences de l’administration, il faut raisonner en termes de situations : un agent de l’État est à la confluence de plusieurs réseaux d’obligations et d’anticipations centrées sur lui de la part de tous ses ayant-droits, et aussi de droits et obligations issues du contenu et des règles propres à l’activité (en termes de résultat, de présence, de procédures, etc.). Ces normes ont par ailleurs été plaquées (point de vue de G. Hyden) ou ont été imposées (mise en place de l’administration coloniale, cf. D. Darbon, 1991). Dans telle situation prévaut l’exécution des tâches telles qu’elles sont explicitées dans l’“organigramme apparent” de l’État. S’il y a compétition avec un autre régime de normes, générant une situation de pression communautaire (aller à des funérailles, embaucher un parent, trouver de l’argent pour une situation exceptionnelle), celle-ci prévaut en raison du coût anticipé démesuré d’un refus (rumeur, isolement, opprobre) : raisonnement microéconomique qui recadre dans la rationalité les comportements apparemment suicidaires, à court terme, du point de vue du développement macroéconomique. Il en est de même dans le secteur privé : on peut cependant faire l’hypothèse que le régime organisationnel étant différent de la sphère publique, il y est davantage possible de manipuler les règles (Labazée, 1988 ; Requier-Desjardins, 1991). Il faut donc intégrer dans l’analyse du comportement économique ce que l’anthropologie appellerait des représentations : notamment du pouvoir et de ses prérogatives, de la notion de public ou de bien public, du travail et des usages de la richesse, qui sont tout à la fois contraintes par un environnement macroéconomique donné, par les règles d’une communauté et par le calcul - nécessairement rationnel - individuel (20). Les généralisations sont à l’évidence absurdes. On peut seulement mentionner quelques traits récurrents. Les droits et les obligations s’effectuent entre des individus. Et l’“État” résultant des processus économique et politique décrits ci-dessus, entité abstraite et externe (ou coercitive), s’insère difficilement comme destinataire 14 de ces obligations, d’autant que même dans les services qu’il pourvoit, les usagers ont affaire à des individus pris dans les mêmes contraintes. Le bien public est public, donc, n’appartient à personne en particulier, il est hors appropriation (internalisation) et hors dette, à moins de transiter par un individu donné (21). En outre, l’accumulation au niveau macroéconomique des déficits publics, partiellement dus à ces contraintes microéconomiques, en laissant se détériorer les infrastructures, a nettement accéléré les représentations de ne rien devoir à un État qui ne donne, qui ne restitue non plus rien, en terme de bien public, et qui n’est pas reconnu comme source d’une créance. Plus qu’ailleurs, l’État représente aussi un moyen de coercition entre des personnes, une relation d’autorité qui ne rentre pas nécessairement dans les droits et obligations qu’un individu reconnaît comme légitimes : il n’y a pas de dette réciproque vis-à-vis d’individus qui ne sont que les représentants d’un “monopole de la violence”, mais ici non légitime (22). Le travail et sa rémunération, l’argent d’une façon générale, relèvent de ces contraintes : dans un environnement incertain, le travail du fonctionnaire représente une position de revenus réguliers et potentiellement élevés, plus sûre que les activités privées, générateur de devoirs vis-à-vis des “siens” qui anticipent les retours, qui comptent sur le fonctionnaire “visible” dans une proportion sans lien avec ses gains réels, parfois dans une proportion très supérieure, parfois très inférieure - en tant que chacun raisonne par rapport à ses propres revenus (Migoubert, 1990). L’expansion de l’État s’est ainsi massivement corrélée avec celle des activités parallèles de ces agents, à la fois nécessaires pour répondre aux droits des différents réseaux sur soi, et moins risquées car appuyées sur un revenu régulier minimum. A l’extrême, notamment pour les catégories les moins rémunérées ou celles “ajustées” depuis une décennie (ou pour les États qui ne payent plus leurs fonctionnaires qu’en fonction des aléas de leur trésorerie et des stratégies des