Mémoire déposé au Comité permanent des finances concernant la fraude fiscale et le recours aux paradis fiscaux Présenté par Claude Vaillancourt, président Association pour la Taxation des Transactions financières et pour l’Action Citoyenne (ATTAC-Québec) Succ. Saint-Jean-Baptiste, C.P. 70012 Québec, QC, G1R 6B1 Février 2013 La fraude fiscale et le recours aux paradis fiscaux ATTAC-Québec vous remercie de cette invitation à comparaître au Comité permanent des finances. ATTAC, l’Association québécoise pour la Taxation des Transactions financières et pour l’Action Citoyenne, est une association non partisane présente dans une vingtaine de pays. Fondée en 2000, ATTAC-Québec s’applique à faire connaître les enjeux qui accompagnent la mondialisation financière, en particulier ceux entourant la taxation des transactions financières, les paradis fiscaux et le libre-échange. Nous nous réjouissons de l’attention portée à la fraude fiscale et aux paradis fiscaux par le gouvernement du Canada. Depuis sa création, notre association considère qu’il s’agit d’un problème majeur, créant toujours plus d’injustice et provoquant d’importantes difficultés budgétaires que doivent compenser les citoyens et citoyennes qui paient honnêtement leurs impôts. Nous nous permettons de souligner le rapport de l’OCDE intitulé Lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices1, qui démontre à quel point les fuites fiscales viennent affaiblir le bon fonctionnement des États, et donc, de la démocratie. Plusieurs enquêtes en Europe ont révélé que de grandes entreprises multinationales, telles Google, Apple, Amazon, Microsoft et Starbuck ne payaient pas leur juste part d’impôt, grâce à des montages financiers complexes et au recours aux paradis fiscaux. Rien ne permet de dire que le Canada échappe à de telles pratiques, parce qu’il a signé des conventions fiscales semblables à celles conclues par les Européens. Le problème devient flagrant lorsque l’on constate que la Barbade, pays de 280 000 habitants, et les Îles Caïmans, avec leurs 44 000 habitants, sont les troisième et quatrième destinations pour les investissements canadiens. S’attaquer à la fraude fiscale et aux paradis fiscaux nécessite, comme il est dit dans le rapport de l’OCDE, de remettre en question les conventions fiscales mises en place par de nombreux pays : « Il faudra pour cela sortir des schémas de pensée classiques, et faire preuve d’ambition aussi bien que de pragmatisme pour surmonter les difficultés pratiques de mise en œuvre, qui tiennent par exemple à l’existence des conventions fiscales actuelles. » (p. 12 ). Le Canada a signé sa part de conventions fiscales, mais les plus inquiétantes nous paraissent celles conclues avec des paradis fiscaux particulièrement actifs, comme la Barbade et Hong Kong, de même que les accords d’échange de renseignement fiscaux (AERF) négociés avec plusieurs paradis fiscaux des Caraïbes. ATTAC-Québec a dénoncé à plusieurs reprises la convention de double imposition signée avec la Barbade qui fait que les investissements canadiens directs dans ce pays sont de 53,3 milliards de dollars. Cette convention favorise, entre autres, le transfert de prix : elle permet à des compagnies d’enregistrer leurs profits à la Barbade, puis de rapatrier ces montants sans payer d’impôt au gouvernement canadien. Une convention semblable conclue l’automne dernier avec 1 Février 2013. Mémoire d’ATTAC-Québec, La fraude fiscale et le recours aux paradis fiscaux 1/3 Hong Kong permet dorénavant d’effectuer les mêmes manœuvres en Asie. Connaissant l’importance des échanges commerciaux avec ce continent, tout nous porte à croire qu’une pareille entente favorisera le même type de manipulations financières qui nuiront aux intérêts des Canadiens et des Canadiennes. Nous nous inquiétons aussi des AERF conclus avec la Suisse et de nombreux pays des Caraïbes2. Ces ententes peuvent sembler attrayantes, mais elles demeurent inefficaces et en viennent paradoxalement à faciliter l’évitement fiscal. Les conditions pour obtenir des renseignements sont d’abord trop exigeantes. Les renseignements sont donnés uniquement si on les demande, dans un contexte où les exceptions sont trop étendues et nombreuses, ce qui permet aisément de refuser les demandes d’information. De plus, « il est vraisemblable qu'un État puisse simuler sa participation dans la quête de renseignements sans que cette simulation ne puisse être mise à jour3. » Pour obtenir des conventions si peu fonctionnelles, le Canada a cédé beaucoup trop. En échange, les compagnies canadiennes implantées dans ces paradis fiscaux profitent d’une exemption d’imposition sur leurs revenus. Ainsi que l’avance la firme d’experts-comptables