COUV 1_ICC104 Magazine.qxd - ICC

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Internationaux
Magazine du Comité Français de la Chambre de Commerce Internationale
DOSSIER
Les grandes mutations à l’œuvre
dans l’économie mondiale
Interview exclusive
Emmanuel MACRON
N° 104 - Décembre 2015 ® DR
Ministre de l’Économie, de l'Industrie
et du Numérique
« Aux chefs d'entreprise, je ne dirai
qu'une chose : investissez ! »
Guide de l’OMD sur
l’évaluation en douane
et les prix de transfert
Les nouveaux objectifs
du développement
durable
Application
extraterritoriale
des lois nationales
ECHANGES INTERNATIONAUX
S O M M A I R E
Magazine du Comité Français de la
Chambre de Commerce Internationale
L'économie mondiale évolue vers un
nouveau modèle de croissance ……………………2
Application extraterritoriale du droit américain :
un enjeu pour les entreprises françaises …… 9
Mathias AUDIT, Professeur agrégé des Facultés de
droit, Avocat associé, Steering
par Gérard WORMS, Président d’ICC France
INTERVIEW EXCLUSIVE
D'EMMANUEL MACRON,
Ministre de l'Economie, de l'Industrie
et du Numérique
«Aux chefs d'entreprise, je ne dirai qu'une
chose : investissez !» ………………………………… 3
Valeur en douane et prix de transfert :
l’OMD intègre les propositions de l’ICC …… 10
Vanessa SAINT-BLANQUAT, Directrice de mission
pour les Affaires fiscales européennes et
internationales au Medef, et Catherine CASSIÈRE,
Directrice fiscale internationale de Alstom Power
AUTORÉGULATION
POLITIQUE GÉNÉRALE
B20 d'Ankara : 19 recommandations
pour stimuler la croissance et l'emploi. …… 7
PME : l'enjeu de la conformité
Concurrence ……………………………………………… 11
Anne-Sophie BODIN, Directeur juridique Droit
Européen et de la Concurrence du groupe Areva
Jeff HARDY, Directeur, ICC G20 Business Advisory Council
RÉSOLUTION DES LITIGES
ODD 2030 : 17 défis et autant d'opportunités
pour les entreprises …………………………………… 8
Désignation d’arbitres :
les bonnes pratiques ……………………………… 12
Laurent JAEGER, Avocat associé, Orrick Rambaud Martel
©DR
Louise KANTROW, Représentante permanente de la
Chambre de commerce internationale à l'ONU
Décembre 2015 - N°104
DOSSIER :
LES GRANDES MUTATIONS À L’ŒUVRE DANS L’ÉCONOMIE MONDIALE
Présentation du dossier
Éditeur :
Comité Français de la Chambre
de Commerce Internationale
9 rue d’Anjou - 75008 Paris
Tél : 01 42 65 12 66
Fax : 01 49 24 06 39
www.icc-france.fr
Directeur de la publication :
Gérard WORMS
Rédacteur en chef :
François GEORGES
…………………………………
13
François GEORGES, Délégué général d'ICC France
Compte-rendu d’une conférence de Pascal LAMY,
ancien Directeur Général de l’OMC
« Il n'y aura pas de nouveau cycle de
croissance tant que nous n'aurons pas
débarrassé l'économie des entreprises
non compétitives » …………………………………………… 14
Hans-Werner SINN, Professeur d'économie
et de finances publiques à l'Université de Munich,
président de l'IFO, l'institut de conjoncture de Munich
«Nous allons vers un modèle où les
différentes régions du monde seront
moins interdépendantes» ……………………………… 15
Conseillère éditoriale :
Marie-Paule VIRARD
Patrick ARTUS, Chief economist de Natixis et
Professeur à l'Université Paris I-Panthéon-Sorbonne
Régie publicitaire :
Editions OPAS
41, rue Saint-Sébastien - 75011 Paris
Tél. : 01 49 29 11 00
Fax : 01 49 29 11 46
……………………………………………………………
Le numérique révolutionne les Business
Models et les modes de vie
………………………
21
Compte-rendu de l’intervention de Maurice LEVY,
Président du Directoire de Publicis Groupe à l’AG
2015 d’ICC France
«Les entreprises doivent penser
et agir avec frugalité, c'est-à-dire créer
davantage de valeur en consommant
moins de ressources» ……………………………………… 22
Navi RADJOU, Conseiller en Innovation & Leadership,
Co-auteur de «L'Innovation frugale, comment faire
mieux avec moins»
Afrique : des besoins énormes
Réchauffement : qu'attendons-nous
pour agir ?
Commerce mondial : un nouveau monde
placé sous le signe de la précaution …… 19
17
Jacques LESOURNE, Économiste, Président
du Comité de direction de FutuRIS
et des ressources encore insuffisamment
exploitées ………………………………………………………………… 24
Albert YUMA-MULIMBI, Président de la CPCCAF,
Président de la Fédération des Entreprises du Congo
Éditeur conseil :
Jean-Pierre KALFON
POINTS DE VUE
Directeur commercial :
David ADAM
Dépôt légal 92892
Imprimeur :
PrintCorp
L'Unifab a déclaré la guerre
à la contrefaçon …………………………………………………… 26
Les nouvelles règles du jeu douanier
en Europe ………………………………………………………………… 30
Delphine SARFATI-SOBREIRA, Directrice générale de
l’Union des Fabricants (Unifab)
Raphaël BARAZZA, Avocat au barreau de Paris,
Membre de la Commission Douanes d'ICC France
V.I.E : la solution RH pour le développement
export des PME …………………………………………………… 27
Retour sur trois années d’application du
Règlement d’arbitrage de la CCI ………………… 31
Michel OLDENBURG, Directeur du V.I.E. de Business
France
ÉCHANGES INTERNATIONAUX
EST LE SEUL MAGAZINE D’INFORMATION
D’ICC FRANCE, COMITÉ NATIONAL FRANÇAIS
DE LA CHAMBRE DE COMMERCE
INTERNATIONALE
ÉVÉNEMENTS
Un atout pour l'Europe industrielle : le brevet
unitaire et la juridiction unifiée …………………… 28
Alice PEZARD, Avocat et Conseiller honoraire
à la Cour de Cassation
Christine LECUYER-THIEFFRY, Associée co-fondatrice
de Thieffry et Associés et Avocate au barreau de Paris
FORMATIONS ET SÉMINAIRES
Programme 2016 d’ICC France ……………………… 32
1
sur
et
ÉDITORIAL
L'économie mondiale évolue
vers un nouveau modèle de
croissance
Comme c’est, j’en suis sûr, le cas de nos lecteurs, nos pensées vont d’abord
à toutes les victimes des attentats tragiques du 13 novembre. Parmi elles, la
jeunesse a payé un tribut particulièrement lourd, cette jeunesse dont certains
commentateurs ont osé dire qu’elle était insouciante, sous prétexte qu’elle
aime à s’attabler à la terrasse d’un café ou aller au concert. En vérité, cette
génération, loin d’être insouciante, cherche quasi désespérément à concilier
ce goût de vivre et ses angoisses pour l’avenir.
C’est justement sur cet avenir, au moins en matière économique, que nous
avons voulu nous pencher dans le dossier central de la présente livraison.
Il s’agit de scruter du mieux possible les changements structurels les plus
marquants qui vont affecter l’économie mondiale, de la révolution digitale si
bien décrite par Maurice Lévy lors de notre Assemblée Générale à la transformation de l’Afrique, en
passant par le second «rapport Stern», résumé par Jacques Lesourne, sur les conséquences macro-économiques du changement climatique, sans oublier bien sûr la mutation à l’œuvre dans les négociations
commerciales internationales, que nul mieux que Pascal Lamy ne pouvait commenter.
Et c’est le ministre Emmanuel Macron qui a bien voulu intervenir pour nous donner sa vision des grandes
mutations économiques. Nous lui sommes vivement reconnaissants d’avoir accepté de répondre à nos
questions.
La Chambre de Commerce Internationale a connu par ailleurs un quadrimestre de rentrée particulièrement
actif : cela a été le cas pour le B20 et le G20 tenus en Turquie, notre premier vice-président, Sunil Mittal,
et Marcus Wallenberg, président de notre G20 Advisory Council, ayant tenu les premiers rôles à Antalya,
face aux chefs d’État et de gouvernement. Cela a été vrai aussi aux Nations- Unies, lors de l’adoption des
nouveaux objectifs du développement durable faisant suite à ceux du Millénaire, objectifs dans la mise au
point desquels l’ICC s'est fortement impliquée.
S’agissant de notre métier central, la régulation du commerce international, nos Comités s’activent à travers
le monde pour hâter la ratification du «Trade Facilitation Agreement», dont l’OMC vient de redire que,
comme nous l’avions annoncé nous-mêmes pendant sa négociation, il pourrait, une fois pleinement mis en
place, entraîner un accroissement des échanges internationaux – qui en ont bien besoin – vu leur bas niveau
actuel de 1 000 milliards de dollars par an. L’Union Européenne figure parmi les premiers acteurs ayant
ratifié cet Accord, mais il faut arriver à 108, dans un avenir que nous espérons proche, pour qu’il entre en
vigueur.
Je mentionnerai enfin l’envoi à tous les membres d’ICC France d’une liste de 7 recommandations majeures
pour lutter contre le réchauffement climatique, liste qui a été approuvée à l’unanimité par notre Conseil
d’administration. Au-delà de la COP21, nous estimons en effet que la codification des bonnes pratiques et
la supervision de leur application la plus large possible sont inscrites dans l’ADN de l’ICC, comme le
montre ce que nous faisons déjà pour les Incoterms, le Trade Finance, la lutte anti-corruption ou l’usage de
la publicité par exemple. Nous suivrons donc la façon dont nos recommandations seront mises en œuvre
avec une attention toute particulière.