agences externes), le poste public a pour principale raison d’être de permettre la mise en route d’une autre activité (cf. Sindzingre, 1993 pour le Bénin). En tant qu’institution, l’État génère aussi ses propres représentations, qui viennent se superposer aux précédentes. Dans un environnement macroéconomique où l’État postcolonial a privilégié avant tout la création d’emploi et de revenu, sans priorité donnée à la notion de service public ou de productivité, la forme même du travail administratif constitue une part notable de son contenu, et de ce qui est dû à l’État. La représentation de l’accumulation est, sur un certain registre de normes, celle d’un processus jamais effectué pour soi seul, dans un calcul égoïste. Les fameuse tontines africaines sont ainsi d’abord un moyen de créer ou de maintenir des liens, qui sont aussi une ressource, un bien, autant que des dispositifs d’épargne et d’investissement. Les analyses en termes de droits de propriété des positions bureaucratiques doivent s’interpréter sous ces contraintes, où les droits d’accès sont les plus élevés pour les places procurant le plus de moyens de satisfaire à la pression et de maintenir un statut : par exemple l’accès aux flux frontaliers (douanes par exemple), ou à un travail, apparemment moins rémunéré, mais qui laisse du temps pour effectuer d’autres tâches, et, depuis une décennie de prise en charge de l’investissement par les agences externes, l’accès à la manne des projets des bailleurs de fonds, etc. Tout ceci crée une critériologie parallèle différente des organigrammes officiels hiérarchisant la valeur des statuts administratifs. Ceux-ci sont des positions institutionnelles où une communauté reconnaît au tenant des droits d’accès (au savoir, aux relations, au temps) (Woldemeskel 1990 commentant A. Sen), ainsi que la légitimité de versements si l’on veut participer à ces échanges relevant de la sphère de la modernité. Dès lors qu’il n’y a pas de sanction, et qu’au plus haut niveau de l’État les contraintes de droits et obligations jouent avec une visibilité et des proportions beaucoup plus importantes (23), il n’existe pas de source de légitimité externe, et il est simpliste de penser comme certains réformateurs des agences d’aide que des améliorations internes à l’institution corrigeraient ces dysfonctionnements (24). Représentations En un sens, s’est constituée durant l’histoire des États coloniaux et post-coloniaux, une “culture” celle-ci n’est pas l’apanage des sociétés dites traditionnelles - un système de représentations, d’anticipations et de légitimités, que l’on pourrait appeler une “culture administrativo-urbaine” mixte (Sindzingre, 1992), faite 15 de fragments de colbertisme colonial, de mimétisme des élites en quête de marques de distinction (diplôme, habitat, modes de consommation) vis-à-vis du colonisateur (repérable dès les premiers interprètes coloniaux). Ces mimétismes se sont ensuite appliqués aux dirigeants politiques qui, pour certains, ont instauré le prélèvement à grande échelle comme modèle obligatoire pour les bureaucrates sous peine de sanctions, attitudes qui, sur une génération, ont progressivement diffusé dans les élites urbaines, tant privées que publiques. Une vaste littérature de type monographique, a finement décrit ces modèles de prédation généralisée (par exemple Willame, 1986 et 1992 pour le Zaïre ; Abba et al., 1985 ; Othman, 1989 pour le Nigéria). Dès 1968, Andreski décrivait le dispositif politique, économique et représentationnel mis en place (quelques sous-titres de son ouvrage : “television without sanitation”, “kleptocracy or corruption as a system of government”, “from colonial to post-colonial authoritarianism”, “the hidden aspects of foreign aid”), celui de la “post-colonie” analysé par Mbembe (1992), montrant, à partir des discours hagiographiques relatifs aux promotions des membres de l’État, les mécanismes de colonisation mentale perpétués, lisibles partout, dans les hiérarchies, les emblèmes, les expressions, etc. Dans un contexte économique donné, celui de l’État d’abord super-employeur-providence, puis se contractant dans une baisse générale des niveaux de vie, dans un contexte politique caractérisé par l’exacte coextensivité entre pouvoir