Les pratiques d`économie solidaire. Une approche par l

publicité
Chaire de recherche Marcelle-Mallet
sur la
CULTURE PHILANTHROPIQUE
Les pratiques d'économie solidaire.
Une approche par l'anthropologie
économique
Philippe Duez
Cahier no TA1302
i
Les pratiques d’économie solidaire.
Une approche par l’anthropologie
économique
Philippe Duez
Cahier no TA1302
ii
Cahier de la Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique
« Les pratiques d’économie solidaire. Une approche par l’anthropologie économique »
Philippe Duez
ISBN 978-2-924117-26-2 (version imprimée)
ISBN 978-2-924117-27-9 (version numérique)
Dépôt légal - Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2013
Dépôt légal - Bibliothèque et Archives Canada, 2013
Révision linguistique : Le Graphe
iii
Présentation de la Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique
La Chaire de recherche Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique poursuit une mission
de production de connaissances originales sur la culture philanthropique, de diffusion de
contenus d’érudition qui rendent compte de sa complexité et d’appui à la mise en pratique
des résultats de la recherche pour la progression de la culture philanthropique.
La Chaire conçoit ainsi la culture philanthropique :
Les manifestations comportementales, intellectuelles et morales de même que
les structures sociales par lesquelles des personnes donnent volontairement
argent, biens ou temps, afin de contribuer au mieux-être de leurs semblables, de
leur collectivité et plus généralement de l’humanité, et ce, sans contrepartie
pleinement équivalente.
La culture philanthropique prend forme dans une diversité de lieux, de secteurs d’activités,
de tâches et de significations portées par différents groupes sociaux. Considérant la variété
de ces manifestations, la Chaire privilégie trois axes de recherche :
•
•
•
les formes et pratiques actuelles de la culture philanthropique : les travaux de cet axe
portent sur les actions récentes, innovantes et peu documentées de solidarité,
notamment dans les domaines de l’alimentation et du logement. Les études réalisées
permettront de décrire la culture philanthropique québécoise contemporaine et
d’expliquer sa différenciation ;
les transformations de la culture philanthropique : les activités de cet axe concernent les
changements des pratiques touchant l’entraide, le bénévolat, l’engagement social et la
libéralité financière. Les études contribueront à saisir l’influence des phénomènes
sociétaux et des logiques d’acteurs qui reconstruisent l’inclinaison à donner pour le bien
commun ;
les interventions en faveur de la culture philanthropique : les travaux de cet axe
identifient les principes à la base du succès des démarches éducatives, éducationnelles
ou sociales de diffusion de la culture philanthropique, notamment auprès des
populations défavorisées et des jeunes.
Les cahiers de recherche représentent un des moyens de diffusion des connaissances
produites par la Chaire. Les cahiers de la collection « Études empiriques » rendent compte
d’observations originales et systématiques faites par des chercheurs sur diverses
manifestations de la culture philanthropique. Les cahiers de la collection « Théories et
approches » font état des idées et des concepts permettant de comprendre et d’expliquer
les différentes facettes de cette culture. Enfin, la collection « Interventions » expose
différentes initiatives menées le plus souvent par des professionnels en vue de développer
la disposition à la solidarité sociale.
En rappelant le nom de Marcelle Mallet, la Chaire rend hommage à une femme totalement
engagée pour ses semblables et qui a fondé, en 1849, la congrégation des Sœurs de la
Charité de Québec.
Yvan Comeau, professeur titulaire
[email protected]
www.culturephilanthropique.ulaval.ca
iv
Présentation de l’auteur
Philippe Duez est professeur en économie et doyen de la Faculté d’économie, gestion,
administration et sciences sociales (FEGASS) de l’Université d’Artois (Arras, France). Ses
thèmes de recherche concernent notamment l’économie du bien-être, l’analyse qualitative
des phénomènes urbains et les stratégies territoriales du développement. Il a récemment
publié dans les revues Marché et organisations (2009), Mondes en développement (2010)
et Revue d’économie régionale et urbaine (2011).
v
Table des matières
Liste des sigles
vii
Résumé
viii
Introduction
1
1. Les pratiques d’économie solidaire comme alternatives monétaires
4
1.1. Présentation des alternatives
4
1.2. Le caractère fictif de la monnaie
6
1.3. Retour sur le caractère alternatif des pratiques monétaires
8
2. Les pratiques d’économie solidaire comme alternatives au marché du travail
12
2.1. Les pratiques d’insertion par l’économique
12
2.2. Le caractère fictif du travail
13
2.3. Le caractère alternatif des pratiques d’insertion par l’économique
15
3. Les pratiques d’économie solidaire comme alternatives au marché foncier
18
3.1. Les pratiques de commerce équitable
18
3.2. Le caractère fictif du marché foncier
21
3.3. Le caractère alternatif du commerce équitable
22
Conclusion
25
Bibliographie
27
vi
Liste des sigles
CCFD
Comité catholique contre la faim et pour le développement
LETS
Local Exchange Trading System
ONG
Organisation non gouvernementale
PECS
Pratique d’épargne et de crédit solidaire
PES
Pratique d’économie solidaire
RES
Réseau d’échange de savoirs
SEL
Système d’échange local
vii
Résumé
Les chercheurs et les praticiens présentent, expliquent et valorisent l’économie solidaire en
mettant surtout en évidence ses réponses à des problèmes concrets. Cela n’apparaît pas
suffisant pour que l’économie solidaire devienne un concept économique incontournable.
Ses promoteurs doivent surmonter le défi consistant à développer des pratiques qui
prennent en charge concrètement les principes à la fois de l’échange marchand, de la
réciprocité et de la redistribution. La présence effective de cette triade des principes
économiques établie par Karl Polanyi permettrait à l’économie solidaire de prétendre à une
place encore plus importante dans l’économie plurielle. C’est tout particulièrement sur le
plan de la réciprocité et du don que l’économie sociale pourrait se distinguer davantage. Or,
l’examen par l’auteur de plusieurs pratiques de l’économie solidaire qui aspirent à devenir
des alternatives laisse paraître une mise à distance critique insuffisante de plusieurs
sophismes. Le point de vue de l’anthropologie économique permet de déconstruire ces
raisonnements faux relatifs à l’argent, au travail et à la terre. Très puissants et peu remis en
question, ces paradoxes éloignent les pratiques de l’économie solidaire du principe
économique de la réciprocité et du don qui devrait pourtant contribuer à sa théorisation.
viii
Les pratiques d’économie solidaire. Une approche par l’anthropologie économique
Introduction
« L’anthropologie économique a pour objet l’analyse théorique comparée des différents
systèmes économiques réels et possibles » (Godelier, 1965 : 32). Elle « est avant tout une
spécialisation disciplinaire, au sein de l’anthropologie sociale, qui vise à saisir, dans une
perspective comparée, la gamme des dispositifs mis en œuvre par les sociétés de manière
à produire et à échanger les biens matériels nécessaires à leur consommation et à leur
reproduction en tant que groupe » (Dupuy, 2001 : 4). Aujourd’hui, l’économique occupe peu
de place dans les travaux anthropologiques, bien que les objets de recherche ne manquent
pas (Bazin et Selim, 2000). La mondialisation, le développement du recours aux
associations et les modifications du travail introduites par les nouvelles technologies
refaçonnent les visions que peuvent avoir les acteurs de l’économique. De plus, qu’elle
traite du marché ou de la nature de la monnaie dans les sociétés primitives, l’anthropologie
économique s’interroge toujours sur les différences de degré ou de nature avec le système
économique moderne. C’est même ce qui a justifié son apparition au moment de la
première révolution industrielle et de la colonisation qui l’a accompagnée.
Les travaux sur l’économie sociale ont à peu près la même position à l’égard du courant
dominant de la science économique. L’économie politique naissante aurait pu s’appeler
économie sociale (Duez, 2007). Charles Dunoyer écrit le premier traité d’économie sociale
en 1837. Les premières grandes revues en économie politique traitent des institutions
d’économie sociale ou de la charité. Celle-ci renaît aujourd’hui sous les traits des pratiques
d’économie solidaire (PES), pratiques qui résultent d’un processus de création
institutionnelle et d’innovation sociale faisant apparaître régulièrement de nouvelles formes
de pratiques (Laville, 1992). Puisqu’elle s’appuie d’abord sur des pratiques répondant à des
problèmes concrets, l’économie solidaire n’est pas encore un concept (Alcoléa-Bureth,
2004 : 24.). Elle est d’abord considérée comme un mouvement qui « permet d’alimenter le
débat sur les manières de repenser les rapports entre l’économie et le social 1 ». Ce
mouvement a même rédigé récemment son manifeste.
Pour certains, le concept est de toute façon en danger, puisqu’il risque d’être victime d’un
isomorphisme institutionnel (Enjolras, 1996 ; Bidet, 2003 ; Duez 2007). Les partisans de
l’économie solidaire militent pour une économie plurielle (Laville, 1994). L’économie plurielle
a une visée modeste. Elle se contente de mettre en parallèle le principe de répartition
intervenant dans l’économie marchande (l’échange) avec le principe de répartition de
l’économie non marchande (la redistribution) et celui de la réciprocité intervenant dans
l’économie non monétaire. Les progrès de l’économie plurielle viendront surtout de
l’interaction entre les trois modes de répartition, et non de leur concurrence. Toutefois, les
opposants à cette économie qui appartiennent à l’économie dominante marchande ou non
marchande cherchent par la loi ou les tribunaux à imposer leur vision des choses 2. Un
isomorphisme coercitif oblige alors les acteurs de l’économie solidaire à se conformer aux
1
B. Lévesque, G. L. Bourque et É. Forgues, La nouvelle sociologie économique (2001), cité par
Alcoléa-Bureth, 2004 : 19.
2
L’évocation de l’ensemble des conflits et des solutions qui furent trouvés dépasse largement le cadre
d’un tel article.
Chaire de recherche
Cahiers de recherche
Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique
Collection « Théories et approches »
www.culturephilanthropique.ulaval.ca
1
Les pratiques d’économie solidaire. Une approche par l’anthropologie économique
règles du jeu de l’économie dominante. L’isomorphisme peut prendre un caractère
mimétique quand les PES se rapprochent des règles du jeu de l’économie marchande ou
non marchande. Il est facile tant que les opposants peuvent invoquer une confusion autour
des formes de rationalités utilisées par les PES, donc aussi longtemps que subsiste un
problème de conceptualisation qui empêche de situer clairement les PES par rapport à
l’économie dominante. Le concept peut même être mort-né s’il s’agit d’un oxymore,
autrement dit d’une tentative verbale de conjurer des contractions réelles de l’économie
(Latouche, 2003). L’économie solidaire serait notamment beaucoup trop dépendante de
l’économie de marché ou de l’économie non marchande pour être une solution économique
réelle.
Le problème conceptuel est donc central dans les pratiques d’économie solidaire. Il est à la
source de nombreuses confusions sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir,
simplement parce que certains militants sont obnubilés par l’actualisation d’une certaine
réalité sociale (Teisserenc, 1994) et ont tendance à réinventer « l’eau chaude » pour
légitimer leur action (Srinivasan, 1994). Dans son travail bibliographique, le Centre rennais
d’information pour le développement et la solidarité entre les peuples (CRIDEV) utilise une
typologie basée sur trois types de pratiques : les pratiques d’épargne et de crédit solidaire,
les pratiques de commerce équitable et les initiatives citoyennes (régies de quartier,
systèmes d’échange local [SEL], etc.). Dans leur tentative de relecture du mouvement de
l’économie solidaire, Chanial et Laville définissent l’économie solidaire comme « l’ensemble
des activités contribuant à la démocratisation de l’économie à partir d’engagements
citoyens » (Chanial et Laville, 2002 : 20). Ils évoquent quatre types de pratiques : le
commerce équitable ; les finances solidaires ; les réseaux d’échanges non monétaires ; les
pratiques d’insertion par l’économique développées autour des services de proximité et plus
particulièrement des services à la personne. Ces exemples de typologie se contentent d’une
définition en extension de l’ensemble des pratiques, sans préciser la nature des façons de
repenser tous les liens entre l’économique et le social. Le programme de recherche de
l’économie solidaire peut s’appuyer sur l’anthropologie économique et en particulier sur les
travaux de Karl Polanyi et de Marcel Mauss pour faire un pas supplémentaire dans la
construction d’une théorie de l’économie plurielle (Laville, 2003).
