Valeurs humanistes universelles, singularité des peuples et des

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Valeurs humanistes universelles,
singularité des peuples et des cultures,
comment les concilier ?
Une telle question ne peut qu’inviter à un débat riche et passionné les
humanistes citoyens, citoyens du Monde ou porteurs emblématiques d’une entité
culturelle quelle qu’elle soit. Il est ici proposé une triple entrée en matière qui
sera successivement sémantique, historique et philosophique, sachant que les
« comment » attendus restent l’objet même d’un tel débat qui gagnerait
beaucoup à se montrer aussi pragmatique que possible.
Approche sémantique
Dans sa formulation, cette question nous invite donc à débattre en présupposant
deux existants : d’une part qu’il existe un concept bien défini d’humanisme
universel, et d’autre part qu’il existe un ensemble, tout autant défini, d’entités
historico-culturelles qui ont chacune leur spécificité (Cf les deux articles définis) : ce
sont, à l’échelle du monde, « un peu plus de 190 états souverains, pour plus de
5000 groupes ethniques parlant chacun une langue différente, (langues)
relevant approximativement de 600 groupes linguistiques. » (Patrick
SAVIDAN) Autrement dit : comment concilier, c'est à dire « penser et mouvoir
ensemble » un grand tout éthique, pour ne pas dire un concept normatif, avec la
réalité atomisée des sociétés humaines que l’histoire a faites uniques ? Cet
impératif de la conscience universaliste ne risque-t-il pas de renvoyer à un
« fondamentalisme » que notre anti-dogmatisme humaniste nous interdit a
priori, et cette singularité ne souligne-t-elle pas le caractère d’unicité irréductible
que la spatio-temporalité a imposé à chaque peuple ou culture ? Si, doublement.
Alors, sauf à se dire que les valeurs universelles en question ne sont pas
définitivement données ou prescrites, et sauf à se dire que ces sociétés ne sont
pas si différentes les unes des autres, il semblerait a priori qu’une telle
conciliation soit bien impossible, ou alors qu’elle relève d’un projet
« mondialisant » à finalité « généreusement » ethnocidaire.
Mais le « comment » est bien là, et non pas le « est-ce que ». Et ce « comment »
se pose à la fois comme le démenti de cette incompatibilité et comme
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Marcel CANTON
l’injonction à mettre en lumière les voies de la réduction en actes de ce paradoxe
épistémique.
Ce qui, néanmoins, paraît d’emblée ouvrir un espace de réflexion, c’est
l’emploi, dans une même assertion, du pluriel « les valeurs », pour désigner la
singularité de l’humanisme universel auquel nous travaillons, et l’emploi de
« singularité » pour désigner la pluralité des entités humaines. Autrement dit,
l’uni-versel peut se penser au pluriel, et la pluralité culturelle peut, elle, se
penser au singulier dans la mesure où elle est structurée autour d’au moins un
trait constant qui est L’UNICITE. En effet, la planète des cultures du monde
n’est pas une improbable et insaisissable nébuleuse, même si elle est
changeante, mais un ensemble d’entités repérables, étudiables et interagissantes.
Ce premier point est très important, car il prend en compte une réalité ethnogéographique dont l’invariance fait écho à l’universel, à savoir que toutes,
absolument toutes les sociétés humaines ont toujours tenu à fixer, amarrer, leur
conscience collective à une auto-dénomination unique et survalorisante qui les
distingue de toutes les autres. Nous disons « France », et ses Droits de l’Homme
se pensent comme uniques et incomparables, alors qu’ils ont pourtant vocation à
« se mondialiser » ; et à travers eux, il ne fait pas de doute que notre peuple
devenu nation se pense comme le dépositaire d’une société politiquement idéale.
L’Allemagne a eu sa crise de « folie collective » qui, au sortir d’un siècle d’
humiliations, lui a fait hurler la singulière grandeur de son destin, son « génie
national », son « volksgeist » : un « égotisme » qui l’a fait d’abord délirer avec
les Romantiques pour la faire ensuite hurler avec « les loups » ce nationalisme
exclusif qui se voulait porteur de la certitude absolue d’avoir une mission unique
d’éclaireuse du monde, après que la France ait eu son heure de gloire (cf les
prétentions successives du raffinement de Cour puis du message des Lumières).
Ainsi, pour chaque grande entité, on peut sans aucun doute illustrer ce trait qui
est commun à toutes : à savoir l’affirmation « urbi et orbi » d’une singularité qui
fait leur grandeur, ou tout simplement leur raison d’être et de se perpétuer.
