les institutions représentatives du personnel face a l - CFE-CGC

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LES INSTITUTIONS
REPRÉSENTATIVES
DU PERSONNEL
FACE A L’ÉCLATEMENT
DE L’ENTREPRISE
Isabelle ROUSSEL VERRET
Février 2004
Juriste en droit social
Secteur social CFE-CGC
Recherche effectuée dans le cadre d’une convention conclue
entre l’Institut de Recherches Économiques et Sociales (IRES)
et la CFE-CGC
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RECHERCHE :
LES INSTITUTIONS REPRÉSENTATIVES DU PERSONNEL FACE
À L'ÉCLATEMENT DE L'ENTREPRISE
Le droit du travail se réfère à une certaine représentation du rapport de travail, qui repose
sur une conception de confrontation des rapports sociaux. Cette confrontation met face-àface l'employeur et une collectivité de salariés, représentée par des institutions au sein
d'une entreprise. En ce sens, Messieurs Lyon-Caen et de Maillard affirment que « le droit
du travail est le droit de l'entreprise ». L'entreprise et ses établissements sont en effet les
socles sur lesquels ont été édifiées les instances représentatives du personnel. Ces dernières sont d'autant plus efficaces que la collectivité de travail est soudée et que l'interlocuteur auquel elles s'adressent (l'employeur) est unique. Ainsi, l'entreprise garantit la stabilité des relations entre employeur, salariés et institutions représentatives du personnel.
Toutefois, cette stabilité est ébranlée par deux phénomènes inverses : la déconcentration
et la concentration du capital.
– Pendant des décennies, la mondialisation des échanges s'est accompagnée de l'émergence de groupes, notamment internationaux, rassemblant plusieurs entreprises afin de
réaliser des économies d'échelle.
– La tendance s'est inversée au début des années 1980, avec l'apparition de la récession,
qui a conduit à la décomposition du capital en entités juridiques séparées et corrélativement à l'extériorisation de la main-d'œuvre, c'est-à-dire à l'exploitation de la force de travail par un utilisateur distinct de l'employeur nominal et qui n'en assume pas les responsabilités. Ce phénomène d'extériorisation a pris deux formes. D'un côté, il s'est traduit
par la décentralisation de la gestion de l'entreprise par l'utilisation de techniques sociétaires ; telles que la filialisation. Ce mécanisme permet d'extérioriser une tâche autrefois
intégrée dans la société initiale à une filiale. D'un autre côté, l'extériorisation a pris une
forme contractuelle avec par exemple la sous-traitance et la prestation de services, par
lesquelles une entreprise donneuse d’ordres décide de faire exécuter une tâche ou une
activité par une autre entreprise, plutôt que par ses propres salariés, au moyen d'un
contrat commercial.
Ces deux phénomènes affectent la structure de l'entreprise, à savoir ses activités, son
patrimoine, son personnel et sa direction. C'est à ce titre que nous parlerons d'éclatement
de l'entreprise. De fait, il devient difficile d'une part, de déterminer le véritable employeur –
l'interlocuteur des institutions représentatives du personnel – et d'autre part, d'assurer
l'union de la collectivité de travail à représenter. Le socle sur lequel étaient bâties les institutions représentatives du personnel se fissure, ce qui nuit à leur efficacité.
L'objet de notre travail est donc d'étudier les réactions du législateur et du juge pour lutter
contre cet éclatement de l'entreprise, préjudiciable aux institutions représentatives du
personnel. Ces deux acteurs ont cherché à reconstituer l'entreprise, afin de redonner leur
vitalité aux représentants du personnel.
– Face à la constitution de groupes de sociétés, composés d'entités juridiques distinctes
qui éloignent les institutions représentatives du personnel du véritable interlocuteur, le
législateur a voulu recréer le face-à-face, consubstantiel à l'entreprise, entre l'employeur
et les représentants des salariés, en créant des instances de représentation au niveau du
groupe avec le comité de groupe ou le comité d'entreprise européen.
– De même, pour éviter que l'atomisation de l'entreprise liée aux stratégies d'extériorisation ne mette à mal le droit à la représentation du personnel, les juges se sont efforcés,
dès le début des années 1970 ; de reconstituer l'entreprise au-delà de son morcellement
en plusieurs sociétés, en inventant la notion d'unité économique et sociale. Cependant,
cette démarche est restée sans effet sur l'autre volet de l'extériorisation lié à la technique
contractuelle. Or, ces stratégies créent une fracture entre l'employeur nominal et l'utilisateur de la force de travail, ce qui pose des problèmes quant à l'efficacité des institutions
représentatives du personnel. Les juges s'emploient alors à réduire cette séparation en ne
condamnant pas l'accès aux droits à la représentation des salariés dans l'entreprise utilisatrice, dans certains cas seulement.
4
Toutes ces réactions prétoriennes et légales mettent en lumière les lacunes et les insuffisances de notre droit du travail, qui peine à appréhender ces diverses configurations de
l’entreprise et corrélativement à limiter l’atteinte qui est portée à l’efficacité des instances
de représentation du personnel. Dans cette étude, nous concentrerons alors notre attention à la recherche de solutions pour adapter notre droit à cette réalité, afin de mieux
garantir aux salariés leur droit à la représentation.
5
SOMMAIRE
INTRODUCTION ..............................................................................................................................
7
PREMIÈRE PARTIE : DES INSTITUTIONS REPRÉSENTATIVES DU PERSONNEL
AFFAIBLIES PAR L’ÉCLATEMENT DE L’ENTREPRISE ........................................................
11
Titre 1 : Des cadres d’implantation inadéquats..........................................................................
11
Chapitre 1 : A la recherche de l’entreprise .........................................................................
13
Chapitre 2 : L’entreprise reconstituée .................................................................................
21
Titre 2 : Une capacité d’intervention des institutions représentatives
du personnel limitée.....................................................................................................................
35
Chapitre 1 : L’intervention dans le cadre du groupe..........................................................
35
Chapitre 2 : L’intervention dans le cadre de l’unité économique et sociale ....................
38
DEUXIÈME PARTIE : LES VOIES D’UNE VITALITÉ NOUVELLE DES INSTITUTIONS
REPRÉSENTATIVES DU PERSONNEL .................................................................................
41
Titre 1 : Une efficacité renforcée du rôle des institutions représentatives du personnel .......
41
Chapitre 1 : La consolidation du rôle des institutions représentatives du personnel ....
42
Chapitre 2 : Une meilleure articulation des niveaux de mise en place
des institutions représentatives du personnel...................................................................
52
Titre 2 : La redéfinition de l’assise des institutions représentatives du personnel .................
59
Chapitre 1 : Le sens de la redéfinition ................................................................................
59
Chapitre 2 : Les modes de détermination de périmètres nouveaux d’implantation ......
66
CONCLUSION ........................................................................................................................
73
BIBLIOGRAPHIE.....................................................................................................................
75
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7
INTRODUCTION
I. Le droit du travail exprime une conception de la confrontation dans les rapports
sociaux. La confrontation suppose une mise en relation, qui se traduit par un face à face
entre un employeur et une collectivité de salariés, représentée par des institutions instituées au sein d’une entreprise ou des établissements qui la composent. L’entreprise et
ses établissements sont en effet les socles sur lesquels ont été édifiées les instances
représentatives du personnel. De ce fait, Messieurs Lyon-Caen et de Maillard (1) affirment
que « le droit du travail est le droit de l’entreprise ».
La question se pose inévitablement de savoir ce qu’est cette entreprise. Alors qu’elle
constitue un « cadre, support de la législation du travail quant à la représentation des
salariés » (2), il est surprenant de constater qu’elle est ignorée juridiquement parce qu’elle
n’est pas dotée de personnalité juridique et que le législateur n’en donne aucune définition. L’entreprise est une pratique économique, c’est-à-dire une unité poursuivant une
activité de production de biens ou de services, qui présente de multiples facettes, ce qui
la rend difficilement saisissable par le droit. Elle n’en constitue pas moins une sorte de
« modèle de référence » (3) ou plus exactement de « paradigme » de croyance selon
laquelle elle (4), « permet de construire le lien entre une collectivité de travail, participant
à une même organisation productive et le chef d’entreprise, titulaire du pouvoir de décision économique qui dirige le travail » (5). L’entreprise garantit la stabilité des relations
entre employeurs, salariés et institutions représentatives du personnel. Celles-ci sont
d’autant plus efficaces que la collectivité de travail est homogène et que l’interlocuteur
auquel elles s’adressent est adéquat. Toutefois, le paradigme de l’entreprise est ébranlé
par les stratégies des entreprises visant à s’adapter aux besoins changeants du marché.
II. Pendant des décennies, la tendance prédominante, liée à la mondialisation des
échanges, était l’intégration verticale des entreprises dans des entités plus vastes,
dénommées groupes. Il s’agissait de réaliser ainsi des économies d’échelle. Les groupes
se caractérisent par le contrôle d’une société sur la gestion d’autres sociétés, grâce à la
participation dans leur capital. Il est donc possible de les définir comme « un ensemble de
sociétés juridiquement indépendantes les unes des autres, mais en fait soumises à une
unité de décision économique » (6).
Depuis le début des années 1980, on a assisté à une inversion de cette tendance se traduisant par la déconcentration du capital et de la production, liée à la récession. Assurer une
multitude d’activités n’était plus rentable pour les entreprises. Elles ont donc opté pour
un recentrage sur leur véritable métier, qui les a conduit à transférer à des opérateurs
extérieurs des activités secondaires précédemment à l’intérieur de l’entreprise (7). Ceci
explique qu’on ait parlé d’externalisation pour décrire ces nouvelles stratégies de restructurations du capital. Ces dernières s’accompagnent « de nouveaux modes de gestion de
l’emploi, lesquels impliquent une extériorisation juridique de la main-d’œuvre » (8).
M. Henry (9) définit l’extériorisation comme « toutes les techniques qui aboutissent à une
dissociation entre l’employeur nominal et l’utilisateur de la main-d’œuvre ». L’entreprise
va alors avoir recours à des travailleurs, mis à sa disposition par d’autres entreprises, afin
de diminuer les coûts du travail pour accroître ses gains. Cette extériorisation a pris deux
formes. Tout d’abord, elle s’est traduite par la décentralisation de la gestion de l’entreprise
avec l’utilisation de techniques sociétaires, telles que la filialisation. Ce mécanisme de
création d’une société filiale à partir d’une autre société, par retranchement de parties de
cette dernière, permet d’extérioriser une tâche autrefois intégrée dans cette société. L’extériorisation a également pris une forme contractuelle. Une entreprise décide de faire exé(1) A. Lyon-Caen et J. de Maillard, « La mise à disposition du personnel », Droit social, 1981 p. 320.
(2) G. Lyon-Caen, « Plasticité du capital et nouvelles formes d’emploi », Droit social, 09-10/1980, Spe. 8.
(3) M.L. Morin, « Sous-traitance et relations salariales », Travail et Emploi, 1994 n° 60, p. 23.
(4) A. Supiot, « Groupes de sociétés et paradigme de l’entreprise », Revue Trimestrielle Droit Com.,1985, p. 620.
(5) Idem.
(6) Y. Guyon, « Droit des affaires. Droit commercial général et sociétés », 11e édition, Economica, 2001.
(7) .G. Couturier, « L’article L. 122.12 du Code du travail et les pratiques d’externalisation », Droit social, 2000,
p. 845.
(8) Colloque du SAF, « L’entreprise éclatée » du 24/01/1981, compte rendu dans Liaisons sociales, Doc R n° 11/91
du 5 fév.1981.
(9) M. Henry, « Les conséquences de l’extériorisation pour les salariés et leurs institutions représentatives du
personnel », Droit ouvrier, 1981, p. 122.
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cuter différents segments de son activité par d’autres entreprises, au moyen de contrats
commerciaux. L’ensemble de ces contrats forme ce qu’on appelle un « réseau ». L’étymologie du mot nous renseigne sur son sens et sur la pertinence de son utilisation. Comme
l’explique M. Sobczak (10), il a d’abord un sens concret. Issu du latin retis, diminutif de
réticulum, il signifie un maillage textile au XVIIe siècle. Au XVIIIe siècle, il prend une dimension métaphorique et dynamique, car il permet non seulement de décrire le fonctionnement de l’organisme humain, mais également de s’intéresser au mouvement à l’intérieur
de ce corps. Ce terme décrit bien l’enchevêtrement des liens qui se nouent entre les
entreprises et les échanges commerciaux qu’elles effectuent entre elles. Ces schémas
d’organisation de l’entreprise ont été rendus possibles par la liberté d’organisation du
capital et la liberté contractuelle, au fondement du droit commercial (11).
III. Ces phénomènes ont ajouté à la difficulté de saisir l’entreprise comme concept, celle
de délimiter ses contours. D’un côté, ses frontières financières se diluent, lorsqu’elle est
intégrée dans un ensemble plus vaste : le groupe. D’un autre côté, ses frontières organisationnelles se désagrègent, certaines de ses activités étant transférées à d’autres entreprises. Le socle, sur lequel étaient bâties les institutions représentatives du personnel, se
fissure. En effet, les stratégies de restructurations de l’entreprise conduisent à mettre en
cause sa structure, c’est-à-dire à affecter son activité économique, son patrimoine ou sa
direction, comme le souligne M. Lyon-Caen (12). C’est la raison pour laquelle nous
emploierons le terme « d’éclatement », utilisé par plusieurs auteurs (13). Il permettra de
décrire l’ensemble des stratégies de restructurations du capital, que ce soit de concentration ou de déconcentration, qui rendent obscure la détermination de l’employeur, fractionnent des collectifs de travail et conduisent à rendre incertaines les frontières de
l’entreprise. Ce vocable sera préféré au terme ambigu de « désintégration », utilisé par
plusieurs auteurs (14). Il pourrait en effet se comprendre comme la description du retour
à la situation antérieure à l’intégration de l’entreprise dans un ensemble plus vaste, permettant de retrouver l’entreprise telle qu’elle était auparavant. Nous écarterons également l’expression de « démembrement de l’entreprise », employée par deux auteurs (15),
pour caractériser ces phénomènes. Si elle traduit l’idée de dislocation de l’entreprise,
d’une part elle postule que les unités séparées de l’entreprise font toujours partie d’elle et
d’autre part elle ne permet pas de décrire l’impact de la constitution de groupes de sociétés
sur l’entreprise. Il faut remarquer que cet éclatement résulte d’un mélange « de plusieurs
conventions ou d’un montage juridique complexe qui associent des techniques sociétaires à différents contrats » (16). Cette imbrication des techniques est spécifique à
chaque opération d’éclatement de l’entreprise, qui revêt alors un « visage original » (17).
IV. Mais il convient, avant de pousser plus loin l’analyse, de mieux délimiter notre étude.
Seront exclus de notre sujet tant le sort des institutions représentatives du personnel face
aux restructurations du capital, que l’étude des cadres d’implantation plus petits que
l’entreprise. Ces derniers procèdent d’un découpage interne de l’entreprise, dont
la notion d’établissement distinct est l’expression majeure (18), qui laisse indemne
l’entreprise. En effet, « le pouvoir économique continue à se situer au niveau de l’entreprise », « la personne juridique de l’employeur demeure unique, mais l’autorité à l’égard
des travailleurs est exercée par les divers chefs d’établissements » (19). En dépit de leur
répartition entre plusieurs établissements, les salariés conservent donc un employeur
(10) A. Sobczak, « Réseaux de sociétés et codes de conduite. Un nouveau modèle de régulation des relations de
travail pour les entreprises européennes », LGDJ, 2002.
(11) M. Jeantin, « L’entreprise éclatée, intérêt d’une approche commercialiste », Droit ouvrier, 1981, p. 118.
(12) Idem.
(13) J. de Maillard, P. Mandroyan, J.P. Plattier et T. Priestley, « L’éclatement de la collectivité de travail : observations sur les phénomènes d’extériorisation », Droit social, 1979, p. 323 ; A. Lyon Caen, « A propos de l’entreprise
éclatée », Droit ouvrier, 1981, p. 127 ; M. Henry, « Les conséquences de l’extériorisation pour les salariés et leurs
institutions représentatives du personnel », Droit ouvrier, 1981, p. 122 ; Article de M. Jeantin ; B. Henriet, « Entreprise éclatée et gestion du travail. Nouvelles configurations et pertinence de la Gestion des Ressources
Humaines » dans « Le travail en perspectives » de A. Supiot, LGDJ, 1998, p.199 ; A. Coeuret, « Frontières de l’entreprise et institutions représentatives du personnel », Droit social, 05/2001, p. 487.
(14) B. Henriet ; G. Paché et C. Paroponaris ; G. Teubner.
(15) F. Morin et M. L. Morin, « La firme et la négociation collective. La question des frontières en économie et en
droit », Mélanges Despax, Presses Toulouse, 2002.
(16) Idem.
(17) Idem.
(18) A. Coeuret, « Frontières de l’entreprise et institutions représentatives du personnel », Droit social, 05/2001,
p. 487.
(19) J. Savatier, « Les groupes de sociétés et la notion d’entreprise en droit du travail », Etudes de droit du travail offertes à A. Brun, Librairies sociale et économique, 1974, p. 527.
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unique. A l’inverse, les phénomènes que nous étudierons affectent l’entreprise. Le pouvoir économique est déplacé à l’extérieur de l’entreprise. La personne juridique de l’employeur devient multiple. C’est pourquoi, nous ne porterons pas l’attention sur les institutions représentatives du personnel telles qu’elles peuvent être saisies à travers ce cadre
de mise en place possible qu’est l’établissement. L’analyse se concentrera sur les organismes institués au sein de l’unité économique et sociale, et du groupe avec le comité de
groupe et le comité d’entreprise européen. L’objectif est bien d’appréhender à travers eux
les phénomènes d’éclatement de l’entreprise. Toutefois, certaines solutions légales,
visant à empêcher que l’émiettement interne de l’entreprise ne soit préjudiciable au droit
des salariés à être représentés efficacement, pourront nourrir notre réflexion. Enfin, nous
n’étudierons pas le problème de la représentation des salariés dans les petites et
moyennes entreprises, même si le phénomène d’externalisation, nous amènera à l’évoquer implicitement. Ce dernier peut conduire à un morcellement de l’entreprise en plusieurs entités juridiques autonomes, dont les effectifs sont inférieurs au seuil exigé pour
la mise en place des institutions représentatives du personnel.
V. Les mécanismes du droit des sociétés et du droit commercial, qui effritent les frontières
de l’entreprise, réduisent l’efficacité du droit du travail. « Les entreprises ont su trouver
dans les règles de droit commercial […] le vecteur d’une plus grande souplesse, la source
d’une liberté accrue, en bref le moyen de fuite devant le droit du travail » (20). Il y a un
divorce croissant entre la réalité et le droit du travail. L’enjeu qui se révèle derrière ce
constat est celui de l’effectivité du droit du travail, à savoir de sa distance avec la réalité. Il
s’agit de s’interroger sur le rôle qu’on veut lui faire jouer. La liberté contractuelle est
génératrice d’inégalités entre les parties au contrat et comme le formule si bien
Lacordaire « entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime, c’est la loi qui
affranchit ». Le droit du travail doit donc s’efforcer de « percer le voile contractuel et
sociétaire » (21), pour protéger le droit constitutionnel des salariés à la participation,
prévu à l’alinéa 8 du préambule de la Constitution de 1946. Il dispose que « tout travailleur participe par l’intermédiaire de ses délégués à la détermination collective des
conditions de travail ».
VI. Il est vrai que le droit du travail n’est pas resté insensible aux conséquences dommageables de cet éclatement de l’entreprise sur le droit des salariés à la représentation. Il a
su mobiliser ses énergies pour qualifier la réalité, de telle sorte que les formes d’organisation de l’entreprise correspondent à des catégories juridiques.
Les juges ont très tôt fait face à ce problème. Certaines entreprises se disloquaient en de
multiples sociétés aux effectifs inférieurs aux seuils de mise en place des représentants
du personnel, afin de se soustraire à la loi. C’est ainsi qu’au début des années 1970, adoptant une approche pragmatique, ils ont cherché à reconstituer l’entreprise au-delà des
divisions sociétaires, par l’invention de la notion d’unité économique et sociale. Celle-ci
est caractérisée par l’existence d’activités connexes ou complémentaires entre les sociétés,
une communauté de travail et une même autorité. Cependant, M. Savatier a fait observer
que « cette idée n’est d’aucun secours pour la grande majorité des groupes de sociétés »
(22), car il n’y a souvent aucune solidarité sociale entre les sociétés. Il invitait le législateur à prendre également en compte le groupe, où se situe le véritable pouvoir économique : « il faut reconnaître à la fois l’unité du groupe et la pluralité des entreprises qui le
composent » (23). Le législateur a intégré ces suggestions, d’une part, en consacrant
l’unité économique et sociale pour la mise en place du comité d’entreprise, à l’article
L. 431-1 in fine du Code du travail et d’autre part, en créant le comité de groupe, à l’article
L. 439-1 du Code du travail. Il a ainsi cherché à recréer le face à face entre un employeur
et des représentants des salariés, consubstantiel à l’entreprise. Son objectif était de faire
correspondre le niveau d’intervention du comité au niveau réel de décision (24). La
création du Comité d’entreprise européen, par la directive du 22 septembre 1994 (25),
transposée par la loi du 12 novembre 1996 aux articles L. 439-6 et suivants du Code du
travail, a également répondu à cette finalité.
(20) A. Lyon-Caen, « A propos de l’entreprise éclatée », Droit ouvrier, 1981, p. 127.
(21) G. Teubner, « Nouvelles formes d’organisation et droit », Revue française de gestion, 1993, spéc. p. 51.
(22) J. Savatier, article précité.
(23) Idem.
(24) A. Lyon-Caen, « Le comité d’entreprise à l’heure du changement », Droit social, 1982, spéc. p. 300.
(25) J.O. C.E. n° L. 254 du 30 septembre 1994, p. 68.
10
Ces démarches ont malheureusement été sans effet sur l’autre volet de l’éclatement de
l’entreprise, lié à la technique contractuelle. Rappelons en effet que la stabilité de la relation de travail est « constitutive du paradigme de l’entreprise » (26). Or la constitution de
groupes de sociétés ou l’extériorisation de la main-d’œuvre par une entreprise favorisent,
au contraire, une grande mobilité des salariés. Une fracture a lieu entre l’employeur
nominal et l’utilisateur de la force de travail. Un rapport triangulaire, dont l’employeur
l’utilisateur et les salariés sont les pôles, se substitue à un rapport bilatéral. Cette disparition du face-à-face entre employeur et salariés pose des problèmes quant à l’efficacité
des institutions représentatives du personnel. Le législateur et les juges se sont employés
à réduire cette séparation en ne condamnant pas l’accès des salariés mis à disposition à
certains droits à la représentation dans l’entreprise utilisatrice (27). Cette mobilité des
salariés à l’intérieur d’un groupe de sociétés ou d’un réseau de sociétés posent des problèmes d’une acuité particulière avec l’internationalisation. En effet, notre droit du travail
est marqué par le principe de territorialité, qui limite son application au territoire français.
VII. Toutes ces réactions prétoriennes et légales mettent en exergue les insuffisances et
les lacunes de notre droit du travail, qui peine à appréhender ces multiples configurations
de l’entreprise. Il s’ensuit que certains employeurs peuvent passer entre les mailles du
filet protecteur de la représentation du personnel. Une exigence de démocratie interne à
l’entreprise, au sein de laquelle les travailleurs « doivent être des citoyens » (28), invite à
se pencher sur ce problème, pour empêcher l’employeur d’user arbitrairement de son
pouvoir. C’est pourquoi, la recherche des voies d’une nouvelle vitalité des institutions
représentatives du personnel est nécessaire. Une approche minimaliste consisterait à renforcer les pouvoirs des institutions représentatives du personnel et à mieux les agencer.
Toutefois cette démarche ne permettrait pas aux représentants du personnel de résister
efficacement à l’éclatement de l’entreprise. Le chemin de l’innovation devrait être pris.
Une approche audacieuse consisterait alors à reconnaître des cadres d’implantation et
d’action des institutions représentatives du personnel plus appropriés. Elle devrait être
guidée par « la recherche de l’interlocuteur au niveau des directions et la recherche d’une
présence effective auprès des salariés, dont il s’agit de défendre les intérêts matériels et
moraux » (29). Cela permettrait d’assurer aux institutions représentatives du personnel
une efficacité et une légitimité. Pour déterminer des cadres d’implantation des représentants du personnel plus adéquats, nous nous laisserons guider par la méthode exposée
par M. Supiot (30). Elle consiste soit à gommer les séparations juridiques entre les sociétés, soit à les prendre en compte en reliant ces sociétés. Nous revisiterons les techniques
déjà utilisées par le législateur et les juges, afin que le droit du travail ait davantage prise
sur les pratiques économiques (31).
Ainsi nous verrons dans une première partie que l’éclatement de l’entreprise a conduit à
affaiblir les institutions représentatives du personnel. Nous tenterons dans une seconde
partie d’explorer les voies à travers lesquelles les organismes de représentation pourraient être remodelés, afin de renforcer leur vitalité.
(26) A. Supiot, article précité, spéc. p. 631.
(27) A. Lyon-Caen et J. de Maillard, article précité, spéc. p. 321.
(28) M. Auroux, « Les droits des travailleurs », rapport au Président de la République et au Premier Ministre, la
Documentation française, 1981.
(29) T. Grumbach, « Citoyenneté, entreprise et contrat social », Droit ouvrier, 1983, p. 293.
(30) A. Supiot, « Groupes de sociétés et paradigme de l’entreprise », Revue Trimestrielle Droit Com.,1985, p. 620.
(31) M. Jeantin, article précité.
11
PREMIÈRE PARTIE :
DES INSTITUTIONS REPRÉSENTATIVES DU PERSONNEL
AFFAIBLIES PAR L’ÉCLATEMENT DE L’ENTREPRISE
Le principe constitutionnel de participation des salariés, prévu à l’alinéa 8 du Préambule
de la Constitution de 1946, s’exprime au niveau de l’entreprise et de ses établissements. Il
signifie que le commandement du chef d’entreprise sur les salariés est admis, à condition
qu’il soit surveillé et qu’il puisse être influencé dans ses décisions par les représentants
du personnel, pour qu’il ne lèse pas les intérêts du personnel. Cependant, l’entreprise et
l’établissement sont ébranlés par un double mouvement de restructuration du capital : sa
concentration, avec l’émergence de groupes de sociétés et sa déconcentration,
conduisant à l’apparition de réseaux de sociétés. Le véritable détenteur du pouvoir de
décision se trouve ainsi placé hors d’atteinte des représentants du personnel. Il en résulte
un affaiblissement des institutions représentatives du personnel, dont les missions ont
été conçues pour s’exercer dans ces deux cadres. Comme le faisait déjà remarquer
M. Bloch Lainé en 1967 (32), les faits ont été plus vite que le droit. Cette mutation de
l’organisation des entreprises justifiait une réforme de l’entreprise, comme le suggérait le
rapport Sudreau (33). Ces analyses doctrinales, qui ont mis en lumière l’inadéquation à la
réalité des cadres d’implantation des institutions représentatives du personnel que sont
l’entreprise et l’établissement, sont encore pertinentes aujourd’hui (Titre 1). En effet, les
changements de physionomie de l’entreprise rendent indispensables un réajustement
des « unités de représentation » (34). Ainsi, comme un auteur l’a suggéré « il faut que la
géographie, la sociologie et la psychologie des centres de décision soient assez bien
décrites pour permettre de déterminer où la participation des salariés est la plus utile et la
plus logique » (Titre 2).
TITRE 1 : DES CADRES D’IMPLANTATION INADÉQUATS
Traditionnellement, la représentation du personnel est organisée au niveau de l’entreprise
ou de ses établissements. Toutefois, le législateur n’a pas pris soin de définir l’entreprise.
Certes, tout le monde comprend ce qu’est une entreprise, mais paradoxalement personne
ne sait la définir, ce qui fait dire à M. Paillusseau (35), que « rien n’est plus déconcertant
que de parler d’entreprise ». En outre, les frontières de l’entreprise ont été secouées, dans
un premier temps, par la concentration industrielle, qui a entraîné l’émergence de
groupes de sociétés. Or « la législation sociale n’a pas suivi cette évolution », comme l’a
souligné le rapport Auroux (36) en 1981. Le mouvement de déconcentration du capital,
qui a suivi, a aussi bouleversé les frontières de l’entreprise. La définition d’une réalité
variée et mouvante, comme l’entreprise semble donc être impossible. Ne vaut-il pas
mieux y renoncer ? Cet abandon serait source de dangers pour les salariés : « faire échapper l’entreprise à toute définition, n’est-ce pas une façon de perpétuer le pouvoir patronal
avec le minimum de contraintes, puisque nul n’ignore que ce pouvoir existe mais nul ne
(32) F. Bloch Lainé, « Pour une réforme de l’entreprise », Seuil, 1967.
(33) Rapport du comité d’étude pour la réforme de l’entreprise présidé par P. Sudreau, la Documentation
française, 1975.
(34) A. Coeuret, « Frontières de l’entreprise et institutions représentatives du personnel », Droit social, 05/2001,
p. 487 ; P. Rémy, « Le groupe, l’entreprise et l’établissement », Droit social, 05/2001, p. 505.
(35) J. Paillusseau, « Qu’est ce que l’entreprise ? », dans « L’entreprise nouveaux apports », Economica, sous la
direction de J. Jugault, 1987.
(36) Rapport au ministre du travail, La Documentation française, 1981, p. 76.
12
sait plus où le situer et ou l’atteindre » (37). Il est donc nécessaire de retrouver
l’entreprise, pour empêcher l’employeur d’user arbitrairement de son pouvoir. Une
exigence démocratique donne un sens à cette quête (Chapitre 1).
Par conséquent, il était logique que le législateur et le juge cherchent les moyens de
reconstituer l’entreprise, pour protéger le droit constitutionnel des salariés à être représentés. La création prétorienne de l’unité économique et sociale, tout comme la création
légale du comité de groupe et du comité d’entreprise européen ont répondu à cet objectif.
Ces solutions conduisent à évincer le principe d’autonomie juridique des sociétés, pour
aboutir à « la transparence » de l’entreprise. Ce terme est utilisé par M. Hannoun (38)
pour expliquer le rôle de la reconnaissance légale des groupes. Il indique l’idée « d’une
chose qui laisse apparaître à travers elle une autre chose ». La réalité de l’entreprise se
dévoile au-delà de la division juridique des sociétés, avec l’unité économique et sociale.
De même, le groupe est érigé en un cadre d’implantation des représentants du personnel.
M. Gaudu en conclut que ce dernier « exposerait les limites du modèle de l’entreprise, en
tant qu’il permet au droit social de s’adapter au droit des sociétés, pour garantir aux salariés leur droit à la représentation ». Nous ne partageons pas cette analyse. L’entreprise
désigne « un ensemble de constructions juridiques ayant pour objet d’encadrer celle du
capital » (39), pouvant prendre plusieurs formes, dont celle de groupe. Ce dernier permettrait de « reconstituer le paradigme de l’entreprise sous une forme plus complexe » (40),
en recréant le face à face entre les détenteurs du pouvoir de direction économique et les
institutions représentatives du personnel (Chapitre 2).
(37) J. de Maillard et al. « L’éclatement de la collectivité de travail : observations sur les phénomènes d’extériorisation », Droit social, 1979, p. 323.
(38) Ch. Hannoun, « Le droit et les groupes de sociétés », LGDJ, 1991, spéc. p.155 et s.
(39) A. Supiot, « Groupes de sociétés et paradigme de l’entreprise », Revue Trimestrielle Droit Com.,1985, p. 620.
(40) Idem.
13
Chapitre 1 : A la recherche de l’entreprise
L’entreprise est une pratique économique qui recouvre des réalités extrêmement diverses
(41). C’est donc une notion fuyante qui « oppose à toute conceptualisation juridique une
résistance tenace » (42). Or l’entreprise et l’établissement constituent les cadres d’implantation des représentants du personnel. L’enjeu de la quête de l’entreprise et de celle des
établissements qu’elle rassemble est de taille : la représentation des salariés en dépend
(Section 1). Cette quête est d’autant plus difficile que les frontières de l’entreprise sont
bouleversées par les stratégies de restructurations du capital. Les frontières ont une fonction de différenciation, elles permettent de cerner ce qui a trait à la gestion interne de
l’entreprise et à son environnement externe. Toutefois, leur tracé est de plus en plus flou,
en raison de la transformation de la physionomie des entreprises. Au départ, une entreprise correspondait à une société. Les frontières juridiques et financières de l’entreprise
coïncidaient. Avec le phénomène de concentration du capital qui a engendré l’intégration
des entreprises au sein de groupes, on a assisté à un bouleversement financier des frontières des entreprises. Parallèlement, le phénomène de déconcentration de la production
des entreprises s’est traduit par le délestage de certaines de leurs fonctions à d’autres
entreprises, pour diminuer leurs coûts. Ce phénomène a rendu opaque leurs frontières
organisationnelles. Il est de ce fait devenu difficile de dessiner les frontières de
l’entreprise (Section 2).
Section 1 : Une notion fuyante
La plasticité de l’entreprise complique son appréhension. En premier lieu, il en découle
une grande diversité des définitions de l’entreprise, fonction des disciplines et des courants intra-disciplinaires. La présentation des conceptions de l’entreprise par l’économie
ou la sociologie présente l’intérêt de faire ressortir les limites de l’analyse juridique de
l’entreprise (§1). En second lieu, la malléabilité de l’entreprise a provoqué un débat sur sa
nature juridique entre les juristes (§2).
§1. Une réalité changeante
A. Tentatives de définitions
Il apparaît plus facile de cerner l’entreprise en la distinguant des notions qui s’en rapprochent, mais qui ne peuvent être confondues avec elle. Cette comparaison permettra de
mettre en exergue ses spécificités.
L’entreprise est souvent confondue avec la société, mais ces deux notions sont pourtant
distinctes. L’entreprise, se caractérisant par l’emploi d’un certain nombre de travailleurs (43),
son existence dépend de celle d’un employeur. La société, en tant qu’elle est susceptible
de devenir employeur de main-d’œuvre, est donc le support de l’entreprise, comme le
souligne M. Savatier (44). Elle est « l’organisation juridique d’un outil économique » (45) :
elle donne à l’entreprise une structure, des règles de fonctionnement. Ainsi plusieurs
sociétés peuvent ne constituer qu’une entreprise si leurs liens sont tels qu’ils sont dirigés
par une même autorité. A contrario, une seule société peut être dirigée par plusieurs
employeurs et avoir plusieurs entreprises.
L’entreprise doit également être distinguée du groupe. Le groupe présente avec elle un
trait commun. Il s’agit d’une pratique économique qui prend appui sur la personnalité
morale des sociétés qui le composent, tout en s’en différenciant. La personne morale
(41) N. Catala, « L’entreprise », Dalloz, 1980, n° 117.
(42) Idem.
(43) Selon l’article L. 431-1 du Code du travail « Des comités d’entreprise sont constitués dans toutes les entreprises (…) employant au moins cinquante salariés ».
(44) J. Savatier, « Les groupes de sociétés et la notion d’entreprise en droit du travail », Etudes de droit du
travail offertes à A. Brun, Librairies sociale et économique, 1974, p. 527.
(45) J. Paillusseau, « La filiale commune », colloque organisé par l’université de Paris II du 20-21-22/02/1975,
p. 30.
14
subit alors « une mutation pragmatique », elle devient une « pure technique finalisée, ses
effets pouvant être modulés par les autorités étatiques » (46). Comme l’entreprise, le
groupe n’est donc pas un sujet de droit. Toutefois, l’existence d’un contrôle essentiellement capitalistique d’une société sur d’autres au sein d’un groupe permet de le distinguer
de l’entreprise. Le groupe est défini comme « un ensemble de sociétés juridiquement
indépendantes mais formant une même unité économique en raison de liens financiers
étroits » (47). Le pouvoir de direction est transféré en dehors de l’entreprise. Il faut observer
qu’un groupe présente plusieurs facettes. C’est pourquoi, M. Despax (48) a proposé de
distinguer les groupes selon l’intensité des liens entre les sociétés qui le composent.
Lorsque l’imbrication entre les sociétés est forte, le groupe de sociétés peut être assimilé
à une entreprise par les juges. Cette assimilation se fonde sur l’existence de certains critères : une unité économique et l’existence d’une communauté de travail, sous une même
autorité. En revanche, si les liens entre sociétés sont très distendus, le groupe n’est pas
une entreprise, puisqu’il ne peut pas être considéré comme l’employeur de maind’œuvre. Dans les groupes de sociétés, il y a autant d’entreprises distinctes que de sociétés employant de la main-d’œuvre. Dans ce cas, le groupe est une notion distincte de
l’entreprise. Il est une sorte de « méta entreprise » (49), englobant les entreprises tout en
les dépassant.
Enfin, l’entreprise est quelquefois démembrée en plusieurs éléments qui participent à son
activité, nommés « établissements » ou plus communément « succursales » ou
« agences ». L’établissement est une unité de production réunissant les moyens de production et du personnel travaillant à une même tâche, dans un même lieu et soumis à
une direction commune (50). A la différence des groupes, où le pouvoir économique est
transféré du niveau de l’entreprise à celui du groupe, dans les établissements « le pouvoir
économique continue à se situer au niveau de l’entreprise » (51).
Toutes ces distinctions permettent de cerner davantage l’entreprise, mais elles ne nous
éclairent pas sur son essence.
Notre attention se portera ainsi sur les définitions données à l’entreprise par différentes
disciplines, qui s’attachent prioritairement à certains de ses aspects. L’entreprise est donc
une notion fonctionnelle. Elle est un sujet de distorsions entre les disciplines, tout comme
à l’intérieur même de celles-ci. Ainsi la doctrine économiste hésite entre plusieurs
conceptions de l’entreprise (52). La première approche voit dans l’entreprise un agent
économique doté d’une capacité contractuelle, producteur de services et de biens à l’aide
de plusieurs moyens : le capital et le travail. La seconde approche adopte un angle différent, en la définissant comme une sorte d’anti-marché, parce que ses membres ne sont
pas en concurrence et que son organisation est hiérarchisée. Les économistes préfèrent
parler de firme. Ils la définissent (53) comme une entité dotée d’une unité de gouvernance
sociale, économique et financière qui comporte différents niveaux d’organisation :
« financier (le groupe), économique (les entreprises, unités poursuivant une même activité
économique sur le marché des biens) et productif (l’unité de production, l’établissement
lieu matériel d’organisation et de réalisation de la production où se forment des collectivités de travail) ». L’entreprise serait une firme dont la fonction économique est prépondérante par rapport aux deux autres (54). A côté de la vision économique, on trouve une
vision systémique de l’entreprise (55) qui compare l’entreprise à une cellule vivante,
changeante et évolutive par nature pour s’adapter à son environnement. Cette conception
est féconde, car elle permet de prendre conscience de l’intégration de l’entreprise dans
son environnement et de s’attacher aux relations qu’elle entretient avec l’extérieur.
