www.cadredesante.com Rôle du cadre de santé dans la prévention de la maltraitance en milieu psychiatrique Cathy FERREIRA VAN DER SYPE Après avoir fait fonction de cadre de santé, je me suis interrogée sur le phénomène de maltraitance dans un service de psychiatrie fermé accueillant des patients hospitalisés sous contrainte. : Quels sont les facteurs pouvant favoriser l apparition de tels comportements ? Qu est ce qui peut conduire un soignant à agir ainsi ? L enfermement ne génère t il pas par lui-même des conditions favorables à de telles situations ? Il semble nécessaire de souligner tout d abord que, les représentations attachées aux maladies mentales, aux établissements accueillant les malades ainsi qu aux personnels travaillant en psychiatrie restent globalement négatives pour la société et même parfois pour les autres professionnels de santé comme peut en témoigner le peu d empressement des jeunes infirmiers diplômés pour aller travailler dans ces services. Ceci est certainement le signe d un rejet , d une peur, ou d une méconnaissance de la folie. La représentation sociale du malade mental est assez caricaturale et entretenue par certains médias qui y associent souvent la notion de dangerosité. Cette image de la psychiatrie souvent négative en fait le parent pauvre du secteur de la santé en terme de moyens humains et financiers. Le secteur hospitalier psychiatrique est fréquemment malmené : locaux vétustes, fermeture de lits, manque d infirmiers mais aussi de psychiatres, absence de structures intermédiaires. Une réponse beaucoup plus globale aux besoins de santé mentale de la population passera inévitablement, à l avenir, par la prise en compte des besoins réels du secteur, besoins en augmentation constante ces dernières années. S agissant de l hospitalisation sans consentement des personnes souffrant de troubles mentaux, qui peut être effectuée à la demande d un tiers ou d office sur décision du préfet, on a noté en 10 ans une augmentation de près de 86 % des mesures d hospitalisation sous contrainte qui atteignaient 72 000 patients en 2001, soit à peu près 13,1 % des 553 000 admissions annuelles en psychiatrie. Cette progression des hospitalisations sous contrainte est-elle à placer en parallèle d une augmentation générale du nombre d hospitalisations en secteur Reproduction interdite 1 www.cadredesante.com psychiatrique ou traduit-elle le retour de la ségrégation au sein de notre monde moderne ? Mesure de soin imposée par la nécessité de soulager et d apporter sans son consentement les soins nécessaires à une personne atteinte de troubles psychiques, l hospitalisation sous contrainte a pour corollaire la privation temporaire de sa liberté d aller et venir pour le patient. Cette notion fondamentale induit des différences et des problématiques spécifiques à l hospitalisation sous contrainte par rapport à l hospitalisation libre, à l hospitalisation en service fermé par rapport à l hospitalisation en service ouvert. Mais qu en est-il du soignant ? Travailler dans une institution psychiatrique fermée accueillant des patients hospitalisés sous contrainte, peut-il avoir une influence sur le travail du soignant ?. La notion d enfermement en psychiatrie peut se concevoir à différents niveaux. Il y a celle la plus évidente qui est la fermeture matérielle des portes à clés à l entrée du service, mais il existe d autres formes d enfermement qui n ont pas forcément une connotation négative : celle de la fermeture symbolique des portes où le patient respecte une sorte de contrat avec l équipe soignante, est libre de sortir à condition d en informer l équipe au préalable. Grâce à la parole le patient devient responsable créant ainsi un climat de confiance et de respect mutuel. L institution ouverte inscrit le sujet dans le monde extérieur car il y a une porte ouverte. L institution fermée reproduirait la première fermeture du sujet au symbolique et au lien social. L institution fermée a une dimension d infantilisation, de maternage comme l a si bien décrite GOFFMAN, elle est assimilée à la mère primitive, archaïque, toute puissante qui se substitue à tous les besoins de son enfant. Alvaro ESCOBAR MOLINA, philosophe et psychologue a écrit en 1988 un ouvrage sur la clinique de l enfermement où sa question principale est : « Qu est-ce qui fait tenir, endurer, comment peut-on vivre dans des conditions d enfermement et à quel prix ? ». L auteur décrit les conséquences de l enfermement sur le Moi à partir d une comparaison de six études de cas portant sur des moines et des prisonniers politiques vivant dans des espaces clos. Ces espaces clos sont le monastère et la prison avec la différence que les moines ont fait le choix de l enfermement par une vie monastique tandis que les