Précisons très succintement que cette « obsession » pour une identité quasiment
transcendante peut, selon les cas, être plutôt le fait d’une nation, toute centrée
sur son adhésion à un projet, comme la France, ou être plutôt le fait d’un peuple,
comme l’allemand, tout centré sur son ancrage à un patrimoine (quel « délire »
que celui d’un Israël racialiste qui, craignant « un suicide démographique »,
craint de ne plus être une nation –ce qui n’est toujours pas ; quel « délire » aussi
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Marcel CANTON
que celui de cette Hongrie récationnaire qui, à peine extirpée d’un bloc, doit
être rappelée à l’ordre par l’Europe).
Mais cette aspiration à la grandeur identitaire qui FAIT l’identité, et qui fait
qu’un peuple ou une nation ne se pense QUE grand, grand assez pour se
défendre, pour faire école ou pour faire conquête, n’a pas pour seule source la
montée des nationalismes européens au 19° siècle. Que l’on soit Aïnou du
Japon, Innu du Labrador, Lakota des Black Hills, ou Wayana de Guyane
(toujours) française, le pseudonyme qui désigne le peuple d’appartenance
signifie invariablement « les Etres Humains », c'est-à-dire les détenteurs d’une
aspiration universellement ethnocentrique.
On peut y voir l’aspiration d’un « Tous, ici » quasiment ontologique, aspiration
à cultiver l’appartenance « localement universelle » à une société harmonieuse
et stable qui n’a nul besoin d’inventer le mot « culture », ni de conquérir le
Monde. Cette conscience collective d’un « tous par/pour le tout et par/pour le
chacun » fournit la clé et les formes du Bien Vivre Ensemble par excellence, et
l’on peut y voir la possibilité pour l’Universel et ses valeurs de se concrétiser
partout à la fois partout et nulle part définitivement, c'est-à-dire u-topiquement.
Si l’homme est cet animal universellement capable de se libérer de l’instinct et
du déterminisme absolu, il est donc vrai qu’invariablement il aspire à s’intégrer
à l’histoire par le biais d’une appartenance identitaire et culturelle singulière.
Mais sans doute les humanistes qui se sentent avant toute chose « citoyens du
Monde » au quotidien ont-ils une conception opposée à celle-ci et considèrentils comme secondaire le fait que tout un chacun relève d’une identité, d’une
conscience collective et d’une culture (MAUSS, DURKHEIM, LEVISTRAUSS). C’est là un premier point qui peut prêter à débat.
Historicité de fait
Une deuxième question peut sembler induite par l’entre-deux que l’intitulé de
notre sujet ménage entre « peuples » et « cultures ». Si peuples et cultures ne
constituent pas de vagues et insaisissables réalités, l’anthropologie et
l’ethnographie nous l’ont prouvé, il n’en demeure pas moins qu’apparaît une
autre spécificité de leur pluralité : ce trait commun, réside, d’une part, dans leur
évolution, qui est dû au fait que, considérées à l’échelle des siècles, elles ne
sont, en quelque sorte, que des produits charriés par le cours de l’Histoire. Et,
d’autre part, dans leur complexité interne qui en fait des objets non
monolithiques.
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Marcel CANTON
D’abord donc, leur dimension historique en fait les résultats de préexistants en
mouvement, mouvement aussi bien de convergence, que de collision ou de
concomitance. Même si l’histoire est bien sûr un flux continu, il est bien facile
d’y situer des siècles ou demi-siècles clés qui, à l’échelle du Monde et cependant
très concrètement pour les peuples, ont vu s’opérer des basculements culturels
aussi rapides que radicaux. Et ce sont eux qui structurent la grande Histoire.
Pour exemple, les années 350, qui voient l’étonnante et époustouflante
« christianisation » d’un monde romain sur-administré mais pluriel. Stratégies
conjuguées puis concurrentes d’un empereur Constantin qui, à Nicée, avait
installé l’Eglise dans l’Etat et L’Etat dans l’Eglise, et d’un premier Pape Jules
déjà soucieux de délocaliser la chrétienté-Une pour l’étendre aux limites du
monde connu alors.