et enrichissement et l’absence de sanction autre que des manquements aux contrats implicites et allégeances clientélistes, dans le contexte de pression communautaire, l’articulation de ces trois registres de causalités a développé une “culture” de plus en plus individualiste, assise sur des fragments, centrée sur la maximisation de la survie personnelle, forme de “guerre de tous contre tous”, usant certes des idiomes communautaristes ou symboliques disponibles, et créant de véritables “générations critiques” (Mahieu, 1993), d’individus porteurs de créances sur une génération suivante qui ne les reconnaît plus : Devauges (1977) par exemple, analysait déjà ces calculs maximisant l’accumulation individuelle, en utilisant les normes de redistribution, à propos des entrepreneurs congolais exploitant les règles de droits et obligations aux fins de maintenir une main- d’oeuvre bon marché. La routinisation des comportements corruptifs durant la décennie (la “criminalisation” progressive, dans les termes de Bayart) s’inscrit dans cette logique de mise en place de dispositions, selon l’expression de Bourdieu - et participe des raisons profondes, extra-économiques, du sous-développement (Giri, 1993). La logique d’ensemble, par ailleurs, ressortit à celle de tout traitement cognitif d’un objet externe quelconque, retransformé “rationnellement” sous contraintes des multiples représentations véhiculées par cet objet. Ceci rend délicates, bien qu’intuitives, les distinctions courantes entre “grande” et “petite” corruption, dès que l’on s’interroge sur les mécanismes sous-jacents faits de représentations mixtes, fluctuantes, historicisées, conjoignant anciens contenus et nouvelles formes, et inversement (par exemple chez les “démocrates” d’opposition où se repèrent les mimétismes des mises en scène politiques élaborées durant trois décennies de monopartisme, ou bien dans la seconde génération d’entrepreneurs, issus à la fois des prélèvements de fonds publics de leurs parents et des business schools américaines, prise entre deux modèles divergents). Ces représentations se rapportent à la réussite, à l’argent, au travail, à la sphère publique. Par exemple, un “petit” détournement dans une administration, non nécessairement vécu comme un acte répréhensible, suggère une représentation de l’État sous-jacente demeurée externe, inabsorbée, d’un objet resté hors du tissu de créances et de dettes ; mais aussi à l’inverse, une innovation devra se couler dans des images et mécanismes internalisés, routinisés : contraintes qui pèsent sur les opposants de l’ère des démocraties du début des années 90, ou sur les entrepreneurs “privés” tant espérés des bailleurs, dont beaucoup demeurent dans les rationalités rentières ou “traditionnelles” (Warnier, 1993). En Côte-d’Ivoire, il apparaît que nombre d’entrepreneurs formels nationaux, qui semblent répondre aux canons modernes du capitaine d’industrie, perpétuent les formes antérieures (détournement des règles, accumulations parasitaires, “coups”), non plus cependant avec l’État comme substrat, les ressources de celui-ci étant passablement contractées, mais avec la nouvelle figure des bailleurs internationaux, dispensateurs occupant la place de l’ancien État-providence. Les comportements individualistes (“maximisateurs”, “corruptifs”), relèvent ainsi de cet “ethos”, selon l’expression de Bayart, de ce réseau de représentations et de valeurs, nouvelle culture “administrativo-urbaine” qui informe progressivement l’ensemble des comportements “privés” et “publics”, où, faute de la prendre en compte, les tentatives de réformes extérieures manquent leur objet - comme le 16 montrent, peut-on mentionner, les économies en transition, en passe de devenir principalement mafieuses une fois le tout-État disparu. Sur la décennie de l’ajustement, du prestige et de la mainmise des agences d’aide en Afrique subsaharienne, devenues les nouveaux pôles de structuration de l’État, on peut aussi ajouter leur rôle grandissant dans le façonnement de ces individualismes, à faible portée altruiste, dans le langage de la microéconomie à la G. Becker. En Côte-d’Ivoire, mais ceci vaut pour beaucoup de pays, les élites techniques locales sont “siphonnées” au fur et à mesure de la