Conférence résumée par Ernest Safar (1ES2) Fondation de la Maison des Sciences de l’Homme Introduction comparative aux sciences sociales 7 Décembre 2011, 13h05-17h00 Introduction : les 3 intervenants (2 ethnologues + 1 historienne) posent immédiatement la problématique typique des sciences sociales : « Qu’est ce qui crée une société ? Qu’est ce qui la fait fonctionner ? ». D’abord, ils établissent le fait que les sciences sociales sont avant tout une communauté avec de la diversité où l’ethnologie (une des disciplines et principal objet d’étude) va de pair avec l’Histoire (second objet d’étude) et l’anthropologie : concurrentes de la sociologie, elles naissent au XIXème siècle et utilisent des techniques variées afin d’étudier l’Homme étranger. Mais concrètement, quelles sont ces différences ? Tel est l’objet du présent résumé en 3 temps : I- L’Histoire : Un enjeu comparatif entre passé et présent sur les phénomènes révolutionnaires (par Mme Sophie WAHNICH, historienne et chercheuse) En Histoire, on retravaille sans cesse les mêmes objets (de facto connus) et la problématique « Comment cela se fait-il que l’on reprenne toujours les mêmes choses » a fait débat entre 2 figures : Jean-Paul Sartre, écrivain et philosophe et Claude Levi-Strauss, anthropologue. D’ailleurs il s’agit en fait d’une question entre passé et présent. Sartre appelait à une « conscience historique » pour trouver la « vérité de l’homme » permettant l’étude objective de l’Histoire. Cette « conscience historique » serait une manière de se donner ses propres lumières (est-on libre ou contraint ? L’Histoire et sa connaissance permettrait l’émancipation de l’Homme selon Sartre). Or ces objets historiques ont une action qui fait dès fois retour dans le présent (objet « pratico-inerte » de Sartre qui transformerait l’histoire « froide » en « chaude » et il pense qu’on ne peut étudier un objet important du passé SANS vivre une action présente issue d’un objet faisant retour) car l’histoire « chaude » qui résulte de ce retour transforme la société { partir d’une base historique « froide » selon Sartre ! Levi-Strauss lui répond en lui disant que cette histoire « froide » des événements et peuples oubliés font pourtant partie intégrante de la fameuse « vérité de l’Homme » qu’édicte Sartre et qu’ils n’ont pas forcément besoin de cette action retour (« pratico-inerte ») dans le présent ; Ils utilisent alors la Révolution Française comme point de conflit entre Histoire « froide » et « chaude ». - Lévi-Strauss affirme que l’historien ne peut être objectif (histoire partiale et partielle) car il est donc soit révolutionnaire ou contre révolutionnaire et il compare cela à un match de boxe où l’on choisit le point de vue de l’un des boxeurs et on se centre sur lui pour regarder l’interaction et la suite des événements (« Ring de l’Histoire » de Levi-Strauss). Il dit ensuite que selon le point de vue des historiens, ceux ci font fabriquer une focalisation sur tel ou tel objet par l’Histoire : il se sert de l’étude de l’historien François Furet qui disait de la Révolution française qu’elle était devenue un objet froid car elle s’est cristallisée au fil du temps mais qu’on pouvait aussi la considérer comme un objet « chaud » de par la focalisation historique et les références qu’on lui prête de nos jours ! Néanmoins, utiliser des objets passés pour expliquer des objets futurs est un anachronisme , notion sur laquelle s’est penchée Nicole Moreau (Eloge de l’anachronisme) où elle affirme qu’on ne peut être historien sans en faire ! Se mettre à la place des acteurs du passé (moment « historiciste » selon elle) permet de ramener un objet du passé pour expliquer plus facilement le présent et c’est d’ailleurs la logique de l’histoire « chaude » qu’elle démontre comme étant un anachronisme. Exemple bien actuel : Y a-t-il des points communs entre la Révolution Française et le printemps arabe ? Peut-on donc parler d’objet « pratico-inerte » ayant valeur d’anachronisme ? Laissons faire l’Histoire... (Conflit entre Sartre et Levi-Strauss encore non résolu aujourd’hui !) II- L’Anthropologie : une étude théorique de la diversité internationale (par M. Emmanuel DESVEAUX , ethnologue, directeur d’études { l’EHESS, ancien directeur scientifique du Musée du quai Branly et assistant de