Un monde d’abord méditerranéen mais qui pressentait déjà les grandeurs
extrême-orientales, tout en méconnaissant, paradoxalement, celles, africaines,
qui se nourrissaient des premières grandes navigations océanes… avant d’en
devenir les victimes exsangues…
De tels flux, reflux et contreflux sont à l’œuvre bien sûr dans l’histoire culturelle
des peuples arabo-musulmans. En quelques mots, saisir la grandeur de cette
épopée qui part de l’Hégire en 622 pour envelopper alors Orient, Asie centrale,
Inde et Occident judéo-chrétien,
- une épopée qui voit bientôt les chinois submergés politiquement et
confessionnellement sans pour autant régresser dans leurs progrès techniques,
comme celui de l’imprimerie en 1050,
- une épopée qui produit un Saladin grandiose dont la tolérance sera une
lumière projetée, portée par Omeyyades, Abbassides, Fatimides, Chiites et
personnifiée par AVICENNE ou Omar KAYAM, cela jusqu’au basculement
intercontinental de 1492 après lequel, dit Malek CHEBEL, les Musulmans ne
seront plus jamais eux-mêmes,
- une épopée enfin dont l’histoire ne peut que nous aider à lire gravement le tout
récent « printemps arabe » et à appréhender le fait « surmédiatisé » que quelques
dizaines de Musulmans en prière puissent investir une ou deux rues parisiennes.
Qui sont-ils ? D’où « viennent »-ils ? Que représentent-ils ? Que proposent-ils,
ces Concitoyens ? Peuples ou cultures, rien n’existe de toute éternité, et cela
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nous incite à rechercher l’intemporelle manifestation de ce que nous appelons
« la modernité », ce à quoi par définition peuvent s’incorporer des universaux.
D’autre part, ces cultures, dont les nôtres, qui ont tant « voyagé » et tant évolué
ne sont jamais monolithiques ; et leur complexité interne fait leur richesse. En
effet, l’anthropologie structurale de LEVI-STRAUSS nous a montré que, bien
au-delà de nos sociétés occidentales, « peuples » et « cultures » constituent en
fait de grands ensembles dont la réalité est faites de « systèmes de culture » à
caractère très variablement « universel (ou porteur d’universaux), continental,
national, provincial, local, (…) voire familial, professionnel, confessionnel,
politique, etc… ». Nous voyons ainsi que l’entité qui résulte de l’unification
politique et même de la cohésion linguistique peut se décliner en
« communautés de culture ». La richesse de notre débat sera donc fonction de la
clarté qui sera donnée aux dimensions historiques, sociales et idéologiques des
arguments développés.
Regard philosophique
Une troisième et dernière question, qui sera plus philosophique : que comptent
pour notre quête d’universel idéologique, les Rome, Cluny, Le Caire et le Kiev,
berceau de la civilisation russe, du 10 ème siècle ? AVICENNE et sa
philosophie trois fois monothéiste, Hugues premier capétien et en charge du leg
chrétien, Othon le germain sacreur de Pape, Saint Benoît de Nursie en son
abbaye du Mont Cassin qui inaugura la vague bénédictine proprement
européenne, le basileus de Byzance fier héritier du constantinisme (hélénien) …
que représentent de tels foyers de culture au regard des Lumières que notre
aspiration à l’universalité convoque immanquablement ? En dépit de moyens de
communication fastidieux, ces foyers sont alors interconnectés, tout comme ils
sont également en relation continuelle avec les systèmes de pensée indien et
chinois.
L’enveloppe est déjà là. Et cette complexité originaire renvoie à celle,
psychologique cette fois, qui nous constitue en tant que personnes. Amin
MAALOUF l’a bien montré dans « les identités meurtrières » : l’identité est de
fait complexe, elle est une somme d’appartenances qui sont sources de richesse
personnelle. En outre, elle n’est pas innée, mais se construit comme un tout
dynamique, en interaction avec autrui : « Chacune de mes appartenances me
relie à un grand nombre de personnes ; cependant, plus les appartenances que
je prends en compte sont nombreuses, plus mon identité s’avère spécifique.’ »
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Marcel CANTON
MAALOUf estime donc qu’il est aujourd’hui très dangereux et non pertinent
d’englober divers individus sous un même vocable, a fortiori de leur attribuer
des actes, des opinions, ou des crimes collectifs : « mon identité, c’est ce qui fait
que je ne suis identique à aucune autre personne ».
Serait-il donc illusoire, voire moralement et scientifiquement « interdit » de
penser universel en confrontant les identités culturelles ? Sans doute oui, s’il
s’agit d’une opération réductrice et stigmatisante, opposant nos fameuses
racines judéo-chrétiennes à tout le reste, sans doute non s’il s’agit d’exister en
continuelle résonnance avec tout ce qui nous constitue.