(46) Ch. Hannoun, « Le droit et les groupes de sociétés », LGDJ, 1991, spéc. p. 157.(47) Lexique de termes juridiques Dalloz.
(48) M. Despax, « Groupes des sociétés et institutions représentatives du personnel », JCP édition G., 1972, I
2465.
(49) J. Plattier, « Les cadres d’institution et d’exercice des instances représentatives du personnel », Travail et
emploi, 06/1986, p. 33.
(50) Lexique des termes juridiques Dalloz.
(51) J. Savatier, « Les groupes de sociétés et la notion d’entreprise en droit du travail », Etudes de droit du
travail offertes à A. Brun, Librairies sociale et économique, 1974, spéc. p. 529 et 530.
(52) N. Catala, ouvrage précité, spéc. n° 119 et 120.
(53) F. Morin et M. L. Morin, article précité.
(54) F. Morin et M. L. Morin, article précité.
(55) N. Catala, ouvrage précité, spéc. n° 121.
15
Les conceptions de l’entreprise varient également entre les branches des droits, selon
l’objectif que chacune s’assigne. Le droit commercial est le droit privé du commerce. Les
personnes privées y occupent logiquement la première place (56). De ce fait, il s’attache
aux rapports entre l’entrepreneur et les fournisseurs ou les clients étrangers à
l’entreprise. Il s’intéresse avant tout à l’unité économique et non pas à l’existence d’une
communauté de travailleurs. A l’inverse, en droit du travail, l’entreprise est définie
comme une communauté humaine qui a une fonction économique la production de biens
et de services (57). Le droit du travail ne s’attache donc pas à la nature économique de
l’activité, il organise la cellule sociale qui suscite cette activité. Il est enfin intéressant de
présenter la définition de l’entreprise du droit communautaire. Elle est définie comme
« un ensemble de moyens humains et matériels concourant sous une direction économique à la réalisation d’un objectif économique » (58). Cette définition met en évidence le
caractère restrictif de notre conception qui parle « d’employeur » et non de « direction
économique ».
Il apparaît que les approches des disciplines autres que le droit se rejoignent sur un point :
leur caractère pragmatique (59). Elles s’efforcent de décrire une réalité changeante et sont
ainsi susceptibles de mieux prendre en compte la plasticité de l’entreprise. A l’inverse, la
démarche des juristes, qui consiste à qualifier la réalité, fige l’entreprise dans une définition statique. Or la réalité s’y dérobe constamment. C’est pourquoi, un auteur (60) a voulu
saisir le caractère malléable de l’entreprise, en la désignant comme un paradigme.
B. Un paradigme juridique plus qu’une notion
L’entreprise serait davantage « un paradigme juridique », selon l’expression de M. Supiot
(61), qu’une notion. Mais que faut-il entendre par « paradigme » ? Mme. Morin (62) le
définit comme un modèle de référence. M. Supiot ne paraît pas l’entendre ainsi. Il se
réfère à la définition du philosophe Kuhn qui distingue le paradigme du modèle et le définit comme « un objet destiné à être ajusté et précisé dans des conditions nouvelles ou
plus strictes ». Cette notion de « paradigme » nous semble mieux traduire le caractère
évolutif de la notion d’entreprise, que le terme de « modèle », plus figé. Ce paradigme
permet de désigner l’employeur et de reconstituer la collectivité de travail, en tenant
compte d’une sorte de dimension génétique de l’entreprise, c’est-à-dire d’un caractère
évolutif intrinsèque. L’entreprise est un instrument, façonné par le droit du travail, pour
l’adapter aux modifications de ses formes.
Cependant, on peut se demander si ce paradigme de l’entreprise permet d’appréhender
les nouveaux bouleversements des frontières de l’entreprise. Deux auteurs (63) en doutent. Ils estiment que le concept de paradigme de l’entreprise ne constitue pas toujours
une référence suffisante pour saisir les divisions de l’entreprise générées par les techniques contractuelle ou sociétaire. En effet, il est parfois difficile de reconstituer l’unité de
la collectivité de salariés et de désigner l’employeur.
Considérer l’entreprise comme un paradigme empêche de l’enfermer dans un concept
juridique, qui ne reflèterait pas son élasticité. Toutefois c’est une conception travailliste.
Chaque branche du droit a une vision distincte de l’entreprise. Ces distorsions sont des
facteurs de conflits (64). De plus dans la réalité, l’entreprise se présente comme un tout.
Ne serait-il pas envisageable de construire une conception unitaire ? La doctrine s’y est
attelée en recherchant sa nature juridique.
(56) Y. Guyon, « Droit des affaires » Tome 1, Economica, 1998.
(57) Vocabulaire juridique Cornu, PUF.
(58) Vocabulaire juridique Cornu, PUF.
(59) N. Catala, ouvrage précité.
(60) A. Supiot, article précité.
(61) A. Supiot, « Groupes de sociétés et paradigme de l’entreprise », Revue Trimestrielle Droit Com.,1985, p. 620.
(62) M. L. Morin, « Sous-traitance et relations salariales », Travail et Emploi, 1994 n° 60, p. 2.
(63) F. Morin et M. L. Morin, « La firme et la négociation collective. La question des frontières en économie et en
droit », Mélanges Despax, Presses Toulouse, 2002.
(64) J. Barthélémy, « Turbulences entre droit des sociétés et droit du travail », JCP édition G., 1987, I 3111.
16
§2. Une nature juridique incertaine
A. La perspective institutionnelle de l’entreprise
Deux courants doctrinaux se sont opposés. Le premier envisage l’entreprise comme un
contrat, à savoir comme la mise en œuvre combinée de la propriété et des moyens de
production (65). Le second a une conception institutionnelle de l’entreprise, selon laquelle
elle est organisée en vue d’une fin commune : la production et la circulation de biens et
de services (66). Les intérêts des employeurs, des actionnaires et des salariés seraient
donc convergents. A l’appui de cette analyse, on peut soutenir que les travailleurs font
partie de l’entreprise, car ils peuvent être associés à la gestion de l’entreprise par l’intermédiaire de leurs représentants. Les membres du comité d’entreprise sont informés de la
vie de l’entreprise (67). Ils sont également présents au sein du conseil d’administration ou
de surveillance.
Cependant, on peut objecter à cette théorie que, à la différence des institutions,
l’entreprise n’est pas juridiquement structurée, car elle est dépourvue de personnalité
morale. Par ailleurs, l’entreprise n’est pas réellement une communauté. En effet, les intérêts des salariés et des actionnaires ne se confondent pas. Si les salariés sont associés à
la gestion (68), ils le sont très faiblement. Leurs représentants ont une voix consultative et
non délibérative au conseil d’administration et de surveillance (69). De plus, leur participation aux profits de l’entreprise n’est pas comparable à celle des actionnaires. Enfin, les
salariés, qui se trouvent dans un état de subordination, sont intrinsèquement dans un
rapport inégalitaire avec les employeurs. En revanche, les actionnaires sont sur un pied
d’égalité avec ces derniers. Il apparaît donc impossible d’assimiler l’entreprise à la société,
parce que cela reviendrait à confondre les intérêts des salariés et des actionnaires.
En outre, cette thèse institutionnelle de l’entreprise présente des risques (70). La reconnaissance de l’entreprise, comme cimentée par un intérêt commun peut conduire à considérer que les salariés doivent accepter de faire des sacrifices justifiés par l’intérêt de tous.
La représentation syndicale, qui repose sur la confrontation des intérêts entre les salariés
et les employeurs, risque d’être écartée par la représentation élue, mieux à même de
représenter les intérêts communs de tous. M. Supiot (71) a montré que cette conception
de l’entreprise pouvait faire le lit de la théorie du contrat collectif d’entreprise qui vise à
l’auto-réglementation de l’entreprise. L’objectif poursuivi est que « toutes les normes
extérieures à l’entreprise deviennent supplétives, à l’exception d’un noyau dur d’ordre
public strict ».
Cette théorie institutionnelle ne règle pas la question de la nature juridique de
l’entreprise. D’où l’exploration d’une autre voie qui a conduit à voir dans l’entreprise un
sujet de droit nouveau.
B. L’entreprise sujet du droit ?
Cette nouvelle voie s’inscrit à l’opposé des thèses matérialistes (72) qui ont une vision
purement patrimoniale de l’entreprise. Ils la conçoivent comme un ensemble de biens,
appartenant à une personne physique ou morale, privée ou publique, affectés à une production. Il en découle que l’entreprise ne peut exister qu’à travers cette personne titulaire
d’un patrimoine, en vertu du principe de l’unité du patrimoine et qu’elle ne peut être
gérée que dans l’intérêt de cette dernière. L’entreprise n’a donc ni d’intérêt, ni de person-
(65) G. Picca, « Entreprise et unité économique et sociale », dans études offertes à J. Barthélémy sur l’entreprise
et le droit social, Droit du travail et de la Sécurité Sociale, hors série, 1994, spéc. p. 14. Cet auteur montre que
cette approche contractuelle a été abandonnée suite à l’évolution de l’entreprise, avec le phénomène de concentration du capital.
(66) P. Durand, « Droit du travail », Précis Dalloz, 1947, n° 14.
(67) Articles L 432-1 à L. 432-4-2 du Code du travail.
(68) Article L 225-27 du Code du commerce.
(69) Article L 432-6 du Code du travail.
(70) A. Supiot, « Déréglementation des relations de travail et autoréglementation de l’entreprise », Droit social,
1989, spéc. p. 202 et 203.
(71) Idem.
(72) J. Paillusseau, « Qu’est-ce que l’entreprise », dans « L’entreprise nouveaux apports », Economica, sous la
direction de J. Jugault, 1987.
17
nalité, propres. Cette théorie conduit à ignorer l’entreprise, parce qu’elle l’assimile au propriétaire. Toutefois, comme l’a observé M. Bloch Lainé en 1967 (73), cette conception ne
reflétait pas la réalité. Dans la pratique, on a assisté à une dissociation entre les détenteurs du pouvoir et les détenteurs du capital, avec l’émergence de groupes de sociétés.
L’intérêt de l’entreprise s’est détaché de celui du propriétaire. D’où l’apparition des thèses
personnalistes (74), pour lesquelles l’entreprise est une collectivité formée par ceux qui
apportent capital et travail. Elle est dotée d’un patrimoine propre, d’une autonomie de
décision et d’un intérêt propre. Elle est donc un sujet de droit. Dans quel sens peut-on
l’affirmer ? Selon la théorie de la réalité de la personne morale, le droit peut ériger les
groupements humains au rang de personnes, dès lors qu’ils ont un intérêt propre, distinct
de leurs membres et qu’une organisation est susceptible d’exprimer l’intérêt collectif de
ce groupe. L’arrêt de la 2e chambre civile de la Cour de Cassation du 28 juillet 1954 (75)
paraît s’orienter dans ce sens.
Cette thèse présente des faiblesses. D’une part, l’entreprise n’est pas dotée de la personnalité juridique dans le droit positif. D’autre part, elle n’a pas de patrimoine propre (76). Il
n’y a pas de dissociation entre les patrimoines de l’entrepreneur et celui de l’entreprise.
Lorsque l’entreprise est dirigée par une personne morale (une société), le patrimoine est
affecté à cette société et non à l’entreprise. Cette doctrine a par la suite intégré ces
critiques. Elle n’a plus exigé la personnification de l’entreprise. Elle a considéré que
l’entreprise « se moule dans les structures juridiques qui lui procurent la capacité juridique qui lui manque ». « La société se mue en mécanisme ou cadre juridique nécessaire
à la vie de l’entreprise ». L’entreprise est alors définie par ses fonctions. Elle est une
activité doublée d’une organisation qui produit des biens et des services.
Toutes ces conceptions de l’entreprise n’ont pas vraiment réussi à la cerner. Leur
inventaire « défie toute généralisation, toute conception unitaire » (77). A l’incertitude de
son essence, s’ajoute celle de ses frontières.
Section 2 : Des frontières floues
La délimitation des frontières de l’entreprise revêt un enjeu essentiel. En effet, en droit du
travail, la frontière joue le rôle d’un rempart, qui sert à protéger les salariés de l’entreprise
en leur assurant un droit à la représentation. A l’inverse, le droit commercial s’inscrit dans
une perspective de la frontière non pas défensive, mais dynamique de contact, d’échange
avec l’extérieur. Il cherche à la repousser le plus loin possible. Les frontières de l’entreprise
sont alors ébranlées par le droit commercial engendrant un éclatement de l’entreprise (§1)
et corrélativement l’affaiblissement des institutions représentatives du personnel (§2).
§1. Les phénomènes d’éclatement de l’entreprise
L’entreprise se fissure sous l’impulsion d’un double mouvement. D’un côté, la concentration économique donne naissance à de grands groupes industriels et financiers rattachant plusieurs entreprises. De l’autre côté, la déconcentration du capital et de la production aboutit à insérer l’entreprise dans un tissu de sociétés reliées entre elles par des
contrats appelés « les réseaux ». Nous avons déjà décrit le phénomène des groupes en
les distinguant de l’entreprise (78). Nous porterons donc notre attention sur les réseaux.
Leur qualification s’avère être une tâche ardue. Les multiples appellations, dont on les
affuble, le montrent : quasi firmes, entreprises étendues, entreprises éclatées, structures
hybrides, réseaux. Ils ont été analysés comme des formes d’organisation ayant un
(73) F. Bloch Lainé, « Pour une réforme de l’entreprise », Seuil, 1967.
(74) G. Lyon-Caen et A. Lyon-Caen, « La doctrine de l’entreprise », dans « Dix ans de droit de l’entreprise » sous
la direction Y. Guyon, Librairies Techniques, 1978, spéc. p. 604 à 606.
(75) Civ. 2, 28 janvier 1954, Dalloz, 1954, p. 217, note Levasseur ; Droit social, 1954, p. 161, note P. Durand. Arrêt
aux termes duquel la personnalité civile « appartient en principe à tout groupement pourvu d’une possibilité
d’expression collective pour la défense d’intérêts licites, dignes par suite d’être juridiquement reconnus et
protégés ».
(76) N. Catala, « L’entreprise », Dalloz, 1980, spéc. p. 151.
(77) J.P. Robé, « L’entreprise et le droit », QSJ, PUF, spéc. p. 10.
(78) Cf. infra p. 14-15.
18
caractère hybride à mi-chemin entre le marché et la hiérarchie. En effet les liens entre les
sociétés sont plus durables que ceux du marché, mais moins contraignants que les liens
hiérarchiques qui existent entre la société mère et ses filiales au sein d’un groupe. Ils
correspondent donc à une forme de développement d’un genre particulier « non pas
entre le contrat et l’organisation, mais « au-delà d’eux » » (79). M. Teubner (80) les
désigne comme des « contrats symbiotiques », car les contrats qui relient les entreprises
n’ont plus pour fonction un échange instantané et ponctuel, mais ils font naître des relations durables et régulières de symbiose. Les réseaux peuvent donc se définir comme
« des ensembles constitués d’une ou de plusieurs entreprises liées par des relations
d’échanges fortes, s’inscrivant dans la durée et la stabilité, qui exigent un certain nombre
d’accords minimums, ainsi qu’une confiance réciproque entre les agents ». Ces contrats
engendrent une dépendance entre les entreprises. Ils sont généralement regroupés sous
le terme générique de « contrats de dépendance », définis comme des contrats « par
lesquels l’un des contractants se trouve tributaire pour son existence ou sa survie de la
relation régulière privilégiée ou exclusive qu’il a établi avec son cocontractant, ce qui a
pour effet de le placer dans sa dépendance économique et sous sa domination » (81). Ce
sont donc des groupes à structure contractuelle.
Les réseaux prennent autant de formes qu’il existe de contrats commerciaux du fait de la
variété des stratégies à leur origine (82). Ce sont donc des groupes à structure contractuelle. Ils peuvent ainsi concrétiser une stratégie de sous-traitance. Une entreprise va
décider de se concentrer sur son métier et de s’alléger de tout le reste de ses activités, en
faisant appel à des sous-traitants. C’est une opération, « par laquelle une entreprise (donneuse d’ordre) confie à une autre (preneuse d’ordre) le soin d’exécuter pour elle et selon
un cahier des charges préétabli une partie des actes de production ou de service dont elle
conserve la responsabilité économique finale », selon le Conseil économique et social
(83). L’organisation en réseau peut aussi être guidée par des stratégies de coopération ou
de collaboration. Les entreprises vont conclure des contrats aux différents stades de
conception, de production et de distribution des produits. Elles peuvent conclure des
contrats de prestations de services qui ont pour objet principal, mais non exclusif, la fourniture de main-d’œuvre, ce qui les distingue des contrats conclus entre une entreprise de
travail temporaire et ses clients (84). Lorsque les entreprises externalisent la distribution,
les principaux contrats qui en résultent sont la concession et la franchise. Le premier lie
un fournisseur à un commerçant, auquel il réserve la vente de ses produits, à la condition
qu’il accepte un contrôle commercial, comptable, voire financier de son entreprise et parfois s’engage à s’approvisionner dans ce secteur exclusivement chez le concédant (85).
Dans le contrat de franchise (86), le franchiseur, titulaire d’un signe distinctif, généralement déposé à titre de marque, en concède l’usage à un commerçant auprès duquel il
assure une fonction de conseil et d’assistance commerciale moyennant le paiement d’une
redevance sur le chiffre d’affaires du franchisé, ainsi que son engagement de s’approvisionner en tout ou partie auprès du franchiseur et de respecter un certain nombre de
normes tant pour l’implantation que pour la gestion du point de vente.
Si les groupes et les réseaux de sociétés divergent quant à leur support, ces phénomènes
détériorent le fonctionnement des institutions représentatives du personnel. L’existence
d’un employeur unique et d’une collectivité de travail unifiée permettent de délimiter une
entreprise. Les changements de configuration de l’entreprise altèrent ces deux éléments.
(79) G. Teubner, « L’hydre à plusieurs têtes : les réseaux comme acteurs collectifs de degré supérieur », dans
« Droit et Réflexivité », LGDJ, 1996, spéc. p. 269.
(80) G. Teubner, « Nouvelles formes d’organisation et droit », Revue française de gestion, 1993, p. 50.
(81) G. Virassamy, « Les contrats de dépendance », LGDJ, 1986.
(82) B. Henriet, « Entreprise éclatée et gestion du travail. Nouvelles configurations et pertinence de la Gestion
des Ressources Humaines » dans « Le travail en perspectives » de A. Supiot , LGDJ, 1998, p. 199.
(83) M. L. Morin, « Sous-traitance et relations salariales », Travail et Emploi, 1994 n° 60, p. 23.
(84) I. Vacarie, « L’employeur », Sirey Paris, 1979, spéc. p. 14.
(85) Lexique des termes juridiques, Dalloz.
(86) Idem.
19
§2. Les difficultés pour les institutions représentatives du personnel
A. La dilution du pôle patronal
Au sein de l’entreprise, « une personne physique unique exerce son autorité sur les travailleurs. C’est le chef d’entreprise », selon Messieurs Rivero et Savatier. A l’inverse, dans
le cas des groupes à structure sociétaire ou contractuelle, « il s’agit de substituer à un
centre de pouvoir unique une pluralité de pôles décisionnels, ayant chacun sa sphère de
compétences et de responsabilités » (87). Le pouvoir devient « collégial, diffus et
anonyme » (88). Il en résulte que l’employeur des salariés dans l’entreprise ne détient
plus qu’une « ombre de pouvoir » (89), car il ne conserve qu’une partie du pouvoir de
direction. Ce dernier se décompose en deux prérogatives : un pouvoir de direction économique ou de gestion et un pouvoir de direction des personnes (90). Le premier l’habilite à
faire des choix de gestion à savoir « de création, suppression ou transformation d’activité,
implantation ou organisation de la production » (91). Le second l’autorise à donner des
ordres, des directives et à sanctionner les travailleurs. Le dirigeant de l’entreprise ne
détient généralement plus que le pouvoir de direction des personnes, car le pouvoir de
direction économique est transféré à un autre pôle patronal situé au niveau de la société
dominante du groupe ou de la société centrale du réseau.
A l’inverse des groupes de sociétés, les réseaux font apparaître des espaces de décisions
étrangers à la domination financière et ils reposent sur des relations qui ne sont pas hiérarchiques : le pouvoir est « déhiérarchisé » (92). Au face à face entre l’employeur et le
salarié se substitue une relation triangulaire entre l’employeur nominal, l’utilisateur de
main-d’œuvre et les salariés d’une entreprise réticulaire. Cela « rend plus malaisé la
caractérisation de ces éventuels rapports de domination et l’identification d’un centre »
(93). Par ailleurs, la technique contractuelle, à la source de ces réseaux, repose sur le principe de l’autonomie de la volonté. Cette liberté contractuelle est sous-tendue par le postulat de l’égalité des cocontractants. Le droit des contrats est donc intrinsèquement résistant à toute analyse des rapports entre les différentes parties au contrat en termes de
pouvoir.
Dans les deux situations, la figure de l’employeur véritable ou de l’interlocuteur patronal
se brouille. Les institutions représentatives du personnel dans l’entreprise n’ont plus en
face d’elles un interlocuteur adéquat. Le président du comité d’entreprise, qui dirige
l’entreprise, n’est qu’un commis. Dès lors, la sphère d’action des institutions représentatives du personnel au sein de l’entreprise est limitée, car ils n’ont pas accès aux décisions
stratégiques prises au niveau de la société dominante du groupe ou de la société centrale
du réseau. L’entreprise ne peut plus jouer son rôle qui est de permettre d’établir un
« face-à-face entre les institutions représentatives et le pouvoir économique » (94). Il
apparaît alors indispensable de retrouver l’interlocuteur patronal des institutions représentatives du personnel.
(87) A. Supiot, « Les nouveaux visages de la subordination », Droit social, 02/2002, spéc. p. 135.
(88) I. Vacarie, « L’employeur », Sirey Paris, 1979, p. 41et s. et p. 235 et s.
(89) J. Savatier, « Les groupes de sociétés et la notion d’entreprise en droit du travail », Etudes de droit du
travail offertes à A. Brun, Librairies sociale et économique, 1974, p. 527.
(90) A. Jeammaud, M. Le Friant et A. Lyon Caen, « L’ordonnancement des relations du travail », D. 1998 chron.,
p. 359.
(91) Idem.
(92) B. Henriet, « Entreprise éclatée et gestion du travail. Nouvelles configurations et pertinence de la Gestion
des Ressources Humaines », dans « Le travail en perspectives » de A. Supiot, LGDJ, 1998, p. 199.
(93) A. Supiot, « Les nouveaux visages de la subordination », Droit social, 02/2002, spéc. p. 135.
(94) J. Savatier « Les groupes de sociétés et la notion d’entreprise en droit du travail », Etudes de droit du travail
offertes à A. Brun, Librairies sociale et économique, 1974, spéc. p. 534.
20
B. La dispersion de la collectivité de travail
Si l’entreprise se caractérise par une stabilité de la relation de travail, la constitution de
groupes de sociétés, liée à la mobilité du capital, favorise, au contraire, une grande
mobilité des salariés. Celle-ci se traduit par le détachement ou le transfert de salariés au
sein du groupe d’une entreprise vers d’autres entreprises. De la même manière, au sein
des réseaux, des entreprises ont recours à des travailleurs mis à leur disposition par
d’autres entreprises. Par conséquent, ces deux formes d’organisation de l’entreprise
engendrent « un éclatement de la collectivité de travail » (95). Il y a éclatement de la
collectivité des salariés de l’entreprise « lorsqu’au sein d’une même entité, voire à
l’intérieur d’un même service ou d’un même atelier coexistent des personnels dont la
société d’appartenance n’est pas la même et qui se voient appliquer des statuts professionnels et des règles de travail fort différentes » (96).
La représentation de ces salariés pose un double problème. D’un côté, l’éloignement
géographique de leur entreprise d’origine rend peu efficace leur représentation en son
sein. De plus, leur entreprise est parfois dépourvue de représentants du personnel en
raison de sa taille. De l’autre côté, au sein de l’entreprise utilisatrice ou d’affectation, la
« mosaïque » de statuts des travailleurs fait obstacle à l’établissement d’une solidarité
entre eux. La mission des institutions représentatives du personnel de défense des
intérêts des salariés devient alors délicate. Il faut préciser que le problème ne se pose
véritablement que pour les salariés durablement détachés dans une entreprise, et non
pour les travailleurs temporaires. Le caractère intermittent et bref du lien contractuel
entre ces salariés et l’entreprise utilisatrice, est peu compatible avec la permanence d’une
représentation de ces salariés au sein cette dernière. MM Lyon-Caen et Ribettes-Tilhet
font remarquer que les travailleurs temporaires « ne sont que des passants au sein de
l’entreprise » (97). A cela s’ajoute un facteur aggravant : l’internationalisation des groupes
de sociétés, comme des réseaux d’entreprises, qui rend d’autant moins aisé l’exercice de
leur mission par les institutions représentatives du personnel. En effet, notre droit du
travail est marqué par le principe de territorialité, qui limite son application au territoire
français.
Partir à la recherche de l’entreprise s’avère indispensable pour reconstituer le cadre
d’implantation des institutions représentatives du personnel. Les juges vont s’y attacher
et le législateur va les épauler dans cette action.
(95) J. de Maillard, P. Mandroyan, J.P. Plattier et T. Priestley, « L’éclatement de la collectivité de travail : observations sur les phénomènes d’extériorisation », Droit social, 1979, p. 323.
(96) A. Lyon-Caen et J. de Maillard, « La mise à disposition du personnel », Droit social, 1981 p. 320.
(97) I. Vacarie, thèse précitée.
21
Chapitre 2 : L’entreprise reconstituée
Lorsque le législateur a fait de l’entreprise et des établissements qui la composent des
cadres d’implantation et d’action des institutions représentatives du personnel, il ne pouvait imaginer que ces socles seraient autant fissurés par l’épreuve du temps. En effet, la
constitution de groupes à structure sociétaire ou contractuelle a rendu indispensable un
réajustement des « unités de représentation » (98). Le véritable détenteur du pouvoir de
décision ayant été placé hors d’atteinte des représentants du personnel, leurs pouvoirs
s’en sont trouvés amenuisés. Dans un premier temps, les juges ont réagi en trouvant les
moyens de dépasser les frontières juridiques sociétaires, avec la création de la notion
d’unité économique et sociale et de limiter les effets préjudiciables des frontières territoriales sur la représentation des salariés. Dans un second temps, les autorités étatiques
ont soutenu les juges dans leur démarche, par l’institution de trois dispositifs. La loi
Auroux du 28 octobre 1982 a consacré l’unité économique et sociale, à l’article L. 431-1 in
fine du Code du travail, pour la mise en place d’un comité d’entreprise. Le législateur a
également prévu la mise en place d’un comité de groupe, aux articles L. 439-1 et suivants
du Code du travail. Enfin, la loi du 12 novembre 1996, qui a transposé la directive européenne du 22 septembre 1994, a permis d’appréhender les entreprises ou les groupes
d’entreprises de dimension communautaire, par la mise en place d’un comité d’entreprise
européen ou d’une procédure d’information et de consultation, prévus aux articles
L. 439-6 et suivants du Code du travail. Le sens de ces démarches de reconstitution de
l’entreprise (99) peut être éclairé par la théorie de la transparence, développée par
M. Hannoun (100), qui vise à « accorder une situation de fait à une norme ». La norme
visée est le droit des salariés à être représentés efficacement. La recomposition de l’entreprise a pour objectif de rétablir une adéquation entre la réalité changeante de l’entreprise
et cette norme (Section 1). Néanmoins, toutes ces techniques n’ont qu’imparfaitement
permis d’atteindre ce but. La loi est par essence rigide, enfermée dans ses propres définitions et limitée dans l’espace, son champ d’application étant national. De plus, les juges
ont manqué d’audace pour pallier les faiblesses de la loi (Section 2).
Section 1 : L’adaptation des périmètres
M. Supiot a montré que le législateur et les juges ont tenté de reconstituer l’entreprise de
deux manières : soit en niant les séparations juridiques des sociétés et en affirmant l’unité
ou la continuité de l’entreprise au-delà de ces séparations (§1), soit en les prenant en
compte et en organisant des liens entre les sociétés (§2). Nous utiliserons cette grille
d’analyse pour exposer les méthodes qui ont permis de reconstituer l’entreprise.
§1. Le déni de la diversité
A. L’unité au-delà des divisions sociétaires
La mise en place des institutions représentatives du personnel dans l’entreprise étant
subordonnée par la loi à un critère d’effectifs pour le comité d’entreprise et les délégués
syndicaux, certains employeurs ont cherché à paralyser l’application des textes en
divisant leur entreprise en plusieurs sociétés, afin qu’aucune n’atteigne le seuil exigé par
la loi. Les juges ont voulu tenir en échec ces pratiques, en inventant la notion d’unité
économique et sociale (101). Ils ont très vite reconnu cette notion, indépendamment de
toute fraude, pour éviter que les mouvements de capitaux n’aient pour effet d’affaiblir la
représentation des intérêts des salariés (102). Certaines entreprises ont ainsi filialisé leurs
établissements, pour les rendre juridiquement indépendants. Cette opération a éloigné
les institutions représentatives du personnel au sein des filiales de l’interlocuteur idoine,
(98) A. Coeuret, « Frontières de l’entreprise et institutions représentatives du personnel », Droit social, 05/2001,
p. 487 ; P. Rémy, « Le groupe, l’entreprise et l’établissement », Droit social, 05/2001 p. 505.
(99) A. Supiot, « Groupes de sociétés et de paradigme de l’entreprise» Revue trimestrielle Droit Com., 1985,
spéc. p 626
(100) Ch. Hannoun, « Le droit et les groupes de sociétés », LGDJ, 1991, spéc. p. 155.
(101) Soc. 8 juin 1972, Bull. civ. V., n° 148, JCP, 1973. II 17326
(102) Soc. 19 décembre 1972, Dalloz, 1973, p. 381, note de M. Despax.
22
situé au niveau de l’entreprise. Pour redonner leur efficacité aux institutions représentatives du personnel, les juges ont donc recherché « derrière l’apparence des sociétés formellement distinctes, la réalité d’un ensemble unique » (103) formant une entreprise,
avec la notion d’unité économique et sociale. Ce faisant, ils ont fait de cette notion « un
moyen pragmatique de justifier certains résultats souhaitables » (104). L’exigence de la
combinaison d’une unité économique et sociale s’est progressivement affirmée dans la
jurisprudence (105). La Cour de cassation a ensuite dégagé leurs éléments constitutifs
(106). L’unité économique est caractérisée lorsqu’il y a une concentration du pouvoir de
direction, une communauté d’intérêts et de moyens des sociétés en cause et des activités
connexes ou complémentaires entre les sociétés. L’unité sociale peut être démontrée par
l’identité des conditions de travail ou du statut des salariés, une gestion du personnel
unifiée et la permutabilité du personnel à l’intérieur de l’ensemble des sociétés. Les juges
apprécient la réalité ou l’absence d’unité économique et sociale au regard d’un faisceau
d’indices.
La loi « Auroux » du 28 octobre 1982 a consacré la notion d’unité économique et sociale à
l’article L. 431-1 in fine du Code du travail (107), mais uniquement pour la mise en place
d’un comité d’entreprise. Elle peut être reconnue de deux manières soit par convention
entre les partenaires sociaux, soit par décision judiciaire, ce qui facilite sa reconnaissance.
La rédaction de cet article soulève deux interrogations. La première interrogation porte
sur le champ d’application de l’unité économique et sociale : concerne-t-elle la mise en
place de délégués syndicaux ? Etant d’origine prétorienne, cela paraît logique. La seconde
interrogation concerne l’interprétation des termes « entreprises juridiquement distinctes »,
surprenants pour une notion qui vise à reconstituer l’entreprise. S’agit-il d’une maladresse
du législateur (108) ? Maladresse ou pas, certains auteurs (109) considèrent que cet article
ouvre l’espace de reconnaissance de l’unité économique et sociale à plusieurs entreprises
et qu’elle devient alors une unité comparable au groupe. Cette extension de l’unité économique et sociale aux groupes de grande dimension était suggérée par M. Rodière (110).
L’utilisation de cette technique nous intéresse à double titre. L’unité économique, recherchée par les juges, conduit à reconstituer l’unité du pouvoir de direction. Les institutions
représentatives du personnel retrouvent une certaine efficacité, car elles peuvent
atteindre le véritable détenteur du pouvoir de direction. De plus, la reconnaissance d’une
unité sociale, fondée sur l’existence d’une collectivité de travail soudée par des intérêts
communs, facilite l’établissement d’une solidarité entre les salariés. Elle légitime alors
l’institution de représentants communs à ces salariés. Toutefois, la combinaison des deux
critères nuit parfois à l’efficacité des institutions représentatives du personnel. L’exigence
d’une unité sociale conduit à écarter de la reconnaissance d’une unité économique et
sociale des sociétés dépourvues de salariés, telles que des sociétés holding. Or le pouvoir
de prendre des décisions stratégiques, affectant le sort d’autres sociétés, peut s’exercer à
leur niveau. L’arrêt Michelin du 21 janvier 1997 (111), a assurément voulu remédier à cette
difficulté. Il a admis l’inclusion dans l’unité économique et sociale de deux sociétés qui ne
disposaient pas de personnel. On peut s’étonner de cette solution lorsqu’il s’agit de
mettre en place un comité d’entreprise (112). Ce dernier a pour finalité « d’assurer
l’expression de la collectivité des salariés », selon l’article L. 431-1 du Code du travail.
Cette inclusion a sans doute été motivée par la volonté de la jurisprudence d’assurer une
(103) G. Couturier, « La représentation du personnel dans les groupes de sociétés », article dans « Les salariés et
les associés minoritaires dans les groupes de sociétés », Presses universitaires d’Aix-Marseille, 1993, spéc. p. 61.
(104) R. de Lestang, « La notion d’unité économique et sociale d’entreprises juridiques distinctes », Droit social,
04/1979,.sq. 5.
(105) Soc. 29 avril 1981, Bull. civ. V., n° 360 ; J. Savatier, « L’unité économique et sociale entre personnes
morales juridiquement distinctes », Droit social, 01/1986, p. 11.
(106) J. Pélissier, A. Supiot et A. Jeammaud, « Droit du travail », Dalloz, 2002, n° 597.
(107) L’article L. 431-1 in fine du Code du travail dispose que « lorsqu’une unité économique et sociale est
constituée entre plusieurs entreprises juridiquement distinctes, la mise en place d’un comité d’entreprise
commun est obligatoire ».
(108) G. Couturier article précité p. 67. Il affirme que « cette formulation est en tout état de cause entachée d’impropriété : ce ne sont pas les entreprises, mais les personnes morales qui sont juridiquement distinctes ».
(109) Messieurs J. Pélissier, A. Supiot et A. Jeammaud, dans « Droit du travail », Dalloz, 2002, spéc. p. 694 et
695, insèrent ainsi les commentaires sur l’unité économique et sociale dans une partie qu’ils intitulent « unité
plus vaste que l’entreprise ».
(110) P. Rodière, « L’adaptation du comité d’entreprise aux structures de l’entreprise », Droit social, 1983, p. 361.
(111) Soc 21 janv. 1997, Droit social, 1997, p. 347, note de J. Savatier, « Les problèmes posés par la
reconnaissance d’une UES ».
(112) Idem.
23
meilleure information économique au sein de ce groupe, en faisant correspondre le
niveau de représentation à celui de prise de décision.
Les juges se font les gardiens des frontières de l’entreprise en empêchant également leur
perturbation par un élément d’extranéité. Ils opèrent une dissociation entre l’entreprise et
la personne de l’employeur, que celui-ci soit une personne physique ou une personne
morale, comme le montre M. Savatier (113). Ainsi dans l’arrêt du 29 juin 1973 du Conseil
d’Etat (114), la compagnie des Wagons-lits était une société de droit belge dont le siège
social était à Bruxelles. Elle refusait de se soumettre à l’obligation légale française de
mettre en place un comité central d’entreprise, aux motifs que son siège social se trouvait
en dehors du territoire français. Le Conseil d’Etat a estimé que « la circonstance qu’une
entreprise, employant en France plus de 50 salariés, a son siège social à l’étranger ne
saurait la faire échapper à l’application de la législation sur les comités d’entreprises ;
qu’il lui appartient au contraire d’instituer la participation d’un tel comité à ses activités
d’employeur en France dans toute la mesure du possible ». Les juges s’efforcent de
reconstituer ce que M. Brun (115) appelait « le lien d’entreprise », c’est-à-dire le lien entre
le salarié et une organisation productive déterminée, sous une direction donnée, que l’on
qualifie d’entreprise (116). La qualité d’employeur de la société belge et le nombre de
salariés sont les deux critères qui permettent de le reconstruire. L’entreprise est distinguée de la société personne morale belge. Cette solution a été récemment réaffirmée par
la chambre sociale dans un arrêt de la Cour de cassation du 14 février 2001 (117), dans le
cas d’élection de délégués du personnel. Le même critère d’exercice des prérogatives de
l’employeur a été retenu. L’entreprise est à nouveau fonctionnalisée par les juges pour
garantir aux salariés une représentation efficace.
B. La continuité au-delà des divisions sociétaires
Les stratégies d’externalisation engendrent un éclatement de la collectivité de travail
(118), en projetant à la périphérie de l’entreprise des travailleurs auparavant dans son
giron. L’éloignement géographique de leur entreprise d’origine rend malaisé et inefficace
leur défense dans cette entreprise. Le législateur et la jurisprudence vont tenter de
corriger ce problème en leur donnant accès à certains droits à la représentation dans
l’entreprise utilisatrice. Ils affirment de cette manière la continuité de l’entreprise
utilisatrice, par la reconstitution fictive de l’unité de sa collectivité de travail dispersée.
L’affirmation de cette continuité « participe de l’effort de reconstitution de l’entreprise »
(119).