Levi-Strauss) Introduction : L’anthropologie est la clé de la diversité culturelle { travers l’étude de l’Homme étranger. Les Grandes découvertes (menées par Colomb, Dias , Cortez … ) ont largement contribué au développement de l’anthropologie car { l’époque en Occident , les changements de pensées vis à vis de l’Homme étaient rares et limités { des groupes considérés comme indésirables par une grande majorité de personnes. Et ces pensées ont une vie et sont résistantes et persistent malgré les changements intellectuels (on parle de « néo-X » de nos jours) mais ces changements provoquent un choc dont naît l’anthropologie ancienne (effet non immédiat) qui se distinguent en 4 catégories selon les pays et leur étude de la diversité humaine. 1-La tradition française de l’anthropologie : elle naît véritablement avec les Lumières au XVIIIème siècle où Rousseau, Voltaire, Montesquieu… renoncent aux règles théologiques (de la Bible) et remettent en question l’origine de l’Homme (« D’où venons-nous ? ») où la théorie naturaliste (dominante aujourd’hui) affirme que l’Homme est le fruit d’une évolution animale dont le Singe serait son plus proche cousin. Puis l’anthropologie française s’intéresse aux découvertes américaines où ils constatent le refus de la diversité culturelle des conquistadors (soit ils apprenaient l’indien pour ensuite les contraindre { apprendre leur langue soit ils étaient violents et refusaient tout échange culturel). Le premier qui s’était élevé contre ceci était SaintAgoun (moine français) qui prônait « la connaissance de soi avant celle des autres » ce qui impliquait forcément un échange culturel à terme (pour lui Indiens = double européen) et donne un exemple de « Diversité dans la diversité » avec les moines réguliers et séculiers où on constatait une différence de transmission du message divin (régulier = prêche dans un monastère et séculier = au contact des civils) et une différence du message divin lui-même (plus strict et réducteur chez les réguliers alors que les séculiers délivraient un message plus souple aux civils et moins contraignant) Mais l’ordre théologique s’effondre au XVIIIème (siècle des Lumières) et laisse place { l’obscurantisme en France qui met en relation toutes les différences culturelles. Et c’est l{ que le plus célèbre (si ce n’est le seul) anthropologue français apparaît : Emile Durkheim prend la devise de Saint-Agoun à revers et encourage ses élèves { d’abord travailler sur l’Homme exotique avant d’étudier nos propres sociétés ! Sa théorie le conduira à affirmer que les gens les plus misérable sur Terre sont les Aborigènes d’Australie (premiers hommes) alors que Durkheim n’est jamais allé en Australie, il montre qu’on peut étudier la diversité sans la vivre : sa théorie est donc unique puisqu’il se différencie de Saint-Agoun et de Sartre (cf I-L’Histoire : voir passage en gras). Voilà pour la théorie française anthropologue. 2-La tradition anglaise de l’anthropologie : en matière de diversité culturelle, elle est la plus prospère car elle fut bénéficiaire des études coloniales partout dans le monde (Angleterre, reine des colonies jusqu’au 20ème siècle). Grâce à cette expérience de première main, les Anglais furent les premiers { s’intéresser au système familial et sociétal. Ils établissent la théorie dite « fonctionnaliste » qui dit que : Chaque société humaine a pour tradition voire «constitution » de poser des règles pour organiser son fonctionnement (Malenowski développant cette pensée dira : « Si une société existe c’est qu’elle fonctionne »). Le fonctionnalisme estime donc que les règles d’une société se substituent à sa culture pour assurer son fonctionnement et ces sociétés « sans culture propre » seraient donc plus ouvertes car avides de découvertes et de connaissance de culture étrangère : le fonctionnalisme créerait donc des sociétés à règles avec une vision extériorisée (vers le monde, les autres cultures…) 3-La tradition allemande de l’anthropologie : elle naît d’une rébellion d’allemands contre la domination linguistique française considérée comme une langue raffinée au XVIIIème siècle : ils se nomment les Romantiques (parmi eux les écrivains célèbres Goethe et Schiller) et déclarent que certains sentiments spécifiques ne peuvent s’exprimer qu’en allemand ! (Ils estiment donc