prégnance des agences dans la conduite quotidienne des politiques économiques, et fascinées par les modèles “internationaux” proposés par celles-ci (outre des salaires très au-dessus des standards locaux, et d’autant plus élevés que l’ajustement a gelé les rémunérations locales). Ceci contribue à l’expansion des stratégies individuelles dans un marché (celui des agences) ultra-compétitif, ainsi qu’au délitement de ce qui peut subsister d’idée nationale et de service public au sein d’élites pour qui le couronnement de leur carrière revient à quitter leur État et être recrutées par une institution multilatérale. Crise, corruption et ajustement Confrontés aux chocs externes des chutes des revenus d’exportation et internes des mesures des PAS, les États africains ont recomposé ces contraintes pour aboutir à un effritement accru des structures administratives et de leur image. Les États ont été “mis sous tutelle” (Coussy, 1989) par les organisations internationales, contribuant à délocaliser les processus de décision, à vider les structures étatiques de leur légitimité et à en faire des récipiendaires de ressources extérieures, avec des moyens matériels inexistants censés relever de coûts récurrents (que les “projets” ont tendu à sous-estimer) assurés par le budget des États. Ces nouvelles configurations induisent des transformations des rapports de force (réappropriation, détournements, jeux de négociations visant à maintenir le statu quo, Mosley, 1991, stabilisation dans l’usure, dans la “fatigue” des protagonistes, Nelson, 1990) avec des bailleurs et des projets dont dépend majoritairement désormais le fonctionnement normal des administrations, ainsi que l’avènement de ruses et d’inégalités liées à ces objets externes (par exemple, les administrations “avec” ou “sans” projet, équivalant à celles qui ont respectivement les moyens de fonctionner ou non, cf. Michaïlof, 1993). Requérant un temps d’inertie - générationnel - le blocage des salaires des fonctionnaires n’a pas rapidement modifié les anticipations sur ceux-ci de la part des communautés rurales et urbaines. Les paysanneries avaient financé leurs États en contrepartie de la redistribution, dont le ralentissement a également affaibli la légitimité étatique. Quant aux fonctionnaires, ils ont été l’objet de pressions stables (25), de plus en plus impossibles à respecter, faisant une norme de l’activité “secondaire” à quasi-plein temps et selon un cercle vicieux, légitimant ainsi les incriminations des bailleurs internationaux sur l’inefficience et le parasitisme des agents de l’État. Simultanément, les effets de démoralisation ont été accrus pour les fonctionnaires, les diplômés devenus chômeurs - après qu’un haut niveau d’instruction ait longtemps été synonyme de travailler pour l’État - et leur commu-nauté, par la rupture brutale des prémisses d’à-valoir et de transferts sur lesquels leur carrière s’était fondée durant une décennie. Ceux-ci reçoivent dubitativement le discours relatif à l’avenir radieux du désengagement de l’État et de l’avènement du libre jeu des forces du marché, aux nouvelles figures héroïques de l’entrepreneurship, à un hypothétique secteur privé devenu désormais porteur de tous les espoirs et qualités (d’autant que les figures disponibles de “managers” ayant réussi sont souvent celles de “nouveaux riches” ostentatoires dont les fonds, d’origine obscure, semblent davantage devoir au réseaux politiques qu’à la libre concurrence). Cet effet de ciseaux a fortement conduit d’une part à l’expansion des activités parallèles, des détournements, de la corruption, d’autre part à celle du calcul individualiste, sans les gardes-fous antérieurs (26). En Côte-d’Ivoire, par exemple, les services des douanes font état d’une extension de la fraude sous la décennie d’ajustement : habitudes s’installant en l’absence de sanctions, mesures de libéralisation facilitant la fraude, informalisation progressive à la mesure de la baisse des revenus (le PIB réel est négatif depuis 1987) 17 et de celle de la légitimité des impôts, dans un environnement caractérisé par l’accroissement de l’incertitude et le rétrécissement de l’horizon temporel (Sindzingre, 1993) (27). Le secret comme mode de fonctionnement de l’État