Lecture analytique 3 : C. Baudelaire, « Un Hémisphère dans une

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Lecture analytique 3 : C. Baudelaire, « Un Hémisphère dans une chevelure »
(Le Spleen de Paris, 1869)
Question : En quoi ce texte est-il un poème en hommage à la femme aimée ?
Introduction :
- Charles Baudelaire : éléments biographiques ; précurseur du symbolisme ; auteur des Fleurs du mal et du
Spleen de Paris, recueil de poèmes en prose.
- le poème : « Un Hémisphère dans une chevelure » est la réécriture en prose d’un poème versifié, « La
Chevelure », qui apparaît dans la section « Spleen et idéal » des Fleurs du mal (1857). Ces deux poèmes font
partie des textes inspirés par Jeanne Duval, une actrice de Boulevard sensuelle et fantasque avec laquelle le
poète a entretenu une liaison orageuse pendant 23 ans. Cette femme était métisse et Baudelaire la
surnommait, en raison de sa peau brune, « la Vénus noire ». La lourde chevelure noire célébrée dans les deux
textes est celle de Jeanne Duval.
- reprise de la question et annonce du plan : bien que ce texte soit en prose, c’est cependant un poème en
hommage à la femme aimée dont la chevelure fait naître un monde imaginaire et exotique.
a)
b)
I - UN POEME EN PROSE
Une structure en boucle
Comme sa version versifiée, « Un Hémisphère dans une chevelure » est divisé en sept paragraphes de
taille équivalente.
On remarque que le premier et le dernier paragraphe se font écho. En effet, ils commencent tous deux
par la même structure syntaxique : l’impératif « Laisse-moi » est suivi d’un verbe renvoyant à un sens (l’odorat
puis le goût), de l’adverbe « longtemps » et d’un COD qui évoque la chevelure : «Laisse-moi respirer
longtemps, longtemps l’odeur de tes cheveux » / « Laisse-moi mordre longtemps tes tresses lourdes et noires »
Le même thème du souvenir apparaît dans ces deux paragraphes: il s’agit de « secouer des souvenirs dans
l’air » dans le premier paragraphe et de les manger dans le dernier, comme si le poète était ou souhaitait être
rassasié à la fin du texte.
Cette structure permet de donner un effet de cycle, de boucle au poème : le premier et le dernier
paragraphes se répondent, annoncent et synthétisent tout ce qui est développé dans le reste du texte. Arrivé
au terme du poème, on peut repartir vers son début pour recommencer le voyage.
Chaque paragraphe du poème repose sur le même objet, la chevelure, qui en constitue en quelque sorte le fil
directeur… Dans la première moitié du poème, on trouve l’expression « tes cheveux » dans chaque unité (paragraphes 1, 2 et 3), expression développée dans le dernier par les adjectifs « élastiques et rebelles » et associée
à « tes tresses lourdes et noires ». Dans la seconde moitié du poème, Baudelaire écrit « ta chevelure »
(paragraphes 4, 5 et 6). Ainsi, le thème de la chevelure apparaît-il dans chaque paragraphe du poème.
A chaque fois, les cheveux sont associés à un thème
Paragraphe 2 : Les sensations : « le parfum » (odorat), « vois » (vue), « sens » (toucher), « entends » et
« musique » (ouïe)
Paragraphe 3 : Un voyage exotique : « rêve », « moussons », « charmants climats », « espace […] bleu »,
« l’atmosphère est parfumée par les fruits, par les feuilles » et l’univers maritime « voilures » et « matures »,
« grandes mers »
Paragraphe 4 : L’univers maritime : « océan », « port », « navires », « hommes vigoureux » (les marins) et
la sensualité « hommes vigoureux », « se prélasse », « l’éternelle chaleur »
Paragraphe 5 : La sensualité : « caresses », « langueurs », « divan », « chambre » et le port tropical :« un
beau navire », « roulis imperceptible du port », « pots de fleurs », « gargoulettes »
Paragraphe 6 : L’univers tropical : « ardent foyer » (chaleur), « odeur du tabac », « opium », « sucre »,
« l’infini de l’azur tropical », « rivages duvetés », « goudron », « musc », « huile de coco » et les sensations :
« je respire » (odorat), « je vois » (vue), « je m’enivre » (goût)
Ainsi, on observe que les paragraphes sont thématiquement liés les uns aux autres : un thème qui paraît secondaire dans un paragraphe devient principal dans le suivant, ce qui assure continuité et fluidité au poème.