Pour Polanyi, l’économie de marché s’appuie sur « la transformation de la substance
naturelle et humaine en marchandise » (Polanyi, 1983 : 70). Agir de telle façon revient selon
lui à « subordonner aux lois du marché la substance de la société elle-même » (108). La
terre et le travail mais aussi la monnaie sont donc des marchandises fictives. Polanyi
consacre un certain nombre de chapitres de son ouvrage à l’examen des transformations
institutionnelles nécessaires à la mise en place de ces trois types de marchés. Pour Mauss,
le don est le principe essentiel d’organisation des sociétés primitives. Le don est présent
dans l’économie moderne, mais sous d’autres formes, parce que celle-ci ne peut se passer
du principe essentiel qu’est le don dans l’organisation de toute société (Caillé, 2005). Nous
faisons l’hypothèse que, pour agir comme alternatives à l’économie dominante (économie
marchande, économie non marchande basée sur la redistribution par l’État), les PES
doivent s’attaquer au caractère fictif de ces marchandises et réintroduire le don. On peut
alors les classer en trois grands types de pratiques qui feront chacune l’objet d’un chapitre :
les alternatives monétaires, les alternatives au marché du travail et les alternatives au
marché foncier. Nous ferons un bref historique des pratiques et nous présenterons son
Chaire de recherche
Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique
www.culturephilanthropique.ulaval.ca
Cahiers de recherche
Collection « Théories et approches »
2
Les pratiques d’économie solidaire. Une approche par l’anthropologie économique
fonctionnement. Certaines pratiques sont très anciennes, mais nous nous contenterons de
présenter leur histoire récente. Les innovations sociales en la matière sont tellement
nombreuses que nous ne pouvons prétendre à une totale exhaustivité. Nous insisterons
ensuite sur le caractère fictif de chaque marchandise pour mieux nous interroger sur le
caractère alternatif de chaque pratique. Au passage, nous pourrons évoquer les confusions
épistémologiques qui apparaissent parfois par manque d’effort de conceptualisation.
Chaire de recherche
Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique
www.culturephilanthropique.ulaval.ca
Cahiers de recherche
Collection « Théories et approches »
3
Les pratiques d’économie solidaire. Une approche par l’anthropologie économique
1. Les pratiques d’économie solidaire comme alternatives monétaires
Les alternatives monétaires sont au nombre de trois : les systèmes d’échange local (SEL),
les réseaux d’échange de savoirs (RES) et les pratiques d’épargne et de crédit solidaire
(PECS).
1.1. Présentation des alternatives
Les premiers SEL de l’époque moderne sont nés dans le monde anglo-saxon. Les
premières expériences ont été menées en 1976 dans la communauté de Vancouver et en
1979 sur l’île de Vancouver, à l’initiative de David Weston, sous le nom de « community
exchange ». Le temps y sert de base de calcul, un peu comme dans le système de Robert
Owen 1. Les SEL sont destinés à faire face à la crise minière survenue au Canada. En
1983, Michael Linton introduit une variante en substituant au temps une unité monétaire, le
« Green Dollar » : les LETS (Local Exchange Trading Systems) 2 sont nés. L’idée de Linton
est de respecter une échelle de salaire entre un revenu minimum et un revenu maximum.
D’autres LETS vont naître ensuite en Grande-Bretagne à partir de 1985 sous l’influence de
David Weston, puis en Australie où sera créé ce qui deviendra probablement le SEL le plus
important du monde : celui de Blue Mountain, qui regroupe près de 2 000 membres. En
France, les premières traces de réflexion sur les SEL apparaissent au printemps 1987, mais
c’est un faux départ. Le premier SEL français est un SEL rural mis en place par Françoise
Matricon à Mirepoix, dans l’Ariège, en octobre 1994. Depuis, les SEL se sont
considérablement développés, puisqu’on en compte aujourd’hui plus de 300.
Le fonctionnement du SEL est simple. Chaque SEL édite régulièrement un catalogue des
offres et demandes de biens et services ou organise des bourses locales d’échanges (BLE).
Chaque transaction est réglée dans la monnaie du SEL (le pavé pour le SEL de SaintQuentin-en-Yvelines ; le grain de sel pour le SEL de l’Ariège). Un décompte des soldes
créditeurs et débiteurs à partir de feuilles de richesse ou d’échange est tenu par
l’association. À l’ouverture du compte, certains SEL accordent des crédits qui sont
remboursés par prélèvements. Les soldes débiteurs peuvent aussi être taxés pour inciter à
échanger. Sur le plan juridique, la plupart sont sous forme associative, même si certains
sont promus par des collectivités locales (cas de Sailly-sur-la-Lys dans le Nord). Si l’on
cherche à classer les SEL selon leur mode de fonctionnement, on peut distinguer deux
types de SEL en France : les SEL libertaires, qui fonctionnent selon le principe des bons de
travail à la Owen (cas du SEL de l’Ariège), et les SEL libéraux, qui fonctionnent selon le
principe de la monnaie franche de Silvio Gesell 3 (cas du SEL de Saint-Quentin-enYvelines) (Servet, 1997). Dans le premier type de système, la création de billets de travail
permet de court-circuiter le marché du travail pour que les travailleurs puissent bénéficier de
1
Grand philanthrope et socialiste anglais qui est considéré comme le père fondateur du mouvement
coopératif.
2
Expression anglaise pour SEL.
3
Commerçant, théoricien monétaire et initiateur de la monnaie franche.
Chaire de recherche
Cahiers de recherche
Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique
Collection « Théories et approches »
www.culturephilanthropique.ulaval.ca
4
Les pratiques d’économie solidaire. Une approche par l’anthropologie économique
la totalité de la richesse produite. Dans le système de monnaie franche, il s’agit de taxer la
monnaie pour éviter toute fuite du circuit économique et favoriser la relance.
Les échanges de savoirs ont toujours existé dans l’économie domestique, mais leur
formalisation est très récente. La France semble être le premier pays à avoir mis en place
ce type d’organisation. Le premier réseau a été créé au début des années 1970 à Orly par
Claire Héber-Suffrin qui imagina de développer ce type d’échange entre ses élèves. L’idée
fut reprise en 1983 par Marc Héber-Suffrin à Évry pour y associer des personnes
marginalisées et des travailleurs sociaux. Aujourd’hui, il existe plus de 350 réseaux
d’échange de savoirs (RES) en France. La première idée des RES est de permettre à
chacun de partager ses compétences sans faire intervenir d’unité de compte ou de
comptabilisation des échanges, en insistant sur la réciprocité des échanges. On peut dire,
d’une certaine manière, que la solidarité instaurée par les RES est plurielle. Ces réseaux
sont tantôt facteur de lutte contre la marginalisation liée à l’habitat, comme c’est le cas dans
le RES d’Évry, tantôt facteur d’intégration pour les étrangers, tantôt facteur d’insertion par
l’économique et tantôt facteur de création d’une solidarité de proximité, comme c’était le cas
dans le RES d’Orly. Leur structure est totalement informelle, puisque certains sont
entièrement fondés sur le bénévolat, alors que d’autres prennent la forme d’associations loi
de 1901 1 pour recevoir des subventions et rémunérer des permanents. L’animation de la
structure et des échanges est faite en un lieu précis par des animateurs bénévoles ou
permanents qui collectent ou relèvent les offres et les demandes de chacun et mettent les
personnes en contact quand celles-ci n’arrivent pas à le faire d’elles-mêmes.
Les PECS sont anciennes. Il faut remonter à la tontine 2, du nom de Lorenzo Tonti qui fit un
appel à l’épargne publique au 17e siècle. Plus tard, des expériences de caisses solidaires
verront le jour en Allemagne avec Frédéric Guillaume Raffeisen (première association créée
en 1846) ou au Québec avec Alphonse Desjardins (fondation de la première caisse
populaire en 1900). En France, un certain nombre de coopératives de crédit se créent. À
l’époque, il s’agissait déjà d’aider les premiers travailleurs de l’industrie à accéder au crédit
pour faire face à des décalages de salaire ou pour investir dans un logement.
Aujourd’hui, l’idée est de collecter une épargne qui servira à aider les exclus du système
bancaire, en particulier les chômeurs créateurs. On joue sur la proximité pour instaurer un
climat de confiance et mutualiser les risques (Dughera, 1999 ; Guérin et Vallat, 1999). Les
premières expériences ont lieu au début des années 1980 dans le Nord–Pas-de-Calais,
avec la création des clubs CIGALES (Club d’investisseurs pour une gestion alternative et
locale de l’épargne solidaire). Il existe aussi la Nouvelle Économie fraternelle (NEF), une
banque à part entière offrant même la possibilité d’avoir un chéquier ou des livrets. On peut
aussi évoquer l’Association pour le droit à l’initiative économique (ADIE) ou le Fonds France
active (FFA). Les pratiques d’épargne solidaire sont multiples. Elles sont toutes guidées par
le souci d’introduire une dose plus ou moins forte de désintéressement dans les opérations
de crédit et de placement. On peut citer le crédit solidaire à taux zéro et surtout les
placements éthiques. Le premier d’entre eux est celui du CCFD – Terre solidaire en 1983.
1
er
C’est-à-dire une association sans but lucratif qui relève de la loi du 1 juillet 1901.
À l’origine, cotisations de plusieurs individus dans un fonds commun leur procurant une rente viagère
et dont les parts des souscripteurs décédés étaient partagées entre les survivants.
Chaire de recherche
Cahiers de recherche
Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique
Collection « Théories et approches »
www.culturephilanthropique.ulaval.ca
2
5
Les pratiques d’économie solidaire. Une approche par l’anthropologie économique
Les placements éthiques sont des fonds communs de placement (FCP) ou des sociétés
d’investissement à capital variable (SICAV) qui permettent aux épargnants de trouver une
épargne qui réponde à des critères humanitaires ou environnementaux. Le label Finansol a
été créé par les principaux intervenants et les réseaux bancaires qui proposent des produits
financiers de ce type. Enfin, de nombreuses sociétés de capital de risque associant les
collectivités locales et des réseaux d’épargne solidaire interviennent conjointement dans un
souci de réinsertion des individus marginalisés et de développement local. Il s’agit d’un
puissant effet de levier financier dans le cadre d’une plate-forme d’initiatives locales (Guérin
et Vallat, 1999).
1.2. Le caractère fictif de la monnaie
Pour Polanyi, le système libéral contient en lui-même une contradiction. Il a besoin d’une
monnaie-marchandise qui intervienne comme équivalent général dans les échanges. Mais
cette marchandise doit forcément être un bien public pour éviter que les fluctuations de sa
valeur n’influencent l’ensemble des prix des autres biens et ne faussent les échanges.
L’économie de marché va donc, dès le départ, chercher à se protéger en choisissant une
offre de monnaie exogène. Le problème est que, malgré cela, la monnaie-marchandise peut
être plus ou moins rare quand elle a une forme matérielle, soit en raison de conditions de
production qui deviennent de plus en plus difficiles, soit en raison d’un développement des
échanges. La monnaie est donc condamnée à se dématérialiser pour répondre au
développement des échanges ; ce faisant, elle devient de plus en plus fictive. L’économie
de marché se démarque ainsi des économies primitives où la monnaie est une marchandise
et où l’offre de monnaie est endogène, puisque les agents peuvent se procurer facilement
de la monnaie, que ce soit en la produisant eux-mêmes ou en la trouvant dans la nature.
Pour Georg Simmel, la monnaie est une valeur suspendue au-dessus de toutes les autres.
