culture populaire et résistance culturelle régionale

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CULTURE POPULAIRE
ET RÉSISTANCE CULTURELLE RÉGIONALE
Logiques Sociales
Collection dirigée par Bruno Péquignot
En réunissant des chercheurs, des praticiens et des essayistes, même si la
dominante reste universitaire, la collection Logiques Sociales entend favoriser
les liens entre la recherche non finalisée et l'action sociale.
En laissant toute liberté théorique aux auteurs, elle cherche à promouvoir les recherches
qui partent d'un terrain, d'une enquête ou d'une expérience qui augmentent la
connaissance empirique des phénomènes sociaux ou qui proposent une innovation
méthodologique ou théorique, voire une réévaluation de méthodes ou de systèmes
conceptuels classiques.
Dernières parutions
Marc-Antonin HENNEBERT, Les alliances syndicales internationales,
des contre-pouvoirs aux entreprises multinationales, 2010.
Marcel FAULKNER, Travail et organisation. Regards croisés sur la
recherche sociologique, 2010.
Olivier MAZADE, La reconversion des hommes et des territoires. Le
cas Metaleurop, 2010.
Mustafa POYRAZ, Loïc GANDAIS, Sükrü ASLAN, Les quartiers
populaires et la ville : les varo et les banlieues parisiennes, 2010.
Steve GADET, La fusion de la culture hip-hop et du mouvement
rastafari, 2010.
Jean-Olivier MAJASTRE, La culture en archipel. Pratiques culturelles
et mode de vie chez les jeunes en situation d’apprentissage précaire,
2010.
Lucie JOUVET, Socio-anthropologie de l’erreur judiciaire, 2010.
Eric GALLIBOUR et Yves RAIBAUD, Transitions professionnelles
dans le monde associatif et l’animation, 2010.
Stéphanie VINCENT, L’action publique face à la mobilité, 2010.
Marie-Christine ZÉLEM, Politiques de maîtrise et de la demande
d’énergie et résistances au changement, 2010.
ZHENG Lihua, YANG Xiaomin, La confiance et les relations sinoeuropéennes, 2010.
Hugues-Olivier HUBERT, Céline NIEUWENHUYS, L’aide
alimentaire au cœur des inégalités, 2010.
Paul DUCOURNAU, Mettre en banque l’ADN. Enquête sur une
biopolitique du consentement, 2010.
Jean-Pierre SIRONNEAU, Lien social et mythe au fil de l’histoire, 2009.
Josette COENEN-HUTHER, L’égalité professionnelle entre hommes et
femmes : une gageure, 2009.
Mahir KONUK, Jeunes originaires de Turquie entre l’école et la
communauté, 2009.
Magali PAGÈS
CULTURE POPULAIRE
ET RÉSISTANCE CULTURELLE RÉGIONALE
Fêtes et chansons en Catalogne
Préface d’Antigone Mouchtouris
© L’Harmattan, 2010
5-7, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
[email protected]
[email protected]
ISBN : 978-2-296-11856-0
EAN : 9782296118560
« La bonne voie est celle qui mène à la vie, au soleil.
On ne peut avoir froid sans cesse… »
Albert Camus, Les Justes, acte V.
PRÉFACE
La culture régionale est un élément constituant de la culture
populaire. Magali Pagès, en mobilisant le concept de la résistance
culturelle, nous a permis de comprendre que la culture régionale aurait
disparu sans cet effort. Envisager d’étudier ce champ à travers cette
optique contribue à alimenter la connaissance de pratiques culturelles
associées à un état d’esprit et un espace-temps particuliers.
La culture populaire régionale se définit en interaction avec son
propre environnement et la pression culturelle dominante : elle est à la
fois fermée et ouverte au monde. Cette situation paradoxale donne sa
force à la culture populaire, fermée aux influences des autres tendances
culturelles et ouverte aux autres pour pouvoir résister et s’affirmer. Cette
particularité Magali Pagès nous l’a démontrée d’une manière
convaincante.
Dans cette recherche, elle a su rester neutre dans une région aux
enjeux militants assez importants ; tout en travaillant sur la résistance
culturelle, elle n’a pas succombé à la facilité du seul côté folklorique. Au
contraire, par l’analyse des mécanismes de la résistance culturelle, elle
nous a persuadés qu’il y a une autre fonctionnalité des expressions
culturelles que celle du divertissement, celle de leur dimension politique.
