Exposition aux solvants organiques en milieu - BVS

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Pathologies
et populations
Exposition aux solvants organiques
en milieu professionnel : quel risque
pour le cerveau ?
Période : août 2010 à octobre 2010
Henri SCHROEDER
URAFPA, INRA UC340 – Nancy Université – Vandoeuvre les Nancy
Mots clés : Développement cérébral, Exploration sensorielle, Exposition professionnelle, Neurodégénérescence,
Solvants organiques, Toluène, Troubles neurologiques Parce qu’ils permettent de dissoudre d’autres substances chimiques, les solvants organiques (1) sont des composés qui sont très
largement présents dans de nombreuses applications professionnelles dès lors que des opérations de nettoyage, d’extraction, de
purification ou de solubilisation sont nécessaires. Ils sont ainsi utilisés dans de nombreux secteurs tels que l’industrie chimique,
l’industrie pharmaceutique, l’industrie agro-alimentaire, l’agriculture, le bâtiment, les activités de nettoyage, les laboratoires de
recherche… Le caractère volatile de ces produits fait que de nombreux travailleurs peuvent être facilement exposés par voie respiratoire
en plus de la voie cutanée avec un risque pour la santé non négligeable. Les résultats de l’enquête SUMER 2003 (2) ont ainsi montré
qu’en France près de 15 % des salariés étaient exposés à des solvants (DARES, 2004) avec une quantité globale de solvants utilisée de
548 000 tonnes (INRS, 2005). Les solvants organiques sont également très présents dans la vie courante dans des produits utilisés pour
le nettoyage, le bricolage, la peinture etc, renforçant ainsi le risque sanitaire pour les personnes exposées. Enfin, le facile accès à ces
produits ainsi que leurs propriétés euphorisantes font que les solvants organiques peuvent être utilisés en tant que drogues récréatives,
en particulier par les enfants et les adolescents. La toxicité cérébrale des solvants organiques est établie depuis de nombreuses années
avec une symptomatologie qui diffère selon le type d’exposition (Benignus et al., 2009 ; Dick, 2006 ; van Valen et al., 2009). Ainsi, une
exposition aiguë donne lieu à un tableau incluant une sensation d’ivresse, des maux de tête, des vertiges, des nausées, alors qu’une
exposition chronique se traduit par un ensemble de troubles neuropsychologiques regroupés sous le terme de psycho-syndrome
organique aux solvants (3). Enfin, des encéphalopathies chroniques peuvent être observées dans les cas les plus graves. Cependant, les
conséquences neurologiques à long terme d’une exposition prolongée à de faibles doses de solvants organiques restent à préciser,
ainsi que le lien potentiel qui pourrait exister entre une telle exposition et l’émergence d’une pathologie neurologique relevant par
exemple d’un mécanisme neurodégénératif. Ainsi, une méta-analyse publiée en 2008 (Meyer-Baron et al., 2008) incluant l’observation
de 53 groupes de travailleurs exposés à des solvants organiques et la mesure de 48 variables comportementales a conclu, au-delà d’une
altération globale des performances neurocognitives chez les personnes exposées, à des manques certains dans la méthodologie des
études analysées et donc à des difficultés quant à l’interprétation des résultats en termes de risque pour le cerveau. Au final, peu de
données existent sur les mécanismes impliqués dans la neurotoxicité des solvants organiques, mécanismes qui, dès lors qu’ils seraient
identifiés, permettraient de mieux envisager les risques neurologiques encourus avec ces produits chimiques.
Altérations de la vision des couleurs
chez des travailleurs exposés à différentes
concentrations de mélanges de solvants
organiques
Attachi MS, Labbafinejad Y, Mohammadi S. Occupational exposure
to different levels of mixed organic solvents and colour vision
impairment. Neurotoxicol Teratol. 2010 ; 32 : 558-562.
Analyse
Cette étude a eu pour but de déterminer le caractère neurotoxique
de l’exposition chronique à un mélange de solvants organiques
en milieu professionnel en étudiant la perception des couleurs (4)
chez des employés de l’industrie automobile travaillant dans
différents secteurs d’une même usine de production de voitures.
