LA PROFESSION MÉDICALE ET LE FINANCEMENT À L’ACTIVITÉ LA QUALITÉ, D’ABORD ET AVANT TOUT Association médicale du Québec Le 14 janvier 2013 La profession médicale et le financement à l’activité : La qualité, d’abord et avant tout Préambule Le changement dans la méthode d’allocation des budgets que constitue le financement à l’activité (FAA) n’est pas qu’un simple ajustement administratif. La nouvelle façon de faire risque en effet d’avoir des impacts importants sur la pratique clinique, notamment sur les choix professionnels auxquels sont confrontés les médecins dans leur pratique quotidienne. La finalité première du FAA est d’abord d’assurer une plus grande équité dans le financement des établissements de santé. Cependant, l’AMQ est d’avis que de façon plus large, l’introduction de ce nouveau mode d’allocation des ressources devrait se traduire par l’amélioration de l’accessibilité aux services, en proposant aux établissements un financement basé sur leur production de services, tout en récompensant la qualité et la valeur ajoutée des services offerts plutôt que le volume d’activités. La littérature sur les avantages et les inconvénients du financement à l’activité est abondante et plusieurs organisations ont documenté ses divers impacts. L’objectif du présent document n’est donc pas de dupliquer les recherches existantes, mais bien de faire ressortir la nécessité de mettre les médecins à contribution dès le tout début du processus d’implantation de cette nouvelle méthode d’allocation des ressources. Pour ce faire, nous aborderons les différentes facettes de la pratique professionnelle, prise au sens large du terme, qui risquent fort d’être touchées par l’implantation du financement à l’activité, incluant l’autonomie professionnelle. En bout de piste, on se rendra compte qu’il est indispensable de 1 ne jamais perdre de vue que c’est la qualité des services aux patients qui doit demeurer la pierre angulaire de toute notre réflexion sur la nouvelle méthode de financement envisagée. 2 Le tandem médecin/gestionnaire De plus en plus, les experts s’entendent sur le fait qu’une gestion efficace des services de santé repose en partie sur une bonne collaboration entre les gestionnaires et les équipes médicales. Le défi est de concilier les objectifs de résultats des gestionnaires (ex. : respect du budget) aux objectifs des médecins (ex. : meilleur traitement pour le patient), étant compris par là que les objectifs des médecins sont des objectifs de moyens et non de résultats, selon la tradition déontologique. Plusieurs événements, au cours des dernières décennies, ont modifié le rôle joué par les médecins dans la gouvernance du système de santé. Après avoir été écartés presque systématiquement des postes de commande, on assiste, depuis quelques années, à un retour du balancier : les médecins peuvent et doivent jour un rôle accru pour influencer l’organisation des soins et être partie prenante des principales décisions qui auront impact sur les services à la population. L’exercice de ce leadership est bénéfique pour les organisations. En effet, plusieurs recherches démontrent qu’un leadership clinique efficace se traduit par une amélioration de la performance des organisations de la santé (Mountford et Webb, 2009). Une étude récente de McKinsey et du London School of Economics suggère que les hôpitaux faisant appel à une plus grande participation des médecins dans la gestion enregistrent des indicateurs de performance significativement plus élevés que ceux au leadership clinique faible (Castro et al., 2008). Une étude réalisée en Grande-Bretagne démontre que, dans le cadre d’initiatives visant l’amélioration des services, les organisations comptant sur un leadership clinique fort ont connu plus de succès (NHS, 2006). Une autre étude britannique 3 a démontré que les organisations les plus performantes étaient celles qui avaient favorisé la participation active des cliniciens dans les efforts de résolution de problèmes (ARMC et NHS, 2007). Dans cette optique, des changements structurants et fondamentaux qui ont cours dans l’organisation des services cliniques d’un établissement de santé doivent impérativement être effectués en étroite collaboration avec les médecins. Recommandation 1 – QUE le groupe d’experts recommande au gouvernement la mise en place d’un groupe de travail spécifiquement mandaté pour identifier et mesurer les impacts du financement à l’activité sur la pratique clinique. L’intérêt de la profession médicale à l’égard du financement à l’activité La qualité des services Il est impératif de mettre en place des mécanismes qui feront en sorte que les éventuels gains d’efficacité ne se réalisent pas au détriment de la qualité. L’implantation du financement à l’activité (FAA) doit donc s’accompagner d’un programme rigoureux de monitorage et d’amélioration continue de la qualité. Cette initiative est d’autant plus indispensable qu’il y a un risque réel de financer des activités cliniques qui ne sont pas dispensées avec une qualité optimale. En d’autres termes, le FAA risque d’entraîner l’effet pervers de récompenser la non qualité, en finançant des activités découlant d’une prestation de services indésirables. À cet égard, les infections nosocomiales et la plupart des complications qui découlent d’activités médicales ou chirurgicales se traduisant par des interventions ou des réhospitalisations peuvent être considérées comme évitables. 