Je terminerai ce « mot du Président » en vous exprimant à tous, chers lecteurs, en ces temps d’attentats, d’incertitudes mais aussi d’innovations porteuses d’avenir, mes vœux, les vœux très chaleureux d’ICC France,
pour vous, les vôtres et vos entreprises.
Gérard WORMS
Président d’ICC France
Président d’honneur de la Chambre de Commerce Internationale
2
INTERVIEW EXCLUSIVE
INTERVIEW EXCLUSIVE D'EMMANUEL MACRON, MINISTRE DE L'ECONOMIE, DE L'INDUSTRIE ET DU NUMÉRIQUE
« Aux chefs d'entreprise, je ne
dirai qu'une chose : investissez ! »
©DR
Au moment où la croissance de l'économie mondiale semble entrer dans une nouvelle
phase, Emmanuel Macron, ministre de l’Économie, de l'Industrie et du Numérique, réaffirme
sa foi dans la capacité de la France à améliorer son potentiel de croissance et exhorte les
acteurs économiques à prendre des risques, à mener la bataille de l'innovation et à investir.
3
INTERVIEW EXCLUSIVE
INTERVIEW EXCLUSIVE D'EMMANUEL MACRON, MINISTRE DE L'ECONOMIE, DE L'INDUSTRIE ET DU NUMÉRIQUE
changes Internationaux.
Quelle est votre analyse du
ralentissement de la croissance mondiale : est-il conjoncturel
ou structurel ?
Emmanuel Macron. A court terme,
les évolutions de la croissance
mondiale sont extrêmement erratiques. Ainsi, si le FMI prévoit un
ralentissement de la croissance mondiale en 2015, il table aussi sur une
reprise en 2016. Difficile d’en tirer des
conclusions hâtives et générales.
E
Il faut donc étudier le temps long. Au
cours des vingt dernières années,
le niveau de la croissance mondiale
a été exceptionnellement élevé :
l’entrée des pays communistes dans
l’économie de marché, les potentiels
immenses de rattrapage de certaines
économies, notamment asiatiques,
ainsi que l’essor des TIC ont permis
un éclatement inédit des chaînes
de valeur ajoutée. Aujourd’hui, un
« atterrissage » paraît naturel. Selon
l’OCDE, la croissance mondiale
devrait s’établir en moyenne à 3 %
l'an entre 2010 et 2060. C’est moins
qu’entre 2001 et 2010 (3,5 %), mais
cela signifie tout de même que le
PIB mondial sera multiplié par 4 en
cinquante ans !
©DR
Par ailleurs, il faut distinguer selon
les régions, même à court terme. La
croissance dans les pays développés
ne ralentit pas, elle accélère ! C’est
le cas aux États-Unis, où le FMI
prévoit une croissance de 2,6 % en
2015, contre 2,4 % en 2014. C’est
aussi le cas en zone euro, où la
reprise est bien installée : 1,5 %
prévu en 2015 contre 0,9 % en 2014.
En revanche, la croissance ralentit
dans les pays émergents : elle passe
de 4,6 % en 2014 à 4 % en 2015. Pour
un certain nombre de ces pays, il y a
évidemment des facteurs conjoncturels, comme la baisse des prix des
matières premières. Mais il y a
aussi, et c’est le cas de la Chine, un
ralentissement plus structurel.
Nous savions depuis des années que
des taux de croissance supérieurs à
10 % n’étaient pas soutenables et
que son rattrapage deviendrait plus
lent, comme pour tous les pays qui
se rapprochent de la frontière technologique. Il est donc paradoxal de
s’être inquiété hier de la croissance
exceptionnellement élevée de la
Chine et de s’inquiéter aujourd’hui
de son ralentissement. Le modèle
de croissance de ce pays se transforme. Il est de moins en moins
fondé sur l’investissement et l’industrie et de plus en plus sur la
consommation et les services. Les
autorités chinoises le savent : elles
doivent continuer à adapter leurs
politiques et leurs régulations pour
accompagner ce tournant structurel. A quel rythme, selon quelles
modalités, avec quelles priorités ?
Voilà les questions décisives qu’il
leur faudra trancher.
E.I. Et s’agissant du ralentissement du commerce mondial ?
E.M. On peut faire la même analyse !
Le ralentissement des échanges
internationaux est à la fois conjoncturel et structurel. Certes, il y a eu
une chute très forte pendant la crise
financière. Mais sept ans plus tard,
Bio Express. Emmanuel Macron.
« Le libéralisme est une valeur de gauche ». Ministre de l’Économie,
de l'Industrie et du Numérique depuis le 26 août 2014, Emmanuel
Macron, 37 ans (38, le 21 décembre prochain), est celui qui, au sein du
gouvernement Valls, n'hésite pas à parler de tous les sujets et à bousculer les
tabous qu'il s'agisse de parler des « valeurs » de la gauche, du temps de travail
ou du statut des fonctionnaires. Atypique -il a débuté sa carrière comme
banquier d'affaires à la Banque Rothschild et Cie avant d'en devenir associégérant de 2011 à 2012-, celui qui fut pendant deux ans l'inspirateur de la
politique économique de François Hollande à l’Élysée, rêve d'incarner une
gauche qui saurait réconcilier responsabilité et solidarité, égalité et liberté.
4
ils n’ont pas retrouvé leur tendance
d’avant-crise. Alors que la croissance du commerce mondial était
deux fois plus élevée que celle du
PIB avant 2008, elle peine aujourd'hui
à la dépasser. Avons-nous basculé
dans un nouveau régime ?
Regardons encore du côté de la
Chine : son intégration au commerce
mondial a été l’un des moteurs de la
croissance des échanges. Mais elle
est désormais pleinement intégrée !
De même, la fragmentation du
processus de production en un
grand nombre de tâches effectuées
dans des pays différents a joué un
rôle majeur dans l'accélération du
commerce mondial au cours des
années 1990 et 2000. Or, on observe
un ralentissement de la dynamique
liée au fractionnement des chaînes
de valeur mondiales. Les spécialistes
d e s p ro ce ss u s d e p ro d u c t i o n
considèrent qu’ils vont davantage se
fonder sur des réseaux régionaux de
production ou même se relocaliser.
Bref, le fait que la croissance des
échanges commerciaux dépasse
durablement celle du revenu mondial n’a jamais rien eu de naturel. Ce
que l’on constate aujourd’hui ne
signifie pas donc pas la fin de la
mondialisation, le retour au statu
quo ante, bien au contraire. Mais
nous entrons dans une phase
nouvelle.
E.I. Un débat se développe des
deux côtés de l'Atlantique autour
du thème de la « stagnation
séculaire ». N'est-ce pas paradoxal au moment où la révolution
numérique nourrit une grande
vague d'innovations ?
E.M. Le débat est vif et il n’est pas
tranché. Il y a deux interprétations
possibles. Certains économistes
estiment que la « stagnation séculaire »
se trouve du côté de l’offre avec un
ralentissement durable du progrès
technique. D'autres expliquent cette
faible croissance par un phénomène
de demande, à travers une baisse
prolongée de la consommation et de
l’investissement.
E.I. Que pensez-vous de ces deux
interprétations ?
E.M. La première met en évidence un
paradoxe : le déferlement de technologies disruptives ne produit pas une
hausse significative des gains de
INTERVIEW EXCLUSIVE
©DR
INTERVIEW EXCLUSIVE D'EMMANUEL MACRON, MINISTRE DE L'ECONOMIE, DE L'INDUSTRIE ET DU NUMÉRIQUE
je n’ai aucun doute sur la
capacité de la France à
améliorer ses gains de
productivité et son potentiel
de croissance. Nous avons
encore du travail à faire et des
opportunités à saisir pour
rattraper les meilleurs élèves
de la classe en la matière.
productivité. Pourtant, l’attente est là :
ces innovations sont valorisées à des
niveaux record sur les marchés boursiers. De vraies ruptures technologiques sont à l’œuvre. La révolution
numérique transforme en profondeur
notre quotidien en apportant de
nouveaux biens, de nouveaux services
et de nouveaux usages. La portée du
modèle qui émerge est d’ailleurs si
large et si diffuse qu’elle prend de
cours les statistiques, qui ne parviennent pas toujours à l’intégrer dans le
calcul du PIB : Blablacar, par exemple, qui permet une utilisation plus
efficace et plus économe de la voiture,
ne voit pratiquement pas son activité
comptabilisée dans le PIB. Cela prouve que des gains de productivité sont
là, mais que nous ne parvenons pas
toujours à les mesurer. Par ailleurs, si
les nouvelles technologies sont synonymes de potentiel, c’est à nous de
les transformer en opportunités
économiques réelles. Depuis quinze
ans, c’est moins le progrès technique
qui a ralenti que sa vitesse de
diffusion. Il faut donc lever toutes les
barrières qui la freinent.
Avec la seconde interprétation, je
partage l’idée que les crises financières
laissent des traces persistantes. Le
risque de déflation en est un. Il a bien
été identifié par la BCE qui n’a pas
hésité, avec son programme de
Quantitative Easing, à bousculer
l’orthodoxie monétaire. Mais la BCE
ne peut pas tout et la reprise qui
s’amorce en zone euro doit être amplifiée
grâce, notamment, à l’investissement.
C'est l’investissement qui nous permettra de répondre au risque de la
stagnation séculaire sur les deux
tableaux : celui de la demande à court
terme et celui de la productivité sur le
long terme. C’est pourquoi la France a
activement soutenu le plan Juncker et
s’est engagée à mobiliser 8 milliards
d’euros de co-financements.
Au-delà du débat académique, je n’ai
aucun doute sur la capacité de la
France à améliorer ses gains de productivité et son potentiel de croissance.
5
INTERVIEW EXCLUSIVE
INTERVIEW EXCLUSIVE D'EMMANUEL MACRON, MINISTRE DE L'ECONOMIE, DE L'INDUSTRIE ET DU NUMÉRIQUE
je suis favorable à la création
d’un budget de la zone euro
qui permettrait de stabiliser
les aléas du cycle économique
et de financer des investissements favorisant nos nouveaux
modèles de croissance.