L’étude a inclus 408 ouvriers masculins parmi les 467 travaillant
depuis plus de 6 mois dans cette usine sur la base des réponses à
un questionnaire portant sur l’historique des troubles oculaires
du sujet ainsi que d’éventuelles plaintes relatives à la vision
des couleurs, et sur l’historique des personnes en matière
d’exposition aux solvants organiques. Ont été ainsi exclus de
l’étude toute personne présentant un trouble oculaire, un trouble
neurologique, ou ayant subi une exposition à des solvants dans
un travail précédent. Ces 408 ouvriers opéraient dans 3 ateliers
de production différents formant ainsi 3 groupes présentant
des caractéristiques d’exposition aux solvants organiques
différentes. Le premier groupe (G1, n = 152) était constitué
d’ouvriers travaillant sur une chaîne d’assemblage, secteur où
les activités ne les exposaient pas à des solvants organiques
tandis que les 2e (G2, n = 116) et 3e (G3, n = 140) groupes ont
inclus des travailleurs de 2 ateliers de peinture différents,
secteurs les exposant à des vapeurs de solvants organiques.
Les mesures atmosphériques ont montré que ces 2 groupes
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étaient exposés à des natures et des concentrations différentes
de solvants organiques du fait du caractère ancien ou non de
l’infrastructure de travail. Ainsi, le groupe G2 qui opérait dans
un atelier d’installation récente, était exposé à de faibles doses
de solvants organiques, les 4 solvants mesurés en majorité étant
l’acétone (42 ppm), le xylène (31 ppm), le toluène (5 ppm) et le
benzène (<0,01 ppm). Par contre, il est apparu que le groupe G3
subissait un niveau élevé d’exposition à ces solvants du fait du
caractère plus ancien des installations (xylène : 88 ppm, toluène :
8,1 ppm, tétrachloroéthylène : 6 ppm, benzène : 0,6 ppm). Les 408
ouvriers ont été évalués au plan de la discrimination des couleurs
avec un test 15HUE désaturé de Lanthony (5) selon une procédure
standardisée. Le test a été réalisé par un optométriste ignorant le
poste de travail de chaque ouvrier. L’interprétation des résultats
de ce test a été aussi bien qualitative (une ou plusieurs confusions
des couleurs) que quantitative (calcul de l’index de confusion des
couleurs, CCI). Les résultats ont révélé que 102 ouvriers, soit 25 %
de l’effectif recruté dans l’étude, présentaient un trouble de la
vision des couleurs et que la fréquence des troubles était plus
élevée dans les groupes 2 et 3 avec une anomalie relativement
spécifique de la discrimination des couleurs au niveau de l’axe
chromatique bleu-jaune. Il est aussi apparu que la fréquence
des troubles était plus élevée dans le groupe 3 (44,3 %) que dans
le groupe 2 (29,3 %). Les mêmes résultats ont été retrouvés en
analysant l’index quantitatif de vision des couleurs, à savoir
un CCI plus élevé chez les ouvriers du groupe G3 (atelier de
peinture ancien) que chez ceux de groupe G2 (atelier de peinture
récent), lui-même supérieur à celui du groupe G1 (chaîne
d’assemblage). Enfin, les résultats obtenus après ajustement
des variables mesurées sur l’âge, l’ancienneté dans le travail, et
les habitudes tabagiques ont confirmé le caractère significatif
de la relation entre l’exposition aux solvants organiques et les
troubles de discrimination des couleurs. La même relation a
été observée en prenant en compte le niveau d’exposition aux
solvants cumulé sur un an quelque soit le poste de travail. En
conclusion, une exposition chronique aux solvants organiques
en milieu professionnel à des niveaux d’exposition légèrement
ou fortement supérieurs à ceux autorisés paraît capable d’induire
des troubles neurosensoriels comme des modifications dans la
discrimination des couleurs. De tels résultats posent également
la question du devenir neurologique à long terme des personnels
exposés à de tels produits chimiques.
Commentaire
Cette étude est originale de par son caractère réaliste du
problème de la neurotoxicité de l’exposition chronique aux
solvants organiques. En effet, ont été prises en compte dans ce
travail l’existence d’une exposition à un mélange et non à une
substance seule, ainsi que la mesure du niveau d’exposition,
contrairement à de nombreux autres travaux publiés par ailleurs.
Il est à regretter le manque de précision dans la quantification
des niveaux d’exposition qui est donnée en ppm sans que l’on
sache si elle se rapporte par exemple à un volume. Cette étude
est également intéressante par les questions qu’elle soulève
au-delà de la confirmation de la toxicité visuelle de l’exposition
aux solvants organiques. Ce travail donne ainsi des arguments
pour recommander l’inclusion systématique d’un test de
discrimination des couleurs dans les bilans réalisés en médecine
du travail chez des ouvriers exposés à des solvants organiques,
mais aussi en milieu scolaire et universitaire du fait d’un usage
détourné possible de ces solvants. Enfin, de tels résultats
posent la question du devenir neurologique de ces personnes
présentant un trouble de la vision des couleurs lié à ces solvants.