Ces efforts témoignent d’un esprit de recherche, non seulement au
niveau du sujet, mais également par la méthode utilisée afin d’explorer
un champ qui peut simplement être biaisé par des considérations
militantes. Ainsi, elle contribue à enrichir l'édifice de la culture populaire
régionale.
La recherche du terrain s’avère toujours complexe. Elle-même a
dû, après avoir constitué un corpus des chansons, vérifier leur valeur
auprès de différents informateurs et mesurer le passage du temps sur les
paroles poétiques.
Dans cette partie de son ouvrage, elle nous a permis, en utilisant
une analyse très fine, de comprendre la juxtaposition des deux cultures,
catalane et pyrénéenne. Cette dernière donnée élargit notre conception de
la culture régionale ; ainsi la culture populaire est le fruit de plusieurs
apports culturels, notamment au niveau de l'imaginaire issu de plusieurs
composantes.
Dans cette région, les matériaux des manifestations populaires ont
été très peu développés dans les recherches sociologiques et
anthropologiques. Elle a donc dû prospecter sur des terrains tout à fait
vierges. Ainsi, elle a su mettre en évidence la double fonction de la
7
culture populaire régionale, présente à la fois dans l’expression de la vie
quotidienne et dans le maintien d'une tradition en couleurs locale et
politique. C’est dans cette optique que son corpus a été divisé en deux
parties : celui des chansons et celui des fêtes populaires.
Grâce à cet ouvrage, nous avons la description détaillée de l'organisation
des fêtes et de la répartition des rôles en fonction de l'âge et du sexe ; et
encore du contenu inspiré des fêtes pyrénéennes, et de l'organisation
générale festive, soumise à un ordre très strict.
Elle a aussi fait avancer par une lecture originale de cette manifestation,
en considérant la dimension symbolique de la fête de l'ours comme une
métaphore de la lutte de la domination entre l'animal et l'homme, entre la
nature et la culture.
La ritualisation annuelle de cette expression montagnarde paraît être une
théâtralisation qui met en exergue et en représentation les peurs
archaïques de l’homme ; celle d’être menacé par l'animal, et les
interrogations qu’il se pose à propos de sa survie. L'ampleur de la fête
par la participation du public introduit une dimension fort intéressante,
d’une part le topos de la cohésion sociale et d’autre part de considérer la
fête comme métaphore sociale.
Dans cet ouvrage, la place de la culture orale est très importante.
Magali Pagès nous démontre comment l’oralité exprimée par le chant,
très présent, devient le support par excellence de la résistance
culturelle.
Les thèmes récurrents de ces chansons sont le territoire, la religion, les
acteurs et les scènes de la vie quotidienne.
Le territoire est une catégorie qui définit en soi la culture populaire
régionale. Il façonne la dimension de l’identité, provoquant un
attachement vif, ce que nous constatons dans toutes les expressions
culturelles régionales. Quitter la mère nourricière provoque une tristesse.
Les acteurs de ces chansons représentent les gardiens des traditions, de
l'esprit catalan, créant une unité de la région.
Nous constatons aussi une répartition particulière des rôles masculins et
féminins : l'homme doit vouer sa vie à la terre catalane et la femme est
avant tout la mère, celle qui nourrit ses enfants en leur transmettant les
valeurs patriotiques. Avec ces rôles sociaux attribués aux acteurs, la
résistance culturelle s’illustre sous nos yeux.
D’ailleurs dans les chants dits religieux, la place essentielle est vouée à
la Vierge Marie, protectrice des personnes qui souffrent, ayant elle-même
connu la souffrance. Cette vénération, nous la trouverons dans la plupart
des expressions populaires du sud de l'Europe. Ainsi nous nous
apercevons que cette culture a été nourrie par les croisements d’autres
8
imaginaires, et, dans l’analyse du contenu, nous pouvons entrevoir les
différentes influences méditerranéennes. Dans la description des fêtes,
nous voyons clairement comment les habitants de cette région se sont
engagés dans leur vie quotidienne pour maintenir vivaces ces traditions.
Nous avons un excellent exemple de la culture artistique qui participe à
la construction de la transmission et à la résistance culturelle.
Cet ouvrage ouvre des perspectives à la fois sur l’imaginaire, en
mobilisant le concept de la résistance culturelle et d’autre part sur la
fonctionnalité en démontrant la dimension métaphorique des expressions
de la culture populaire.