Echos et rythmes syntaxiques
On relève tout d’abord des répétitions :
- l’adverbe « longtemps » est redoublé à la première ligne : « laisse-moi respirer longtemps, longtemps, l’odeur
de tes cheveux ».
- dans le paragraphe 3, le verbe « contiennent » est répété.
- on relève des anaphores : les paragraphes 4, 5 et 6 commencent par la même structure : préposition
« Dans » + groupe nominal + « de ta chevelure ». Cet effet de reprise est accentué dans le paragraphe 6 car la
structure apparaît trois fois (la préposition est cependant modifiée dans la dernière occurrence) : « dans
l’ardent foyer de ta chevelure », « dans la nuit de ta chevelure », « sur les rivages duvetés de ta chevelure ».
➜Ces échos et ces répétitions donnent rythme et poésie au texte. Ils contribuent à la musicalité du poème en
prose.
Enfin, on peut noter que des effets similaires sur les rythmes.
- Rythmes ternaires. Trois verbes à l’infinitif sont placés en rythme ternaire dans le premier paragraphe :
« respirer », « plonger », et « agiter ». L’expression « tout ce que » apparaît dans un rythme ternaire dans le
second paragraphe, suivie d’un verbe de sensation et d’un point d’exclamation. Dans le paragraphe suivant, les
1
trois compléments d’agent du verbe « est parfumée » sont également placés en rythme ternaire : « par les
fruits, par les feuilles et par la peau humaine ». On peut faire la même observation dans le quatrième
paragraphe avec les trois compléments de l’adjectif « fourmillant » (de « chants », d’ « hommes » et
de « navires ») ou dans l’avant-dernier avec les trois compléments du groupe nominal « odeurs combinées »
qui permettent de développer l’idée de combinaison.
➜ Tous ces éléments rythmiques sont des caractéristiques du poème en prose et du langage poétique
c)
Musicalité
Des échos sonores contribuent à la musicalité du poème en prose.
- On relève une allitération en [m] dans : « Mon âme voyage sur le parfum comme l’âme des autres hommes
sur la musique ». Elle confère douceur au passage et donne à entendre le murmure du chant musical.
- De même, l’assonance en [ã] dans le passage suivant évoque aussi un chant et une musique : « un port
fourmillant de chants mélancoliques ».
- On remarque encore que le son du roulis est renforcé par des allitérations en [r] et en labiales [b] et [p] :
« bercées par le roulis imperceptible du port ».
- Dans « où l’atmosphère est parfumée par les fruits, par les feuilles et par la peau humaine », les allitérations
en [f] et en [p] unissent par le son les trois odeurs évoquées. Ainsi, le passage allie par des sonorités ce qui est
mélangé dans l’atmosphère.
- Plus loin, douceur et oisiveté sont renforcées par le retour de l’allitération en [s] dans : « sur un ciel immense
où se prélasse l’éternelle chaleur ».
- Enfin, on peut relever une paronomase dans « les langueurs des longues heures » : cette expression
permet de suggérer la durée de ce moment d’oisiveté, comme si sensualité et durée étaient indissociables.
➜ Par sa structure rigoureuse, ses rythmes et sa musicalité, le texte apparaît donc bien comme un poème en
prose. Le poème se met également au service d’une célébration de la femme aimée.
a)
II - UNE CELEBRATION SENSUELLE DE LA FEMME
Un poème adressé à la femme
L’observation de l’énonciation du poème permet de mettre en évidence deux personnes. Le « je »
omniprésent désigne bien entendu le poète qui s’adresse à la femme aimée à la seconde personne du singulier.
Si l’on observe la phrase initiale du texte, on trouve réunis et concentrés en trois mots les trois éléments
essentiels du poème : « Laisse-moi respirer ». Le verbe à l’impératif « laisse » est destiné à la femme, le COD
« moi » renvoie au poète, lié au mot précédent et à la femme par un trait d’union et l’infinitif « respirer »
annonce le sens principal du texte, l’odorat.