La détection d’un tel trouble ne pourrait-elle pas constituer un
signe précurseur d’une pathologie neurologique plus lourde
de type neurodégénérative ? Au vu de la littérature actuelle, la
recherche d’un tel lien n’a pas été étudiée et reste donc à explorer.
Un cas de schizophrénie établi chez un jeune
homme exposé en milieu professionnel
à des fortes doses de solvants organiques
Stein Y, Finkelstein Y, Levy-Nativ O, Bonne O, Aschner M, Richter ED.
Exposure and susceptibility: schizophrenia in a young man following
prolonged high exposures to organic solvents. Neurotoxicology.
2010 ; 31 : 603-607.
Analyse
Cet article présente un cas de schizophrénie (6) chez un patient
âgé de 30 ans dont l’expression clinique est apparue à la suite
d’une exposition quotidienne à des solvants organiques au
cours d’une période de 6 mois dans le cadre de son travail. La
fonction de cette personne consistait à peindre des pièces pour
des ordinateurs dans un local exigu n’offrant aucune protection
vis-à-vis des vapeurs de solvants organiques pendant des temps
de travail pouvant dépasser 10 heures par jour. De même, il ne
portait aucun équipement de protection lors de son travail de
peinture. L’analyse du milieu a montré que cette personne avait
été exposée de façon massive à de nombreux solvants parmi
lesquels du xylène, du toluène, du triméthyl-benzène ainsi que
de l’acétone. Ce patient a été hospitalisé pour la première fois
à l’âge de 24 ans pour un état psychotique sévère 6 mois après
avoir commencé ce travail. De plus, il présentait des maux de
tête violents, un état de fatigue marqué, des signes d’irritation
cutanée, une conjonctivite sévère et un taux de transaminases
hépatiques (7) élevé. Sa famille a alors indiqué un changement
progressif de son comportement au cours de cette période
précédant l’hospitalisation marqué par un état dépressif, des
phases d’agitation, de l’irritabilité, des propos incohérents, une
perte d’appétit et une consommation abusive d’alcool. Jusqu’à
la prise de son travail, ce jeune homme était décrit comme étant
une personne sérieuse, équilibrée, sociale, ne consommant
pas d’alcool, pratiquant des activités sportives et présentant
un niveau d’études de niveau secondaire. Au cours des années
suivantes, ce patient a été hospitalisé plusieurs fois pour des
épisodes agressifs nécessitant son internement alors qu’il ne
travaillait plus et n’était donc plus exposé aux solvants. C’est au
cours d’une hospitalisation durant l’année 2000 qu’a été établi
pour la première fois le diagnostic de schizophrénie. En 2003,
le patient est décrit par les auteurs de cet article comme étant
dépressif et manquant totalement de motivation (il passait alors
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la majorité de son temps au lit). Au cours de la même période,
il a été évalué au plan de ses performances cognitives faisant
apparaître des troubles sévères en particulier de la mémoire
de travail (8). Pour autant, les scores qu’il a présenté pourraient
refléter d’avantage un manque de motivation dans l’exécution
des tests qu’une réelle déficience mnésique, un manque de
motivation étant décrit comme faisant partie de la cohorte des
symptômes négatifs caractéristiques de la schizophrénie. Les
hypothèses émises à partir du suivi de ce cas sont : 1) l’exposition
aux solvants organiques a révélé un état psychotique qui a ensuite
évolué sous forme d’une schizophrénie alors que le patient n’était
plus confronté à ces solvants, et 2) une exposition à des produits
chimiques potentiellement neurotoxiques comme les solvants
organiques pourrait être un déclencheur du processus menant
à un trouble neurologique chez des personnes présentant des
facteurs de susceptibilité (bien que cette hypothèse ait été
retenue dans le cas de ce patient, elle n’a pas pu être vérifiée
par l’étude en particulier du statut génétique de cette personne).
Enfin, l’évaluation du risque neurotoxique d’une exposition
chronique à de faibles doses de solvants ne peut être basée que
sur des cas cliniques comme celui-ci et se doit d’être étudiée avec
des effectifs plus larges dans le cadre d’études épidémiologiques
de manière à confirmer ou non ce risque.
