au fond de la mer, Journal du CNRS n°164-165

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VIE DES LABOS
ASTROPARTICULES
Un grand « œil » au fond de la mer
F. Montanet/CNRS Photothèque
L’impressionnant télescope à neutrinos européen, « Antarès » sera inauguré
en novembre prochain à la Seyne-sur-Mer. À partir de 2006, il devrait nous éclairer
sur certains des mystères les mieux gardés de l’Univers.
Au large des côtes
varoises, 12 lignes
de 400 mètres de long
portant chacune
75 capteurs spéciaux
traqueront l’infime trace
lumineuse laissée par
un muon et preuve du
passage d’un neutrino.
L
a pêche aux neutrinos sera bientôt ouverte en
Méditerranée. Le 18 novembre prochain, Claudie
Haigneré, ministre déléguée à la Recherche et aux
Nouvelles Technologies, inaugurera à la Seyne-sur-Mer
(Var), « Antarès », un gigantesque appareil sous-marin
dédié à la traque de ces particules élémentaires. Installé
par 2 400 mètres de fond à 10 milles nautiques au sud de
l’île de Porquerolles, ce télescope d’un genre nouveau
devrait apporter, d’ici un peu plus de deux ans, des réponses à certains des secrets les mieux gardés du Cosmos.
Les neutrinos, particules innombrables dans l’Univers,
bombardent la Terre en permanence. Avant d’arriver
jusqu’à notre planète, certains d’entre eux ont voyagé
sur de grandes distances à travers l’espace. Leurs origines
sont diverses. Mais les physiciens pensent que ceux dits
de « hautes énergies »1 seraient produits par des astres
non lumineux comptant parmi les plus intrigants du
cosmos : microquasars, astres doubles constitués d’une
étoile et d’un trou noir, quasars, supers trous noirs
situés au centre des galaxies, ou encore restes d’explosions
d’étoiles en supernovae. Autre source possible : la
« matière noire », matière invisible encore inconnue,
dont les scientifiques ont établi qu’elle représente 80 à
85 % de toute celle de l’Univers. Les théoriciens affirment
que si celle-ci est constituée de particules exotiques baptisées « WIMPS » (Weakly Interacting Massive Particles),
alors elle pourrait être cachée à l’intérieur du Soleil ou
au centre de notre galaxie d’où elle émettrait ces neutrinos
« hautes énergies ». Comme ils ont la propriété de se jouer
de la matière et de se déplacer en ligne droite depuis
l’endroit où ils ont été générés, ils sont considérés, par les
astrophysiciens, comme des messagers directs d’événe-
Le journal du CNRS n° 164-165 septembre-octobre 2003
ments que ne peuvent absolument pas voir les télescopes
actuels, qui ne sont sensibles qu’aux seules ondes électromagnétiques. Pouvoir déterminer la provenance de ces
neutrinos, comme devrait le faire « Antarès », ouvrirait la
voie à un nouveau type d’astronomie : celle des neutrinos.
Pas facile toutefois de capter le passage de ces entités : la
plupart d’entre elles peuvent traverser la Terre sans être
stoppées! Plus de sept ans auront été ainsi nécessaires aux
scientifiques de sept pays pour imaginer et mettre au
point l’impressionnant instrument européen. Il faut dire
que le projet de 18 millions d’euros, soutenu par le Centre
de physique des particules de Marseille (CPPM) du CNRS,
l’Institut de recherches subatomiques (IRES) à Strasbourg
du CNRS/IN2P3, le CEA et l’Ifremer, est à la limite des
possibilités techniques actuelles. Il consiste à immerger
sur une dizaine d’hectares, au large des côtes varoises,
12 « lignes » de 400 mètres de long, chacune munie de
75 capteurs spéciaux appelés photomultiplicateurs. Puis
à repérer, à l’aide de ces 900 instruments électro-optiques,
l’infime trace lumineuse laissée dans l’eau par le passage
d’un « muon », particule chargée, issue de la rencontre
rarissime d’un atome de matière et d’un neutrino. Les
scientifiques espèrent par ce procédé en déduire
la direction d’où provient ce dernier corpuscule.
Une information qui, affirment-ils, leur permettra d’en
identifier la source : cataclysme cosmique ou matière
nouvelle inconnue.
« Antarès » n’est pas le seul télescope à neutrinos. Dans
le lac Baïkal et au pôle Sud, Russes et Américains
disposent d’appareils semblables en fonctionnement.
L’instrument méditerranéen dont la construction
s’achèvera début 2006 aura toutefois pour lui d’être plus
performant : immergé dans la mer, et non posé sur le fond
d’un lac vaseux ou emprisonné dans de la glace, il pourra
détecter de plus loin le passage d’un « muon ». Et multiplier les chances d’observer ce type d’événements.
Enfin, contrairement à son équivalent d’outre-atlantique,
lequel pointe vers l’extérieur de notre galaxie, son
emplacement lui permettra de capter des sources de
neutrinos dans la Voie lactée et le Soleil. Des atouts qui,
réunis entre eux, font « d’Antarès », une machine hors pair
pour sonder l’inconnu dans l’Univers…
Vahé Terminassian
1. Il existe aussi des neutrinos de « basses énergies » dont certains, étudiés
depuis longtemps par les physiciens, sont produits par le Soleil ou les
supernovae. « Antarès » est un instrument dédié à l’étude de ceux
de « hautes énergies ».
CONTACT
John Carr
[email protected]
site Web : http://antares.in2p3.fr/
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