Fiche n°345 - Mars 2010 L ’océan manque Écouter l’océan pour une meilleure gestion des pêches © IRD / Arnaud Bertrand d’oxygène : depuis une cinquantaine d’années, du fait du réchauffement climatique et des activités humaines, les zones de minimum d’oxygène s’étendent. Elles couvrent désormais près de 10 % de l’océan mondial et contraignent fortement la vie marine située en profondeur. Pour suivre leur évolution, des chercheurs de l’IRD et leurs partenaires1 ont développé une méthode acoustique innovante. Facile à mettre en œuvre, celle-ci fournit à chaque seconde des données sur la limite supérieure de ces zones anoxiques2. Les scientifiques ont ainsi établi, au large du Pérou, des cartes environ 100 000 fois plus détaillées que celles obtenues avec des profils hydrologiques classiques. Ils peuvent alors estimer avec une très haute résolution l’habitat disponible en surface pour les poissons. Ces travaux ouvrent de grandes perspectives notamment en termes de gestion des pêches. Campagne océanographique multidisciplinaire «Filamentos», réalisée en 2008 à bord du navire José Olaya de l’IMARPE, principal partenaire de l’IRD au Pérou pour les recherches en sciences de la mer. Au cours de cette campagne de nombreuses mesures physiques, chimiques, acoustiques et biologiques ont été réalisées. Depuis 50 ans, le réchauffement climatique et à l´influence anthropique entraînent une extension des zones de minimum d’oxygène, couches d’eau océanique à teneur réduite en oxygène de plusieurs centaines de mètres d’épaisseur. Sous-jacentes aux eaux de surface oxygénées, elles couvrent aujourd’hui près de 10 % de la superficie de l’océan mondial, menaçant ainsi une grande partie des écosystèmes marins et des activités de pêches. Un cercle vicieux L’eau de surface des océans se réchauffe. Or, selon un processus strictement chimique, plus l’eau est chaude, moins l’oxygène peut-être dissout et absorbé par l´océan. Par ailleurs, plus l’eau de surface des océans est chaude, plus la barrière avec les eaux profondes froides est forte. Les couches superficielles oxygénées se mélangent donc plus difficilement avec les eaux profondes, moins oxygénées. De plus, l’impact anthropique conduit à une eutrophisation, qui elle-même entraîne une consommation d’oxygène et la formation de « zones mortes ». D’où une augmentation importante des couches anoxiques dans le monde, qui affecte ainsi grandement les processus biogéochimiques et met à mal la vie marine, contraignant notamment l’habitat vertical de la plupart des organismes marins. Par ailleurs, si ces zones venaient à affleurer à la surface de l´océan, cela poserait un énorme problème car elles sont fortement concentrées en CO2 et en oxyde nitreux (un gaz ayant un effet de serre 300 fois plus élevé que le dioxyde de carbone). Cela provoquerait donc un relargage direct de puissants gaz à effet de serre dans l’atmosphère, qui pourrait à son tour augmenter le réchauffement global. Ce risque est très présent sachant que, par exemple, le long des côtes péruviennes, les eaux anoxiques affleurent parfois à moins de 10 m de profondeur. Des cartes de haute précision Les chercheurs de l’IRD et leurs partenaires 1 ont cartographié la limite supérieure de ces zones, aussi appelée Institut de recherche pour le développement - 44, boulevard de Dunkerque, CS 90009 F-13572 Marseille Cedex 02 - France - www.ird.fr Retrouvez les photos de l'IRD concernant cette fiche, libres de droit pour la presse, sur www.ird.fr/indigo CONTACTS : Arnaud Bertrand chercheur à l’IRD [email protected] Michael Ballón chercheur de l’IMARPE doctorant à l’IRD [email protected] UMR Écosystèmes marins exploités (IRD / Université Montpellier 2) Tél. : +51 (1) 6250800 Annexe 864 Adresse : IRD -c/o Instituto del Mar del Perú (IMARPE), Esquina Gamarra y Gral. Valle s/n, Apartado 22, Callao, Lima, Pérou RÉFÉRENCE : bertrand arnaud, ballon m., chaigneau alexis. Acoustic Observation of Living Organisms