Le législateur admet implicitement la continuité de l’entreprise utilisatrice, en étendant les
missions des institutions représentatives du personnel de cette entreprise aux salariés
des entreprises extérieures. Il élargit les missions du Comité d’Hygiène, de Sécurité et des
Conditions de Travail de l’utilisateur à ces salariés, en vertu de l’article L. 236-2 alinéa 1
du Code du travail (120). De plus, l’article L. 432-4 du Code du travail oblige le comité
d’entreprise du donneur d’ordre à être informé de la situation de la sous-traitance.
Pour reconstituer la collectivité de travail, le législateur va aussi faire rayonner les institutions représentatives du personnel des entreprises extérieures au-delà de leur cadre
d’implantation, pour qu’ils atteignent le véritable pouvoir de direction situé dans l’entreprise utilisatrice. Tout d’abord, l’article L. 422-1 du Code du travail permet aux salariés des
entreprises extérieures et des entreprises de travail temporaire de « faire présenter leurs
réclamations individuelles et collectives concernant celles des conditions d’exécution de
travail qui relèvent du chef d’établissement par les délégués du personnel de cet établis-
(113) Soc. 29 juin 1973, Droit social, 1974, p. 42, note de J. Savatier.
(114) Idem.
(115) A. Brun, « Le lien d’entreprise », J.C.P., 1962, I, 1719 et cf. supra p. 27.
(116) J. Savatier, « Les groupes de sociétés et la notion d’entreprise en droit du travail », Etudes de droit du travail offertes à A. Brun, Librairies sociale et économique, 1974, p. 527.
(117) M. A. Moreau, « La représentation des salariés travaillant en France pour le compte d’une société établie à
l’étranger », Droit social, 2001, p. 639.
(118) Cf. infra p. 25-26.
(119) A. Supiot, article précité, p. 623.
(120) L’article L. 236-2 alinéa 1 du Code du travail dispose que le CHSCT a pour mission « de contribuer à la
protection de la santé et de la sécurité des salariés […] mis à sa disposition par une entreprise extérieure, y
compris les travailleurs temporaires, ainsi qu’à l’amélioration des conditions de travail [...]. Il a également pour
mission de veiller à l’observation des prescriptions législatives et réglementaires prises en cette matière ».
24
sement, dans les conditions fixées au présent titre ». Ensuite, les dispositions législatives
ouvrent la négociation de l’accord d’entreprise à ces salariés, par l’intermédiaire de leurs
délégués syndicaux, à l’article L. 132-21 du Code du travail (121). La volonté du législateur
est de remédier aux conséquences de l’extériorisation des travailleurs par une entreprise.
Celle-ci entraîne pour eux un statut différent des salariés de cette entreprise et l’application d’une autre convention collective, voire même la privation du bénéfice d’un accord
d’entreprise. Une autre solution a été retenue par le législateur, pour les travailleurs intérimaires, qui peuvent ainsi bénéficier des dispositions conventionnelles applicables au
lieu de travail, en vertu de l’article L. 124-4-6 du Code du travail. Mais, la loi n’a pas
apporté toutes les réponses aux questions que soulevait la représentation collective des
travailleurs mis à disposition d’une entreprise. Peuvent-ils élire leurs représentants en
tant que délégués du personnel ou en qualité de membres du comité d’entreprise dans
l’entreprise utilisatrice ? Sont-ils éligibles à ces postes et peuvent-ils être désignés en
qualité de délégués syndicaux ?
La jurisprudence a éclairci ces questions en donnant une interprétation aux termes légaux
« de salariés mis à disposition ». Sa démarche consiste également à nier la rupture du
lien juridique avec l’utilisateur, en retenant la continuité de l’entreprise utilisatrice pour
les élections et l’éligibilité aux fonctions de délégués du personnel. Dans un arrêt du
18 janvier 1978 (122), la chambre sociale de la Cour de cassation s’est prononcée en
faveur de l’électorat et de l’éligibilité des agents de la SNCF, détachés de manière permanente auprès d’une de ses filiales, au sein de cette filiale. Cette solution a été confirmée
par deux arrêts de l’Assemblée plénière du 29 février 1980 et de la Chambre sociale du
18 avril 1980 (123). La Cour de cassation ressoude ainsi la collectivité de travail dispersée
par l’utilisation des contrats commerciaux. En revanche, les juges ont toujours été réfractaires à cet accès au sein du comité d’entreprise de l’entreprise de détachement, parce
qu’ils suivent une démarche fonctionnelle. Un arrêt du 18 avril 1980 (124) le montre clairement. La chambre sociale de la Cour de cassation a estimé que ces salariés « sont placés dans une situation différente de celle des salariés avec lesquels ils travaillent et n’ont
pas le même intérêt au sort et à la gestion d’une entreprise dont ils ne partagent pas les
aléas ». Cette solution a été étendue à tous les salariés d’entreprises extérieures par des
arrêts ultérieurs (125).
Pour intéressante et audacieuse que soit cette jurisprudence, « il est douteux qu’elle permette d’organiser la représentation des travailleurs au niveau d’un groupe véritable »
(126). La loi du 28 octobre 1982 et celle du 12 novembre 1996 ont répondu à cet objectif
en créant le comité de groupe et le comité d’entreprise européen.
§2. L’organisation de la diversité : la notion de groupe
A. Le comité de groupe : dépasser l’indépendance des sociétés
Le législateur s’est efforcé d’adapter les institutions représentatives du personnel aux
bouleversements des frontières de l’entreprise résultant de son intégration dans un
groupe. M. Rodière (127) a montré que pour y parvenir, deux voies pouvaient être
empruntées : rester au niveau de l’entreprise et remodeler les pouvoirs du comité d’entreprise ou s’élever jusqu’au sommet du groupe. La loi du 28 octobre 1982 a eu recours aux
deux possibilités, mais elle a privilégié, à juste titre, la seconde avec la création du comité
de groupe, mis en place auprès de la société dominante des groupes de sociétés. En effet
l’efficacité du comité d’entreprise est réduite, car le chef d’entreprise n’est pas le véritable
détenteur des décisions affectant les salariés de cette entreprise. La stratégie est décidée
(121) L’article L. 132-21 du Code du travail dispose que « lorsqu’une entreprise emploie soit dans ses locaux, soit
dans un chantier dont elle assume la direction en tant qu’entreprise générale, des travailleurs appartenant à une
ou plusieurs entreprises extérieures, les délégué syndicaux des organisations syndicales représentatives dans
ces entreprises sont à leur demande entendus lors des négociations ».
(122) Soc. 18 janvier 1978, Bull. civ. V n° 43, p. 30.
(123) Ass. Plén, 29 février 1980 et Soc. 18 avril 1980, D.1980, IR, p. 545, note de J. Pélissier.
(124) Soc. 18 avril 1980, Bull. civ. V n° 329, p. 251.
(125) Soc. 7 juin 1984, RPDS, 1984, p. 327 ; Soc. 22 avril 1985, Bull. civ. V, n° 247.
(126) J. Savatier, « Les groupes de sociétés et la notion d’entreprise en droit du travail », Etudes de droit du travail offertes à A. Brun, Librairies sociale et économique, 1974, p. 527.
(127) P. Rodière, « L’adaptation du comité d’entreprise aux structures de l’entreprise », Droit social, 1983, p. 361.
25
au niveau du groupe. L’institution d’un comité de groupe permet ainsi de remonter la
chaîne de la décision et d’informer les représentants du personnel en amont. Pour
M. Pailusseau (128), la rupture d’équilibre entre les intérêts de la filiale et ceux du groupe,
lié à la sujétion de cette filiale, justifie la reconnaissance d’un droit des groupes, pour
rétablir un équilibre des intérêts. Cette analyse explique l’intérêt que présente le comité
de groupe, moyen pour les institutions représentatives du personnel de faire valoir les
intérêt des filiales comprises dans le groupe.
Avant de créer une instance de représentation à ce niveau, il fallait au préalable définir le
groupe. M. Plantamp (129) montre que la définition du groupe, choisie par le droit social,
présente quelques innovations par rapport aux autres droits. Ces dernières traduisent la
volonté du législateur de promouvoir une conception large du groupe, pour assurer une
circulation efficace de l’information. C’est pourquoi, la notion de « société dominante » a
été préférée à celle de « société mère », plus restreinte, car elle est liée à une relation de
participation au capital. La société dominante recouvre les sociétés filiales et les filiales de
filiales. La concentration des entreprises au sein d’un groupe engendre leur dépendance,
qui se traduit par un contrôle d’une société sur d’autres. Le législateur a essentiellement
retenu comme moyens de présomption de ce contrôle la domination financière, mesurée
à l’aide du critère quantitatif de la majorité. Toutefois, ces moyens de présomption ne
rendent pas à eux seuls comptent de l’existence d’un contrôle, comme le montre
M. Hannoun (130). Ils reposent sur le postulat de l’identification des détenteurs du capital
aux véritables détenteurs du pouvoir. Il s’agit d’une conception patrimoniale du pouvoir
(131). La loi du 12 novembre 1996 a pris conscience des lacunes de cette conception du
groupe. Elle a donc pris en compte la domination de fait, en ajoutant deux moyens de
présomption de l’influence dominante d’une entreprise, à l’article L. 439-1 II alinéa 3 du
Code du travail : un contrôle directionnel, se traduisant par la nomination de plus de la
moitié des membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance ou un
contrôle décisionnel par la détention de la majorité des voix. Cette loi a également contribué à encourager l’existence des comités de groupes, en autorisant leur institution dans
« les entreprises et autres organismes mentionnés à l’article L. 431-1 du Code du travail
quel que soit le nombre de salariés qu’ils emploient », selon l’article L. 439-1 I du Code du
travail. Que signifie cet article ? Il est possible de l’interpréter à la lumière de l’article
L. 431-1 du Code du travail qui exige un nombre minimal de 50 salariés pour la mise en
place d’un comité d’entreprise. On peut considérer que l’article L. 439-1 du code du travail
prend soin d’ajouter cette précision par distinction avec l’article L. 431-1 auquel il renvoie.
Il ne fixerait donc aucun seuil. Ainsi un groupe pourrait inclure une holding et des entreprises dont le nombre des salariés est inférieur à 50 pour la mise en place du comité.
Le comité de groupe est néanmoins limité par « les effets de frontières » (132). La
directive du 22 septembre 1994, qui a créé les comités d’entreprise européen, a permis
d’y remédier. Le comité de groupe français lui a servi d’inspiration. Ces deux comités sont
donc animés par une logique identique. L’objectif de la loi « Auroux » de « mettre en
place une solidarité du pouvoir, là où il y a une solidarité des travailleurs », en créant le
comité de groupe, est aussi celui qui guide implicitement le comité d’entreprise
européen.
B. Le comité d’entreprise européen : dépasser les frontières nationales
La finalité de la directive du 22 septembre 1994 (133) a été clairement exprimée par
M. Cœuret (134) : « il est manifeste que la norme d’origine européenne a été conçue pour
tenter de contrecarrer les effets réducteurs de la territorialité des lois nationales sur les
contrepouvoirs donnés aux salariés de l’Union dans le cadre d’institutions représentatives de type conseil ou comité ». Le comité d’entreprise européen concerne ainsi les
entreprises ou les groupes d’entreprises de dimension communautaire. Il a fallu
(128) J. Paillusseau, « La filiale commune », colloque organisé par l’université de Paris II du 20-21-22 février
1975, p. 30.
(129) D. Plantamp, « L’originalité du groupe de société », Dalloz, 1991, chronique p. 69.
(130) Ch. Hannoun, « Le droit et les groupes de sociétés », LGDJ, 1991, spéc. p. 113, n° 148.
(131) Cf. infra p. 19.
(132) A. Jeammaud, « Les droits du travail à l’épreuve de la mondialisation », Droit ouvrier, 1998, spéc. p. 241.
(133) Directive 94/45/CE, JOCE, n° L. 254 du 30 sept. 1994, p. 64.
(134) A. Coeuret, « Frontières de l’entreprise et institutions représentatives du personnel », Droit social, 2001,
p. 487.
26
déterminer ce qu’on entendait par là. Des critères quantitatifs et territoriaux permettent
de les cerner. La section I de la directive à l’article 2 dispose qu’une entreprise ou un
groupe d’entreprises de dimension communautaire est « une entreprise ou un groupe
employant au moins 1000 travailleurs dans les Etats membres différents et, dans au
moins deux Etats membres différents, au moins 150 travailleurs dans chacun d’eux ».
Néanmoins, cette directive n’a pas anticipé l’évolution à venir du périmètre des comités
d’entreprise européen, lié à l’élargissement de l’Union européenne. En effet, elle a fixé un
nombre maximum de représentants au comité d’entreprise européen, ce qui ne permet
pas d’intégrer dans le comité d’entreprise européen les représentants des pays qui vont
adhérer ultérieurement à l’Union européenne. Elle ne tient pas non plus compte de
l’espace économique européen. La fixation de ce seuil a été critiquée comme peu adaptée
à la réalité au cours des travaux préparatoires à la loi française de transposition du
12 novembre 1996. Cette dernière a voulu remédier à cette lacune en refusant de fixer un
nombre maximum de représentants et en prévoyant des règles particulières facilitant
l’adaptation du dispositif (135). De cette manière, le périmètre du comité d’entreprise
européen peut être modelé pour tenir compte de l’élargissement de L’Union européenne.
Ces avancées jurisprudentielles et légales, pour modeler les institutions représentatives
du personnel aux changements de physionomie de l’entreprise, n’ont cependant pas
permis d’appréhender les liens contractuels entre les sociétés.
(135) Article L. 439-18 alinéa 3 du Code du travail qui dispose que « le chef d’entreprise ou son représentant et
les représentants des salariés peuvent décider d’associer aux travaux du groupe spécial de négociation ou du
comité d’entreprise européen des représentants de salariés employés dans des Etats autres que ceux
mentionnés au deuxième alinéa de l’article L. 439-6 ».
27
Section 2 : Les limites de l’adaptation
Les réactions légales (§1) et jurisprudentielles (§2) ne répondent qu’imparfaitement aux
difficultés des représentants du personnel liées à l’éclatement de l’entreprise.
§1. Les faiblesses de la loi
A. La rigidité de la loi
La création d’une instance au niveau du groupe rendait impérative l’adoption d’une
définition du groupe. Plusieurs démarches étaient envisageables. Il était possible
d’adopter des critères souples en laissant aux partenaires sociaux le soin de le définir
plus précisément en tenant compte de la spécificité de chaque groupe de société et de sa
variabilité (136). Une deuxième voie plus rigide consistait à laisser au législateur la
mission de tout fixer. Il est intéressant de noter que la directive européenne sur les
comités d’entreprises européens a réussi à trouver une voie médiane. Elle a choisi de
donner la priorité aux partenaires sociaux et a prévu des dispositions subsidiaires, en cas
d’échec des négociations. Cette démarche n’a pas été retenue par le législateur français,
qui a adopté une définition rigide du groupe fondée essentiellement sur des critères de
détention capitalistique, peu adaptée à la réalité.
La conception du groupe choisie pour le comité de groupe repose sur l’utilisation de
critères quantitatifs (137). M. Hannoun (138) critique l’utilisation de ces critères résultant
d’une observation sommaire de la réalité. Ainsi « par un effet de retour, il est même dans
la logique de telles définitions d’être démenties dans les faits ». Le postulat du critère de
domination (139) qui transparaît derrière cette exigence de majorité entraîne l’exclusion
des situations fondées sur des liens de stricte égalité.
Les filiales communes en sont l’illustration. Une filiale commune est une société utilisée
pour assurer une collaboration entre deux ou plusieurs sociétés ou entre deux ou
plusieurs groupes. Son capital est donc partagé en conséquence. M. Paillusseau (140)
opère une distinction entre les filiales intergroupes, constituées entre des groupes, et les
filiales intra-groupes, constituées pour des sociétés à l’intérieur d’un groupe. Il fait remarquer que les secondes ne suscitent pas vraiment de difficultés, car elles dépendent du
même contrôle final. Un problème se pose donc surtout pour les premières. En effet,
l’article L 439-1 du Code du travail précise « qu’une entreprise ne peut être représentée
que dans un seul comité de groupe qui détient la plus grande part de son capital social ».
Au regard des conditions de cet article, une filiale commune à différents groupe n’appartient à aucun groupe. Elle est juridiquement dissociée de ses fondateurs et ne peut être
rattachée à l’un deux, alors qu’elle est dépendante économiquement de ces derniers. La
circulaire du 26 juin 1984 (141) avait cherché à résoudre ce problème en énonçant qu’en
cas d’égalité entre les deux groupes, le comité d’entreprise pouvait choisir librement un
groupe de rattachement. La question des filiales communes s’est posée dans l’arrêt
(136) P. Sudreau, « La réforme de l’entreprise », rapport du comité d’étude, La documentation française, 1975,
spéc. p. 73. Il prévoyait que la représentation du personnel dans les groupes et holdings fasse l’objet d’une
négociation obligatoire entre la direction du groupe et les organisations syndicales représentatives. N. Catala,
« L’entreprise », Dalloz, 1990. Elle a de même estimé que « la meilleure méthode en la matière sera sans nul
doute celle qui laissera aux partenaires sociaux le maximum d’autonomie pour modeler aux réalités de chaque
groupe les organes de concertation que réclament les salariés ».
(137) L’article L. 439-1 II alinéa 3 du Code du travail dispose que « L’existence d’une influence dominante est
présumée établie (…) lorsque qu’une entreprise (…) peut nommer plus de la moitié des membres des organes
d’administration, de direction ou de surveillance d’une autre entreprise ou dispose de la majorité des voix
attachées aux parts émises par une autre entreprise ou détient la majorité du capital souscrit par une autre
entreprise ».
(138) Ch. Hannoun, spéc. p. 113.
(139) Y. Chalaron, jurisclasseur fasc. 15-80.
(140) J. Paillusseau, « La filiale commune », colloque organisé par l’université de Paris II du 20-21-22 février
1975, p. 30.
(141) Circulaire du 28 juin 1984 sur les modalités d’application de la loi du 28 octobre 1982 concernant les
comités de groupe, Droit ouvrier, 1984, p. 374.
28
Naphta Chimie du 9 février 1994 (142). La société Naphta Chimie était une filiale
commune de deux groupes concurrents Elf et BP France. Son comité d’entreprise avait
voulu se rattacher au groupe Elf, en s’appuyant sur les dispositions de la circulaire. La
chambre sociale de la Cour de cassation a rejeté cette argumentation aux motifs « qu’une
société n’appartient à un groupe au sens de l’article L. 439-1 du Code du travail que si elle
dépend d’une société dominante qui, soit possède directement ou indirectement plus de
la moitié du capital, soit la contrôle effectivement et forme avec elle un même ensemble
économique, qu’il en résulte qu’une filiale commune (…) n’appartient à aucun groupe ».
Elle a suivi la thèse de plusieurs auteurs (143), comme M. Couturier (144) qui avait fait
remarquer que « le rattachement unique à l’un ou l’autre des groupes participants serait
nécessairement arbitraire » et M. Rodière pour lequel il n’existe pas de « droit absolu à
appartenir à un groupe » (145). Une telle solution s’explique par la volonté « d’éviter que
l’information ne circule trop aisément d’un groupe concurrent vers l’autre » (146).
Derrière cette solution se dessine une conception de la représentation du groupe limitée à
une « participation à la circulation de l’information du dominant vers le dominé et non
une intégration à un processus décisionnel dans le cadre d’un comité d’entreprise reconstitué », comme le pointe Mme Favennec-Herry (147).
Cependant, la mise à l’écart des filiales communes inter-groupes du périmètre du groupe,
pour la mise en place d’un comité de groupe, est regrettable, car elle porte atteinte au
droit à la représentation des salariés de ces filiales. En effet, la filiale commune est un
« instrument aux mains du groupe qui lui dicte son destin » (148). Leur personnel subit
les décisions prises au niveau des deux groupes. Or les représentants du personnel ne
peuvent pas dialoguer avec les véritables détenteurs du pouvoir. Ils ne peuvent donc pas
prévenir ou réparer les conséquences dommageables d’une décision prise au niveau des
groupes sur les filiales communes, notamment en matière d’emploi. Quelle que soit la
conception du rôle du comité de groupe que l’on ait, la solution de la Cour de cassation
semble peu justifiée. Si on adopte une vision minimaliste de la finalité du comité de groupe, qui serait seulement de faire circuler l’information en remontant à la source des décisions susceptibles d’affecter une société, les salariés des filiales communes devraient
bénéficier de cette information. En effet, les filiales de filiales sont incluses dans le groupe
pour la mise en place du comité de groupe (149), afin de protéger leurs salariés contre
des décisions, prises au niveau du groupe, qui affecteraient une filiale et par ricochet les
filiales de cette filiale. Or, les filiales communes, étant des filiales directes des groupes,
leurs salariés sont plus directement touchés par leurs décisions. Ils devraient de ce fait
eux aussi bénéficier d’une représentation au niveau du groupe. Si on estime, au contraire,
que le comité a des pouvoirs plus étendus, cette exclusion paraît d’autant moins légitime.
Enfin l’analyse de M. Paillusseau (150) demeure, à notre sens, pertinente. Il justifiait l’application d’un droit des groupes à ces filiales, pour rétablir l’équilibre entre les intérêts
catégoriels de la filiale, assujettis à ceux des groupes et les intérêts des groupes. Le législateur n’aurait-il pas pu envisager la création d’un comité de groupe commun aux
groupes ayant une filiale commune (151), alors que lorsqu’une entreprise est divisée en
sous-ensembles, on admet la création d’une même instance : le comité central d’établissement ?
(142) Ph. Waquet, « Comité d’entreprise et comité de groupe dans le cas des filiales communes », Droit social,
1994, p. 251.
(143) M. Waquet dans cet article précité avait affirmé qu’« à défaut de société dominante, la simple participation
d’une société dans le capital d’une autre n’entraîne pas l’existence d’un groupe ».
(144) G. Couturier, « L’accès du comité d’entreprise à l’information économique et financière », Droit social,
01/1983, p. 26.
(145) P. Rodière, « L’adaptation du comité d’entreprise aux structures de l’entreprise », Droit social, 1983, p. 363.
(146) Idem.
(147) F. Favennec-Hery, « la représentation collective dans les groupes de sociétés », article dans « Les salariés
et les associés minoritaires dans les groupes de sociétés », Presses universitaires d’Aix-Marseille, 1993, p. 60.
(148) N. Catala, « La filiale commune », colloque organisé par l’université de Paris II du 20-21-22 février 1975.
(149) L’article L. 439-2 II alinéa 3 du Code du travail dispose que « l’existence d’une influence dominante est
présumées établie (…) lorsque une entreprise détient (…) indirectement ». Selon la circulaire du 28 juin 1984, cet
adverbe « indirectement » permet d’inclure « la filiale d’une filiale de la société dominante, même si à chaque
stade le capital, n’est détenu qu’à un pourcentage légèrement supérieur à 50 % ». « Une société doit aussi être
incluse quand la société dominante, par l’intermédiaire de deux ou plusieurs filiales détient plus de 50 % du
capital de ladite société. Les pourcentages de détention du capital doivent être additionnés ».
(150) J. Paillusseau, « La filiale commune », colloque organisé par l’université de Paris II du 20-21-22 février
1975, spéc. p. 37.
(151) Le droit allemand permet aux filiales communes d’appartenir à plusieurs groupes. Son conseil d’entreprise
peut participer à la formation des conseils de groupes des différentes sociétés mères. Cours de droit comparé
d’A. Lyon-Caen, avec M. Weiss, DEA, 2002-2003.
29
La loi du 12 novembre 1996 qui a élargi les critères de contrôle d’une société a-t-elle fait
évoluer la situation de ces filiales communes ? M. Cohen (152) soutient que « cette
jurisprudence est aujourd’hui caduque en raison de la nouvelle rédaction qui permet de
déterminer l’entreprise réellement dominante à partir de sa capacité à nommer les
principaux dirigeants de la société ». Si ce texte permet de « mieux cerner la notion de
filiales communes » (153), cela ne signifie pas pour autant qu’il résolve le problème de la
représentation des salariés des filiales communes inter-groupes, au niveau du groupe au
sens de l’article L. 439-1 du Code du travail. Malgré la réforme de 1996 sur le comité de
groupe, la solution de l’arrêt du 9 février 1994 nous semble rester d’actualité.
Au problème des filiales communes s’ajoute celui de la représentation des salariés des
groupements d’intérêts économiques (GIE), dont le rôle est de mettre en œuvre des
moyens propres à faciliter ou développer l’activité économique de ses membres, ou d’accroître les résultats de l’activité de plusieurs sociétés, selon l’ordonnance du 23 septembre 1967. Le gouvernement a rejeté la représentation de leurs salariés au sein du
comité de groupe, aux motifs qu’un GIE « ne présente pas le caractère de société dominante ou de société contrôlée exigé par la loi pour faire partie du groupe, dans la mesure
où il répond à l’objet limité qui lui est donné par la loi (…) Il doit être considéré comme
une structure spécifique qui ne saurait être représentée au comité de groupe » (154). La
loi du 12 novembre 1996 sème un doute sur ce point. Le nouvel article L. 439-1 alinéa 1
dispose que « les dispositions du présent article sont applicables aux entreprises et
autres organismes mentionnés à l’article L. 431-1 ». Or, sur le fondement de cet article, la
jurisprudence a autorisé la mise en place d’un comité d’entreprise au sein d’un GIE, dans
un arrêt du 29 avril 1986 (155). On peut peut-être en déduire que les GIE peuvent être intégrés dans le groupe au sens du comité de groupe. Toutefois, les motifs qui ont justifié
l’exclusion des GIE dans la réponse ministérielle de 1987 restent pertinents.
A l’exclusion des liens de collaboration entre les sociétés pour la reconnaissance d’un
groupe, s’ajoute celle des sociétés exclusivement reliées par la technique contractuelle et
formant un réseau.
Certes la loi autorise par quelques dispositions les salariés des entreprises extérieures à
accéder à certains droits à la représentation dans l’entreprise utilisatrice (156), mais leur
portée est réduite. Si le comité d’entreprise de l’entreprise utilisatrice est informé de la
situation de la sous-traitance (157), les informations sont très générales et les élus sont
démunis pour obtenir le reclassement de la main-d’œuvre sous-traitante. De même si les
délégués syndicaux des entreprises extérieures peuvent être entendus dans la négociation de cette entreprise, cette possibilité est peu utilisée (158). Enfin, si les élus des
entreprises extérieures peuvent saisir le chef de l’entreprise utilisatrice en matière d’hygiène et de sécurité, ils n’osent pas exercer cette prérogative, par crainte que leur action
ne soit utilisée par l’employeur pour se tourner vers d’autres entreprises (159).
De plus, en ce qui concerne les textes relatifs au comité de groupe, l’exigence d’une
participation d’une société dans le capital d’une autre, même peu élevée (160), place ainsi
hors de son champ les réseaux de sociétés. En effet, au sein de ces réseaux, les sociétés
peuvent être entièrement autonomes financièrement et pourtant très dépendantes
économiquement. L’intégration des entreprises dans le groupe, « lorsque la permanence
et l’importance des relations » établissent leur appartenance « à un même ensemble
économique », selon l’article L. 439-1 alinéa 2 du Code du travail, met en évidence des
techniques de contrôle relationnel et non pas seulement capitalistique. Le législateur
ouvre ainsi la porte à la reconnaissance d’un groupe, pour l’institution de comités de
groupe, entre des sociétés liées par des contrats, si l’ampleur des échanges est suffisante.
Néanmoins, une participation de 10 % dans le capital de la société est toujours exigée, ce
qui empêche de véritablement appréhender les réseaux de sociétés.
(152) M. Cohen, 4 édition, p. 180.
(153) D. Richard, « Comité d’entreprise européen, le mythe devient réalité », Revue Droit des affaires int., 1995,
p. 242.
(154) Rép. Min. JO déb. Ass. Nat, Q., 3/08/1987; Droit ouvrier, 1987, p. 383.
(155) Soc. 29 avril 1986, Bull. crim, n° 147 et Soc. 11 juillet 1989, Droit social, 1989, p. 822, note M. Le Friant et
A. Lyon-Caen, à propos du GIE Airbus industrie.
(156) Cf. infra. p. 30.
(157) Article L. 432-4 alinéa 2 du Code du travail.
(158) Article L. 132-21 du Code du travail.
(159) Article L. 422-1 du Code du travail.
(160) Article L. 439-1 alinéa 2 du Code du travail.
30
B. La territorialité de la loi
Le droit du travail est en outre limité dans sa capacité à moduler la représentation du
personnel aux nouvelles configurations de l’entreprise, souvent internationales, par le
principe de territorialité des lois. Il est défini comme « le postulat selon lequel le droit en
vigueur dans un territoire, d’une part est seul applicable dans ce territoire, d’autre part n’a
pas d’effet hors de ce territoire » (161). Le respect de la souveraineté étrangère est au
fondement de ce principe. Ce dernier a pour effet d’amputer de certaines de leurs attributions les institutions représentatives du personnel mises en place au sein d’entreprises
transnationales. Il explique les réserves de la jurisprudence quant à l’exercice des prérogatives des institutions représentatives du personnel. Dans l’arrêt Compagnie des
wagons lits du 29 juin 1973 (162), le Conseil d’Etat a ainsi jugé que le comité central d’entreprise « doit être mis à même d’exercer l’ensemble des attributions définies par l’ordonnance, à la seule exception de celles qui seraient incompatibles avec la présence à l’étranger du siège social ». Il en découle que le comité central d’entreprise ne peut contraindre
la société belge à lui communiquer des informations. Il peut seulement être informé de
l’activité de l’entreprise en France. Il n’y a donc pas d’adéquation entre le niveau de représentation du personnel et le niveau de décision. L’arrêt Thoresen du 3 mars 1998 (163) a
repris la même réserve à propos des compétences d’un délégué syndical. La Cour de cassation a énoncé que « ces institutions remplissent l’ensemble des attributions définies par
la loi, à la seule exception de celles qui seraient incompatibles avec la présence à l’étranger du siège social ». Le délégué syndical n’a pas en face de lui l’interlocuteur véritable, il
n’a qu’un commis, délégué par la direction n’ayant pas de pouvoir réel de décision.
La directive du 22 septembre 1994 a permis de pallier certaines de ces difficultés. Elle
prévoit qu’un comité d’entreprise européen peut être institué dans des entreprises ou des
groupes d’entreprises communautaires. Toutefois, la directive européenne se heurte, tout
comme les lois nationales, au principe de territorialité. Son champ d’application est
circonscrit à l’espace européen, afin de respecter les souverainetés étrangères. Ainsi si la
situation du siège social de la société dominante de l’entreprise ou du groupe de dimension communautaire en dehors de l’Union européenne ne fait pas obstacle à la mise en
place d’un comité d’entreprise européen, elle soulève des problèmes. La directive (164)
prévoit alors à l’article 4.2 alinéa 2 qu’il incombe à la direction de l’entreprise du groupe
qui emploie le plus grand nombre de salariés d’offrir les moyens nécessaires à l’institution du comité d’entreprise européen. En pratique, elle peut rencontrer des obstacles
pour y parvenir. Prenons l’hypothèse d’un groupe d’entreprises dont le siège social est
situé aux Etats-Unis, qui dispose d’une filiale en France et d’une autre en Italie. Si la filiale
française a le plus grand nombre de salariés, il lui incombe de mettre en place le comité
d’entreprise européen. Or, si des liens existent entre la société dominante et ses filiales,
les deux filiales peuvent n’entretenir aucune relation ou voire même être en concurrence.
L’absence d’autorité d’une filiale sur l’autre fait obstacle au bon fonctionnement du
comité d’entreprise européen. M. Chalaron (165) fait remarquer que l’idée de domination
transparaît derrière les critères énumérés par l’article L. 439-1 du Code du travail sur le
comité de groupe, auquel renvoie l’article L. 439-6 sur le comité d’entreprise européen. Or
une telle domination n’est pas exercée par la filiale française sur la filiale italienne.
Comment pourra-t-elle lui imposer de lui apporter sa contribution pour constituer le comité
d’entreprise européen ? Le représentant de la société dominante ou de la direction de la
société qui emploie le plus grand nombre de salariés sera-t-il en possession des données
nécessaires pour satisfaire aux obligations en matière d’information, définies par la directive et notamment à la rédaction du rapport retraçant l’évolution des activités et traitant des
perspectives du groupe ? D’autre part, de quels moyens dispose-il pour imposer au siège
social de la société dominante de lui transmettre les informations nécessaires au fonctionnement du comité d’entreprise européen, si celle-ci s’y refuse. ? Le respect de la souveraineté étrangère porte atteinte à l’efficacité du comité d’entreprise européen.
(161) Vocabulaire juridique G. Cornu, Association Henri Capitant, PUF, 6e édition, 1996.
(162) CE 29 juin 1973, Droit social, 1974, p. 42, note de J. Savatier.
(163) Soc 3 mars 1998, Bull. civ. V, n° 264 ; JDI, 1989, p.78, note M. A. Moreau.
(164) Article 4.2 alinéa 2 de la directive du 22 sept. 1994 qui dispose qu’« à défaut d’un tel représentant, la
responsabilité visée au §1 incombe à la direction de l’entreprise du groupe employant le plus grand nombre de
travailleurs dans un Etat membre ».
(165) Y. Chalaron, « Le comité de groupe », Juris-Classeur Travail, fascicule 15-80.
31
§2. La timidité de la jurisprudence
A. Des exigences renforcées quant à la reconnaissance de l’unité économique et sociale
On peut penser que les juges du fond peuvent donner à la notion d’unité économique et
sociale une certaine plasticité par l’utilisation de la méthode du faisceau d’indices.
Toutefois, cette liberté, qui leur est conférée, s’exerce dans un cadre strictement
circonscrit par la Cour de cassation, qui les empêche de moduler ce cadre d’implantation
aux modifications organisationnelles multiples de l’entreprise.
Tout d’abord, la Cour de cassation a progressivement imposé la simultanéité d’éléments
caractérisant une unité économique et une unité sociale (166), ce qui restreint son champ
d’application. Très souvent, il n’y a pas d’unité sociale entre des sociétés reliées par la
technique contractuelle. Or l’objet des opérations d’extériorisation de la main-d’œuvre est
souvent « d’empêcher la constitution d’un ensemble homogène de travailleurs, caractéristique d’une unité sociale » (167). Les employeurs échappent ainsi à la reconnaissance
d’une unité économique et sociale. La crainte de certains auteurs (168) que « ce qui ne
peut être atteint par la création artificielle de sociétés distinctes, le soit par un usage
habile des contrats commerciaux » se révèle justifiée. Par la suite, la Cour de cassation a
voulu « modérer l’élasticité de cette notion » (169), en précisant les éléments permettant
de reconnaître une unité économique et sociale. Cette dernière a resserré son contrôle
sur les juges du fond, comme le montre un arrêt récent du 15 mai 2001 (170). La Cour de
cassation a infirmé la décision du Tribunal d’Instance, qui avait retenu l’existence d’une
unité économique en raison d’« une imbrication dans les pouvoirs de direction de ces
sociétés ». La Cour suprême a exigé que le pouvoir de direction soit concentré entre les
mêmes mains pour que soit caractérisée l’unité économique. Elle a estimé que l’existence
de liens forts entre les dirigeants des sociétés ne suffisait pas à caractériser une unité économique. La liberté des juges est donc encadrée par la Cour de cassation.
Ensuite, l’unité économique et sociale est devenue une notion plus rigide et moins pragmatique, allant à l’encontre de l’analyse de certains auteurs pour lesquels elle ne peut
être que relative, c’est-à-dire fonction de l’institution représentative qu’il s’agit de mettre
en place (171). Dans un arrêt du 5 mai 1988 (172), la Cour de cassation a abandonné son
approche fonctionnelle au profit d’une conception objective, en décidant que « le tribunal
d’instance a caractérisé l’unité économique et sociale existant entre ces deux sociétés,
quelle que soit l’institution représentative à mettre en place ». Cette position a été réaffirmée par les juges dans plusieurs arrêts ultérieurs (173). Ce tournant a été motivé par un
souci de sécurité juridique, comme l’explique M. Cœuret (174) car « l’unité économique et
sociale, parce qu’elle ne correspond pas à autre chose que la recherche concrète de l’entreprise au sens social, ne peut pas s’accommoder de solutions qui la feraient tantôt
apparaître tantôt disparaître, selon le type d’institution représentative à implanter ». C’est
donc l’entreprise qui est ainsi recherchée derrière l’unification de cette notion. Il semble
qu’elle soit érigée en un modèle rigide. L’unité économique et sociale perd de sa souplesse
pour appréhender la plasticité de l’entreprise et reconstituer l’entreprise.
La rigidité de l’unité économique et sociale a été accentuée par une lecture stricte de la
Cour de cassation de l’article L. 431-1 in fine du Code du travail qui vise les « entreprises
juridiquement distinctes ». Il en découle plusieurs prohibitions, selon une jurisprudence
bien établie. Dans un arrêt du 17 décembre 1984 (175), les juges ont affirmé que « cette
notion ne saurait s’appliquer à deux établissements distincts d’une même société ou à
(166) Soc. 29 avril 1981, Bull. civ. V, n° 360.
(167) A. Lyon-Caen et J. de Maillard, « La mise à disposition du personnel », Droit social, 1981, p. 320.
(168) Idem.
(169) Soc 2 nov. 1993, Dalloz, Sommaires commentés, p. 295, note G. Borenfreund.
(170) Soc. 15 mai 2001, Droit social, 2001, p. 777.
(171) R. de Lestang « La notion d’unité économique et sociale d’entreprises juridiques distinctes », Droit social,
04/1979,.sq. 5.
(172) Soc. 5 mai 1988, Bull. civ. V, n° 273.
(173) Soc. 7 oct. 1998, RJS, 1998, n° 1378 selon lequel « les critères de l’unité économique et sociale sont les
mêmes quelleques soit les institutions représentatives du personnel ».
(174) A. Coeuret, « Frontières de l’entreprise et institutions représentatives du personnel », Droit social, 2001,
p. 487.
(175) Soc.17 déc. 1984, Bull. Civ. V, n° 494.