s’accroît d’autant plus facilement que la crise ne laisse souvent subsister du poste administratif plus que les seuls droits auxquels il ouvre. Il arrive ainsi que les PAS, rivés sur la compression de la dépense publique, accélèrent les déficits antérieurs en matériel, notamment la diffusion imprimée, par exemple des statistiques ou des textes législatifs et réglementaires : nul ne peut plus connaître la loi, ni les données concernant son propre pays, ce qui augmente les occasions d’arbitraires individuels (28). La persistance du modèle d’anticipations mis en place par l’État dans les nouvelles configurations de l’ajustement, de perfusion par l’aide, couplée à la décrédibilisation de l’État, a accru les comportements de détournements, d’autant que les agences ne montrent que depuis récemment quelques réticences (29). Les nouvelles conditionnalités, visant à “mieux d’État”, de fait ne s’attaquent pas au changement de ces représentations. La redistribution, selon Mahieu (1990), suit un ordre lexicographique, selon lequel le sort des plus pauvres est réglé en priorité, puis celui des catégories plus favorisées, selon une remontée progressive vers le “grand” qui a réussi. Le blocage des revenus de la fonction publique, qui s’est cependant associé au maintien du train de vie et des signes extérieurs de richesse des “grands”, a court-circuité ces procédures de redistribution, exhibant spectaculairement les inégalités sociales et les rendant intolérables pour les plus démunis. Les mesures d’ajustement, notamment fiscales, taxant les revenus formels par commodité sous l’impératif de trouver coûte que coûte des recettes pour l’État, ont accentué ces inégalités pour les salariés que la pression communautaire n’a pu faire épargner et donc faire accéder à des revenus fonciers ou informels, ainsi que leur amertume vis-à-vis de l’État. Elles ont instauré ces effets de seuil où il est préférable de ne plus travailler, ou de ne rien gagner, de ne pas investir ou au contraire de ne pas épargner, etc., qui caractérisent les comportements microéconomiques stigmatisés sous le discours “afropessimiste” actuel. Les organismes multilatéraux sont conscients du caractère indispensable de l’État, mais le conjuguent difficilement avec les nécessités du désengagement de celui-ci, en particulier concernant le cercle vicieux du salaire et de la productivité, ce qui accroît l’ambivalence des agents économiques à son égard. Au Bénin par exemple, les agents se sont spontanément ajustés à l’effondrement de l’État des années 1988-89, en se déportant massivement dans des activités informelles, mais au prix d’un discrédit durable de la sphère publique, qui rend très difficile l’implantation via l’État des mesures de politiques, notamment d’austérité, ainsi que l’injection équitable des flux financiers liés à l’ajustement (Sindzingre, 1993). En conclusion, on insistera sur les notions de contrainte et d’environnement. Les comportements de fraude, de corruption, d’informalisation relèvent d’une “écologie des représentations” (Sperber, 1985), où les agents manifestent une rationalité sous contrainte d’un certain type d’environnement. Ces contraintes sont objectives (cadre macro-économique), structurelles (nature des règles de réciprocité) et, “représentationnelles” (perception de l’environnement). Des comportements relevant de la “seconde économie” (Mac Gaffey, 1989 et 1991), les détournements ou l’ineffectuation du travail, sont rationnels compte tenu des modes d’organisation des sociétés africaines : notamment la structure des droits et obligations (extension à un grand nombre d’individus, relation non contractuelle, caractère de bien, d’actif, à l’instar d’une créance), ainsi que les catégories de destinataires légitimes de ces obligations. La façon dont ceux-ci sont représentés, en fonction de l’environnement objectif et des perceptions sociales communautaires, détermine les modes de raisonnements possibles à leur égard : par exemple, on ne doit rien à l’État, qui n’est qu’un support de droits de propriété utilisable au profit d’une communauté. Ces spécificités donnent une forme particulière aux institutions, aux normes dont elles sont les vecteurs, et aux manières dont elles sont perçues - par exemple