Reveals the Upper Limit of the Oxygen Minimum Zone. PLoS ONE 5(4): e10330, 2010. doi:10.1371/journal.pone.0010330 oxycline, au large des côtes péruviennes avec une résolution 50 000 à 100 000 fois supérieure à celle des cartes obtenues à partir de profils hydrologiques. Pour cela ils ont utilisé, pour la première fois au monde, des données biologiques acquises par des échosondeurs acoustiques. Plancton, crustacés, poissons… la plupart sont regroupés dans la partie supérieure de la colonne d’eau. L’oxygène est en effet le principal facteur limitant l´extension verticale des organismes marins. Dans un premier temps, les scientifiques ont démontré que cette dernière s’arrêtait précisément au niveau de l’oxycline. Pour cela, ils ont utilisé les données acoustiques sur la distribution de divers organismes, récoltées durant la campagne multidisciplinaire « Filamentos » réalisée en février 2008 au large du Pérou. Dans un second temps, grâce aux données acquises cette fois lors de campagnes océanographiques de routine, ils ont réalisé des cartes très précises de la limite supérieure de la zone de minimum d’oxygène dans la région. Grâce à cette nouvelle méthode acoustique, les chercheurs disposent de données toutes les secondes le long du trajet du bateau, ce qui leur permet d’accéder à des processus physiques et biologiques de très petite échelle. En comparaison, les profils hydrologiques acquis lors de campagnes océanographiques sont d’un nombre limité et très distants les uns des autres. Un intérêt certain pour les pêches Les zones de minimum d’oxygène limitent la répartition verticale de la plupart des ressources exploitées. En combinant données acoustiques et hydrographiques, les chercheurs ont estimé avec précision le volume de l’habitat disponible pour l’anchois du Pérou3, l´espèce de poisson la plus pêchée au monde. Il est donc maintenant possible de déterminer simultanément le volume d´eau oxygéné où l´anchois sera restreint et les principales communautés biologiques qui y habitent (zooplancton, poissons). Les scientifiques peuvent ensuite croiser ces résultats avec toutes les informations disponibles par ailleurs (données satellitales, distribution des navires de pêche, etc.) afin de réaliser des études intégrées de l’écosystème. Cette information de très haute résolution permet également d’étudier les processus qui se produisent à petite échelle, de l’ordre de quelques centaines de mètres à quelques kilomètres. Échelles que les scientifiques ne pouvaient atteindre jusqu’à présent, alors que ces processus structurent fortement les écosystèmes marins et l’océan supérieur et jouent un rôle clé dans les relations prédateurs-proies. Cette méthode, qui ouvre de grandes perspectives pour l’étude des océans et la gestion des pêches, pourrait être facilement utilisée par l´ensemble des laboratoires disposant de données acoustiques historiques. Elle pourrait également être appliquée en routine sur les navires de pêche équipés d’échosondeurs. Rédaction DIC – Gaëlle Courcoux 1. Ces travaux ont été réalisés en collaboration avec des scientifiques de l’Institut de la Mer du Pérou (IMARPE). 2. À teneur réduite en oxygène. 3. Cette technique peut bien entendu être appliquée à d’autres espèces. MOTS CLÉS : Océan, oxygène, acoustique, pêche RELATIONS AVEC LES MÉDIAS : Vincent Coronini +33 (0)4 91 99 94 87 [email protected] Daina Rechner +33 (0)4 91 99 94 81 [email protected] www.ird.fr/indigo © IRD / Arnaud Bertrand INDIGO, PHOTOTHÈQUE DE L’IRD : © IRD / Arnaud Bertrand Fiche n°345 - Mars 2010 Pour en savoir plus En croisant les données acoustiques avec des mesures hydrologiques réalisées avec des sondes (photo de gauche), les chercheurs ont estimé avec précision l’habitat disponible pour l’anchois du Pérou, l’espèce la plus pêchée au monde. Gaëlle Courcoux, coordinatrice Délégation à l’information et à la communication Tél. : +33 (0)4 91 99 94 90 - fax : +33 (0)4 91 99 92 28 - [email protected]