4 Quels mécanismes les établissements et le gouvernement mettront-ils en place pour distinguer les complications évitables, de celles qui surviennent à la suite d’une évolution de l’état de santé d’un patient atteint d’une condition (chronique ou aigüe) pour laquelle l’apparition de certaines complications sont bien documentées? On peut penser qu’une complication puisse apparaître comme diagnostic principal alors qu’il s’agit en fait d’une complication évitable apparue en cours d’hospitalisation. Souhaitons-nous que cette complication évitable soit inscrite comme diagnostic principal et, par le fait même, pleinement financée? Comment devrait-on tenir compte, dans les mécanismes de financement, de l’impact de la comorbidité sur le niveau d’intensité des activités cliniques déployées? Dans cette optique, n’y aurait-il pas lieu de mettre en place un système de prédiction de risque rattaché à la comorbidité? Jusqu’à quel point devrait-on prendre en compte les réhospitalisations qui pourraient survenir à la suite de congés hâtifs? Voilà autant de questions qui militent en faveur de la mise en place d’un mécanisme rigoureux de contrôle et d’amélioration de la qualité, en collaboration étroite avec les médecins et les autres professionnels de la santé. Recommandation 2 – QUE la qualité des services et la sécurité des patients soient la pierre angulaire des mécanismes d’implantation du financement à l’activité comme méthode d’allocation des ressources dans le réseau de la santé. 5 La pertinence des actes médicaux La littérature sur le FAA nous apprend que celui-ci peut, dans certaines circonstances, devenir une incitation à traiter des patients dont les traitements coûtent moins cher que le remboursement prévu. En corollaire, il peut aussi constituer une dissuasion de traiter des patients dont les coûts prévus dépassent le remboursement anticipé. Ce danger bien réel de sélection des clientèles en fonction du financement anticipé met en évidence toute la question de la pertinence des actes médicaux. Cette réflexion sur la pertinence des actes ne peut se faire uniquement à des fins administratives, sans la contribution des médecins. La réflexion sur la pertinence des actes médicaux – diagnostiques et thérapeutiques – est indissociable de celle sur la qualité des services. La pertinence comporte en effet deux dimensions : l’à-propos (appropriateness) et le potentiel de changement favorable (potency). Lorsque le taux de complication prédit (inévitable) est atteint pour un groupe de patients, les systèmes d’information devraient pouvoir mettre en lien ces résultats cliniques avec les ressources utilisées et les gestes posés pour obtenir ces résultats. Il faut également tenir compte de certains effets pervers que peut potentiellement entraîner une implantation graduelle du FAA. Nous ne remettons pas en question le caractère graduel de cette implantation, inévitable compte tenu de la complexité de toute l’opération. Cependant, il faut assurer une certaine vigilance pour éviter qu’en raison d’un financement jugé insuffisant, certains patients soient dirigés sans raison médicale valable vers des programmes (ou même des établissements) qui ne sont pas encore assujettis à la nouvelle méthode de budgétisation. 6 L’émulation entre les établissements est certes une composante intéressante qu’on devrait introduire dans les régles de fonctionnement du réseau de la santé. Mais il faut toutefois prendre garde que cette émulation se transforme en compétition malsaine, au détriment de la qualité des services. À cet égard, il faudra tenir compte de l’activité clinique rendue dans le réseau local de santé, hors les murs de l’établissement, par du personnel du CSSS affecté dans les GMF. Il faut éviter de créer une réelle compétition entre les activités cliniques en GMF (par exemple le suivi de la clientèle diabétique) et celles en CSSS (clientèle suivie à la clinique du diabète). L’étendue du territoire du Québec et l’énorme différence dans la concentration des populations urbaines et rurales posent également un défi de taille. La méthode de financement retenue devra nécessairement tenir compte du fait que les gains d’efficience ne peuvent pas être les mêmes dans un grand centre urbain que dans un établissement en région éloignée. Les masses critiques étant différentes, on ne peut pas s’attendre à des niveaux de concentration d’activités cliniques similaires. Par souci d’équité, les mécanismes de financement doivent tenir compte de ces différences. Soulignons enfin que la méthode du FAA, de façon intrinsèque, possède un potentiel inflationniste important. Il est tentant de multiplier les actes médicaux et chirurgicaux en sachant que le financement suivra et que le rationnement n’est plus une technique de gestion. Dans un système où l’offre est par définition limitée et la demande ouverte et aléatoire, il est assez évident que le rationnement ne disparaîtra pas. Il changera simplement de forme. Pour éviter une explosion des activités cliniques et des coûts qui y sont associés, il faudra procéder à une planification des services très rigoureuse, basée sur une réponse adéquate aux besoins de la population. 