Dans chaque paragraphe du poème, on retrouve les marques de la première et de la deuxième personne du
singulier : pronoms personnels (je, tu, me, moi), adjectifs possessifs (mon, ma, tes, ta).
Par ailleurs, tout le poème est écrit au présent de l’indicatif, comme si le poème s’écrivait au moment où le
poète parle à la femme et au moment où la rêverie a lieu. Nous sommes plongés dans l’intimité du couple :
temps verbaux et pronoms personnels le confirment.
b)
Un portrait partiel
L’originalité de ce poème vient aussi du fait que le poète ne décrit la femme qu’à travers ses cheveux.
Aucun autre aspect physique n’est évoqué. Plusieurs caractéristiques peuvent être dégagées à propos de cette
chevelure.
D’abord elle est évoquée par son parfum enivrant : « laisse-moi respirer, longtemps, longtemps l’odeur
de tes cheveux ». La comparaison au « mouchoir odorant » qui suit développe ce pouvoir. Dans la suite du
poème le parfum de la chevelure est évoqué avec des odeurs sucrées ou fleuries : « fruits » et « feuilles »,
« pots de fleurs », « sucre » et des parfums exotiques : « tabac », « opium », « goudron », « musc », « huile
de coco ».
Plusieurs expressions permettent de comprendre que la chevelure de la femme est noire : « l’espace » « plus
bleu » et « plus profond » du troisième paragraphe, la métaphore du sixième : « la nuit de ta chevelure » et
surtout l’adjectif « noires » pour les « tresses » dans les dernières lignes.
D’autres passages suggèrent le volume et l’abondance de la toison. C’est ainsi que l’on peut
comprendre que l’homme souhaite « plonger » dedans. L’adjectif « fourmillant » est appliqué au port mais
évoque également l’abondance des cheveux et leur structure complexe, comme le confirme l’expression « leurs
architectures fines et compliquées ». Plus loin « les rivages duvetés » peuvent évoquer une chevelure soyeuse,
bouclée et épaisse, tout comme les « tresses lourdes et noires » et les « cheveux élastiques et rebelles ». Cette
dernière expression tend d’ailleurs à personnifier les cheveux, ce qui invite à penser qu’ils sont une métonymie
de la femme, la « Vénus noire » que Baudelaire aimait.
c)
Un moment de sensualité
Le moment d’intimité décrit dans le texte est un moment que le poète veut le plus long possible. Quelques
expressions suggèrent une durée : les trois occurrences de « longtemps », la proposition « où se prélasse
l’éternelle chaleur ». Par ailleurs, on a remarqué que la composition en boucle du texte pouvait inviter à une relecture afin de prolonger l’instant
La sensualité est évoquée par les contacts physiques. D’abord le contact entre le visage de l’homme
et les cheveux de la femme. Dans ce passage, une comparaison : « comme un homme altéré dans l’eau d’une
source » symbolise le désir. Plus loin est décrit le parfum de la peau. A la fin, une morsure est déclinée avec les
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verbes « mordre », « mordille » et « mange ». Cette allusion sensuelle à la bouche participe à l’atmosphère
sensuelle du poème. De la même manière, on relève des expressions qui renvoient à un moment sensuel:
« se prélasse », la « chaleur », « l’ardent foyer », les « caresses », le « divan », la « chambre »
L’importance des sensations : Les cinq sens apparaissent dans le texte. Le principal semble être
l’odorat. Le premier paragraphe décline en effet un champ lexical de l’odorat : « respirer », « odeur »,
« mouchoir odorant », « air ». Presque chaque paragraphe du poème reprend et développe ce sens. On voit par
ailleurs qu’une fois l’odorat apparu, d’autres sens surgissent, nés grâce à lui, selon le principe des
correspondances baudelairiennes.
