maisons de santé : un projet de soins et non une

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MAISONS DE SANTÉ : UN PROJET DE SOINS ET NON UNE
FORMULE MAGIQUE
Blessemaille Arnaud
décembre 2008, par serge cannasse
Arnaud Blessemaille, médecin généraliste, est un des membres fondateurs
de la maison de santé de Baumes les Dames (Franche-Comté). Il est
également secrétaire général de la FEMASAC (Fédération des maisons de
santé comtoises). Il ne présente pas son mode d’exercice comme une
panacée, mais comme une solution possible dans une situation donnée.
Surtout, la maison de santé n’a de sens que si elle est portée par un
projet de soins partagé par les professionnels qui y exercent et en lien
avec les besoins de la population ciblée.
Qu’est-ce qu’une maison de santé ? en quoi est elle différente
d’une maison médicale ?
Une maison de santé ne regroupe pas que des médecins, mais aussi
d’autres professionnels de santé. En général, elle comporte au minimum
un médecin généraliste, une infirmière et un kinésithérapeute. A Baumes
les Dames, nous sommes 23 professionnels : médecins généralistes,
infirmières, kinésithérapeutes, podologues, psychologue, diététicienne,
orthophoniste, orthoptiste, sages femmes et médecins spécialistes
(cardiologue, angiologue, rhumatologue).
Le point important est que ces professionnels ne s’associent pas
seulement pour être regroupés dans un même bâtiment, pour mutualiser
des moyens : ils partagent un projet de soins commun centré autour du
patient.
Pourquoi une maison de santé plutôt qu’un réseau de soins ?
C’est un réseau, mais avec une forme beaucoup plus simple : tous ses
membres sont au même endroit !
Est-ce une formule qui peut être appliquée partout ?
Les maisons de santé ne sont pas la formule magique qui va régler tous
les problèmes. Elles sont utiles à certains endroits et pas à d’autres.
Le socle de toute maison de santé est le souhait qu’ont certains
professionnels de se regrouper autour d’un projet de soins. Au départ de
la maison de Baume les Dames, nous étions une dizaine de
professionnels. Trois d’entre nous ont abandonné en cours de route. Cela
ne veut pas dire qu’ils font de moins bons soins que nous, mais qu’ils
voient leur exercice autrement.
Il ne faut surtout pas chercher à imposer les maisons de santé. Au
contraire, il faut conserver les marges de liberté des professionnels, pour
qu’ils choisissent leur type d’exercice. Tous les choix doivent être
respectés.
Pourquoi avez vous choisi ce mode d’exercice ?
Nous ne voulons pas que la rémunération, le paiement à l’acte, risque de
dicter notre conduite. Nous privilégions la concertation et la disponibilité
pour le patient.
Nous voulons qu’au besoin, il puisse être pris en charge immédiatement.
Par exemple, si je diagnostique une bronchiolite chez un enfant, je
n’hésite pas à demander au kiné de lui faire une séance de kiné
respiratoire dans les minutes qui suivent. Il va s’arranger pour le faire.
Inversement, s’il a besoin de mon avis pour un patient, il sait qu’il peut
me déranger, même pendant ma consultation si c’est urgent.
Cette entraide est très formatrice. Bien souvent, j’apprends quelque chose
en demandant le conseil d’un spécialiste, médecin ou pas, ce qui fait que
je n’aurai pas besoin de lui ou d’elle la prochaine fois que le cas se
présentera. Ça marche dans les deux sens : nous progressons ensemble.
Cette entraide ne se limite pas au cas par cas : nous organisons des
réunions où nous nous formons mutuellement. Par exemple, le kiné va
nous apprendre à porter des charges lourdes et le cardiologue nous
expliquer l’insuffisance cardiaque.
En dehors des urgences, il est possible de faire tout cela dans le
cadre d’un réseau de proximité. Pourquoi le faire dans un même
lieu ?
Parce que je préfère travailler avec des gens présents physiquement. Ça
n’est pas une obligation, les pôles de santé ou les maisons de santé
virtuelles sont aussi de bonnes solutions. Mais c’est tout de même plus
simple d’avoir les collègues sous la main et de pouvoir discuter de
manière plus conviviale. Par exemple, nous prenons nos déjeuners
ensemble.
Résumons : une maison de santé, ça se décide sur la volonté de
professionnels de santé qui ont un projet de soin commun et envie
de travailler en présence physique les uns avec les autres. Y a t’il
autre chose ?
Le contexte. Il faut en particulier qu’une patientèle soit possible ou déjà
réalisée. Les maisons de santé les plus faciles à installer sont celles qui
regroupent des professionnels qui étaient déjà sur place, puis qui en font
venir d’autres. Mais ça n’est pas une obligation. Il faut également regarder
les évolutions prévisibles de la démographie locale des professionnels de
santé, ce qui va se passer dans les 5 à 10 ans. Chez nous, la majorité des
médecins, hors de notre maison, a plus de 50 ans : dans une dizaine
d’années, nombre d’entre eux sera à la retraite.