Nous avons encore du travail à faire
et des opportunités à saisir pour
rattraper les meilleurs élèves de la
classe en la matière.
E.I. Quelles mesures faut-il mettre
en œuvre afin de réduire l'insécurité
économique, rendre nos modèles
plus résilients et imaginer de
nouveaux relais de croissance
durable ?
E.M. Nous devons mieux assumer les
interdépendances entre nos économies et en tirer toutes les conséquences. Cela commence en zone euro.
Nous avons déjà beaucoup fait pour la
rendre plus résiliente aux chocs.
N o u s a vo n s m i s e n p l a ce u n
Mécanisme Européen de Stabilité,
afin d’aider les pays en proie aux
crises financières. Nous avons également instauré une Union Bancaire
pour rompre le cercle vicieux entre
risques souverain et bancaire. Ce sont
là des progrès significatifs, mais nous
devons être plus ambitieux.
L’union bancaire n’est pas encore
totalement achevée et nous pouvons
aller plus loin avec une garantie commune des dépôts. Par ailleurs, pour
accélérer la convergence des économies européennes, je suis favorable à
la création d’un budget de la zone euro
qui permettrait de stabiliser les aléas
du cycle économique et de financer
des investissements favorisant nos
nouveaux modèles de croissance.
E.I. La plupart des grands pays ont
entrepris de faire baisser leurs
monnaies, rallumant les craintes
d'un retour en force du chacun
pour soi dans un contexte de
croissance globale modeste.
E.M. Ce n’est pas le cas pour l’euro. Il
faut rappeler que son existence
même vise à éviter une guerre des
monnaies entre pays européens. Par
6
ailleurs, s’il est vrai que l’euro s’est
déprécié cette année, c’est parce qu’il
était largement surévalué. Au niveau
mondial, et dans le contexte de très
faible inflation dont nous avons parlé,
les politiques monétaires expansionnistes permettent d’abord de soutenir
le crédit et l’investissement. Toutefois,
il est vrai que certains sont tentés
d’utiliser la politique monétaire pour
regagner en compétitivité aux dépens
des autres. C’est cela que nous
devons surveiller de très près.
E.I. Quelles initiatives faut-il
prendre rapidement pour replacer
l'économie française dans la
bagarre de la compétitivité au
niveau mondial ?
E.M. Avec le CICE et le Pacte de
responsabilité, la France a déjà rétabli
les conditions de sa compétitivitéprix. Le mouvement d'amaigrissement des marges que les entreprises
ont subi depuis 2007 a ainsi été
inversé depuis le 2ème trimestre 2014.
C’était une première étape nécessaire.
Maintenant, nous devons poursuivre
la bataille pour la compétitivité hors
coût, en particulier dans l’industrie :
c’est le sens, notamment, de la
sanctuarisation du CIR ou de la
deuxième phase de la Nouvelle
France Industrielle. Il faut également
poursuivre le travail de simplification
des procédures entamé dès le début
du quinquennat de François Hollande.
Il faut aussi accélérer la modernisation de notre marché du travail, pour
le rendre plus souple, plus agile et
pour donner une place plus grande au
dialogue social. Il faut enfin lever les
verrous réglementaires qui brident
les créations d’emplois et entravent
l’activité : c’est le sens de la loi pour
l’activité et la croissance que je mets
en œuvre. C’est l’un des objectifs de
ma stratégie pour les nouvelles
opportunités économiques.
E.I. Dans cette optique, qu'attendez-vous des acteurs de l'économie
en général, et des chefs d'entreprise
en particulier, comme actions
susceptibles de favoriser la
création de richesses et d'emplois ?
E.M. J’attends des acteurs économiques qu’ils prennent des risques,
qu’ils osent et se battent pour innover.
Aux chefs d’entreprise, je ne dirai
qu’une chose : investissez ! Et pour ce
faire, utilisez tous les mécanismes
possibles. Je pense par exemple au
dispositif de sur-amortissement qui
permet d’amortir 140 % du montant
des investissements productifs. Les
dispositifs sont là et la conjoncture
est plus favorable : il faut y aller !
E.I. Quelles sont les initiatives
que la Chambre de Commerce
Internationale devrait prendre
pour favoriser une conclusion
rapide des négociations relatives
au Traité-Transatlantique et
mener à son terme le cycle
de négociations multilatérales
de Doha ?
E.M. Le commerce international est
un moteur de la reprise. Nos exportations accélèrent. Elles enregistrent
déjà un acquis de croissance de 5,8%
pour cette année. Nous devons donc
éviter les tentations protectionnistes.
Les négociations commerciales en
cours doivent permettre une ouverture
concrète et réciproque des marchés.
Dans la nouvelle donne de la mondialisation, ceci ne passe plus
seulement par la baisse des droits de
douane, mais également par une
ouverture plus grande des marchés
publics, la levée de barrières nontarifaires, ainsi que par des efforts
de convergence réglementaire. Il ne
s’agit pas d’un nivellement par le bas,
mais au contraire d’un mouvement de
convergence vers le haut, au bénéfice
des consommateurs. Ce sont les
enjeux essentiels des négociations en
cours du TTIP. C’est pourquoi nous ne
devons pas nous précipiter : il faut
parvenir à un accord ambitieux et
équilibré. La France est en première
ligne pour défendre une position
exigeante.
J’attends des acteurs économiques qu’ils prennent des
risques, qu’ils osent et
se battent pour innover. Aux
chefs d’entreprise, je ne dirai
qu’une chose : investissez !
POLITIQUE GÉNÉRALE
B20 d'Ankara :
19 recommandations pour
stimuler la croissance et l'emploi
©DR
Jeff HARDY, directeur, ICC G20 Business Advisory Council
Plus de 1 400 dirigeants et CEOs en provenance de 65 pays ainsi que les ministres
des Finances du G20 se sont retrouvés en septembre à Ankara pour la Conférence
2015 du B20. Le communiqué final de la réunion des chefs d'Etat et de gouvernement
du G20 d'Antalya, les 15 et 16 novembre derniers, fait largement écho à leurs
recommandations.
our la sixième année consécutive,
les dirigeants et CEO membres
de la Chambre de commerce
internationale ont apporté -lors de la
réunion de septembre à Ankara- leur
contribution active à la formulation
des recommandations du B20 destinées
au G20 qui s'est tenu en novembre à
Antalya, au sud de la Turquie.
Pendant trois jours, Terry McGraw, le
président de la Chambre de commerce
internationale, a fait entendre la voix et
porté les propositions de la Chambre
de commerce internationale, à la tête
d'une délégation de dirigeants de
l'ICC G20 Advisory Group composée
notamment de Marcus Wallenberg,
président de SEB et de l'ICC G20
Advisory Group, et de John Danilovich,
secrétaire général d'ICC.
Cette année, les membres du B20 ont
insisté particulièrement sur la nécessité de renouer avec une croissance
robuste grâce à une action collective
inspirée des trois « I » mis en avant par
la présidence turque du G20 : intégration, mise en œuvre (en anglais,
implementation) et investissement.
Pour mettre de l'ordre dans ses
propositions, le B20 d'Ankara, présidé
par Rifat Hisarcikhoglu, s'est organisé
en six groupes de travail : échanges,
infrastructures et investissement,
financement de la croissance, emploi,
lutte anti-corruption et PME et entrepreneuriat. Chaque groupe a identifié
un certain nombre d'obstacles à la
croissance et à l'emploi et préparé une
série de recommandations qui, dès
lors qu'elles seraient mises en œuvre,
permettraient de stimuler l'activité
P
économique et de créer des emplois
au sein des pays du G20 et au-delà.
Au total, le B20 a défini 19 recommandations et chargé le président turc
Erdogan de les transmettre aux
leaders du G20 réunis à Antalya en
novembre 2015 :
- 4 actions destinées à achever la mise
en œuvre des politiques concertées
dans le domaine des échanges, de la
régulation financière globale, de la
fiscalité et de la lutte anti-corruption ;
- 4 actions destinées à se donner les
moyens de corriger les déséquilibres
macro-économiques, notamment
en améliorant l'écosystème de
l'investissement international ;
- 6 actions destinées à favoriser
l'intégration économique et sociale,
notamment à travers une réforme
des marchés du travail, l'augmentation de l'emploi des jeunes et du taux
de participation, sans oublier une
série d'actions destinées à favoriser
le développement des PME ;
- 5 actions destinées à faciliter la
concurrence, notamment en favorisant le développement du digital
dans le cadre des procédures douanières et en digitalisant la gestion
des systèmes d'approvisionnement.
Lors de la conférence, les participants
ont particulièrement insisté cette
année sur la nécessité de faciliter le
développement international des PME
qui emploient plus de deux tiers des
salariés du secteur privé et sont à
l'origine de plus de 80 % des créations
d'emplois. C'est la raison pour laquelle
le B20 a milité pour la création du
World SME Forum (WSF) en association avec l'Union des chambres de
commerce de Turquie. Une initiative
officiellement saluée par les ministres
des Finances du G20 et par
l'Association des banquiers centraux.
La question de l'amélioration de la
coopération internationale a également fait partie des sujets de fond
abordés lors du B20 turc où fut créé le
B20 International Business Advisory
Council (IBAC), une instance présidée
par Muthar Kent, CEO et président de
Coca-Cola et composée de CEOs et de
présidents d'association issus des
pays du G20. Sa mission : améliorer le
dialogue entre le monde des affaires
et les gouvernements autour des
décisions susceptibles de répondre
concrètement aux attentes des entreprises. L'ICC se réjouit que, dans son
communiqué final, le G20 d'Antalya
(15 et 16 novembre) soutienne les
recommandations du B20 en faveur du
développement du commerce mondial, de l'investissement international
et de la création d'emplois pour tous,
attire l'attention sur les risques qui
pèsent sur la propriété intellectuelle
et approuve la création du World SME
Forum.