Nous saluons, par ailleurs, la détermination et l’esprit d’indépendance
dont Magali Pagès a fait preuve tout au long de cet ouvrage et nous lui
savons gré d’avoir su mobiliser de manière aussi pertinente le concept de
résistance culturelle.
Antigone Mouchtouris
Professeure de Sociologie
Université de Metz
Directrice de recherche
Laboratoire GEPECS Paris V Descartes
9
INTRODUCTION
Au XXIeme siècle, dans les différentes régions françaises, les
populations autochtones maintiennent la pratique des traditions locales.
La culture régionale regroupe deux catégories d’acteurs : les militants
dont la majorité des actions politiques visent exclusivement l’autonomie
régionale ; et les traditionalistes villageois dont l’objectif est de produire
de la résistance culturelle. Ces derniers expriment leur militantisme
régional à travers des expressions culturelles et identitaires, telles les
fêtes traditionnelles. La dimension politique de leurs activités, qui n’est
pas aussi explicite que chez les militants politiques, se manifeste par
leurs efforts à maintenir dans le temps le pouvoir culturel. De fait, la
notion de transmission intergénérationnelle est importante au sein des
populations villageoises. Les différentes générations de villageois
travaillent sans cesse à l’adaptation de leur patrimoine traditionnel aux
différentes conjonctures historiques. Dans la micro-région catalane du
Vallespir, l’ensemble des activités festives permet aux populations
locales d’introduire dans la réalité moderne les conditions de vie passées
des anciennes communautés agricoles. Les acteurs veulent conserver la
mémoire de leurs ancêtres ayant vécu sur le territoire régional.
Lorsque nous observons les sociétés villageoises vallespiriennes,
force est de constater l’importance des pratiques traditionnelles à
l’occasion du carnaval, de la fête de l’ours, des fêtes pascales, de la
Saint-Jean, des pèlerinages religieux et de la grande fête du village. Les
acteurs se rendent expressément disponibles pour pouvoir y assister et
exprimer par-là même leur particularisme culturel fondé sur le territoire
montagnard, le mode de vie des anciennes populations agricoles et la
culture catalane. Ce phénomène de résistance culturelle, qui se distingue
très nettement du militantisme politique régional, conduit les acteurs à
maintenir des traditions locales qui constituent ce qu’ils nomment
« l’âme » de leur vallée et du village.
Les pratiques culturelles des traditionalistes vallespiriens relèvent
véritablement de la culture populaire dans la mesure où ces derniers
assurent la continuité voire la pérennité d’un mode de vie passé. Plus
exactement, ces individus procèdent à une résistance culturelle consistant
à conserver sans cesse au fil des siècles, la mémoire des anciennes
communautés villageoises ayant évolué sur le territoire régional. La
résistance culturelle fait advenir dans la réalité du XXIeme siècle, les
valeurs traditionnelles qui, par le passé, déterminaient les conditions de
vie des populations locales. Le maintien de ce mode de vie passé permet
11
la construction et la conservation de l’univers anthropopoiétique1
régional. De cette manière, en répétant annuellement les fêtes
traditionnelles, les habitants du Vallespir procèdent à de la résistance
culturelle, car ils expriment les valeurs caractéristiques des anciennes
sociétés agricoles et montagnardes. Cet état d’esprit catalan et pyrénéen
se transmet entre les différentes générations de Vallespiriens, car les fêtes
traditionnelles conduisent les acteurs à réinvestir le savoir commun2
spécifique aux communautés villageoises. Il s’agit de tous les savoirs et
savoir-faire traditionnels : la langue catalane, les danses et les musiques
de sardane, les chansons populaires ainsi que les différents gestes
spécifiques aux divers évènements célébrés (rasage de l’ours,
embrasement du feu de la Saint-Jean, etc.).
En répétant annuellement les mêmes gestes, en prononçant les
mêmes discours et en interprétant les chants spécifiques à chaque fête
traditionnelle, les acteurs fomentent leur résistance culturelle. Ils
expriment par le langage oral et corporel, les valeurs fondamentales de la
vie communautaire villageoise, qui diffèrent de celles diffusées par les
mass médias privilégiant l’universalité des pratiques culturelles. Malgré
le processus de globalisation culturel, les Vallespiriens construisent et se
maintiennent dans leur propre univers anthropopoiétique à l’intérieur
duquel ils font advenir les valeurs traditionnelles constitutives de la
réalité sociale de leur culture régionale.