prisonniers ont été enfermés contre leur gré pour raisons idéologiques, politiques. ESCOBAR nous offre différentes lectures de l enfermement : philosophique, psychosociale, psychanalytique et littéraire et propose trois niveaux possibles de « la traversée » de l enfermement. Reproduction interdite 2 www.cadredesante.com Phase d initiation : c est le début de l enfermement, les internés doivent répondre aux demandes de l institution, Phase de négociation institutionnelle : l interné s accommode et se plie aux règles de l institution. Ou au contraire, phase d opposition franche à l institution et à ses règles, Phase de détachement ou de mort : la personne enfermée depuis longtemps n attend plus sa sortie soit en raison de son âge ou de la longueur de la peine restant à purger. Il décrit le mode d assujettissement lié à l enfermement, le processus d emprise assuré par le maternage au monastère et la contrainte exercée par la prison assurant son pouvoir et entraînant une régression passive chez le détenu. Les moines sont figés par leurs v ux tandis que les prisonniers le sont par l autorité qui punit. Le prisonnier politique va se révolter dans cet espace de contrainte, sa souffrance sera d autant plus grande qu il n a pas de soutien institutionnel et qu il ne pourra pas projeter d idéal alors que le novice va pouvoir s investir par le travail et la prière dans cet idéal. Les institutions que sont le monastère et la prison organisent l espace et le temps de ses membres. Ces deux éléments permettent de voir ce qui fait de la résistance à l institution. Le temps impose la servitude, il est irréversible, mais, c est dans le déplacement que l homme pourra trouver son espace de liberté. « C est pourquoi la possibilité de se mouvoir a toujours été considérée par les hommes comme la plus précieuse et la plus caractéristique de toutes les libertés, c est l espace et non le temps qui permet de circuler ». C est dans l enfermement que l on découvre « les pouvoirs » de l espace, et la prison par ce fait représente le châtiment fondamental. En prison et au monastère, l enfermement devient irréversible à cause de la limite de l espace. Cet espace va être parcouru de façon obsédante par les internés, par des allers-retours continuels qui seront dans la répétition. La liberté devient alors impossible que ce soit dans le temps et dans l espace. Ces institutions totalitaires ont pour point commun la prise en charge totale des besoins des individus où toutes les étapes de la vie de la personne sont réglementées. Ce travail de recherche en tant que cadre de santé m amène à faire quelques propositions de pistes de travail par exemple l accompagnement des équipes ou encore un travail institutionnel pour que la parole circule. Reproduction interdite 3 www.cadredesante.com Accompagnement de l équipe : Prendre soin de l équipe permet à celle-ci de prendre soin des patients. Différents entretiens dans le cadre du travail de mémoire ont été menés auprès de huit infirmiers psychiatriques ou diplômés d état travaillant dans des services ouverts et fermés. Ces entretiens consistaient à comprendre comment leur travail était perçu au sein de ces services, s ils avaient observé plus de comportement violent de la part des soignants en service ouvert ou service fermé et s il existait des lieux de travail, de réflexion, d écoute auprès des équipes pour évoquer les prises en charges des patients et verbaliser leur ressenti. Les résultats de l enquête montrent l absence d une incidence de la fermeture ou de l ouverture des portes sur le comportement des soignants ; par contre les infirmiers déploraient l absence de lieu d écoute, d espace de liberté du dire ou de lieu de réflexion pour parler de leurs difficultés. (Proposition de saut de paragraphe) Entendre la parole, exprimer ses difficultés sans attendre expressément de solutions immédiates permet au soignant de prendre de la distance par rapport à la prise en charge des patients. Certains soignants ont en effet peur de la rencontre avec le patient au point de s isoler dans l office ou dans le bureau infirmier. Le contact avec la folie n est pas chose facile, il peut susciter différentes attitudes transférentielles comme la peur, l angoisse et une mise en danger de son propre fonctionnement mental. Il s avère nécessaire de construire un cadre institutionnel si celui-ci n est pas déjà mis en place. La constitution de différents temps favorisant l écoute et la parole permettraient de prendre soin des soignants en leur offrant la possibilité de prendre du recul, de faire tiers, d éviter trop de dualité dans la relation soignant- soigné, de penser leur relation avec les malades. La violence est inhérente à chacun, elle fait partie de l humain ainsi, je pense que le cadre