Alors, racines ou boulet ? C’est que le fond culturel collectif et dominant en
dépend. L’universalisme consiste-t-il à perpétuer avec résignation la survivance
anachronique des archaïsmes belliqueux, ou à cultiver les modes de pensée et
d’action qui servent l’émancipation de l’individu et l’auto-détermination des
groupes ? Une auto-détermination qui, d’ailleurs, n’est en rien la remise en
cause de la légitime République une et indivisible qui est la forme la plus
aboutie de l’Etat, cet Etat dans lequel, dit HEGEL, « l’individu qui est sujet par
des devoirs trouve dans leur accomplissement en tant que citoyen la protection
de sa personne et de sa propriété, la considération de son bien particulier et la
satisfaction de son essence substantielle, la conscience et la fierté d’être
membre de ce tout. » (P 278-9, s261)
L’universalisme comme creuset multiculturel, par-delà la relance humaniste de
la Renaissance, est une source philosophique issue du monde antique occidental,
dont ce Protagoras pour qui « l’homme est la mesure de toute chose », mais
issue également des apports asiatiques tels que l’athéisme précoce de Confucius
ou cette « âme » boudhique qui reste immanente.
Sans doute l’aspiration individuelle au bien-vivre ensemble existe-t-elle de toute
éternité, et c’est ce qui rend légitime la recherche d’un « pacte social », c'est-àdire cette convention absolument partagée qui voit les citoyens accorder leur
liberté naturelle avec les contraintes acceptées comme prix de la sécurité
intérieure et extérieure garanties par l’Etat (HOBBES, LOCKE, ROUSSEAU).
C’est dans cet équilibre à trouver que doit se réduire en outre « l’antagonisme »
qui caractérise l’individu selon KANT : « J’entends ici par antagonisme
l’insociable sociabilité des hommes, c'est-à-dire leur inclination à entrer en
société, inclination qui est cependant doublée d’une répulsion générale à le
faire, menaçant constamment de désagréger cette société. L’homme a un
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penchant à s’associer, car dans un tel état, il se sent plus qu’homme par le
développement de ses dispositions naturelles. Mais il manifeste aussi une
grande propension à se détacher (s’isoler), car il trouve en même temps en lui le
caractère d’insociabilité qui le pousse à vouloir tout diriger dans son sens ; et,
de ce fait, il s’attend à rencontrer des résistances de tous côtés, de même qu’il
se sait par lui-même enclin à résister aux autres. » (KANT)
Dans le prolongement de cette exigence qui est au cœur de l’humanitude,
HEGEL a eu le mérite de théoriser la notion de « Reconnaissance », ce principe
de vie partagée selon lequel chaque individu pose autrui comme sujet et se
manifeste à lui comme tel. La « reconnaissance » est alors une exigence de fait
que Charles TAYLOR décline à son tour. Pour lui, « une personne ou un
groupe de personnes peuvent subir un dommage ou une déformation réelle si les
gens ou la société qui les entourent leur renvoient une image limitée, avilissante
ou méprisable d’eux-mêmes ». C’est pourquoi il est nécessaire que « je négocie
mon identité par le dialogue, partiellement extérieur, partiellement intérieur,
avec d’autres. » Et l’universalisme prétendu humaniste ne doit pas trahir sa
« mission » en ne représentant qu’une « partie de l’humanité (homme, blanc,
européen, chrétien, hétérosexuel, etc.) au détriment de « minorités identitaires »
différenciées ».
Il s’agit bien pour lui, comme pour Axel HONETH ou Michel WIEVORKA, de
mettre en œuvre, concrètement, un multiculturalisme qui s’efforce de concilier
le respect de la différence et l’appartenance à un système de valeurs ouvert et
fondé sur la reconnaissance mutuelle.
Sur un ton plus « voyageur » mais tout autant argumentatif, Patrick SNYDER
revisite, « de PLATON au Village global », la notion d’Amitié ; cela à la
lumière des courants philosophiques successifs qui, en dépit de la diversité des
contextes, prônent et illustrent avec talent cette intemporelle propension de
l’homme à cultiver au quotidien ce vital attachement à l’Autre. L’amitié a pour
spécificité d’être symétrique. Et « comment établit-on des relations avec les
autres cultures, sinon par la négociation (ou anthropologie symétrique), dans
un monde devenu pluriel mais commun » (Bruno LATOUR, p9).