Le maintien des traditions régionales permet également, au fil des
siècles, la conservation du lien social rassemblant tous les individus au
sein du corps communautaire villageois. Ainsi, la résistance culturelle se
présente comme garante de la mémoire des populations régionales et
simultanément elle traduit leur adaptation à la réalité politique,
économique, sociale- moderne.
La notion de la résistance culturelle permet au chercheur de
dépasser la conception politique de la culture régionale et de l’inclure
dans le domaine de la culture populaire. Au-delà du militantisme
politique et du phénomène de contre-culture, le maintien des activités
traditionnelles dans les espaces ruraux, revêt une véritable fonction
sociale. Par-là même, ce n’est qu’en considérant un terrain micro-
1
AFFERGAN Francis (sous la direction), 2003, Figures de l’humain : « les
représentations de l’anthropologie », Paris, Editions de l’Ecole des Hautes Etudes en
Sciences sociales.
2
WATIER Patrick, 1996, La sociologie et les représentations de l’activité sociale, Paris,
Méridiens Klincksieck Masson.
12
régional, que le chercheur peut mettre au jour le phénomène de résistance
culturelle.
En Vallespir, les fêtes traditionnelles rassemblant la totalité de la
population rendent ainsi objective l’unité sociale de la communauté
villageoise. Chacun des membres remplit une fonction spécifique au sein
de la fête, par rapport à son origine familiale, à son âge et à son genre.
Les activités traditionnelles, telles qu’elles se présentent dans la microrégion catalane du Vallespir mais également dans la vallée béarnaise
d’Ossau, permettent aux différentes communautés villageoises
d’exprimer leur existence en tant qu’entités culturelles à part entière. A
l’occasion des grandes fêtes du village ou « Festa Major » se déroulant
durant la période estivale, les populations vallespiriennes suspendent
dans les rues du village et au sommet du clocher les drapeaux français et
catalan, ce qui révèle qu’elles parviennent à faire coexister leur
citoyenneté française et leur culture catalane. Par ailleurs, en dansant la
sardane sur la place publique, les acteurs affirment leur appartenance à la
communauté villageoise catalane et vallespirienne.
Le fait d’exprimer son identité culturelle, permet à l’individu de se
penser soi-même et de se représenter la singularité de son groupe par
rapport à l’altérité extérieure : le « je » s’affirme à travers le « nous »
collectif dont l’existence ne peut être justifiée que par rapport à l’autre.
Cette manière de penser sa singularité au sein du monde global,
correspond à ce que le sociologue Lucien Goldmann nomme la
conscience du possible3. Ce concept traduit le jeu des équilibres
provisoires et dynamiques avec l’altérité, entrepris par une communauté
culturelle en vue de se maintenir dans la réalité sociale. La conscience du
possible des populations régionales et en particulier celles qui évoluent
dans la micro-région catalane du Vallespir, correspond à la résistance
culturelle. A travers les siècles, elles ont toujours maintenu les fêtes
traditionnelles qui leur ont permis d’exprimer leur particularisme culturel
au sein d’une réalité politique et sociale globale sans cesse changeante.
Nous pouvons dire que la fête traditionnelle représente pour les acteurs
vallespiriens un moyen d’expression de leur spécificité culturelle dans le
monde global, de même qu’elle leur permet de construire un sujet idéal.
Il s’agit du sujet transindividuel4 que les membres d’une communauté
perçoivent comme un modèle à atteindre à travers leurs activités
3
GOLDMANN Lucien, 1971, La création culturelle dans la société moderne, Paris,
Médiations, p.20.
4
GOLDMANN Lucien, 1970, Structuralisme génétique et création culturelle, Paris,
Editions Anthropos.
13
traditionnelles. Par exemple, les mythes et les légendes populaires
mettent en avant un héros dont la conduite est posée comme exemplaire
et qui doit être imitée par tous les membres du groupe communautaire.
La langue, les institutions, les normes morales et les organisations
sociales participent également à la création du sujet transindividuel. Le
maintien dans l’histoire du sujet transindividuel spécifique à une
communauté régionale révèle sa résistance à se conserver par la
transmission intergénérationnelle de ses valeurs et symboles
fondamentaux. Malgré les différents contextes historiques, les
populations de la micro-région du Vallespir ont maintenu les valeurs
catalanes et pyrénéennes conditionnant leur mode de vie.