doit permettre à la parole de circuler pour que l angoisse s y dépose, et permettre au soignant d élaborer son vécu. Une collaboration du cadre de santé avec le psychologue du service pourrait offrir aux équipes une possibilité d accompagnement, de réflexion autour de situations de soins difficiles. Il n y a pas en psychiatrie de réponses toutes faites, de protocoles ou de remèdes. Un temps de régulation pour travailler des phénomènes transférentiels passe par la réflexion sur le déroulement de la relation soignant- soigné. Le cadre est un pilote humain qui accompagne l équipe dans une démarche de réflexion par rapport à la prise en charge du patient afin Reproduction interdite 4 www.cadredesante.com d optimiser la relation vers le mieux être du patient, et (de ?) porter un regard sur la pratique des soignants. En effet, être confronté à la folie n est pas chose facile, être en contact avec la psychose peut susciter chez le soignant une mise en danger de son propre fonctionnement psychique pouvant nuire à la relation de soins et à la capacité de penser le soin. Donnant du sens, en adoptant une posture réflexive, le cadre est une tête pensante qui porte un regard extérieur. En étant une observatrice attentive, ma fonction de cadre me permet de voir ce qui se joue dans la relation entre le patient et le soignant. La psychose envahit le champ de pensée, de nombreuses interactions se jouent dans la rencontre avec le patient, le cadre se positionnant alors comme un médiateur dansla relation de soins. Il est donc important pour le cadre d avoir de bonnes connaissances théoriques sur la psychopathologie des maladies mentales, ainsi qu une expérience pratique lui permettant de discerner les différents aspects de la relation entre l équipe de soins et le patient. D autre part, je pense que je dois être présente au sein de l équipe dans le quotidien, afin de connaître l ambiance du service. Etre dans une relation authentique implique pour moi la connaissance des patients et la connaissance des attentes des soignants. Travail institutionnel : La coopération de tous les acteurs concernés par la prise en charge du patient dans l unité de soin est incontournable. Une synthèse hebdomadaire en présence des différents professionnels gravitant autour du patient : médecin, infirmiers, assistante sociale, psychologue est donc absolument nécessaire. Elle a l avantage de permettre aux infirmiers de parler de leur pratique au quotidien, de se sentir ainsi reconnus et valorisés dans leur travail. Seront évoqués dans ces réunions la relation thérapeutique, la gestion des phénomènes transférentiels, les difficultés de prise en charge. Ce temps de synthèse peut-être également un moment propice pour former l équipe à la psychopathologie. Un temps de rencontre avec le chef de service est indispensable pour assurer une cohésion dans le travail et la vie institutionnelle. Réfléchir ensemble à des axes de travail, à des concepts théoriques est nécessaire à une meilleure prise en charge des patients et à l édification de repères pour l équipe soignante. Le rôle de cadre est ici primordial dans la construction de temps d échange définis, de réunions de travail, la mise en place de synthèses cliniques reprenant l anamnèse, l histoire du patient. Le cadre peut ici assurer la fonction de mémoire du parcours du patient au gré des différentes hospitalisations et faire le lien au niveau de l équipe en assurant continuité et cohésion dans le travail de soins. L absence de projet de soins, de projet de vie pour les patients a une incidence sur les soignants entraînant inertie, démotivation, créant une ambiance mortifère. Ils ont l impression de ne pas être reconnus au sein de leur profession, de ne plus être soignants. Le rôle du cadre est Reproduction interdite 5 www.cadredesante.com de travailler avec l équipe pour ensemble établir des projets de soins et des projets de vie à court et à long terme. Ces projets évitent l immobilisme aussi bien pour les patients que pour l équipe. Cela amène à une responsabilisation, une implication mais aussi une valorisation des potentiels de chacun des soignants. Le cadre dynamise le potentiel de chacun et catalyse les énergies vers un objectif commun de prise en charge optimale du patient. Une institution soignante est une institution vivante avec du désir, des projets, une ouverture vers l extérieur. Références bibliographiques : Escobar MOLINA "L'enfermement", Ed. Klincksieck, 1989, 369 pages. GOFFMAN E "Asiles, études sur la condition sociale des malades mentaux", Ed. de Minuit, 1968, 447 pages Reproduction interdite 6 This document was created with Win2PDF available at http://www.win2pdf.com. The unregistered version of Win2PDF is for evaluation or non-commercial use only.