Etablissez vous l’offre de soins en lien avec les élus ?
C’est beaucoup plus facile de travailler avec eux aujourd’hui que lorsque
nous avons lancé notre projet, il y a 5 ans : personne ne savait ce qu’est
une maison de santé. Les rapports avec les élus et les décideurs sociaux
dépendent des régions. En Franche-Comté, nous avons la chance d’avoir
un Conseil régional, une URCAM et une MSA (Mutuelle sociale agricole)
très à l’écoute de nos besoins.
Les décisions peuvent parfois être difficiles pour les élus : même s’ils ont
envie de nous aider, ils ne doivent pas donner l’impression de favoriser un
mode d’exercice plutôt qu’un autre. Cela étant, la plupart sont plutôt
demandeurs, mais il faut bien leur expliquer que le point important n’est
pas tant de fournir un bâtiment que de pérenniser un projet de santé,
c’est-à-dire d’aider la maison à fonctionner sur le long terme.
Je pense que nous n’avons pas à demander de l’aide pour l’acquisition des
bâtiments. A partir du moment où nous choisissons d’exercer en libéral,
c’est-à-dire comme une entreprise, il est normal que nous payons notre
outil de travail. Nous ne sommes pas salariés. Ce qui fait d’ailleurs que le
coût d’une maison de santé est bien plus important pour chaque
professionnel que s’il exerçait seul, mais pour une qualité de vie
professionnelle et privée nettement meilleure.
En revanche, nous avons besoin d’être rémunérés pour pouvoir
développer une véritable politique d’amélioration de la qualité des soins,
par exemple, pour envoyer des lettres rappelant aux patients leurs dates
de vaccination ou de consultation de prévention ou pour salarier une
personne chargée de la coordination. Notre but n’est pas de gagner plus
d’argent, mais ces initiatives de santé publique coûtent cher. Les maisons
de santé de Franche-Comté font d’ailleurs partie de l’expérimentation qui
se mettra en place en janvier sur les « forfaits structure » destinés à ce
genre de tâches.
Etre installé en libéral signifie-t-il que vous défendez le paiement à
l’acte ?
Je n’y suis pas particulièrement attaché. En revanche, il faut éviter de
brusquer les professionnels qui le sont. Les médecins étant habitués à ce
système depuis de nombreuses années, il est raisonnable de passer
progressivement à d’autres formes de rémunérations.
Quelle est la différence de vos maisons avec les centres de soins
municipaux, qui existent depuis très longtemps ?
D’après ce que j’en sais, d’une part, notre fonctionnement est moins
administratif, moins bureaucratique pour dire les choses franchement,
nous n’avons pas à rechercher les financements…, d’autre part, nous
recevons une population plus variée que la leur, qui est globalement
défavorisée. Par exemple, le centre municipal de Belfort emploie des
traducteurs, parce qu’ils ont une importante patientèle d’origine
étrangère.
Les maisons de santé sont-elles un moyen de modérer l’hospitalocentrisme du système de soins français ?
Oui, ne serait-ce que pour le problème des urgences. Nous sommes
équipés pour les petites urgences ou les gestes techniques simples (pose
et dépose d’un plâtre, électrocardiogramme, suture, petite chirurgie, etc),
qui ne nécessitent pas le passage par un hôpital, et nous faisons partie de
la permanence des soins (nous sommes ouvert de 8h à 21 h).
Est-ce que cela permet d’améliorer
professionnels hospitaliers et de ville ?
les
relations
entre
Je ne crois pas. Chaque professionnel travaille avec son propre carnet
d’adresses, quel que soit son lieu d’exercice. Pour que les choses changent
vraiment, il faudrait que les étudiants puissent faire des stages en ville,
pas seulement chez les médecins, mais chez tous les professionnels de
santé : infirmiers, podologues, diététiciennes, etc, très tôt dans le cursus
universitaire. Ça faciliterait sans doute le choix de la médecine générale,
parce qu’il serait fait en connaissance de cause, et ça permettrait aux
hospitaliers de comprendre la médecine de ville. Il faudrait même étendre
le principe : permettre aux étudiants de toutes les professions de santé de
faire des stages en ville pour qu’ils voient ce que font les autres
professions. Cela permettrait à chacun de bien délimiter son champ de
compétences et de comprendre ceux des autres.
Une maison de santé peut t’elle avoir des missions de santé
publique comme l’épidémiologie ?
Non seulement elle peut, mais elle doit avoir ces missions. Nous ne
demandons pas mieux. Mais encore une fois, à condition qu’on nous en
donne les moyens.
Le site de la Fédération des maisons de santé comtoises, FEMASAC (http://
femasac.org), est une mine de renseignements sur les maisons de santé ; on y
trouvera en particulier les présentations (diaporamas et enregistrements audio) et les
recommandations issues du Colloque national des maisons de santé de juin 2008
tenu à Besançon.
Entretien paru dans la Revue du praticien médecine générale numéro 809
du 12 novembre 2008
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