Deloitte : « Pour inciter ces pays à conclure un AERF avec le Canada, le Règlement de l’impôt sur le revenu a été modifié en 2008 pour étendre aux pays ayant conclu un tel accord le bénéfice de certaines dispositions fiscales touchant l’impôt des sociétés dont ne pouvaient auparavant jouir que les pays avec lesquels le Canada avait conclu une convention fiscale. En vertu de ces dispositions, si une juridiction conclut un AERF avec le Canada, le revenu tiré d’une entreprise exploitée activement réalisé par la société étrangère affiliée d’une société canadienne qui réside dans cette juridiction et qui y exploite une entreprise sera inclus dans le «surplus exonéré» et, par conséquent, les dividendes versés à la société canadienne par cette société étrangère affiliée ne seront pas assujettis à l’impôt canadien4. » D’autres pays comme les États-Unis et l’Australie n’ont pas conclu ce genre d’entente. Il nous semble évident que les conventions fiscales signées par le Canada contribuent à accentuer de façon significative les fuites fiscales. Les conventions fiscales créent une importante discrimination entre les entreprises. Selon le rapport de l’OCDE, certaines multinationales ne paient que 5 % d’impôts, alors que les petites et moyennes entreprises, dans de nombreux pays, paient jusqu’à 30 %. Nous croyons qu’une politique de réduction systématique de l’impôt de toutes les entreprises peut être dangereuse pour 2 Les Bahamas, les Bermudes, les Iles Caïmans, la Dominique, St. Kitts et Nevis, St. Vincent et Grenadines, Turks et Caïcos. 3 Arnaud Mary, Canada v. Recours aux paradis fiscaux/bancaires : dans quelle mesure la politique de lutte du Canada peut-elle être améliorée ?, Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en droit pour l'obtention du grade de Maître en droit. 4 Cité par Gilles L. Bourque dans «Le gouvernement Harper et les paradis fiscaux», Vie économique, vol. 3, no. 3. Mémoire d’ATTAC-Québec, La fraude fiscale et le recours aux paradis fiscaux 2/3 l’économie canadienne. Une étude du Congrès du travail du Canada démontre que les plus grandes entreprises non financières canadiennes n’investissent pas dans l’économie productive les centaines de milliards en liquidités qu’elles accumulent grâce aux baisses d’impôts5. Le ministre des Finances, Jim Flaherty, a reconnu lui-même l’ampleur d’un problème6 qui ne doit pas être accentué en permettant aux multinationales canadiennes — et elles uniquement — de contribuer encore moins à l’impôt. Cette mise en cause des conventions fiscales signées par le Canada doit aller de pair avec une volonté politique de s’attaquer aux fuites fiscales. La situation financière du Canada nécessite une pareille démarche. Au Québec, par exemple, des secteurs aussi vitaux que la santé et l’éducation demeurent sous-financés. Nous sommes convaincus que récupérer les montants qui nous reviennent, perdus à cause de l’évasion et l’évitement fiscaux, tous deux effectués à haute échelle, permettrait un financement plus adéquat des services publics essentiels. Voici donc les propositions d’ATTAC-Québec : • Le gouvernement du Canada doit faire une priorité de la lutte contre la fraude fiscale et le recours aux paradis fiscaux. Il doit financer des études pour chiffrer les montants de l’évasion et de l’évitement fiscaux — et cela sous toutes leurs formes — et pour mettre à jour les pratiques comptables qui permettent les fuites fiscales. Il doit aussi investir dans l’Agence de revenu du Canada afin que celle-ci puisse entreprendre les enquêtes nécessaires contre les fraudeurs et les planifications fiscales dommageables. • Le gouvernement du Canada doit mettre fin à toute négociation de convention fiscale selon le modèle actuel (conventions sur la double imposition ou AERF). Il doit, de plus, réviser en profondeur les conventions actuelles pour qu’elles ne favorisent plus les fuites fiscales. • Le gouvernement du Canada doit soutenir fermement la lutte contre les paradis fiscaux dans sa politique étrangère. Il doit s’associer aux autres pays qui entreprennent une pareille lutte. Il doit appuyer en priorité le Comité d’experts de la coopération internationale en matière fiscale à l’ONU. • Le gouvernement du Canada doit redistribuer les montants éventuellement récupérés grâce à la lutte contre les fuites fiscales dans les services publics et les programmes sociaux, qui ont été les principales victimes des baisses de revenus de l’État. Je vous remercie de votre attention. 5 6 Congrès du travail du Canada, Qu’est-ce que les réductions de l’impôt des sociétés ont apporté, 2013. Toronto Star, 21 août 2012. Mémoire d’ATTAC-Québec, La fraude fiscale et le recours aux paradis fiscaux 3/3