Les socialistes et l`Europe, histoire d`un éloignement

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Les socialistes et l’Europe, histoire d’un éloignement Par Raphaël Cardet, section du 9e arrondissement de Paris Quelle Europe les socialistes veulent-­‐ils ? Le maintien de la paix, puis le marché unique ont longtemps été les principaux moteurs de la construction européenne. Les socialistes avaient trouvé en François Mitterrand et Jacques Delors, des hommes qui portaient le message d’une Europe politique, convaincus que l’avenir de la France était dans sa famille européenne. Or d’un projet politique fondé sur le rêve d’un grand espace de démocratie et de prospérité allant « de l’Atlantique à l’Oural », l’Europe est devenu un enchevêtrement d’institutions et d’organisations dans lesquels nombre de nos concitoyens ne se reconnaissent plus ; comme en témoigne le désintérêt chronique pour les élections européennes. Une Union européenne qui, par les régulations budgétaires fondées sur une « orthodoxie » économique prétendument scientifique, asphyxie les gouvernements nationaux, ouvre des espaces de concurrence pour les travailleurs et qui sous couvert de complexité du processus de prise de décision empêche la transparence et in fine le contrôle démocratique par les citoyens européens. Comment a-­‐t-­‐on pu en arriver là ? Comment les socialistes qui portaient un projet de paix et de prospérité ont-­‐ils pu se fourvoyer, et continuent à le faire sous prétexte que « l’Europe sociale, c’est pour bientôt » ? Les socialistes doivent toujours promouvoir une grande vision de l’Europe des peuples en portant leurs valeurs de gauche. C’est ainsi qu’ils doivent refuser l’austérité qui n’est que la traduction du dogmatisme économique néolibéral dans le réel, et doivent proposer une économie européenne stimulée qui a pour objectifs principaux le plein-­‐emploi et le développement durable. Ils doivent refuser le dumping social et les tentatives déguisées de liquider les acquis sociaux construits tout au long du XXe siècle, et affirmer que le progrès social et le progrès économique s’alimentent mutuellement. Ils doivent dire non à une Europe de la complexité et du flou dans la prise de décision, car dans une communauté politique où le citoyen ne voit pas comment la décision est prise, il ne peut être, à juste titre, que soupçonneux et méfiant à l’égard de celle-­‐ci. C’est donc en revenant à leurs idéaux de démocratie, de justice sociale et de développement durable que les socialistes pourront trouver l’inspiration pour proposer enfin un véritable modèle européen alternatif. Refuser l’austérité, vouloir une économie européenne juste et forte Après avoir inventé la science économique moderne, avec des penseurs aussi divers qu’Adam Smith, Karl Marx ou John Maynard Keynes, les Européens appliquent aujourd’hui un ersatz de programme économique au rabais. Pire encore, cette doctrine inspiré par les écoles monétariste et de Chicago et mise en pratique par les gouvernements de Margaret Thatcher au Royaume-­‐Uni et Ronald Reagan aux Etats-­‐Unis est ardemment critiqué par les économistes, qui s’acharnent à démontrer son inefficacité et son ineptie. La réduction des déficits publics en temps de crise, le détricotage des stabilisateurs sociaux et les coups de canifs dans les services publics directement facteurs de productivité et de croissance économique à long terme (recherche, infrastructure, santé et éducation) sont autant de politiques dictées par le « bon sens » qui ne voit pas plus loin que le bout de son année fiscale. C’est ainsi que l’Europe inscrit depuis les années 1990 la « rigueur budgétaire » dans son droit. Le traité de Maastricht posait déjà les critères pour une économie « saine » dans la zone euro, avec un déficit public en dessous de 3% du PIB et une dette inférieure à 60% du PIB, critères dont les principaux pays se sont bien moqués pendant longtemps. Le Pacte de stabilité et de croissance adopté en 1996 rajoutait un faux volet coercitif avec la surveillance multilatérale et la procédure des déficits excessifs. En 2002, la Commission et le Conseil refusèrent d’exécuter cette procédure à l’encontre de… l’Allemagne. Les « Six-­‐Pack », « Two-­‐Pack » et « TSCG » vinrent s’ajouter à la longue liste des noms imprononçables mais dangereux comme des produits d’entretien. C’est désormais le déficit structurel qui se doit d’être cantonné en dessous de 0,5% du PIB, avec un mécanisme de contrôle par la Commission des budgets nationaux lors de leurs élaborations. Les Etats de la zone euro s’étaient ainsi privés de la politique budgétaire, premier levier d’action sur l’économie, mais aussi de la politique monétaire qui constitue le principal autre outil et dont la combinaison optimale (policy mix) doit permettre une bonne gestion de l’économie. Ainsi en rendant la Banque centrale européenne indépendante, l’Europe confiait à une institution sans contrôle politique le soin de conduire la zone euro, avec pour seul objectif la stabilité des prix. Une inflation en-­‐dessous mais proche de 2%, et pas de rachat de dettes publiques, c’est l’horizon de court, moyen et long terme des économies européennes. C’est ainsi que l’Europe, première puissance commerciale, s’est privée des outils pour relancer son économie. Mieux, elle réprime désormais les Etats qui cherchent à se défaire de ces carcans, comme les Etats du sud et désormais de la France. Il est donc sidérant que des socialistes aient porté les politiques qui ont conduit à la création des traités, règles et institutions susmentionnées. Il est tout aussi alarmant de voir que rien n’est proposé, comme si « plus rien ne pouvait être fait », qu’il n’y avait « plus d’alternative ». Il existe toutefois