quant aux flux transitant par l’État ou les banques, quant aux activités commerciales, etc. Et cette prise en compte des cadres cognitifs et du rôle des normes culturelles dans la formation des croyances et des préférences doit être une nécessité pour l’économie institutionnelle (certaines tentatives existent, cf. Samuels, 1990). Ces contraintes sont évidemment variables selon les sociétés et les pays, elles peuvent être fortement modelées par l’environnement politique (dictatures, partis uniques), économique (États riches grâce à des ressources d’exportation, États d’économie parallèle, “États-entrepôts”, cf. Igue, 1992), institutionnel (par exemple, les États portés par l’aide publique au 18 développement - APD - depuis des décennies, ou très liés à l’ancienne puissance coloniale), et socio-culturel (l’ethos économique, par exemple les relations variables à la modernité occidentale, à l’accumulation et aux “affaires”, à l’ostentation du savoir et des richesses) (30). La rationalité économique est toujours maximale lorsque ces normes sont “fixées” pour un individu donné, selon un calcul qui tient compte d’un réseau dense d’anticipations, ainsi sur les droits d’autrui, sur la nature et les moyens de la réussite, sur le rôle de la collectivité. Après les indépendances, l’État a représenté la principale modalité disponible des formes modernes de la réussite et de l’enrichissement. Le retrait du modèle et la confrontation brutale aux prix internationaux entraînés par les politiques d’ajustement ont bloqué les processus de redistribution capillaire des flux et des charges, fait des prélèvements sur les flux et les transactions une nécessité de survie, mis à nu ces anticipations et promesses non tenues, qui ont précipité l’effondrement interne de l’État et du secteur formel de la fin des années 80. D’où les revendications des groupes sociaux qui se définissaient par rapport à l’État (diplômés, “maîtrisards”, employés du secteur formel) soudainement exclus. Cette spirale involutive n’est certes pas voulue par les réformes de l’ajustement, mais elle ne ressortit pas à de seules mesures “correctives”. La corruption et ses fluctuations sont ici davantage des effets des contraintes pesant sur l’entrée et le maintien dans certains modes de relations d’échange, microéconomique et international. C’est un processus global de rétroaction entre niveaux micro et macroéconomique, entre mémoire du politique et organisation sociale, qui est ici en jeu. 19 (12) Récemment, les économistes les plus fins (KILLICK, 1992) commencent cependant à intégrer le constat de causalités extra-économiques. NOTES (13) Comme en Côte-d’Ivoire, sans doute un des exemples les plus spectaculaires - Concorde présidentiel, basilique, etc. - un des rares PED africains dont, même en pleine crise, la capitale souffre d’embouteillages de Mercedes ou de BMW. (1) 5 % du PIB pour le continent, dont 0,5 % en part de l’investissement privé étranger, soit environ un milliard de dollars. (2) C’est le fameux “biais urbain”, cf. Lipton, 1977. Avec évidemment certaines exceptions, par exemple le Cameroun sous le président Ahidjo, où les revenus pétroliers n’ont pas été réinjectés immédiatement dans l’économie (cf. COLLIER, 1992). (14) Voir ANDRESKI (1968) qui a peut-être forgé le terme de “kleptocratie”, ainsi que les recueils d’H EIDENHEIMER (1970 et 1989), LEVINE (1975) sur le Ghana ; également Scott (1969) sur la théorie générale de la corruption, ainsi que les synthèses de WILLIAMS (1987), ALATAS (1990), THEOBALD (1990) et MÉDARD (1986) à l’occasion des débuts de la revue Corruption and Reform. (3) Cf. par exemple N OREL et SAINT-ALARY 1988. (4) Selon une évaluation de l’ajustement effectuée par la Banque mondiale, plus de 26 pays d’ASS avaient reçu des prêts d’ajustement structurel entre 1979 et 1987, et certains, comme le Ghana, en ont reçu jusqu’à six ( Source : Banque mondiale, 1988). En 1990, 30 pays sont concernés. (15) Cf. les synthèses de ROSE-ACKERMAN (1978), ou BANFIELD (1975). (16) Dans de nombreux pays, par exemple, outre une fiscalité intérieure où, comme à Abidjan, les quartiers résidentiels acquittent dix fois moins de taxes que les quartiers démunis, les codes des investissements, censés attirer les