que la diversité linguistique des sociétés définit leur culture ). D’ailleurs l’écrivain allemand Wilhelm von Humboldt considère la langue comme intérieure { l’homme (contrairement { la théorie dominant de l’époque : le fonctionnalisme, qui disait que la langue était un signe extérieur) en disant qu’il y avait une voie intérieure commune reliant psychologie et langue. Leur figure de proue étant l’anthropologue Boas qui affirmait que la langue créait la proximité entre les Hommes et conduisait { la création d’une société (« Gemeinschaft » = communauté qui avec une langue intérieure commune devient une « Gesellschaft » = société). Pour l’anthropologie allemande donc la langue est intérieure et définit la culture de chaque société (futur culturalisme américain). 4-La tradition américaine de l’anthropologie : elle fut d’abord sous-estimée puis considérée comme fondatrice de l’anthropologie moderne. Elle fut marquée par les projets impériaux du XVIIIème siècle visant { explorer l’ouest de l’Amérique du Nord. Ces explorations ont accentué les diversités avec la découverte de nouveaux peuples indiens et les colonies (à la manière anglaise) ont permis la mise en place d’une nouvelle théorie anthropologue : en Amérique , on considère qu’il y a une unité des hommes { travers leur culture en estimant que l’Homme est totalement dépendant de sa culture qui agit et se répercute sur toutes ses actions et pensées. Cette intériorisation de la culture dans l’Homme pose les bases du culturalisme américain avec comme problématique fondatrice : « Comment les gens voient le monde à travers leurs cultures ? ». Vision intérieure de la réponse donc différence portée selon la culture de la personne interrogée). Le culturalisme pense que les gens se sont progressivement imprégnés de certains paysages culturels qui ont forgé leur vision du monde où les règles de ces sociétés sont leur culture (donc radicalement opposé au fonctionnalisme voir paragraphe 2 : passage en gras) Levi-Strauss (pour répondre à Sartre) voulait justement faire une synthèse entre fonctionnalisme (vision extérieure + règles) et culturalisme (vision intérieure + culture) pour trouver l’objectivité parfaite pour une société (ce qu’il appelait « l’anthropologie fine »). III- L’Ethnologie : une étude pratique de la diversité (Par M. Dominique FOURNIER : directeur de recherche au CNRS) L’ethnologie c’est le fait d’aller sur le terrain et de vivre avec les populations étrangères pour les étudier. On constate d’ailleurs qu’il y a de moins en moins de voyages car de moins en moins de cultures différentes persistent : on constate un effet « mouton de Panurge » où les Hommes préfèrent intégrer une culture dominante plutôt qu’imposer ou créer la leur… cela réduit les études sur la diversité actuelle. L’ethnologue doit d’ailleurs aller étudier les populations à l’intuition car il est l{ pour la découverte et non pour la confirmation d’idées sur les sociétés (l’ethnologie est donc la pratique qui induit ensuite la théorie anthropologue). Mission première de l’ethnologue : étudier les sociétés avec objectivité soit le respect des cultures (ne pas se prendre pour le « deus ex-machina » ou dieu descendant du ciel) et le fait de privilégier un contact direct avec les populations pour de meilleures informations plutôt que de dépêcher un médiateur ou informateur au lieu de se déplacer soi-même. Ensuite, il doit faire des relevés de végétaux et de la faune locale, du milieu aussi avant de discuter avec la population et il doit pratiquer des actes d’intégration (imiter les autres, les suivre, participer { la vie locale) : l’ethnologue doit être dans la recherche perpétuelle de l’échange (linguistique notamment) pour favoriser son étude culturelle et étudier les réactions des populations face à cet échange avec un inconnu. Il a aussi besoin d’une bonne entente avec la population car sinon son étude s’en retrouve freinée et la diversité et l’échange culturel seront mal démontrés si les 2 parties ne s’acceptent pas l’une et l’autre. L’ethnologie est donc la pratique impliquant ensuite l’anthropologie soit la théorie. L’Histoire (les faits), l’ethnologie (la pratique) et l’anthropologie (la théorie) sont donc complémentaires dans la mise en valeur de la diversification des cultures au fil des siècles !