32
l’un de ces établissements et à sa direction centrale du personnel ». Dans un arrêt du
21 novembre 1990 (176), la chambre sociale a affirmé la distinction entre les
établissements distincts et les entreprises juridiquement distinctes « un établissement ne
peut constituer une entreprise distincte au sens de l’article L. 431-1 ». De même, dans un
arrêt du 13 janvier 1999 (177), elle est allée dans le même sens. Toutefois, un arrêt de la
chambre sociale du 18 juillet 2000 (178) a jeté le trouble quant à la délimitation du cadre
de reconnaissance de l’unité économique et sociale. Une unité économique et sociale a
été reconnue entre l’établissement d’une société et les établissements dépendant d’un
autre groupe de sociétés. Il semble que cet arrêt n’ait été qu’une parenthèse dans la jurisprudence. La Cour de cassation a eu l’occasion de réaffirmer récemment sa position, dans
un arrêt du 7 mai 2002 (179). Elle a infirmé le jugement du Tribunal, qui s’était écarté de
cette voie jurisprudentielle et avait jugé « qu’une société et un établissement dépendant
d’une autre société peuvent alors former une unité économique et sociale ». Les juges du
fond s’étaient appuyés sur un arrêt du 6 juillet 1982 (180), qui avait admis l’existence
d’une unité économique et sociale entre une société et un établissement d’une autre
société, parce que l’unité alléguée était limitée à un secteur de production. Mais cet arrêt
avait été rendu avant la réforme législative de 1982 qui a consacré l’unité économique et
sociale.
Certes, cette décision n’est pas vraiment surprenante au regard de la jurisprudence antérieure, mais elle n’en est pas moins regrettable. En premier lieu, elle apparaît en contradiction avec la finalité de l’unité économique et sociale, créée pour adapter le cadre des
institutions représentatives aux évolutions de l’entreprise. Son manque de pragmatisme
est donc difficilement compréhensible, d’autant plus que la physionomie des entreprises
change. Le décalage s’accentue entre l’organisation sociétaire et l’organisation des
activités (181). L’équation selon laquelle une entreprise correspond à plusieurs sociétés,
ayant chacune une activité de l’entreprise, n’est plus valable. On assiste à une répartition
des activités de l’entreprise dans des établissements de sociétés ou dans des sociétés
distinctes. En second lieu, comme le souligne M. Cohen (182), l’unité économique et
sociale est « un état de fait à un moment donné ». Son existence ne résulte pas de sa
reconnaissance conventionnelle ou judiciaire, elle est constatée. Ce qui importe ce sont
donc les critères qui permettent de l’admettre. Ces derniers « ne sont pas liés à la
structure juridique des entités concernées, mais à leur réalité économique et sociale »
(183). En l’espèce, les critères utilisés sont vérifiés (184). La solution de l’arrêt du 7 mai
2002 nous paraît être en contradiction avec la démarche déductive des juges (185) qui
part des faits, pour en déduire l’existence d’une unité économique et sociale. Enfin, si on
considère que le but de l’unité économique et sociale est de « rendre effectif le droit
collectif en veillant à assurer la présence et le bon fonctionnement des institutions représentatives dans l’entreprise » (186), la reconnaissance de l’unité économique et sociale se
justifiait. Elle aurait permis au comité d’entreprise commun « de voir plus clair dans la
politique économique du groupe dans ce secteur d’activité » (187). Il y aurait eu ainsi une
corrélation entre le niveau de prise de décisions stratégiques, qui concerne souvent un
secteur d’activité, et celui d’implantation des institutions représentatives du personnel. De
plus, les licenciements collectifs doivent s’apprécier dans le cadre du secteur d’activité
d’un groupe, en vertu de l’arrêt Vidéocolor du 5 avril 1995 (188). Le périmètre d’implantation aurait alors correspondu à la sphère de rayonnement des institutions représentatives
du personnel, ce qui aurait accru leur efficacité.
(176) Soc. 21 nov. 1990, RJS, 1991, n° 44 ; Bull. civ. V, n° 578.
(177) Soc. 13 janv. 1999, RJS, 1999, n° 230.
(178) Soc. 18 juillet 2000, Droit social, 2000, p. 1037, note de J. Savatier.
(179) Soc. 7 mai 2002, P. Lyon-Caen, « Une unité économique et sociale peut-elle comporter dans son périmètre
des sociétés filiales et des établissements de la société mère ? », SSL du 20 mai 2002 ; L.S. Juris. du 28 mai
2002, n° 770) ; Dz, 2002, p. 3119 ; Droit social, 2002, p. 715, note de P. H. Antonmatéi « Unité économique et
sociale, un nouvel arrêt, mais le débat continue » ; JCP édition E. 2002, p. 1688.
(180) Soc. 6 juillet 1982, Bull. civ. V, n° 455.
(181) P. H. Antonmattéi, « Unité économique et sociale : un nouvel arrêt… mais le débat continue », Droit social,
2002, p. 720.
(182) M. Cohen, « Les confusions relatives au périmètre de l’UES », RJS, 03/2001, spéc. p. 184.
(183) P. H. Antonmattéi, note de jurisprudence précitée.
(184) P. Lyon-Caen, note de jurisprudence précitée, spéc. p.12. Il y a bien identité du pouvoir de direction, car les
directions des entités sont placées sous l’autorité de la direction générale du même groupe et existence d’une
même activité : l’eau par ces entités. De plus, l’unité sociale est constatée par les juges, qui ont relevé
l’existence d’accords et de conventions collectives identiques.
(185) J. P. Plattier, article précité.
(186) A. Mazeaud, « Droit du travail », 2e, Montchrestien, 2000, n° 101.
(187) P. Lyon-Caen, note de jurisprudence précitée, p. 33.
(188) Soc. 5 avril 1995, Bull. civ. V, n° 125.
33
B. La résistance du modèle de l’unicité de l’employeur
Les stratégies d’extériorisation affectent les frontières de l’entreprise. Elles conduisent à
transformer le rapport bilatéral entre un employeur et ses salariés en un rapport
triangulaire entre l’entreprise initiale, l’entreprise utilisatrice et les salariés. L’identification
du véritable employeur devient difficile. Or le droit à la représentation collective des
salariés s’ordonne autour de sa personne. Les juges vont donc s’attacher à réduire la
distance entre les deux entreprises en ramenant la relation triangulaire à un rapport
bilatéral. Ils opèrent un choix : soit ils font s’effacer l’entreprise d’origine au profit de
l’entreprise utilisatrice, qui devient l’employeur ; soit ils considèrent qu’il y a une
continuité du lien avec la société d’origine, en dépit de la mise à disposition du salarié
dans une autre entreprise. Derrière ce choix se révèle un postulat implicite de l’unicité de
l’employeur, comme le soulignent MM. Lyon-Caen et de Maillard (189). Celui-ci enferme les
juges en les obligeant d’appréhender l’objet de la mise à disposition.
Il ressort de la jurisprudence relative aux droits à la représentation des salariés détachés
que le rattachement juridique à leur entreprise ne condamne pas l’accès aux droits à la
représentation dans l’entreprise de détachement, dès lors qu’il existe un lien de subordination avec cette dernière. Néanmoins, cet accès varie en fonction de l’institution en
cause (190). Pour les délégués du personnel, les juges vont opérer une substitution de
l’entreprise utilisatrice à l’entreprise d’origine, dès lors qu’ils caractérisent un lien de
subordination avec celle-ci. Il en découle automatiquement pour les salariés mis à disposition de cette entreprise le droit d’y élire leurs représentants. Dans un arrêt du 18 janvier
1978 (191), la chambre sociale de la Cour de cassation censure le jugement qui avait exclu
du collège électoral d’une filiale de la SCNF des agents qui y travaillaient de manière
permanente en soulignant le fait constant du « lien de subordination » les unissant à cette
filiale. Pour déterminer ce lien, la Cour de cassation relève que ces salariés « travaillaient
dans des conditions identiques, assuraient des tâches communes, dans des locaux
communs, avec un encadrement commun ». Cette solution a été confirmée par un arrêt
de l’Assemblée Plénière du 29 février 1980 (192), aux motifs que « les agents du CEA
affectés à l’établissement de La Hague dépendaient à l’intérieur de celle-ci des responsables de la COGEMA » et par un arrêt de la Chambre sociale du 18 avril 1980, parce que
« les salariés détachés étaient soumis aux mêmes conditions de travail ». La communauté
des intérêts entre les salariés mis à disposition et ceux de l’entreprise utilisatrice fondent
leur droit à participer aux élections des délégués du personnel. Parfois au contraire, les
juges vont tenter de maintenir fictivement le lien des salariés, mis à disposition d’une
entreprise, avec leur entreprise d’origine. Dans un arrêt du 18 avril 1980 (193), la chambre
sociale de la Cour de cassation a refusé que ces salariés puissent être représentés au sein
du comité d’entreprise de l’entreprise utilisatrice.
En filigrane de ces solutions apparaît la même logique de recherche d’un employeur
unique. M. Lyon-Caen (194) s’interroge à juste titre sur la pertinence de cette démarche
« pourquoi rechercher un lien unique de subordination là où ce lien est pluriel ». Par
ailleurs, cette dissociation des solutions, liée à une analyse des fonctions dévolues à
chaque institution, aboutit à une protection bancale de ces travailleurs. Or « ce qui
importe c’est le rapport entre le salarié et l’utilisateur de sa force de travail, qui est un »
(195). En effet la consistance de ce lien est identique, quelle que soit l’institution représentative concernée. Cette différenciation repose également sur une considération partielle
des fonctions des institutions représentatives du personnel. L’intérêt des salariés à être
représentés au sein du comité de l’entreprise utilisatrice est réduit à la participation au
sort et à la gestion de l’entreprise. Mais, le comité d’entreprise joue aussi un rôle
essentiel « dans les activités sociales et culturelles (…) . Il intervient dans toutes les décisions relatives à l’organisation du travail, la formation professionnelle et les techniques
(189) A. Lyon-Caen et J. de Maillard 187, « La mise à disposition du personnel », Droit social, 1981 p. 320.
(190) Cf. infra p. 25.
(191) Soc. 18 janvier 1978, Bull. civ. V, n° 43, p. 30.
(192) Ass. Plén, 29 février 1980 et Soc. 18 avril 1980, D. 1980, IR, p. 545, note de J. Pélisser.
(193) Soc. 18 avril 1980, Bull. civ. V, n° 329, p. 251.
(194) Soc. du 21 juillet 1986, D. 1987, sommaires commentés, p. 201, note d’A. Lyon-Caen.
(195) A. Lyon-Caen et J. de Maillard « La mise à disposition du personnel », Droit social, 1981, p. 320.
34
de production » (196). Les salariés mis à disposition ont donc un intérêt à être représentés
au sein du comité d’entreprise de l’entreprise utilisatrice.
A l’inadéquation des périmètres d’implantation des institutions représentatives du
personnel face aux changements organisationnels de l’entreprise, s’ajoute une capacité
d’intervention limitée pour résister à l’éclatement de l’entreprise.
(196) A. Lyon Caen et Le Friant, « Le comité d’entreprise et la coopération européenne entre entreprises », Droit
social, 1989, p. 822.
35
TITRE 2 : UNE CAPACITÉ D’INTERVENTION DES INSTITUTIONS REPRÉSENTATIVES
DU PERSONNEL LIMITÉE
Le rapport « Auroux » s’était bâti sur le constat que l’évolution de la production avait
empêché le comité d’entreprise de prendre place au niveau où les décisions les plus
importantes sont prises (197), pour justifier l’adaptation des cadres d’implantation des
représentants du personnel. Le législateur a ainsi suivi les juges dans cette oeuvre, en
consacrant l’unité économique et sociale, pour le comité d’entreprise et en créant le
comité de groupe, dans un souci de redonner aux élus une certaine efficacité. Le comité
d’entreprise européen a aussi répondu à cet objectif. Toutefois la faiblesse des pouvoirs
conférés au comité de groupe et au comité d’entreprise européen limitent leur efficacité.
De plus, les délégués syndicaux, qui ont un pouvoir de négociation, ont été laissé de côté.
Le droit constitutionnel des salariés à la participation souffre de cette lacune (Chapitre 1).
Enfin, les zones d’ombre qui entourent les attributions dévolues aux institutions représentatives du personnel, mises en place au sein de l’unité économique et sociale, nuisent à
leur efficacité (Chapitre 2).
Chapitre 1 : L’intervention dans le cadre du groupe
Il est vrai que la mise en place d’un comité de groupe permet de recréer le face à face
entre les représentants du personnel et le véritable détenteur du pouvoir de décision, à
savoir la direction de l’entreprise dominante du groupe. Néanmoins, les attributions du
comité de groupe ne lui permettent pas de jouer un rôle décisif. En effet « le comité de
groupe est une institution dessinée à très grands traits par le législateur qui parfois même
utilise le pointillé » (198) (Section 1). De même, si la directive du 22 septembre 1994, qui
crée le comité d’entreprise européen, institutionnalise une représentation des salariés de
chaque Etat membre de l’Union européenne au niveau du groupe, assurant une certaine
concordance avec le niveau de décision, elle n’en fait pas un véritable acteur (Section 2).
Section 1 : Un comité de groupe infirme
La comparaison entre les pouvoirs de comité de groupe et ceux du comité d’entreprise ou
du comité d’entreprise européen met en exergue l’infirmité du premier (§1). En outre,
s’intéresser à la finalité du comité de groupe, voulue par le législateur, éclaire l’étendue
de ses attributions (§2).
§1. Des attributions insuffisantes
Les compétences du comité de groupe sont très en retrait par rapport à celles du comité
d’entreprise. D’une part, le contraste est saisissant entre la description abondante et
précise des attributions du comité d’entreprise et la discrétion des textes sur celles du
comité de groupe. Seulement cinq articles lui sont consacrés, alors qu’il s’agit d’une
instance relativement complexe. D’autre part, le rôle du comité de groupe est cantonné à
la réception d’informations (199). Il n’est pas doté de pouvoir consultatif. Ce trait de caractère le distingue également du comité d’entreprise européen, auquel la directive du
22 septembre 1994 accorde un tel pouvoir (200). Par conséquent, « on est loin d’une institution de contrôle » (201) des pouvoirs patronaux.
§2. Un champ légal de compétences restreint
La question essentielle ne réside pas tant dans la faiblesse des attributions légales du
comité de groupe que dans sa finalité aux yeux de la loi : fait-elle de celui-ci un véritable
organe de participation ou ne s’agit-il que d’un vecteur d’informations (202) ?
(197) A. Lyon-Caen, « Le comité d’entreprise à l’heure du changement », Droit social, 1982, p. 299.
(198) Ph. Langlois, « Articulation du comité de groupe avec les autres instances représentatives », Semaine
Sociale Lamy, 06/1985, n° 266, p. 14.
(199) Article L. 439-2 du Code du travail qui dispose que « le comité de groupe reçoit des informations ».
(200) Cf. supra p. 53.
(201) A. Lyon-Caen, « Le comité d’entreprise à l’épreuve du changement », Droit social, 1982, p. 299.
(202) G. Couturier, « La représentation du personnel dans les groupes de sociétés », article dans « Les salariés et
les associés minoritaires dans les groupes de sociétés », Presses universitaires d’Aix-Marseille, 1993, spéc. p. 68.
36
Si la finalité du comité d’entreprise est expressément mentionnée à l’article L. 431-4 du
Code du travail, qui dispose qu’il « a pour objet d’assurer une expression collective des
salariés », les articles relatifs au comité de groupe sont muets sur ce point. L’article
L. 439-2 du Code du travail indique seulement qu’il « reçoit des informations ». Comment
faut-il interpréter ce silence ? Les intentions du législateur paraissent clairement guidées
par la volonté de n’en faire qu’une instance d’information (203). Selon les formules du
ministre du travail M. Auroux, le comité de groupe est une « structure d’information » et
non « une structure de décision ». De plus, selon la circulaire du 28 juin 1984 (204), le rôle
du comité de groupe est « d’éclairer l’action des syndicats et des comités d’entreprise ». Il
n’est pas doté d’un budget spécifique et ses membres ne disposent pas de crédits
d’heures, car ils sont déjà membres d’un comité d’entreprise. Le fonctionnement du
comité de groupe apparaît comme « le prolongement de l’action des comités d’entreprise
et comme mis implicitement à leur charge » (205). En outre, la nature de l’information
diffusée par le comité de groupe est limitée car elle porte « sur des situations et non point
sur des opérations » (206). Un auteur justifie cette frilosité de la loi en estimant que « le
réalisme imposait que la loi tienne compte des lourdeurs qu’entraînerait la création d’un
niveau supplémentaire de consultation préalable obligatoire au-delà des structures de
représentation centrées sur l’entreprise » (207). Il semble donc qu’il n’ait pas été conçu
comme un contre-pouvoir.
A l’instar du comité de groupe, faiblement armé pour résister à l’éclatement de
l’entreprise, le comité d’entreprise européen n’apparaît pas mieux protégé.
Section 2 : Un comité d’entreprise européen simple spectateur engagé
La directive du 22 septembre 1994 ne dote le comité d’entreprise européen que d’un
pouvoir d’information, limité dans l’espace (§1) et d’un pouvoir de consultation limité à
certaines circonstances (§2).
§1. Un vecteur d’informations
Il est vrai que le comité d’entreprise européen est tenu au courant des décisions stratégiques qui concernent « l’ensemble de l’entreprise de dimension communautaire ou du
groupe d’entreprises communautaire ou au moins deux établissements ou entreprises du
groupe, situés dans des Etats membres différents », en vertu de l’article 7 §1.a de la directive du 22 septembre 1994 (208). Cet article indique, par une lecture a contrario, qu’il n’est
pas informé des décisions qui n’affectent qu’une entreprise ou qu’un seul établissement.
On peut estimer que les intérêts que le comité d’entreprise européen représente justifient
que son rôle soit cantonné à la réception d’informations ayant un caractère transnational.
En effet, il a pour mission de défendre les intérêts communs à l’ensemble des salariés
d’une entreprise ou d’un groupe communautaire et non ceux de quelques salariés leur
appartenant. On peut aussi arguer, qu’en vertu du principe européen de subsidiarité, le
comité d’entreprise européen ne doit agir que lorsque l’intervention des instances de
représentation nationales est impossible. Il ne serait donc pas compétent sur les sujets
qui relèvent des instances nationales de représentation. Cette conception offre l’avantage
de préserver les compétences des instances nationales, mais elle porte atteinte au droit
des salariés à être représentés efficacement au plus haut niveau de décision.
§2. Une instance exceptionnelle de consultation
Si on se réfère aux textes, le comité d’entreprise européen dispose d’un pouvoir de
consultation, selon l’article 2 de la directive du 22 septembre 1994. Il est donc a priori une
instance, comparable au comité d’entreprise français, susceptible de contrôler les décisions patronales. Néanmoins, ce pouvoir est simplement entendu par la directive comme
(203) G. Couturier, « L’accès du comité d’entreprise à l’information économique et financière », Droit social,
01/1983, p. 26.
(204) Circulaire n° 6 du 28/06/1984, Droit ouvrier, 1994, p. 374.
(205) Y. Chalaron, « Le comité de groupe », dans « Les instances fédératives de représentation du personnel »,
Litec collection Droit , 1995, p. 68.
(206) A. Lyon-Caen, article précité, spéc. p. 303.
(207) G. Bélier, « Mise en place et attributions du comité de groupe : de l’unité économique et sociale à la
directive Vredeling », Droit social, 07-08/1983, p. 439.
(208) Directive 94/45/CE, JOCE, n° L. 254 du 30 sept. 1994, p. 64.
37
un « dialogue ». L’article L. 439-6 alinéa 3 du Code du travail de la loi française de transposition précise qu’il s’agit de « l’organisation d’un échange de vues et de l’établissement
d’un dialogue ». Par conséquent, si le comité d’entreprise européen peut émettre des
avis, la direction n’est pas tenue d’en tenir compte. La directive de 1994 est en-deçà de la
directive du 20 juillet 1998 (209), concernant les licenciements collectifs et de la directive
du 11 mars 2002 (210) qui établit « un cadre général relatif à l’information et à la consultation des travailleurs dans la communauté européenne ». Toutes deux prévoient que la
consultation doit être conduite en vue d’aboutir à un accord. Elles créent au minimum
une obligation de négocier (211).
Ce pouvoir de consultation est d’autant plus limité que le comité d’entreprise européen
ne peut l’exercer que pour désamorcer des difficultés exceptionnelles (212). On peut donc
estimer, qu’il a été conçu comme une instance « de crise » (213). Tout d’abord, il ne peut
pas participer véritablement aux décisions de la direction du groupe ou de l’entreprise de
dimension européenne. L’article 2 de la directive prévoit en effet qu’il « a le droit de se
réunir avec la direction centrale une fois par an » seulement. L’article L. 439-14 alinéa 3 de
la loi française de transposition se conforme strictement à la directive. On peut regretter
le manque d’audace du législateur français, par comparaison avec nos voisins européens.
La législation autrichienne accorde au comité d’entreprise européen « le droit de se réunir
au moins une fois par an ». Elle fixe une exigence minimale et autorise implicitement la
tenue de plusieurs réunions. De même, la législation allemande prévoit expressément la
tenue de réunions supplémentaires, avec l’accord de la direction centrale (214). Ensuite, si
la directive autorise des réunions exceptionnelles, elles se tiennent en formation
restreinte, avec un comité restreint. Le comité d’entreprise européen ne se réunit en
assemblée plénière que de façon subsidiaire (215). Or, l’impact des avis du comité sera
naturellement beaucoup plus important si l’assemblée plénière est l’interlocutrice de la
direction. Enfin, si dans le cadre de son pouvoir de consultation, le comité d’entreprise
européen peut recourir à un expert (216), le rôle de ce dernier est réduit. En effet, il
n’entre pas dans un processus d’information et de consultation qui permettrait d’analyser
la situation du groupe, pour donner des arguments au comité d’entreprise européen, à la
différence du comité d’entreprise français (217).
L’efficacité du pouvoir de consultation du comité d’entreprise européen dépend également de son moment d’intervention dans le processus décisionnel. L’article L. 439-15 du
Code du travail précise que la réunion annelle du comité d’entreprise européen doit avoir
lieu « dans les meilleurs délais, sur la base d’un rapport (…) sur lequel un avis peut être
émis à l’issue de la réunion ou dans un délai raisonnable ». Les textes ne sont pas clairs
sur le point de savoir si la consultation doit être préalable à la décision.
Ainsi, même si le comité d’entreprise européen dispose d’un pouvoir d’information et de
consultation qui pourrait laisser penser qu’il peut jouer le rôle d’un véritable organe de
représentation, la remarque d’un auteur à propos du comité de groupe qui estimait « qu’il
est loin d’être une instance de contrôle » (218) est également valable pour le comité
d’entreprise européen.
(209) Directive 75/125/CEE du 17 février 1975 sur les licenciements collectifs, remplacée par la directive
n° 98/59/CE du 20 juillet 1998, JOCE n° L. 225 du 12/08/1998, p. 16.
(210) Directive 02/14/CE, JOCE n° L 80 du 23 mars 2002, SSL. du 8 avril 2002, n° 1070 ; SSL. du 18 nov. 2002,
n° 1098, note de P. Rodière.
(211) B. Teyssié, « Le droit européen du travail », Litec, 2001, spéc. p. 210, commentant la directive du 20 juillet
1998, mais la remarque est aussi valable pour la directive du 11 mars 2002.
(212) Article 3 de l’annexe de la directive du 22 sept. 1994 qui dispose que « lorsque des circonstances exceptionnelles interviennent qui affectent considérablement les intérêts des travailleurs, le comité restreint ou, si il
n’existe pas le comité d’entreprise européen a le droit d’en être informé ».
(213) Selon l’expression de Maître Brihi.
(214) « La transposition de la directive CEE en droit national », Confédération Européenne des Syndicats, 1998.
(215) Article 3 de l’annexe de la directive.
(216) Article 6 de l’annexe de la directive du 22 sept. 1994 qui dispose que « le comité d’entreprise européen ou
le comité restreint peut être assisté par des experts de son choix, pour autant que ce soit nécessaire pour
l’accomplissement de leurs tâches ».
(217) Entretien avec Maître Brihi.
(218) A. Lyon-Caen, article précité, p. 299.
38
Chapitre 2 : L’intervention dans le cadre de l’unité économique et sociale
Les instances mises en place au sein de l’unité économique et sociale souffrent, comme
le comité de groupe et le comité d’entreprise européen de fragilité. Les incertitudes qui
pèsent autant sur les pouvoirs des délégués syndicaux (Section 1) que sur ceux du comité
d’entreprise commun à une unité économique et sociale (Section 2) en font une réponse
limitée pour résister à l’éclatement de l’entreprise.
Section 1 : Les incertitudes quant au pouvoir de négociation des délégués syndicaux
Certes le législateur fait allusion à la négociation pour la reconnaissance de l’existence
d’une unité économique et sociale (219). Toutefois, il a ignoré la possibilité offerte par la
jurisprudence de désigner des délégués syndicaux en son sein. Les textes sont donc
muets sur la faculté de ces derniers de négocier au sein de ce cadre. Seule la loi « Aubry »
du 19 janvier 2000, relative à la réduction négociée du temps de travail, a mentionné l’unité économique et sociale comme cadre de négociation. Un de ses articles, disposait que
« la durée prévue à l’article L. 212-1 du Code du travail est applicable à compter du 1er janvier 2000 pour les entreprises dont l’effectif à cette date est de plus de 20 salariés ainsi
que pour les unités économiques et sociales de plus de vingt salariés reconnues par
convention ou par décision de justice […] ». Cet article n’a cependant pas été codifié. De
nombreuses interrogations surgissent alors quant au pouvoir de négociation des délégués syndicaux au sein d’une unité économique et sociale.
Tout d’abord, l’article L. 132-27 du Code du travail rend obligatoire une négociation
annuelle au sein de l’entreprise. Cette négociation s’impose-t-elle au niveau de l’unité
économique et sociale ? Certains auteurs, comme M. Cohen (220), l’admettent aux motifs
que l’unité économique et sociale a pour objet de reconstituer une entreprise (221). Cette
admission fait alors surgir d’autres difficultés. Il faut déterminer les parties à la négociation. L’identification de l’interlocuteur patronal revêt une importance particulière. La facilité
à conclure un accord et son efficacité en dépendent. L’unité économique et sociale n’étant
pas dotée de la personnalité morale, le chef d’une des sociétés ne peut pas engager
l’ensemble des sociétés qui composent l’unité économique et sociale, en vertu de l’article
L. 135-1 du Code du travail. Néanmoins, on peut se demander si la forte intégration des
sociétés au sein d’une unité économique et sociale ne justifierait pas une particularité, à
savoir la possibilité pour le chef de l’unité économique et sociale d’engager les sociétés la
composant. Il faudrait alors identifier le chef d’entreprise. L’évolution des juges vers une
démarche objective (222) facilite la détermination de l’interlocuteur patronal, parce que
celui-ci sera identique quelle que soit l’institution représentative mise en place. Néanmoins, plusieurs auteurs (223) considèrent que la jurisprudence n’offre pas la possibilité
d’apporter un tempérament au droit commun de la négociation collective. Elle a jusqu’à
présent rejeté des demandes tendant à l’application d’une même convention de branche
à des sociétés appartenant à une unité économique et sociale, qui s’y refusaient (224).
Mais un arrêt du 30 juin 1988 (225) entretient l’hésitation. Par conséquent, si la négociation au sein d’une unité économique et sociale est envisageable, c’est à la condition que
chaque société qui la compose y participe. Cette impossible désignation d’un interlocuteur unique engendre un problème de responsabilité. Il n’existe aucun moyen d’imposer
aux sociétés de respecter l’accord conclu ou de le réviser. Du côté syndical, un problème
se pose quant au cadre d’appréciation de leur représentativité. Celle-ci doit-elle
s’apprécier dans l’ensemble de l’unité économique et sociale ou dans chacune des
(219) Article L. 431-1 in fine du Code du travail.
(220) P. H.Antonmatéi et M. Cohen, « Débat autour de l’unité économique et sociale », SSL du 24 juin 2002, p. 6 ;
J. Pélissier, A. Supiot et A. Jeammaud, « Droit du travail », Dalloz, 2002, n° 597.
(221) Cf. infra. p. 28.
(222) Cf. infra. p. 45.
(223) M. A. Souriac-Rotschild, « Les accords de groupe, quelques difficultés juridiques », Droit social, 1991,
p. 493 ; J. Savatier, « L’unité économique et sociale entre personnes morales juridiquement distinctes »,
Droit social, 1986, p. 15.
(224) Soc. 7 novembre 1973, Droit social, 1974, p. 289 ; Soc. 30 janv. 1991 ; G. Vachet, « La négociation collective
dans les groupes de sociétés », dans « Les groupes de société et le droit du travail », sous la direction de
B. Teyssié, Edition Panthéon Assas, 1999, n° 155.
(225) Soc. 30 juin 1988, BCV, n° 140.
39
sociétés qui la compose ? La première solution paraîtrait plus logique. De plus, il faut se
demander si l’article L.132-30 du Code du travail sur la composition de la délégation syndicale, pourrait être transposé à la délégation instituée au sein d’une unité économique et
sociale.
Les nombreuses interrogations liées à l’absence de consécration par le législateur de
l’unité économique et sociale, comme cadre d’implantation des délégués syndicaux,
nuisent à leur efficacité. De même, des interrogations existent quant aux attributions du
comité d’entreprise mis en place au sein d’une unité économique et sociale.
Section 2 : Les incertitudes quant aux pouvoirs du comité d’entreprise
Les attributions du comité d’entreprise commun à une unité économique et sociale,
seraient a priori calquées sur celles du comité d’entreprise (226). En effet, on peut considérer que l’article 431-1 du Code du travail, reconnaissant l’unité économique et sociale,
qui introduit le premier chapitre sur le champ d’application des comités d’entreprises,
détermine les situations auxquelles les dispositions suivantes du titre s’appliquent.
Quelques réserves peuvent être émises quant à cette interprétation. Tout d’abord, le législateur avait pris soin de préciser, dans le projet de la loi « Aubry » du 19 janvier 2000,
relative à la réduction négociée du temps de travail, que l’unité économique et sociale
pouvait être un cadre de négociation de la réduction du temps de travail (227). De même
la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 a ajouté à l’article L. 321-4-1 du Code du
travail in fine que « la validité du plan de sauvegarde de l’emploi est appréciée au regard
des moyens dont dispose l’entreprise ou, le cas échéant l’unité économique et sociale ou
le groupe ». Il semble donc que l’assimilation de l’unité économique et sociale à une
entreprise et corrélativement l’identité des attributions du comité d’entreprise institué
dans une unité économique et sociale et de celles du comité d’entreprise n’aille pas de
soi. En second lieu, l’application de certaines dispositions du Code du travail relatives aux
comités d’entreprise suscitent quelques difficultés. Le comité d’entreprise commun à une
unité économique et sociale serait-il compétent, dans l’hypothèse où une ou plusieurs
des sociétés envisagent de licencier des salariés ? Le Commissaire du gouvernement
Dondoux (228) s’était posé la question. Il estimait que la finalité de l’unité économique et
sociale étant de reconstituer l’entreprise, il était cohérent que les dispositions relatives à
la procédure de licenciement soient appréciées dans ce cadre.
Les techniques prétoriennes et légales utilisées pour redonner aux institutions représentatives du personnel une certaine vitalité, perdue sous l’effet de l’éclatement multiforme
de l’entreprise, sont des correctifs timides. Il nous faut donc explorer les voies nouvelles
d’un regain d’efficacité des organismes de représentation.
(226) Pour M. Cohen « si un groupe de sociétés constitue une unité économique et sociale (…), il s’agit d’une
entreprise unique pour l’application de la législation sur les comités d’entreprise » dans, « Le droit des comités
d’entreprise et des comités de groupe », LGDJ, 2000, spéc. p. 124.
(227) Cf. infra p. 56.
(228) P. Dondoux, « La notion d’entreprise et le droit des licenciements pour cause économique », CE, 18 janv.
1980, conclusions du Commissaire du gouvernement, Droit social, 1980, p. 32 ; G. Lyon-Caen, « Plasticité du
capital et nouvelles formes d’emploi », Droit social, 1980, Spe. 15 en faveur de cette solution.
40
41
DEUXIÈME PARTIE :
LES VOIES D’UNE VITALITÉ NOUVELLE
DES INSTITUTIONS REPRÉSENTATIVES DU PERSONNEL
Face aux effets néfastes de l’éclatement de l’entreprise sur le bon fonctionnement des
institutions représentatives du personnel, il était indispensable que le législateur et le
juge trouvent des remèdes. Leurs réactions éparses demeurent néanmoins impuissantes
face aux bouleversements de l’entreprise, liés à la technique contractuelle. Des efforts
d’adaptation doivent être menés, si l’on ne veut pas que les employeurs puissent
échapper, par l’intermédiaire du droit commercial, aux règles du droit du travail. L’enjeu
qui se profile derrière la recherche de nouvelles voies de vitalité des institutions représentatives du personnel est d’assurer l’effectivité du droit du travail (229). La question
cruciale est donc celle du rôle que l’on veut lui faire jouer. N’est-ce pas prêter au droit du
travail des vertus excessives que de penser qu’il peut limiter la liberté contractuelle ? S’il
apparaît logique qu’il puisse intervenir pour organiser sa survie, lorsque le but des entreprises est de l’écarter, peut-il agir lorsque les logiques qui motivent les entreprises sont
autres ? Au nom de la flexibilité, l’intervention du droit du travail est rejetée. Toutefois ce
discours peut masquer la fuite de certaines responsabilités, comme le montrent quelques
auteurs (230). En effet, les changements d’organisation de l’entreprise, même lorsqu’ils
ont pour objectif non pas de détourner le droit du travail, mais d’améliorer leur compétitivité et leurs profits, sont préjudiciables au droit des salariés à être représentés efficacement. L’intervention du droit du travail est donc légitime. Une première voie, qui consiste
à remodeler les pouvoirs des institutions représentatives du personnel, peut être empruntée (Titre 1). On peut aussi s’attacher à repenser leurs cadres d’implantation (Titre 2).
TITRE 1 : UNE EFFICACITÉ RENFORCÉE DU RÔLE DES INSTITUTIONS REPRÉSENTATIVES
DU PERSONNEL
Il est vrai que la loi « Auroux » a adapté les élus du personnel aux changements organisationnels de l’entreprise, en consacrant le comité d’entreprise institué au sein d’une unité
économique et sociale et en créant le comité de groupe. Cependant, elle n’en a pas fait
des instances « de contrôle » (231), comparables au comité d’entreprise. Les juges n’ont
pas su pallier toutes les lacunes de la loi. S’ils ont admis la désignation de délégués
syndicaux au sein d’une unité économique et sociale, ils n’ont pas levé toutes les incertitudes entourant leurs pouvoirs. Le droit du travail devrait donc mobiliser ses énergies
pour redonner aux institutions représentatives du personnel leur pleine efficacité, afin
de garantir aux salariés la défense véritable de leurs intérêts. La réalisation de cet
objectif dépend des attributions données aux institutions représentatives du personnel.
(Chapitre 1). Leur efficacité découle également de leur articulation. La pluralité
des « unités de représentation », avec l’unité économique et sociale et le groupe est-elle
source de conflits entre les instances mises en place à leur niveau ? Peut-on les
coordonner ? (Chapitre 2).
(229) Cf. infra p. 37, §1 sur les faiblesses de la loi.
(230) G. Teubner, « Nouvelles formes d’organisation et droit », Revue française de gestion, 11-12/1993,
spéc. p. 55.
(231) A. Lyon-Caen, « Le comité d’entreprise à l’heure du changement », Droit social, 1982, spéc. p. 300.
42
Chapitre 1 : La consolidation du rôle des institutions représentatives du personnel
Nous avons constaté que le comité de groupe souffre d’une « infirmité légale
congénitale » (232) et que le comité d’entreprise européen est doté de pouvoirs restreints
par la directive du 22 septembre 1994. La faiblesse de leurs attributions est préjudiciable
au droit des salariés à être représentés efficacement. Pour y remédier, la jurisprudence et
la pratique ont fait preuve d’audace (233) en donnant au comité de groupe et au comité
d’entreprise européen une sphère de rayonnement beaucoup plus étendue. Ces dernières
les érigent ainsi en institutions de contrôle du pouvoir patronal (234) (Section 1). Cette
évolution doit être suivie d’un essor de l’autre versant du droit à la participation des
salariés : la négociation (Section 2).
Section 1 : L’élévation des comités en authentiques acteurs
§1. Le comité de groupe
A. Une transformation non prohibée par la loi
Plusieurs indices nous permettent de penser que le renforcement des pouvoirs du comité
de groupe n’était pas interdit par le législateur. D’une part, plusieurs auteurs (235) ont
observé que la loi créait une dynamique et des conditions qui permettaient au comité de
groupe de dépasser son rôle d’information. Tout d’abord, une négociation au niveau du
groupe est nécessaire pour le mettre en place (236), et on pouvait légitimement penser
que celle-ci aurait un effet d’entraînement (237). La pratique a montré l’exactitude de cette
interprétation (238). Ensuite, le comité de groupe est doté par la loi d’une si forte représentativité qu’il est inévitable qu’un dialogue s’instaure (239). En effet, le système de désignation permet aux membres de se réclamer d’une double légitimité : élective, puisqu’ils
sont désignés parmi les élus des comités d’entreprise ou d’établissement, et syndicale
puisqu’ils sont nommés par ces derniers (240). Par conséquent, les membres du comité
de groupe ont une habitude de dialogue dans leur propre comité d’entreprise. Une
« contagion » est dès lors inévitable au sein du comité de groupe (241).
D’autre part, les objectifs poursuivis par le législateur, lors de la création du comité de
groupe, laissent penser qu’il n’était pas opposé à l’accroissement de ses attributions. Si
l’objectif unique du législateur avait été d’en faire une instance d’information, « il était
inutile d’encombrer les institutions d’une nouvelle institution » (242). Il aurait pu simplement envisager une obligation d’information de la société dominante à l’égard de chaque
société, telle que l’envisageait la proposition Vredeling (243). M. Bélier (244) souligne
également que l’objectif affiché par le législateur était de traiter des problèmes au plus
près du niveau où ils se posent. Limiter le rôle du comité de groupe à la seule information
(232) Cf. infra p. 51.
(233) Mme Favennec-Héry, « La représentation collective dans les groupes de sociétés », dans « Les salariés et
les associés minoritaires dans les groupes de sociétés », Presses universitaires d’Aix-Marseille, 1993, spéc.
p. 142, n° 204.