Tout en acceptant les valeurs culturelles et le mode de vie moderne
de la société globale, elles veulent garder intacts leur particularisme
régional et la mémoire de leur village. Les fêtes traditionnelles
régionales, telles celles qui sont observables en Catalogne française et
plus particulièrement dans la micro-région du Vallespir, sont semblables
au feu sacré qui était maintenu dans la Rome antique par les Vestales. Au
sens métaphorique, la conservation de ces flammes signifie le maintien
en vie de la communauté romaine. De même, la répétition annuelle des
fêtes traditionnelles permet aux acteurs d’exprimer la vie sans cesse
renouvelée de leur communauté villageoise et ce malgré les changements
politiques et économiques qui se succèdent au fil des siècles. À un niveau
symbolique, le feu sacré des populations vallespiriennes, sans cesse
régénéré à l’occasion des festivités, représenterait leur résistance
culturelle.
Le travail d’analyse sémiotique de chants traditionnels et l’étude
micro-sociale des fêtes traditionnelles permettent de révéler les
fondements internes de cette résistance culturelle. Il s’agit des différents
symboles et autres valeurs constitutifs de l’imaginaire collectif et de la
vision du monde des villageois vallespiriens. Leur expression à travers
les différentes activités fonde l’existence sociale du particularisme
régional. Ainsi, les pratiques populaires constituent un moyen
d’expression de la conservation à travers les siècles de l’unité sociale du
groupe communautaire, de son particularisme culturel catalan et
pyrénéen.
14
Chapitre premier
La culture populaire régionale et la résistance culturelle
LA CULTURE POPULAIRE
La culture populaire est un pan du domaine culturel en général et
renvoie étymologiquement à la notion allemande de « volk » qui signifie
le « peuple ». La culture populaire serait, par-là même, l’ensemble des
traits culturels propre à une population bien délimitée dans ses
dimensions spatiales et temporelles. Elle inclurait les modes de vie d’une
catégorie bien précise d’individus. Ces derniers sont regroupés suivant
une caractéristique commune : leur âge, leur position sociale, leur sexe,
leur lieu de vie etc. Le groupe ainsi constitué peut correspondre à une
catégorie sociale précise, ou revêtir la forme d’une communauté
d’intérêts. Par exemple, la culture populaire peut englober l’ensemble des
particularités culturelles spécifiques aux jeunes des banlieues, aux
femmes vivant en milieu rural... Ce champ culturel populaire comprend
également les productions artistiques émanant de ces groupes.
Pendant très longtemps, la culture populaire a été étudiée dans un
rapport d’opposition avec la culture dominante imposée par l’autorité
politique nationale et appartenant à l’élite bourgeoise. De cette manière et
jusqu’à la moitié du XXème siècle, les différents idiomes régionaux
étaient considérés comme des patois, et n’étaient pas reconnus par l’État
français. La langue régionale pouvait représenter l’état d’infériorité d’un
individu, car le fait de ne pas converser en français dans sa sphère
familiale et villageoise, laissait penser qu’il ne bénéficiait pas des
moyens (matériels ou bien intellectuels) pour poursuivre des études lui
permettant d’accéder aux valeurs françaises. Très souvent, l’utilisation de
la langue régionale permettait de stigmatiser un individu et de l’enfermer
dans un contexte social bien différent de celui de l’élite intellectuelle et
bourgeoise. L’expression « le petit peuple » servait à désigner
essentiellement le monde ouvrier et paysan. De nos jours, le rapport
hiérarchique entre la culture nationale et les cultures populaires a
quasiment disparu, à tel point que l’existence de ces dernières est
reconnue par les autorités politiques dirigeantes.
