Un électrocardiogramme ultraprécis pour prévenir la mort subite

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11/5/2016
Un électrocardiogramme ultraprécis pour prévenir la mort subite
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Un électrocardiogramme ultraprécis pour prévenir
la mort subite
LE MONDE | 09.05.2016 à 14h44 • Mis à jour le 10.05.2016 à 10h40 | Par Florence Rosier
Visualisation en 3D de deux épisodes de fibrillation ventriculaire, celui du haut est localisée et son foyer pourra être
traité par « thermoablation » .
En avril 2010, à l’âge de 24 ans, j’ai fait une première syncope lors d’une soirée entre amis. Je
n’avais jamais eu de problème de santé jusqu’alors », raconte Anne­Sophie Bouquié. Elle est
prise en charge à l’hôpital de Castres (Tarn) : une première batterie d’examens ne montre rien.
Mais les médecins suspectent un grave problème cardiaque : « Mon frère était décédé de mort
subite à l’âge de 18 ans. » La jeune femme est orientée vers le CHU de Bordeaux, où elle
bénéficie d’une nouvelle série de tests. Parmi eux, un examen très innovant : une cartographie
électrique du cœur, dotée d’une haute résolution spatiale et temporelle. C’est
« l’électrocardiogramme du futur », estime le professeur Michel Haïssaguerre, qui évalue cet
examen dans le département des arythmies cardiaques qu’il dirige à Bordeaux. « J’ai revêtu une
veste équipée de 252 électrodes qui enregistraient l’activité électrique de mon cœur. Ce test a
révélé que je souffrais d’une fibrillation ventriculaire », poursuit Mme Bouquié.
CHAQUE ANNÉE,
40 000 MORTS
SUBITES EN
FRANCE – 300 000
EN EUROPE –
RÉSULTENT DE
CE TROUBLE DU
RYTHME
CARDIAQUE. LA
MOITIÉ DES
VICTIMES ONT
MOINS DE 65 ANS
La fibrillation ventriculaire : un tourbillon, une tornade électrique qui balaie
le cœur. Elle foudroie ses victimes en quelques minutes. « C’est une
désorganisation instantanée de l’activité électrique des ventricules. En un
éclair, ceux­ci s’emballent de 300 à 400 battements par minute, au lieu de
60 en temps normal. Le cœur cesse immédiatement de se contracter »,
explique Michel Haïssaguerre. Chaque année, 40 000 morts subites en
France – 300 000 en Europe – résultent de ce trouble du rythme
cardiaque. La moitié des victimes ont moins de 65 ans. « Une personne
sur dix mourra de mort subite », alerte Michel Haïssaguerre.
Des morts subites… ressuscitées
Les 5 et 6 mai, son équipe dressait le bilan de son approche novatrice
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dans la prise en charge de la fibrillation ventriculaire : c’était à San
Francisco (Californie), au congrès de la Heart Rhythm Society, la grand­
messe annuelle sur les troubles du rythme cardiaque. « Nous avons la plus grosse expérience
mondiale dans cette cartographie du cœur et dans la chirurgie préventive des morts subites,
témoigne le docteur Mélèze Hocini, qui réalise cette chirurgie au CHU de Bordeaux. Malgré tout,
ce sont des interventions qui génèrent toujours un stress marqué : le patient part en fibrillation
sous nos yeux, nous le voyons perdre connaissance. C’est très impressionnant. »
Depuis quinze ans, cette équipe bordelaise fait souffler un vent nouveau sur le traitement des
morts subites… ressuscitées. Car après une fibrillation ventriculaire, 4 % des victimes survivent en
France. Elles sont sauvées quand, par chance, un témoin les réanime par un massage cardiaque
ou par un défibrillateur externe, qui resynchronise les contractions du cœur. Mais le risque de
récidive est grand. D’où l’obligation d’un traitement préventif, chez ces miraculés.
« Thermoablation »
En mai 2010, un mois après sa syncope, Mme Bouquié a bénéficié d’un de ces traitements :
l’implantation d’un défibrillateur automatique, juste au­dessus du cœur. Ce dispositif surveille en
permanence le rythme cardiaque ; quand il détecte une fibrillation, il délivre un choc électrique.
« En juillet 2010, j’ai fait une nouvelle syncope, et mon défibrillateur a choqué, ce qui m’a sauvée.
En mai 2011, j’ai de nouveau revêtu la veste à électrodes, à Bordeaux, qui a permis de localiser
les sources de mes fibrillations » : trois « étincelles » situées, ici, dans le ventricule gauche.
« Une semaine plus tard, j’ai bénéficié d’une chirurgie qui a détruit ces zones. Depuis cinq ans, je
n’ai jamais refait de syncope. Et j’ai eu deux enfants. Je mène une vie normale. Je suis juste suivie
par télétransmission et chez mon cardiologue, une fois par an. »
Cette chirurgie est une « thermoablation ». L’équipe de Michel Haïssaguerre, la première, eut
l’audace de pénétrer l’œil de ce cyclone meurtrier, pour le neutraliser. Comment ? Le chirurgien
introduit, par l’artère fémorale, un cathéter muni d’une électrode qu’il remonte ensuite jusqu’au
cœur pour y délivrer un courant de radiofréquence. Ce courant cible et détruit les étincelles qui
allument cette tornade foudroyante.