Commentaire
Alors qu’il existe une littérature abondante sur les effets
d’une exposition à des solvants organiques sur divers registres
de performances comportementales, peu de choses ont
été rapporté en ce qui concerne le devenir neurologique de
personnes exposées de manière chronique à ces produits.
Quelques travaux ont été ainsi publiés sur les conséquences
d’une exposition aux solvants organiques, le plus souvent dans
le cas d’expositions abusives. Ce cas est sans doute l’un des
premiers qui permet de suspecter un lien entre une exposition
professionnelle à des solvants organiques, exposition qui
certes a été massive, et le développement d’une pathologie
psychiatrique de type schizophrénie. Des analyses de cas isolés
comme celui-ci sont régulièrement publiés dans la littérature
médicale. Si elles ne relèvent pas à proprement parler de la
démarche classique utilisée dans le domaine expérimental qui
elle s’appuie sur l’analyse statistique de résultats obtenus en
nombre, elles peuvent être indicatrices de l’existence possible
d’un lien comme celui exposé ici et susciter ainsi la réalisation
d’études épidémiologiques visant à rechercher de manière plus
systématique l’existence d’une telle relation. Par ailleurs, les
quelques publications existantes ont également montré qu’une
exposition chronique à de faibles concentrations de solvants
organiques, voire inférieures aux seuils réglementaires, pourrait
accroître le risque de survenue de troubles neurologiques, ce qui
renforce le besoin de réaliser de telles études épidémiologiques
pour confirmer ou non l’existence de ce risque.
Pathologies
et populations
Une exposition précoce au toluène altère
l’expression des sous-unités du récepteur
NMDA du glutamate ainsi que des signaux
de transduction dans l’hippocampe de jeunes
souriceaux
Win-Shwe TT, Yoshida Y, Kunugita N, Tsukahara S, Fujimaki H.
Does early life toluene exposure alter the expression of NMDA
receptor subunits and signal transduction pathway in infant mouse
hippocampus? Neurotoxicology. 2010 ; 31 : 647-653.
Analyse
Alors que la neurotoxicité comportementale du toluène a été
largement étudiée tant chez l’animal adulte qu’au cours du
développement, les mécanismes d’action sous-jacents et les
cibles cellulaires et moléculaires du toluène restent à préciser.
Ce travail a donc visé à caractériser les effets d’une exposition
répétée au toluène réalisée chez la souris au cours de la gestation
ou au cours de la période précoce du développement postnatal,
sur la fonctionnalité cérébrale mesurée dans l’hippocampe (9)
des animaux plusieurs jours après l’exposition. Trois groupes
d’animaux ont été exposés au toluène par inhalation 6 heures
par jour pendant 5 jours à 3 doses différentes : 0 ppm (groupe
contrôle), 5 ppm (dose faible) et 50 ppm (dose toxique). Enfin,
3 périodes d’exposition différentes ont été choisies : une
exposition du 14e au 18e jour de gestation, une exposition du 2e
au 6e jour de vie postnatale (le jour 0 est celui de la naissance),
ou une exposition du 8e au 12e de vie postnatale. Quelle que soit
la période d’exposition, les animaux ont été euthanasiés à l’âge
de 21 jours de vie postnatale, le cerveau prélevé et l’hippocampe
disséqué. L’expression de gènes d’intérêt incluant des sousunités constitutives du récepteur NMDA du glutamate (sousunités NR1, NR2A et NR2B) ainsi que de facteurs de signalisation
intracellulaire (CREB1, CamK-IV, Bax, Bcl-2, ARN 18S) a été mesurée
par une technique de RT-PCR quantitative en temps réel (10). Les
résultats ont montré des profils d’expression différents selon
la période d’exposition et la dose utilisée. Ainsi, les souris nées
des mères exposées lors de la gestation n’ont montré aucune
modification de l’expression de ces différents gènes aux 2
doses étudiées. Lorsque l’exposition est survenue au début de
la période de vie postnatale (Jour 2 à 6), seuls certains gènes ont
été surexprimés (NR2B, CamK-IV et CREB1) et uniquement chez
les animaux exposés à la plus forte dose (50 ppm). Enfin, tous
les gènes étudiés sont apparus être surexprimés aux 2 doses
étudiées (5 et 50 ppm) dans le cas d’une exposition réalisée à un
âge plus tardif (Jour 8 à 12). Ces premiers résultats suggèrent donc
que le cerveau présente une période de vulnérabilité à la toxicité
du toluène relativement tardive au cours du développement
postnatal. De manière à caractériser les conséquences
fonctionnelles des modifications moléculaires observées dans
l’hippocampe chez les animaux exposés entre le 8e et le 12e jour
de vie postnatale, les souris exposées ont été testées au plan
de leurs performances d’apprentissage à l’âge de 49 jours de vie
postnatale dans le labyrinthe aquatique de Morris (11). Seule la
dose la plus réaliste d’une exposition environnementale (5 ppm)
a été étudiée. Ces animaux ont alors montré des difficultés
d’apprentissage sans altérations du comportement moteur,
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et populations
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suggérant que les modifications de la fonctionnalité synaptique
observées dans l’hippocampe à 21 jours de vie postnatale sont
à même d’induire des troubles comportementaux d’occurrence
plus tardive.
