Ministère de la Culture Centre National de Recherches en Préhistoriques, Anthropologiques et Histoiriques Deuxième Festival Culturel Panafricain Colloque International des Anthropologues Africains Alger, du 1 er au 4 juillet 2009 P En hommage à : P Jomo KENYATTA (1893-1978) Ahmadou Hampaté BA (1900-1991) Mouloud MAMMERI (1917-1989) Cheikh Anta DIOP (1923-1986) Argumentaire U Le concept d’anthropologie a été substitué au terme ethnologie à la suite du procès intenté à la seconde par les chercheurs pendant et après les décolonisations. C’est que l’ethnographie s’est construite sur le présupposé européocentrique qui considérait les peuples d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques comme non seulement différents des Européens, mais inférieurs en ce sens que le Blanc, héritier des patrimoines grécolatin et judéo-chrétien, détenait la Civilisation, tandis que les groupes humains « exotiques » possédaient des cultures rudimentaires. L’étude des populations des quatre continents était le monopole des savants, chroniqueurs, officiers et autres esprits curieux du Vieux Continent. L’ethnographie triomphante de la seconde moitié du XlX° siècle posait même comme axiome de sa réflexion que les peuples « primitifs » n’avaient pas évolué et par conséquent étaient a-historiques. Ce qui permettait, en les observant, de photographier, croyait-on, l’état premier de l’humanité. A cet égard, le continent africain a été un terrain d’expérimentation de prédilection pour l’ethnologie puisque la géographie offrait à la recherche européenne une proximité spatiale inespérée et la richesse des cultures africaines ouvrait l’abondance et la variété d’ethnies et de cultures accessibles. Il faudra attendre la montée des nationalismes dans ce qui sera appelé « le Tiers-monde » pour voir s’achever l’ère coloniale et émerger des élites intellectuelles susceptibles d’engager une reflexion sur leurs propres cultures prolongeant ainsi des savoirs accumulés au sein des population africaines. C’est contre cette approche que les chercheurs des nations décolonisés réagirent avec plus ou moins de vivacité et de méthode. C’est que se dégager du carcan subjectif d’une discipline construite dans une situation historique donnée est une chose, forger des instruments plus fiables pour analyser sa propre culture en est une autre. Deux attitudes scientifiques africaines sont apparues en réaction à l’acculturation coloniale dans laquelle l’ethnologie a trouvé un champ d’étude privilégié. Dans les pays ex-colonies françaises, le Sénégal s’est distingué par l’apparition de chercheurs autour de Senghor et Césaire dont l’attention a été focalisée sur le concept de négritude qui s’arc-boute sur le désir de réappropriation et de désenclavement de sa propre culture avec ses traits propres. Dans les nations occupées par la Grande-Bretagne, Jomo Kenyatta a exprimé le refus de l’Africain d’être traité uniquement comme objet d’étude et non également comme acteur intellectuel réfléchissant sur sa propre culture. Cheikh Anta Diop, Hampaté Ba, Jomo Kenyatta et Mouloud Mammeri ont marqué l’essor de l’anthropologie africaine qui se penche sur son passé et son présent. Ils iront sonder les profondeurs de la culture africaine pour en retrouver les racines dans l’Egypte pharaonique et dans la préhistoire. Ils ont contribué à disqualifier la théorie ethnocentrique de la suprématie culturelle puisqu’on découvre que les expressions culturelles multiples de l’Afrique sont plus anciennes que le paradigme «civilisationnel » exporté par l’Europe. Les études anthropologiques européennes sur les cultures africaines ont vu émerger une école, celle des « Africanistes ». Qu’ils soient anglo-saxons ou originaires de l’Arc latin, ils focaliseront leur attention sur les nations africaines qui furent les colonies de leurs propres pays. Ce qui n’exclut pas des « incursions » françaises dans le champ anglophone du continent noir ou l’intérêt qu’ont pu porter des anthropologues anglais (comme Gellner par exemple) au phénomène religieux dans les montagnes berbères du Maroc. C’est donc tout naturellement et légitimement que le Colloque des Anthropologues organisé dans le cadre du second Festival Culturel Panafricain est dédié à ces quatre anthropologues africains novateurs et précurseurs que furent Cheikh Anta Diop, Hampaté Ba, Jomo Kenyatta et mouloud Mammeri. Le mérite de ces pionniers fut d’autant plus grand qu’ils ne furent pas associés par les anthropologues européens de leur temps à la gestion des supports scientifiques qui ont permis à l’anthropologie africaine de naître et de se développer. Ainsi la Revue africaine, l’American Anthropologist, la Revue de l’IRS, les Bulletins et Mémoires de la Société d’Anthropologie de Paris, la Revue de la Société des Africanistes, le Bulletin de l’IFAN, la Revue Préhistoire et Anthropologie Méditerranéennes, les Cahiers d’Etudes Africaines, Libyca, Africa und Ubersee etc…furent-ils par destination originelle des outils offerts aux chercheurs européens et nordaméricains. Il faudra attendre la seconde moitié du vingtième siècle pour que s’annonce timidement l’ouverture des publications scientifiques du Nord aux anthropologues africains. Ainsi, par exemple, Mouloud Mammeri publiera-t-il son premier article dans la Revue Africaine en 1950. Il faudra attendre l’organisation de grands carrefours scientifiques par les Africains et en terre africaine pour que soit stimulée la recherche anthropologique africaine. Pour ne parler que de ceux qui se sont tenus à Alger, on peut évoquer trois rencontres