Elle est même la valeur qui paraît la plus pure parce qu’elle paraît totalement objective. En
contrepartie, tout se passe comme si elle possédait une matérialité en dehors du sujet et
des choses auxquelles elle permet d’attribuer de la valeur. Sa matérialité est telle que
l’Église catholique du Moyen Âge, comme l’explique Jacques Le Goff (1977) dans ses
travaux d’anthropologie historique, a brûlé en place de Grève la plupart des usuriers qui
prétendaient prêter de l’argent, alors que le temps est par nature immatériel puisqu’il
appartient à Dieu. Cette matérialité fait dire à l’homo œconomicus qu’il a besoin d’argent,
alors que l’argent ne répond à aucun besoin, simplement parce que l’argent permet de
substantialiser tous les désirs. « Quand l’homme aura coupé le dernier arbre, rendu muet le
dernier oiseau, pêché le dernier poisson, il s’apercevra qu’on ne se nourrit pas d’argent »
(Parabole d’un chef indien cité par Servet, 1999a : 55). Le système a donc quelque chose
de tautologique et de fictif qui contribue à enfermer les hommes dans les choses
(Dumonchel et Dupuy, 1979). L’introduction d’une monnaie, quelle qu’en soit la forme,
introduit un processus de délitement de la valeur, puisque la valeur des choses s’éloigne de
la valeur des êtres. Ce principe est toujours vrai dans toute société, mais il est totalement
abouti dans la société moderne où règne la quantité (Guénon, 1986). Entre l’économie
primitive et l’économie moderne, il y a donc bien une différence de degré et non de nature,
même si l’économie primitive a inventé des moyens pour se protéger. Conscientes de ce
risque de délitement, les sociétés primitives ont mis en place des moyens pour limiter le rôle
Chaire de recherche
Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique
www.culturephilanthropique.ulaval.ca
Cahiers de recherche
Collection « Théories et approches »
6
Les pratiques d’économie solidaire. Une approche par l’anthropologie économique
de l’agent. L’argent ne servait alors pratiquement jamais à acquérir des terres ou à acheter
des biens de subsistance (Dupuy, 2001). Son rôle se limitait donc à la réalisation d’achats
symboliques et au règlement des rapports en dehors de la tribu ou de la communauté. De
nombreux exemples pourraient être cités. Évoquons simplement le cas des Fali de
Ngoutchoumi du Nord-Cameroun (Bordes et Gauthier, 1990). Le cas est intéressant
puisque le passage d’une économie primitive à une économie de marché s’est fait
notamment par l’introduction du franc CFA 1. Avant la transformation institutionnelle, il y a
coexistence de deux types d’échanges : des échanges internes pour les moyens de
subsistance qui se font par le troc, et des échanges externes pour se procurer des biens de
luxe, qui nécessitent l’utilisation du « diolu », bandelette de coton tissée par les Fali. Avec la
transformation institutionnelle, on assiste à des modifications profondes. Il y a d’abord un
envahissement de la totalité de l’économie domestique par la logique marchande parce qu’il
est impossible de maintenir un système de prix relatifs évitant cet envahissement. Il y a
incitation à révéler l’existence de besoins qui sans cela ne seraient pas apparus. Les Fali
commencent alors à ressentir de l’insatisfaction et de la frustration.
Pour Polanyi, la monnaie est aussi responsable du délitement du principe de réciprocité et
de solidarité subjective présent dans les économies basées sur le troc et le don/contre-don.
Cela confirme donc les travaux de Mauss. Sur le marché, des échanges d’objets aliénables
s’effectuent entre des personnes qui sont en situation d’indépendance réciproque, alors que
dans le don on échange des objets inaliénables entre des personnes qui sont en situation
de dépendance réciproque par le fait même que le don implique une dette et l’obligation de
rendre. Dans la société moderne, les individus sont donc dépendants dans la production en
raison de la complexité de la division du travail. Dans les sociétés primitives, les individus
sont dépendants dans l’échange, et c’est la circulation des biens qui augmente leur valeur.
Le don fait naître une obligation de rendre, qui est différée dans le temps, mais aussi une
obligation de recevoir. Ce qui est donné est une part de soi-même ; ce qui est rendu est
l’esprit de la chose donnée. L’échange est par nature symbolique et lié à des rapports de
pouvoir entre les groupes. Ce sont les hommes qui font les choses et non l’inverse. Ce
phénomène est bien présent dans les échanges du peuple lio habitant le sud-est de
l’Indonésie (Howell, 1989). Les objets sont personnalisés en fonction de ceux qui les
reçoivent. Cette personnalisation est une garantie pour la réciprocité. Elle incite à recevoir
mais aussi à rendre en fonction des personnes qui ont donné. La solidarité est donc
subjective. La différence avec la société moderne est ainsi une différence de nature.
Cependant, la notion de dette et de don reste présente dans une économie moderne qui ne
peut s’en passer, car le don crée le lien (Godbout et Caillé, 1992).
Dans une économie moderne, « l’acquittement de toute obligation particulière au moyen
d’argent signifie précisément que désormais la communauté dans son ensemble va assurer
cet engagement vis-à-vis de l’ayant droit » (Simmel, cité par Malandrin, 1999 : 157). La
dette est donc bien réelle. Cette obligation reste encore très forte dans les pays en voie de
développement justement parce que la monnaie y est encore très fortement liée à
l’appartenance à une communauté (Aglietta et Orléan, 2003). L’introduction de la monnaie
dans l’ensemble des échanges va ainsi déboucher sur la production d’une liberté : celle
d’échanger avec des étrangers de plus en plus lointains. L’homo æqualis est bien celui qui
1
Monnaie de plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest.
Chaire de recherche
Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique
www.culturephilanthropique.ulaval.ca
Cahiers de recherche
Collection « Théories et approches »
7
Les pratiques d’économie solidaire. Une approche par l’anthropologie économique
croit que le remplacement de l’obligation de donner par la compétition dans l’échange va se
traduire par plus d’équité (Dumont, 1977). En contrepartie, l’anonymat va s’installer. Cet
anonymat existe aussi dans le mécanisme de redistribution mis en place par l’Étatprovidence. La monnaie rend anonyme le mécanisme du don, tandis que la loi de solidarité
est une loi statistique faisant en sorte que le hasard décide à qui ira le contre-don. Il s’agit
en fait d’un mécanisme de détournement du don originel (Caillé, 2005). Tout le monde
paraît ainsi avoir intérêt à être désintéressé. Le don en monnaie existe aussi sous la forme
de l’aumône faite aux plus pauvres, mais elle entraîne un lien de dépendance. La présence
du don/contre-don dans les sociétés primitives est-elle synonyme d’une réciprocité plus
grande et en définitive d’une plus grande humanité ? On peut répondre par l’affirmative,
mais encore faut-il préciser ce qu’est un don. On doit alors avoir recours à la philosophie,
mais aussi à des travaux critiques de ceux de Marcel Mauss et aux thèses développées par
le mouvement anti-utilitarisme en sciences sociales 1.
On peut reprocher aux approches sur le don leur trop grande confiance dans ce mécanisme
comme principe d’organisation sociétale. On peut, selon Annette Weiner, vouloir garder tout
en donnant de sorte que la dette ne s’éteint jamais. On peut utiliser le don pour défier les
autres. On peut vouloir garder pour donner et risquer d’accumuler. Selon Maurice Godelier,
on peut se focaliser sur ce que l’on redonne plutôt que sur ce que l’on donne. Dans tous ces
cas, on peut se demander si le don totalement désintéressé existe vraiment. La réciprocité
dont il est question dans les approches en termes de don/contre-don ne correspond pas
tout à fait à ce que doit être un altruisme totalement désintéressé au sens de Jacques
Derrida. Le don est dans le doute à partir du moment où l’on se donne l’impératif de donner
(De Béchillon, 1997). L’amour gratuit fait effectivement partie des effets secondaires que la
volonté a du mal à produire par elle-même 2. Chez Emmanuel Levinas, le véritable don doit
donc reposer sur une conscience non intentionnelle pour éviter tout acte intéressé
(Arnsperger, 1997). Chez Jacques Derrida, l’intentionnalité n’est pas rejetée, mais purifiée
au maximum de tout élément faisant référence à soi en ayant recours à la notion
« d’interruption de soi par soi comme autre ». Pour donner, il faut donc purifier en quelque
sorte son intentionnalité.
1.3. Retour sur le caractère alternatif des pratiques monétaires
Pour être de véritables alternatives au caractère fictif de la monnaie, les pratiques
monétaires d’économie solidaire doivent proposer une matérialisation de la monnaie et une
offre de monnaie endogène pour améliorer le contrôle de la dette. Elles doivent jouer sur la
qualité de la monnaie pour éviter le délitement de la valeur. Elles doivent réintroduire une
réciprocité moins objective que celle de l’économie monétaire moderne.
Les SEL utilisent une monnaie dématérialisée mais donnent un nom qui amène les
échangistes à penser qu’il s’agit d’une monnaie-marchandise comme dans les sociétés
1
Réflexion critique de l’économisme en sciences sociales et du rationalisme utilitaire en philosophie
morale et politique.
2
Pour les limites de la rationalité, consulter Jon Elster, Le laboureur et ses enfants. Deux essais sur les
limites de la rationalité. Paris, Minuit, 1986, 199 p.
Chaire de recherche
Cahiers de recherche
Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique
Collection « Théories et approches »
www.culturephilanthropique.ulaval.ca
8
Les pratiques d’économie solidaire. Une approche par l’anthropologie économique
primitives. Le SEL de l’Ariège fait, bien sûr, penser à la monnaie de sel de l’article de
Godelier sur les Baruya. Quant à celui de Saint-Quentin-en-Yvelines, il fait référence au
pavé, clin d’œil en même temps à Mai 68. L’offre de monnaie reste par contre endogène,
puisque chaque participant dispose d’un droit de tirage à concurrence des services qu’il
peut offrir. Cette capacité de tirage fait craindre à la Banque de France une concurrence
avec la monnaie nationale. Nous avons vu dans l’historique des SEL que certains ont été
rapidement interdits parce qu’ils fonctionnaient sur la base d’une monnaie directement
concurrente de la monnaie nationale. Cependant, la monnaie des SEL actuels ne rentre pas
dans la même logique. Il existe un taux de change de l’unité monétaire de chaque SEL,
notamment pour ce qui est du règlement des impôts ou pour le paiement des frais de
fonctionnement des SEL. L’unité de compte est donc dépendante de la monnaie nationale.
Les bons d’échange ne sont pas des moyens de paiement entre les membres, sauf à
l’occasion des bourses d’échange. Quant à la création monétaire, elle n’a lieu qu’au fur et à
mesure des achats, et la compensation permet d’éviter l’existence d’une position
excédentaire au niveau de l’ensemble du SEL. De plus, les transferts dans les SEL ne se
traduisent jamais par le transfert final des avoirs. Enfin, les SEL ne recueillent pas de fonds
publics et ne font pas de crédit à titre onéreux comme à titre gratuit. Ils ne font que des
avances, comme dans le SEL de Saint-Quentin-en-Yvelines. Les SEL ne concurrencent
donc pas les banques.
Ils visent une certaine qualité monétaire en ré-enchâssant l’économique dans le politique et
l’éthique. Les défenseurs des SEL veulent lutter contre l’exclusion liée au manque d’euros.
Les chômeurs sont exclus de l’échange parce qu’ils n’ont pas de travail et ne peuvent donc
se procurer la monnaie officielle (celle produite par la banque centrale). Selon les
estimations de Servet (1997), un SEL apporte un complément de revenus entre 80 et
450 euros. Parallèlement à cela, il permet de créer du lien social et d’introduire une
solidarité moins bureaucratique où les relations personnelles comptent (Malandrin, 1999 ;
Guérin et Vallat, 1999 ; Laacher, 2003). Il permet ainsi de créer une société plus
démocratique où les individus se prennent en charge et se rencontrent pour fixer les règles
transparentes de fonctionnement. Certains SEL ont intégré des règles éthiques puisqu’ils
ont refusé des offres sexuelles. Par ailleurs, les échanges portent sur des services qui
contribuent à satisfaire des besoins de première nécessité au sens de François Perroux
« c’est-à-dire les dépenses assurant aux êtres humains la satisfaction de leurs besoins
élémentaires tant matériels (santé, nourriture, logement) qu’immatériels (culture, loisir…) »
(F. Perroux 1, cité par Maréchal, 2001). De toute façon, ils ne permettent pas
l’enrichissement des participants. Cela limite donc fortement le délitement de la valeur.
Les SEL visent une réciprocité qui n’est pas celle des économies primitives puisqu’il y a
intervention d’une monnaie. Cependant, cette réciprocité n’est pas non plus la réciprocité
totalement objective du système de solidarité moderne. En effet, ils proposent un système
alternatif de production et d’échange dans lequel est nécessairement présent le principe de
compte et de règlement des dettes par la société (Servet, 1999b : 63). Le système
monétaire actuel abandonne son principe de réciprocité basé sur l’anonymat et produit de
l’exclusion. Il ne respecte donc plus ses engagements parce qu’il est trop financiarisé et
refuse l’idée de laisser le hasard choisir où ira le contre-don. Les SEL vont au contraire
1
e
Citation tirée de son ouvrage L’économie du XX siècle (1961 : 367-368).
Chaire de recherche
Cahiers de recherche
Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique
Collection « Théories et approches »
www.culturephilanthropique.ulaval.ca
9
Les pratiques d’économie solidaire. Une approche par l’anthropologie économique
proposer de respecter un engagement de réciprocité, mais en recréant du lien social. Par
contre, la dimension des SEL est limitée puisque le SEL de plus grande taille n’excède pas
2000 participants.