L’origine de la culture populaire permet de comprendre le fait que
l’ensemble de ses valeurs fondamentales renvoie au mode de vie
particulier d’une communauté culturelle. Ces spécificités culturelles
15
émanent généralement de l’univers social dans lequel évolue le groupe :
la musique rap renvoie aux jeunes résidant dans les banlieues, le statut et
les fonctions sociales des femmes évoluant en milieu rural, les fêtes
traditionnelles spécifiques aux populations vivant sur un relief
géographique bien déterminé (la montagne, la plaine maritime). Ce qui
permet à la sociologue Antigone Mouchtouris de penser que : « La
culture populaire ne signifie pas une culture à la portée de tout le monde,
dans le quotidien, pas plus dans les classes dites populaires que dans les
autres. Le terme « populaire », avec peuple désigne une catégorie de la
population s’exprimant à travers un mode culturel (image d’un ethos
spécifique) qui caractérise l’ensemble d’une couche sociale. Par
« peuple», » nous entendons donc (…) une catégorie d’individus dont le
style de vie peut être comparable et qui se détermine à travers un mode
de comportement et de pensée identique5 ». Les pratiques culturelles
qualifiées de populaires rassemblent des individus au sein d’un groupe
communautaire. À travers leurs différentes activités, ils expriment la
vision du monde6 sur laquelle repose leur entité culturelle. Plus
exactement, cette vision du monde recèle toutes les valeurs structurant la
spécificité culturelle du groupe communautaire. Elle est produite par
l’ensemble des productions culturelles et permet à la communauté
d’exprimer son existence au sein de la société globale, dans laquelle
évoluent d’autres entités culturelles. La vision du monde correspond à la
représentation qu’un groupe se fait de lui-même, c’est-à-dire sa
singularité par rapport à l’altérité et à la globalité du monde. La vision du
monde est fondamentale à une communauté, car comme le précise
Lucien Goldman, c’est : « (…) cet ensemble d’aspirations, de sentiments
et d’idées qui réunit les membres d’un groupe et les oppose à d’autres
groupes7 ». L’unité sociale d’un groupe communautaire repose donc sur
la reconnaissance collective et l’application dans la vie quotidienne de
valeurs et de symboles communs.
Dans une autre perspective, la culture populaire peut revêtir un
caractère politique, et plus exactement prendre la forme d’une contreculture. En affirmant leur spécificité culturelle, les membres d’un groupe
peuvent simultanément exprimer leur opposition à l’autorité politique. Ce
5
MOUCHTOURIS Antigone, 1989, La culture populaire en Grèce pendant les années
1940-1945, Paris, L’Harmattan, série Histoire et Perspectives Méditerranéennes, p.12.
6
GOLDMANN Lucien, 1955 [2005], Le dieu caché ; étude sur la vision tragique dans
les Pensées de Pascal et dans le théâtre de Racine, Paris, Gallimard.
7
GOLDMANN Lucien, op.cit.,p.26.
16
qui permet à Antigone Mouchtouris d’affirmer que la culture populaire
correspond à « (…) un état d’esprit qui exprime une opposition et en
même temps essaie d’expliquer une certaine façon de voir l’évolution du
monde et la place de l’acteur dans son environnement social8 ». Ainsi,
la culture populaire régionale peut prendre la forme d’une contre-culture,
notamment à travers les activités entreprises par les militants politiques
qui agissent le plus souvent en vue de revendiquer leur identité régionale
et qui, quelquefois, expriment leur mécontentement, voire leur opposition
avec les décisions émanant de l’État français. Les nombreuses
manifestations qui se sont déroulées en Catalogne française et espagnole
contre le projet de la liaison transfrontalière en matière d’énergie entre la
France et l’Espagne (la Très Haute Tension ou T.H.T) témoignent du
désaccord entre les populations régionales et les décideurs politiques des
deux pays. Les Catalans se sont opposés à ce que des lignes à très Haute
tension soient implantées sur leur territoire, en particulier sur les
sommets montagneux de la micro-région vallespirienne.
Le mouvement social de revendication identitaire régionale est
apparu dans les années 1970. Les actions entreprises par les acteurs
régionalistes étaient destinées à mettre fin au mouvement folklorique en
réintégrant dans la vie quotidienne les traditions, telle la langue
régionale. Les régionalistes ont d’abord œuvré à la réintroduction dans la
sphère publique de leur langue, car comme tout idiome, elle recèle une
forme de vie qui la soutient. Au sein des micro-régions telles que le
Vallespir, la réapparition de la langue catalane a entraîné la reviviscence
des traditions festives, telle que l’activité pascale des « goigs dels ous »
ou « chansons des œufs ». Après le phénomène « d’autoodi » qui
engendrait chez l’individu un sentiment de honte et d’infériorité, les
acteurs régionalistes ont voulu promouvoir une identité régionale fondée
sur le territoire et le mode de vie traditionnel. C’est pourquoi, dans un
premier temps, ils ont travaillé à la réintroduction de la langue régionale
qui tendait à disparaître à cause d’un manque de transmission aux jeunes
générations. Seules les personnes restées au village, en général âgées, la
parlaient encore. Ainsi, sont apparus des établissements associatifs tels
que les « calendretes » en Occitanie, les écoles « Diwan » en Bretagne, la
« Bressola » en Catalogne etc. Ce besoin d’enseigner les langues
régionales a été nourri par le fait que celles-ci étaient en voie de
disparition, car elles étaient usitées uniquement par les personnes âgées.