Paragraphe 1 : Odorat (« respirer », « odeur », « mouchoir odorant », « air » / goût ( « comme un homme
altéré dans l’eau d’une source » / toucher (« les agiter avec ma main »)
Paragraphe 2 : odorat (« parfum ») / toucher (« je sens ») / ouïe (« j’entends », « musique ») / vue (« je
vois »)
Paragraphe 3 :odorat ( « atmosphère parfumée ») / goût (« les fruits ») / toucher (« la peau humaine ») / vue
(Espace « bleu »)
Paragraphe 4 : ouïe (« chants mélancoliques ») / vue (« j’entrevois »)
Paragraphe 5 : odorat (« les pots de fleurs ») / goût (« les gargoulettes rafraîchissantes ») /toucher
(« caresses ») / ouïe (« bercées par le roulis »)
Paragraphe 6 : odorat (« odeur du tabac mêlée à l’opium et au sucre », « odeurs combinées du goudron, du
musc et de l’huile de coco ») / goût (« sucre », « je m’enivre », « huile de coco ») / toucher (« les rivages
duvetés ») / vue (« je vois resplendir »
Paragraphe 6 : goût (« mordre », « mordille », « mange »)
Ainsi le poète a le don de voyager grâce au parfum. C’est ce qu’affirme le second paragraphe. La
femme aimée et le parfum de sa chevelure développent un moment sensuel. On peut voir qu’un voyage et un
monde exotique vont également surgir de ce moment de sensualité.
a)
III - UN VOYAGE IMMOBILE
La remémoration et le rêve
Le parfum de la chevelure fait naître des souvenirs. Cette idée apparaît dès le premier paragraphe du
texte dans la métaphore : « pour secouer des souvenirs dans l’air ». Ainsi, les cheveux sont comparés à un
mouchoir que l’on agite et les parfums qui s’en dégagent deviennent des souvenirs, ce qui contribue à les
rendre palpables et concrets. Le dernier paragraphe confirme cette impression puisqu’il s’agit, dans une
nouvelle métaphore, de manger les souvenirs. Un autre terme dans le poème confirme que le poète retrouve
des impressions et un monde passés: « je retrouve » dans le cinquième paragraphe.
Plus généralement l’itinéraire parcouru grâce à la chevelure s’inscrit dans une sorte de songe, ce que
confirme le champ lexical de la rêverie : « mon âme voyage », « rêve », « j’entrevois », « il me semble ». Cette
rêverie est d’ailleurs facilitée par les substances enivrantes et hallucinatoires évoquées à la fin du poème :
« tabac », « opium », « je m’enivre ».
b)
Un voyage
Un voyage a lieu sous nos yeux dans le poème. De nombreux verbes de mouvement parcourent les paragraphes : « plonger », « agiter », « secouer » dans le premier, « voyage » dans le second, « me portent » dans
le troisième.
D’autres éléments confirment l’idée de voyage. La métaphore du mouchoir rend concrètes les odeurs de la
chevelure. On peut aussi y lire symboliquement le départ pour un voyage : le poète secoue un mouchoir pour
dire adieu avant le départ.
Le champ lexical de la navigation et de l’univers maritime confirme l’idée d’un voyage : « voilures » et
« mâtures », « grandes mers », « espace […] plus bleu et plus profond », « l’océan de ta chevelure »
(métaphore), « port fourmillant », « navires », « un beau navire », « le roulis imperceptible du port », « les
rivages duvetés », le « goudron » (utilisé par les marins pour enduire les carènes et les cordages des bateaux).
➜Ainsi, on voit que grâce au parfum initial, un voyage a lieu. Les sens suscitent souvent chez Baudelaire un
itinéraire. Une sensation en engendre une autre et la conjugaison des sens convie un véritable monde.
c)
Un monde exotique
Le voyage mène le poète jusqu’à un monde tropical. Evoqué à travers son ciel (« azur tropical »), ses
mers, ses vents (« moussons »), ses végétaux et ses produits (« fruits » et « feuilles », « tabac », « musc »,
« opium », « sucre », « coco »), son port cosmopolite, sa chaleur (« charmants climats », « éternelle chaleur »,
« ardent foyer »), la langueur et le sensualité, le monde décrit par Baudelaire est un univers paradisiaque et
naïf. Il correspond aux stéréotypes de l’art du XIXème siècle qui voit dans les îles et les lointaines colonies un
monde d’oisiveté et de paresse. On peut penser, notamment, à d’autres poèmes de Baudelaire comme
L’Invitation au voyage ou, en peinture, aux représentations de Tahiti et des Marquises par Paul Gauguin. Ce
monde exotique est, on le sait, justifié par les origines de Jeanne Duval, la Vénus noire.