Tous les SEL ne réintroduisent pas la même réciprocité (Servet, 1997). Pourtant, certains
militants parlent des Français qui redécouvrent le troc (Plichon, 1997). De même, pour
Armand Tardella, fondateur du SEL de Saint-Quentin-en-Yvelines, il s’agit de « créer un
système de troc "multilatéral", où l’argent (l’unité de compte) est créé au rythme des
échanges de biens et services » (Tardella, 1999 : 194). Il y a bien confusion entre
l’économie de troc et l’économie monétaire. Servet, qui évoque aussi cette confusion,
préfère parler d’échange (Servet, 1997 : 15). Malandrin (1999) évoque, quant à lui,
l’existence d’une monnaie sans échange marchand. Les SEL ne sont donc pas du troc, car
le troc n’est pas multilatéral. Les SEL n’appartiennent pas à une économie non monétaire,
puisqu’ils ne remettent pas en cause la monnaie comme élément de transaction ou d’étalon
de mesure des valeurs. Ils ne s’inscrivent pas dans la logique marchande, puisqu’ils font
tout ce qu’il faut pour éviter que leur monnaie devienne une monnaie de réserve. Ils ne se
situent pas cependant du côté du don pur. Les SEL libertaires vont permettre de réenchâsser l’économique dans le politique, alors que les SEL libéraux sont des outils de
relance de l’activité économique et ne remettent donc pas en cause le principe
d’accumulation du capital présent dans l’économie moderne. Certains SEL sont par ailleurs
trop particularistes, ce qui limite la réciprocité. C’est le cas des SEL ruraux, souvent
soutenus par des néo-ruraux qui y voient un moyen de lutter contre l’exclusion de la part
des natifs qui y participent rarement (exemple du SEL de la Ruche en Gironde). C’est aussi
le cas des SEL très protestataires, comme celui de l’île de Ré, et du SEL d’Orsay réservé à
des cadres.
Les PECS s’attaquent d’abord au principe de délitement de la valeur. Elles posent d’ailleurs
beaucoup moins de problèmes que les SEL, sans doute parce que ces pratiques, sans être
totalement du don, s’en rapprochent beaucoup. On pense notamment aux cautions
solidaires, mais aussi au prêt sans intérêt remboursable en fonction des possibilités du
débiteur. Elles se placent sur des créneaux que les banques commerciales ne voudront pas
occuper. Économiquement, elles apportent une solution à un mécanisme de sélection
adverse qui exclut des personnes du système bancaire. La labellisation sociale ou
écologique fait que les pratiques d’épargne solidaire deviennent des précurseurs en matière
de responsabilité sociétale des entreprises. Dughera (1999) évoque cependant quelques
conflits avec la Commission des opérations de bourse (COB). Il signale que celle-ci a fait
échouer le fonds commun de placement « génération banlieue » que le Réseau de
l’économie alternative et solidaire (REAS) et les collectivités territoriales voulaient mettre en
place en 1993.
Les RES cherchent uniquement à réintroduire un principe de réciprocité et visent parfois
l’existence d’un don pur. Ils évitent en même temps l’idée de dépendance, voire de
condescendance, présente dans l’aumône. Chaque participant y retrouve sa dignité d’être
humain en rencontrant des personnes désintéressées et en prenant conscience qu’elles ont
des connaissances à échanger. Les RES insistent effectivement beaucoup sur ce que
chaque homme ou chaque femme peut apporter aux autres. Tout savoir ou savoir-faire est
échangeable et, contrairement à ce qui se passe dans la société, on échange du temps,
Chaire de recherche
Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique
www.culturephilanthropique.ulaval.ca
Cahiers de recherche
Collection « Théories et approches »
10
Les pratiques d’économie solidaire. Une approche par l’anthropologie économique
sans porter de jugement sur la valeur de ce temps. C’est ainsi qu’une heure d’un pianiste
virtuose donnée à un enfant de banlieue aura autant de valeur que l’heure d’apprentissage
du skate que l’autre donnera en échange. Au cœur du processus se situe le désir de donner
et de recevoir et non un quelconque intérêt évalué plus ou moins indirectement de façon
monétaire. Les participants ne s’y trompent pas quand ils invoquent un sentiment de
désintéressement total, voire un amour présent dans leurs échanges.
Chaire de recherche
Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique
www.culturephilanthropique.ulaval.ca
Cahiers de recherche
Collection « Théories et approches »
11
Les pratiques d’économie solidaire. Une approche par l’anthropologie économique
2. Les pratiques d’économie solidaire comme alternatives au marché du travail
Les pratiques d’économie solidaire comme alternatives au marché du travail sont des
pratiques d’insertion par l’économique dans le domaine des services de proximité.
2.1. Les pratiques d’insertion par l’économique
Avec la montée du chômage, notamment le chômage de longue durée, le travail devient de
moins en moins facteur d’insertion. On parle de métamorphose de la question sociale
d’après le salariat et même de fin du travail 1. Les pratiques d’insertion par l’économique
vont se développer à partir des années 1980. Elles tentent d’offrir aux personnes exclues
durablement du marché du travail un travail salarié déclaré et une formation qui leur
permettra d’améliorer leur employabilité et leur qualification, mais aussi de restaurer leur
citoyenneté et leur identité (Ballet, 1997 : 57). L’accompagnement est très individualisé pour
prendre en compte les besoins spécifiques de la personne. C’est d’autant plus nécessaire
pour des exclus qui ont besoin d’une assistance psychologique et sanitaire avant même de
penser à être employables. La structure d’insertion par l’économique est donc un « sas 2 »
vers le marché du travail. Cependant, les difficultés rencontrées sur le marché du travail
amènent ce type de structure à proposer de plus en plus d’aides à la création d’entreprises
par les chômeurs.
À l’origine, le statut dominant est le statut associatif (84 % en 1989). Il s’agit d’une spécificité
française, car dans d’autres pays, en Italie ou en Suède par exemple où le mouvement est
fort développé, la structure choisie est plutôt de type coopératif. Il s’agit soit de chantiersécoles, soit d’associations intermédiaires intervenant sur des marchés non solvables –
essentiellement ceux des services de proximité – pour employer des publics défavorisés de
Rmistes 3, de handicapés, etc. Le domaine d’activité le plus courant est celui des services
aux personnes âgées (distribution de repas, aide à domicile) ou aux familles (repassage,
jardinage, petits travaux du bâtiment). Le marché est délimité territorialement. D’autres
structures, les moins nombreuses, interviennent avec le statut d’entreprise d’insertion sous
forme de SARL (société à responsabilité limitée) ou de SA (société anonyme) ou encore
avec le statut d’entreprise d’intérim d’insertion. Les entreprises d’insertion s’adressent à des
publics beaucoup moins en difficulté et à des marchés plus traditionnels. Les entreprises de
travail temporaire d’insertion, qu’on appelle ETTI, sont des entreprises d’intérim qui
s’adressent à un public qui ne fréquente plus le secteur d’intérim traditionnel ou classique,
par manque d’employabilité. La logique affichée dans ces deux types de structures est donc
clairement marchande.
Entre ces deux types de structures, on trouve une innovation sociale originale : la régie de
quartier. Son originalité tient tout d’abord aux acteurs qu’elle met en présence.
1
Nous faisons ici référence aux ouvrages d’André Gorz et de Robert Castel qui traitent du lien entre la
question sociale et le salariat et à celui de Jeremy Rifkin sur la fin du travail.
2
Dispositif servant de passerelle.
3
En France, mot qui désigne les bénéficiaires du revenu minimum d’insertion (RMI).
Chaire de recherche
Cahiers de recherche
Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique
Collection « Théories et approches »
www.culturephilanthropique.ulaval.ca
12
Les pratiques d’économie solidaire. Une approche par l’anthropologie économique
Contrairement aux autres structures d’insertion, la régie de quartier s’insère dans une
logique de territorialisation faisant intervenir les bailleurs, les habitants, les élus (Eme et
Laville, 1994 : 205 et s.). Son originalité tient aussi à son objectif. La première régie de
quartier, celle de l’Alma-Gare à Roubaix créée en 1980, et toutes celles qui vont suivre ont
d’abord pour objectif la requalification des quartiers dégradés et dégradants pour les
populations qui y habitent. Les activités proposées aux chômeurs sont d’entretenir les
espaces communs (espaces verts, cages d’escalier, sécurité) et le second œuvre du
bâtiment 1.
On notera que, sous l’impulsion de leur chambre régionale d’économie, quand elle existe,
les entreprises d’insertion travaillent de plus en plus en réseau et dans le cadre d’un plan
régional de développement de l’économie sociale et solidaire. La légitimité de ces
entreprises s’en trouve renforcée, car elles deviennent de véritables partenaires de
l’animation du développement économique. Cela permet surtout de mettre en place une
stratégie de développement cohérente pour ce type de structures qui, au départ, sont
surtout portées par des militants. De même, ces structures sont directement inscrites dans
les politiques publiques locales pour l’emploi dans le cadre des maisons de l’emploi.
Territorialement, elles participent donc au développement de l’employabilité des publics en
difficulté et à la résolution de certains problèmes d’emploi au niveau local (Duez, 2008).
2.2. Le caractère fictif du travail
Une fois n’est pas coutume, nous commencerons par évoquer les travaux réalisés en
littérature par Philippe Jaudel sur la pensée sociale de John Ruskin. Ces travaux sont
lumineux pour bien comprendre pourquoi le travail est une marchandise fictive.
Tout s’achète ou se vend contre du travail, mais le travail lui-même ne peut ni
s’acheter ni se vendre, car il n’a pas de prix. L’idée que le travail est une
marchandise à acheter ou à vendre constitue l’alpha et l’oméga des sophismes de
l’économie politique (Munera Pulveris, cité par Jaudel (1973 : 229).
On peut dire que vendre sa force de travail sur un marché, c’est se vendre soi-même ; se
vendre à qui et pourquoi, c’est là toute la question. Les sophismes sont multiples, nous
allons les examiner successivement grâce à l’apport de l’anthropologie économique.
Le premier sophisme est celui du contrôle du travail. L’idée est qu’il est possible, notamment
dans la société moderne, de contrôler l’effort réalisé par le salarié. On sait que de nombreux
économistes du travail et gestionnaires se sont cassé les dents sur ce problème depuis une
vingtaine d’années. Pour John Ruskin, la chose est entendue : « la volonté ou le courage de
l’homme est porté à son plus haut degré d’énergie par son stimulant spécifique : les
affections » (cité par Jaudel, 1973 : 237), autrement dit l’argent ou la contrainte ne
permettent d’obtenir qu’un travail médiocre contrairement à l’amour. Le travail a bien une
dimension irréductible (Freyssenet, 1994). C’est pour cela qu’il échappe encore à toutes les
1
En architecture, désigne l’ensemble des éléments ne participant pas à la structure porteuse d'une
construction. On parle de travaux d’électricité, de plomberie, de peinture, etc.
Chaire de recherche
Cahiers de recherche
Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique
Collection « Théories et approches »
www.culturephilanthropique.ulaval.ca
13
Les pratiques d’économie solidaire. Une approche par l’anthropologie économique
tentatives de prescriptions inventées par les sciences de l’ingénieur et les sciences de
gestion. Si le travail est irréductible, c’est aussi qu’il comporte forcément une part de don
nécessaire à l’organisation du travail et à la motivation. La société salariale, même si elle n’y
parvient pas, alterne entre l’intéressement et le désintéressement puisqu’elle sait bien que
la finalité du travail ne peut être totalement instrumentalisée (Caillé, 2005).
Le second sophisme, peut-être le plus important de tous, est celui de la naturalisation du
travail. L’idée est que la notion de travail est une catégorie anthropologique universelle
indépendante des rapports sociaux. On peut alors définir le travail par « les activités
contribuant à la reproduction matérielle de la vie humaine et sociale » (Freyssenet,
1994 : 115). La différence entre le travail d’aujourd’hui et celui des sociétés primitives est
une différence de degré mais pas de nature. C’est principalement grâce à la technique que
des progrès ont pu être réalisés. C’est oublier qu’il existe des sociétés avec ou sans travail
(Chamoux, 1994). Dans certaines sociétés, la notion de travail n’existe pas. Le terme
désigne simplement l’effort fait par les femmes pour accoucher. Aux îles Tonga, celui qui
travaille trop est qualifié de « ma’anumanu », c’est-à-dire de matérialiste (Van der Grip, cité
dans Geschière et Schlemmer, 1987 : 125). Le travail n’est donc pas toujours valorisé. Pour
aboutir à la société salariale moderne, il a fallu une double révolution. La première est une
révolution des mentalités dans l’appréciation de la valeur liée au travail (Roustand, 1994).
D’abord jugé comme dévalorisant, parce que non attaché à des activités nobles comme les
arts et la politique, mais à des activités destinées à assurer les conditions d’existence, le
travail était confié à des esclaves chez les Grecs, puis à des serfs au Moyen Âge.