scientifiques qui méritent d’être rappelées pour le retentissement qu’elles ont eu non seulement en Afrique mais au-delà. En juillet 1969, le Symposium sur la culture africaine organisé à Alger à l’occasion du Premier festival Culturel Panafricain a permis à l’ anthropologie africaine de s’affirmer en confrontant en des débats d’un haut niveau intellectuel les travaux de ses chercheurs appartenant aux universités et centres de recherche de plus de quarante pays africains. En mars 1974, le XXIV e congrès international de sociologie qui s’est tenu à Alger a rassemblé près de trois cents sociologues et anthropologues venus de près de soixante pays. Les chercheurs et enseignants anthropologues africains ont trouvé là une formidable opportunité pour des échanges féconds avec les anthropologues européens, arabes, asiatiques et sud-américains (cf Actes du XXlV° Congrès International de Sociologie, OPU, Alger, 1977). Enfin, en 1989, le colloque sur l’oralité africaine a révélé la maturité de l’anthropologie africaine (cf Actes du Colloque International sur l’oralité africaine, CNEH, Alger, 1989). P P Nous avons aujourd’hui une génération d’anthropologues africains qui a succédé à celle des médiateurs-fondateurs que furent les hommes de science auxquels le colloque qui nous occupe est dédié. Une génération formée dans les grandes universités françaises et anglo-saxonnes qui, non seulement a capitalisé au plan notionnel au même titre que leurs collègues du Nord, mais a entrepris de revisiter pour les analyser et les adapter, les méthodologies construites pour et par l’anthropologie européenne en vue d’étudier les sociétés africaines. Délestée des scories ethnologiques orientées et contingentes, l’anthropologie africaine s’affirme comme une discipline objective ayant pour seule préoccupation l’objectivité. Défricher un terrain aussi riche qu’ancien et contribuer à expliquer ce faisant les évolutions et les situations sociales et culturelles de l’Afrique en elle-même et par rapport à son environnement, assurer la formation des élites africaines appelées à prendre la relève, contribuer à l’essor de la discipline anthropologique à l’échelle internationale : telles sont quelques unes des tâches exaltantes d’une anthropologie africaine en plein développement. Les anthropologues africains qui se comptent par centaines à travers le monde en ce début de troisième millénaire travaillent soit au sein des institutions universitaires et des centres de recherche africains ou bien oeuvrent dans le cadre des structures de recherche européennes et américaines. Le Second Festival Culturel Panafricain qui se tiendra à Alger en juillet 2009 leur permettra de se rencontrer dans le cadre du Colloque des Anthropologues Africains pour échanger leurs expériences, engager ensemble une réflexion majeure sur l’état et les promesses de l’anthropologie en Afrique, les possibilités de coopération culturelle et scientifique entre les anthropologues des différents Etats africains. Dans cette perspective, ils pourraient décider l’organisation d’un congrès annuel des anthropologues africains qui se tiendrait alternativement dans une capitale africaine. De même, ils pourraient décider la création d’une structure africaine de recherche ouverte et plurielle accessible aux anthropologues du Continent. Dans la lancée, le colloque des Anthropologues Africains de juillet 2009 serait avisé de lancer des supports destinés à stimuler la recherche anthropologique, notamment une revue africaine d’anthropologie à résonance continentale. L’anthropologie contemporaine, tirant les leçons des fourvoiements dans lesquels ses liens objectifs avec la domination coloniale l’avaient conduite s’est efforcée de se doter d’une base épistémologique plus solide en procédant en particulier à un élargissement important de ses domaines de recherche et de ses objets d’étude. Ainsi, l’analyse anthropologique n’applique plus ses méthodes aux seuls groupements humains restés peu ou prou extérieurs à la culture occidentale mais aussi à des systèmes d’interrelation et d’organisation sociale et écologique appartenant aux sociétés dites développées. Il devient ainsi possible de prendre part à la formation d’une anthropologie comparée susceptible de contribuer à exorciser et à dépasser les démons de l’ethnologie instrumentalisée et évolutionniste qui a longtemps prévalu. Le développement de l’anthropologie en Afrique a en outre vocation à s’opposer à la tendance à l’uniformisation culturelle qu’implique la mondialisation en montrant la diversité et la richesse des cultures et des langues africaines. Les rédacteurs du présent argumentaire n’ont pas été animés par le souci de produire un texte doctrinaire pointu destiné à faire le point sur une ou des questions particulières de l’anthropologie africaine. Il s’est agi pour nous de rassembler dans un premier temps des chercheurs pour faire connaître l’état d’avancement de la recherche scientifique en train de se faire à partir des jalons posés par les pionniers dans les contextes qui ont été les leurs. A l’échelle du continent, le challenge à relever était pour nous de mettre en exergue des faits saillants mis au point par l’anthropologie africaine sur les cultures africaines. A charge pour les futures éditions de cibler des questionnements plus ramassés et de rassembler d’avantage de compétences africaines dans le domaine. Cette première édition veut fonder une approche continentale dont l’exercice continu et l’acuité s’affirmeraient au fil des rencontres à venir. CNRPAH, le 01.03.2009 …