(234) A. Lyon-Caen, « Le comité d’entreprise à l’heure du changement », Droit social, 1982, spéc. p. 300.
(235) G. Couturier, « La représentation du personnel dans les groupes de sociétés », article dans « Les salariés et
les associés minoritaires dans les groupes de sociétés », Presses universitaires d’Aix-Marseille, 1993, spéc. p. 67
(236) L’article L. 439-5 du Code du travail dispose que « le comité de groupe doit être constitué et réuni pour la
première fois dès que la configuration du groupe a été définie […], soit à la suite d’un accord des partie intéressées, soit à défaut par une décision de justice ».
(237) M. Cohen, « Le droit des comités d’entreprise et des comités de groupe », LGDJ, 2000, spéc. p. 201.
(238) Un accord sur la configuration du comité de groupe, accompagné de la conclusion d’un accord sur son
fonctionnement est à l’origine d’un arrêt du 4 mai 1994 ; G. Borenfreund, « Les syndicats admis à négocier un
accord sur le fonctionnement du comité de groupe », Soc. 4 mai 1994, Droit social, 1994, p. 688 ; Ph. Waquet,
« Accord concernant le fonctionnement du comité de groupe », Soc. 4 mai 1995, RJS, 1994, p. 490.
(239) M. Cohen, « Les nouvelles fonctions économiques des comités d’entreprise », Droit social, 1983, p. 169.
(240) Article L. 439-3 alinéa 3 du Code du travail.
(241) M. Cohen, ouvrage précité.
(242) P. Rodière, « L’adaptation du comité d’entreprise aux structures de l’entreprise », Droit social, 1983, p. 361.
(243) Il s’agit d’un projet de directive dite Vredeling, du nom du commissaire européen qui en était le promoteur,
en date du 24 octobre 1980. Elle devait porter sur « l’information et la consultation des travailleurs des
entreprises à structure complexe, en particulier transnationales ».
(244) G. Bélier, « Mise en place et attributions du comité de groupe : de l’unité économique et sociale à la
directive Vredeling », Droit social, 1983, p. 439.
43
l’empêcherait de réaliser cet objectif et le viderait de sa substance. Enfin, la création du
comité de groupe est guidée par la volonté d’adapter le comité d’entreprise aux évolutions des structures de l’entreprise, notamment au phénomène de groupe (245). Cette
logique devrait conduire à calquer ses attributions sur celles du comité d’entreprise. La
distorsion entre les pouvoirs de ces deux instances s’expliquerait par le postulat du législateur selon lequel le projet de directive Vredeling « viendrait modifier à moyen terme le
contenu actuel des attributions du comité de groupe en créant une obligation de le
consulter » (246). Ce projet de directive a avorté, mais la directive du 22 septembre 1994 a
pris le relais, en donnant au comité d’entreprise européen un pouvoir de consultation. Il
est regrettable que la transposition de la loi du 12 novembre 1996 n’ait pas été l’occasion
de doter le comité de groupe d’un pouvoir de consultation. Souhaitons que le législateur
saisisse l’opportunité de la transposition de la directive de 1994, qui va être prochainement réformée, pour rénover les attributions du comité de groupe.
B. Une transformation consacrée par la jurisprudence et la pratique
La pratique donne raison à ces interprétations doctrinales, en élargissant les pouvoirs des
comités de groupe. De nombreux accords les dotent en effet de fonctions plus étendues
que celles que la loi leur attribuent, allant de l’information au dialogue, puis du dialogue à
la consultation (247), voire même jusqu’à la négociation (248).
Parallèlement, les juges ont montré leur volonté de dépasser la modestie des textes
relativement au comité de groupe, en renforçant ses pouvoirs de deux manières.
D’une part, ils ont doté le comité de groupe de la personnalité morale, dans un arrêt du
23 janvier 1993 (249). La Cour de cassation a tranché la question de la personnalité du
comité de groupe, objet d’un vif débat doctrinal, en jugeant que « les comités de groupe
sont dotés d’une possibilité d’expression collective pour la défense des intérêts dont ils
ont la charge et possèdent la personnalité civile qui leur permet d’ester en justice ». Elle a
ainsi adopté la thèse de nombreux auteurs (250) et de l’administration. D’autres auteurs
(251) s’opposaient à cette reconnaissance. La pratique, en débordant le cadre légal, a
démontré que les attributions du comité de groupe pouvaient être renforcées. La personnification du comité de groupe vise donc à adapter la reconnaissance juridique du comité
de groupe à son importance dans la pratique.
D’autre part, la jurisprudence va permettre de pallier la territorialité de la loi, en transcendant les frontières nationales. Ainsi, dans un arrêt du 6 décembre 1994 (252), un expert
comptable, désigné par un comité de groupe a demandé à accéder aux comptes
consolidés de l’ensemble de la compagnie, y compris aux éléments des sociétés étrangères, comprises dans la consolidation, mais non représentées dans le comité de groupe.
La société dominante du groupe a rejeté sa demande. La Cour de cassation lui a donné
tort en décidant que « l’expert comptable du comité de groupe ayant accès aux mêmes
documents que le commissaire aux comptes, peut demander à consulter notamment les
éléments des entreprises étrangères concernées par l’établissement des comptes
consolidés du groupe ». Les juges ont dissocié le périmètre de constitution du groupe et
celui de l’information de l’expert-comptable. Ils ont fait prévaloir « l’argument téléologique sur l’argument de texte », pour permettre au comité de groupe d’exercer efficace-
(245) P. Rodière, article précité.
(246) G. Bélier, article précité.
(247) M. Cohen, « Le droit des comités d’entreprises et des comités de groupe », LGDJ, 1998, p. 219. Il en donne
des exemples. Le préambule du protocole d’accord Saint-Gobain du 5 janvier 1983 stipule que « le comité de
groupe peut et doit être une instance de réflexion et de dialogue sur les orientations stratégiques. Les vœux,
remarques et observations formulés par le comité lors de ses sessions seront transmis à la direction du groupe
qui leur donnera une réponse motivée ». Des dispositions analogues figurent dans les accords P.U.K., Snecma,
Sacilor et bien d’autres.
(248) Cf. supra p. 69.
(249) Soc. 23 janv. 1990, Bull. civ. V, n° 20 ; Droit social, 1990, p. 322, note de J. Savatier.
(250) M. Cohen, « La personnalité civile du comité de groupe », Droit social, 1983, p. 670 ; note de Messieurs
Teyssié et Viandé CA Paris 10 juin 1986, JCP, 1986, II 20378.
(251) G. Couturier, « L’accès du comité d’entreprise à l’information économique et financière », Droit social,
1983, p. 26 ; J. Savatier note de jurisprudence précitée p. 48, dans laquelle il a soutenu que le comité de groupe
n’était pas conçu comme le comité d’entreprise et que la faiblesse de ses attributions par rapport au comité
d’entreprise l’excluait de la reconnaissance de la personnalité civile.
(252) M. Cohen, « Le comité de groupe et les sociétés étrangères », Soc. 6 décembre 1994, Droit social, 1995,
p. 40.
44
ment ses prérogatives (253) (254). Cet arrêt illustre la volonté des juges de mettre en adéquation le droit à l’information de l’expert et les structures contemporaines des entreprises incluses dans des groupes de sociétés.
§2. Le comité d’entreprise européen
La jurisprudence et la pratique vont également assouplir le carcan juridique dans lequel la
directive enferme le comité d’entreprise européen ou la procédure d’information et de
consultation.
A. Faciliter l’institution des comités d’entreprises européens
Il est nécessaire d’offrir aux représentants des salariés, qui souhaitent mettre en place un
comité d’entreprise européen, un accès facilité aux informations leur permettant de
savoir si les conditions, exigées par la directive du 22 septembre 1994 pour l’instituer sont
remplies. L’article 11 de la directive va dans ce sens. Son §1 dispose que « chaque Etat
membre veille à ce que la direction des établissements d’une entreprise de dimension
communautaire ou des entreprises membres d’un groupe d’entreprises de dimension
communautaire (…) qui sont situées sur son territoire respectent les obligations prévues
par la directive, que la direction centrale soit ou non située sur son territoire ». Le §2
énonce que « Les Etats membres assurent que (…) les informations sur le nombre de
travailleurs (…) soient rendues disponibles par les entreprises ». Cet article pose des
problèmes d’interprétation soulevés devant la Cour de Justice des Communautés Européennes, qui y a répondu dans son arrêt du 29 mars 2001 (255). En l’espèce, le groupe
Bofrost comprend plusieurs sociétés établies tant en Allemagne que dans d’autres Etats
membres. Le comité d’entreprise d’une société allemande du groupe a demandé à la
direction de lui communiquer les informations sur les effectifs et la structure du groupe
Bofrost, afin de préparer la mise en place d’un comité d’entreprise européen. L’employeur
s’y est refusé. La Cour de justice lui a donné tort. Elle a interprété l’article 11 §1 comme
imposant « à une entreprise faisant partie d’un groupe d’entreprises l’obligation de fournir des informations aux organes internes de représentation des travailleurs, même s’il
n’est pas encore établi que la direction à laquelle les travailleurs s’adressent est celle
d’une entreprise exerçant le contrôle ». Par ailleurs, elle a précisé la nature des informations que devait fournir la direction de l’entreprise interrogée, en jugeant que « lorsque
les données sur la structure ou l’organisation d’un groupe d’entreprises font partie des
informations indispensables à l’ouverture des négociations pour l’institution d’un comité
d’entreprise européen, il appartient à une entreprise de ce groupe de fournir lesdites données, qu’elle détient ou est en mesure d’obtenir, aux organes internes de représentation
des travailleurs qui en font la demande », en vertu de l’article 11 § 2. La Cour de Justice
des Communautés Européennes, au nom de l’effet utile de la directive, a adopté une lecture souple des dispositions de l’article 11.
Elle a fait un pas supplémentaire pour encourager la mise en place des comités d’entreprises européens, dans une décision du 13 janvier 2004 (256). En l’espèce, la direction
centrale d’une filiale principale d’un groupe de dimension communautaire arguait de la
localisation de la société-mère en Suisse, pour se soustraire à son obligation d’information des représentants du personnel. Les juges l’ont condamnée à fournir des informations aux représentants, en les demandant à la société-mère ou, si celle-ci refusait de les
lui donner, aux filiales de la société. En outre, elle a précisé l’étendue de cette obligation
d’information. Les représentants du personnel peuvent exiger de la direction des informations relatives aux dénominations et aux adresses des représentants des travailleurs qui
pourraient participer à la formation d’un groupe spécial de négociation.
Le problème de la transmission aux représentants des salariés des informations
nécessaires à la mise en place d’un comité d’entreprise européen revêt une acuité particulière, lorsque le siège d’une entreprise ou d’un groupe d’entreprises communautaire
est situé hors de l’Union européenne. Inévitablement se pose la question de savoir si les
(253) F. Favennec-Hery, article précité, p. 142, n° 204.
(254) A. Thiébault, « A propos du comité de groupe » dans « Les instances fédératives de représentation du
personnel », Litec collection Droit, 1995, p. 68.
(255) CJCE 29 mars 2001 Betriebsrat der bofrost, RJS, 2001, n° 948, p. 650.
(256) CJCE, 13 janvier 2004, aff. C-440/00 Khüne et Nagel.
45
filiales, appartenant à cette entreprise ou ce groupe sont tenues de transmettre à la filiale,
désignée par la directive comme la direction centrale du groupe, des informations
facilitant l’institution d’un comité d’entreprise européen.
B. Accroître les pouvoirs d’information et de consultation
L’épanouissement des représentants du personnel, membres d’un comité d’entreprise
européen ou participant à une procédure d’information et de consultation implique de
renforcer leur capacité d’intervention. L’observation des expériences développées dans
certains groupes de sociétés nous enseigne les moyens de corriger certaines lacunes
quant à leurs pouvoirs.
Ainsi l’article 1 a) de l’annexe de la directive du 22 septembre 1994, qui cantonne l’information et la consultation du comité d’entreprise européen aux questions transnationales,
ne précise pas qui a qualité pour qualifier la question de nationale ou de transnationale.
Dans les faits, la direction s’en est souvent chargée, empêchant les membres du comité
d’entreprise européen de vérifier le caractère véritablement transnational des
restructurations. Certains syndicats ont voulu résoudre ce problème. Au sein du groupe
Nestlé, la fédération syndicale de l’agriculture (257) a ainsi négocié un accord qui impose
à la direction de l’informer et de la consulter sur toutes les restructurations nationales
majeures. Elle peut alors estimer ce qui relève ou non d’une question transnationale et
corrélativement ce qui nécessite ou non de solliciter l’intervention du comité d’entreprise
européen. Le rôle du comité d’entreprise européen est mieux préservé. En outre, limiter
l’information et la consultation du comité d’entreprise européen aux décisions transnationales, qui concernent au moins deux établissements ou entreprises du groupe, est peu
protecteur des intérêts des salariés d’une entreprise ou d’un établissement affectés par
une décision prise au niveau de l’entreprise ou du groupe communautaire (258). En
matière de droit de la concurrence communautaire, un comportement anticoncurrentiel
limité au territoire d’un seul Etat membre peut donner lieu à l’application du droit
communautaire, dès lors qu’il est susceptible d’avoir de tels effets sur la concurrence
dans le marché commun. Un auteur (259) propose d’étendre ce raisonnement à l’information et à la consultation des comités d’entreprises européens. Plusieurs arguments
« militent » en ce sens. Tout d’abord, la contestation par les représentants des salariés
des instances nationales de la décision prise au niveau d’une entreprise ou d’un groupe
communautaire, concernant un seul établissement ou une entreprise, n’aura aucun
impact, car le véritable interlocuteur se trouve au niveau de la direction de cette entreprise
ou de ce groupe. Le seul cadre où ils pourront agir efficacement est le comité d’entreprise
européen. Par ailleurs, l’argument selon lequel le comité d’entreprise européen empièterait sur les compétences des instances nationales nous paraît fallacieux. Si les informations données au comité d’entreprise européen et aux instances nationales sont identiques, la consultation de ces deux instances ne portera pas sur les mêmes aspects.
Quelques accords novateurs (260) ouvrent l’information et la consultation du comité d’entreprise européen à des questions nationales. Le nouvel accord AXA du 2 octobre 2002
(261) investit ce dernier d’un droit de regard sur des sujets relevant traditionnellement
des compétences nationales, en prévoyant la tenue d’une réunion en cas de circonstances exceptionnelles et particulièrement graves « affectant considérablement les intérêts d’au moins la moitié de l’effectif d’un pays ». De plus, le bureau peut évoquer tous
sujets qu’ils soient nationaux ou transnationaux. Enfin, il faut noter que la directive sur la
Société européenne du 8 octobre 2001 (262) a cherché à remédier à cette limite en prévoyant
que l’organe de représentation est compétent « pour les questions qui concernent la SE
(257) H. Wiedenhofer, « Etablir une nouvelle dynamique de l’information et de la consultation », Les Cahiers de
la Fondation Europe et Société, 2001, n° 47-48.
(258) Cf. infra p. 53.
(259) N. Moizard, « La compétence transnationale du comité d’entreprise européen », L.S. Europe, n° 54, p. 6.
(260) L.S. Europe, « Les comités d’entreprises européens s’adonnent au hors-piste », n° 71 du 9 au 22 janv. 2003,
p.1. Les accords d’EDF et GDF précisent ainsi qu’ « en plus des sujets concernant deux établissements ou deux
sociétés implantés dans deux pays différents, le comité d’entreprise européen est compétent sur les sujets
concernant une filiale située hors de France et dont la restructuration relève d’une décision de l’entreprise
dominante ou est une conséquences directe de l’une des orientations prises par le groupe ». De même, l’accord
sur le comité d’entreprise européen du groupe Cereol indique qu’il sera informé dans le cas d’une cession totale
ou d’une fermeture, même si un seul site est concerné et sans considération de seuil d’effectifs. Enfin le groupe
Cerp Lorraine a décidé que le comité d’entreprise européen doit être convoqué « en cas d’événements
transnationaux ou nationaux ayant un caractère exceptionnel ».
(261) Accord Axa du 2 octobre 2002, L.S. Europe du 14 au 27 novembre 2002, n° 67, p. 4.(259) cf. infra p. 54.
(262) Directive du 8 octobre 2001, 2001/86 CE, JO CE du 10/11/2001 L 294/22, partie 2a) de l’Annexe.
46
elle-même ou toute filiale ou tout établissement situés dans un autre État membre ou qui
excèdent les pouvoirs des instances de décision dans un seul État membre ». La future
réforme de la directive devrait s’inspirer de la pratique et de la rédaction de la directive
sur la société européenne concernant l’implication des travailleurs.
La mutation du comité d’entreprise européen en véritable acteur, passe également par sa
transformation en une instance pérenne d’information et de consultation. La tenue d’une
seule réunion ne lui permet pas de remplir ce rôle (263). De nombreux accords (264) ont
prévu des réunions supplémentaires. De même, la directive sur la Société européenne va
plus loin que celle sur le comité d’entreprise, car elle permet à l’organe de représentation
des salariés de rencontrer l’organe de direction « au moins une fois par an ». Par ailleurs,
lorsqu’il est consulté à titre exceptionnel, c’est seulement son comité restreint qui exerce
ses compétences (265). Il devrait plutôt être réuni en assemblée plénière. Dans un arrêt
du 7 mai 1997 (266), la Cour d’appel de Versailles a jugé que la décision de fermeture
d’une unité de production employant un nombre très important de salariés, susceptibles
de perdre leur emploi, avait un impact social très important. Elle a donc estimé qu’une
réunion supplémentaire à la réunion annuelle devait être prévue et que la direction devait
informer et consulter le comité lui-même et non son seul bureau, car les mesures à
prendre « excèdent la marche générale du groupe ». Une interprétation extensive de cet
arrêt pourrait conduire à admettre que, dès lors que des décisions affectent l’emploi des
salariés, seul le comité d’entreprise européen dans son ensemble a vocation à être informé et consulté et non pas simplement son bureau.
Section 2 : Le développement de la fonction de négociation
Les représentants du personnel ont développé leur pouvoir de négociation, indépendamment des cadres d’implantation des institutions représentatives du personnel (267),
montrant ainsi la limite de l’adaptation de ces cadres aux nouvelles configurations de
l’entreprise. Néanmoins, l’essor de la fonction de négociation peut être entravé par le
principe de l’autonomie juridique des sociétés (268), d’où il découle que chaque société
doit être partie à l’accord pour qu’il leur soit applicable (269). Une société ne peut donc
imposer aux autres le respect des clauses de l’accord. Pour surmonter cet obstacle, le
législateur pourrait promouvoir la négociation dans les instances de représentation au
sein de l’unité économique et sociale ou du groupe, défini pour la mise en place du
comité de groupe et du comité d’entreprise européen. Le projet de loi Fillon d’octobre
2003 s’oriente dans cette direction. Il propose d’insérer un article qui permettrait la négociation d’accords de groupe, dans le groupe, au sens de l’article L. 439-1 du Code du
travail pour le comité de groupe et corrélativement au sens de L. 439-6 du Code du travail, pour le comité d’entreprise européen qui s’y réfère. Le droit des salariés à la négociation serait ainsi encouragé et ces derniers disposeraient de davantage de sécurité dans
l’exercice de ce droit (§1). Toutefois, ces unités de représentation ne permettent qu’imparfaitement d’appréhender les changements de physionomie de l’entreprise liés à la technique contractuelle (270). Il est donc important que la négociation s’établisse en dehors
d’elles (§2).
(263) Cf. infra p.54
(264) Des accords d’anticipation de la directive prévoit des réunions plus nombreuses tels que Bull, L.S. C.3 du
29 oct. 1992 ; Renault L.S C.3 du 28 avril 1993 ; et des accords sur le comité d’entreprise européen plus récents
tels que l’accord AXA précité et les accords d’EDF-GDF, L. S. C.3 du 2 janv. 2002, n°194
(265) Article 3 de la directive du 22 septembre 1994.
(266) Cour d’appel de Versailles, 7 mai 1994, Droit social, 1997, p. 506.
(267) M.A. Rotschild–Souriac, « Les accords collectifs au niveau de l’entreprise », Thèse, 1986, spéc. p. 205 et
206. L’unité de négociation est irréductible à la notion d’unité économique et sociale. La négociation peut se
développer au sein de groupes pratiquant une intégration moins poussée que celle exigée par la loi pour la
reconnaissance de l’unité économique et sociale. Elle ne coïncide pas non plus avec le périmètre d’implantation
du comité de groupe.
(268) M.A. Rotschild–Souriac, thèse précitée, spéc. p. 195.
(269) L’article L. 135-1 du Code du travail soumet aux obligations de la convention collective tous ceux qui l’ont
signée.
(270) Cf. infra p. 37, Section 2 sur les limites de l’adaptation.
47
§1. Dans les cadres d’implantation des institutions représentatives du personnel
A. Le groupe au sens du comité de groupe ou du comité d’entreprise européen
Il faut au préalable se demander ce qui justifie le développement de la fonction de négociation au sein des structures de représentation à l’échelon du groupe. Ce développement
présente des intérêts pratiques notables. En outre, si on peut à juste titre considérer que
le groupe juxtapose plusieurs collectivités de travail regroupées de façon circonstancielle,
les salariés de l’ensemble des entreprises comprises dans un groupe ont des intérêts
communs. En effet, les décisions prises à ce niveau par la direction sont susceptibles de
tous les affecter. Or, le véritable titulaire du droit à la négociation n’est autre qu’une collectivité de salariés ayant des intérêts communs, selon certains auteurs (271). Il est donc légitime que la négociation s’épanouisse au niveau du groupe, au sens de l’article L. 439-1 du
Code du travail. Dans un arrêt du 30 avril 2003 (272), la chambre sociale de la Cour de
cassation a d’ailleurs jugé que la négociation de groupe ne peut porter que sur des sujets
d’intérêts communs.
Les parties qui ont qualité pour négocier des accords de groupe doivent alors être déterminées.
La détermination de la partie patronale revêt une importance particulière pour les
syndicats. Le droit à la négociation étant un « droit à la décision partagée » (273), il s’agit
d’assurer l’efficacité des négociations en ayant pour interlocuteur le réel détenteur du
pouvoir de décision. Admettre, la négociation au sein du groupe, au sens de l’article
L. 439-1 du Code du travail simplifierait l’identification de l’interlocuteur patronal. Cela
conduirait à reconnaître la société dominante comme la partie patronale à la négociation.
Actuellement l’accord de groupe obéit au droit commun de la négociation collective (274),
car un arrêt du 30 avril 2003 (275) considère qu’il entre dans la catégorie des conventions
collectives, au sens de l’article L. 132-2 du Code du travail. Il s’ensuit que ce dernier doit
être signé par chaque employeur, en vertu du principe de l’autonomie des sociétés (276),
ce qui ne facilite pas sa conclusion. Les conventions ou les accords collectifs de groupe
n’ont qu’un effet relatif vis-à-vis des organisations patronales. Seuls les employeurs qui
les concluent y sont assujettis (277). Par conséquent, en principe, la société mère ne peut
engager directement l’ensemble des sociétés qui composent le groupe (278). L’admission
légale de la négociation, dans les instances de représentation au niveau du groupe,
présenterait donc un intérêt indéniable.
Pour déterminer les représentants des salariés dans la négociation au niveau du groupe,
deux voies différentes, s’appuyant sur la pratique, pourraient être empruntées. Dans
certaines entreprises, des accords créent des interlocuteurs ad hoc : des délégués
(271) M. L Morin, thèse précitée, p. 473 et M. A. Rotschild–Souriac, thèse précitée.
(272) Soc. 30 avril 2003, B. Gauriau, « La consécration jurisprudentielle de la représentation syndicale de groupe
et de l’accord de groupe », Droit social, 2003, p. 732 ; LS. Juris. du 12 mai 2003, n° 815 ; M.L. Morin, « Les
accords collectifs de groupe : une variété d’accords collectifs de droit commun », RJS, 10/2003, p. 743 ; M.F.
Bied-Charrenton, « Une contestable reconnaissance de la licéité d’accords de groupe conduisant à atrophier la
négociation annuelle obligatoire », Droit ouvrier, 2003, p. 398.
(273) G. Lyon-Caen, « Critique de la négociation collective », Droit social, 1979, p. 350.
(274) M. L. Morin, « Le droit des salariés à la négociation collective, un principe général du droit », LGDJ, 1994.
(275) Soc. 30 avril 2003, arrêt précité.
(276) Article L. 135-1 du Code du travail qui dispose que « les conventions et accords collectifs de travail obligent tous ceux qui les ont signés ou qui sont membres des organisations ou groupements signataires ».
(277) Soc. 7 novembre 1973, Droit social, 1974, p. 289 obs. J. Savatier ; Droit ouvrier, 1974, p. 320. Dans cet arrêt,
un salarié appartenant à une filiale d’une société demande à bénéficier de la convention collective de la société
mère. La Cour rejette sa prétention au motif que la filiale n’avait pas signé cette convention. De même, dans
l’arrêt « Clin-Midy » de la chambre sociale du 20 mars 1980, la Cour de cassation a jugé que l’existence d’une
personne morale juridiquement distincte justifie le maintien de l’assujettissement d’une société du groupe à une
convention collective, malgré la conclusion d’un accord de groupe. De ce fait, la filiale ne peut être assimilée à
un établissement, car son assujettissement à l’accord de groupe est nécessaire pour qu’elle y soit soumise.
Dalloz jurisprudence, 1980, p. 527 ; JCP, 1982 II 19755.
(278) Certes des correctifs sont proposés par certains auteurs. G. Vachet, précité p. 7, suggère d’admettre que
chaque employeur se fasse représenter par la même société en lui donnant un mandat. M. Despax, dans
« Groupes de sociétés et contrat de travail », Droit social, 1961, spéc. p. 604, estime que dans le cas d’un accord
conclu par la société-mère, les dirigeants du groupe pourraient être considérés comme ayant engagé les filiales.
Néanmoins, ces assouplissements ne mettent pas vraiment en cause l’indépendance des sociétés, car « ils
supposent sinon l’accord exprès, du moins la bonne volonté des sociétés juridiquement étrangères à la convention », comme le fait observer M.A. Rotschild–Souriac dans sa thèse précitée, p. 200.
48
syndicaux de groupe ou « des coordinateurs syndicaux » (279), pour négocier au niveau
du groupe. Dans d’autres entreprises, le comité de groupe ou le comité d’entreprise
européen sont transformés en instances de négociation.
L’arrêt du 30 avril 2003 (280), faisant de l’accord de groupe une variété d’accord collectif,
on peut légitimement considérer que les organisations syndicales représentatives ont un
monopole pour négocier les accords de groupe. Il faut alors s’interroger sur le cadre
d’appréciation de cette représentativité. Une première thèse reconnaît le groupe comme
cadre d’appréciation de la représentativité. Elle se fonde sur l’article L.132-2 du Code du
travail, qui précise que les syndicats « doivent faire la preuve de leur représentativité
dans le champ d’application de la convention ou de l’accord », pour en déduire que les
syndicats doivent démontrer qu’ils sont représentatifs au niveau du groupe. Un auteur
(281) considère que, par analogie avec la jurisprudence relative aux établissements
distincts au sein de l’entreprise, la représentativité des syndicats doit être appréciée au
niveau du groupe, composé de sociétés multiples distinctes. Cela conduit à reconnaître
qu’un syndicat, qui ne serait pas représentatif dans plusieurs sociétés du groupe, ne
pourrait représenter l’ensemble des salariés du groupe. Dans ce cas, les délégués
syndicaux d’entreprise n’auraient plus le monopole de la négociation. Il serait possible de
négocier avec les fédérations syndicales correspondant aux types d’activités qui entrent
dans le champ d’application envisagé par l’accord, comme le propose M. Savatier (282).
Cependant cette représentation peut soulever des difficultés lorsque les syndicats
relèvent de diverses fédérations professionnelles, en raison de la diversité des activités à
l’intérieur du groupe (283). L’appréciation de la représentativité des organisations
syndicales au niveau du groupe conduit à centraliser la structure de négociation à ce
niveau, risquant ainsi de la détacher des intérêts des salariés de chaque société (284). La
seconde thèse, qui repose sur une appréciation de la représentativité au niveau de
chaque société, est alors préférable. Cela rejaillirait sur la détermination de la composition de chaque délégation. On pourrait alors appliquer l’article L. 132-20 du Code du
travail, ce qui impliquerait l’organisation de la négociation avec les délégations syndicales de chacune des entreprises concernées par l’accord de groupe (285). Toutefois cet
article ne vise que « les négociations dans l’entreprise ». Les syndicats représentatifs
devraient donc avoir toute liberté pour désigner les membres de la délégation (286). La
chambre sociale de la Cour de cassation n’a pas pris partie sur la question du niveau
d’appréciation de la représentativité des syndicats, parties à un accord de groupe, dans
l’arrêt du 30 avril 2003 (287). Elle laisse une liberté importante aux partenaires sociaux,
qui peuvent prévoir leur propre structure de négociation. Cette pratique conventionnelle
soulève d’autres difficultés, dont certaines ont été résolues par ce même arrêt. La
première concerne la validité d’un tel accord. Doit-il être conclu par l’unanimité des
organisations syndicales appelées à négocier ? La Cour de cassation, en répondant par la
négative, a choisi de ne pas heurter la règle de l’unicité de signature. Une autre interrogation a trait à la possibilité des organisations syndicales signataires de l’accord d’exclure
du champ des négociations futures celles qui ne l’ont pas signé. A priori, ces dernières
sont des tiers à l’accord qui met en place une institution. Selon une jurisprudence
constante (288), les tiers ne peuvent participer à l’institution conventionnelle. Toutefois,
cette dernière crée des droits pour les salariés. Or ces droits peuvent être exercés par leur
représentants. On ne voit donc pas pourquoi les organisations syndicales non signataires
(279) Accord Elf aquitaine du 29 juin 1990, L.S. C3, n° 6413 ; Accord Bull du 28 décembre 2000, Action juridique
CFDT, 03/2001, p. 21. Cet accord stipule que « les organisations syndicales représentatives au niveau du groupe
seront compétentes pour mener les négociations. Les coordinateurs du groupe désigneront les délégations ».
(280) Soc. 30 avril 2003, arrêt précité.
(281) G. Vachet, « La négociation collective dans les groupes de sociétés », dans « Les groupes de société et le
droit du travail », sous la direction de B. Teyssié, Edition Panthéon Assas, 1999, spéc. p. 110.
(282) J. Savatier, « L’organisation de la représentation syndicale dans les groupes de sociétés », Droit social,
2001, p. 498.
(283) Gérard Couturier, « La représentation du personnel dans les groupes de sociétés », dans « les salariés et
les associés minoritaires dans les groupes de société », Presses universitaires d‘Aix-Marseille, 1993, p. 60.
(284) G. Borenfreund, note précitée sous l’arrêt du 4 mai 1994.
(285) Y. Chalaron, « Négociations et accords collectifs d’entreprise », Litec, 1990, n° 63.
(286) M.A. Rotschild-Souriac, « Les accords collectifs au niveau de l’entreprise », thèse, 1986, spéc. p. 424 ;
Y. Chalaron, « Négociations et accords collectifs d’entreprise », Litec, 1990, qui fait observer que ni le législateur,
ni la jurisprudence « n’assurent l’existence de représentants syndicaux qui pourraient avoir de plein droit
vocation à constituer une délégation pour négocier dans ce cadre composite ».
(287) Soc. 30 avril 2003, arrêt précité, note de M. L. Morin.
(288) Soc. 9 juillet 1997, Bull. civ. V, n° 263 à propos de la création d’un comité paritaire national pour la
formation professionnelle ; Droit social, 1997, p. 994 , note de G. Couturier.
49
seraient ultérieurement exclues des négociations (289). La Cour de cassation a éclairci
cette question en considérant que la participation à l’institution, créée par l’accord, n’est
pas réservée aux seules parties à l’accord. Un syndicat non signataire peut donc participer aux négociations futures, à condition de respecter les modalités de l’accord. Cette
solution permet de garantir une représentation de la diversité des intérêts des salariés.
La représentation des salariés pose davantage de difficultés pour les accords de groupe
ayant un champ d’application européen. Il n’existe pas de base juridique au niveau
européen qui détermine les parties à l’accord. Par conséquent, les groupes d’entreprises
européens sont libres de décider des parties à la négociation d’un accord de groupe. Les
options que ces derniers prennent offrent une très grande diversité. Certains groupes ont
conclu des accords avec des organisations syndicales internationales (290). D’autres ont
opté pour une négociation avec une organisation syndicale européenne de branche (291).
L’autre voie que le législateur pourrait choisir, pour déterminer les parties à la négociation
côté salarial, consisterait à transformer le comité de groupe ou le comité d’entreprise
européen en instances de négociation. En ce qui concerne le premier, « les intentions du
législateur paraissent clairement guidées par la volonté de n’en faire qu’une instance
d’information » (292), comme nous l’avons vu (293). Néanmoins, plusieurs éléments
pourraient justifier cette métamorphose. De nombreux auteurs ont montré que la
dynamique du comité de groupe le conduirait inévitablement à exprimer des avis sur les
dossiers communiqués et donc à glisser d’un rôle d’information à celui de consultation
(294). Cette évolution pourrait constituer une étape vers sa transformation en instance de
négociation. En outre, la double légitimité élective et syndicale du comité de groupe ne
pourrait-elle pas être considérée comme une caractéristique qui le prédispose à devenir
un acteur à part entière de la négociation de groupe ? (295). Dans certains groupes, des
accords ont opté pour cette mutation, tel le groupe Générali France où un accord, conclu
en 1998 (296), a délimité des thèmes de négociation réservés au comité de groupe. Un
deuxième accord, signé en 1999 (297), est allé plus loin en créant une obligation annuelle
de négocier avec le comité de groupe. Toutefois, des doutes peuvent être émis quant à la
licéité de ces accords, parce qu’ils s’écartent du monopole réservé aux syndicats
représentatifs. Pour préserver ce monopole, il nous paraît pertinent de n’envisager cette
transformation, qu’à la condition qu’elle résulte d’un accord collectif « ayant recueilli
l’approbation de tous les syndicats justifiant d’une représentativité réelle dans les différentes entités du groupe » (298). En effet, cet accord ayant trait au fonctionnement du
comité de groupe, la solution de l’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du
4 mai 1994 (299), qui ouvre sa négociation à des syndicats seulement représentatifs dans
certaines entreprises, serait applicable. Cela permettrait un ancrage solide du comité de
groupe dans les différentes entités qui le composent.
(289) Y. Chalaron, « Les syndicats non signataires d’un accord d’entreprise », Mélanges Despax, Presses
Toulouse, 2002, p. 498.
(290) G. Vachet, « La négociation collective dans les groupes de sociétés », dans « Les groupes de société et le
droit du travail », sous la direction de B. Teyssié, Edition Panthéon Assas, 1999 en donne des exemples.
G. Bergougnoux, « Projets européens, les politiques d’entreprise : BSN », Droit social, 1990, p. 671. Dans le
groupe BSN, la négociation a été engagée avec L’UITA (une organisation syndicale internationale de branche,
regroupant les syndicats des industries alimentaires), et les syndicats nationaux des sociétés qui composaient le
groupe. De même, le groupe Danone a conclu plusieurs accords avec l’UITA portant sur l’information économique et sociale qui doit être délivrée aux représentants du personnel, l’égalité hommes femmes, la formation,
le droit syndical et les restructurations.
(291) Accord du groupe Thomson Consumer Electronics, L.S. C3, 1992, n° 6745. Le groupe Thomson a conclu un
accord avec la fédération européenne des métallurgistes et les organisations syndicales nationales.
(292) G. Couturier, « L’accès du comité d’entreprise à l’information économique et financière », Droit social,
1983, p. 26.
(293) Cf. infra p. 51.
(294) Cf. infra p. 62.
(295) G. Borenfreund, « Les syndicats admis à négocier un accord sur le fonctionnement du comité de groupe »,
Droit social, 1994, p. 688.
(296) Accord Generali France du 2 avril 1998 sur les instances représentatives et les niveaux de négociation,
L.S. Légis. Soc. du 5 mai 1998, n° 7857 qui réserve les thèmes suivants de négociation au comité de groupe :
droit syndical, durée maximale annuelle de travail, rémunérations minimales, périodicité des rémunérations,
prévoyance complémentaires, plan d’épargne, contrats d’assurance pour le personnel, charte de mobilité et
classifications.
(297) Accords Generali France du 29 juin 1999 sur la représentation du personnel, L.S. C.3, du 24 sep. 1999,
n° 84 ; F. Morin et M. L. Morin, « La firme et la négociation collective. La question des frontières en économie et
en droit », Mélanges dédiés à M. Despax, Presses Toulouse, 2002, p. 497.
(298) G. Borenfreund, article précité ; M. A. Souriac-Rotschild, « Les accords de groupe, quelques difficultés
juridiques », Droit social, 1991, spéc. p. 495.
(299) G. Borenfreund, note de jurisprudence précitée.
50
Le comité d’entreprise européen peut aussi être doté d’un pouvoir de négociation. On
peut transposer la remarque d’un auteur (300) sur les comités de groupe et estimer que la
négociation collective, qui est à l’origine de la constitution du comité d’entreprise européen, aura un effet d’entraînement sur les attributions du comité d’entreprise européen.
Le Forum européen du groupe américain Général Motors (301) en est l’illustration. Il est
devenu une instance de négociation, dotée du pouvoir de signer des accords avec la
direction du groupe. Toutefois, il existe plusieurs obstacles à cette transformation, mis en
lumière par M. Rehfeldt (302). Les identifier permet de savoir où il faut agir. Le premier
tient au silence de la directive quant à l’articulation des niveaux nationaux et internationaux. Il en résulte que la direction invoque souvent la dépossession des instances nationales pour refuser de le doter d’un tel pouvoir. De plus, l’authenticité de la négociation
suppose l’établissement d’un rapport de force pour que les partenaires sociaux puissent
obtenir des avancées sociales. Le droit de grève, qui permet aux syndicats de nuire à
l’employeur, est un pilier de ce rapport. Or il n’existe aucune harmonisation entre les
droits des différents membres de l’Union européenne. L’efficacité du droit de grève est
très limitée et corrélativement les syndicats sont en position de faiblesse par rapport aux
détenteurs du pouvoir de décision.
B. L’unité économique et sociale
Nous avons vu (303) que des incertitudes existent quant à la capacité des délégués syndicaux, désignés au sein d’une unité économique et sociale, de négocier à ce niveau.