À partir du 18e siècle et surtout au 19e, les choses changent. Le progrès technique aidant, le
travail va devenir une valeur sûre. Karl Marx lui-même présente le travail comme la valeur
humaine par excellence. En même temps, sans doute conscient du caractère fictif du travail
comme marchandise, il considère que le but de la modernisation est de libérer l’homme du
travail pour lui permettre d’accéder à des activités plus nobles. Englués dans ce paradoxe
d’un travail qui enferme et qui libère en même temps, la plupart des économistes sont
incapables d’imaginer une société sans travail. On peut donc dire que sur ce point Marx est
un libéral comme les autres. Si « la production est l’ensemble des opérations destinées à
procurer à une société ses moyens matériels d’existence » (Godelier, 1965 : 44), on
comprend que les économistes soient victimes de la confusion entre procès de travail et
procès de production. Un procès de production consiste en un procès de travail comme
façon d’utiliser les forces productives dans un environnement technologique et dans un
rapport à la nature déterminé auquel on ajoute des rapports de production qui portent sur la
façon dont on va contrôler et s’approprier les facteurs de production, y compris la force de
travail et les produits du travail (Dupuy, 2001). Le taylorisme 1 et le stakhanovisme 2
relèvent du même procès de travail, mais de rapports de production différents : capitaliste
pour l’un, collectiviste pour l’autre.
1
En référence à Frederick Winslow Taylor et à ses travaux sur l’organisation scientifique du travail
basée sur la décomposition des phases successives des tâches pour réduire au minimum les gestes
des ouvriers et augmenter la production.
2
Terme inspiré des exploits du mineur Stakhanov, qui servit de modèle dans le cadre d’une politique du
gouvernement soviétique incitant les travailleurs à améliorer leur cadence de travail et leur
productivité.
Chaire de recherche
Cahiers de recherche
Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique
Collection « Théories et approches »
www.culturephilanthropique.ulaval.ca
14
Les pratiques d’économie solidaire. Une approche par l’anthropologie économique
La seconde révolution est institutionnelle. Il faut effectivement créer un marché du travail
autorégulé. Polanyi consacre de longues lignes à la description de la création d’un marché
libre à Speenhamland. Le premier problème à traiter est d’abord celui des pauvres dont
l’oisiveté pouvait gêner la création de ce marché, sans compter qu’il existe en GrandeBretagne, entre 1795 et 1834, un revenu minimum. Il a donc fallu abolir les lois sur les
pauvres et obliger ces derniers à travailler en créant des « workhouses 1 ». Le deuxième
problème à traiter est celui de la protection de cette marchandise fictive pour éviter la lutte
des classes. L’existence même d’un droit du travail, à la fois privé et public, séparé du droit
commercial, est la preuve de ce caractère fictif.
Le troisième sophisme est celui qui prétend que les sociétés primitives ne sont pas des
sociétés d’abondance. On y passe beaucoup de temps à assurer les conditions d’existence
du groupe. L’inefficacité du travail se traduit par un manque de temps libre. Si le travail est
une catégorie universelle comme on le prétend, la différence de degré tient au manque
d’efficacité du travail dans les sociétés primitives. Ce jugement permet en soi de justifier
l’idée de progrès. La technique se met au service du travail pour dégager de plus en plus de
temps libre. Le travail, au sens moderne du terme, a ainsi le caractère libérateur évoqué
plus haut. La théorie néoclassique peut donc ignorer les coûts de l’homme qui naissent de
ses besoins de subsistance et dire que le marché du travail est toujours en équilibre. En
même temps, elle peut aussi ignorer les coûts liés aux peines et au stress entraînés par le
travail (Maréchal, 2001). L’anthropologue Marshall Sahlins (1976) va s’employer à montrer
que la société de l’âge de pierre est une société d’abondance par rapport à la société
actuelle. Le travail lié à la reproduction du groupe excède rarement deux heures par jour. Le
reste du temps peut donc être utilisé pour le repos ou pour la fête. Dans l’économie
moderne, l’abondance ou l’origine de la richesse des nations, même si cette dernière ne
résout pas totalement le problème du minimum de subsistance, comme le souligne Adam
Smith, reste le processus de division du travail par la technique. Dans une vraie économie
de l’abondance, le temps passé à faire naître le désir et à en évaluer l’importance est plus
important que le temps passé à le satisfaire ou à produire pour le satisfaire.
2.3. Le caractère alternatif des pratiques d’insertion par l’économique
Pour devenir de véritables alternatives au marché du travail, les pratiques d’insertion par
l’économique doivent lutter contre les trois sophismes présentés ci-dessus : le sophisme du
contrôle du travail, le sophisme de la naturalisation du travail et le sophisme de l’abondance.
Les comportements sont sans doute différents selon que l’on examine des structures
d’insertion dont le but est essentiellement socioéconomique ou des structures qui,
heureusement fort peu nombreuses, adhèrent à une logique marchande. Intéressons-nous
donc au premier type de structures qui peuvent se présenter plus facilement comme de
véritables alternatives.
1
Des maisons de travail offrant des conditions de vie précaires et difficiles aux indigents, selon le
principe qu’un assisté devait avoir de moins bonnes conditions de vie qu’une personne salariée afin de
ne pas être tenté de se faire entretenir.
Chaire de recherche
Cahiers de recherche
Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique
Collection « Théories et approches »
www.culturephilanthropique.ulaval.ca
15
Les pratiques d’économie solidaire. Une approche par l’anthropologie économique
Les structures d’insertion par l’économique s’adressent à des marchés que l’on peut
considérer comme rentables dans le cas du second œuvre du bâtiment ou encore aux
services de proximité développés autour du tourisme ou de l’environnement, qui se
rapprochent parfois beaucoup de la logique industrielle. Elles sont d’ailleurs suspectées de
concurrence déloyale par les artisans qui ne bénéficient pas des mêmes conditions
d’embauche de leur personnel. Pour les services à la personne, elles produisent des
services publics qui nécessitent un agrément et une solvabilisation de la demande qui
peuvent rendre intéressant ce type de marché pour des grands groupes. Les conflits entre
les structures d’insertion par l’économique, le Mouvement des entreprises de France
(MEDEF) et l’État existent depuis plus de vingt ans sur la régulation de ce type de services
(Du Tertre, 1999). La contrainte exercée par l’économie non marchande existe bien au
travers des subventions versées par les pouvoirs publics (État ou collectivités territoriales)
et des normes exigées pour obtenir l’agrément. La contrainte exercée par l’économie
marchande tient aux fonds que procure un chiffre d’affaires élevé. Cette contrainte est
d’ailleurs beaucoup plus évidente dans les structures coopératives qui ont d’abord une
vocation commerciale mais qui se distinguent par l’adoption d’une démocratie industrielle.
Les deux contraintes sont très fortes, considérant le poids très faible du don, même en
tenant compte des équivalents temps plein 1. L’importance de ces contraintes est
déterminante dans la capacité des structures associatives à dépasser le sophisme du
contrôle. Tant que l’État subordonne ses subventions à un durcissement de ses agréments
sur la base d’une logique technocratique, il pousse à la professionnalisation. Dès lors, on
voit mal comment on pourrait se sortir de la problématique du contrôle des compétences.
Cependant, les structures d’insertion font des efforts pour tenir compte de la situation
difficile des personnes en reprise d’activité. Elles individualisent la relation et cherchent ainsi
à lutter contre ce sophisme. Les clients eux-mêmes savent à quoi s’en tenir et abaissent
leurs exigences en matière de qualité du travail. Une certaine forme de don intervient alors.
Le même type de problème risque de se poser, mais peut-être avec un peu plus d’acuité, si
l’État se désengage financièrement et rend les structures associatives beaucoup plus
dépendantes de leur chiffre d’affaires et, par conséquent, de la régulation marchande.
Les sophismes de l’abondance et de la croyance dans la naturalisation du travail sont très
liés dans la mise en place d’une société moderne. Ils restent donc très tenaces chez tous
les participants des dispositifs d’insertion. Ce qui est proposé aux exclus est bien une
rééducation par le travail avec l’idée que les personnes pourront réintégrer le marché du
travail traditionnel considéré comme seul facteur d’insertion. On n’est donc pas capable
d’imaginer une société sans travail. Cela donne cependant l’occasion à certains bénévoles
de consacrer du temps aux autres en dehors d’une activité principale, qui véhicule pourtant
les trois types de sophismes. On découvre alors avec stupeur que certains restent dans le
« sas », soit parce qu’ils y sont contraints, soit parce qu’ils l’ont choisi. S’ils l’ont choisi, c’est
sans doute parce qu’ils y trouvent des conditions de travail bien meilleures. Ce qui laisserait
entendre que le salarié y est mieux traité et que l’on est moins victime du sophisme du
contrôle. S’ils y sont restés par contrainte, c’est sans doute parce qu’ils continuent à croire
aux vertus du travail, du « vrai » comme facteur de socialisation. C’est d’autant plus
1
L’étude réalisée par E. Archambault (1996) pour l’ensemble du secteur associatif donne la répartition
suivante : 50 % de subventions, 40 % de chiffre d’affaires, 10 % environ de dons.
Chaire de recherche
Cahiers de recherche
Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique
Collection « Théories et approches »
www.culturephilanthropique.ulaval.ca
16
Les pratiques d’économie solidaire. Une approche par l’anthropologie économique
inquiétant que la plupart des emplois qui sont proposés dans les services à la personne
seront marchandisés grâce aux structures d’insertion par l’économique. Auparavant, ces
activités fonctionnaient sur la base du principe de la réciprocité. Dans ce cas précis, les
PES font le jeu de l’économie moderne et désenchâssent encore plus l’économique du
politique et du religieux. Quant à ceux qui réussissent à s’insérer, ils sont arrivés et ne
cherchent pas à changer la dynamique sociale de l’intégration.
Pour terminer, nous voudrions illustrer notre propos en donnant l’exemple tout à fait
particulier des communautés Emmaüs. Celles-ci ont pour objectif de permettre aux
compagnons de retrouver leur dignité d’êtres humains. Le travail est un moyen et non une
fin en soi. Il n’est d’ailleurs pas rémunéré, puisqu’il fait l’objet d’un simple « pécule » en fin
de mois, qui n’est absolument pas calculé en fonction du temps de travail. L’hébergement
n’est par ailleurs jamais la contrepartie d’un travail. Il ne s’agit donc pas non plus d’un
avantage en nature. Les exigences portent d’abord sur le comportement et sur la capacité
non pas à travailler, mais à respecter l’autre tout en se respectant soi-même. Les blessures
infligées par la vie (alcoolisme, divorce, violence, etc.) comptent autant si ce n’est plus que
celles causées par une situation de chômage. Le rythme du travail est flexible, non pas
parce qu’il s’adapte à l’activité, mais parce qu’il s’ajuste à une conception de l’abondance et
de la place du travail dans la société, qui en fait une économie de la qualité et non de la
quantité. La nature des publics accueillis est pour beaucoup dans le fait qu’il est impossible
d’y réinstaller les sophismes ambiants, ceux qui, justement, sont la cause de l’exclusion des
personnes qui frappent à la porte de ce genre de structure d’insertion.
Chaire de recherche
Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique
www.culturephilanthropique.ulaval.ca
Cahiers de recherche
Collection « Théories et approches »
17
Les pratiques d’économie solidaire. Une approche par l’anthropologie économique
3. Les pratiques d’économie solidaire comme alternatives au marché foncier
Nous faisons ici référence aux pratiques de commerce équitable. Le choix peut paraître
surprenant pour des alternatives au marché foncier. Nous justifierons notre choix dans la
deuxième section en revenant sur le caractère fictif de la terre comme marchandise.
3.1. Les pratiques de commerce équitable
Nous ferons la distinction entre deux types de commerce équitable mettant en œuvre des
moyens qui sont parfois différents : le commerce Nord-Sud et le commerce Nord-Nord.
Intéressons-nous d’abord à l’histoire et au fonctionnement du commerce Nord-Sud, qui est
le plus connu.
L’histoire du commerce équitable fait suite à un constat alarmant. L’écart entre pays en
développement et pays industrialisés ne fait que croître depuis 1870 (Pritchett, 1997).
L’écart absolu entre le revenu par habitant du pays le plus riche et celui du pays le plus
pauvre est passé de 9 à 50 en un siècle (1870-1960). De même, les termes de l’échange
entre les deux types de pays se dégradent. À titre d’exemple, l’ONU a relevé une baisse de
20 % des prix réels des produits de base hors combustibles entre 1985 et 1995 (Veit, 2006).
