LE PRENDRE SOIN ET L’ACCOMPAGNEMENT DU PATIENT EN ETAT VEGETATIF CHRONIQUE INTERPELLENT… Les unités d’accueil de la Fondation Diaconesses de Reuilly ont partagé leurs expériences à propos des spécificités liées au prendre soin des patients en état végétatif chronique et en état pauci relationnel. Les difficultés rencontrées dans la relation soignant-soigné conduisent plus largement à une réflexion sur le sens du soin. Les remarques des professionnels confrontés à ces situations soulignent l’implication, le questionnement et la réflexion sur la pratique et l’exercice de chaque métier. La présence auprès de l’autre est une relation de confiance plus indispensable que jamais car la gravité de leur état sépare, isole et modifie voire compromet la vie relationnelle. Il y a fragilisation des liens d’humanité et du rapport au monde. Pour les soignants, la prise en compte de la fragilisation dissipe leurs certitudes et les expose au doute profond. Les professionnels sont ainsi sollicités dans leur engagement au-delà des conventions habituelles. C’est dans les suites de ces réflexions issues du quotidien des professionnels que le Comité d’Ethique a été sollicité : « Qu’est-ce qu’un individu en état végétatif chronique ? – « Que veut le patient ? » - « Comment sait-on qu’il est « confortable » ? ». Sans prétendre vouloir répondre à ces questions, La Fondation souhaite témoigner de son expérience du prendre soin des personnes en état végétatif chronique pour contribuer au débat national. PREAMBULE La personne en état végétatif chronique ou en état pauci relationnel place professionnels, accompagnants et proches dans une situation limite. Le regard posé sur la déficience massive sollicite attention et responsabilité de la part d’une équipe pluridisciplinaire. Ce qui conduit chacun des membres de l’équipe à reconnaitre ces personnes dans leur spécificité pour les soigner en conséquence. Les personnes en état végétatif vivent l’excès de leur vulnérabilité dans l’isolement et la dépendance. Aux atteintes massives de la communication - incapacité de demander ou de répondre aux soins qui leurs sont prodigués - il faut ajouter celle de leur impossibilité à vivre seules et sans soins. Ces déficiences peuvent entrainer un risque d’épuisement pour les équipes et l’entourage. L’incapacité du patient à valider les soins reçus peut être parfois source de frustration pour les soignants. Pourtant, garder une posture ouverte reste nécessaire afin d’accueillir tout signe, même irrationnel, qui pourrait être signe d’espoir. 1 Je t’accueille : Qui es-tu ? Comment accueillir, maintenir et promouvoir la dignité de la personne en état végétatif chronique ? La spécificité qui semble la plus marquante est l’absence d’accès à la conscience : incapacité du patient à communiquer et donc à exprimer son ressenti sur les soins reçus. L’intention du soignant est-elle légitime pour pallier cette incapacité ? Il restera toujours un espace inaccessible quant au vécu des personnes dans l’incapacité de communiquer verbalement. Les interprétations des signes rassurent les professionnels car elles donnent une réponse partielle aux différentes questions qu’ils se posent. Qu’elles soient justes ou non, fondées ou pas, réelles ou imaginaires, elles existent et constituent une relation d’altérité même hésitante. Sans nier l’importance de la nécessité de l’objectivation dans la relation soignante en général, il s’agit dans cette situation particulière d’accueillir aussi la part de subjectivité humaine que les professionnels expriment. Comment faire pour « bien faire » ? La question éthique se pose aux soignants. Il est nécessaire de rassurer les soignants qui prennent le risque de se tromper dans leur interprétation, quand ils s’appuient sur une dynamique de travail pluridisciplinaire, visant à la pertinence de la prise en charge toujours en devenir. Mais il est aussi nécessaire de travailler à accepter l’idée que, ce que le soignant pense être bon puisse ne pas être vécu comme tel par le patient. « Qui es-tu ? Tu es qui je regarde. » Je doute et me questionne : Qu’attends-tu de moi ? Le doute et le questionnement ponctuent les réflexions du soin au quotidien, et plus généralement dans la société, dans la place qu’elle fait à des valeurs comme la dignité, le respect et la solidarité. Dans le soin auprès des personnes en état végétatif chronique, il s’agit pour chaque professionnel de se confronter à la solitude d’un geste impliquant plus qu’ailleurs sa responsabilité et en même temps le doute, car la personne soignée ne peut pas répondre. On peut distinguer un double questionnement qui alimente ce doute permanent : d’une part une interrogation relative à la quantité de soins donnés à la personne « En fait-on assez ? – N’en fait-on pas trop ? », D’autre part une question quant à la qualité des soins prodigués « Est-ce que je fais bien ? Est-ce qu’il apprécie le soin ? Est-ce un soin dont il a réellement envie ? Est-ce que ce soin lui fait du bien ? » Toutefois la capacité de certains patients à pouvoir mettre en place une communication, aussi infime soit-elle, modifie la posture soignante. Cela peut encourager l’équipe à adopter une attitude positive constructive plutôt que de considérer le patient uniquement en termes de déficience. La place prise – ou non - par la famille et l’entourage peut aussi questionner. Si la famille est présente elle est un acteur incontournable dans le prendre soin, mais doit-on pour autant lui 2 reconnaitre un rôle de décideur ? Quelle est la place et le rôle du tuteur éventuel ?... De ce fait se pose la question de la construction d’un projet personnalisé : est-ce réellement le projet que le patient souhaite ? Ou est-ce celui que la famille désire ? Il ne faut pas sous estimer le risque d’infantilisation. Connaître l’histoire de la personne est important dès l’admission : Qui était le patient avant l’accident ? Quels étaient ses goûts, sa personnalité, ses centres d’intérêts… Connaître et comprendre ce que la personne a été peut aider à présupposer ce qu’elle peut vivre aujourd’hui, dans sa situation : confrontée au regard des autres, en dépendance complète, son corps livré aux professionnels, ses décisions prises par autrui ... Les notions de temps et de temporalité prennent une dimension spécifique. Il s’agit d’investir un projet de vie, qui peut s’étendre sur plusieurs années, en prenant en compte le fait que le temps s’est arrêté le jour de l’évènement mais que la vie continue. On fait souvent vivre le patient dans un espace où la référence au passé est très présente (photos, souvenirs…) alors que peu d’éléments le projettent dans l’avenir… Le projet de soins renvoie à un projet de vie et à une histoire à construire dans la durée. L’institution a pour mission de permettre ces débats en offrant aux professionnels un cadre, en posant les limites et en validant les pratiques. Je t’accompagne : Tu existes ! Le fait que l’état de la personne, son comportement, son inertie nous heurtent parfois jusqu’au surinvestissement, ne pose-t-il pas la personne dans son altérité, comme un être vivant en relation ? Cette interrogation peut sans cesse donner du sens à un prendre soin dans la durée, projet de vie ouvert sur l’avenir de la personne, de sa famille…et peut être de notre société elle même ? Document validé par le Conseil d’administration le 24 novembre 2014 3 4