Commentaire
Le fœtus, le nouveau-né et le jeune enfant sont également des
cibles potentielles de l’exposition aux solvants organiques que
ce soit au travers de la mère exposée au cours de la grossesse ou
de la période d’allaitement, ou bien directement dans le milieu
domestique, dans le milieu de travail ou lors de l’utilisation de
ces produits à des fins toxicomanes. Cette étude est originale
par le fait qu’elle appréhende pour la première fois cette question
en intégrant dans le modèle animal utilisé le rôle de la dose et
de la période d’exposition. Un autre aspect original est qu’elle
explore les conséquences fonctionnelles de l’exposition précoce
au toluène à différents moments après la période d’exposition.
En montrant que les solvants organiques, ici le toluène, peuvent
induire de manière durable des perturbations de la morphologie
et de la fonctionnalité synaptique ainsi que des troubles
comportementaux liés à l’apprentissage et la mémoire, cette
étude renforce l’idée d’un risque neurotoxique à long terme et
de l’émergence de pathologies neurodégénératives du fait d’une
exposition chronique à de faibles doses de solvants.
Conclusion générale
Les solvants organiques sont sans aucun doute l’une
des familles de composés chimiques les plus répandues,
à laquelle est exposée une large part de la population
humaine que ce soit dans le milieu professionnel ou dans
l’environnement domestique. De plus, les populations
concernées sont autant les adultes que les enfants ou
les nouveau-nés. Le caractère neurotoxique des solvants
organiques est reconnu mais il a été établi le plus
souvent à partir d’études de toxicologie expérimentale
menées chez l’animal comme celle présentée ici
(Win-Shwe et al., 2010). Si de telles études permettent
de mieux cerner les modalités et les mécanismes de
la toxicité cérébrale des solvants organiques, elles
restent cependant éloignées de la réalité humaine du
fait même du modèle utilisé. Ces données se doivent
donc d’être confirmées par des enquêtes menées chez
l’Homme incluant aussi bien la description de cas isolés
que des études épidémiologiques comme celles qui ont
été rapportées dans cette note (Attachi, Labbafinejad,
Mohammadi, 2010 ; Stein et al., 2010). Jusqu’à présent,
l’évaluation d’une relation entre une exposition
chronique à de faibles doses de solvants organiques et
la survenue de troubles neurologiques à moyen et long
terme n’a été abordée que de manière « empirique »
et non dans des études systématiques permettant
d’exclure plus particulièrement de nombreux facteurs de
confusion. Très souvent, les enquêtes menées en milieu
professionnel ne présentent pas de caractérisation de
l’exposition (produits identifiés, niveaux d’exposition),
ce qui rend difficile l’interprétation des résultats
obtenus. Par exemple, une étude publiée en 2009
(Saddik et al., 2009) a montré l’existence de troubles
neuropsychologiques chez des adolescents âgés de 10 à
17 ans travaillant dans différentes activités de peinture
selon le niveau d’exposition à plusieurs solvants
organiques. Sur ce dernier point, les résultats sont
communiqués sous forme d’un index (hygienic effect
index) qui, s’il est inférieur à 1 atteste d’une exposition
à des niveaux inférieurs aux limites prescrites en
matière de risque, et s’il est supérieur à 1 indique un
niveau élevé d’exposition. Alors que les concentrations
atmosphériques de 6 solvants (benzène, styrène,
xylène, toluène, n-hexane, méthyl-éthyl cétone) ont
été mesurées, il est dommage que les résultats n’aient
été communiqués que sous la forme de cet index. Par
ailleurs, beaucoup d’études ne s’intéressent qu’à un
produit et non à des mélanges alors que les ouvriers
sont la plupart du temps exposés à plusieurs solvants
en même temps. L’étude publiée par Attarchi et ses
collaborateurs (2010) qui est présentée dans cette note
est donc novatrice en amenant des données d’exposition
en parallèle de l’expertise des travailleurs exposés. Enfin,
seuls des travaux sporadiques ont abordé la question
de l’implication d’une exposition chronique à des
solvants organiques dans l’émergence possible à long
terme de troubles neurologiques neurodégénératifs
(voir le cas rapporté par Stein et ses collaborateurs
(2010) dans la présente note) alors que des approches
psychométriques commencent à être mises en place
dans le cadre du suivi médical des employés exposés à
ces solvants. Au-delà des troubles sensoriels mesurés
lors de la période d’activité des employés (confusion des
couleurs dans le cas de ces solvants), la question de la
signification des troubles sensoriels détectés en tant que
marqueurs potentiels du développement de pathologies
neurodégénératives à long terme se doit d’être posée.