7 Recommandation 3 –QUE les mécanismes de financement à l’activité reflètent les différences de localisation géographique, de taille et de mission des établissements qui en bénéficieront et tiennent compte du profil démographique des clientèles et de la complexité des cas. Recommandation 4 – QUE le groupe d’experts nommés par le gouvernement reconnaisse clairement la nécessité de procéder à une planification rigoureuse des services, en étroite collaboration avec les médecins. La classification des maladies L’un des bienfaits anticipés du FAA est sans doute l’acquisition et le développement des systèmes d’information qui constitueront des outils extrêmement précieux pour la mesure de la performance et pour l’allocation des ressources. On peut tout de suite se demander si le réseau québécois de la santé et des services sociaux possède l’infrastructure informationnelle qui permettra d’arriver à un tel résultat. Nous laisserons à d’autres le soin de débattre de cette question. Notre impression est à l’effet que les établissements vont devoir migrer vers une gestion par coût de revient des épisodes de soins, en lien avec la qualité des résultats obtenus, ce qui est pour l’instant inexistant. Notre propos vise la participation indispensable des médecins à tous les processus médico-administratifs entourant la collecte et la gestion des informations cliniques qui serviront aux regroupements de cas, diagnosis-related groups (DRG) ou autres. 8 On peut imaginer que la structure de paiement engendrée par le FAA soit extrêmement complexe. Il y a un risque potentiel de classer de façon inadéquate les épisodes de soins ou les activités, soit parce que l’information de nature clinique est incomplète, soit parce que la complexité des cas a été mal évaluée. Nous sommes d’avis que le FAA devrait prévoir aussi des incitatifs financiers pour des activités… qui ont été évitées. Ainsi, un établissement investissant dans des mesures pour éviter des réadmissions ou le recours des civières à l’urgence pour des clientèles de grands utilisateurs, devrait pouvoir se faire créditer un montant convenu d’avance pour les gains d’efficience ainsi obtenus. Recommandation 5 – QUE le groupe d’experts nommés par le gouvernement reconnaisse clairement la contribution indispensable des médecins au processus de collecte et de gestion des informations à caractère clinique. L’autonomie professionnelle Nous avons mentionné plus haut le potentiel inflationniste du FAA. C’est vrai quant au volume d’activités, mais c’est également un risque en ce qui a trait à l’intensité des interventions cliniques. Augmenter cette intensité, même de façon non justifiée, aurait un impact sur le financement. Loin de nous l’idée de faire un procès d’intention à qui que ce soit. Mais on peut facilement imaginer que les médecins puissent être tentés d’augmenter l’intensité des interventions si le financement qui en découle leur permet d’augmenter leurs volumes d’activités. L’encouragement à traiter les patients plus intensivement peut même venir, plus ou moins implicitement, des administrations des établissements. 9 Le FAA constitue également une incitation à la concentration des interventions, ce qui permet théoriquement une plus grande efficience et, partant, des économies sur le plan financier. Toutes ces considérations mettent évidemment en relief la nécessité pour les médecins de collaborer activement aux objectifs des établissements en matière de performance clinique, tout en préservant leur autonomie professionnelle. L’incitation à la concentration des interventions, en particulier, doit être abordée avec beaucoup de vigilance. La décision de concentrer certaines activités cliniques en est une éminemment professionnelle et doit se faire à l’abri de toute ingérence de la part des administrations d’établissements. La pertinence de l’acte sur le plan médical doit l’emporter sur toute autre considération. Recommandation 6 – QUE le groupe d’experts reconnaisse le principe de l’autonomie professionnelle des médecins et l’importance de la cogestion médico-administrative dans le but d’assurer l’atteinte des objectifs organisationnels de l’établissement. L’introduction d’incitatifs liés à la qualité et à l’accessibilité Bien qu’il s’agisse d’enjeux distincts, le financement à l’activité et la rémunération au rendement (RR) des médecins sont des concepts étroitement reliés. La RR vise d’abord à améliorer la qualité des soins en offrant des incitatifs appropriés. Ces incitatifs sont essentiellement des primes versées aux médecins pour l’atteinte de certaines cibles quantifiables, applicables à des catégories de patients bien ciblées, à l’intérieur d’intervalles de temps pré-établis. 