Dans un souci de conservatisme culturel régional, l’enseignement de la
8
MOUCHTOURIS Antigone, 2007, Sociologie de la culture populaire, Paris,
L’Harmattan, série Etudes Culturelles- Logiques sociales, p.73.
17
langue s’est prolongé par la reviviscence de traditions endormies,
comme : « la castanyada » qui est le goûter catalan durant la saison
automnale, à base de châtaignes grillées ; ou bien le gâteau appelé
« coca », partagé par tous les Catalans à l’occasion de la fête de la SaintJean, au soir du 23 juin. Notons que les ouvrages traitant de la création
des écoles en langue régionale sont nombreux, même si très peu
mentionnent la coordination des acteurs issus des différentes régions.
Lors de nos investigations qui nous ont conduit dans la région béarnaise,
nous avons pu recueillir le témoignage d’individus visant le même
objectif. À l’heure actuelle, il existe une Fédération pour les Langues
régionales dans l’enseignement public (F.L.A.R.E.P.) qui organise
chaque année un congrès durant lequel les acteurs issus des différentes
régions françaises (Alsace, Bretagne, Corse etc.) échangent leurs
expériences sur la mise en œuvre de l’enseignement bilingue mais aussi,
sur le maintien et la légitimité de la langue régionale dans la sphère
publique. Cette fédération est constituée par des parents d’élèves ainsi
que par des enseignants des différents idiomes régionaux. Si au début des
années 1970, l’enseignement des langues régionales revêtait une
dimension associative, à partir de 1995 il a été reconnu par l’État
français. Un système d’enseignement bilingue public a été alors instauré,
allant de l’école élémentaire jusqu’au lycée. Des radios militantes et
associatives sont également apparues dans les différentes régions
françaises, comme la Radio Arrels en Catalogne qui a vu le jour en 1981.
La principale finalité visée par les acteurs régionalistes est la
reconnaissance par l’État français de leur particularisme culturel. Les lois
de décentralisation de 1982 ont favorisé le développement politique et
économique des régions françaises. Les élus ont voulu créer et
promouvoir une identité régionale forte, à connotation politique. De
nombreux partis politiques régionalistes ont vu le jour, comme « Unitat
Catalana » ou « Unité Catalane » et le parti de « Convergence
démocratique de Catalogne », très présents lors des élections régionales.
Certains groupes de militants politiques visent l’indépendance totale de
leur région en entreprenant des actions plus ou moins violentes, pour
revendiquer leur identité et rejeter l’État français. Nous pouvons prendre
l’exemple des Basques et des Corses qui organisent de véritables luttes
armées, en perpétuant des attentats à proximité des établissements
publics.
À l’heure actuelle, dans l’ensemble du département des PyrénéesOrientales, les organes politiques régionaux encouragent les activités
culturelles régionales et revendiquent l’identité catalane. Les décideurs
politiques faisant la promotion de la langue et de la culture catalanes
18
sont : le Conseil Général, la ville de Perpignan ainsi que la Généralité de
Catalogne. Ainsi, les conseillers généraux des différents cantons incluent
dans leur politique de développement, le domaine culturel catalan. De
fait, le Conseil général encourage les activités économiques
traditionnelles et assure la promotion touristique de chaque micro-région
des Pyrénées-Orientales, en privilégiant leurs particularismes catalans.