Lexique
(1)Les solvants organiques : un solvant est un liquide qui a la
propriété de dissoudre d’autres substances chimiques sans
les modifier chimiquement et sans se modifier lui-même.
Ils sont classés en solvants inorganiques comme l’eau, ou en
solvants organiques comme le toluène, l’acétone, etc… qui
sont-eux-mêmes subdivisés en 4 grandes familles telles que
les solvants hydrocarbonés aromatiques ou non, les solvants
oxygénés, les solvants halogénés, et quelques solvants
particuliers. La plupart de ces solvants sont néfastes pour
la santé humaine et peuvent pénétrer dans l’organisme
par passage transcutané, par inhalation et absoqrption
pulmonaire, ou bien lors d’ingestions accidentelles. Ces
Anses • Bulletin de veille scientifique n o  14 • Santé / Environnement / Travail • Juin 2011
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Exposition aux solvants organiques en milieu professionnel : quel risque pour le cerveau ?
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composés peuvent ainsi avoir une action irritante sur la
peau et les muqueuses, et exercer une toxicité spécifique
au niveau d’organes comme le foie, le rein ou le système
nerveux central.
(2)L’enquête SUMER 2003 : l’enquête SUMER pour SUrveillance
MEdicale des Risques professionnels est une enquête
transversale qui a été menée au cours des années 2002
et 2003 par la DARES (Direction de l’Animation de la
Recherche, des Études et des Statistiques) et la DRT (Direction
du Travail) dans le but de fournir une évaluation des
expositions professionnelles des salariés, de la durée des ces
expositions, et des protections collectives ou individuelles
éventuelles mises à disposition.
(3)Le psycho-syndrome organique aux solvants : l’exposition
chronique à des solvants organiques peut entraîner
l’apparition de nombreux symptômes neurologiques et
psychologiques regroupés sous le terme de psycho-syndrome
organique aux solvants. Les premières phases de ce syndrome
sont réversibles, ce critère dépendant fortement du degré
d’exposition aux solvants incluant le niveau et la durée de
l’exposition.
(4)La perception des couleurs : chez l’Homme, la vision des
couleurs est trichromatique du fait de l’existence de 3
populations de cônes, les rouges, les verts et les bleus
au niveau de la rétine de l’œil. Au final, c’est le travail
d’intégration des signaux transmis par ces 3 populations de
cônes qui est effectué dans les aires visuelles du système
nerveux central qui va permettre la perception de la couleur
réellement perçue en tout point de la rétine. Il a été ainsi
établi par la Compagnie Internationale de l’Eclairage que
l’Homme est à même de distinguer près de 300 000 couleurs
différentes dans un spectre compris entre 380 nm (limite de
l’ultra-violet) et 780 nm (limite de l’infra-rouge).
(5)Le test 15HUE désaturé de Lanthony : ce test vise à étudier
chez un sujet sa capacité à discriminer les couleurs les unes
par rapport aux autres en lui demandant de classer 15 pastilles
dont la couleur ne diffère que par sa tonalité. Chez un sujet
de présentant pas de confusion des couleurs, on obtient un
classement des pastilles dans un diagramme établi par la
Compagnie Internationale de l’Eclairage qui se superpose
à un cercle témoin servant de référence. Lors d’un trouble
de confusions des couleurs, le désordre dans le classement
des pastilles se traduit sur le diagramme par une perte de la
forme circulaire. Il s’agit d’un test rapide et simple à mettre
en œuvre mais qui présente un manque certain de fiabilité.