10 Dans cette optique, la RR est particulièrement intéressante pour les soins de première ligne et pour la prévention et la gestion des maladies chroniques. Par exemple, on peut penser à un paiement incitatif à la prévention pour les médecins de famille, afin qu’ils gèrent les risques et établissent des plans d’action pour certaines catégories de patients. Et quel est le lien entre la rémunération au rendement et le financement à l’activité? Il est bien ténu en fait. Ce qu’il convient de reconnaître, c’est que les modes de rémunération des professionnels et le mode de financement des établissements risquent parfois d’entraîner une certaine incohérence en introduisant des incitatifs contradictoires. Par exemple, le budget global incite fortement au rationnement des services afin de respecter l’enveloppe budgétaire consentie, tandis que la rémunération à l’acte est un incitatif à la multiplication des actes médicaux. Bien sûr, l’introduction du financement à l’activité peut contribuer à atténuer ces contradictions. Mais présentement, ni le financement à l’activité, ni la rémunération à l’acte ne favorisent de façon intrinsèque l’amélioration de la qualité. Il faudra donc amorcer une réflexion en profondeur et proposer des incitatifs, mieux adaptées non seulement au financement à l’activité, mais également aux besoins changeants de la population. Des incitatifs qui pourraient être liés à l’atteinte d’objectifs de qualité et d’accessibilité. Recommandation 7 – QUE le groupe d’experts sur le financement à l’activité se penche sur les mécanismes qui permettraient l’introduction d’incitatifs liés à l’atteinte d’objectifs de qualité et d’accessibilité. 11 Le rôle des médecins dans le processus d’implantation du financement à l’activité Puisque le groupe d’experts mandaté par le gouvernement doit émettre des recommandations et identifier les modalités et les conditions de mise en œuvre du financement à l’activité, il peut jouer un rôle-clé en proposant d’associer les médecins à toute la démarche d’implantation. L’Association médicale du Québec est fermement convaincue que c’est d’abord sur le plan local que les médecins peuvent et doivent exercer leur leadership dans l’implantation du financement à l’activité. Ils doivent être très étroitement associés à tout le processus et ce, dès le début des travaux, afin de bien en comprendre la finalité. Mais le gouvernement a la responsabilité de tracer une direction claire, afin que les conditions environnementales permettent l’exercice de ce leadership sur le plan local. Les travaux du groupe d’experts peuvent contribuer à soutenir l’implication des médecins dans l’implantation de ce nouveau mode de financement. 12 Liste des recommandations QUE le groupe d’experts recommande au gouvernement la mise en place d’un groupe de travail spécifiquement mandaté pour identifier et mesurer les impacts du financement à l’activité sur la pratique clinique. QUE la qualité des services et la sécurité des patients soient la pierre angulaire des mécanismes d’implantation du financement à l’activité comme méthode d’allocation des ressources dans le réseau de la santé. QUE les mécanismes de financement à l’activité reflètent les différences de localisation géographique, de taille et de mission des établissements qui en bénéficieront et tiennent compte du profil démographique des clientèles et de la complexité des cas. QUE le groupe d’experts nommés par le gouvernement reconnaisse clairement la nécessité de procéder à une planification rigoureuse des services, en étroite collaboration avec les médecins. QUE le groupe d’experts nommés par le gouvernement reconnaisse clairement la contribution indispensable des médecins au processus de collecte et de gestion des informations à caractère clinique. QUE le groupe d’experts reconnaisse le principe de l’autonomie professionnelle des médecins et l’importance de la cogestion médico-administrative dans le but d’assurer l’atteinte des objectifs organisationnels de l’établissement. QUE le groupe d’experts sur le financement à l’activité se penche sur les mécanismes qui permettraient l’introduction d’incitatifs liés à l’atteinte d’objectifs de qualité et d’accessibilité. 13 Références Academy of Royal Medical Colleges and NHS Institute. Enhancing Engagement in Clinical Leadership, 2007 Association médicale canadienne, Patient-Focused Funding and Pay-forPerformance : A Discussion of the Concepts and Experience, juillet 2007. Association québécoise d’établissements de santé et de services sociaux, Allocation des ressources aux établissements de santé et de services sociaux : pistes et balises pour implanter le financement à l’activité, février 2012. British-Columbia Medical Association, Policy Statement : Activity-Based Funding, August 2011. Castro, Pedro J., Dorgan, Stephen, J., Richardson, B., A Healthier Health Care System for the United Kingdom. mckinsleyquaterly.com, Feb. 2008. Institut canadien d’information sur la santé, Introduction au financement fondé sur les activités, octobre 2010. Mountford, J., Webb, C. When clinicians lead. The McKinsley Quarterly, Feb. 2009. National Co-ordinating Centre for NHS Service Delivery and Organisation, Managing Change and Role Enactment in the Professionalised Organisation, 2006. 14