7
POLITIQUE GÉNÉRALE
ODD 2030 : 17 défis et autant
d'opportunités pour les entreprises
(1)
©DR
Louise KANTROW, Représentante permanente de la Chambre de commerce internationale à l'ONU
Réunis à New-York en septembre dernier, les 193 pays membres de l'ONU se sont
donnés une nouvelle feuille de route en matière de développement. L'agenda 2030
et ses 17 Objectifs de développement durable (ODD) ont vocation à donner un nouvel
élan aux Objectifs du millénaire et placent les entreprises au cœur du dispositif.
n septembre dernier, les 193
p a y s m e m b re s ré u n i s à
New-York pour l'assemblée
générale des Nations-Unies ont
donné le coup de d'envoi d'un agenda
ambitieux à l'horizon 2030. Il s'agit
de 17 Objectifs de développement
durable (ODD) qui doivent permettre
à l'ensemble des acteurs de la communauté internationale (gouvernements, secteur privé et société civile)
de prolonger les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD)
définis en 2000 et d'atteindre ceux
qui sont encore en suspend.
E
Une nouvelle approche.
Désormais, la pauvreté affecte
essentiellement les pays à revenus
moyens. Bien qu'encore pertinente,
l'Aide publique au développement
(APD) n'est plus suffisante pour
stimuler la croissance. La révolution
technologique a certes rendu le
monde plus petit, mais cette convergence a aussi révélé le fossé creusé
en matière d'inégalités aussi bien
entre les pays qu'à l'intérieur de
chaque pays, inégalités qu'il est
impossible d'ignorer plus longtemps.
Nous sommes entrés dans une nouvelle ère marquée par la compétition
pour la terre, l'eau, l'alimentation
et l'énergie. Les conséquences du
changement climatique sont énormes. C'est pourquoi les défis dans la
définition et la mise en œuvre de
l'Agenda 2030 pour le développement
durable sont aujourd'hui sensiblement différents de ceux relevés en
2000 : il est, en particulier, essentiel
que l'ensemble des acteurs travaillent ensemble et prennent appui
sur leur complémentarité.
Le rôle éminent des entreprises.
L'Agenda pour le développement durable met l'accent sur le rôle du business
comme élément clé de son succès.
Chacun reconnaît désormais le rôle
fondamental de la croissance économique, des échanges, de l'investissement, de l'entrepreneuriat, de l'innovation et de la création d'emplois durables dans le succès d'un projet global
de ce type. En moyenne, les entreprises
représentent 60 % du PIB, 80% des flux
de capitaux et 90 % des emplois dans
les pays en développement. Le succès
de l'Agenda 2030 pour le développement durable dans l'ensemble des
pays, quel que soit leur stade de développement, est donc étroitement lié au
fait que les entreprises de toutes tailles
puissent grandir et se développer dans
des conditions à la fois responsables et
durables afin de créer les conditions de
vie et de travail décentes, et d'imaginer
et de développer les nouvelles solutions
susceptibles de relever les défis auxquels la communauté internationale
est confrontée.
La Chambre de commerce internationale, qui a coordonné les contributions des entreprises au cours des
deux années de négociation, se félicite que l'ONU ait mis sur les rails cet
agenda du développement. Il ouvre la
voie de nouveaux partenariats entre
les gouvernements, le secteur privé
et la société civile. Les entreprises
sont résolues à contribuer pleinement à leur succès, que ce soit en
termes de ressources, d'expertise ou
d'innovation technologique.
Des Objectifs de développement durable en phase avec les entreprises.
Les Objectifs de développement durable (ODD) font écho aux
préoccupations des entreprises.
1. Ils sont opérationnels car ils sont « smart » comme disent les anglosaxons, c'est-à-dire à la fois spécifiques, mesurables, réalisables,
pertinents et limités dans le temps.
2. Ils sont universels et proposent une vision globale pour éradiquer la
pauvreté avec une approche intégrée : inclusion sociale, émancipation
économique et gestion de l'environnement.
3. Ils prennent acte de la « finitude » de la planète avec le souci d'une
gestion efficace des ressources et d'une réduction des impacts environnementaux négatifs, à commencer par le réchauffement climatique.
4. Ils s'appuient sur la qualité de la gouvernance, la lutte contre la
corruption et l'économie souterraine.
5. Ils viennent en soutien des institutions afin de protéger et de promouvoir
les droits de l'homme et la diversité dans toutes ses composantes.
6. Ils proposent une feuille de route opérationnelle qui s'appuie sur les
partenariats et reconnaît le rôle du secteur privé à tous les niveaux,
global, national, régional et local.
7. Ils privilégient la relation de confiance indispensable entre les acteurs à
travers un dialogue sincère et transparent afin d'examiner les différences
et de rapprocher les points de vue.
1. Cet article fait partie d'une série de contributions destinées à être publiées dans un numéro de l'OECD Development Co-operation Report 2016 consacré au rôle
du business dans la mise en œuvre des objectifs de développement durable (à paraître à la mi-2016).
8
POLITIQUE GÉNÉRALE
Application extraterritoriale
du droit américain : un enjeu
pour les entreprises françaises
Mathias AUDIT, Professeur agrégé des Facultés de droit, Avocat associé, Steering
©DR
Les entreprises françaises font régulièrement l'objet de poursuites initiées par les
autorités des États-Unis pour des faits intervenus en dehors du territoire américain.
Une proposition de règlement a été rédigée à Bruxelles afin de mieux protéger les
firmes européennes contre un tel risque, mais son adoption se fait toujours attendre.
n certain nombre de textes de
droit américain présentent une
extraterritorialité très marquée,
et les entreprises françaises prennent progressivement conscience de
leur incidence possible sur leurs
activités dans le monde.
Ces textes de droit américain sont à
la fois nombreux et de nature assez
diverse. C’est le cas notamment des
mesures d’embargo ou de gels
d’avoirs adoptés par le gouvernement
américain à l’encontre d’États étrangers. C'est le cas aussi de textes
comme le Foreign Corrupt Practices
Act (FCPA), en matière de corruption
d’agents publics étrangers, ou le
Racketeer Influenced and Corrupt
Organizations Act (RICO) qui vise
notamment les opérations de blanchiment. Sans oublier, en dehors de
la sphère pénale, le Dodd-Frank Act
(marché financier) ou le droit antitrust.
Aujourd’hui, ces textes sont susceptibles de fonder des poursuites civiles,
mais aussi pénales, aux États-Unis
pour des faits ne présentant que des
liens très ténus avec le territoire
américain. Non seulement une
cotation boursière outre-Atlantique
ou des liens capitalistiques avec une
société américaine peuvent permettre
de justifier la compétence des autorités américaines, mais aussi bien
l’existence d’un virement sur un
compte bancaire, ou même l’échange
d’emails avec un correspondant
local. Plus encore, l’utilisation du
dollar dans une transaction est
considérée comme un rattachement
suffisant.
U
Des transactions coûteuses.
L’Office of Foreign Assets Control
(OFAC) auquel est fréquemment
associée la Securities and Exchange
Commission (SEC), voire d’autres
autorités, notamment d’États fédérés, se chargent de diligenter les
poursuites. Mais, en pratique, ces
actions ont la particularité de ne
jamais aboutir à une condamnation
en Justice, mais de faire systématiquement l’objet d’une transaction
avec les autorités, laquelle s’accompagne du paiement d’une indemnité
souvent très importante.
C’est ainsi qu’en 2010, Alcatel Lucent
a accepté de verser 137 millions de
dollars pour faire cesser les poursuites fondées sur des soupçons de
corruption dans divers pays d’Asie
et d’Amérique centrale. Plus récemment, Alstom a réglé une somme de
772 millions de dollars pour mettre
un terme à une action judiciaire
associée à l’obtention d’un marché
en Indonésie.
Toutefois, ce sont indéniablement les
8,9 milliards de dollars que BNP
Paribas a accepté de verser en 2014
aux termes d'une transaction avec
les autorités américaines qui, en
France, ont marqué les esprits.
Si les entreprises françaises acceptent de telles transactions, c’est en
raison du risque financier que fait
peser sur leurs épaules l’éventualité
d’une condamnation par un tribunal
américain. Elles sont en outre peu
familières de cette forme de justice
négociée qui ne connaît pas vraiment
d’équivalent en droit français.
Une proposition de règlement européenne.
Au reste, les accords, qui vont du
Guilty Plea emportant reconnaissance d e c u l p a b i l i t é a u Differed
Prosecution Agreement ou au Non
Prosecution Agreement prévoyant la
suspension ou l’abandon des poursuites, ne comportent pas qu’un volet
financier. Ils prévoient également que
l’entreprise accepte de mettre en
place un programme de conformité
(compliance) qui corresponde aux
exigences du régulateur américain.
Celui-ci court en général sur plusieurs
années et doit être mis en oeuvre
sous la surveillance de compliance
officers dédiés.
La charge acceptée par l’entreprise
poursuivie est lourde, non seulement
en termes financiers, mais aussi de
réorganisation structurelle interne.
Le risque est donc important pour les
groupes français, même ceux dont la
présence sur le marché américain
est réduite voire inexistante.
Une réaction pourrait néanmoins
venir de l’Union européenne, laquelle
a émis en février 2015 une proposition
de règlement visant à «la protection
contre les effets de l'application
extraterritoriale d'une législation
adoptée par un pays tiers», mais dont
l’adoption définitive se fait toujours
attendre. En outre, si le projet de
traité transatlantique (TTIP) voit le
jour, il est possible que le mécanisme
d’arbitrage qu’il prévoirait puisse
permettre de débattre du champ
d’application extraterritorial de
certaines lois américaines.