des moyens, comme le prêt indirect aux Etats, qui n’est pas interdit par les statuts de la BCE. Il est également permis de désobéir aux règles budgétaires, lorsque cette désobéissance se fait dans l’intérêt général. C’est ainsi que la France et l’Allemagne ont désobéi au début des années 2000 en refusant de se soumettre aux exigences des critères de Maastricht. Les socialistes doivent donc refuser le dogmatisme de l’austérité et promouvoir une sortie de la catastrophe économique, avant qu’il ne soit trop tard. Refuser le dumping social, vouloir une Europe protectrice des travailleurs L’ « Europe sociale » est ce terme fourre-­‐tout dans lequel les gauches placent leurs espérances de voir enfin les institutions de l’Union européenne se saisir des enjeux de protection sociale et de droit du travail et des travailleurs avec la même énergie qu’elles ont mis à ouvrir à la concurrence des pans entiers des économies nationales. Force est de constater que les 28 pays de l’Union européenne présentent des modèles de protection sociale si différents les uns des autres qu’il est impossible de les réguler via un cadre juridique européen unique. Or la volonté citoyenne d’une Europe qui protège les Européens se heurte au dogmatisme économique déjà mentionné quand il se retrouve appliqué brutalement à la question du marché du travail. Sous prétexte d’une flexibilisation du droit du travail qui entraînerait (forcément) plus de créations d’emploi, les institutions européennes ont cherché à s’en prendre au « code du travail » et autres symboles d’une tyrannie des salariés payés au SMIC voire sous-­‐payés qui imposent leur diktat au patronat. C’est ainsi que la directive Services dite Bolkestein de 2006 prévoyait à l’origine le principe du « pays d’origine », permettant aux salariés des pays européens à « bas coûts » de travailler en France en gardant leur régime social de leurs pays. En pensant aider les pays de l’Europe de l’Est et leurs travailleurs, les institutions européennes ont créé de fait une tentation de nivellement par le bas des droits, sous-­‐tendu par l’idée que le moins-­‐disant social permettrait enfin de réaliser un grand marché unique aux protections sociales aussi minimales que possible. Le projet suscita l’ire des opinions publiques, notamment lors du débat sur la « constitution européenne » de 2005. Les socialistes ont tendance à ajourner en permanence le débat sur la sanctuarisation des droits sociaux au niveau européen. La politique sociale de l’Union européenne se cantonne à l’objectif du plein-­‐emploi (contre lequel joue ses recommandations économiques austéritaires), la libre circulation des travailleurs et la coordination des régimes de protection sociale, le droit du travail et la lutte contre les discriminations. Si ces chantiers sont importants, il n’en demeure pas moins que les autres domaines, et notamment les prestations sociales, relèvent des Etats-­‐membres, tandis que les institutions européennes font pression sur ceux-­‐ci pour les réduire sous prétexte de disette budgétaire. C’est pourquoi nous devons affirmer que le modèle social que nous promouvons est basé sur des cotisations sociales certes coûteuses mais utiles, garantissant à l’ensemble des citoyens un accès aux soins, à une pension de retraite, à des indemnités chômage, c’est-­‐à-­‐dire à autant de mécanismes d’assurance contre les risques sociaux qui fondent notre citoyenneté sociale. Celle-­‐ci ne saurait être bradé au nom de gains illusoires de compétitivité. Des institutions européennes loin de la démocratie En 2005, Jacques Chirac propose aux Français de se prononcer sur le traité établissant une constitution pour l’Europe. Le gouvernement envoie alors aux 42 millions d’électeurs le fascicule du traité avec toutes ses annexes, ainsi qu’un exposé des motifs simpliste. On demandait naturellement aux Français de choisir l’avenir de l’Europe en toute connaissance de cause avec un document d’une centaine de pages avec 448 articles et encore plus d’alinéas répartis en titres, chapitres, sections et sous-­‐sections, et des provisions sur l’application du traité dans les îles Féroé ou encore les bases britanniques à Chypre sous réserve des dispositions du protocole spécifique… Comment les citoyens peuvent-­‐ils se faire l’idée du projet politique qu’on leur propose en leur envoyant un document brut ? Tout le monde n’est pas juriste ! Selon cette logique, il aurait été justifié d’envoyer le traité dans chacune des 21 langues officielles d’alors pour que les citoyens comparent ! On ne peut demander à ce qu’un citoyen s’intéresse à l’Europe lorsque l’Europe que l’on lui propose est aussi peu compréhensible. Aujourd’hui, combien de nos concitoyens distinguent le Conseil européen du Conseil de l’Union européenne ? Combien savent ce qu’est la majorité qualifiée, qui associe nombre de pays, pondération des votes et population ? La simplicité n’est pas gage de stupidité, bien au contraire : une Europe claire et lisible est aujourd’hui nécessaire pour qu’elle remporte l’adhésion des citoyens. C’est aux socialistes de faire un travail de pédagogie, en parlant de ce que fait l’Europe au quotidien, comment elle affecte les citoyens, afin de pouvoir ensuite montrer ses dysfonctionnements et comment il faut la réformer : il faut rendre le citoyen concerné par l’Europe. C’est ce que nous tentons à chaque fois de faire pendant les campagnes pour les élections européennes, manifestement sans grand succès. Nous socialistes français et européens devons également lancer une réflexion sur un traité réorganisant les institutions européennes pour rendre sa prise de décision plus facile, plus transparence et plus démocratique. 
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