investisseurs et libéraliser, comportent ainsi un très grand nombre d’exonérations temporaires pour “entreprises prioritaires” qui, à la discrétion des fonctionnaires impliqués, tendent à devenir définitives. Les mesures d’ajustement, le désir d’accroître les investissements directs étrangers, ont accentué le phénomène. (5) 83 milliards de dollars entre 1980 et 1988 en APD (aide publique au développement), soit 12 à 13 milliards de dollars par an ces dernières années en transferts nets (OCDE-CAD, rapport 1992 ; RYRIE, 1990). (6) Par exemple entre 1980 et 1988 les niveaux de vie en Afrique ont globalement baissé de 1,2 % par an (Nigéria exclu, où l’aggravation est plus marquée) et le stock de dette externe représente maintenant 109 % en moyenne du PNB du continent (à comparer avec les 37 % de l’Amérique Latine) et 350 % de ses recettes d’exportation. (17) En Côte-d’Ivoire, en 1989, la masse salariale de la fonction publique représentait 42,9 % des recettes publiques et plus de 10 % du PIB, pour environ 200 000 agents de l’État (Banque mondiale, Revue des dépenses publiques). (7) Le rapport de 1989 de la Banque mondiale sur les perspectives à long terme de l’Afrique subsaharienne marque à cet égard un tournant. (18) Par exemple, au Bénin le nombre d’agents de l’État a doublé de 1984 à 1990 (47 000 en 1990). En Côte-d’Ivoire, la masse salariale des agents de l’État (200 000 en incluant le secteur parapublic) représente en 1990, 50 % des recettes budgétaires globales (Banque mondiale). Au Niger, les effectifs publics passent de 23 600 en 1980 à 38 200 en 1982, pour une masse salariale ayant une progression annuelle moyenne de 8,5 % (VEREZ, 1993). (8) Une justification récurrente de la théorie économique : les objets, donc les instruments, sont différents de ceux des autres sciences sociales. Mais les motifs sont parfois moins académiques - faible intérêt pour l’objet, éviction du Sud par l’Est, réalités désespérément rebelles aux planifications, apparition du “voicing”, de la possibilité de s’exprimer des oppositions politiques africaines. (19) En Côte-d’Ivoire, la majorité des entreprises du secteur formel est détenue par des non-nationaux, Français en majorité, ainsi que Libanais, qui, outre traditionnellement le commerce, investissent aussi progressivement les activités manufacturières. Le jeu des prête-noms, européens et africains, dû aux recyclages de capitaux qui ne peuvent s’expliquer que par le prélèvement de fonds publics, brouille par ailleurs fortement le paysage. Les travaux sont nombreux sur l’éviction du secteur privé par l’État (mesures politiques, fiscales, etc. : effet de “crowding out”) ou sur la coextensivité des deux secteurs et modes de capitalisation (cf. par exemple le “straddling”, développé par BAYART, 1989). (9) Cf. par exemple la remarquable description de Gould, dès 1980, de la corruption généralisée au Zaïre. (10) Les données varient évidemment selon les pays. Mais au Cameroun par exemple, le ratio budget de l’État/PIB était de 21,7 en 1985-86, pour être de 16,1 en 1989-90. Le ratio emploi dans le secteur public/population active est de 4,3 % en 1988-89 (par rapport à un emploi enregistré/population active de 11, 4% en 1987-88 (source FMI). D’autres pays d’Afrique subsaharienne exhibent des chiffres comparables, qui ne sont pas spectaculairement élevés : ainsi, au Sénégal, en 1991, les salariés du secteur public représentaient 2,9 % de la population occupée (source : Enquête sur les priorités, DPS). On peut rappeler que dans certains pays développés, comme l’Irlande ou les Pays-Bas, les dépenses de l’administration centrale sont supérieures à 50 % du PNB (source : Banque mondiale). (20) Ces représentations des attributs du pouvoir complexifient la rationalité des phénomènes de prélèvement, et indiquent la compétition entre différents niveaux de normes et de légitimités : par exemple un individu peut exprimer de la fierté devant le Concorde présidentiel (“nous aussi, les pauvres, nous en avons un”), tout en condamnant la corruption. (11) Cf. MÉDARD, 1991, pour une synthèse de la problématique et des désaccords. 