La consécration de ce pouvoir, en son sein, tout comme au sein du groupe, offrirait des
intérêts pratiques indéniables pour les entreprises (304). Ces dernières pourraient instituer une politique sociale au sein de l’unité économique et sociale, en harmonisant les
statuts conventionnels et en favorisant la mobilité des salariés. Par ailleurs, la notion
d’unité économique et sociale est animée par une logique de substitution, car sa reconnaissance passe par l’éviction de l’autonomie juridique des sociétés, pour reconstituer
l’entreprise. Cette logique devrait conduire à doter les délégués syndicaux de pouvoirs
identiques à ceux qui leur sont normalement confiés dans ce cadre.
Il faut observer que le développement de la fonction de négociation des délégués
syndicaux au niveau de l’unité économique et sociale serait probablement plus aisé et
justifié qu’au niveau du groupe, au sens de l’article L. 439-1 du Code du travail.
D’une part, les groupes de sociétés se caractérisent par une mosaïque de statuts conventionnels de branche, due à la diversité de leurs activités, qui rend la négociation difficile
dans un tel cadre. A l’inverse, l’unité économique et sociale présente la particularité d’être
conditionnée à l’existence d’activités connexes ou complémentaires. Il en découle un statut conventionnel assurément plus homogène. La négociation dans ce cadre est donc
facilitée. De plus, du côté patronal, la spécificité de la forte imbrication des sociétés, en
raison d’une unité de direction, devrait inciter à tempérer le principe de l’effet relatif des
conventions collectives. Sa direction devrait pouvoir engager seule les sociétés qui la
composent par la signature d’un accord, plus facilement que la société dominante d’un
groupe de sociétés.
D’autre part, les caractéristiques de l’unité économique et sociale devrait faciliter la reconnaissance de la fonction de négociation des délégués syndicaux en son sein (305). En
effet, si on estime que les titulaires du droit à la négociation sont la collectivité des
salariés, ce droit n’existe que dans la mesure où les salariés forment une collectivité
(306). Or l’unité économique et sociale repose, à la différence des groupes de sociétés,
sur la reconnaissance d’une unité sociale qui implique une certaine identité entre les salariés. Ils forment ainsi une collectivité ayant des intérêts communs. De plus, la loi du
19 janvier 2000, relative à la réduction négociée du temps de travail a consacré la fonction
de négociation au sein des unités économiques et sociales, de plus de 20 salariés, pour le
passage aux 35 heures.
(300) M. A. Souriac-Rotschild, thèse précitée.
(301) Mitbestimmung, 08/2002, « How a European Works Council learned to negociate », p. 9.
(302) U. Rehfeldt, « Le CEE : un acteur en devenir du dialogue social », Les Cahiers de la Fondation Europe et
Société , 2001 , n° 47-48.
(303) Cf. infra p. 56.
(304) Y. Chalaron, « Négociations et accords collectifs d’entreprise », Litec, 1990, n° 29.
(305) I. Desbarats, « La notion d’unité économique et sociale en droit du travail », Mélanges Despax, 2002.
(306) M. A. Souriac-Rotschild, thèse précitée, p. 114 et s. ; M. L. Morin, thèse précitée.
51
§2. En dehors des cadres d’implantation des institutions représentatives du personnel
L’essor de la négociation au sein des instances de représentation, mises en place dans
l’unité économique et sociale et le groupe, ne permettrait pas de protéger les salariés
appartenant à des réseaux de sociétés, lorsqu’ils se trouvent « dans une dépendance économique telle que les pouvoirs dans la négociation du contrat sont déséquilibrés » (307).
La reconnaissance par le droit du travail de la négociation collective inter-entreprises
présenterait alors l’intérêt de rétablir l’équilibre des forces.
L’étude de systèmes étrangers peut nous servir d’exemple. M. Gaudu (308) a mis en
lumière l’audace des juges américains dans une décision du 25 août 2000. Ces derniers
ont considéré que les salariés d’une entreprise utilisatrice, les travailleurs temporaires qui
y sont affectés, ainsi que diverses autres catégories de travailleurs mis à disposition de
cette entreprise, forment une unité de négociation unique, sans que le consentement de
leur employeur ne soit requis. Tous les employeurs de ses salariés vont être obligés de
donner mandat à un négociateur qui négociera un accord collectif unique, valable pour
tous ces salariés. Cette démarche rapproche tous les salariés qui ont des intérêts
communs à représenter (309). L’adopter conduirait à infléchir notre conception française,
implicitement guidée par le principe de l’unicité de l’employeur, qui cherche à rassembler
les salariés qui dépendent du même employeur (310). Elle permettrait de reconnaître la
pluralité des employeurs. La référence de l’article L. 132-2 du Code du travail à des
conventions collectives pouvant être conclues « entre un ou plusieurs employeurs pris
individuellement », pourrait constituer une base juridique non seulement pour la conclusion d’accords de groupe, comme nous l’avons vu (311), mais aussi pour celle d’accords
inter-entreprises, comme le propose un auteur (312). Il faudrait alors déterminer les
parties à la négociation du côté patronal comme salarial. Les réflexions menées pour les
accords de groupe pourraient être transposées aux hypothèses d’accords inter-entreprises. Cela permettrait de développer la négociation au sein des réseaux d’entreprises.
De plus, la conclusion de codes de conduite entre des organisations syndicales et des
employeurs ouvre la voie à l’essor de la négociation au sein des réseaux. En effet, ces
derniers « étendent les garanties accordées par la société pivot à l’ensemble du personnel
dans les sociétés du réseau, peu importe le statut juridique et peu importe le lieu du siège
social de ces sociétés » (313). Ils rétablissent ainsi un lien entre le pouvoir économique
détenu par la société pivot et la responsabilité. Cette responsabilisation sociale de la
société pivot à l’égard d’autres salariés que ceux dont elle est l’employeur nominal
témoigne d’une évolution dans l’appréhension des relations interentreprises au sein des
réseaux. Ces codes de conduite semblent « indiquer que la mise en place des réseaux de
sociétés n’est plus destinée à échapper à toute norme sociale » (314).
(307) J. Barthélémy, « Une convention collective de travailleurs indépendants », Droit social, 1997, p. 40.
(308) F. Gaudu, « Entre concentration, économique et externalisation : les nouvelles frontières de l’entreprise »,
Droit social, 2001, p. 471.
(309) Y. Chalaron, « Négociations et accords collectifs d’entreprise », Litec, 1990, n° 37.
(310) Cf. infra p. 47.
(311) Cf. infra p. 69.
(312) M. A. Rotschild–Souriac, thèse précitée, spéc. p. 215.
(313) A. Sobczak, « Réseaux de sociétés et codes de conduite. Un nouveau modèle de régulation des relations
de travail pour les entreprises européennes », LGDJ, 2002, spéc. p. 143.
(314) Idem, spéc. p. 144.
52
Chapitre 2 : Une meilleure articulation des niveaux de mise en place des institutions
représentatives du personnel
Les divers niveaux d’implantation des représentants du personnel se sont empilés tels
des strates. Cette diversité est le reflet d’une double tension, (315). Elle traduit une tension entre les faits et le droit. Le droit du travail éprouve, en effet, des difficultés à adapter
les institutions de représentation à l’éclatement de l’entreprise. Il existe également une
tension entre la norme de droit et les règles. Cette tension invite à s’interroger sur les
moyens de garantir l’efficience de la représentation du personnel, en dépit de la multiplicité de leurs cadres d’implantation. Un risque d’enchevêtrement et de double emploi des
instances de représentation nationales, instituées au sein de l’entreprise, de l’unité économique et sociale et du groupe, existe (Section 1), tout comme il existe entre ces instances
et celles mises en place au niveau européen (Section 2).
Section 1 : La coordination des différents niveaux nationaux
§1. L’articulation du groupe, au sens du comité de groupe et de l’unité économique et
sociale
A. La coordination des périmètres des institutions représentatives du personnel
En réalité, la question de l’articulation du comité d’entreprise ou des délégués syndicaux,
mis en place au sein d’une unité économique et sociale et du comité de groupe se pose
davantage en terme de complémentarité (316) que de concurrence (317). En effet, les
différences entre leurs cadres d’implantation sont notables. D’une part, les logiques qui
animent l’unité économique et sociale et le groupe sont distinctes. La première est un
outil de reconstitution de l’entreprise, pour permettre la mise en place d’institutions
représentatives du personnel. En revanche, le groupe, au sens de l’article L. 439-1 du
Code du travail, permet de compenser les limites de l’unité économique et sociale en
organisant une représentation à ce niveau. Ainsi, comme le souligne M. Couturier (318)
« ou bien l’ensemble considéré présente les caractéristiques d’une entreprise unique et
c’est une unité économique et sociale ou bien il présente les caractéristiques d’un groupe
au sens des règles sur le comité de groupe et cela implique la pluralité d’entreprises ».
D’autre part, les critères qui président à leur reconnaissance sont différents. L’unité
économique et sociale est reconnue entre des sociétés fortement imbriquées. Cela se
traduit par l’exigence de la combinaison des « deux unités » (319). Derrière cette
exigence, « on s’attache à l’existence d’une communauté de travailleurs, soumise à une
même autorité, exerçant à leur égard un pouvoir de direction » (320). A l’inverse, la
notion de groupe se réfère « exclusivement aux liens économiques, à l’exclusion des
aspects sociaux ». L’unité économique et sociale et le groupe n’ont donc en principe pas
le même périmètre
Il en résulte que le comité d’entreprise ou les délégués syndicaux mis en place au sein de
la première et le comité de groupe institué dans le second peuvent le plus souvent
coexister pacifiquement. Citons, à titre d’illustration, un arrêt du 30 mai 2001 (321). Un
syndicat a demandé aux juges d’admettre l’existence d’une unité économique et sociale
entre deux sociétés commerciales appartenant à un même groupe, au sens de l’article
L. 439-1 du Code du travail, pour mettre en place un comité central d’entreprise. Les deux
sociétés s’y sont opposées, aux motifs qu’une unité économique et sociale ne peut être
(315) J. P. Plattier, « Les cadres d’institutions et d’exercice des instances représentatives du personnel », Travail
et Emploi, 06/1986, p. 33.
(316) G. Bélier, « Mise en place et attributions du comité de groupe : de l’unité économique et sociale à la
directive Vredeling », Droit social, 1983, spéc. p. 441.
(317) P. Rodière, « L’adaptation du comité d’entreprise aux structures de l’entreprise », Droit social, 1983,
spéc. p. 362 et 363.
(318) G. Couturier, « Droit du travail, Tome 2. Les relations collectives de travail », 2e édition, PUF, 1993,
spéc n° 12.
(319) Cf. infra p. 28.
(320) J. Savatier, « L’unité économique et sociale entre personnes morales juridiquement distinctes », Droit
social, 1986, p. 11.
(321) Soc. 30 mai 2001, RJS, 2001, n° 1032 ; Bull. civ. V, n° 191, pour le jugement du Tribunal d’Instance de Paris
28 fév. 2000, Droit ouvrier, 2000, p.160, note de A. de Senga.
53
reconnue au niveau où il existe déjà un comité de groupe, s’appuyant sur un arrêt du
20 octobre 1999 (322). En l’espèce, aucun obstacle ne s’opposait à la reconnaissance
d’une unité économique et sociale, en dépit de la présence d’un comité de groupe, car
leurs périmètres différaient. La Cour de cassation a approuvé le tribunal d’instance
d’avoir jugé que l’existence d’un comité de groupe, couvrant l’ensemble des sociétés du
groupe, n’excluait pas la mise en place d’un comité central d’entreprise commun à ces
deux sociétés. Il est donc possible, dans un groupe de sociétés doté d’un comité de
groupe, d’isoler un sous-ensemble de sociétés suffisamment reliées pour former une
unité économique et sociale.
La ligne de démarcation entre les deux notions apparaît clairement dessinée. Néanmoins,
l’arrêt Michelin du 21 janvier 1997 (323) va rendre trouble le tracé de cette frontière. Tout
d’abord, « la notion d’unité économique et sociale est apparue en jurisprudence, à
l’origine, pour être appliquée à de petites sociétés (…). On a volontiers considéré que la
notion n’était pas réellement applicable aux grands groupes » (324). Or cet arrêt admet la
reconnaissance d’une unité économique et sociale entre six sociétés, la plus importante
employant 27 600 salariés. Cette dernière est dotée d’un comité central d’entreprise et de
comités d’établissement et trois autres sociétés ont déjà un comité d’entreprise. En outre,
alors qu’une jurisprudence constante exige le cumul de critères caractérisant à la fois une
unité économique et sociale, cet arrêt y intègre une holding, dépourvue de salariés.
L’unité sociale qui était le critère distinctif de l’unité économique et sociale s’estompe.
Cette décision conduit à un rapprochement des périmètres de l’unité économique et
sociale et du groupe.
Les instances de représentation instituées au niveau de l’unité économique et sociale et le
comité de groupe risquaient alors d’entrer en concurrence. Un arrêt de la Chambre
sociale de la Cour de cassation le 20 octobre 1999 (325) le montre. En l’espèce, le groupe
André, composé de plusieurs sociétés d’habillement et d’articles de chaussures, a mis en
place un comité de groupe. Un syndicat désigne ultérieurement deux salariés en qualité
respective de délégué syndical et de représentant au comité d’entreprise, dans le cadre
d’une unité économique et sociale regroupant l’ensemble des sociétés composant le
groupe. Les sociétés du groupe contestent cette désignation devant le tribunal d’instance.
La Cour de cassation a infirmé le jugement du tribunal. Elle a affirmé que « la notion
d’unité économique et sociale et celle de groupe sont incompatibles ». Cet arrêt suscite
plusieurs interrogations.
La première interrogation est relative à la force juridique de la décision. Dans un arrêt du
9 mai 1989 (326), la Cour de cassation a énoncé que « l’existence d’un comité de groupe
n’est pas incompatible avec la désignation d’un délégué syndical au sein d’une unité
économique et sociale, la finalité de ces deux institutions étant différente ». On peut donc
se demander si la décision de la Cour de cassation du 20 octobre 1999 constitue un
revirement par rapport à cet arrêt ? Certains auteurs le pensent (327). En revanche, un
auteur (328) a montré que l’apparente contradiction entre les deux arrêts, s’explique par
les circonstances particulières de l’affaire. Il ne s’agirait donc pas d’un revirement. Un
argument textuel plaide en ce sens. La Cour de cassation prend soin de préciser, dans
l’arrêt du 20 octobre 1999, que le tribunal d’instance ne pouvait pas reconnaître
l’existence d’une unité économique et sociale « à un niveau où existait déjà un comité de
groupe ». On peut en déduire, par une lecture a contrario, que la désignation de délégués
syndicaux et de représentants syndicaux au comité d’entreprise et l’existence d’un comité
de groupe sont compatibles à des niveaux différents. La solution de la Cour de cassation
dans cet arrêt du 20 octobre 1999 soulève une deuxième question : cette décision est-elle
(322) Soc. 20 oct. 1999, RJS, 2000, n° 68 ; L.S. Jur, 3 nov. 1999, n° 648. Dans cet arrêt, la Cour de cassation a
affirmé que « la notion d’UES et celle de comité de groupe sont incompatibles ».
(323) Soc 21 janv. 1997, « Les problèmes posés par la reconnaissance d’une UES », Droit social, 1997, p. 347,
note de J. Savatier.
(324) G. Couturier, ouvrage précité, p. 39.
(325) Soc. 20 oct. 1999, note de C. Morin « L’incompatibilité du groupe de société et de l’unité économique et
sociale », p. 980.
(326) Soc. 9 mai 1989, Bull. civ. V, n° 346 ; D.1989, I. R., p. 178.
(327) C. Morin, article précité ; G. Couturier, ouvrage précité.
(328) M. Cohen, « Les confusions relatives au périmètre de l’UES », RJS, 03/2001, spéc. p. 186 et 187.
54
valable quelle que soit l’institution représentative en cause ? La généralité de la formule
de la Cour de cassation a conduit certains auteurs à l’affirmer (329). A l’appui de cette
opinion, on peut soutenir qu’en raison de l’unification de la notion d’unité économique et
sociale pour toutes les institutions représentatives du personnel (330), la formule de cet
arrêt est valable quelles que soient les institutions représentatives du personnel.
La décision de la Cour de cassation est critiquable sur plusieurs points. Elle aboutit à faire
jouer au comité de groupe le rôle d’« inhibiteur » (331) des délégués syndicaux et du
comité d’entreprise, lorsque il préexiste. En ce qui concerne les institutions élues, le choix
devrait pourtant s’imposer en faveur du comité d’entreprise, institué au sein d’une unité
économique et sociale, qui est une notion spéciale et qui devrait évincer la notion de
groupe qui est générale, pour M. Chalaron (332). De plus, au regard de leurs attributions
respectives, il ne fait aucun doute que le comité d’entreprise devrait être préféré. Il
dispose de pouvoirs plus étendus que le comité de groupe (333). Ensuite, certaines entreprises mettent sûrement à profit cette incompatibilité, pour privilégier la constitution d’un
comité de groupe aux pouvoirs bien sommaires et échapper ainsi aux règles plus contraignantes qui régissent le comité d’entreprise (334). En ce qui concerne les pouvoirs des
délégués syndicaux, la reconnaissance d’une unité économique et sociale permet une
expression syndicale, alors que le groupe l’ignore. On peut déplorer que la préexistence
d’un comité de groupe puisse faire obstacle à l’institution d’un comité d’entreprise ou à la
désignation de délégués syndicaux lorsque leur périmètre d’implantation coïncident.
L’existence d’un double niveau de représentation au sein de l’unité économique et sociale
et du groupe est souhaitable, parce que les instances mises en place en leur sein sont
davantage complémentaires, que concurrentes. Comme le fait remarquer M. Antonmattéi
(335), « bien souvent l’unité économique et sociale ne permet pas de combler un déficit
de représentation, mais elle permet d’aménager plus efficacement cette représentation ».
B. L’articulation des attributions des institutions représentatives du personnel
L’unité économique et sociale, visant à reconstituer l’entreprise, les attributions du comité
d’entreprise institué en son sein devraient être calquées sur celles du comité d’entreprise
(336). La coordination du comité d’entreprise commun à une unité économique et sociale
et du comité de groupe devrait donc être réglée de façon identique à celle du comité
d’entreprise et du comité de groupe. Le ministre a pris position sur ce problème dans la
circulaire du 28 juin 1984 (337). Cette dernière précise que les attributions du comité de
groupe « sont spécifiques et ne sauraient donc empiéter sur celles des comités
d’entreprise, mais elles permettent de mieux éclairer ceux-ci dans l’exercice de leur
pouvoir consultatif ». Inversement, les membres des comités d’entreprise, également
membres des comités de groupe, peuvent s’appuyer sur les pouvoirs qu’ils détiennent
auprès du premier pour mieux exercer ceux qu’ils exercent auprès du second. Chaque
comité d’entreprise reçoit en effet certaines informations qui vont être livrées au comité
de groupe. L’article L. 432-4 du Code du travail dispose que « le chef d’entreprise lui communique une documentation économique et financière qui doit préciser les perspectives
économiques de l’entreprise telles qu’elles peuvent être envisagées ; le cas échéant la
position de l’entreprise au sein du groupe ». Il nous semble que les deux instances se
renforcent mutuellement.
(329) C. Morin, article précité.
(330) Sur la conception objective de l’unité économique et sociale cf. supra p. 33 et Soc. 5 mai 1988, Bull. civ. V,
n° 273 ; Soc. 7 oct. 1998, RJS, 1998, n° 1378. Ces deux arrêts affirment que les critères de l’unité économique et
sociale sont les mêmes pour toutes les institutions représentatives du personnel.
(331) Selon l’expression de Ph. Langlois, « Articulation du comité de groupe avec les autres instances
représentatives », Semaine Sociale Lamy, 06/1985, n° 266, p.14.
(332) Y. Chalaron, « Le comité de groupe » dans « Les instances fédératives de représentation du personnel »,
Litec collection Droit , 1995, p. 68.
(333) Cf. infra p. 51.
(334) M. Carles , « L’unité économique et sociale, ou comment adapter la représentation du personnel à la
structure de l’entreprise », Droit ouvrier, 1999, spéc. p. 264.
(335) P. H. Antonmattéi, « Unité économique et sociale : un nouvel arrêt… mais le débat continue », Soc. 7 mai
2002, Droit social, 2002, p. 720.
(336) Cf. infra p. 58.
(337) Circulaire du 28 juin 1984, Droit ouvrier, 1994, p. 374.
55
Toutefois, cette complémentarité n’empêche pas l’existence d’une concurrence de leur
domaine de compétences. Celle-ci a été accentuée par la jurisprudence relative aux pouvoirs de l’expert comptable du comité d’entreprise (338), qui a étendu ses pouvoirs aux
sociétés du groupe auquel appartient l’entreprise (339) L’expert-comptable du comité
d’entreprise a donc un champ d’intervention qui dépasse l’entreprise. Ses pouvoirs peuvent donc faire double emploi avec ceux de l’expert du comité de groupe (340). Faut-il de
ce fait restreindre le pouvoir de l’expert du comité d’entreprise à la seule entreprise ?
Nous ne le pensons pas. Ce doublon peut être fécond, car comme le fait observer M. Langlois (341) « la répétition de l’information peut enrichir les débats qui ne peuvent se
dérouler de la même manière lorsqu’il s’agit d’une entreprise ou du groupe ». En effet, si
le rapport de l’expert comptable d’une entreprise insérée dans un groupe permettra
d’éclairer la situation de cette entreprise, celui de l’expert au niveau du groupe portera
sur le groupe lui-même, sans entrer dans les détails de la situation de chaque entreprise.
En outre, toutes les entreprises ne sont pas représentées au sein du comité de groupe,
dont les membres sont désignés parmi les membres du comité d’entreprise par les organisations syndicales représentatives. Le recours a un expert par le comité d’entreprise se
justifie d’autant plus.
§2. La représentation au niveau du sous-groupe
On peut se demander avec M. Couturier (342) si le sous-groupe ne serait pas un niveau
de représentation plus approprié que le groupe. D’une part, la notion de groupe, déterminée à l’article L. 439-1 du Code du travail, inclut les filiales de filiales. Or le sort de ces dernières dépend davantage des décisions des filiales que de celles prises au niveau du
groupe. Il faudrait donc tenir compte des clivages qui déterminent les vraies collectivités
de travail et reconnaître l’existence d’un comité de sous-groupe entre des filiales et ses
filiales. D’autre part, au sein d’un groupe, les sociétés réalisent souvent des activités
variées. Les décisions stratégiques, prises au niveau du groupe concernent souvent un
secteur d’activité. Ainsi on pourrait concevoir la mise en place de comités de sousgroupe, regroupant des établissements de sociétés appartenant à un même secteur
d’activité. Enfin, M. Cohen (343) fait remarquer que les réunions du comité de groupe, ne
permettent pas d’examiner en détail, non seulement des questions relatives à un secteur
d’activité spécifique, mais aussi des problèmes spécifiques à une société. Le sous-groupe
apparaît comme un niveau de représentation du personnel pertinent.
La pratique a répondu à ce besoin en créant des comités de sous-groupes. Dans certains
grands groupes, des accords prévoient parfois la constitution de comités de sous-groupe
propres à une branche d’activité. L’arrêt du 7 mai 2002 nous en donne une illustration. Il
s’agissait de faire établir l’existence d’une unité économique et sociale entre des sociétés
et des établissements d’autres sociétés ayant un même pôle d’activité : l’eau. Ces entités
constituaient un sous-ensemble du Groupe Vivendi, ayant de nombreuses activités
différentes. Toutefois, les juges ont rejeté la reconnaissance d’une unité économique et
sociale pour ce sous-groupe. Leur attitude conduit à se demander s’il ne fallait pas s’en
remettre à l’autre technique de reconnaissance de l’unité économique et sociale : la négociation collective, pour déterminer le niveau du sous-groupe. M. Antonmattéi (344) a
soutenu cette position en affirmant qu’il « serait parfaitement concevable d’offrir plus de
liberté aux partenaires sociaux », auxquels la loi a délégué, comme aux juges, sa compétence pour la reconnaissance d’une unité économique et sociale. Il a proposé de réserver
(338) L’article L. 434-6 du Code du travail prévoit que « le comité d’entreprise peut se faire assister d’un expert
comptable de son choix ».
(339) Soc. 8 nov. 1994, Droit social, 1995, p. 73, obs M. Cohen ; Bull. civ. V, n° 298 ; Soc. 27 janvier 2001, Droit
social, 2002, p. 164, obs G. Couturier. La Cour de cassation a admis dans cet arrêt la communication à l’expert
comptable du comité d’entreprise des informations relatives aux entreprises du groupe situées sur le territoire
d’un autre pays.
(340) Cf. infra p. 64.
(341) Ph. Langlois, « Articulation du comité de groupe avec les autres instances représentatives », Semaine
Sociale Lamy, 06/1985, n° 266, p.14.
(342) P. Rodière, « L’adaptation du comité d’entreprise aux structures de l’entreprise », Droit social, 1983, p. 361
(343) M. Cohen, ouvrage précité.
(344) Ph. Antonmattéi, « Unité économique et sociale : un nouvel arrêt… mais le débat continue », Soc. 7 mai
2002, Droit social, 2002, p. 720.
56
à la convention « l’exception admise par l’arrêt de 1982 » (345), qui avait accepté qu’une
société et un établissement puissent former une unité économique et sociale, limitée à un
secteur de production.
Toutefois, laisser aux partenaires sociaux cette liberté suppose qu’ils soient dans un
rapport de force favorable, ce qui est loin d’être le cas. Cette situation présente l’inconvénient de créer des inégalités entre les groupes à forte tradition syndicale, où les syndicats
parviennent à négocier la mise en place de tels comités, et les autres. La loi Fillon du
3 janvier 2002, qui a suspendu une partie des dispositions relatives à la procédure d’information et de consultation du comité d’entreprise et donné aux partenaires sociaux la
faculté de conclure des accords sur ce point, nous montre les risques de cette option. Il
serait donc préférable à notre sens, de faire appel à un mécanisme jurisprudentiel ou à
une intervention légale pour favoriser la création de tels comités.
Or, comme le montrent certains auteurs (346), la notion de groupe pour la mise en place
du comité de groupe, ne permet pas d’admettre une représentation au niveau du sousgroupe. Deux possibilités s’offrent pour reconnaître ce niveau intermédiaire de représentation du personnel. M. Savatier (347) imaginait déjà qu’au sein d’un groupe, au sens du
comité de groupe, un sous-groupe composé de sociétés entretenant des liens plus forts
puisse constituer une unité économique et sociale. Les arrêts « Michelin » du 21 janvier
1997 (348) ont admis la reconnaissance par le tribunal d’une unité économique et sociale
formée par un sous-ensemble de six sociétés appartenant au groupe Michelin, dans
lequel était institué un comité de groupe. Le groupe avait pour société dominante la
Compagnie Générale des Etablissements qui n’était pas incluse dans l’unité économique
et sociale. Un arrêt plus récent du 28 février 2000 (349) s’inscrit dans cette même
perspective. La notion d’unité économique et sociale pourrait devenir « le mode de reconnaissance d’un sous-groupe », pour Mme Favennec-Héry (350). Cela lui donnerait « une
pleine cohérence, par l’admission de son inclusion dans des groupes comme son éventuelle division en établissements distincts », selon Mme Desbarats (351). Si les arrêts
plaident en ce sens, on ne peut pas considérer, à notre avis, que le rôle de l’unité économique et sociale en serait modifié, comme le pensent ces auteurs. Transformer l’unité
économique et sociale en un véritable mode de reconnaissance du sous-groupe supposerait que la jurisprudence assouplisse ses exigences quant au critère de l’unité économique et de l’unité sociale. Certes, la décision de la Cour de cassation du
21 janvier 1997 (352) s’est orientée dans cette voie, mais l’arrêt du 7 mai 2002 (353) met
un frein à cette démarche.
Si la loi venait à consacrer ces comités de sous-groupes comment devraient-ils s’articuler
avec le comité de groupe ? Si le sous-groupe apparaît comme un niveau de
représentation du personnel adéquat, il ne faudrait pas en déduire pour autant qu’il
éclipserait le comité de groupe. Cette proposition serait sans aucun doute formulée par
certains, au nom de l’allègement des structures de représentation, pour accélérer le
processus décisionnel. La circulaire du 28 juin 1984 (354) sur le comité de groupe s’y
oppose. Elle précise que « la création des comités de sous-groupes ne saurait prévaloir
sur l’obligation légale de mettre en place un comité de groupe ».
(345) Soc. 6 juillet 1982, Bull. civ. V, n° 455.
(346) G. Couturier, « L’accès du comité d’entreprise à l’information économique et financière », Droit social,
1983, p. 26 ; P. Rodière, « L’adaptation du comité d’entreprise aux structures de l’entreprise », Droit social, 1983,
p. 361
(347) J. Savatier, « L’unité économique et sociale entre personnes morales juridiquement distinctes », Droit
social, 1986, spéc. p. 15.
(348) Soc. 21 janvier 1997, arrêt précité.
(349) Soc. 28 février 2000, arrêt précité. La Cour de cassation a jugé que « le comité de groupe, instauré dans
l’ensemble des sociétés du groupe, n’exclut pas la mise en place d’un comité central d’entreprise dans le
périmètre constitué par ces deux sociétés, dès lors qu’ils existent des liens entre elles d’une étroitesse telle
qu’elles forment une unité économique et sociale ».
(350) F. Favennec-Héry, « La représentation collective dans les groupes de sociétés », dans « Les salariés et les
associés minoritaires dans les groupes de sociétés », Presses universitaires d’Aix-Marseille, 1993, p. 125.
(351) I. Desbarats, « La notion d’unité économique et sociale en droit du travail », Mélanges Despax, Presses
Toulouse, 2002, spéc. p. 84 et 85.
(352) J. Savatier, Soc 21 janvier 1997, « Les problèmes posés par la reconnaissance d’une UES », Droit social,
1997, p. 347.
(353) Soc. 7 mai 2002, arrêt précité.
(354) Circulaire DRT n° 6 du 26 juin 1984, Droit ouvrier, 1984, p. 374.
57
Section 2 : La coordination des niveaux nationaux et internationaux
§1. L’articulation du comité de groupe et du comité d’entreprise européen
Chaque fois qu’un groupe de dimension européenne est d’origine française ou
qu’il comprend un groupe de sociétés françaises, un comité d’entreprise européen et un
comité de groupe français peuvent coexister. Cette situation est susceptible de provoquer
des conflits de compétences et corrélativement un recul des moyens et des droits des
salariés à la participation. Il était donc indispensable d’articuler ces deux instances.
Le législateur français a adopté une solution de compromis entre ceux qui proposaient
la suppression du comité de groupe et ceux qui souhaitaient le maintien des deux
instances. Il a laissé une alternative aux partenaires sociaux : l’aménagement
des conditions de fonctionnement du comité de groupe ou sa suppression. Dans ce
dernier cas, la loi a prévu le transfert des attributions du comité de groupe, au comité
d’entreprise européen (355).
A. La fusion des deux instances
Le cumul du comité de groupe et du comité d’entreprise européen fait naître des problèmes de redondance de compétences, pour certains (356). Un argument plaide en leur
sens : ces deux instances répondent au même objectif d’information et de consultation
des représentants des salariés sur la stratégie globale du groupe. L’article L. 439-24 du
Code du travail a intériorisé cette critique, puisqu’il autorise la suppression du comité de
groupe. La question de sa suppression a fait l’objet de vives critiques de la part de
certains auteurs, comme M. Cohen, pour lequel la jurisprudence a démontré l’importance
du comité de groupe en le dotant de la personnalité morale. De plus, cette suppression
« rendrait service aux multinationales au détriment des intérêts des salariés et serait alors
contraire à l’article 12-2 de la directive (357) ». Le législateur a tenu compte de ces
remarques, en subordonnant la disparition du comité de groupe à certaines conditions (358).
L’article L.439-24 du Code du travail dispose qu’« en cas de suppression du comité de
groupe, les dispositions de l’article L. 439-2 du Code du travail sont applicables au comité
d’entreprise européen ». La lecture de ces termes soulève un problème d’interprétation :
faut-il l’interpréter strictement comme renvoyant seulement à l’hypothèse où un comité
d’entreprise européen a été mis en place ? Faut-il au contraire l’interpréter de manière
beaucoup plus large comme renvoyant aussi à l’hypothèse de la mise en place d’une
procédure d’information et de consultation ? Les auteurs sont divisés sur la question.
M. Cohen (359) est favorable à la seconde interprétation. Un argument textuel milite dans
ce sens. En effet, admettre le contraire irait à l’encontre de la loi du 12 novembre 1996 de
transposition de la directive sur le comité d’entreprise européen qui précise que « les
dispositions de l’article L. 439-24 sont applicables aux groupes d’entreprises qui ont mis
en place des instances d’information, d’échanges de vues et de dialogue à l’échelon
communautaire ». Cet article renvoie à toutes les instances, mises en place au sein d’une
entreprise ou d’un groupe d’entreprises communautaires, que ce soit un comité d’entreprise européen, une procédure d’information et de consultation ou un comité d’entreprise
créé en application des dispositions subsidiaires.
Ce problème d’interprétation de l’article L. 439-24 du Code du travail s’accompagne de
difficultés relatives au transfert des attributions du comité de groupe au comité d’entreprise européen. Tout d’abord, l’article L. 439-2 du Code du travail prévoit que « le comité
de groupe peut se faire assister par un expert comptable ». L’article L. 439-16 du Code du
travail précise que le comité d’entreprise européen et son bureau « peuvent être assistés
(355) L’article L 439-24 du Code du travail dispose que « lorsqu’un groupe d’entreprises a mis en place un
comité d’entreprise européen, […] un accord passé au sein du groupe peut décider d’un aménagement des
conditions de fonctionnement ou, le cas échéant, de la suppression du comité de groupe. L’entrée en vigueur de
l’accord est subordonnée à un vote favorable du comité de groupe. En cas de suppression du comité de groupe,
les dispositions de l’article L. 439-2 du Code du travail sont applicables au comité d’entreprise européen ».
(356) M. Bélier estime que les missions dévolues au comité d’entreprise européen mettent le comité de groupe
en porte à faux, dans « Mise en place et attributions du comité de groupe: de l’unité économique et sociale à la
directive Vredeling », Droit social, 1983, p. 439. Le ministre du Travail J. Barrot allait également dans ce sens. Il
considérait « qu’il y a un risque de redondance et de lourdeur dans le fonctionnement entre le comité de groupe
et le comité d’entreprise européen ».
(357) M. Cohen, ouvrage précité. L’article 12-2 de la directive du 22 sept. 1994 dispose que « la présente directive
ne porte pas préjudice aux droits d’information et de consultation des travailleurs existant dans les droits nationaux ».
(358) Article L. L 439-24 du Code du travail.
(359) M. Cohen, ouvrage précité.
58
d’experts de leur choix, pour autant que ce soit nécessaire à l’accomplissement de leurs
tâches ». L’article L. 439-2 du Code du travail ne pose pas de condition restrictive quant au
recours à l’expert comptable. La simple volonté du comité de groupe d’y recourir suffit.
Faut-il alors considérer que l’absorption des attributions du comité de groupe par le
comité d’entreprise européen aurait pour effet d’ajouter le droit à l’expert comptable de
l’article L.439-2 aux modalités de recours des experts envisagées à l’article L. 439-16 ?
Faut-il au contraire penser que cela entraînerait l’inclusion du premier article dans le
second ? Une réponse dans le second sens rendrait moins aisé le recours à l’expert comptable, qui ne pourrait avoir lieu que s’il est indispensable. A notre avis, le choix du législateur de transférer les attributions du comité de groupe au comité d’entreprise européen en
cas de suppression du premier, était motivé par la volonté de ne pas léser les intérêts des
salariés. Il serait contraire à cette volonté que la dévolution des compétences du comité de
groupe au comité d’entreprise européen aboutisse à priver les salariés de certains droits
plus favorables, qu’ils détenaient avec le comité de groupe. De plus, cela s’opposerait à
l’article 12-2 de la directive, en portant préjudice aux droits d’information et de consultation des travailleurs existants dans les droits nationaux. On peut de ce fait estimer que
l’article L. 439-2 du Code du travail se cumule avec l’article L. 439-16 du Code du travail.
B. La coexistence des deux instances
On peut néanmoins, s’interroger sur la pertinence, pour les salariés, de la fusion des
compétences du comité de groupe et du comité d’entreprise européen. Leurs prérogatives légales ne sont pas identiques. Celles du comité de groupe sont beaucoup plus
faibles. Il reçoit des informations moins détaillées que le comité d’entreprise européen.
Sa consultation n’est pas prévue. Ses moyens d’action sont limités, car il n’a pas de ressources propres. Une approche superficielle a conduit certains auteurs à en déduire que
le comité de groupe avait un intérêt mince. Toutefois, il ne faut pas s’arrêter à l’observation des attributions légales des deux comités. En effet, de nombreux accords vont audelà des commandements légaux en ouvrant aux comités de groupe un droit au dialogue, à la consultation et parfois même à la négociation (360). Les deux instances ont
donc un intérêt propre. D’une part, la circulation de l’information est facilitée au sein du
comité de groupe, car les représentants du personnel et les salariés sont situés sur le
même territoire. D’autre part, au niveau du comité d’entreprise européen, des questions
plus précises relatives à un établissement ou à une entreprise d’un pays en particulier ne
sont pas abordées. Le maintien du comité de groupe peut donc s’avérer utile, dans les
situations où ses compétences débordent le cadre légal. Il est une sorte de comité de
sous-groupe territorial du comité d’entreprise européen.
§2. L’articulation du comité d’entreprise et du comité d’entreprise européen
Ni la directive du 22 septembre 1994 sur le comité d’entreprise européen, ni la loi de
transposition française du 19 novembre 1996 ne règlent la question de l’articulation des
compétences des instances nationales et du comité d’entreprise européen.
Les employeurs se retranchent souvent derrière le paravent du respect des législations
nationales, pour justifier le défaut de consultation du comité d’entreprise européen ou sa
consultation a posteriori de celle des instances nationales. En France, les employeurs prétextent qu’ils courent le risque d’être condamnés pour délit d’entrave aux fonctions du
comité d’entreprise, s’ils consultent avant le comité d’entreprise européen. Ils avancent
également le risque de délit d’initié qu’ils courent s’ils donnent au comité d’entreprise
européen des informations confidentielles. De plus, les entreprises reprochent souvent à
la consultation du comité d’entreprise européen de faire double emploi avec celle du
comité d’entreprise français.