9
POLITIQUE GÉNÉRALE
Valeur en douane et prix
de transfert : l’OMD intègre
les propositions de l’ICC
Vanessa SAINT-BLANQUAT, Directrice de mission pour les Affaires fiscales européennes et internationales au Medef, et
©DR
©DR
Catherine CASSIÈRE, Directrice fiscale internationale de Alstom Power
L'OMD propose un nouveau guide sur l'évaluation en douanes et les prix de
transfert. Celui-ci intègre 7 propositions formulées par ICC destinées à
éviter les doubles taxations parfois subies par les entreprises et invite les
administrations fiscales et douanières à coopérer dans ce domaine.
aleur en douane et prix de
transfert... Sous cette terminologie barbare, se cache une
problématique familière à bien des
entreprises. Pour tout achat ou vente
d’un bien entre deux sociétés liées
implantées dans des États différents,
le prix peut être remis en cause par
les douanes du pays d’importation
comme par le fisc des deux États
concernés.
Imaginez la société A du pays A, qui
vend des biens de consommation à
sa filiale, la société B, située dans le
pays B, à charge pour cette dernière
de distribuer ces biens dans le pays
où elle est installée.
Au moment de l’importation dans son
pays, la société B paie des droits de
douane sur la base de la valeur en
douane de ces biens, qui correspond
de façon simplifiée au prix d’achat.
Cette valeur est examinée par les
autorités douanières du pays B qui
détermineront si les relations entre
la société A et la société B ont
influencé la valeur de la transaction,
donc sa valeur en douane, et procéderont le cas échéant aux ajustements nécessaires. Si tel est le cas,
le contrôle entraînera le paiement de
droits et taxes complémentaires par
la société B.
Comme il s’agit de sociétés qui
appartiennent à un même groupe,
l’administration fiscale du pays B va
également s’intéresser aux prix pratiqués entre elles : elle peut, toujours
lors d’un contrôle fiscal, estimer que
la valeur des biens est trop importante.
Ainsi, en se fondant sur les dispositions relatives aux prix de transfert,
elle procédera à un rehaussement de
la base d’imposition, avec toutes les
V
10
conséquences que cela comporte
(rectifications, ajustements, pénalités etc…).
d’experts fiscaux et douaniers et
présidé par Catherine Cassière,
directeur fiscal d’Alstom Power.
Des valorisations différentes pour
un même flux.
Le plus étonnant n’est pas qu’une
transaction fasse l’objet de vérifications successives de son prix, mais
que celui-ci soit différent selon que
c’est l’autorité fiscale ou l'autorité
douanière qui procède à la valorisation. L'explication d'une telle
différence tient au fait que les deux
administrations appliquent des
règles distinctes.
Ainsi, deux administrations d'un
même État, parfois réunies au sein
d’un seul ministère, peuvent proposer
des valorisations différentes d’un
même flux (le plus souvent à la
hausse pour renchérir les droits de
douanes et à la baisse pour augmenter
la base taxable). Cette remise en
cause n’est pas exclusive d’un
contrôle fiscal effectué par l’administration du pays de départ qui à l’inverse pourra considérer que le prix de la
transaction est insuffisant (ayant de
fait une position convergente avec les
douanes du pays de destination).
Cette situation aberrante était
d’autant plus difficile à dénouer
qu’elle résulte du respect par chaque
administration des principes GATT ou
OCDE, internationalement admis et
reconnus, et d’une absence totale de
concertation entre autorités.
C’est en partant de ce constat d’autant
plus important que les transactions
entre entreprises liées représentent
60% des transactions mondiales, que
le Medef a créé dès 2007 un groupe
de travail réunissant un panel
Le fisc et les douanes encouragés à
coopérer.
Ce groupe de travail a élaboré des
solutions novatrices et pragmatiques
fondées sur la convergence d’interprétation des principes. Celles-ci
prennent la forme de 7 propositions
qui s’articulent autour de 2 axes
principaux : la reconnaissance et
l’utilisation des principes fiscaux à
des fins douanières et la prise en
compte par une administration des
ajustements pratiqués par l’autre,
afin d’éviter les doubles taxations
subies par les entreprises.
Validées au sein d’un groupe de
travail de la Chambre de Commerce
Internationale présidé par Vanessa de
Saint-Blanquat, Directrice de mission
au MEDEF, ces propositions ont été
reprises dans un « Policy statement »
de l’ICC en 2012 et viennent d’être
intégrées par l’Organisation Mondiale
des Douanes dans son guide sur
l’évaluation en douane et les prix de
transfert publié en juin 2015.
Outre l’aspect technique du sujet,
nous ne pouvons qu’être fières que
notre message ait été entendu et
relayé au niveau international. En
effet, sur son site web, l’OMD souligne
que « L’un des messages clés du
Guide est que les administrations
douanières et fiscales sont encouragées à coopérer et à échanger des
informations et des connaissances
dans ce domaine ». Il ne reste donc
plus qu’à l’appliquer !
Le guide est disponible sur
www.wcoomd.org
AUTORÉGULATION
PME : l'enjeu de la conformité
Concurrence
©DR
Anne-Sophie BODIN, Directeur juridique Droit Européen et de la Concurrence du groupe Areva
Les PME ne sont pas suffisamment armées pour faire face aux problèmes associés
au droit de la concurrence. La boîte à outils d'ICC propose une panoplie d'instruments
adaptée pour toutes les PME soucieuses d'améliorer leur conformité aux règles de
concurrence.
es PME représentent 99% des
entreprises de l’Union européenne et en constituent le premier employeur. Toutefois, si elles
évoluent dans un cadre juridique et
réglementaire tout aussi complexe
que les grandes entreprises, elles
sont moins bien armées pour y faire
face. Leur taille leur offre rarement
la possibilité de disposer d’experts
dans ces domaines, et le coût souvent élevé de conseils externes limite
leurs possibilités d’être conseillées,
alertées et formées.
Le droit de la concurrence ne fait pas
ici défaut. Quel que soit leur champ
d’action, les PME sont concernées par
ces règles dont les principes restent
identiques pour toutes les entreprises :
interdiction des ententes, interdiction
des abus de position dominante
(articles 101 et 102 du Traité sur le
fonctionnement de l’Union européenne,
articles L. 420-1, 420-2 et 420-5 du
Code de commerce).
Il est bien prévu que certains « petits »
accords échappent à l’application des
règles de concurrence, notamment
s'ils n'affectent pas le marché de
façon sensible (par exemple, accords
« de minimis », règlements d’exemption). Mais ces exceptions restent
circonscrites. Typiquement, l’exception
de minimis n’a vocation à s’appliquer
qu’aux seules entreprises dont la part
de marché cumulée n’excède pas
10 % ou 15 % et est souvent inaccessible
aux PME exerçant sur des marchés
de niche (ou dans un contexte de
marchés publics). Pour leur part, les
règlements d’exemption ne couvrent
pas les pratiques les plus sensibles
telles que les ententes sur les prix.
L
De fait, les PME ne sont pas épargnées par le contrôle exercé par le
ministère de l’Économie (pour les
« micro-pratiques » impliquant des
PME dont le CA cumulé n'excède pas
200 millions d'euros) ou par l’Autorité
de la concurrence comme l’illustre
l’amende de plusieurs millions
d’euros prononcée récemment à l’encontre de coopératives laitières ayant
participé à une entente (décision 15D-03 du 11 mars 2015). Elles s’exposent ainsi à des amendes pécuniaires
pouvant atteindre potentiellement
10 % de leur chiffre d’affaires consolidé. Même si pour l’Autorité de la
Concurrence, le fait d’être une PME
peut constituer une circonstance
atténuante, surtout si celle-ci est
mono-produit, cette sanction sera
bien souvent assise sur leur chiffre
d’affaires total faute de disposer d’un
large portefeuille d’activités.
Cette situation est d’autant plus
délicate à gérer que la plupart des
PME n’ont ni les connaissances
nécessaires pour défendre leurs
intérêts, ni toujours les moyens d’en
charger des professionnels compétents.
Ceci peut même les placer dans une
situation d’inégalité procédurale lorsque
d’autres entreprises, plus importantes,
sont parties à la procédure, notamment lorsque celle-ci exige une
réaction rapide et avisée (typiquement,
pour évaluer l’opportunité d’une
demande de clémence)(1).
Dans ce contexte, il est primordial
pour les PME d’opter pour une
démarche volontariste de prévention
et de conformité aux règles de
Concurrence en privilégiant une
stratégie proactive de gestion des
risques par l’adoption d’un programme de conformité.
Dans la pratique, les autorités
n'attendent pas des PME qu'elles
mettent en place des programmes de
compliance identiques à ceux des
grands groupes. Mais il reste essentiel
pour une PME d'identifier les risques
qui découlent de son environnement
concurrentiel, notamment si elle est
en position de leadership (risque
d'abus) ou si elle est active sur des
marchés où il est usuel de travailler
en partenariat avec des concurrents
(situation propice à d’éventuels
échanges d’informations sensibles).
Par ailleurs, cette action doit se
traduire par l’adoption d’une véritable
«conscience concurrence» au sein de
l’entreprise, facilitée par la diffusion
de consignes présentant les principales règles et recommandations en
droit de la concurrence. Cette sensibilisation doit concerner l’ensemble
des salariés (des équipes commerciales aux dirigeants...).
Une PME se protège ainsi juridiquement, et tend à minimiser son risque
en limitant son exposition, voire en
facilitant la détection d’éventuelles
infractions qu’elle aurait pu commettre.
Si celles-ci ont déjà eu lieu, il est
important de savoir comment réagir
rapidement, sans fermer les yeux.
La boîte à outils de la Chambre de
Commerce Internationale constitue
une première étape dans l’adoption
d’un programme de conformité.
Conçue par et pour les entreprises,
elle propose des outils pratiques
adaptés pour toutes les PME qui
souhaitent améliorer leur conformité
aux règles de concurrence.
[1] Ainsi, dans la décision relative au cartel des produits laitiers, Yoplait, également participant à l’entente, a été exonéré du paiement d’une amende en
soumettant très rapidement une demande de clémence.
