Sanchez 2007 - Danesi - CR.indd

publicité
COMPTE RENDU NON THÉMATIQUE
SANCHEZ Sylvie, 2007, Pizza connexion. Une séduction transculturelle.
Paris, CNRS Éditions, 245 p., bibliogr., index (Giada Danesi)
Comment certains mets ont-il la capacité de se prêter à l’emprunt et en même temps
de signer le renouvellement et le maintien de la diversité culturelle ? Comment la diversité
culturelle se garde-t-elle et se renouvelle-t-elle dans les flux des emprunts et des influences
réciproques ? En partant d’un objet d’étude – la pizza – qui a traversé les époques et dépasse
les barrières nationales, Sylvie Sanchez s’interroge dans cet ouvrage sur les phénomènes
d’emprunts et d’échanges culturels qui témoignent du caractère hybride et dynamique de la
culture. Dans une perspective diachronique et transdisciplinaire, l’auteure étudie les évolutions
de la forme, de l’usage et de la signification de la pizza afin d’explorer les modalités du contact
interculturel, d’analyser les mécanismes et les règles de remise en forme culturelle de l’élément
étranger. Ainsi sont mis en lumière les frontières ainsi que les enjeux identitaires qui se posent
lorsque les groupes cèdent à l’attractivité d’une pratique exogène.
Le choix de S. Sanchez d’une perspective diachronique s’insère dans le courant d’études
en histoire et anthropologie de l’alimentation qui s’interroge depuis les années soixante-dix sur
la question du changement et de l’évolution des systèmes alimentaires. En postulant le caractère
dynamique et hybride de la culture, elle prend clairement de la distance par rapport aux figures
qui manifestent un certain pessimisme face à la globalisation annonçant une homogénéisation
culturelle (Lévi-Strauss 1958, 1996 [1973]) ou qui préfèrent parler de multiculturalisme que
de métissage. Son approche transdisciplinaire renvoie aux études en socioanthropologie de
l’alimentation qui qualifient l’alimentation de « fait social total » (Mauss 1923-1924) et qui
considèrent l’acte de manger comme un système unique bio-psycho-socioculturel (Fischler 1979).
Cette recherche s’appuie sur la consultation de documents historiques et d’enquêtes
quantitatives, mais surtout sur des témoignages collectés à travers des entretiens semi-directifs
en face à face ou encore téléphoniques avec des expatriés italiens, des pizzaïolos, des patrons
de pizzerias, des responsables de service pizza au sein de multinationales et des consommateurs
de pizza, ainsi que des échanges informels lors de voyages d’observation en Italie, en France
et à New York.
L’ouvrage est structuré en trois parties qui correspondent à des moments historiques
et à des zones culturelles et géographiques clés de la paradoxale histoire de la pizza. Dans la
première partie, l’auteure décrit et explique la trajectoire de la pizza dès sa genèse à Naples
– référence de départ et pratiques de production et consommation – jusqu’à l’émergence de
pizzas nationalisées en France et aux États-Unis, en passant par les grandes migrations des
Italiens en France (Marseille et la Provence) et aux États-Unis (Chicago et New York) – rapport
à la pizza et à la communauté italienne pour les Italiens expatriés et politiques d’intégration.
Ces préparations syncrétiques d’un point de vue de la technique de préparation, de la recette et
de la pratique de consommation naissent d’un processus de réappropriation qui rend compte des
enjeux identitaires en situation d’interaction culturelle. Les différentes évolutions de la pizza
au sein de ces deux pays expliquent qu’il existe un dialogue différent entre les expatriés et la
société d’accueil, mais aussi une influence mutuelle.
Anthropologie et Sociétés, vol. 34, 2010
2
Compte rendu non thématique
La deuxième partie traite de l’introduction de la pizza américaine via les entreprises
multinationales agroalimentaires en France, des modalités de l’acceptation de la forme
américaine, ainsi que des effets de cette rencontre sur la proposition américaine et sur l’offre
française préexistante ainsi que sur les habitudes de consommation. Modalités au pluriel, car
l’auteure nous explique qu’elles n’ont pas été les mêmes sur l’ensemble du territoire français.
Il existe des différences entre le nord et le sud de la France qui montrent que même si les
mécanismes sont les mêmes, les expressions changent en fonction du référent de départ dont
les locuteurs disposent. Ainsi, la rencontre avec la pizza américaine a donné lieu à de nouvelles
formes syncrétiques et à des adaptations, sous forme d’un processus de sélection, de détournement
d’usage ou d’attribution d’un sens nouveau. Ce processus a engagé les Français à mobiliser un
bagage culturel commun pour canaliser l’exogène et réguler la dynamique du contact.
Dans la troisième partie, S. Sanchez revient en Italie et explique le phénomène de
patrimonialisation induit par la demande d’une « appellation protégée » de la pizza de la part
d’une association napolitaine, laquelle vise à protéger une forme pure et authentique, d’une
part, et à valoriser un terroir et sa population grâce à la reconnaissance d’une spécificité, d’autre
part. Le choix de traiter cet aspect répond à la volonté de l’auteure de revenir sur la définition
de la pizza : comment reconnaître une pizza avec toutes les formes, usages et significations
qu’elle peut assumer ? Existe-il une forme archétypale ? La pizza témoigne ainsi de la vitalité
de la culture.
Ce travail de recherche enrichit le débat sur la globalisation et la modernité alimentaire,
ainsi que la réflexion sur le caractère dynamique de la culture. Données et explications mettent en
valeur que l’homogénéisation culturelle n’est qu’un phénomène de surface. Les déplacements,
reconstructions et inventions de frontières qui caractérisent ce mets transculturel répondent au
principe fondamental de la culture. Les mélanges et les contacts culturels ne détruisent pas les
différences culturelles, mais donnent lieu à des formes nouvelles tout en régénérant les cultures
grâce à un processus de métissage, qui permet de maintenir une spécificité culturelle tout en
assurant le renouvellement par emprunt exogène. Les phénomènes d’adoption, adaptation, et
réactualisation sont bien des signes du caractère inévitable du changement culturel qui permet
le renouvellement de la diversité culturelle.
Références
F ISCHLER C. (dir.), 1979, « La nourriture. Pour une anthropologie bio-culturelle de
l’alimentation », Communications, EHESS, n°31.
MAUSS M., 1923-1924, « Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés
archaïques », L’Année Sociologique, 1 : 30-186.
LÉVI-STRAUSS C., 1958, Anthropologie structurale. Paris, Plon.
—, 1996 [1973], Anthropologie structurale, II. Paris, Plon.
Giada Danesi
Centre Edgar Morin – IIAC
EHESS, Paris, France
Téléchargement