Nous pouvons prendre l’exemple de la promotion de la côte catalane, à
travers l’image des barques catalanes, du vin de cru « Banyuls », mais
aussi par les danses traditionnelles de la sardane, très souvent dansées à
Collioure et à Banyuls-sur-Mer. Le Vallespir est promu à partir de
l’espadrille traditionnelle catalane, la « vigatana », mais aussi par le tissu
catalan dont l’usine la plus importante, « Les Toiles du soleil », se trouve
à Saint-Laurent-de-Cerdans. Certaines fêtes traditionnelles, telles la
procession du Vendredi Saint, ou « procession de la Sanch » ayant lieu à
Arles-sur-Tech, Bouleternère, Collioure et Perpignan ; mais aussi les
fêtes de l’ours se déroulant exclusivement en Haut-Vallespir. Cette
promotion consiste en des affichages publicitaires à travers tout le
département des Pyrénées-Orientales et par la diffusion d’un bulletin
bimensuel « l’Accent Catalan ». Dans ce magazine, des pages spéciales
sont consacrées aux nouveautés culturelles catalanes (publications
d’ouvrages, expositions, concerts etc.) et un article traitant des traditions
locales est rédigé en français et en catalan. La langue catalane est
également un élément important dans la politique du Conseil général, qui
a décidé d’indiquer sur les panneaux signalétiques, le nom français et
catalan de toutes les localités du département. Les langues régionales
sont aussi développées par le Conseil Régional du LanguedocRoussillon, qui dans son bulletin trimestriel, « Vivre en LanguedocRoussillon », inclut des articles bilingues (catalan/français et
occitan/français) relatifs aux actualités culturelles régionales. Ces
derniers traitent des activités catalanes et occitanes, respectives aux
régions Roussillonnaises (correspondant au département des PyrénéesOrientales) et Languedociennes (comprenant les départements de l’Aude,
de l’Hérault, du Gard et de la Lozère). Le Conseil général des PyrénéesOrientales subventionne également l’équipe de rugby à XV de Perpignan
(Union Sportive des Arlequins Perpignanais) qui est très populaire à
travers toute la région roussillonnaise. Cette équipe de rugby se présente
comme un symbole de l’identité catalane, car la majorité des supporters
se rend au stade Aimé Giral de Perpignan, tous vêtus des couleurs
catalanes sang et or. De plus, de nombreux drapeaux catalans fleurissent
dans les tribunes, et au début de la rencontre sportive, les supporters
entonnent des chants traditionnels catalans ainsi que l’hymne catalan
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« Les Moissonneurs9 ». En outre, de nombreuses municipalités travaillent
au maintien des traditions catalanes de leur village. Ainsi, la ville de
Perpignan organise des activités traditionnelles, telle la fête de la SaintJean, et tente d’insérer la langue catalane dans la vie quotidienne de la
population. Par exemple, les indications des panneaux signalétiques
urbains sont rédigées en français et en catalan, mais aussi celles des
grandes enseignes commerciales (Auchan, la Fnac etc.). Des cours de
langue catalane sont également dispensé ; de même, une structure de la
médiathèque est entièrement consacrée à la culture régionale et à la
langue catalane. Les publicités des manifestations culturelles se déroulant
dans la ville de Perpignan, et même dans certaines salles de spectacle
telle « Le Médiator », sont rédigées de façon bilingue (français/catalan).
En 2008, la ville de Perpignan était la capitale de la culture catalane. À
cette occasion, de nombreuses conférences et expositions traitant de
l’histoire catalane, de littérature, de musique et d’autres activités
traditionnelles se sont succédées tout au long de l’année. Les intervenants
étaient des autochtones, mais aussi des individus originaires des autres
territoires catalans. Par ailleurs, la ville de Perpignan possède un musée
des arts et traditions populaires nommé la « Casa Pairal », présentant
toutes les traditions festives catalanes et le mode de vie traditionnel des
populations locales qui s’est maintenu jusque dans la première moitié du
XXème siècle. Une troisième instance politique encourage le
développement de la culture régionale catalane : la Généralité de
Catalogne. Il s’agit de l’organe politique dirigeant la Communauté
Autonome catalane, localisée sur le sol national espagnol. Celui-ci étend
son influence sur tous les territoires de culture catalane à travers le
monde entier, puisqu’il possède un établissement dans chacune des
principales villes catalanes, mais aussi dans les principales capitales du
monde (New York, Paris etc.). Une « casa de la Généralitat de
Catalunya » ou « Maison de la Généralité de Catalogne » est ainsi
présente à Perpignan. Son but est d’encourager les populations à
pratiquer des activités culturelles catalanes à travers toute la région
roussillonnaise. Par ailleurs, elle tend à réaliser des actions
transfrontalières dans lesquelles collaborent les gouvernants de la
« Communauté Autonome de Catalogne » et les décideurs politiques
français en charge du territoire catalan français. De cette manière, un
hôpital transfrontalier a été crée dans la micro-région de la Cerdagne,
plus exactement dans la ville catalane de Puigcerdà, car cette région
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Cf. analyse de ce chant dans le chapitre consacré à l’interprétation des fêtes
traditionnelles, la fête de la Saint-Jean.
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