On peut objecter à cette conception que la consultation des deux instances ne porte pas
sur les mêmes sujets. Par ailleurs, les membres du comité d’entreprise peuvent se nourrir
des résultats de la consultation du comité d’entreprise européen. Enfin, refuser que le
comité d’entreprise européen soit informé et consulté avant le comité d’entreprise reviendrait à en faire une instance d’enregistrement des décisions et à nier ainsi son rôle d’instance de dialogue social (361). La consultation du comité d’entreprise européen devrait
donc précéder celle du comité d’entreprise, pour renforcer l’efficacité de ses pouvoirs.
Certains groupes ont trouvé des remèdes à ce problème d’articulation (362).
(360) Cf. infra p. 74.
(361) Entretien avec Maître Brihi.
59
TITRE 2 : LA REDÉFINITION DE L’ASSISE DES INSTITUTIONS REPRÉSENTATIVES
DU PERSONNEL
En 1979, le rapport Cousté (363) pointait déjà les conséquences de l’éclatement de l’entreprise sur les institutions représentatives du personnel. Il préconisait la reconnaissance
« d’un droit à l’expérimentation sociale des formes de représentation du personnel adaptées aux nouvelles formes d’organisation des entreprises ». Nous allons essayé de suivre
cette suggestion en présentant quelques directions pour modeler les cadres d’implantation des institutions représentatives du personnel à ces nouvelles formes d’organisation
(Chapitre 2). Derrière cette démarche de redéfinition de l’assise des institutions représentatives du personnel se révèle une exigence de démocratie interne à l’entreprise. Elle
implique tout d’abord de s’assurer de l’existence d’une adéquation entre les décisions
des représentants et les attentes des salariés, car les représentants tirent leur raison
d’être de la collectivité des salariés. Par ailleurs, cette exigence de démocratie nécessite
que l’autorité d’une personne soit reliée à la responsabilité. A défaut, l’exercice du
pouvoir pourrait être abusif (364). La quête de l’interlocuteur patronal vise donc à responsabiliser les détenteurs réels de l’autorité. Cette responsabilisation suppose l’existence
d’un contre-pouvoir, pour limiter le risque d’arbitraire du pouvoir patronal. Les salariés ne
peuvent disposer d’un « pouvoir social et juridique » efficace face au pouvoir de
l’employeur, que si leurs représentants peuvent se confronter à un interlocuteur adéquat.
(Chapitre 1).
Chapitre 1 : Le sens de la redéfinition
L’institution d’un comité de groupe ou d’un comité d’entreprise européen rapproche les
instances de représentation du véritable centre de décision, mais les éloigne de leur base.
Il faut donc veiller à ce que le gain en efficacité ne s’accompagne pas d’une perte de
légitimité et inversement. En effet, si la notion d’unité économique et sociale exige la
reconnaissance d’une communauté de travail soudée par des intérêts communs, elle peut
exclure le véritable centre décisionnel, s’il ne dispose pas de personnel. Il faut donc
s’efforcer de préserver la légitimité des représentants du personnel, dans la mesure où
cela ne nuit pas à leur efficacité. La légitimité des représentants du personnel découle de
la proximité des membres des instances de représentation centralisées au niveau du
groupe des salariés (Section 1). L’efficacité de ces représentants implique de vérifier
l’existence de rapports équilibrés entre les partenaires sociaux et les employeurs (Section 2).
Section 1 : Rapprocher les institutions représentatives du personnel des salariés
Les membres du comité de groupe ou du comité d’entreprise européen étant désignés de
façon indirecte, un risque existe que ces instances se coupent de leurs racines, c’est-àdire des salariés qu’ils représentent, en éloignant les débats de leurs intérêts. Il est donc
indispensable de garantir une proximité de ces instances avec ceux qu’ils représentent
(§1). Il faut également permettre aux salariés de vérifier l’équivalence de leur volonté avec
celle de leurs représentants (§2).
(362) Le groupe Danone a ainsi choisi de réunir le comité d’entreprise européen et les instances nationales le
même jour : le premier le matin et l’autre l’après-midi.
(363) Analyse du rapport Cousté, Le travail temporaire, Droit social, 1979, p. 431. Il notait que « l’éclatement de
la notion d’entreprise a souvent pour effet de vider les informations fournies aux représentants du personnel de
l’essentiel de leur contenu ».
(364) C. Champaud, « Le droit social et les groupes d’entreprises », Cah. drt entreprise, 01/1997, p. 24.
60
§1. Souder les liens entre les représentants et les salariés
A. La modification de la composition des instances de représentation du personnel au
niveau du groupe
Des propositions, relatives au mode d’attribution des sièges au sein du comité de groupe,
avaient été faites, lors de l’adoption des textes sur le comité de groupe. Le rapport
Auroux envisageait des élections au deuxième degré par les membres des différents
comités d’entreprises faisant partie du groupe. D’autres auteurs regrettent (365) que l’on
n’ait pas songé à des élections directes par le personnel. De telles solutions auraient,
certes, permis de rapprocher le personnel de leurs représentants, mais elles ne nous
paraissent pas préserver l’indépendance des membres du comité de groupe vis-à-vis de
l’employeur (366). Seul un système de désignation par les syndicats est le véritable
garant de cette indépendance. Ainsi, le double mode d’investiture des membres du
comité de groupe et du comité d’entreprise européen, calqué sur le premier (367), présente l’avantage de combiner un certain rapprochement avec les salariés, les membres
de ces instances étant choisis parmi leurs élus et de garantir une certaine indépendance
de ces membres vis-à-vis de la direction, grâce à leur désignation par les syndicats.
Toutefois, il est regrettable que les règles de composition du comité de groupe et du
comité d’entreprise européen ne permettent pas une reproduction fidèle de l’ensemble
des collectivités de travail comprises dans un groupe. En effet, seuls sont représentés les
salariés qui disposent d’un comité d’entreprise ou d’un comité d’établissement. Par
conséquent, les salariés des entreprises qui en sont dépourvus, du fait d’une carence ou
de la faiblesse de l’effectif, seront exclus de la représentation au comité de groupe et au
comité d’entreprise européen. Or l’intérêt des salariés de chaque entreprise du groupe ne
peut être réduit à celui des salariés du groupe dans son ensemble. Il peut être sacrifié au
nom de l’intérêt du groupe. Il est donc indispensable que les salariés de chaque entité
comprise dans le groupe, y soient représentés, pour éviter que ces instances ne soient
déconnectées de leurs intérêts. Comment alors assurer une représentation de l’ensemble
des salariés des entreprises qui composent le groupe ? L’admission d’une telle proposition se heurterait à des difficultés pratiques et nuirait sûrement à leur efficacité. La difficulté consiste alors à trouver les moyens de concilier une nécessaire représentation de la
diversité des intérêts des salariés et l’efficacité de cette représentation, qui implique une
certaine unité. Le même problème se pose pour le comité d’entreprise européen.
B. Les autres voies
Pour le comité de groupe français, des réunions préparatoires pourraient rassembler
l’ensemble des représentants des comités d’entreprise et les délégués du personnel des
entreprises où il n’existe pas de comité d’entreprise. Cette solution a d’ailleurs été envisagée par plusieurs accords (368). De la même manière, on pourrait imaginer pour le
comité d’entreprise européen l’organisation d’une réunion préparatoire, dans chaque
pays d’implantation des entreprises ou des groupes d’entreprises communautaires, à
laquelle assisteraient et seraient représentés l’ensemble des entreprises et établissements
disposant ou non d’un comité.
M. Borenfreund (369) avance une autre solution pour amoindrir le risque pour certains
salariés des entreprises du groupe d’être écartés de la représentation au comité de
groupe. Il suggère d’ouvrir la négociation des accords sur le fonctionnement du comité
de groupe à des syndicats seulement représentatifs dans certaines entreprises ou certains
établissements du groupe, afin de favoriser des liens étroits entre les agents appelés à
négocier sur le comité de groupe et ceux habilités à désigner les membres du groupe.
La Cour de cassation est allée dans ce sens, dans un arrêt du 4 avril 1990 (370).
(365) G. Couturier, « L’accès du comité d’entreprise à l’information économique et financière », Droit social,
1983, p. 26.
(366) G. Borenfreund, Cours de droit de la représentation des intérêts des salariés, en DEA de droit social et
syndical – Université Paris X Nanterre, pour l’année 2002-2003.
(367) Articles L. 439-3 alinéa 3 du Code du travail et L. 439-19 du Code du travail.
(368) Ph. Langlois, « Articulation du comité de groupe avec les autres instances représentatives », Semaine
Sociale Lamy, 06/1985, n° 266, spéc. p. XXII.
(369) G. Borenfreund, « Les syndicats admis à négocier un accord sur le fonctionnement du comité de groupe »,
Soc. 4 mai 1994, Droit social, 1994, p. 688.
(370) Soc. 4 avril 1990, Bull. civ. V, n° 167, p.101.
61
Enfin la reconnaissance d’une représentation au niveau d’un sous-groupe permettrait
d’éviter que les instances de représentation au niveau du groupe « soient conçues sur un
mode trop centralisé, comme des structures ‘‘supra sociétaires’’ ». L’enracinement des
organes de représentation dans chaque entité du groupe (371) serait garanti et les liens
entre les salariés et leurs représentants raffermis.
Il est important de s’assurer de l’existence d’une certaine adéquation entre la volonté des
salariés et celle de leurs représentants. Ne faut-il pas alors permettre aux salariés de
vérifier ponctuellement le respect de leurs attentes par les instances de représentation ?
§2. Confirmer les liens entre représentants et représentés
A. Développer la dimension cinétique
Un auteur (372) a fait remarquer que, dans le cas du comité de groupe, « ce n’est pas
l’information qui vient aux travailleurs, mais leurs représentants qui vont vers l’information ». Cette observation est également valable pour le comité d’entreprise européen.
Or, l’information des salariés est essentielle, car elle leur permet de vérifier l’équivalence
de leur volonté avec celle des représentants.
Le projet de directive Vredeling prévoyait que les représentants de chaque unité composant le groupe seraient informés par la direction de la société dominante. M. Couturier
(373) déplore que le législateur français ne l’ait pas envisagé pour le comité de groupe.
Néanmoins, on peut émettre un doute quant à la bonne volonté de la direction de transmettre des informations précises et complètes. Le silence du législateur peut s’interpréter
comme l’expression implicite de sa volonté de se distinguer de la proposition Vredeling
et d’écarter ce mode de transmission des informations. L’information des salariés relèverait donc de la compétence des membres du comité de groupe, ce qui est de nature à
rapprocher les représentants des salariés.
Pour renforcer les liens des salariés avec leurs représentants, des contacts fréquents et
approfondis doivent être rendus possibles. M. Pascre (374) avait proposé de donner aux
salariés des heures de disponibilité pendant le travail, pour participer à des réunions
organisées par les syndicats. Par ailleurs, il est important que les salariés de chaque
entreprise et de chaque établissement soient tenus au courant des résultats des réunions
du comité de groupe et du comité d’entreprise européen. Le double mandat des
membres de ces instances peut faciliter la communication, au sein des entreprises ou des
établissements dotés de comités dont ils sont également membres. Qu’en est-il alors des
salariés des entreprises dépourvues de représentants aux comités de groupe et aux
comités d’entreprises européens ? Certains accords de groupe ont prévu la diffusion des
procès-verbaux et des comptes rendus à tous les comités d’entreprises et d’établissement
ou aux délégués du personnel, pour assurer une information de l’ensemble des salariés
du groupe. Tel est le cas du groupe Saint-Gobain, où un protocole d’accord conclu en
janvier 1983 va dans ce sens. On peut déplorer, avec M. Langlois (375), qu’une solution
aussi simple n’ait pas été généralisée par la loi. D’une part, elle aurait facilité la circulation
de l’information. D’autre part, elle aurait permis de se calquer sur les relations entre le
collège inter-entreprises d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (376) et les
comités d’hygiène et de sécurité des conditions de travail des différentes entreprises. En
effet, ces derniers « reçoivent les copies des procès-verbaux ». Ils peuvent en outre « saisir par écrit le président du collège de toutes questions relevant de sa compétence »
(377). Pour le comité d’entreprise européen, l’article 5 de l’annexe de la directive du
22 septembre 1994 ou l’article L. 439-14 alinéa 4 du Code du travail disposent que les
(371) G. Borenfreund, note de jurisprudence précitée.
(372) A. Lyon-Caen, « Le comité d’entreprise à l’heure du changement », Droit social, 1982, p. 303.
(373) G. Couturier, « L’accès du comité d’entreprise à l’information économique et financière », Droit social,
1983, p. 26.
(374) R. Pascre, « La réforme de la loi sur les conventions collectives. Le point de vue de la CGT », Droit social,
1989, spéc. p. 480.
(375) Ph. Langlois, « Articulation du comité de groupe avec les autres instances représentatives », Semaine
Sociale Lamy, 06/1985, n° 266, p. 14.
(376) Article L. 235-11 du Code du travail.
(377) Article R. 238-56 du Code du travail.
62
représentants du personnel locaux sont informés par la délégation du personnel du
comité d’entreprise européen de la teneur et des résultats des travaux du comité. A
défaut de représentants, ils prévoient que l’ensemble des salariés doivent être informés.
Cette disposition n’est peut-être pas assez contraignante. La directive aurait pu être plus
précise et imposer aux membres du comité d’entreprise européen de transmettre les
procès verbaux aux représentants des entreprises qui composent le groupe.
B. Instaurer un organe de surveillance des salariés
Ne faut-il pas aller plus loin dans le contrôle des salariés du respect de leurs intérêts ? En
1983, le droit français a ouvert les organes de direction du secteur public aux représentants
des travailleurs, en leur attribuant un certain nombre de sièges. L’ordonnance du
21 octobre 1986 a étendu cette possibilité dans le secteur privé, mais de façon plus restrictive. Elle autorise l’assemblée des actionnaires à introduire des clauses dans les statuts de la société réservant un tiers des sièges du conseil de surveillance aux représentants des travailleurs (378). Toutefois, il ne s’agit que d’une faculté. Seul le droit allemand
(379) décide non seulement d’accorder d’importants droits de co-détermination au
conseil d’entreprise ou de groupe et impose aussi la présence de représentants des travailleurs dans les organes de direction des grandes entreprises, ce qui leur permet de
participer directement à la décision de la direction. De même, il existe une assemblée des
salariés devant laquelle le comité de groupe doit rendre des comptes et expliquer ses
décisions. Enfin, la directive du 8 octobre 2001, qui concerne l’implication des travailleurs
dans la société européenne (380), va dans ce sens.
Section 2 : Saisir l’interlocuteur patronal idoine
La capacité des institutions représentatives du personnel à influencer les décisions stratégiques dépend de la confrontation avec les véritables détenteurs du pouvoir. Identifier ces
détenteurs suppose de rompre avec le principe d’unicité de l’employeur, qui structure
notre droit du travail (§1), mais aussi de s’interroger sur la substance du pouvoir de direction (§2).
§1. Dépasser le modèle de l’unicité de l’employeur
A. Détacher l’employeur du cocontractant
La détermination de l’employeur dépend étroitement de l’existence d’un lien de subordination juridique (381). Le pouvoir de direction découle de ce lien. Il s’agit donc d’un
pouvoir de direction hiérarchique (382). L’employeur est celui qui exerce l’autorité sur le
salarié, cette autorité découlant du contrat de travail. Il est de ce fait assimilé au contractant. Ainsi, comme le fait observer M. Camerlynk (383), « la conclusion même du contrat
crée l’employeur en même tant que le salarié ». Nous avons vu qu’en matière de détachement, cette conception du détenteur du pouvoir de direction conduisait les juges à ne
reconnaître qu’un seul employeur (384). Toutefois, « si le contrat de travail légitime
l’exercice du pouvoir patronal, toutes les manifestations de ce pouvoir ne se ramènent
pas au contrat » (385). Il faut donc s’éloigner de l’assimilation de l’employeur au cocontractant.
Les juges ont fait un pas dans ce sens, avec l’invention de la notion d’unité économique
et sociale. Impliquant l’existence d’une unité de direction entre les sociétés, cette notion
(378) Article L. 225-27 du Code de commerce.
(379) A. Lyon-Caen, Cours de droit comparé, en DEA de droit social et syndical - Université Paris X Nanterre,
pour l’année 2002-2003.
(380) M.-A. Moreau, « L’implication des travailleurs dans la société européenne », Droit social, 2001, p. 967.
(381) Civ. 6 juillet 1931, D.P. 1931, p. 121. La Cour de cassation a jugé que « la qualité de salarié implique
nécessairement l’existence d’un lien juridique de subordination du travailleur à la personne qui l’emploie ».
(382) M.L. Morin, « Sous-traitance et co-activité », Revue juridique Ile de France, 1996, spéc. p. 118.
(383) G.H. Camerlynck, « Le contrat de travail », Dalloz, 1982.
(384) Cf. infra p. 47.
(385) B. Boubli, « La détermination de l’employeur dans les groupes de travail », dans « Les groupes de sociétés
et le droit du travail », Edition Panthéon, Assas, 1999.
63
conduit à qualifier d’employeur une société, non formellement liée au salarié par un
contrat de travail. Cette opération « permet de rétablir une concordance entre l’exercice
effectif du pouvoir de direction et la qualité d’employeur » (386). Par ailleurs, en matière
de représentation des salariés détachés, la jurisprudence s’est aussi éloignée de l’assimilation de l’employeur au cocontractant. Cette dernière avait été d’emblée critiquée par un
auteur (387). Dans un arrêt du 28 mars 2000 (388), la Cour de cassation opère un changement de perspectives. Elle n’exige plus l’existence d’une relation de subordination entre
les salariés mis à disposition d’une société utilisatrice et cette société (389), pour les faire
accéder à l’éligibilité dans celle-ci. Dans le même sens, dans un arrêt du 30 mai 2001
(390), la Cour de cassation n’a pas subordonné la désignation d’un salarié, en qualité de
délégué syndical dans l’entreprise d’affectation, à l’existence d’un lien de subordination
avec celle-ci. Les juges tiennent compte d’un certain partage des prérogatives patronales
entre l’entreprise d’origine et l’entreprise d’affectation.
En outre, le critère d’autorité, utilisé par les juges pour déterminer l’employeur, est
parfois complété par l’état de dépendance économique, comme le fait remarquer M. Hannoun (391). Il faut alors se demander si l’existence d’un pouvoir de décision économique
ou l’exercice d’un contrôle, indépendamment de la direction hiérarchique du travail, est
susceptible de fonder une responsabilité quelconque (392) Certains auteurs (393) rejettent
cette possibilité. Le pouvoir de direction des personnes n’exigerait pas un pouvoir de
décision économique. De même, les Tribunaux paraissent peu enclins à le reconnaître,
comme l’illustre un arrêt du 18 octobre 1995 (394). La Cour de cassation a en effet décidé
que « la dépendance économique existant entre les deux firmes n’était pas de nature à
caractériser un lien de subordination juridique entre les actionnaires et les salariés », dès
lors que la société conserve son autonomie juridique et le pouvoir de direction de son
personnel. Or, « il est irréaliste de se cantonner à l’observation des interventions quotidiennes dans l’activité des salariés » (395), pour en déduire l’existence d’un employeur.
Les titulaires du pouvoir de décision économique, au sein d’un groupe ou d’un réseau de
sociétés, détiennent la faculté d’affecter le personnel des sociétés, qui en sont membres.
Les juges en ont tenu compte, dans l’arrêt Michelin du 21 janvier 1997 (396). Ils ont
intégré une holding au sein d’une unité économique et sociale, en dépit de son absence
de détention d’un pouvoir de direction sur les salariés de cette entité. Cette inclusion a
très vraisemblablement été motivée par la détention par cette holding d’un pouvoir de
gestion, susceptible d’affecter les salariés des autres sociétés.
B. Étendre la notion « d’employeurs conjoints »
Une prise de distances vis-à-vis du principe implicite de l’unicité de l’employeur, « passe
par l’établissement d’une solidarité entre les sociétés d’origine et d’affectation » (397).
Cette solidarité est tissée par les juges au moyen de la reconnaissance de l’existence
d’employeurs conjoints ou de co-employeurs. Les juges reconstituent le pouvoir de direction de l’employeur, éparpillé entre les mains de plusieurs détenteurs, sous l’effet de
l’éclatement de l’entreprise. Cette notion a été implicitement introduite par la loi du
13 juillet 1973, à l’article L. 122-14-8 du Code du travail, pour les relations individuelles de
(386) Ch. Hannoun, « Le droit et les groupes de sociétés », LGDJ, 1991, spéc. p. 75, n° 111.
(387) Soc. 21 juillet 1986, Dalloz, 1987, som., p. 201, note d’A. Lyon-Caen qui avait fait remarquer que la mise à
disposition, au sens des articles L. 412-5 al. 3, L. 421-2 al. 3 et L. 431-2 al. 3 du Code du travail, se définit plus par
la présence dans l’entreprise que par la subordination.
(388) Soc. 28 mars 2000, Droit social, 2000, p. 797, obs. de C. Roy-Laustaunau.
(389) Cf. infra p. 48, pour la jurisprudence antérieure exigeant l’existence d’un lien de subordination.
(390) Soc. 30 mai 2001, Bull. Civ. V, n° 194, p.152.
(391) Ch. Hannoun, thèse précitée, spéc. p. 78.
(392) M.L. Morin, « Sous-traitance et relations salariales », Travail et Emploi, 1994 n° 60, p. 23.
(393) N. Catala, « L’entreprise », Dalloz, 1980, n° 50 et I. Vacarie, « Les groupes de sociétés et les relations individuelles de travail », Droit social, 1975, p. 23. Cet auteur considère que « le pouvoir de décision économique ne
peut suppléer le pouvoir de direction du personnel et ce dernier n’exige pas un pouvoir de décision économique
autonome ».
(394) Soc. 18 oct. 1995, Cah. Soc. du Barreau de Paris, n° 76, A.6, p. 17.
(395) A. Lyon-Caen, « L’entreprise multinationale face au droit », Litec, 1977, n° 316.
(396) Soc. 21 janv. 1997, « Les problèmes posés par la reconnaissance d’une UES », Droit social, 1997, p. 347,
note de J. Savatier.
(397) A. Lyon-Caen et J. de Maillard, « La mise à disposition du personnel », Droit social, 1981 spéc. p. 327,
n° 22.
64
travail (398). Des traces, témoignant de l’existence de la notion de « co-employeurs »,
peuvent également être relevées à travers la jurisprudence en matière de droits à la
représentation collective. La Cour de cassation a admis la double représentation des salariés mis à disposition dans leur entreprise d’origine et leur entreprise utilisatrice, pour
l’élection et l’éligibilité en qualité de délégués du personnel (399). Elle reconnaît ainsi de
façon sous-jacente la coexistence de deux employeurs, à condition que les deux entreprises exercent toutes deux une autorité sur ces salariés. Toutefois, elle n’admet pas ce
cumul pour le comité d’entreprise. Cette solution est regrettable. M. Pélissier (400)
suggère d’admettre la participation des salariés mis à disposition aux élections des deux
comités d’entreprises. Cette solution conduirait à étendre la notion de co-employeurs,
pour assurer à ces salariés une « protection complète » (401).
Toutefois, les juges subordonnaient traditionnellement la reconnaissance d’une pluralité
d’employeurs à l’existence d’un lien de subordination. Ils s’attachaient toujours à constater l’autorité des deux sociétés sur le salarié (402). La Cour de cassation a amorcé un
tournant dans un arrêt du 19 janvier 1999 (403). En l’espèce, une démonstratrice est élue
en qualité de délégué du personnel dans un grand magasin, dans lequel elle a été
affectée, en vertu de l’article L. 422-1 du Code du travail. Licenciée par sa société
d’origine, elle obtient l’autorisation d’être reclassée dans son entreprise d’affectation, aux
motifs que « le grand magasin était co-employeur de la démonstratrice ». Les juges ont
rejeté le pourvoi, qui invoquait l’absence d’éléments établissant l’autorité du grand
magasin. Ils vont déduire de la représentation de la salariée dans l’entreprise d’affectation
une relation salariale avec cette dernière. Le souci des juges de reconstituer le pouvoir de
direction de l’employeur, au-delà de son morcellement et indépendamment de l’existence
d’un lien de subordination, transparaît également dans des arrêts ultérieurs, notamment
dans deux arrêts du 28 mars 2000 du 30 mai 2001 (404). Cette notion de
« co-employeurs » pourrait ouvrir la voie à une certaine appréhension par les juges des
réseaux de sociétés (405). Elle permettrait d’organiser un partage des risques entre
plusieurs sociétés et d’ouvrir l’accès aux salariés des entreprises réticulaires à la
représentation dans la société dans laquelle ils sont mis à disposition.
Néanmoins, cette notion « d’employeurs conjoints » revêt des limites. Elle n’a pas une
large diffusion auprès des juges. De plus, elle ne joue qu’en cas de saisine de ces derniers
et de requalification des rapports de travail (406). Elle ne peut donc permettre que ponctuellement une résolution des problèmes que soulèvent les réseaux en matière de représentation du personnel.
§2. Essai de renouvellement de l’analyse du pouvoir
Les juges, en s’écartant de l’exigence d’un lien de subordination, pour désigner
l’employeur des salariés, commencent à s’affranchir d’une conception du pouvoir de
direction, restreinte à l’exercice d’un pouvoir hiérarchique sur les salariés. Cette vision les
a empêchés de s’interroger sur l’essence du pouvoir de direction, comme l’on fait remarquer deux auteurs (407) : « demander au juge d’identifier l’employeur, c’est le plus souvent le dispenser de se demander si la notion utilisée ne détermine pas déjà son choix ».
Une réflexion doit donc être menée sur la substance du pouvoir de direction de
l’employeur.
M. Boubli (408) propose d’adopter une approche fonctionnelle de l’employeur, c’est-à-dire
de modeler la définition de l’employeur en fonction du rôle qu’on veut lui faire jouer. La
détermination de l’employeur n’a d’autre objet que de déterminer le débiteur des obliga-
(398) La société mère est indirectement considérée comme un co-employeur avec la filiale. Il en découle une
responsabilité commune des deux sociétés, qui permet au salarié d’être protégé en cas de licenciement..
(399) cf. infra p. 48.
(400) Ass. Plén., 20 février 1980 et Soc. 18 avril 1980, D. 1980, IR, p. 545, note de J. Pélissier.
(401) J. Pélissier, note de jurisprudence précitée.
(402) Ch. Hannoun, « Le droit et les groupes de sociétés », LGDJ, 1991, spéc. p. 76, n° 113.
(403) Soc. 19 janvier 1999, Droit social, 1999, p. 745, note de I. Vacarie ; Jurisprudence Sociale Lamy, du 2 mars
1999, n° 31, p. 27, note de L. Seguin.
(404) Soc. 28 mars 2000 et Soc. 30 mai 2001, arrêts précités.
(405) Cours de DEA d’A. Lyon-Caen de 2002-2003.
(406) Idem.
(407) A. Lyon-Caen et J. de Maillard, « La mise à disposition du personnel », Droit social, 1981 p. 320.
(408) B. Boubli, article précité.
65
tions vis-à-vis de la collectivité de salariés. Il serait de ce fait « celui qui compte tenu des
pouvoirs effectifs qu’il détient est en mesure d’exécuter ses obligations ». Cette démarche
est celle qui a été opérée par les juges en matière d’unité économique et sociale. Pour la
mise en place du comité de groupe et du comité d’entreprise européen, « le débiteur des
obligations a été identifié comme le chef de l’entreprise dominante » (409). Son identification s’avère plus difficile au sein des réseaux, en raison de leurs spécificités (410).
Toutefois, en dépit de l’absence de centralisation des pouvoirs à l’intérieur des réseaux,
leurs membres travaillent « ensemble à un but ou à un objet commun et (…) pour
l’atteindre ou le réaliser, sont prêts à confier à l’un d’entre eux un rôle de leader ou de
catalyseur au service des intérêts du réseau » (411). Par conséquent, trouver l’interlocuteur patronal adéquat au sein d’un réseau n’est pas une tâche utopique. Il faut alors
s’interroger sur les éléments qui permettraient de le déceler.
Le pouvoir de direction découle du contrat de travail, dont le critère essentiel est la subordination. C’est cette conception du contrat de travail qui conduit à assimiler le pouvoir de
direction au pouvoir hiérarchique. Pour le libérer de cette emprise, le critère essentiel du
contrat de travail doit faire l’objet d’une réflexion renouvelée. Mme Favre Magnan (412)
propose ainsi de rechercher le critère du contrat de travail dans son objet. L’objet de la
prestation du salarié réside dans la mise à disposition d’autrui de sa force de travail. La
subordination juridique serait une manifestation parmi d’autres de cette mise à disposition d’autrui de sa force de travail et non plus le critère du contrat de travail. L’admission
de ce critère pourrait conduire à considérer que le travailleur, qui participe aux pertes
sans profiter des bénéfices, a un statut de salarié, car il fournit à l’employeur le droit
d’utiliser sa force de travail. Cette conception permettrait en matière de réseaux
d’entreprises de déterminer la société pivot, qui serait celle qui tire profit de l’activité du
travailleur. C’est à son niveau que les salariés d’une entreprise, comprise dans le réseau,
devrait avoir des représentants du personnel, en respect du principe de concordance,
objectif poursuivi par M. Auroux. Plusieurs arrêts de la Cour de cassation (413) semblent
prêter attention à ce critère. Dans un arrêt du 10 octobre 2002 (414), la Cour de cassation
s’est expressément référée à la notion de profit pour déterminer l’employeur, alors que le
pourvoi tendait à démontrer que seule l’autorité découlant d’un lien de subordination
permettait de qualifier l’employeur.
On peut s’écarter de la quête du véritable détenteur du pouvoir de décision et s’orienter
vers une autre recherche. Les relations de travail peuvent être fondées sur l’existence
d’une communauté d’intérêts des salariés. Cette dernière peut justifier la détermination
de nouveaux cadres d’implantation des institutions représentatives du personnel. L’objectif n’est plus de rassembler tous les salariés qui dépendent du même employeur, mais de
rassembler ceux qui ont des intérêts communs à représenter.
(409) Articles L. 439-3 alinéa 1 du Code du travail, pour le comité de groupe et L. 439-14 du Code du travail, pour
le comité d’entreprise européen.
(410) Cf. infra p. 25.
(411) A. Sobczak, thèse précitée, spéc. p. 44.
(412) M. Favre Magnan, « Le contrat défini par son objet », dans « le travail en perspectives », sous la direction
d’A. Supiot, LGDJ, 1998.
(413) Soc. 19 décembre 2000, Labbane, Droit social, 2001, p. 227, note A. Jeammaud ; Soc. 4 décembre 2001,
Droit social, 2002, p. 158 note de A. Jeammaud « L’assimilation des franchisés aux salariés ».
(414) Soc. 10 octobre 2002, Dalloz, 2003, Somm. Comm., p. 393, obs. de T. Pasquier.
66
Chapitre 2 : Les modes de détermination de périmètres nouveaux d’implantation
Le législateur a cherché à reconstituer le face-à-face entre le capital et le travail, avec la
mise en place du comité de groupe et la transposition de la directive sur le comité
d’entreprise européen. Il « ne s’est pas senti lié par le carcan juridique » (415) du principe
de l’autonomie juridique des sociétés « qui bien souvent ignore la réalité économique et
sociale ». Sa démarche n’a pas consisté à remettre en question les séparations juridiques
entre les sociétés qui composent le groupe et la pluralité inhérente aux groupes. Il les a,
au contraire, prises en considération et à organiser l’articulation entre ces sociétés. A
l’inverse, la jurisprudence ne s’est pas tellement attachée à caractériser la nature ou la
finalité des liens qui unissent les sociétés au sein d’un groupe, mais elle « a tiré les
conséquences de l’apparition de liens entre sociétés révélées par l’existence d’un
groupe » (416). Cette démarche l’a conduite à évincer le principe d’autonomie juridique
des sociétés pour « percer le voile » (417) sociétaire. Toutefois, si les juges et le législateur
ont trouvé les moyens de saisir les groupes de sociétés, ils ont pour une large part ignoré
l’autre face de l’éclatement de l’entreprise : la constitution de réseaux de sociétés. Quelles
techniques peuvent-ils alors mobiliser pour appréhender ces « hydres à plusieurs têtes »
(418) ? Les démarches prétorienne et légale utilisées pour appréhender les groupes de
sociétés peuvent nous servir de guide, pour saisir les changements organisationnels de
l’entreprise liés à la technique contractuelle. Deux voies s’ouvrent alors : soit on tente de
reconstituer l’entreprise en effaçant les séparations juridiques entre les sociétés (Section 1),
soit on s’efforce de les prendre en considération et de relier les sociétés d’un même
réseau (Section 2). Il s’agirait dans les deux cas de reconstituer à nouveau l’entreprise
(419).
Section 2 : L’effacement des séparations juridiques entre sociétés
L’analyse de M. Supiot (420) mettant en lumière les techniques prétoriennes qui permettent de gommer les séparations juridiques entre les sociétés nous servira de trame. Les
juges pourraient en effet réutiliser les techniques de requalification contractuelle (§1) ou
de requalification institutionnelle (§2), pour tenter de saisir les réseaux d’entreprises.
§1. La requalification contractuelle
L’article 12 du nouveau Code de procédure civile, qui impose aux juges de « donner ou de
restituer leur exacte qualification aux faits et aux actes litigieux, sans s’arrêter à la dénomination des parties », est au fondement du procédé de la requalification contractuelle.
Ce dernier consiste à analyser le contrat qui lie deux entités juridiques distinctes comme
un contrat de travail, en ignorant la dénomination des parties de contrat de droit privé
civil ou commercial, afin de protéger les travailleurs en les soumettant au statut de salarié. Cette analyse repose sur l’observation concrète des conditions d’accomplissement
des tâches (421). Elle implique une conception extensive de la notion de subordination.
En effet, l’autonomie dont dispose le contractant, dans l’exécution de sa prestation de travail, rend difficile cette opération de requalification. Le critère d’intégration à un service
organisé ou de participation à l’entreprise d’autrui, qui facilitait cette requalification, a été
relégué par la jurisprudence au rang de simple indice, depuis l’arrêt Société Générale du
13 novembre 1996 (422). Les juges se sont assurément alignés sur la volonté du législateur de réduire le champ du salariat (423).
(415) Ph. Langlois, « L’originalité de la prise en considération des groupes de sociétés en droit du travail »,
Travail et Protection Sociale hors série, 03/1999, spéc. p.10 et 11.
(416) Idem.
(417) G. Teubner, « Nouvelles formes d’organisation et droit », Revue française de gestion, 11-12/1993, p. 50.
(418) G. Teubner, « L’hydre à plusieurs têtes : les réseaux comme acteurs collectifs de degré supérieur », dans
« Droit et Réflexivité », LGDJ, 1996, spéc. p. 269
(419) A. Supiot, « Groupes de sociétés et paradigme de l’entreprise », Revue Trimestrielle Droit Com.,1985,
p. 620.
(420) Idem.
(421) Arrêt Barrat, A.P. 4 mars 1983, Dalloz, 1983, p. 381, conclusions de J. Cabannes ; Dalloz, 1984, IR, p. 184.
(422) Soc. 13 novembre 1996, Droit social, 1996, p. 1067, note J.J. Dupeyroux ; JCP éd. E, 1997, II. p. 911, note de
J. Barthélémy.
(423) Notamment la loi Madelin du 11 février 1994.
67
Néanmoins, certains arrêts de la Cour de cassation offrent à la notion d’intégration du
service organisé la possibilité de retrouver un usage, dans l’hypothèse d’un transfert des
risques à un tiers non accompagné d’un transfert des profits (424). Dans un arrêt du
19 décembre 2000 (425), un contrat conclu entre un chauffeur de taxi et la société propriétaire du véhicule permettait à celle-ci de tirer profit de son travail. La Cour de cassation a
reproché aux juges du fond de ne pas avoir observé que « sous l’apparence d’un contrat
de location d’un « véhicule taxi » était dissimulée l’existence d’un contrat de travail ». En
outre, dans trois arrêts rendus le 4 décembre 2001 (426), la Cour de cassation a assimilé
des franchisés aux salariés, en se fondant sur l’article L. 781-1 alinéa 2 du Code du travail.
Elle a précisé que les juges n’avaient pas à prouver l’existence d’un lien de subordination.
Toutefois, on peut se demander, comme le fait M. Jeammaud (427), si les juges utilisent
la méthode de requalification contractuelle ou s’ils ne procèdent pas plutôt à une assimilation aux salariés des travailleurs qu’ils visent, indifféremment de la qualification de leur
contrat. La question reste ouverte, mais leur démarche aboutit, néanmoins, à ignorer la
nature commerciale de leur contrat. Cette conception extensive du lien de subordination
a très probablement accompagné l’évolution du pouvoir de l’employeur, résultant des
changements d’organisation de l’entreprise.
Ce mécanisme de requalification contractuelle est cependant insuffisant pour répondre au
phénomène des réseaux, car il ne permet en aucun cas d’instituer un contre-pouvoir en
leur sein, mieux à même de protéger les salariés des entreprises réticulaires. La
technique de la requalification institutionnelle apparaît plus adaptée pour y répondre.
§2. La requalification institutionnelle
La démarche de requalification institutionnelle consiste à gommer les séparations
juridiques entre les sociétés, en reconnaissant entre elles l’existence d’une unité économique et sociale, pour permettre la mise en place d’une représentation commune. Un
arrêt du 17 mai 1994 (428) a ainsi reconnu son existence entre un franchiseur et un
franchisé, pour la mise en place d’un comité d’entreprise commun. Cette notion ne sera
en pratique qu’utilisée de façon exceptionnelle, pour tirer les conséquences des liens
entre les sociétés reliées par la technique contractuelle. En effet, la concentration du pouvoir de direction, élément de l’unité économique (429), tout comme l’existence d’une
unité sociale pourront rarement être constatées.