11
RÉSOLUTION DES LITIGES
Désignation d’arbitres :
les bonnes pratiques
©DR
Laurent JAEGER, Avocat associé, Orrick Rambaud Martel
Le Comité national français d'ICC est aux avant-postes sur la mise en place des
bonnes pratiques en matière de désignation des arbitres. Sous l’impulsion de son
président et de son secrétaire général, il a profondément réformé et structuré sa
pratique depuis 2010. Coup de projecteur sur les points forts de cette réorganisation.
es Comités nationaux jouent un
rôle clé dans le processus de
désignation des arbitres par
ICC. Lorsque la Cour internationale
d’arbitrage doit désigner un arbitre généralement le président d’un
tribunal ou un arbitre unique - elle
doit d’abord s’adresser à ces comités
qui formulent des propositions (sauf
cas exceptionnels).
Ce système permet à la Cour de
disposer de relais efficaces dans
tous les pays où ces structures
existent et de bénéficier de leur
connaissance du terrain. Il n'est
toutefois pas à l'abri de dérives
lorsque le choix des arbitres manque
de rigueur ou est susceptible d’être
influencé. C’est pour s'assurer de la
totale impartialité du processus que
le Comité national français a mis en
place un mode de désignation innovant. Le choix des arbitres est confié
à un organe collégial, le Comité
consultatif, dont la mission est de
garantir le sérieux et l’objectivité des
choix proposés.
L
Une composition collégiale
La composition du Comité consultatif
fait la part belle aux juristes d’entreprise qui, en leur qualité d’utilisateurs de l’arbitrage, représentent la
moitié des effectifs. Elle compte
également deux hauts magistrats, ce
qui constitue un facteur de crédibilité
supplémentaire, ainsi que deux
avocats praticiens de l’arbitrage,
dont l’auteur de ces lignes qui assurera
12
la fonction de président à partir de
janvier 2016. Cette composition
collégiale permet d’assurer la
diversité des points de vue entre
professionnels issus d’horizons
différents. Les membres du Comité
doivent agir en toute indépendance
et ne peuvent donc être proposés
comme arbitre par ICC France. En
outre, si un de ses membres constate
qu’il a un lien quel qu'il soit avec
une affaire, il doit s’abstenir de
prendre part aux délibérations.
Une sélection diversifiée
Le choix des arbitres commence par
un processus de sélection préalable.
Le Comité consultatif se réunit
périodiquement pour examiner les
dossiers de candidature. Pour être
retenus, un candidat doit, en principe,
avoir déjà siégé comme arbitre
dans des arbitrages ICC. En effet, le
Comité ne propose pratiquement
que des arbitres uniques et des
présidents de tribunaux arbitraux, ce
qui exige une certaine expérience.
Cet impératif doit toutefois être
concilié avec celui de renouveler et
de rajeunir les effectifs. Il arrive
donc que le Comité accepte la
candidature de jeunes praticiens de
l’arbitrage international, ayant une
expérience significative en tant que
conseil et/ou secrétaire de tribunal
arbitral. De manière générale, il
s’efforce de diversifier ses propositions et d’éviter que celles-ci ne se
concentrent toujours sur les arbitres
les plus en vue.
Les propositions d’arbitres
Lorsque le Comité est consulté pour
proposer la nomination d’un arbitre,
il se fonde sur les indications communiquées par le Secrétariat quant
au profil de l’arbitre recherché
(connaissances juridiques, degré
d’expérience, langues…) et quant au
litige (complexité, montant en jeu…).
Chaque cas est considéré avec
attention par le Comité qui s’assure
de la disponibilité et de l'indépendance de tout arbitre pressenti.
L’exigence d’un examen approfondi
doit, toutefois, se combiner avec
celle de la réactivité car les décisions sont prises en quelques jours.
Les délibérations du Comité sont
soumises à une stricte confidentialité et ses membres doivent s’abstenir
d e d é v o i le r le s i n fo r m a t i o n s
communiquées par le Secrétariat de
la Cour sur les dossiers qui lui sont
soumis.
Vers un guide des bonnes pratiques ?
L’expérience d’ICC France a inspiré
la rédaction d’un guide des bonnes
pratiques destiné à clarifier les
relations entre le Secrétariat de la
Cour et les Comités nationaux. Ce
guide, qui n’existe encore qu’à l’état
de projet, pourrait être prochainement adopté par la Cour et proposé
aux Comités nationaux afin de
définir des objectifs
communs. Il contribuerait ainsi à
améliorer le processus
de désignation des
arbitres d'ICC.
DOSSIER
DOSSIER
Les grandes mutations
à l’œuvre dans l’économie
mondiale
A
u tournant de l'année 2016, il nous a paru très fécond de demander à de grands spécialistes et experts de
différentes nationalités et de tous horizons d'aider nos lecteurs à réfléchir sur l'évolution de l'économie
mondiale.
Après une année 2015 riche en événements (ralentissement chinois, baisse des prix des matières premières,
diminution des échanges internationaux...), des changements structurels sont en effet à l’œuvre un peu partout
dans le monde et annoncent un nouveau régime de croissance pour les décennies à venir.
La Chambre de commerce internationale est particulièrement attentive à ces mutations afin de jouer le rôle
central qui est le sien dans la facilitation du commerce international et d'aider ses adhérents à s'adapter aux
évolutions fondamentales à travers les différentes missions qui lui sont confiées.
Les analyses des experts de notre dossier éclairent les défis des prochaines décennies, notamment les enjeux
des prochaines négociations internationales, à travers une série d'interviews et de contributions consacrées aux
évolutions et ruptures qui se dessinent dans l'économie-monde : depuis le ralentissement annoncé de la
croissance mondiale et des échanges internationaux, jusqu'à la révolution digitale, en passant par le
rééquilibrage entre pays développés et pays émergents, sans oublier les conséquences macro-économiques du
changement climatique, au cœur de la COP 21 qui vient de se tenir à Paris.
« Il n'y aura pas de nouveau cycle de croissance tant que nous n'aurons pas débarrassé
l'économie des entreprises non compétitives »,
Interview de Hans-Werner SINN
« Nous allons vers un modèle où les différentes régions du monde seront moins interdépendantes »,
Interview de Patrick ARTUS
Réchauffement, qu'attendons-nous pour agir ?
Jacques LESOURNE
Echanges internationaux : un nouveau monde placé sous le signe de la précaution,
Compte-rendu d'une intervention de Pascal LAMY
Le numérique révolutionne les business models et les modes de vie,
Compte-rendu d'une intervention de Maurice LEVY
« Les entreprises doivent penser et agir avec frugalité, c'est-à-dire créer davantage de valeur
en consommant moins de ressources »,
Interview de Navi RADJOU
Afrique : des besoins énormes et des ressources encore insuffisamment exploitées,
Albert YUMA-MULIMBI
François GEORGES,
Délégué général, ICC France
13
DOSSIER : LES GRANDES MUTATIONS À L’ŒUVRE DANS L’ÉCONOMIE MONDIALE
« Il n'y aura pas de nouveau
cycle de croissance tant que
nous n'aurons pas débarrassé
l'économie des entreprises non
compétitives »
Hans-Werner SINN, professeur d'économie et de finances publiques à l'Université de Munich, président de
©DR
l'IFO, l'institut de conjoncture de Munich
Président de l'IFO, l'institut de conjoncture de Munich et professeur d'économie et
de finances publiques à l'Université de Munich, il est l'un des économistes les plus
influents d'Allemagne. Il est aussi réputé pour son franc-parler, notamment sur
l'avenir de la zone euro.
changes Internationaux. L'économie mondiale pourrait-elle
connaître durablement un taux
de croissance plus modeste ?
Hans-Werner Sinn. Il semble que ce
soit effectivement une possibilité
pour le moment, dès lors que certains
grands pays émergents, tels le Brésil,
la Chine ou la Russie sont confrontés
simultanément à des difficultés, pour
des raisons diverses. En outre,
L'Europe de l'Ouest souffre également d'un désajustement des prix
relatifs associé à l'euro. La monnaie
unique a favorisé la formation d'une
bulle du crédit, laquelle laisse derrière
elle, après explosion, des économies
dont les coûts sont trop élevés et les
produits non compétitifs.
É
E.I. A quoi pourrait ressembler le
nouveau régime de croissance ?
H-W. S. Il n'y aura pas de nouveau
cycle de croissance tant que nous
n'aurons pas débarrassé les économies
des entreprises et des institutions
financières non compétitives. Pour y
parvenir, les banques centrales
doivent revenir à un régime normal
de taux d'intérêt et les États doivent
absolument en finir avec la tentation
de stimuler artificiellement la
demande en creusant les déficits,
dans la pure tradition keynésienne.
E.I. Après la crise de 2008, de nombreux
experts pensaient que les pays
14
émergents allaient tirer la croissance
mondiale. Aujourd'hui, il semble que
cela ne soit pas si simple...
H-W.S. Les économies des pays
émergents vont se redresser, mais il
ne faut pas non plus oublier que de
nouveaux pays se développent eux
aussi, à commencer par l'Afrique et le
Sud-Est Asiatique. Quant à l'économie
chinoise, plus spécifiquement, elle va
continuer de croître en dépit de la
crise actuelle, même si le rythme de
cette croissance sera sans doute plus
modeste que dans un passé récent.
E.I. Redoutez-vous les effets pervers
de la politique monétaire accommodante des banques centrales sur
l'économie réelle ?
H-W.S. Grâce à un niveau de taux
d'intérêt historiquement bas (proche
de zéro), de nombreuses banques
«zombies» ainsi que des entreprises
non rentables sont maintenues
artificiellement en vie un peu partout
dans le monde tandis que l'épargne
mondiale est orientée vers des
investissements improductifs et/ou
inefficaces. Il est grand temps que
les banques centrales reviennent à
des niveaux de taux d'intérêt plus normaux et laissent les marchés décider
où et comment investir cette épargne.