La veste aux 252 électrodes
« Après avoir traité 140 patients par thermo ablation, nos résultats à cinq ans confirment l’efficacité
du traitement : 85 % de ces patients n’ont eu aucune récidive de fibrillation ventriculaire. En
témoigne la mémoire de leur défibrillateur interne », résument le professeur Haïssaguerre et le
docteur Hocini. Le plus jeune patient opéré, Axel, avait 9 ans. Par contraste, en l’absence de
thermoablation, tous les patients récidivent quand la fibrillation vient d’une anomalie électrique du
cœur.
Cette équipe bénéficiait d’une longue expérience : « Michel Haïssaguerre est l’inventeur de la
thermoablation pour traiter un autre trouble du rythme, la fibrillation auriculaire. Cela lui vaut une
reconnaissance internationale, relève le professeur Xavier Jouven, chef de pôle à l’Hôpital
européen Georges­Pompidou (HEGP), à Paris. Développer cette approche dans la fibrillation
ventriculaire est très intéressant, d’autant que cette maladie intéresse peu de monde. »
Mais cette chirurgie préventive impose de bien localiser les « étincelles » qui, selon les patients,
s’allument à des endroits différents. C’est le but de cette veste aux 252 électrodes conçue par une
start­up américaine, CardioInsight, et rachetée en 2015 par Medtronic. Cette cartographie
électrique du cœur, non invasive, est couplée à un scanner ou à une IRM anatomique. « Nous
suivons ainsi le film de cette arythmie durant dix à vingt secondes. Nous voyons où naissent les
étincelles, puis comment elles embrasent le cœur », raconte Michel Haïssaguerre. Pour cela, les
chercheurs s’appuient sur des algorithmes de traitement du signal développés par l’Institut
national de recherche en informatique et en automatique (Inria) et Rémi Dubois, de l’institut de
recherche Liryc, à Bordeaux.
« Un parapluie de sécurité »
Cet examen impose aussi un geste hardi : déclencher une fibrillation ventriculaire chez les
patients, éveillés mais anesthésiés. Une mort subite transitoire qu’il s’agit de contrôler ! « Un
défibrillateur externe permet, si besoin, de restaurer un rythme cardiaque normal. Chez les
patients qui font spontanément des fibrillations ventriculaires répétées, une assistance circulatoire
assure la perfusion des organes », explique le docteur Hocini.
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« Nous avons étudié 72 patients aux antécédents de mort subite ressuscitée, recrutés dans
12 centres français ou internationaux », ont expliqué, à San Francisco, Michel Haïssaguerre et
Mélèze Hocini. Chez chacun d’eux, ils ont identifié des profils différents de fibrillation. « Dans 30 %
à 50 % des cas, ces étincelles sont relativement bien localisées : elles se prêtent à une thermo ­
ablation. »
Quand elles sont trop diffuses, la chirurgie n’est pas possible. La prévention repose alors sur un
défibrillateur implantable. « C’est un parapluie de sécurité, mais il ne traite pas la maladie »,
indique le docteur Hocini. De plus, les chocs délivrés sont parfois nombreux. « Les patients les
décrivent comme de violents coups de poing dans le thorax », indique Michel Haïssaguerre. La
thermo ablation, de son côté, traite la maladie. Pas question pour autant de s’affranchir du
défibrillateur : « L’évolution de la maladie reste mal connue », reconnaît Mélèze Hocini.
A terme, l’espoir serait d’utiliser ce super­ECG (électrocardiogramme) pour dépister les patients à
risque, quelle que soit la cause de la mort subite. « Une minorité résulte d’anomalies purement
électriques », précise Xavier Jouven. Les trois quarts font suite à un infarctus, et 20 % sont dus à
un épaississement du muscle cardiaque : la cardiomyopathie hypertrophique. « C’est un travail
d’encore au moins dix ans », admet Mélèze Hocini.
En Thaïlande, des hommes frappés dans leur sommeil
Dans certains villages du nord de la Thaïlande, des jeunes, apparemment en pleine santé,
meurent durant leur sommeil ; certaines familles sont touchées de plein fouet, perdant ainsi
plusieurs membres. Huit fois sur dix, les victimes sont des hommes ; ils ont une quarantaine
d’années. Longtemps mystérieux, ce mal est en réalité une forme de fibrillation
ventriculaire : le syndrome de Brugada, qui représente près de 20 % des morts subites
survenant sur « cœur sain », c’est­à­dire sans anomalie détectable. Une croyance populaire
attribue ces morts à une « veuve fantôme », qui viendrait emporter ces hommes quand ils
dorment. Pour tromper cette puissance maléfique, certains hommes, dans ces villages, se
déguisent en femme pour dormir. En janvier, à l’hôpital de Bangkok (Thaïlande), Michel
Haïssaguerre et Mélèze Hocini, du CHU de Bordeaux, ont opéré avec succès une dizaine
de ces patients atteints du syndrome de Brugada.
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