(6)La schizophrénie : il s’agit d’une psychose qui est caractérisée
par une cohorte de symptômes classés en différentes
catégories : les symptômes positifs, les symptômes
négatifs, une désorganisation du comportement et/ou de
la personnalité, des troubles cognitifs et des perturbations
émotionnelles. C’est une pathologie chronique qui survient
chez le sujet jeune, qui atteint de l’ordre de 1 % de la
population, et qui pourrait être liée aussi bien à des facteurs
génétiques qu’environnementaux.
Pathologies
et populations
(7)Les transaminases hépatiques : les transaminsases sont des
enzymes qui participent ainsi à la synthèse de nouveaux
acides aminés qui ne sont pas présents dans le milieu. Elles
sont présentes dans tous les tissus et sont libérées lors d’une
nécrose tissulaire. L’augmentation plus spécifique de l’une ou
l’autre activité de ces enzymes est indicatrice de l’origine de
la nécrose tissulaire.
(8)La mémoire de travail : il s’agit d’une forme de mémoire qui
correspond à la fonction de traitement des informations
à l’intérieur de la mémoire à court terme et qui fait le lien
avec la mémoire à long terme. Cette forme de mémoire
intervient dans de nombreuses formes de tâches cognitives
comme la compréhension, l’apprentissage, le raisonnement,
la résolution de problèmes, etc.
(9)L’hippocampe : il s’agit d’une région du cerveau qui comporte
un réseau de neurones très bien organisé présentant des
propriétés fonctionnelles spécifiques qui sont à la base
des processus d’apprentissage et de mémorisation. Si elle
participe à la mémoire en permettant l’association des
différents éléments constituant un souvenir, cette région
n’est pourtant pas le lieu où l’information est stockée. Il est
à noter que des altérations de cette région du cerveau sont
décrites dans de nombreux troubles neurologiques comme la
maladie d’Alzheimer, l’épilepsie ou des accidents hypoxiques/
ischémiques.
(10)La technique de RT-PCR quantitative en temps réel : c’est
une technique qui vise à quantifier un type d’ARN dans un
échantillon biologique donné de façon relative par rapport à
celle d’un ou plusieurs gènes de référence.
(11)Le labyrinthe aquatique de Morris : il s’agit d’un test
d’apprentissage spatial qui consiste en une piscine ronde
remplie d’eau trouble dans laquelle est immergée une plateforme juste en-dessous du niveau d’eau. L’animal doit donc
parcourir la piscine en nageant jusqu’à trouver la plate-forme
sur laquelle il peut se réfugier. Essai après essai, le temps mis
par l’animal pour trouver cette plateforme diminue et reflète
sa capacité à apprendre la localisation de ce lieu de refuge.
Publications de référence
Benignus VA, Bushnel, PJ, Boyes WK et al. Neurobehavioral
effects of acute exposure to four solvents: Meta-analyses. Toxicol
Sci. 2009 ; 109 : 296-305.
DARES. L’exposition aux risques et aux pénibilités du travail
de 1994 à 2003. Premiers résultats de l’enquête SUMER 2003.
Premières informations et premières synthèses. 2004 ; 52 : 1-8.
Dick FD. Solvent neurotoxicity. Occup Environ Med. 2006 ; 63 :
221-226.
INRS. Panorama de l’utilisation des solvants en France fin 2004.
Cahiers de notes documentaires. 2005 ; 199 : 65-97.
Meyer-Baron M, Blaszkewicz M, Henke H et al. The impact of
solvent mixture on neurobehavioural performance – Conclusions
from epidemiological data. Neurotoxicology. 2008 ; 29 : 349-360.
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Pathologies
et populations
Exposition aux solvants organiques en milieu professionnel : quel risque pour le cerveau ?
Henri SCHROEDER
Saddik B, Williamson A, Black D et al. Neurobehavioral
impairment in children occupationally exposed to mixed organic
solvents. Neurotoxicology. 2009 ; 30 : 1166-1171.
van Valen E, Wekking E, van der Laan G et al. The course of
chronic solvent induced encephalopathy: A systematic review.
Neurotoxicology. 2009 ; 30 : 1172-1186.
Revues de la littérature
Win-Shwe TT, Fujimaki H. Neurotoxicity of toluene. Toxicol Lett.
2010 ; 198 : 93-99.