Pour obtenir les précieuses devises qui leur permettront de prospérer, les pays en
développement n’hésitent pas à épuiser leurs ressources naturelles et à précariser la
situation de leur main-d’œuvre. La révolte s’est organisée autour de la combinaison de trois
mouvements qui font intervenir différents acteurs. Il y a d’abord un mouvement humaniste et
religieux qui fait apparaître les premières expériences de commerce équitable, dans les
années 1950 dans les pays anglo-saxons de confession protestante et plus tard dans les
pays de confession catholique. Naît ensuite, dans les années 1960-1970, un mouvement
tiers-mondiste qui prendra en compte les inégalités de développement. Enfin, on trouve un
mouvement lié au développement durable dans les années 1990.
On peut résumer cette histoire en reprenant quelques grandes dates (Lecomte, 2004) :
1949 Création aux États-Unis d’une ONG aidant les producteurs
défavorisés à vendre dans de meilleures conditions.
1950 Début des activités d’importation de produits par OXFAM
(association anglaise de solidarité fondée au début du
20e siècle) et vente à travers le réseau en Grande-Bretagne.
1954 Création aux États-Unis de self-help qui réalise une distribution
de produits équitables.
1964 Naissance du slogan de la CNUCED (Conférence des Nations
unies sur le commerce et le développement) : « Le commerce,
pas la charité ! »
1969 Ouverture du premier magasin de commerce équitable aux
Pays-Bas.
1975 Création d’Artisans du monde par l’abbé Pierre et ouverture du
premier magasin de commerce équitable en France.
Chaire de recherche
Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique
www.culturephilanthropique.ulaval.ca
Cahiers de recherche
Collection « Théories et approches »
18
Les pratiques d’économie solidaire. Une approche par l’anthropologie économique
1986 Création par le CCFD et la fédération Artisans du monde de la
première centrale d’achat.
1988 Lancement du commerce équitable dans la grande distribution
avec les produits labellisés Max Havelaar et création de la
Fédération internationale du commerce équitable (l’IFAT :
International Federation for Alternative Trade).
1995 Création du collectif éthique sur l’étiquette par une
cinquantaine d’associations et de syndicats.
1997 Création du label international Fairtrade Labelling regroupant
les trois plus grands labels internationaux que sont Havelaar,
TransFair et Fair Trade.
1998 Création de la plate-forme française de commerce équitable et
introduction du commerce équitable dans la grande distribution
en France.
1998 Création par Tristan Lecomte de l’Association d’ingénierie du
développement, puis d’une entreprise de commerce équitable :
Alter Eco.
Les pratiques de commerce équitable vont viser les objectifs suivants :
• lutter contre l’extrême pauvreté des pays les moins avancés en organisant une
solidarité entre les pays riches et les pays pauvres ;
• favoriser l’autonomie des populations ;
• favoriser le développement durable sur le plan écologique.
Elles s’appuient sur trois moyens : la réduction du circuit de distribution, le juste prix et la
labellisation. La réduction du circuit de distribution permet de diminuer ce que l’on appelle
les marges arrière, c’est-à-dire la marge prise par les différents intermédiaires entre le
producteur et le consommateur. C’est alors le producteur qui a la marge la plus importante,
parce que c’est lui qui produit. Ainsi, pour un paquet de café vendu en grande surface entre
1,8 et 3 € dans le système traditionnel et entre 2,3 et 3,35 € dans le système de commerce
équitable, 0,19 € vont au producteur dans le premier système et 0,58 € dans le second. On
remarquera tout de même qu’il reste une forte disproportion entre ce qui va à la grande
surface et ce qui va au petit producteur. Dans le commerce traditionnel, le prix des produits
exportés du Sud vers le Nord est souvent trop bas, même par rapport aux coûts de
production. Quelquefois, cela tient à une simple variation du taux de change des monnaies.
Les consommateurs, les producteurs et les distributeurs y trouvent un intérêt, puisqu’ils
bénéficient ainsi d’une marge bénéficiaire et payent le produit à un prix inférieur à ce qu’ils
veulent et peuvent payer. L’idée du juste prix est non seulement de permettre aux
producteurs de ces pays de vivre décemment, mais aussi de payer les produits importés à
un prix supérieur pour favoriser leur développement. Quant à la labellisation, elle vise un
commerce éthique. Il s’agit d’internaliser les différents coûts sociaux et environnementaux
liés à un commerce qui se ferait sans prendre en compte les effets sur l’environnement ou
sur le respect des conditions de vie des populations les plus pauvres (travail des enfants et
discrimination sexiste, par exemple).
Chaire de recherche
Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique
www.culturephilanthropique.ulaval.ca
Cahiers de recherche
Collection « Théories et approches »
19
Les pratiques d’économie solidaire. Une approche par l’anthropologie économique
Différents labels ont été créés pour réduire l’asymétrie d’information qui pourrait inciter les
consommateurs à ne pas acheter de produits labellisés sous prétexte que l’on n’a aucun
moyen de vérifier que les producteurs respectent l’ensemble des critères éthiques. Les
organismes de labellisation notent les différents producteurs en faisant une moyenne
pondérée d’un certain nombre de critères. À titre d’exemple, les critères retenus par Max
Havelaar sont les suivants :
• travailler avec les producteurs les plus défavorisés ;
• garantir un prix d’achat minimum satisfaisant les besoins élémentaires ;
• entretenir une dynamique de développement ;
• favoriser les productions respectant l’environnement ;
• assurer la traçabilité permanente du produit ;
• refuser l’esclavage, le travail forcé et l’exploitation des enfants.
Nous manquons encore de recul pour présenter l’historique du commerce Nord-Nord. Ce
que l’on peut dire, c’est que la plupart des pratiques sont issues soit de la recherche de
pratiques complémentaires aux pratiques d’insertion par l’économique (épiceries sociales)
ou aux PECS (bourses d’échange de matériel), soit d’une volonté d’appliquer le même type
de principe à des catégories particulières en France. Les mêmes principes pourront
effectivement être appliqués aux agriculteurs français dont le revenu est fortement influencé
par les marges arrière des grandes surfaces. On pourrait aussi l’appliquer à des catégories
de salariés qui, au Nord, sont touchés par le « dumping social 1 ». L’idée d’une clause
sociale fait d’ailleurs son chemin, au moins dans les premières négociations du cycle du
millénaire de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) (Latreille, 2000). Ce type de
commerce équitable n’a cependant pas bonne presse auprès des populations. Les
négociations sont ressenties comme des revendications corporatistes face à des
populations qui, au Sud, luttent pour leur survie.
Les épiceries sociales sont complémentaires des pratiques d’insertion par l’économique.
Elles offrent aux chômeurs ou aux populations qui vivent la précarité la possibilité de trouver
des marchandises de première nécessité. Les ressources des épiceries proviennent de
dépôts en nature procédant des surplus des grandes surfaces et des banques alimentaires.
Leur statut est associatif, mais les collectivités locales et les services déconcentrés de
l’État 2 peuvent y prendre une part importante. Les épiceries sont de véritables magasins
avec des chariots et une caisse où les clients vont payer un prix dérisoire. Les bourses
d’échange de matériel sont complémentaires des opérations de crédit solidaire. Elles ont
été mises en place pour la première fois dans le Nord–Pas-de-Calais à la fin des années
1990 pour inciter des artisans à mettre à la disposition des futurs chômeurs créateurs le
matériel dont ils auront besoin pour entreprendre leur activité.
1
Expression désignant la concurrence devenue plus intense entre les travailleurs dans un contexte de
mondialisation économique.
2
Ce sont des services dont les attributions et les moyens sont répartis entre les différents échelons des
administrations civiles en France. L’agriculture, l’environnement et l’emploi en sont des exemples.
Chaire de recherche
Cahiers de recherche
Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique
Collection « Théories et approches »
www.culturephilanthropique.ulaval.ca
20
Les pratiques d’économie solidaire. Une approche par l’anthropologie économique
3.2. Le caractère fictif du marché foncier
Pour mettre en place une économie moderne, il faut, selon Polanyi, pouvoir établir un lien
entre le produit social et les forces productives. Le travail est l’une de ces forces que nous
avons étudiées. La terre en est une autre. Par ailleurs, la terre au sens large est une
marchandise particulière, puisque c’est elle qui fournit à l’homme toutes les richesses dont il
a besoin, pas seulement les richesses agricoles comme le pensaient les physiocrates, mais
aussi les richesses minières et énergétiques. C’est aussi la faune et la flore qui y sont
attachées ainsi que l’ensemble des conditions naturelles. Enfin, c’est sur la terre que se font
le choix de localisation des entreprises et de migration des ménages ainsi que l’installation
des infrastructures. C’est donc sur la terre que se réalise l’œkoumène et que se
construisent les paysages mêlant les interventions de l’homme et l’action de la nature. La
transformer en marchandise peut être dangereux pour l’humanité tout entière. C’est pour
l’avoir oublié que les générations actuelles sont à la recherche d’un développement plus
durable. La terre a donc un caractère fictif. Présenter des alternatives au marché foncier
revient à présenter des alternatives au marché des biens et services. C’est ce qui justifie
notre choix d’expérimenter des alternatives qui ne sont qu’indirectement en lien avec le
marché foncier. Pour devenir une marchandise, la conception de la terre a dû évoluer
parallèlement à celle du travail sur le plan tant symbolique qu’économique.
Sur le plan symbolique, la terre joue un rôle très important dans les sociétés primitives mais
aussi dans la société moderne (Dosse, 1997). C’est elle qui donne ses repères
géographiques et sociaux aussi bien aux sociétés nomades qu’aux sociétés sédentaires.
Dans l’absolu, l’appropriation de la terre est impossible dans la plupart des religions
monothéistes, car « la terre non encore façonnée par le travail n’était qu’un objet d’utilité de
par la grâce de Dieu, et ne pouvait constituer une valeur d’échange, sa privatisation étant
inconcevable du fait de l’existence des droits imprescriptibles du créateur sur son œuvre »
(Chevanne, 1987 : 562). C’est bien pourquoi, jusqu’à la Révolution française, tout droit de
propriété sur la terre était rattaché à un droit divin. Les règles de transmission et d’utilisation
de la terre sont d’ailleurs déterminantes dans la constitution du contrat social implicite
(Bronsard, 1984). Dans les sociétés primitives, il n’y a pas de marché foncier parce que l’on
ne peut acheter des terres. Dans les sociétés sans chefferie, les terres se transmettent par
lignage. Dans les sociétés avec chefferie, le chef possède les terres et peut en acquérir par
colonisation. Dans la société moderne, tout le monde peut acheter des terres même si les
usages sont parfois limités. Il y a des terres à cultiver, des terrains à bâtir, des réserves
foncières détenues par les collectivités locales, etc. La transition vers ce marché foncier où
tout ou presque semble possible ne s’est pas faite sans mal. Polanyi signale le rôle joué par
le mouvement des enclosures 1 dans la privatisation de la terre en Grande-Bretagne. Le
principal enjeu était la question de la gestion des communaux sur lesquels pouvaient paître
les troupeaux. L’entourage des terres allait faire disparaître ces terres et rendre l’élevage
plus difficile. Indirectement, cela pose la question de l’espace public et de sa matérialisation
en tant que terre, question qui a priori ne se pose pas dans les sociétés primitives.
1
e
Mouvement qui se développe à partir du 16 siècle et permet de clôturer les surfaces agricoles pour
une meilleure productivité.
Chaire de recherche
Cahiers de recherche
Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique
Collection « Théories et approches »
www.culturephilanthropique.ulaval.ca
21
Les pratiques d’économie solidaire. Une approche par l’anthropologie économique
Sur le plan de la théorie économique, c’est la conception même de la terre qui a changé. On
est passé de l’image d’une terre nourricière à une terre facteur de production. La terre
nourricière fait partie de l’environnement de l’être humain. Il y est en quelque sorte
enchâssé. L’homme ne cherche donc pas à la dominer. Il cherche à s’y insérer comme dans
les sociétés primitives. Dans la société moderne, la terre devient en même temps un facteur
de production et une contrainte qui impose des conditions d’existence contre lesquelles il
faut lutter grâce au progrès. Bien que la terre soit déterminante dans l’organisation de
l’économie moderne, les économistes ont consacré peu de travaux aux aspects fonciers
(Thisse, 1995). Ils se sont intéressés aux problèmes agricoles et de pêche, aux problèmes
énergétiques et aux problèmes des matières premières, mais ils se heurtent
systématiquement au caractère fictif d’un marché dont la régulation dépend d’abord du bon
vouloir des conditions naturelles. Ce caractère fictif oblige l’État à encadrer fortement ce
type de marché. Les problèmes écologiques actuels, surtout ceux liés à l’aménagement du
territoire, de même que les importants mouvements spéculatifs font apparaître de manière
de plus en plus évidente le caractère fictif de ce marché foncier. Le problème posé par le
développement durable est directement lié au caractère fictif de ce marché. L’heure est
venue pour l’économiste de construire une véritable écologie politique (Perroux, 1981).