Quant à nos fameuses racines chrétiennes, il ne s’agit nullement, comme pour
tout élément identitaire, de pratiquer le tout ou rien. Sur ce point, nous nous
devons de partager l’interrogation de MAALOUF : « Pourquoi l’Occident
chrétien, qui a une longue tradition d’intolérance, qui a toujours eu du mal à
coexister avec « l’Autre », a-t-il su produire des sociétés respectueuses de
liberté d’expression, alors que le monde musulman, qui a longtemps pratiqué la
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coexistence, apparaît désormais comme une citadelle du fanatisme ? » Il est
donc exclu d’invalider radicalement la pensée chrétienne moderniste,
notamment telle que nous la livre l’Observatoire chrétien de la laïcité dans sa
lettre aux instances dirigeantes des partis politiques français : « L’objet du verbe
« garantir » dans l’article 1 de la loi (de 1905) n’est pas l’exercice des cultes
lui-même, c’est-à-dire une activité dont l’État fournirait éventuellement les
moyens, mais le libre exercice des cultes. C’est la liberté de cet exercice qui est
donc l’objet de la garantie. Ainsi la loi fonde à la fois l’indépendance de l’Etat à
l’égard des religions et l’autonomie des religions à l’égard de l’Etat, dans les
limites démocratiques du respect de l’ordre public. (…)
L’Observatoire Chrétien de la Laïcité (OCL) soutient qu’une réflexion sur la
laïcité en 2011 ne saurait se confondre avec un combat contre une prétendue
islamisation de la France ! Nous considérons que les croyants de l’Islam ont
droit au même respect que les catholiques, les protestants, les juifs, les
bouddhistes mais aussi les agnostiques ou les athées, etc., et que la loi doit les
traiter également. »
L’Observatoire souligne aussi le fait que de plus en plus de Musulmans vivant
en France sont en accord avec ce passage du rapport de la commission STASI :
« L’islam, religion la plus récemment implantée en France et qui compte de
nombreux fidèles, est parfois présentée comme inconciliable avec la laïcité.
Pourtant la théologie musulmane a produit, dans sa période la plus brillante,
une réflexion novatrice sur le rapport entre politique et religion. Les courants
les plus rationnels en son sein refusaient la confusion entre pouvoir politique et
spirituel. La culture musulmane peut trouver dans son histoire les ressources lui
permettant de s’accommoder d’un cadre laïque, (et réciproquement )».
En conclusion pour ouverture, on ne peut que souhaiter qu’un tel débat soit
permanent et constitutif de notre concitoyenneté et du concert idéologique
européen pour l’avènement d’un Monde harmonieux. En effet, faut-il pour
débattre politiquement, attendre le nouvel avertissement d’un Gilles KEPPEL
constatant scientifiquement en 2011 que dans les tours de Clichy-sous-Bois et de
Montfermeil (en Seine-Saint-Denis, les deux villes emblématiques de la crise
des banlieues depuis les émeutes de l'automne 2005), la République est un
concept abscons et que la croyance religieuse semble bien y être plus
structurante que la croyance républicaine ? Faut-il pour en débattre attendre
d’avoir à réagir aux invectives discrimatoires d’avant présidentielle, que ce soit
à propose d’ « étrangers » en général et de Rom(s) en particulier, mais aussi de
« chômeurs parasites », de « travailleurs paresseux » ou de tout autre bouc
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Marcel CANTON
émissaire ? Universalisons notre conception de « la distinction » (BOURDIEU)
et qu’elle soit bien spécifiquement l’ouverture culturelle.
Depuis la Grèce antique et ses brillants contemporains, nous savons que par
l’Education de tous, par l’Heuristique grand angle, par l’Herméneutique
altruiste, mais aussi par l’épicurisme au quotidien, le bien vivre ensemble est le
plus sûr chemin vers le bonheur et l’émancipation savante. Alors montrons nous
justement capables, sans doute avec BOURDIEU, que Philippe SOLLERS
qualifie pourtant de stalinien typique, de débattre librement, sans pour autant
alimenter la fameuse « fabrique du débat public » (« Cours au Collège de France »), donc
sans produire une opinion toute faite de la minorité auto et survalorisée que
nous représentons, et sans nous limiter non plus au choix entre, comme dirait
Régis DEBRAY, la vox dei et la vox populi.