Gordon CJ, Gottipolu RR, Kenyon EM et al. Aging and susceptibility
to toluene in rats: A pharmacokinetic, biomarker, and
physiological approach. Journal of Toxicology and Environmental
Health - Part A: Current Issues. 2010 ; 73 : 301-318.
Pascual R, Aedo L, Meneses JC et al. Solvent inhalation (toluene
and n-hexane) during the brain growth spurt impairs the
maturation of frontal, parietal and occipital cerebrocortical
neurons in rats. Int J Dev Neurosci. 2010 ; 28 : 491-495.
Autres publications identifiées
Nilson LN, Karlson B, Nise G et al. Delayed manifestations of
CNS effects in formerly exposed printers – A 20-year follow-up.
Neurotoxicol Teratol. 2010 ; 32 : 620-626.
Cette étude présente les résultats de l’évaluation
neuropsychologique de 12 ouvriers d’imprimerie qui ont été exposés
à de faibles concentrations de solvants organiques en comparaison
avec l’évaluation réalisée 20 ans auparavant chez ces mêmes
personnes. Un groupe de 19 personnes non-exposées et examinées
dans les mêmes conditions a été utilisé comme référence. Les
résultats font apparaître des troubles cognitifs plus marqués
chez les ouvriers d’imprimerie que chez les témoins dans certains
registres liés à l’attention, au raisonnement et aux apprentissages
associatifs. Un léger trouble de l’humeur a été également observé.
Cette étude est intéressante car elle va dans le sens des questions
quant au risque neurologique de l’exposition chronique à de faibles
doses de solvants organiques en milieu professionnel. Pour autant,
cette étude n’a pas été retenue compte-tenu du faible nombre de
sujets inclus dans l’étude, du manque de contrôle de facteurs de
confusion possibles et de la non-caractérisation de l’exposition.
Perrine SA, O’Leary-Moore SK, Galloway MP et al. Binge
toluene exposure alters glutamate, glutamine and GABA in the
adolescent rat brain as measured by proton magnetic resonance
spectroscopy. Drug Alcohol Depend. 2010 ; sous presse.
Dans ce travail, les auteurs ont analysés les concentrations
tissulaires de plusieurs neurotransmetteurs dans le cortex
préfrontal, le striatum antérieur et l’hippocampe de jeunes rats
adultes, 1 ou 7 jours après une inhalation quotidienne de toluène
pendant une semaine. Les modifications des concentrations
de neurotransmetteurs, en particulier une semaine après
l’exposition, ont amené les auteurs à conclure sur une forme
de neurotoxicité spécifique du toluène qui serait dépendante
de l’âge et qui s’exprimerait de manière retardée par rapport à
l’exposition, soulignant le risque de toxicité cérébrale à terme
qui pourrait exister chez les enfants et les adolescents ayant des
conduites toxicomanes avec des solvants organiques. Les niveaux
d’exposition très élevés (8 000 et 12 000 ppm) utilisés dans cette
étude relèvent plus du problème des intoxications aiguës et non
des expositions chroniques à faibles doses, ce qui a amené l’auteur
de la note à ne pas analyser cette publication.
Seo HS, Yang M, Song MS et al. Toluene inhibits hippocampal
neurogenesis in adult mice. Pharmacol Biochem Behav. 2010 ;
94 : 588-594.
Cette étude a eu pour but d’analyser le décours temporel de
plusieurs marqueurs de la neurogenèse suite à une intoxication
aiguë avec du toluène ainsi que la toxicité comportementale de
cette intoxication. Pour cela, les animaux ont reçu du toluène
à la dose de 500 mg/kg par voie i.p. (dose correspondant à une
inhalation de courte durée de 3 300 ppm de toluène) et sacrifiés à
des temps prédéterminés. Les résultats ont montré une altération
réversible de la neurogenèse dans l’hippocampe 24 heures après
l’administration de toluène. L’atteinte de la neurogenèse est
apparue corrélée avec un comportement dépressif et des troubles
d’apprentissage mesurés au même moment. Le manque de réalité
du modèle utilisé dans cette étude (administration par injection,
dose élevée) et l’absence d’investigations des effets du toluène
à une plus grande distance de l’administration font que cette
publication n’a pas été retenue pour analyse.
Mots clés utilisés pour la recherche
bibliographique
Benzene, Brain disease, Brain toxicity, Childhood, Developing
brain, Neurodegenerative, Neurotoxicity, Occupational exposure,
Organic solvents, Toluene, Xylene
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