EVOLUTION FUTURE DU CLIMAT EN MÉDITERRANÉE: VERS UN ÉTAT DE SÉCHERESSE ACCRU ? LAURENT LI Laboratoire de Météorologie Dynamique Université Paris 6, case courrier 99 4, place Jussieu 75252 Paris cedex 05 mél: [email protected] ABSTRACT The mediterranean basin is the region which borders the Mediterranean Sea and extends some hundreds kilometres from the coast. This region has a complex interaction among different components of the climate: atmosphere, North Atlantic, Mediterranean Sea, glaciers of the Alps, surface vegetation cover, desert originated or industrial aerosols. The climate of this region is marked by a strong seasonal contrast between winter and summer, especially for the precipitation and surface hydrological budget. The region of the Mediterranean and South Europe is rather unique by its geographical position: north of the largest desert in the world - the Sahara, and south of the most temperate climate in the world - Europe. It is therefore a transition area between tropical and mid latitude climates. As a transition area, the Europe - Mediterranean shows important local climate variability and rather large gradients, especially in the South North direction. The transition character of the Mediterranean climate implies that this region is very vulnerable to climate variations, natural or anthropogenic. 1. INTRODUCTION Le bassin méditerranéen couvre la région étendue de quelques centaines de kilomètres autour de la mer Méditerranée. Le climat de cette région est caractérisé par un fort contraste entre l'été et l'hiver, surtout pour les précipitations et le cycle hydrologique à la surface. Des mécanismes climatiques complexes y opèrent et font intervenir l'atmosphère, l'océan nord-atlantique, la mer méditerranée, les glaciers alpins, la végétation continentale et les aérosols d'origine désertique ou anthropique. Le bassin méditerranéen est une région très peuplée où vivent 500 millions d'habitants. C'est également une région économiquement très active et le moindre incident climatique peut entraîner d'importantes conséquences économiques et sociétales. La Méditerranée est enfin une zone de transition entre un climat chaud et sec au sud et un climat doux et humide au nord. Ceci implique que la Méditerranée et son écosystème sont sensibles et vulnérables au changement climatique. Depuis l'ère industrielle, l'effet de serre anthropique de l'atmosphère est fortement augmenté, la teneur en CO2 étant augmenté de 280 ppm vers 1850 à 370 ppm aujourd'hui. Cette forte concentration du CO2 dans l'atmo- sphère est sans précédente dans l'histoire de la terre, au moins sur l'ensemble du quaternaire (depuis environ 1,8 millions d'années) (Joussaume, 1999). Elle est indissociable à la croissance constante de l'émission anthropique du carbone, presque zéro vers 1850 et estimée à plus de 6 milliards de tonnes aujourd'hui. Accompagné de cette augmentation de l'émission anthropique du CO2, la terre est chauffée de 0,6°C pour la température de l'air auprès du sol et en moyenne globale. Cette augmentation de température, encore modeste, est le début d'un réchauffement planétaire d'ampleur plus importante dont la pleine manifestation est actuellement masquée par l'inertie énorme de l'océan global. Face à ce réchauffement planétaire, quel sera l'avenir climatique du bassin méditerranéen? La réponse à cette question ne peut pas être obtenue par une simple extrapolation de l'état actuel, car le système terre est un système complexe et de nombreux processus fortement non-linéaires y opèrent. Une projection vers le futur de l'évolution du climat ne peut être faite qu'à travers une modélisation numérique performante du système climatique. 2. MODÉLISATION DU CHANGEMENT CLIMATIQUE Le système climatique (Sadourny 1994) tel que l'on doit modéliser comprend cinq éléments physiques: atmosphère, océans, cryosphère, surface de la terre émergée et biomasse. Les propriétés du système climatique, qui doivent être numérisées dans un modèle, sont très nombreuses et comprennent les propriétés thermiques (les températures de l'air, de l'eau, de la glace et de la surface), les propriétés cinétiques (les vents, les courants océaniques, les mouvements verticaux et le déplacement de la masse glacière), les propriétés aqueuses (l'humidité atmosphérique, la nébulosité, le contenu en eau liquide ou glace des nuages, les niveaux des lacs, le contenu en eau du sol, de la neige et de la glace de mer), les propriétés statiques (la densité et la pression de l'atmosphère et de l'océan, la composition de l'air sec, la salinité océanique), les conditions géométriques et les constantes physiques du système. Ces variables sont interconnectées par les lois dynamiques et différents processus physiques dans le système, par exemple, précipitation, évaporation, rayonnement, advection, convection et diffusion turbulente. Un modèle climatique (voir par exemple Washington et Parkinson, 1984) consiste à intégrer numériquement un ensemble d'équations mathématiques qui représentent le comportement du système climatique (ou d'un sous-système). Les lois fondamentales qui gouvernent le comportement du système climatique sont bien sûr celles qui décrivent les processus