Les quatre éléments sont présents dans le poème. L’air à travers les parfums bien sûr, mais aussi les
moussons, le ciel et l’azur. L’eau avec la source où le poète se désaltère, ainsi que toutes les images maritimes.
Le feu, avec le chaleur et « l’ardent foyer ». La terre, enfin, grâce à ses productions végétales essentiellement.
La chevelure féminine est en effet capable de tout évoquer. De nombreuses expressions insistent sur l’idée
de totalité : « tout ce que » est répété dans le paragraphe 2, « tout un rêve » et « plein de » dans le
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troisième, « toutes nations », « toutes formes » et l’adjectif « fourmillant » dans le suivant, « l’infini » dans le
cinquième paragraphe
➜ On comprend alors le titre du poème : « Un Hémisphère dans une chevelure ». Grâce à leur parfum enivrant, les cheveux parviennent à engendrer un univers entier.
-
Conclusion
- un poème en prose : images, rythmes et sonorités
- un poème en hommage à la femme aimée à travers l’évocation de sa chevelure ; un blason (voir
définition plus bas)
- un poème typiquement baudelairien : correspondances entre les sensations, l’exotisme
- un poème que l’on peut rapprocher de celui de Louise Labé : évocation de la sensualité mais ici,
l’atmosphère est heureuse
(Le "blason" est un court poème célébrant une partie du corps féminin ("Blason du beau tétin" de Marot, "Le
Front" de Maurice Scève", "Blason de l'oeil" de Mellin de Saint-Gelais, "Le Blason" de Georges Brassens, etc...
). Dans le même esprit, certains poèmes évoquent le corps entier en détaillant successivement ses différentes
parties ("Marie, vous avez la joue aussi vermeille..." de Ronsard, "L'Union libre" de Breton). Le blason se fait
parfois satirique : on parle alors de "contre-blason" ("Blason du laid tétin" de Marot, "O beaux cheveux
d'argent..." de Du Bellay).)
Baudelaire , « La Chevelure » (Les Fleurs du mal)
Ô toison, moutonnant jusque sur l'encolure !
Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir !
Extase ! Pour peupler ce soir l'alcôve obscure
Des souvenirs dormant dans cette chevelure,
Je la veux agiter dans l'air comme un mouchoir !
La langoureuse Asie et la brûlante Afrique,
Tout un monde lointain, absent, presque défunt,
Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique !
Comme d'autres esprits voguent sur la musique,
Le mien, ô mon amour ! nage sur ton parfum.
J'irai là-bas où l'arbre et l'homme, pleins de sève,
Se pâment longuement sous l'ardeur des climats ;
Fortes tresses, soyez la houle qui m'enlève !
Tu contiens, mer d'ébène, un éblouissant rêve
De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts :
Un port retentissant où mon âme peut boire
A grands flots le parfum, le son et la couleur ;
Où les vaisseaux, glissant dans l'or et dans la moire,
Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire
D'un ciel pur où frémit l'éternelle chaleur.
Je plongerai ma tête amoureuse d'ivresse
Dans ce noir océan où l'autre est enfermé ;
Et mon esprit subtil que le roulis caresse
Saura vous retrouver, ô féconde paresse,
Infinis bercements du loisir embaumé
Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues,
Vous me rendez l'azur du ciel immense et rond ;
Sur les bords duvetés de vos mèches tordues
Je m'enivre ardemment des senteurs confondues
De l'huile de coco, du musc et du goudron.
Longtemps ! toujours ! ma main dans ta crinière lourde
Sèmera le rubis, la perle et le saphir,
Afin qu'à mon désir tu ne sois jamais sourde !
N'es-tu pas l'oasis où je rêve, et la gourde
Où je hume à longs traits le vin du souvenir ?
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