20 (26) Il arrive même que les agences d’aide finissent par reconnaître (KLITGAARD, 1989) que le personnel du secteur public est insuffisant dans certains secteurs, ainsi dans les secteurs dits sociaux (santé, éducation primaire). On pourrait risquer l’hypothèse que les mesures de réduction de la fonction publique, partie intégrante des plans de stabilisation, font partir, en “départs volontaires”, ceux à qui leur fonction ne confère pas de rente suffisante. (21) D’où le turnover de ces biens (partage), accéléré par le dispositif des projets : là, les objets sont des dons (prêts) de tel bailleur (“don des USA”, “don de la CEE”, etc.). (22) Par exemple, il est significatif que dans le Nord ivoirien, en milieu rural, tout individu ne relevant pas des liens villageois locaux, sous-préfet, animateur rural, infirmier, expert blanc, etc., soit conçu comme une métonymie de l’État, et désigné par le même terme, celui appliqué aux conquérants du XIXe siècle, “ceux qui ont la force”. (27) Environnement façonné par des contraintes inséparablement politiques et économiques, comme le montre la notion de secteur “formel” : outre un horizon temporel court des postes administratifs parce que liés au politique, l’extrême étroitesse du secteur dit formel, rendant difficile les reconversions, habituelles et flexibles dans les économies occidentales, entre secteurs public et privé, tend à accélérer l’accumulation “corruptive” durant la période d’une quelconque occupation d’une fonction gouvernementale. (23) Par exemple les dons de directions des sociétés d’État aux obligés, les promotions éventuellement conférées à un mauvais gestionnaire pour limiter les risques de dénonciation et homogénéiser les intérêts, etc. Pour avoir une idée des échelles impliquées, on peut relever que les agrégats de fuite des capitaux et de la dette externe des sociétés parapubliques sont souvent du même ordre de grandeur (en milliards de dollars, cf. le “hot money” de N AYLOR, 1987). (28) Dans certains pays africains, il est quasiment impossible, et même suspect, de vouloir acquérir, par exemple, un Journal Officiel. (24) Du type des multiples “programmes d’appui à la gestion des ressources humaines”, “capacity building”, rationalisation de la “governance”, consistant souvent à seulement mieux payer certains fonctionnaires sur des “projets”, générant de fait davantage de conflits ou de jalousies, et s’inscrivant dans la même logique d’anticipation de la permanence d’afflux financiers. (29) Dues à la concurrence de l’Est sur les fonds prêtables, ADDA et COLIN 1990. (30) En 1990, un fonctionnaire béninois exprimait ainsi que dans le contexte où il évoluait, il était inutile ou même politiquement dangereux de travailler : “En se distinguant des autres, on n’a que des ennuis”. Un douanier ivoirien, de même : “Si tu travailles, tu mets les autres mal à l’aise, et tu seras sanctionné”. (25) Des enquêtes menées par l’auteur au Bénin en 1990 ont montré l’importance du nombre de personnes à charge, fréquemment 20 à 25 pour un cadre, appartenant à la famille proche, vis-à-vis de laquelle les obligations sont incontournables. A ce niveau, le salaire est de 200 000 f. CFA. Un diplômé du supérieur gagne 45 000 f. CFA/mois environ, ce qui ne permet pas de vivre selon les modèles de consommation que ses études lui ont fait anticiper. Il est à noter que ceci ne vaut pas entièrement pour la Côte-d’Ivoire, où certains fonctionnaires sont mieux rémunérés que, par exemple, leurs équivalents en Espagne, mais qui, coincés entre des représentations (l’idéal du “nouveau riche” venant d’en haut) et des anticipations (leurs parents paysans), considèrent leurs revendications salariales comme légitimes. En Côte-d’Ivoire, certains fonctionnaires peuvent dépasser 100 % de leur salaire en redistribution (MAHIEU, Université d’Abidjan, 1989a). La contraction croissante de la taille des anciens groupes lignagers (VIMARD, 1993) n’implique pas nécessairement un affaiblissement de la pression, mais une fragmentation, un dérèglement des anciennes régulations, qui peut aboutir à des pressions accrues sur le “riche”, le haut-fonctionnaire, le député, etc., de même que des recompositions internes des rapports de force au sein des groupes (cf. les enquêtes de C. V IDAL et M. LE PAPE à Abidjan). 21 Références ABBA A. & al. 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