Montrons nous capables, ici et là-bas, aujourd’hui et comme il y a plus de 6 000
ans, de pas perdre l’Homme de vue et de contribuer à la concrétisation de
l’utopie culturelle universelle. Si Baruch SPINOZA (citant Quinte CURCE, p 610-11)
nous a courageusement confirmé que « la superstition est le plus sûr moyen
pour gouverner les masses », c’est bien pour nous éviter les gouvernances
fallacieuses et pour nous aider à déjouer toutes les peurs, surtout celle de
l’Autre, cet inconnu, prévient Malek CHEBEL qui rêve de voir s’associer
l’Islam et les Lumières.
Cultivons donc l’art universel de l’accueil mutuel et de la rencontre instituée.
Les voies en sont multiples, tantôt empruntées depuis si longtemps qu’elles
s’imposent, et tantôt tellement nouvelles qu’elles s’interposent, s’interposent
entre l’inertie et l’imprudence. Pour le duo HESSEL-MORIN, ces voies sont les
voies conjuguées de la mondialisation, qui promettent le développement d’
« une communauté de destins d’êtres humains de toutes origines », « d’intersolidarités et de fécondités culturelles », et les voies de la DEmondialisation qui
peuvent encore « sauvegarder l’économie du terroir, préserver l’agriculture
vivrière (…), les artisanats et les commerces de proximité, enrayer ainsi la
désertification des campagnes et la raréfaction des services dans les zones
périurbaines en difficulté ». (p12-13)
Il s’avère nécessaire de développer en préservant les « enveloppements
communautaires », et en défendant « les droits des immigrés », car c’est,
affirment HESSEL-MORIN, « défendre le principe fondateur, générateur et
régénérateur de la France : celui de la francisation » (24). Sans doute notre pays
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Marcel CANTON
a-t-il toujours un rôle unique à assumer, un rôle de référence assigné par
l’histoire des idées et des valeurs, dans cette époque toute nouvelle où « tous les
fragments de l’humanité sont pour la première fois devenus interdépendants »,
membres à part entière d’une « communauté de destin qui crée la possibilité
d’une Terre-Patrie, laquelle, loin de nier les patries singulières, les
engloberait » (p 11).
Il nous reste donc, en ce sens, à « développer » cette fructueuse ambition d’un
« enveloppement » à notre image de cercles humanistes férus de laïcité ; à savoir
une appartenance de cohésion et d’action qui ne s’avère ni réductrice ni
enfermante, et qui surtout participe concrètement de la République universelle.
Marcel CANTON
10.01. 2012
*
Eléments bibliographiques
- Pierre BOURDIEU, « La distinction » et « Cours au Collège de France ».
- Malek CHEBEL, islamologue traducteur du Coran, « Manifeste pour un islam
des Lumières - 27 propositions pour réformer l’islam », « L’islam et la raison Le combat des idées ». (Cf Fayard).
- Régis DEBRAY, « Du bon usage des catastrophes », Gallimard, 2011
- Georg Wilhelm Friedrich HEGEL « Principes de la philosophie du Droit, P
278-9, s261, Gallimard
- Stéphane HESSEL, Edgar MORIN, « Le chemin de l’espérance », Arthème
Fayard, 2011
- Emmanuel KANT, « Idée d’une histoire universelle au point de vue
cosmopolitique », in philosophie de l’histoire, p 64-5, Aubier, 1947.
- Gilles KEPPEL, enquête « les banlieues et l’Islam » pour l’Institut Montaigne,
7 octobre 2011.
- Bruno LATOUR, « Un monde pluriel mais commun », L’Aube, Poche-Essai,
2003, P 9
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Marcel CANTON
- NITASSINAN - association CSIA, dossiers spécifiques « Wayana, Innu,
Lakota etc... » www.csia-nitassinan.org. M. CANTON fondateur - 1984
- Observatoire Chrétien de la Laïcité (OCL), loberservatoire-chretien-de-lalaicite
- Patrick SAVIDAN, « Le multiculturalisme », p 15, PUF 2009,
- Patrick SNYDER revisite la notion d’Amitié , « De PLATON au Village
global », Montréal, février 2009
- Baruch SPINOZA, citant Quinte CURCE in « Traité des autorités
théologiques et politique », Pléiade, 1962, p 610-11
- Charles TAYLOR, « La politique de la
« Multiculturalisme. Différence et démocratie », 1992.
reconnaissance »
in
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Marcel CANTON
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