E.I. Quel avenir voyez vous à
l'Europe au sein de l'économie
globale ?
H-W.S. De mon point de vue, nous
commettons une erreur en tentant de
garder tous les pays au sein de la
zone euro. Les prix relatifs des pays
de la zone ont besoin d'être réajustés
mais la mise en œuvre de ce processus
n'est pas possible dans le cadre de la
zone euro. Je pense qu'il serait plus
efficace que tel ou tel pays sorte temporairement, dévalue puis réintègre
la zone euro plus tard sur la base
d'une nouvelle parité monétaire.
E.I. Quelle initiative économique le
tandem franco-allemand devrait-il
prendre aujourd'hui ?
H-W.S. A mes yeux, la meilleure
manière pour le tandem francoallemand de donner à l'Europe une
nouvelle impulsion serait de favoriser
le développement de l'union politique
sans aller plus loin dans la mutualisation des pertes et des dettes,
mutualisation qui s'accompagne toujours d'effets dévastateurs associés
au phénomène d'aléa moral. Nous
sommes déjà allés trop loin dans
cette forme d'union. Dans la perspective d'un monde de plus en plus
incertain, nous avons en revanche un
besoin urgent d'une véritable union
politique : il faut fusionner nos
28 armées nationales en une seule et
nous donner les moyens de parler
d'une seule voix en matière de
politique.
DOSSIER : LES GRANDES MUTATIONS À L’ŒUVRE DANS L’ÉCONOMIE MONDIALE
«Nous allons vers un modèle où
les différentes régions du monde
seront moins interdépendantes»
©DR
Patrick ARTUS, chief economist de Natixis et professeur à l'Université Paris I-Panthéon-Sorbonne
Les moteurs qui ont tiré la croissance depuis plusieurs décennies sont grippés.
Patrick Artus, chef économiste de la banque Natixis, analyse les grandes mutations
qui sont à l’œuvre dans l'économie mondiale et leurs conséquences sur les échanges
internationaux.
changes Internationaux. Le
modèle de croissance que
nous avons connu depuis plus
de vingt ans est-il à bout de souffle ?
Patrick Artus. Les trois moteurs
qui ont fait tourner la croissance
mondiale depuis plusieurs décennies sont en panne. D'abord, celui
de l'endettement. Depuis le milieu
des années 1990 (et même dès la
fin des années 1980 au Japon), la
croissance des pays de l'OCDE a
été tirée par l'endettement, ou,
plus précisément, par le cycle
endettement/hausse des prix
d'actifs. Mais la capacité à continuer à s'endetter de manière
déraisonnable touche à sa fin et les
pays de l'OCDE vont s'installer sur
un sentier de croissance de long
terme non dopé, fruit de leurs
seules capacités structurelles à
créer des richesses.
Ensuite, le moteur de croissance
associé à la segmentation de la
chaîne de valeur connaît lui aussi
des ratés. Au cours des dernières
décennies, les entreprises occidentales ont gardé dans l'OCDE les
parties sophistiquées de leur production et transféré les parties les
plus simples dans les pays émergents afin de bénéficier de coûts de
production plus faibles. Mais ce
processus bute aujourd'hui sur
l'augmentation des salaires, donc
des coûts de production, de ces
pays, hausse qui ne justifie plus les
délocalisations, compte tenu de la
nature (bas ou moyenne gamme)
de leurs productions. Bien sûr, les
situations sont variables selon les
pays, mais le modèle de croissance
E
des grands émergents -notamment la Chine ou le Brésil- est
incontestablement en crise dès
lors que leurs coûts de production
ne sont plus compétitifs pour le
type de biens produits.
Enfin, autre élément fort, l'économie
mondiale évolue vers une économie de services. Cette évolution,
qui s'accélère depuis quinze ans, a
de nombreuses conséquences, et
notamment le fait qu'une économie
où le poids de l'industrie diminue
fortement consomme beaucoup
moins de matières premières. Le
troisième moteur se grippe : la
baisse des prix des matières premières met en difficultés les pays
dont le développement leur était
étroitement lié (Algérie, Arabie
Saoudite, Irak, Russie, et, dans une
moindre mesure, Iran, Nigéria,
Émirats Arabes Unis et Angola).
E.I. A quelles conditions, peut-on
espérer voir les pays émergents
prendre à nouveau leur part dans la
croissance mondiale ?
P.A. La plupart des pays émergents
sont confrontés à un problème de
coûts de production, ou, pour être
plus précis, de rapport entre le coût
et le niveau de gamme de leurs
productions. Mais ce n'est pas tout.
De nombreux pays (on peut citer le
Brésil, la Turquie, l'Inde, l'Afrique
du Sud, etc) doivent également faire
face à une défaillance de l'offre
associée à celle d'un certain nombre
de facteurs de production essentiels tels que l'insuffisance de main
d’œuvre qualifiée, la difficulté à
s'approvisionner en énergie ou
l'absence d'infrastructures de
transport due à un sous-investissement public chronique depuis longtemps. La situation du Brésil est,
de ce point de vue, emblématique.
Pour que ces pays prennent à
nouveau leur part dans la croissance
mondiale, il est nécessaire qu'ils se
donnent les moyens de desserrer
ces goulots d'étranglement en
investissant massivement dans
l ' é d u ca t i o n , l ' é n e rg i e e t le s
infrastructures. Il est également
indispensable qu'ils montent en
gamme afin de produire des biens
plus sophistiqués susceptibles
d'être vendus à des prix permettant
d'absorber leurs coûts salariaux.
Il ne s'agit donc nullement, comme
on l'entend parfois, d'une crise
cyclique des économies émergentes
mais d'une crise de leur modèle
de croissance. Les économies
émergentes doivent prendre leur
place dans la spécialisation
productive du monde par les
avantages comparatifs et non plus
seulement par les coûts.
E.I. Quels sont les problèmes structurels auxquels sont confrontés les
pays riches ?
P.A. Les grandes économies développées sont chacune confrontées
à des problèmes spécifiques.
L'économie américaine est certes
actuellement freinée par l'appréciation du dollar, la place prise par le
secteur pétrolier et la faiblesse du
reste de l'économie mondiale, mais
elle peut compter sur sa capacité
d'innovation, de créations d'emplois,
d'investissement des entreprises.
15
DOSSIER : LES GRANDES MUTATIONS À L’ŒUVRE DANS L’ÉCONOMIE MONDIALE
Les États-Unis entrent dans leur
septième année d'expansion ! Pour
autant, la répartition des revenus
outre-Atlantique est extrêmement
inégalitaire. Peut-on espérer avoir
une croissance pérenne à long
terme en n'augmentant jamais les
revenus réels de la classe moyenne ? C'est, à mon sens, la question
qu'il faut se poser si l'on réfléchit au
modèle de croissance de l'Amérique
pour les décennies à venir.
La situation japonaise est beaucoup
plus inquiétante. Dans l'Empire du
soleil levant, la déformation du
partage des revenus tue littéralement la croissance. Aujourd'hui, le
taux d'autofinancement des entreprises est de 200 % et il continue
d'augmenter rapidement tandis
que les salaires progressent, eux,
moins vite que la productivité. Il y a
au Japon une telle déformation du
partage des revenus que les entreprises ne savent plus quoi faire de
leur argent. Elles placent leurs
profits à 0 % dans les banques qui
les prêtent à l’État, lequel creuse le
déficit public (9 points de PIB) sous
forme d'obligations pour compenser
la défaillance de la demande des
ménages ! Les banques détiennent
l'équivalent de 2,5 années de PIB
dans leurs bilans et toute remontée
des taux d'intérêt les mettrait en
danger. La banque centrale nipponne
est donc condamnée à monétiser la
dette publique. C'est un engrenage
mortifère qui peut se terminer en
crise financière.
E.I. Pour sa part, la zone euro s'enlise
dans un régime de croissance
faible et de chômage élevé. Y-a-t-il
à cela des raisons spécifiques ?
P.A. La raison fondamentale de
cette situation particulière est que
l'Union Économique et Monétaire
(UEM) n'a pas apporté aux pays de
la zone les bénéfices attendus.
D'abord, une UEM se caractérise
par la libre circulation des biens,
des capitaux et des personnes et
par l'absence de risque de change
susceptible de venir l'entraver. Dès
lors, on s'attend à observer une
croissance des échanges plus rapide entre les pays de la zone euro
qu'entre ces pays et le reste du
monde (compte tenu des croissances relatives des économies).
Or, lorsqu'on examine les chiffres,
16
on constate exactement le contraire. Les échanges augmentent
plus vite avec le reste du monde
qu'entre pays de la zone. Preuve
qu'il n'existe pas de grand marché
unique économique et commercial
dans la zone euro.
Ensuite, la seconde vertu que l'on
prête à une union monétaire, c'est
l'allocation efficace de l'épargne.
Or, si les échanges de capitaux dans
la zone ont effectivement progressé
entre 1999 et 2007, ce mouvement
a cessé à partir de 2008, date à
laquelle on commence à observer
une très forte baisse des flux de
capitaux à long terme, chaque pays
finançant lui-même ses besoins
d'investissement. La zone euro n'a
plus les caractéristique d'un grand
marché unique financier.
Cette situation a un coût en termes
de croissance (chaque pays ne peut
mener la politique monétaire et
de change qui lui conviendrait le
mieux), sans offrir d'avantages
micro-économiques. Pour en
sortir, il faut absolument terminer
le marché unique, c'est-à-dire
avancer sur l'harmonisation des
normes, des règlements financiers,
de la fiscalité, de l'ouverture des
marchés publics, d'un système de
retraite intégré, etc. Il faut aussi
réactiver la circulation des capitaux
en zone euro.
E.I. Quelles sont les caractéristiques
du nouveau modèle de croissance
qui se dessine sous nos yeux ?