physiques liant les divers éléments du système. Parmi les cinq éléments du système climatique, l'atmosphère est la composante la plus variable dont l'influence sur le climat est la plus rapide. Actuellement, le modèle de circulation générale atmosphérique, couplé avec un modèle océanique et un modèle sur la glace de mer, est l'outil le plus puissant pour des études climatiques liées à l'effet de serre. Une dizaine de groupes scientifiques dans le monde possèdent actuellement un tel outil numérique. Il représente souvent le travail de nombreux chercheurs et ingénieurs pendant vingt ans. Sous le seul effet des équations fondamentales de la physique, nous sommes aujourd'hui capables de simuler les principales caractéristiques du climat. C'est-à-dire, nous possédons maintenant une planète virtuelle dont le comportement est assez proche de celui de la planète réelle. Le modèle est d'abord un outil de compréhension des processus, mais il sert également à définir les scénarios climatiques. Pour prévoir l'évolution du climat dans le futur, on sera amené à prévoir le comportement de l'Homme dans le futur, c'est-à-dire, prévoir un scénario d'émission. Mais la croissance démographique, le type de développement économique, tout comme le mode de vie que la société ou un individu choisit modulent tous la future émission des gaz à effet de serre. En considérant les différentes hypothèses, le Groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC, ou IPCC pour son appellation en anglais: Intergovernmental Panel on Climate Change) a mis en place une série de scénarios de référence. En utilisant ces scénarios d'émission dans les modèles climatiques actuellement disponibles, la communauté scientifique prévoie une augmentation de la température globale de 2 à 6 degrés (IPCC, 2001), à l'horizon de 2100, par rapport à la période préindustrielle. Cette augmentation est tout à fait considérable en comparaison avec les grands cycles de glaciation dont l'amplitude est également de quelques degrés seulement. A l'état actuel, nous avons encore beaucoup de difficultés dans l'appréciation de la probabilité des scénarios, soit à cause des incertitudes dans l'estimation des scénarios d'émission, soit à cause des imperfections ou des processus manquants dans les modèles utilisés. Certains traits communs parmi les différents modèles sont néanmoins notables (voir par exemple Le Treut et Jancovici, 2001). La surface continentale connaît un réchauffement plus important que l'océan, parce que celui-ci a une inertie thermique beaucoup plus grande et qu'une partie de la chaleur est consommée par une évaporation plus forte. Les régions polaires connaissent un réchauffement plus important que les tropiques, parce que la fonte de la neige et de la glace de mer diminue la réflectivité du sol et augmente donc la quantité d'énergie solaire absorbée. Les régions tropicales connaissent un réchauffement moindre, car une partie de la chaleur est transportée vers les couches supérieures de l'atmosphère à cause des rouleaux de convection renforcés. Le réchauffement maximal dans les régions tropicales se trouve donc en altitude aux alentours de 10 km. En ce qui concerne la précipitation, un autre ingrédient important du climat, il y a une intensification (de l'ordre de 8 à 10%) du cycle hydrologique au niveau global. Les régions tropicales connaissent une augmentation de précipitation à cause des activités convectives plus fortes. Les hautes latitudes ont aussi une augmentation de la précipitation, car l'atmosphère, plus chaude, contient plus de va- peur d'eau et est capable de transporter plus d'humidité vers les hautes latitudes. Les régions subtropicales, en revanche, connaissent une diminution de pluie, car la branche descendante de la circulation de Hadley est intensifiée et s'étend davantage vers les moyennes latitudes. A l'état actuel de la recherche scientifique, il est très difficile de raffiner les scénarios climatiques à l'échelle locale, voire régionale. Néanmoins, Une certaine cohérence parmi les différents modèles a été trouvée sur la région Europe - Méditerranée et les tendances réellement observées corroborent les résultats modélisés. Pour un réchauffement global, l'anticyclone des Açores semble renforcé et s'étend sur une zone plus large. Sous influence de l'anticyclone, le bassin Méditerranéen connaît une diminution de pluie. Le gradient méridional de pression sur l'Atlantique du nord est aussi renforcé, tout comme le gradient méridional de température dans les hautes couches de l'atmosphère. Ceci a pour effet de renforcer la route dépressionnaire nord-atlantique et de décaler cette zone de dépression vers le nord. Ainsi des perturbations qui arrivent sur le continent européen sont plus nombreuses et plus fortes. Le nord de l'Europe a donc une augmentation de pluie. Le contraste hydrologique entre le nord et le sud de l'Europe est ainsi accentué (voir Figure 1). 3. CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES Certaines évidences observées vont également dans le sens d'un état de sécheresse pour le climat du bassin méditerranéen. Tout d'abord, les précipitations issues des stations et compilées au CRU, Royaume-uni (Hulme et al., 1998) montrent une forte diminution de pluie pour le bassin méditerranéen entre le début et la fin du 20e siècle (voir Figure 2). Cette diminution peut atteindre 70 mm pour la pluviométrie annuelle. En utilisant la couverture nuageuse fournie par le réseau météorologique italien, Maugeri et al. (2001) ont trouvé que la nébulosité en Italie a diminué de 10 à 15% durant les 50 dernières années. L'intensification de la circulation tropicale (notamment la cellule de Hadley) est également observée depuis l'espace (Chen et al., 2002). Elle est manifestée par une augmentation du flux infrarouge sortant au sommet de l'atmosphère dans les régions subtropicales où la nébulosité est diminuée et l'atmosphère est séchée davantage suite à une subsidence plus forte de la branche descendante de la cellule de Hadley. La tendance est estimée à 3,7 W/m2 par décennie depuis 1985, date à partir de laquelle le bilan radiatif de la terre est observé. Bien que les tendances observées pour le bassin méditerranéen corroborent les résultats modélisés, beaucoup d'incertitudes persistent encore. Car les modèles actuels souffrent de certaines limitations techniques ou à l'ordre plus fondamental. La première limitation est du fait que l'on utilise un maillage fini dont la résolution spatiale est de l'ordre de 300 km, donc assez grossière. Il est impossible de représenter explicitement les mouvements dont l'échelle est inférieure au maillage. Leurs effets sont pris en compte d'une manière statistique à travers la paramétrisation (terme spécial employé par les modélisateurs pour dé- signer la représentation des processus non-résolus du modèle à travers les variables explicites). Avec le progrès technologique en matière de calcul scientifique, il est prévisible que les futurs modèles auront une résolution spatiale de plus en plus fine. La deuxième limitation est que la construction des modèles actuels n'est pas entièrement achevée et que les processus fondamentaux du climat ne sont pas encore tous incorporés. Après l'océan et la glace de mer, la chimie et la biochimie sont en train d'entrer dans les modèles climatiques. La complexité des futurs modèles sera de plus en plus grande. Compte tenu des forts impacts du changement climatique sur le développement économique et la condition de vie des habitants du bassin méditerranéen, il est donc important de construire un système de modélisation pour le climat régional méditerranéen. Ceci doit être un système performant, modulaire et hiérarchisé à plusieurs niveaux: modèles couplés océan - atmosphère du système climatique global; modèles atmosphériques régionaux ou modèles globaux zoomés sur la Méditerranée; modèles physico-dynamiques de la mer Méditerranée et modèles de l'écosystème marin. De fortes collaborations doivent être entreprises avec la communauté scientifique sur la végétation à la surface et sur l'hydrologie continentale. Des contacts doivent être également pris avec la communauté de recherche en impact du changement climatique et la communauté utilisatrice des informations climatiques pour la gestion politico-économique. REMERCIEMENTS L'auteur voudrait remercier ses nombreux collègues de l'Institut Pierre-Simon Laplace pour des discussions constructives. Cette étude est soutenue par le programme GICC (Gestion et Impact du Changement Climatique). Fig. 1: Changement de la pluviométrie annuelle (mm) pour la fin du 21e siècle (2071/2100). La période 1961/1990 est utilisée pour référence. Le résultat (source: http://www.lmd.jussieu.fr) est obtenu d'une simulation numérique (nommée LF8) effectuée à l'IPSL (Institut PierreSimon Laplace) à Paris. L'expérience a été faite à l'aide d'un modèle climatique (atmosphère + océan + glace de mer) couplé interactivement avec un modèle de carbone (océan et surface continentale). La concentration du CO2 a été fixée à 286ppm au départ de la simulation en 1860. Elle a ensuite varié interactivement au fur et à mesure que la simulation progressait. Et cela jusqu'à 2100. L'émission anthropique du CO2 suivait l'estimation historique (source: http://cdiac.esd.ornl.gov) jusqu'à 1990 et la projection future A2 (source: http://www.ipcc.ch), établi par le GIEC à partir de 1990. RÉFÉRENCES Chen, J., B.E. Carlson, and A.D. Del Genio, Evidence for strengthening of the tropical general circulation in the 1990s, Science, 295, 838-841, 2002. Hulme,M., T.J. Osborn, and T.C.Johns , Precipitation sensitivity to global warming: Comparison of observations with HadCM2 simulations, Geophys. Res. Lett., 25, 3379-3382, 1998. IPCC: Climate change 2001, The scientific basis, Cambridge university Press, 2001. Joussaume, S, Climats d'hier à demain, CNRS Editions, Paris, 1999. Le Treut, H., et J.-M. Jancovici, L'effet de serre, allonsnous changer le climat ?, Flammarion, collection Dominos, Paris, 2001. Maugeri, M., Z. Bagnati, M. Brunetti, and T. Nanni, Trends in Italian total cloud amount, 1951-1996, Geophys. Res. Lett., 28, 4551-4554, 2001. Sadourny, R., Le climat de la terre, Flammarion, collection Dominos, Paris, 1994. Fig. 2: Changement observé de la pluviométrie annuelle (mm) entre le début (1901/1929) et la fin (1971/1999) du 20e siècle (source: http://www.cru.uea.ac.uk/cru/data).