Cette écologie pose la question de la terre et, d’une manière plus générale, de la nature. On
devrait passer à une troisième logique qui serait celle de la co-construction de la nature. Ce
sont ces enjeux qui ont amené une trentaine d’économistes, dont trois Prix Nobel, à écrire
au président Gorbachev en 1990, pour attirer son attention sur les enjeux d’une privatisation
du sol dans l’ex-URSS (Thisse, 1995 : 65).
3.3. Le caractère alternatif du commerce équitable
Le commerce équitable se donne comme objectif d’organiser une solidarité entre les pays
du Nord, qui est surtout victime de l’utilitarisme et un Sud où règnent l’absence de droits
humains, la pauvreté et les inégalités. Il en va donc du caractère équitable du
développement qui lie le système économique au système social. Les pratiques de
commerce équitable visent donc à réintroduire une certaine forme de réciprocité dans
l’échange Nord-Sud. La solidarité n’est peut-être pas totalement désintéressée, puisqu’on
sait que le développement du Sud produira le développement du Nord. Cependant, l’objectif
du maintien de l’autonomie des populations est une garantie contre un droit d’ingérence,
une obligation de rendre qui permet de purifier le don d’une partie de l’intérêt que l’on
pourrait en tirer. Pour être efficace, ce mécanisme de réciprocité doit être envisagé dans le
cadre d’une lutte contre le relativisme économique. Autrement dit, il faut que les populations
du Nord soient conscientes que c’est en donnant plus qu’elles pourraient changer les
choses ici et là-bas. Un peu moins de recherche d’utilité et de rentabilité permettra à
d’autres de vivre plus dignement. Or, ce n’est pas si simple que cela, car les outils utilisés
par le commerce équitable sont ceux du marché. Il pèse donc toujours un doute sur la
nature du don réalisé, même si c’est ce qui rend en même temps ces instruments efficaces.
La grande idée du commerce équitable, c’est le commerce et non la charité. Parce que cela
évite la dépendance qui existe dans un don de type aumône, dépendance si souvent
décriée par les anthropologues spécialistes de l’économie du don. Aussi parce que, si l’on
parvient à convaincre la grande distribution et les industriels que les consommateurs sont
prêts à user de leur pouvoir d’arbitrage pour les inciter à changer d’attitude, alors la partie
Chaire de recherche
Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique
www.culturephilanthropique.ulaval.ca
Cahiers de recherche
Collection « Théories et approches »
22
Les pratiques d’économie solidaire. Une approche par l’anthropologie économique
est gagnée. Si l’on s’en tient au principe de purification du don que le commerce équitable
tente d’instaurer, on peut faire les remarques qui vont suivre.
Pour être une alternative, les achats de commerce équitable doivent être motivés par
l’aspect humanitaire et concerner beaucoup de Français. L’enquête réalisée en France
(Ipsos, 2012) montre que dans la réalité 90 % des Français déclarent que, face à deux
produits de qualité identique, ils donneraient priorité aux produits du commerce équitable,
mais seulement 61 % affirment en avoir acheté. Par ailleurs, 76 % des personnes ne savent
pas de quoi il s’agit, alors que ce chiffre était de 90 % en 2000. Les données indiquent
également que 40 % déclarent ne pas l’avoir fait parce qu’ils ne connaissent pas de lieux de
vente et seulement 2 % parce qu’ils y sont opposés. La qualité du produit reste le premier
critère d’achat dans 50 % des cas. L’aspect humanitaire n’apparaît que dans 22 % des cas.
Pour être une alternative, le commerce équitable ne doit pas être un commerce de
privilégiés. Or, le consommateur type est une femme de 25 à 49 ans, de statut
socioéconomique moyen et élevé, vivant en milieu urbain. Pour être une alternative, le
commerce équitable doit aussi être un commerce Sud-Nord, c’est-à-dire porté sur des
produits à haute valeur ajoutée permettant aux pays pauvres de se développer. C’est bien
là la contrepartie de l’autonomie. Pour l’instant, les échanges sont de type Nord-Sud,
puisqu’ils concernent essentiellement des produits primaires comme le café, le chocolat, le
riz, le thé, etc. Pour être une alternative, le commerce équitable doit représenter une part
importante du commerce mondial. La part de certains produits peut monter jusqu’à 50 %
des échanges, mais ces produits ne représentent que 5 % du commerce mondial, alors que
les échanges mondiaux avec les pays les plus pauvres représentent 20 % dans l’ensemble.
Actuellement, le commerce équitable concerne 500 groupements de producteurs et fait
vivre 800 000 travailleurs et 5 millions de personnes. Pour être une alternative, le commerce
équitable doit être intégré dans la grande distribution. Cela représente déjà la plus grande
part du commerce équitable, mais il reste une asymétrie d’information au regard de ses
motivations, dans la mesure où le consommateur usuel dans les grandes surfaces risque de
ne pas être interpellé par la particularité du produit qu’il achète. L’exigence d’une plus
grande responsabilité sociale de la part des entreprises depuis la loi de 2001 est de nature
à faire évoluer positivement la situation.
Le commerce équitable n’a pas encore exploré l’introduction d’une certaine forme de
réciprocité fondée sur la redistribution. C’est ce que proposait James Tobin 1 dans les
années 1970 avec sa taxe sur les mouvements de capitaux spéculatifs, qui pourrait servir à
financer le développement des pays les plus touchés par ces mouvements. Cette pratique,
très peu développée, se heurte en fait à la pression qu’exercent les marchés financiers sur
les gouvernements qui voudraient appliquer cette taxation. De même, l’ONU propose depuis
le début des années 2000 une réflexion sur la production de biens communs comme l’eau
ou la santé. À la mondialisation des échanges, les PES répondraient donc par une
mondialisation de l’État-providence dont la mission se verrait élargie par le réenchâssement de l’activité humaine dans le système écologique. La question qui est posée
de manière plus ou moins efficace par le mouvement de l’altermondialisation est donc celle
du ré-enchâssement des décisions économiques dans le politique.
1
Lauréat du prix Nobel en économie, qui suggéra cette taxe en 1972.
Chaire de recherche
Cahiers de recherche
Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique
Collection « Théories et approches »
www.culturephilanthropique.ulaval.ca
23
Les pratiques d’économie solidaire. Une approche par l’anthropologie économique
Pour avoir une alternative au marché foncier, il faut faire en sorte que la terre reste un bien
public. On peut, par exemple, imaginer un système de concession des terres assorti d’un
cahier des charges sur le droit d’usage. Plus généralement, c’est toute la question de
l’œkoumène qui est en cause et qui conditionne le caractère viable et vivable du
développement, qui lie respectivement le système économique et le système social au
système écologique. Le commerce équitable peut aider à la poursuite de cet objectif grâce
aux instruments utilisés, qui vont permettre le ré-enchâssement du système économique
dans le système écologique. Les difficultés semblent se situer beaucoup plus sur le plan de
l’aménagement du territoire que sur le plan purement écologique. La population a pris
conscience des problèmes écologiques, mais elle reste insensible à l’appel à un
changement de son mode de vie urbain. À cet égard, les instruments proposés par le
commerce équitable sont peu opérants dans la construction d’une écologie politique.
Chaire de recherche
Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique
www.culturephilanthropique.ulaval.ca
Cahiers de recherche
Collection « Théories et approches »
24
Les pratiques d’économie solidaire. Une approche par l’anthropologie économique
Conclusion
Les mouvements qui sont à la base du développement des pratiques d’économie solidaire
font tout ce qu’ils peuvent pour en faire de véritables alternatives économiques. En prenant
en compte les risques liés à l’introduction des marchandises fictives que nous avons
évoqués, nous pouvons résumer comme suit les éléments d’une économie plurielle qui
combinent les différentes formes d’économie : tous les principes de régulation de chaque
forme d’économie sont présents dans chaque économie, soit avec un dosage différent, soit
sous des formes différentes.
Les différentes formes d’économie
Économie
fondée sur
l’échange
Économie
fondée sur la
réciprocité
Économie
fondée sur la
redistribution
Économie désenchâssée :
prédominance de
l’économique
Économie enchâssée :
subordination de
l’économique au religieux
et à la nature
Économie enchâssée
dans le politique
++ Primauté de la liberté
++ Respect du milieu
++ Lutte contre la dureté
naturel et de la
des conditions
substance humaine
d’existence
−− Perte de la liberté
individuelle
−− Élimination de la
−− Dureté des conditions
substance humaine
d’existence
et transformation du
milieu naturel en désert
+ Respect du milieu
naturel et de la
substance humaine
− Perte de la liberté
individuelle
− Dureté des conditions
d’existence
L’action des PES est de rééquilibrer le dosage entre les différents modes de régulation ou
d’en inventer de nouvelles formes. Les SEL proposent une offre de monnaie endogène pour
restaurer la liberté et offrir de meilleures conditions d’existence. Ils tentent d’enrayer
l’élimination de la substance humaine en évitant le délitement de la valeur et en
réintroduisant une certaine dose de réciprocité. Cette réciprocité est intermédiaire entre
celle des sociétés primitives et celle d’une société de transferts, telle qu’elle a été mise en
place en France, après 1945, en se basant sur la redistribution et le hasard. Les PECS
s’attaquent d’abord au principe de délitement de la valeur. Les RES sont basés sur des
principes de purification du don, celui-ci relevant d’une économie de la réciprocité, qui
chercheraient à respecter à tout prix la liberté de ceux qui reçoivent. Les pratiques
d’insertion par l’économique parviennent à tempérer le sophisme du contrôle pour s’adapter
à une clientèle en difficulté, sans doute parce qu’elles se situent entre une économie fondée
Chaire de recherche
Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique
www.culturephilanthropique.ulaval.ca
Cahiers de recherche
Collection « Théories et approches »
25
Les pratiques d’économie solidaire. Une approche par l’anthropologie économique
sur la réciprocité et une économie fondée sur la redistribution. Elles ne parviennent pas,
cependant, à se défaire du sophisme de l’abondance et du travail qui pousse l’homme
moderne à s’affairer et à accumuler les choses. Quant aux pratiques de commerce
équitable Nord-Sud, elles semblent être les seules à pouvoir proposer en même temps un
développement plus durable, pour peu qu’elles sachent inventer une réciprocité fondée sur
la réciprocité au niveau international.
Nous avons conscience des limites de notre étude sur le plan anthropologique. C’est
effectivement en partant des grands textes dans ce domaine que nous avons tenté
d’éclairer les pratiques actuelles en matière d’économie solidaire, en partant des principes
d’organisation des économies primitives et de leur assimilation par l’économie moderne. Les
positions que nous avons prises et qui peuvent correspondre à des attitudes d’acteurs ont
forcément un caractère normatif. Elles doivent donc orienter les lecteurs du mouvement
d’économie solidaire pour que celui-ci devienne un concept en le resituant par rapport à
d’autres systèmes économiques. Il reste à étudier l’influence des PES sur la façon concrète
dont les acteurs modifient leur vision de l’économique dans le contexte actuel. C’est la seule
démarche possible pour indiquer quelle tendance va l’emporter. Ce travail mériterait donc
d’être complété par une étude scientométrique des façons de dire les nouvelles visions de
l’économique ou, encore, par un véritable travail d’anthropologie économique d’immersion
dans ces pratiques. En attendant, il est possible de présenter les principes de base d’une
économie plurielle.
La réussite de cette économie plurielle dépend en fait du véritable poids des PES dans
l’économie actuelle. Tant qu’elles occuperont peu de place, le concept sera effectivement
mort-né. On pourrait alors être tenté de développer une vision négative en insistant sur le
fait que l’économie solidaire introduit une forme de gouvernance de type hétérarchique 1 qui
« ne substitue pas des principes non capitalistes à ceux du marché, pas plus qu’elle
n’introduit de troisième terme neutre entre le marché et l’État (ni, encore moins, entre le
capital et le travail). Elle ne fait qu’ajouter encore une autre sphère où s’expriment les
dilemmes, les contradictions et les antagonismes du capitalisme » (Jessop, 1998 : 43).
Certes, les PES risquent de ne pas devenir un concept, mais elles ont le mérite d’être « le
poil à gratter 2 » de notre système économique moderne en révélant ce qu’il a y de plus fictif
dans l’existence de certains marchés. De toute façon, en attendant de devenir un concept,
elles doivent gérer les situations d’urgence qui se présentent.
1
Par opposition à la hiérarchie, il s’agit d’une direction collégiale, sans structure de subordination.