Il faut rappeler que la fraude est à l’origine de la création de l’unité économique et
sociale. Or comme le font remarquer certains juristes (430), les stratégies de désagrégation de l’entreprise ont parfois pour finalité de contourner le droit du travail. Les
« hybrides » peuvent dissimuler leur vraie nature qui est de « cacher un seul et même
ensemble de relations productives » (431). Ils devraient donc « être traités comme un seul
et même groupe » (432). La méthode de recomposition de l’entreprise, au fondement de
l’unité économique et sociale, ne pourrait-elle être réutilisée ? Mme Aubert-Monpeyssen
(433) va dans ce sens en suggérant d’adopter une nouvelle construction juridique de
l’entreprise. Cette construction permettrait de déduire de la participation des salariés, mis
à disposition d’une entreprise utilisatrice, au même processus productif que celle-ci
l’existence d’un même ensemble. Cela conduirait à considérer que les entreprises à l’intérieur d’un réseau forment une « unité du processus productif », pour permettre la mise en
place d’institutions représentatives du personnel communes. Cette possibilité a égale-
(424) A. Lyon-Caen, Cours de droit de l’emploi, en DEA de droit social et droit syndical - Université Paris X
Nanterre, pour l’année 2002-2003.
(425) Soc. 19 décembre 2000, Droit social, 2001, p. 227, note A. Jeammaud.
(426) Soc. 4 décembre 2001, Droit social, 2002, p. 158 note de A. Jeammaud « L’assimilation de franchisés aux
salariés ».
(427) Idem.
(428) Soc. 17 mai 1994, RJS, 1994, n° 869.
(429) Cf. infra p. 25.
(430) G. Teubner, « Nouvelles formes d’organisation et droit », Revue française de gestion, 1993, spéc. p. 55.
(431) Idem.
(432) Idem.
(433) T. Aubert-Monpeyssen, « Les frontières du salariat à l’épreuve des stratégies d’utilisation de la force de
travail », Droit social, 1997, p. 616.
68
ment été préconisée par Mme Morin (434) pour les relations entre donneurs d’ordres et
sous-traitants. Cet auteur s’est demandé si la notion de co-activité ne pourrait pas
permettre d’élargir celle d’unité économique et sociale, principalement fondée sur l’unité
de direction.
Toutefois, cette solution est difficile à mettre en œuvre. Elle ne pourrait pas être admise
pour n’importe quelle situation. Cela « suppose une certaine permanence des liens (…)
dont il faudrait définir les critères » (435). Par conséquent, la reconnaissance de « l’unité
du processus productif » devrait être conditionnée à une certaine intégration des entreprises, pour être légitime. Pour tenter de cerner cette nouvelle notion, nous allons esquisser les moyens de présomption de la dépendance économique des sociétés (436). Un
économiste (437) a montré que, pour tenter de cerner l’entreprise avec les bouleversements qu’elle connaît, la distinction entre les processus réalisés au sein de ses frontières
juridiques et ceux confiés à des partenaires extérieurs n’est plus pertinente. La distinction
entre les processus organisés par l’entreprise et ceux qu’elle subit serait préférable. On
pourrait alors considérer qu’il y a « unité du processus productif », dès lors que le processus est décidé par une entreprise et non subit par elle. Pour préciser ce que l’on entend
par « processus organisé par l’entreprise », la conception de la notion de contrôle de certains juristes pourrait être utilisée (438). Ces derniers ont proposé de le définir moins par
tel ou tel procédé technique que par son résultat. Il y aurait contrôle, dès lors qu’une
société aurait la possibilité de déterminer l’action d’une autre, ce qui pourrait être constaté
lorsqu’une société supporte des charges et des risques sans en recevoir les bénéfices.
La méthode de requalification institutionnelle n’est pas une voie facile à utiliser pour
saisir les réseaux d’entreprises. Ne vaudrait-il pas mieux s’orienter vers des techniques
d’organisation des séparations juridiques entre les sociétés, en élargissant le droit à
l’information et à la consultation prévu au niveau des groupes fondés sur une participation au capital, aux groupes à structure contractuelle ?
Section 2 : La prise en compte des séparations juridiques entre sociétés
Pour offrir aux salariés des institutions représentatives du personnel adaptées aux
réseaux d’entreprises, deux voies peuvent être empruntées. La notion de groupe, au sens
des articles L. 439-1 et L. 439-6 du Code du travail pourrait être repensée (§1). On pourrait
également se concentrer non plus sur la nature des liens entre des entreprises contractuellement reliées, mais sur la finalité de leurs activités (§2).
§1. Elargir la notion de groupe
Nous avons vu que la notion de groupe, pour la mise en place du comité de groupe et du
comité d’entreprise européen, exclut les divisions de l’entreprise résultant de la technique
contractuelle (439). M. Boulmier (440) fait ainsi remarquer que le groupe juridique n’est
qu’un « groupe virtuel ». Il prône donc la reconnaissance « d’un groupe réel », qui
prendrait en compte l’ensemble des relations de domination économique. Comment
construire un droit des groupes qui permettent d’englober les réseaux ?
A. L’emprunt à d’autres droits par adaptation
Les limites de la conception sociale du groupe, au sens de l’article L. 439-1 du Code du
travail, se mesurent par comparaison avec la conception du groupe d’autres droits (441).
En effet le droit commercial a déjà appréhendé les réseaux d’entreprises (442). Le droit
des comptes consolidés utilise, à l’article 351-1 de la loi du 24 juillet 1966, la notion
« d’influence notable sur la gestion et la politique financière d’une entreprise ». Le droit
(434) M. L. Morin, « Sous-traitance et relations salariales », Travail et Emploi, 1994, n° 60, spéc. p. 42.
(435) Idem.
(436) Cf. supra p. 111.
(437) H. Bouquin, « Le contrôle de gestion », PUF, 1998.
(438) A. Lyon-Caen et allii, « L’entreprise multinationale en droit du travail », Litec, 1977.
(439) Cf. infra p. 41.
(440) B. Boulmier, « Destruction d’emploi : une nécessaire responsabilisation des groupes par une substitution
du groupe réel au groupe virtuel », Droit social, 1998, p. 44.
(441) D. Plantamp, « L’originalité du groupe de société », Dalloz, 1991, Chronique p. 69.
(442) A. Supiot, « Les nouveaux visages de la subordination », Droit social, 2002, p. 135.
69
de la concurrence présente également un point de comparaison intéressant. L’article 39
de l’ordonnance du 1er décembre 1986 définit l’opération de concentration comme celle
« qui a pour objet ou pour effet de permettre à une entreprise d’exercer une influence
déterminante sur une ou plusieurs entreprises ». Le droit de la concurrence communautaire, dans le règlement du Conseil des Communautés Européennes du 21 décembre
1989, définit à l’article 3 la concentration et précise que le contrôle d’une entreprise résulte
des droits, contrats ou autres moyens qui confèrent selon les circonstances de fait ou de
droit la possibilité d’exercer une influence déterminante sur l’activité et en particulier sur
la composition, les délibérations ou les décisions des organes. Ces droits constituent des
sources d’inspiration possibles pour prendre en considération les techniques relationnelles de contrôle qui caractérisent les réseaux et adapter le cadre d’implantation des
institutions représentatives du personnel.
B. L’adaptation de la conception sociale du groupe
Ne serait-il pas possible d’étendre la définition légale du groupe qui repose essentiellement sur ces critères de domination financière, en admettant la domination économique
entre les sociétés ?
Une telle conception du groupe serait-elle pertinente ? Pour certains auteurs, comme
M. Antonmattei (443), « la seule présence de liens économiques entre sociétés ne traduit
pas le pouvoir d’une entreprise sur une autre ». Retenir ce critère conduirait à nier l’indépendance juridique des sociétés et donc la liberté d’entreprendre. Ces critiques rejoignent
celles (444) qui furent émises contre l’idée de subordination économique, proposée par
M. Cuche (445). On lui reprochait son imprécision, car il est difficile de déterminer à partir
de quel seuil de dépendance économique on pourra retenir l’état de subordination, pour
en tirer des conséquences juridiques. De la même manière, il n’est pas aisé de fixer le
seuil à partir duquel on reconnaîtrait l’existence d’une domination économique entre des
sociétés. On a également désapprouvé la généralité de la subordination économique, car
il existe une interdépendance intrinsèque aux rapports entre les membres de la société.
Selon M. Flour, « l’idée de dépendance n’exprime que la loi de la solidarité, entendue
comme une loi physique de réactions mutuelles ». Cette critique peut être transposée aux
rapports entre les sociétés, qui sont par essence des rapports de domination économique. S’il faut donc admettre qu’appréhender les hypothèses de contrôle par la voie
contractuelle est une tâche délicate, « puisque dans le domaine contractuel tout est a
priori possible », ce n’est pas impossible. Ce même discours était prononcé pour écarter
une définition légale du groupe, avant la loi du 28 octobre 1982, qui a créé le comité de
groupe. Le scepticisme de certains n’a donc pas empêché de trouver une définition du
groupe, pour la mise en place d’un comité de groupe.
La recherche d’une définition du groupe qui permette de tenir compte des relations de
domination économique entre les entreprises est donc envisageable et justifiée au regard
du droit des salariés à être représentés efficacement. En effet, comme le souligne
M. Boulmier (446), la sous-traitance et les réseaux d’entreprises « ont pour effet de
reporter sur d’autres entreprises une partie des risques et des responsabilités en matière
d’emploi ». Concevoir le groupe, dans un concept élargi aux relations économiques,
permettrait d’organiser une responsabilité partagée des entreprises d’un même réseau.
De plus, la rupture des intérêts entre les sociétés du réseau et le réseau dans son
ensemble devrait légitimer la reconnaissance d’un droit des groupes, comme le soutient
M. Paillusseau (447). En effet, « dans la mesure où les décisions économiques et sociales
(443) P. H. Antonmattéi, « Le concept de groupe en droit du travail », dans « Les groupes de sociétés et le droit
du travail » sous la direction de B. Teyssié, Edition Panthéon Assas, 1999.
(444) La Cour de cassation avait suivi ces critiques, dans un arrêt du 6 juillet 1931. Elle a jugé que « la condition
juridique d’un travailleur vis-à-vis de la personne pour laquelle elle travaille ne saurait être déterminée par la
faiblesse ou la dépendance économique dudit travailleur et ne peut résulter du contrat conclu entre les parties,
que la qualité de salarié implique nécessairement l’existence d’un lien juridique de subordination du travailleur
à la personne qu’il emploie ».
(445) P. Cuche, « Du rapport de dépendance, élément constitutif du contrat de travail », Revue critique, 1913,
p. 412.
(446) B. Boulmier, « Destruction d’emploi : une nécessaire responsabilisation des groupes par une substitution
du groupe réel au groupe virtuel », Droit social, 1998, p. 44.
(447) J. Paillusseau, « La filiale commune », colloque organisé par l’université de Paris II du 20-21-22 février
1975, p. 30.
70
les plus importantes sont prises non pas dans l’intérêt de chaque société mais dans celui
du réseau dans son ensemble, on doit s’attendre à ce que pour satisfaire soit le réseau,
soit certains de ses sociétés membres, d’autres sociétés membres seront sacrifiées »
(448).
Mais sur quoi peut-on se fonder pour admettre l’existence d’une domination économique ?
Les réflexions de M. Champaud (449), dans les années 1970, sur les groupes restent d’actualité. Il avait attiré l’attention sur la confusion entre le problème des critères et celui de
la preuve. Il rappelait que le mot critère renvoie à « un signe sensible et indiscutable par
lequel on reconnaît qu’une chose est » (450). Or le groupe étant une « réalité à géométrie
variable », trouver des critères pour le caractériser est impossible. Il est cependant envisageable de rapporter la preuve de l’existence d’un groupe, en déterminant des présomptions à partir de l’établissement de faits. Cette méthode est celle qui a été retenue pour
les groupes à structure sociétaire, pourquoi ne pas l’étendre aux groupes à structure
contractuelle ? Quels sont alors les faits qui permettraient de prouver la domination économique d’une société sur une autre ? On pourrait transposer les éléments établis par
M. Cuche (451) pour circonscrire la dépendance économique des salariés à la domination
économique des sociétés. Il en avait relevé trois : l’importance, la régularité et la permanence des liens contractuels. La domination économique pourrait alors se mesurer quantitativement par « l’importance » des relations entre les sociétés. Les revenus encaissés
ou le chiffre d’affaires réalisé du fait de ces relations contractuelles pourraient déterminer
le caractère essentiel de la relation. La domination économique d’une société sur une
autre se déduirait par ailleurs de la fréquence et de la durée des relations entre les sociétés.
Ces moyens de preuve ont d’ailleurs déjà inspiré la loi à l’ancien article L. 439-1 du Code
du travail. Cet article disposait que des sociétés appartiennent au groupe, « lorsque du
fait de l’ampleur des échanges économiques et techniques, les relations entre les deux
sociétés présentent un caractère de permanence et d’importance qui établit l’existence
d’un contrôle effectif par la société dominante de l’autre société et l’appartenance de
l’une et de l’autre à un même ensemble économique ». Le législateur faisait un premier
pas vers la reconnaissance des groupes à structure contractuelle. Néanmoins, il exigeait
une participation de 10 % dans le capital de la société (452). Or les sociétés comprises
dans les réseaux sont la plupart du temps entièrement indépendantes financièrement. Le
législateur pourrait admettre facilement leur reconnaissance en s’affranchissant de l’exigence d’un contrôle financier minimal.
Une autre possibilité consisterait à s’attacher non pas à la nature des liens entre les
sociétés, pour remodeler la définition du groupe, mais à se concentrer sur la finalité de
ces liens.
§2. Relier les sociétés par leur finalité
Mme Morin (453) utilise la notion de « co-activité » pour définir les relations entre des
entreprises qui travaillent ensemble, ou les unes pour les autres, à une même activité.
Elle propose d’y recourir pour établir un partage des responsabilités entre les donneurs
d’ordre et les sous-traitants. Elle distingue la co-activité du travail, lorsque les salariés des
sous-traitants travaillent sur le même site que le donneur d’ordre, de la co-activité des
entreprises, lorsqu’elles participent à un même processus productif (454). Cette notion est
également pertinente pour appréhender les relations entre les salariés de plusieurs
entreprises, mis à disposition d’une autre dans un même lieu de travail (A) ou entre les
entreprises au sein d’un réseau qui concourent à la réalisation d’une même activité (B).
Cette notion peut permettre d’emprunter d’autres chemins, pour adapter les institutions
représentatives du personnel aux nouvelles formes d’organisation de l’entreprise.
(448) A. Sobczak, thèse précitée, spéc. p. 51.
(449) C. Champaud, « Le droit social et les groupes d’entreprises », Cah. drt entreprise, 01/1997, p. 24.
(450) Idem.
(451) P. Cuche, article précité.
(452) Cf. infra p. 41.
(453) M. L. Morin, « Sous-traitance et co-activité », Revue juridique Ile-de-France, 1996, spéc. p. 115 et 116 ;
M. L. Morin, « Sous-traitance et relations salariales », Travail et Emploi, 1994, n° 60, spéc. p. 40.
(454) M. L. Morin, « Espaces et enjeux de la négociation territoriale », Droit social, 1999, spéc. p. 686 et 687.
71
A. La co-activité de travail
La co-activité est un terme utilisé par la circulaire d’application du décret du 25 février
1992 en matière d’hygiène et de sécurité de travail des salariés. Elle définit la participation
des entreprises à une opération commune comme « une suite ordonnée d’actes qui
suppose une combinaison, une recherche de moyens en vue de parvenir à un résultat
précis ». C’est cette combinaison sur un même site ou dans un grand chantier qui justifie
l’établissement d’institutions représentatives du personnel coordonnées entre les entreprises qui y travaillent. Il s’agit d’une co-activité de travail, si l’on adopte la terminologie
de Mme Morin. L’éloignement des représentants du personnel des entreprises
extérieures, du lieu de travail des salariés qu’ils représentent, les empêche d’exercer
véritablement leurs pouvoirs. C’est pourquoi, lorsque l’utilisateur et les entreprises
extérieures ou leurs sous-traitants travaillent sur un même site, la loi a voulu faciliter
l’exercice des missions dévolues aux représentants du personnel.
Le législateur a d’abord créé des représentants du personnel communs à différentes
entreprises qui travaillent sur un même site. La loi du 28 octobre 1982 a organisé la mise
en place de délégués du personnel « lorsque la nature et l’importance des problèmes
communs aux entreprises du site le justifient », selon l’article L. 421-1 du Code du travail.
Le texte est imprécis sur la notion de site, dont il ne donne aucune définition. Cette
imprécision est volontaire, pour ne pas l’enfermer dans une définition étroite (455). Que
faut-il entendre par « site » ? Au cours des débats précédant la loi, le ministre a donné des
exemples de ce qu’il recouvrait : un centre commercial, un chantier, une galerie
marchande, une zone industrielle ou artisanale. Un auteur (456) a proposé d’entendre
plus largement le site comme une même zone de voisinage, pour faciliter la mise en
place d’institutions représentatives du personnel entre une entreprise donneuse d’ordre
et ses sous-traitants, notamment. Cette proposition nous paraît peu pertinente. Aujourd’hui, dans la stratégie des entreprises, l’intérêt de la proximité physique des entreprises
avec lesquelles elles travaillent s’estompe au profit d’une « proximité de délai ». Le temps
de réponse d’une entreprise aux fluctuations de la demande devient un élément essentiel
dans les relations entre les entreprises (457). De ce fait, l’extension de la notion de site ne
règlerait pas le problème de la représentation des salariés des entreprises sous-traitantes
ou des entreprises reliées par des contrats, qui ne travaillent pas dans un environnement
géographique proche du donneur d’ordre ou de l’entreprise utilisatrice, comme c’est
fréquemment le cas.
Le législateur a également relié certaines des instances de représentation du personnel
des entreprises travaillant sur un même site, en les coordonnant. Il a adapté le Comité
d’hygiène, de santé et de sécurité des conditions de travail, en lui faisant subir une
mutation, pour le façonner aux réseaux des entreprises travaillant sur un même lieu.
Traditionnellement les institutions représentatives du personnel étaient implantées sur le
site d’exécution du travail, entendu comme le « territoire de travail » à savoir l’entreprise
ou l’établissement. Un glissement est opéré du « territoire du travail » au « territoire
géographique » (458) de l’entreprise, avec la mise en place d’une instance commune aux
différentes entreprises travaillant sur un même site, appelée le collège inter-entreprises
de sécurité, de santé et des conditions de travail (459). Ce collège a pour fonction de
déterminer des règles communes destinées à assurer le respect des mesures de sécurité
et de protection de la santé applicables au chantier (460). Il comprend les représentants
des salariés de toutes les entreprises concernées (461). Ce rôle particulier de coordination
du CHSCT s’est notablement développé en raison des pratiques d’externalisation des
entreprises qui conduisent à une interpénétration des activités de travail. Ainsi sur le site
des Chantiers de l’Atlantique, où travaillent de nombreuses entreprises, un accord a été
(455) J. Barthélémy, « Les délégués de site », JCP édition CI, chron. 11699, 1983, p. 245.
(456) D. Weiss, « Nouvelles formes d’entreprises et relations de travail », Revue Française de gestion, 03-0405/1994, spéc. p. 101.
(457) G. Paché et C. Paroponaris, « L’entreprise en réseau », QSJ, PUF, 1993.
(458) G. Paché et C. Paroponaris, op. précité, spéc. p. 681.
(459) Article L. 235-11 du Code du travail : « lorsque le nombre des entreprises, travailleurs indépendants et
entreprises sous-traitantes inclus, et l’effectif des travailleurs dépassent des seuils fixés par décret en Conseil
d’Etat, le maître d’ouvrage est tenu de constituer un collèges inter-entreprises de sécurité, de santé et des
conditions de travail ».
(460) Article R. 238-46 du Code du travail du Décret du 4 mai 1995.
(461) L’article R. 238-47 du Code du travail dispose que « pendant la durée de son intervention sur le chantier,
chaque entreprise est représentée au collège par le chef d’entreprise ou son représentant ; un salarié
effectivement employé sur le chantier désigné par le CHSCT, ou, à défaut, par les délégués du personnel ou, en
leur absence, choisi par les membres de l’équipe appelée à intervenir sur le chantier ».
72
signé le 12 juin 2001 créant une Commission paritaire d’hygiène et de sécurité de la coactivité, en vertu de l’article L. 235-11 du Code du travail (462). Son rôle consiste à
coordonner les efforts des différentes entreprises dans ces domaines. Cette commission
est composée des représentants des dix entreprises ayant les plus importants marchés de
sous-traitance sur l’année écoulée.
Ne pourrait-on pas étendre cette coordination des CHSCT indépendamment du lieu de
travail ? Ne pourrait-on pas imaginer de développer des relations professionnelles
communes à plusieurs entreprises, chaque fois qu’elles participent à une opération
commune, sans que ce soit nécessairement sur le même site ?
B. La co-activité des entreprises
La notion de co-activité « qui met l’accent sur la coopération des entreprises plus que sur
leur présence sur un même marché » (463) ne pourrait-elle pas légitimer la coordination
des institutions représentatives du personnel de ces entreprises ?
Les juges tracent la voie en ce sens. En effet la Cour de cassation a récemment privilégié
le critère de l’intégration à la communauté de travail sur celui de détermination de
l’employeur. L’idée sous-jacente à ce critère est celle de co-activité de travail. Le fait de
travailler à une même activité engendre une communauté d’intérêts entre les salariés des
entreprises extérieures et ceux de l’entreprise utilisatrice. Les juges ont ainsi décidé dans
un arrêt de la chambre sociale du 30 mai 2001 (464), qu’un salarié mis à disposition d’une
entreprise peut y être désigné en qualité de délégué syndical, aux motifs que la mise à
disposition a pour effet « de l’intégrer à la communauté de travail » de l’entreprise utilisatrice. Cette même idée d’intégration à la communauté de travail est retenue, dans un arrêt
du 30 avril 2003 (465), pour justifier la désignation d’un démonstrateur au sein d’un grand
magasin comme représentant au comité d’entreprise de celui-ci. Ces arrêts s’inscrivent
dans la continuité de l’arrêt de l’Assemblée Plénière du 6 juillet 1990 (466). Enfin, dans
arrêt du 27 novembre 2001 (467), La Cour de cassation a jugé que les travailleurs mis à
disposition par une entreprise extérieure entrent dans le calcul de l’effectif de l’entreprise
utilisatrice, « dès lors qu’ils participent au processus de travail de l’entreprise ». Les droits
des travailleurs à la représentation sont donc liés « non pas seulement à leur qualité de
contractants, mais à leur appartenance à une collectivité ayant des intérêts propres » (468).
Par ailleurs, la pratique des codes de conduite conclus entre des partenaires sociaux des
sociétés appartenant à un même réseau est, à note sens, implicitement sous-tendue par
cette idée de « participation à un même processus productif ». Ces codes « étendent les
garanties accordées par la société pivot à l’ensemble du personnel dans les sociétés du
réseau peu importe le statut juridique » et « peu importe le lieu du siège social de ces
sociétés » (469). Cette responsabilisation sociale de la société pivot à l’égard d’autres
salariés que ceux dont elle est l’employeur nominal témoigne de l’idée de l’appartenance
de ces salariés à une même collectivité de travail que ceux de l’entreprise pivot. On peut
espérer que la pratique des codes de conduite constituent une étape vers la reconnaissance d’une instance commune de représentation inter-entreprises, à l’image du collège
inter-entreprises (470). La distance géographique des différentes entreprises peut rendre
difficile, mais non pas impossible, le fonctionnement d’une telle instance. Le Comité d’entreprise européen, qui regroupe des représentants du personnel de plusieurs sociétés
implantées dans différents pays européens, le montre bien.
Il faut être confiant en l’avenir et espérer que « les réseaux d’entreprises n’échapperont
pas à la même dynamique » (471) que celle qui a conduit les autorités françaises et
communautaires à organiser la représentation collective des travailleurs au sein des
groupes de sociétés.
(462) Accord du 12 juin 2001, L.S. C3, du 5 juillet 2001, n° 170.
(463) M. L. Morin, « Sous-traitance et relations salariales », Travail et Emploi, 1994, n° 60, spéc. p. 42.
(464) Soc. 30 mai 2001, Bull. civ. V, n° 194, p.152.
(465) Soc. 30 avril 2003, Droit social, 2003, p. 783, note de J. Savatier.
(466) A.P. 6 juillet 1990, Droit social, 1990, p. 867, note de H. Dontewille. Les juges ont estimé que les dispositions
légales de l’article L. 421-2 du Code du travail consacrent l’intégration des démonstrateurs dans la communauté
de travail et dans l’entité du grand magasin.
(467) Soc. 27 novembre 2001, L.S. Juris, n° 757.
(468) J. Savatier, note sous l’arrêt du 30 avril 2003.
(469) A. Sobczak, thèse précitée, spéc. p. 143.
(470) Article L. 235-11 du Code du travail.
(471) A. Supiot, « Les nouveaux visages de la subordination », Droit social, 2002, p. 131.
73
CONCLUSION
Cette étude a montré que les mécanismes du Droit économique et financier conduisent à
ruiner les fondements du Droit du travail (472). Ils permettent un changement des modes
d’organisation de l’entreprise. La diminution de l’efficacité des institutions représentatives du personnel qui en résulte n’est qu’un exemple parmi d’autres de leurs conséquences. En effet, l’éclatement de l’entreprise engendre aussi un transfert des « risques
de l’emploi » (473). Il modifie « les conditions dans lesquelles la responsabilité de l’emploi est assurée en la reportant sur des tiers dans des réseaux d’entreprises » (474). Le
droit du licenciement peut ainsi être contourné ou le droit à la négociation des salariés
amoindri. Dans un tel contexte, il est indispensable de rechercher les moyens de
permettre au droit du travail de remplir ses fonctions. Or, la loi et la jurisprudence ne
remédient que faiblement au hiatus entre le droit du travail et la réalité économique et
sociale, que ce soit en matière de droits collectifs des salariés ou en matière de droits
individuels. C’est pourquoi, il apparaît nécessaire de redéfinir les cadres des rapports de
travail (475), afin de préserver le devenir du droit du travail (476).
(472) G. Lyon-Caen, « Plasticité du capital et nouvelles formes d’emploi », Droit social, 1980, Spe. 8.
(473) F. Gaudu, « Entre concentration, économique et externalisation : les nouvelles frontières de l’entreprise »,
Droit social, 2001, p. 471.
(474) M.L. Morin, « Les frontières de l’entreprise et la responsabilité de l’emploi », Droit social, 2001, p. 478.
(475) F. Gaudu, article précité, spéc. p. 476.
(476) Rapport pour la Commission européenne, « Au-delà de l’emploi. Transformations du travail et devenir du
droit du travail en Europe », sous la direction d’A. Supiot, Flammarion, 1999
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Droit ouvrier, 2003, p. 398.
• G. Borenfreund, Soc 2 novembre 1983, Dz, 1994, Sommaires commentés, p. 295.
• G. Borenfreund, « Les syndicats admis à négocier un accord sur le fonctionnement du
comité de groupe », Soc. 4 mai 1994, Droit social, 1994, p. 688.
• M. Cohen, « Le comité de groupe et les sociétés étrangères », Soc. 6 décembre 1994,
Droit social, 1995, p. 40.
• H. Dontewille, A.P. 6 juillet 1990, Droit social, 1990, p. 867.
• B. Gauriau, « La consécration jurisprudentielle de la représentation syndicale de groupe
et de l’accord de groupe », Soc. 30 avril 2003, Droit social, 2003, p. 732
• A. Jeammaud, « L’avenir sauvegardé de la qualification de contrat de travail. A propos
de l’arrêt Labbane », Soc. 19 décembre 2000, Droit social, 2001, p. 227.
• A. Jeammaud « L’assimilation de franchisés aux salariés », Soc. 4 décembre 2001, Droit
social, 2002, p. 158.
• M.A. Moreau, Cour d’appel de Versailles 7 mai 1997, Droit social, 1997, p. 493 et 506.
• M.A. Moreau, Soc 3 mars 1998, JDI, 1989, p. 78.
• C. Morin, « L’incompatibilité du groupe de sociétés et de l’unité économique et sociale »,
Soc. 20 octobre 1999, JCP édition E, 2000, p. 980.
• M.L. Morin, « Les accords collectifs de groupe : une variété d’accords collectifs de droit
commun », Soc. 30 avril 2003, RJS, 10/2003, p. 743.
• J. Pélissier, Ass. Plén., 20 février 1980 et Soc. 18 avril 1980, Dalloz, IR, 1980, p. 545.
• C. Roy-Laustaunau, Soc. 28 mars 2000, Droit social, 2000, p. 797.
• J. Savatier, « Les problèmes posés par la reconnaissance d’une UES », Soc. 21 janvier
1997, Droit social, 1997, p. 347.
• J. Savatier, Soc. 18 juillet 2000, Droit social, 2000, p. 1037.
• J. Savatier, « L’action en justice d’un comité de groupe en contestation de la cession
d’une filiale », Soc. 23 janvier 1990, Droit social, 1990, p. 322.
• J. Savatier, CE 29 juin 1973, Droit social, 1974, p. 42.
• J. Savatier, « Conditions de la reconnaissance d’une unité économique et sociale pour
un secteur d’activités d’un groupe de sociétés », Soc. 7 mai 2002, Droit social, p. 715.
• J. Savatier, Soc. 30 avril 2003, Droit social, 2003, p. 783.
• A. de Senga, T.I. de Paris 28 février 2000, Droit ouvrier, 2000, p. 160.
• I. Vacarie, Soc. 19 janvier 1999, Droit social, 1999, p. 745.
• Ph. Waquet, « Comité d’entreprise et comité de groupe dans le cas des filiales communes », Soc. 9 février 1994, Droit social, 1994, p. 251.
• Ph. Waquet, « Accord concernant le fonctionnement du comité de groupe », Soc. 4 mai
1995, RJS, 1994, p. 490.
82
83
ANNEXES :
ACCORDS D’ENTREPRISES CITÉS
– Accord Elf aquitaine du 29 juin 1990, L.S. C3, n° 6413 qui crée des coordinateurs
syndicaux au niveau du groupe.
– Accord de Bull, L.S. C.3, du 29 oct. 1992 sur le comité d’entreprise européen.
– Accord de Thomson Consumer Electronics, L.S. C3, 1992, n° 6745, sur le comité
d’entreprise européen.
– Accord de Renault L.S. C.3 du 28 avril 1993 sur le comité d’entreprise européen.
– Accord Generali France du 2 avril 1998 sur les instances représentatives et les niveaux
de négociation, L.S. Légis. Soc. du 5 mai 1998, n° 7857.
– Accords Generali France du 29 juin 1999 sur la représentation du personnel, L.S. C.3, du
24 septembre 1999, n° 84.
– Accord Bull du 28 décembre 2000, Action juridique CFDT, 03/2001, p. 21, qui crée des
coordinateurs syndicaux au niveau du groupe.
– Accord des Chantiers de l’Atlantique du 12 juin 2001, L.S. C3, du 5 juillet 2001, n° 170
qui met en place une Commission paritaire d’hygiène et de sécurité de la co-activité.
– Accord du 12 juin 2001 créant une Commission paritaire d’hygiène et de sécurité de la
co-activité du site, L.S. C3, du 5 juillet 2001, n° 170.
– Accords d’EDF-GDF, L.S. C.3. du 2 janv. 2002, n° 194 sur le comité d’entreprise européen.
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TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE : DES INSTITUTIONS REPRÉSENTATIVES DU PERSONNEL
AFFAIBLIES PAR L’ÉCLATEMENT DE L’ENTREPRISE ............................................................................ 11
Titre 1 : Des cadres d’implantation inadéquats .................................................................................... 11
Chapitre 1 : A la recherche de l’entreprise ............................................................................................ 13
Section 1 : Une notion fuyante .......................................................................................................... 13
§1. Une réalité changeante .......................................................................................................... 13
A. Tentatives de définitions...................................................................................................... 13
B. Un paradigme juridique plus qu’une notion...................................................................... 15
§2. Une nature juridique incertaine.............................................................................................. 16
A. La perspective institutionnelle de l’entreprise .................................................................. 16
B. L’entreprise sujet du droit ? ................................................................................................ 16
Section 2 : Des frontières floues........................................................................................................ 17
§1. Les phénomènes d’éclatement de l’entreprise .................................................................... 17
§2. Les difficultés pour les institutions représentatives du personnel ...................................... 19
A. La dilution du pôle patronal ................................................................................................ 19
B. La dispersion de la collectivité de travail .......................................................................... 20
Chapitre 2 : L’entreprise reconstituée .................................................................................................... 21
Section 1 : L’adaptation des périmètres............................................................................................ 21
§1. Le déni de la diversité ............................................................................................................ 21
A. L’unité au-delà des divisions sociétaires............................................................................ 21
B. La continuité au-delà des divisions sociétaires ................................................................ 23
§2. L’organisation de la diversité : la notion de groupe .................................................................. 24
A. Le comité de groupe : dépasser l’indépendance des sociétés ........................................ 24
B. Le comité d’entreprise européen : dépasser les frontières nationales............................ 25
Section 2 : Les limites de l’adaptation .............................................................................................. 27
§1. Les faiblesses de la loi ............................................................................................................ 27
A. La rigidité de la loi................................................................................................................ 27
B. La territorialité de la loi........................................................................................................ 30
§2. La timidité de la jurisprudence .................................................................................................... 31
A. Des exigences renforcées quant à la reconnaissance
de l’unité économique et sociale ............................................................................................ 31
B. La résistance du modèle de l’unicité de l’employeur........................................................ 33
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Titre 2 : Une capacité d’intervention des institutions représentatives
du personnel limitée................................................................................................................................ 35
Chapitre 1 : L’intervention dans le cadre du groupe ............................................................................ 35
Section 1 : Un comité de groupe infirme.......................................................................................... 35
§1. Des attributions insuffisantes ................................................................................................ 35
§2. Un champ légal de compétences restreint............................................................................ 36
Section 2 : Un comité d’entreprise européen simple spectateur engagé ...................................... 36
§1. Un vecteur d’informations ...................................................................................................... 36
§2. Une instance exceptionnelle de consultation ...................................................................... 36
Chapitre 2 : L’intervention dans le cadre de l’unité économique et sociale........................................ 38
Section 1 : Les incertitudes quant au pouvoir de négociation des délégués syndicaux .............. 38
Section 2 : Les incertitudes quant aux pouvoirs du comité d’entreprise ...................................... 39
DEUXIÈME PARTIE : LES VOIES D’UNE VITALITÉ NOUVELLE
DES INSTITUTIONS REPRÉSENTATIVES DU PERSONNEL ................................................................ 41
Titre 1 : Une efficacité renforcée du rôle des institutions représentatives du personnel ................ 41
Chapitre 1 : La consolidation du rôle des institutions représentatives du personnel ........................ 42
Section 1 : L’élévation des comités en authentiques acteurs.......................................................... 42
§1. Le comité de groupe................................................................................................................ 42
A. Une transformation non prohibée par la loi ...................................................................... 42
B. Une transformation consacrée par la jurisprudence et la pratique ................................ 43
§2. Le comité d’entreprise européen .......................................................................................... 44
A. Faciliter l’institution des comités d’entreprises européens.............................................. 44
B. Accroître les pouvoirs d’information et de consultation .................................................. 45
Section 2 : Le développement de la fonction de négociation ........................................................ 46
§1. Dans les cadres d’implantation des institutions représentatives du personnel ................ 47
A. Le groupe au sens du comité de groupe ou du comité d’entreprise européen ............ 47
B. L’unité économique et sociale ............................................................................................ 50
§2. En dehors des cadres d’implantation des institutions représentatives du personnel ...... 51
Chapitre 2 : Une meilleure articulation des niveaux de mise en place
des institutions représentatives du personnel ...................................................................................... 52
Section 1 : La coordination des différents niveaux nationaux........................................................ 52
§1. L’articulation du groupe, au sens du comité de groupe
et de l’unité économique et sociale ............................................................................................ 52
A. La coordination des périmètres des institutions représentatives du personnel ............ 52
B. L’articulation des attributions des institutions représentatives du personnel ................ 54
§2. La représentation au niveau du sous-groupe ...................................................................... 55
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Section 2 : La coordination des niveaux nationaux et internationaux .......................................... 57
§1. L’articulation du comité de groupe et du comité d’entreprise européen............................ 57
A. La fusion des deux instances .............................................................................................. 57
B. La coexistence des deux instances .................................................................................... 58
§2. L’articulation du comité d’entreprise et du comité d’entreprise européen ........................ 58
Titre 2 : La redéfinition de l’assise des institutions représentatives du personnel .......................... 59
Chapitre 1 : Le sens de la redéfinition.................................................................................................... 59
Section 1 : Rapprocher les institutions représentatives du personnel des salariés...................... 59
§1. Souder les liens entre les représentants et les salariés ...................................................... 60
A. La modification de la composition des instances de représentation
du personnel au niveau du groupe ........................................................................................ 60
B. Les autres voies.................................................................................................................... 60
§2. Confirmer les liens entre représentants et représentés ...................................................... 61
A. Développer la dimension cinétique.................................................................................... 61
B. Instaurer un organe de surveillance des salariés .............................................................. 62
Section 2 : Saisir l’interlocuteur patronal idoine.............................................................................. 62
§1. Dépasser le modèle de l’unicité de l’employeur .................................................................. 62
A. Détacher l’employeur du cocontractant ............................................................................ 62
B. Etendre la notion « d’employeurs conjoints » .................................................................. 63
§2. Essai de renouvellement de l’analyse du pouvoir ................................................................ 64
Chapitre 2 : Les modes de détermination de périmètres nouveaux d’implantation.......................... 66
Section 2 : L’effacement des séparations juridiques entre sociétés .............................................. 66
§1. La requalification contractuelle .............................................................................................. 66
§2. La requalification institutionnelle .......................................................................................... 67
Section 2 : La prise en compte des séparations juridiques entre sociétés .................................... 68
§1. Elargir la notion de groupe .................................................................................................... 68
A. L’emprunt à d’autres droits par adaptation ...................................................................... 68
B. L’adaptation de la conception sociale du groupe .............................................................. 69
§2. Relier les sociétés par leur finalité ........................................................................................ 70
A. La co-activité de travail........................................................................................................ 71
B. La co-activité des entreprises.............................................................................................. 72
CONCLUSION .......................................................................................................................................... 73
BIBLIOGRAPHIE ...................................................................................................................................... 75
COMPÉDIT BEAUREGARD S.A. – 61600 LA FERTÉ-MACÉ – Tél. : 02 33 37 08 33
Dépôt légal : 2e trimestre 2004 – N° d’Imprimeur : 8664
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