Bourre piquante des fruits du rosier qui provoque des démangeaisons.
Chaire de recherche
Cahiers de recherche
Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique
Collection « Théories et approches »
www.culturephilanthropique.ulaval.ca
2
26
Les pratiques d’économie solidaire. Une approche par l’anthropologie économique
Bibliographie
Aglietta, M. et A. Orléan (2003). La monnaie : « un fait social total ». Problèmes
économiques, 2790 : 29-32. (Publié en juin 2002 sous le titre « Réflexions sur la nature de
la monnaie », dans La lettre de la régulation, 41.)
Alcoléa-Bureth, A.-M. (2004). Pratiques et théories de l’économie solidaire. Paris,
L’Harmattan.
Amiot-Suchet, L., P. Floux, E. Remiot et J.-P. Sylvestre (2002). Les réseaux d’échange des
savoirs. Logiques d’échanges et formes de sociabilité. Rapport DAPA.
Archambault, E. (1996). Le secteur non lucratif : associations et fondations en France.
Paris, Economica.
Arnsperger, C. (1997). Gratuité, don et optimisation individuelle. Levinas, Derrida et
l’approche économique. Transdisciplines. Revue d’épistémologie critique et d’anthropologie
fondamentale, 1, « La gratuité », no 3 : 43-74.
Ballet, J. (1997). Les entreprises d’insertion. Paris, PUF, coll. Que sais-je ?, no 3243.
Bavoux, P. et al. (1994). Les régies de quartier, expériences et développements. Regards
de chercheurs. Rapport au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
Paris, La Documentation française.
Bazin, L. et M. Selim (2000). Quelques occurrences économiques en anthropologie. SocioAnthropologie, 7 : 5-31.
Béchillon, D. de (1997). La gratuité dans le doute. Transdisciplines. Revue d’épistémologie
critique et d’anthropologie fondamentale, 1, « La gratuité », no 3 : 75-103.
Bernard, M. et J.-M. Luquet (dir.) (1998). Les systèmes d’échange locaux. Pour changer,
échangeons. Silence, Supplément au no 229.
Bidet, E. (2003). L’insoutenable grand écart de l’économie sociale. Isomorphisme
institutionnel et économie solidaire. Revue du MAUSS, 21 : 162-178.
Bordes, G. et J.-G. Gauthier (1990). Ouverture de l’économie et monétarisation des
échanges chez les Fali de Ngoutchoumi (1956-1988). Bulletin trimestriel − Société
d’anthropologie du Sud-Ouest, 25 (2) : 105-113.
Bronsard, C. (1984). Économie et anthropologie sociale. Sur l’existence d’un contrat social
implicite. Économie appliquée, 37 (3-4) : 645-685.
Caillé, A. (2003). Sur les concepts d’économie en général et d’économie solidaire en
particulier. Revue du MAUSS, 21 : 215-236.
Chaire de recherche
Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique
www.culturephilanthropique.ulaval.ca
Cahiers de recherche
Collection « Théories et approches »
27
Les pratiques d’économie solidaire. Une approche par l’anthropologie économique
Caillé, A. (2005). Don, intérêt et désintéressement. Bourdieu, Mauss, Platon et quelques
autres. Paris, La Découverte.
Chamoux, M.-N. (1994). Sociétés avec et sans concept de travail. Sociologie du travail, HS,
36 : 57-71.
Chanial P. et J.-L. Laville (2002). L’économie solidaire : une question politique.
Mouvements, 1 (19) : 11-20.
Chevanne, J.-L. (1987). Anthropologie et développement. Thèse de doctorat d’État sous la
direction de P.-P. Rey. Paris, Université de Paris 8.
Dosse, J.-F. (1997). L’action située. Dans L’empire du sens. L’humanisation des sciences
sociales (p. 349 et s.). Paris, La Découverte.
Duez, P. (2007). De l’ancienne à la nouvelle économie sociale. Transition et reconstitution.
Dans T. Daghri et H. Zaoual (dir.), Économie solidaire et développement local. Vers une
démocratie de proximité (p. 95-124). Paris, L’Harmattan.
Duez, P. (2008). L’État et la recherche de gouvernances locales. Une approche
régulationniste. Économie appliquée, 61 (4) : 113-148.
Dughera, J. (1999). Pratique collective du capital solidaire de proximité : une nouvelle
citoyenneté pour l’épargnant ? Cahiers du GRATICE, 2 : 207-227.
Dumonchel, P. et J.-P. Dupuy (1979). L’enfer des choses : René Girard et la logique de
l’économie. Paris, Le Seuil.
Dumont, L. (1977). Homo aequalis. Genèse et épanouissement de l’idéologie économique.
Paris, Gallimard.
Dupuy, F. (2001). Anthropologie économique. Paris, Armand Colin.
Eme, B. et J.-L. Laville (dir.) (1994). Cohésion sociale et emploi. Paris, Desclée de Brouwer,
coll. Sociologie économique.
Enjolras, B. (1996). Associations et isomorphisme institutionnel. RECMA, 75 (261) : 68-76.
Forget, P. et G. Polycarpe (1990). L’homme machinal : technique et progrès, anatomie
d'une trahison. Paris, Syros Alternatives.
Freyssenet, M. (1994). Quelques pistes nouvelles de conceptualisation du travail.
Sociologie du travail, HS, 36 : 105-122.
Geremek, B. (1987). La potence ou la pitié. L’Europe et les pauvres du Moyen Âge à nos
jours. Paris, Gallimard.
Chaire de recherche
Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique
www.culturephilanthropique.ulaval.ca
Cahiers de recherche
Collection « Théories et approches »
28
Les pratiques d’économie solidaire. Une approche par l’anthropologie économique
Geschière, P. et B. Schlemmer (dir.) (1987). Territoires et perspectives : actes du Colloque
international sur l’anthropologie face aux transformations des sociétés rurales, aux
politiques et aux idéologies du développement. Paris, Éditions ORSTOM.
Godbout, J. T. et A. Caillé (1992). L’esprit du don. Paris, La Découverte.
Godelier, M. (1965). Objet et méthodes de l’anthropologie économique. L’Homme, 5 (2) :
32-91.
Guénon, R. (1986). Le règne de la quantité et les signes des temps (1re éd. 1945). Paris,
Gallimard, coll. Tradition.
Guérin, I. et D. Vallat (1999). Réciprocité et proximité facteurs d’insertion. L’expérience des
systèmes d’échange local. Cahiers du GRATICE, 2 : 169-190.
Hatzfeld, M. (1998). Topo-guide des régies de quartiers : tisser le lien social. Paris, Desclée
de Brouwer.
Haut Conseil de la coopération internationale (2006). Développement durable et solidarité
internationale. Enjeux, bonnes pratiques, propositions pour un développement durable du
Sud et du Nord. Paris, HCCI.
Héber-Suffrin, C. et M. Héber-Suffrin (1992). Échanger les savoirs. Paris, Desclée de
Brouwer.
Howell, S. (1989). Of Persons and Things : Exchange and Valuables Among the Lio of
Eastern Indonesia. The Man, 24 (3) : 419-439.
Ipsos (2012). Les Français et les pratiques collaboratives : Qui fait quoi ? Et pourquoi ?
France,
Ipsos
Public
Affairs.
En
ligne.
[http://www.ipsos.fr/ipsos-publicaffairs/actualites/2013-04-29-consommer-autrement-francais-adeptes-pratiquesconsommation-collaborative]. Consulté le 1er mai 2013.
Jaudel, P. (1973). La pensée sociale de John Ruskin. Paris, Librairie Marcel Didier, coll.
Études anglaises, no 43.
Jessop, B. (1998). L’essor de la gouvernance et ses risques d’échec : le cas du
développement économique. Revue internationale des sciences sociales, 155 : 31-49.
Laacher, S. (2003). Les SEL. Une utopie anticapitaliste en pratique. Paris, La Dispute.
Latouche, S. (2003). L’oxymore de l’économie solidaire. Revue du MAUSS, 21 : 145-150.
Latreille, T. (2000). Cycle millénaire : le faux débat de la clause sociale. Problèmes
économiques, 2663 : 19-23.
Chaire de recherche
Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique
www.culturephilanthropique.ulaval.ca
Cahiers de recherche
Collection « Théories et approches »
29
Les pratiques d’économie solidaire. Une approche par l’anthropologie économique
Laville, J.-L. (1992). La création institutionnelle locale : l’exemple des services de proximité
en Europe. Sociologie du travail, 34 : 3 : 353-368.
Laville, J.-L (dir.) (1994). L’économie solidaire. Une perspective internationale. Paris,
Desclée de Brouwer, coll. Sociologie économique.
Laville, J.-L. (2003). Avec Mauss et Polanyi, vers une théorie de l’économie plurielle. Revue
du MAUSS, 21 : 237-249.
Lecomte, T. (2004). Le commerce équitable. Paris, Eyrolles.
Le Goff, J. (1977). Pour un autre Moyen Âge : temps, travail et culture en Occident,
18 essais. Paris, Gallimard.
Lévy-Strauss, C. (1974). Anthropologie structurale. Paris, Plon.
Malandrin, G. (1999). Les systèmes d’échange local. Une monnaie sans échange
marchand. Cahiers du GRATICE, 2 : 153-167.
Maréchal, J. P. (2001). Le travail et l’analyse économique. Études, no 395/5, p. 455-465.
Perroux, F. (1981). Pour une philosophie du nouveau développement. Paris, AubierPresses de l’Unesco.
Petitat, A. (1991). Les circuits du don : « kula », charité et assurances. Cahiers
internationaux de sociologie, XC : 49-63.
Pillods, S. (1996). Quand l’argent relie les hommes. Une autre manière d’être banquier :
l’expérience de la NEF. Paris et Lausanne, La Librairie de la Fondation pour le progrès de
l’homme, Dossier pour un débat, 54.
Plichon, O. (1997). Ces Français qui redécouvrent le troc. Capital, mai : 121-122.
Polanyi, K. (1983). La grande transformation. Aux origines politiques et économiques de
notre temps (1re éd. 1944). Paris, Gallimard.
Pritchett, L. (1997). Quelle convergence entre pays ? Problèmes économiques, 2510-2511 :
53-56.
Roustang, G. (1994). Passé et avenir du travail. Lumière et vie, 220 : 17-29.
Russo, P.-D. (1997). Les placements alternatifs et solidaires. Alternatives économiques,
Hors série pratique 1.
Sahlins, M. (1976). Âge de pierre, âge d’abondance. L’économie des sociétés primitives.
Paris, Gallimard.
Chaire de recherche
Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique
www.culturephilanthropique.ulaval.ca
Cahiers de recherche
Collection « Théories et approches »
30
Les pratiques d’économie solidaire. Une approche par l’anthropologie économique
Servet, J.-M. (dir.) (1997). Monnaies locales et lien social : l’émergence des SEL. Paris,
Rapport à la Caisse des dépôts et consignations.
Servet, J.-M. (dir.) (1999a). Exclusion et liens financiers. Paris, Economica.
Servet, J.-M. (dir.) (1999b). Une économie sans argent. Les systèmes d’échange local.
Paris, Le Seuil.
Srinivasan, T. N. (1994). Human Development : A New Paradigm or Reinvention of The
Wheel ? American Economic Review, 84 (2) : 238-243.
Tardella, A. (1999). Vers une banque centrale à monnaie franche. Cahiers du GRATICE, 2 :
193-205.
Teisserenc, P. (1994). Les politiques du développement local : approche sociologique.
Paris, Economica.
Temple, D. (1997). Lévistraussique : la réciprocité et l’origine du sens. Transdisciplines,
Revue d’épistémologie critique et d’anthropologie fondamentale, 1. Paris, L’Harmattan : 942.
Tertre, C. du (1999). Les services de proximité aux personnes : vers une régulation
conventionnée et territorialisée. L’année de la régulation, 3. Paris, La Découverte.
Thisse, J. F. (1995). Concurrence sur le marché du travail, capitalisation foncière et
développement régional. Dans A. Rallet et A. Torre (dir.), Économie industrielle et économie
spatiale (p. 65-84). Paris, Economica.
Trouvelot, S. (1998). Un peu de Sel dans le tissu social. Alternatives économiques, 157 :
24- 27.
Veit, P. (2006). Commerce équitable entre l'Europe et le Tiers Monde. En ligne.
[http://www.globenet.org/archives/web/2006/www.globenet.org/horizonlocal/astm/as68eq.html]. Consulté le 1er mai 2013.
Chaire de recherche
Marcelle-Mallet sur la culture philanthropique
www.culturephilanthropique.ulaval.ca
Cahiers de recherche
Collection « Théories et approches »
31
Téléchargement