P.A. il faut d'abord resituer notre
réflexion dans une tendance qui se
dessine depuis des années, voire
des décennies, celle du ralentissement structurel de la productivité,
un ralentissement que l'on constate, à des degrés divers, à peu près
partout dans le monde. Cette
anémie du progrès technique
trouve ses racines dans différents
facteurs : perte d'efficacité de la
R&D, amaigrissement de l'industrie
où la productivité est plus élevée
qu'ailleurs, insuffisant niveau de
qualification de la population active,
augmentation de l'intensité capitalistique, doutes sur l'impact des
nouvelles technologies sur la
croissance...
Ensuite, l'autre caractéristique
fondamentale du nouveau régime de
croissance est que nous allons vers
un modèle où les différentes régions
du monde seront moins interdépendantes que par le passé. Pour trois
raisons. D'abord, la dé-segmentat i o n d e s c h a î n e s d e v a le u r.
Aujourd'hui, les entreprises ne veulent plus couper leurs chaînes de
valeur en rondelles, les écarts de
coûts ne le justifient plus. On assiste
à un regroupement des productions
sur un nombre de sites plus limité
ce qui réduit les échanges. Ensuite,
on constate que la préférence
nationale s'impose de plus en plus :
si on veut vendre des avions aux
Chinois, il faut les fabriquer sur
place et non plus les exporter
depuis Toulouse ou Seattle. Enfin,
l'avènement d'une économie de
services réduit les échanges,
d'autant qu'elle est moins consommatrice de matières premières.
E.I. Quel sera l'impact sur le commerce mondial ?
P.A. Jusqu'au début des années
2000, l'élasticité du commerce
mondial au PIB mondial était de
2 (quand le PIB mondial augmentait
de 1 %, le commerce mondial
augmentait de 2 %). Elle est tombée
à 0,5 ! Dans l'avenir, le commerce
mondial devrait augmenter moins
vite que le PIB et les pays dont la
demande intérieure était faible et
dont la croissance était tirée par les
échanges vont souffrir. C'est le cas,
par exemple, de la Corée du Sud
ou de Taïwan, et même, potentiellement, de l'Allemagne ou du Japon.
Le modèle du pays dont la demande
intérieure est faible mais qui, grâce
à des produits très compétitifs,
exporte dans le reste du monde est
fragilisé. En revanche, les pays qui
bénéficient d'une demande intérieure solide -les pays d'Europe centrale,
les États-Unis...- seront favorisés.
Parallèlement, Le commerce
international va changer de nature
et prendra moins la forme d'imports/exports. D'autant que les
firmes sont en train d'intégrer dans
leurs comptes une véritable tarification du CO2 ce qui conforte l'idée que
l'on ne pourra pas continuer à
transporter des biens lourds, comme
des voitures par exemple. Les
entreprises vont produire de plus en
plus près des consommateurs.
Propos recueillis
par Marie-Paule Virard
DOSSIER : LES GRANDES MUTATIONS À L’ŒUVRE DANS L’ÉCONOMIE MONDIALE
Réchauffement :
qu'attendons-nous pour agir ?
Jacques LESOURNE, économiste, président du Comité de direction de FutuRIS
Lanceur d'alerte dès 2006 avec son rapport sur l'économie du changement climatique, Nicholas Stern,
l'économiste du climat mondialement reconnu, récidive avec un nouvel ouvrage où il pointe l'urgence
d'agir et propose des solutions. Jacques Lesourne, économiste, président du Comité de direction de
FutuRIS, en fait ici un compte-rendu éclairé.
ncien vice-président de la
Banque mondiale, conseiller du
Premier ministre du RoyaumeUni Tony Blair, Nicholas Stern -qui
siège désormais à la Chambre des
Lords- est aujourd’hui l’économiste
le plus reconnu à l’échelle mondiale
en matière d’évolution du climat. Son
rapport de 2006 au gouvernement
britannique sur l’Économie du changement climatique avait contribué à
élargir la prise de conscience de
l’ampleur du problème et des
moyens à mettre en œuvre pour y
faire face. Aussi, doit-on attacher la
plus grande importance au livre qu’il
vient de publier en 2015 « Why are we
waiting ? The logic, urgency and promise of tackling climate change ».
Ce livre peut être abordé d’un triple
point de vue : l’approche méthodologique, la discussion des politiques,
Une approche aussi rationnelle que
possible.
Même si Nicholas Stern prend parti
dans les débats, il ne part pas
de grandes exhortations morales
comme le font beaucoup d’écologistes
politiques, mais s’appuie sur une
approche méthodologique aussi
rationnelle que possible.
Il commence par séparer le monde
en trois groupes de pays à revenus
par tête faibles, moyens ou élevés.
Sur la base des chiffres de 2010 à
2012, les premiers sont au nombre
de 36, réunissent 900 millions de
personnes, représentent 1% du
produit intérieur brut mondial et sont
©DR
A
l’évaluation prospective des résultats. Il incite aussi à une réflexion sur
les raisons qui rendent si difficiles les
accords mondiaux dans ce domaine.
>
Lord Stern, 69 ans, a été vice-président de la Banque mondiale de 2000 à 2003. Titulaire de la chaire d’Économie
et des Affaires publiques à la London School of Economics et président du Grantham Research Institute on
Climate Change and the Environment, il est surtout connu pour son rapport précurseur sur l’économie du
changement climatique paru en 2006. Publié en mai 2015, son dernier ouvrage est un nouveau cri d'alarme sur
l'urgence d'agir (MIT Press).
responsables de 2% des émissions
de gaz à effet de serre (GES). Les
seconds, parmi lesquels figurent
Brésil, Mexique, Chine, Nigeria, Inde,
Pakistan, sont au nombre de 103 et
comptent 4,9 milliards d’individus. Ils
sont à l’origine de 31 % du PIB mondial
et émettent 55 % de gaz à effet de
serre. Enfin, les pays à haut revenu,
au nombre de 74, avec les États-Unis,
le Japon, la Corée du Sud, la Russie
et les principaux pays européens
représentent 1,5 milliard d’individus,
68 % du revenu mondial et 43 % des
émissions de gaz à effet de serre. Si
l’on complète ces chiffres par les
taux de croissance très différents des
trois groupes, on comprend d’emblée
les énormes écarts qu’engendre le
changement climatique d’un groupe
de pays à l’autre, et même entre les
pays dans chaque groupe.
En second lieu, lorsque il aborde
l’évaluation des politiques, Nicholas
Stern s’efforce toujours de raisonner
en termes de coûts et avantages,
c’est-à-dire de calcul économique
généralisé tenant compte des externalités et de la répartition dans le
temps. Procéder ainsi a le mérite
d’obliger à chiffrer en donnant ses
sources ou en justifiant ses estimations. La transparence qui en résulte
permet le débat et aide à distinguer
les politiques qui permettent de
réduire les émissions de GES à un
coût raisonnable et celles qui sont
si onéreuses qu’il vaudrait mieux
économiser les dépenses correspondantes et les reporter sur d’autres
actions favorisant les réductions
d’émissions plus importantes.
Enfin, Nicholas Stern a recours à des
modèles pour évaluer les effets en
termes de croissance économique
des dépenses consacrées à la réduction des émissions de GES. Cette
17
DOSSIER : LES GRANDES MUTATIONS À L’ŒUVRE DANS L’ÉCONOMIE MONDIALE
approche que je ne peux qu’approuver,
puisque je l’ai défendue pendant
toute ma carrière, n’a qu’un seul
défaut, celui d’être peu lisible, car la
valeur des résultats dépend des
hypothèses faites sur l’effet des
transformations des prix relatifs. Or,
il est des modèles mondiaux qui minimisent certains phénomènes ou au
contraire surestiment leur influence.
Dès lors, l’observateur extérieur,
contraint de prendre le modèle
comme une boîte noire, est contraint
d’adhérer aux résultats, moins par
conviction que par confiance. De ce
point de vue, les travaux de Nicholas
Stern méritent d’être considérés avec
un préjugé favorable.
1 % de PIB mondial par an pour limiter
la concentration des GES.
Quant à la discussion des politiques,
Nicholas Stern la mène en se
concentrant sur trois espaces : les
villes, l’usage des terres, l’énergie. Il
les aborde ensuite de trois points de
vue : l’efficacité des ressources, les
investissements ou infrastructures et
l’innovation, d’où, si l’on croise avec
les types de pays, une grille de lecture
à neuf entrées, certes réaliste mais
qui fractionne le message. En effet,
qu’ont de commun les problèmes
des villes européennes qui
s’accroissent faiblement et consomment désormais peu d’espace et
les villes africaines qui explosent et
s’étalent sur des superficies mal
contrôlées ?
L’avantage du choix de Nicholas
Stern est qu’il ne s’adresse à aucun
pays ou grande région géographique, prudence qu’il a héritée de sa
carrière internationale, mais qui nuit
peut être à la perception du message
par beaucoup de lecteurs.
Pour les résultats chiffrés qui
résultent des modèles, je ne peux
faire mieux que de citer Olivier
Godard dans la critique du livre qu’il
vient de publier dans Futuribles :
«Un précédent rapport de Nicholas
Stern montrait que les dommages
climatiques à venir pourraient avoir
une incidence sur le bien-être collectif
de l’ordre de celle des deux guerres
mondiales du XXème siècle. De façon
synthétique, les bouleversements en
chaîne anticipés pourraient entraîner
l’équivalent d’une perte annuelle
pour l’éternité de 10 à 20 % du PIB
mondial. Par contre, pour un coût
médian annuel se situant autour de
1 % du PIB, il serait possible à l’humanité de limiter la concentration
atmosphérique des GES entre 500 et
550 ppm (1) -nous en sommes actuellement à 470 ppm et chaque année
en ajoute 2 ou 3. Il serait donc avantageux et économiquement rationnel
d’engager de façon immédiate des
politiques vigoureuses de transformation des systèmes énergétiques
vers la sobriété et l’efficacité énergétique et les solutions bas carbone »(2).
Marier croissance et économie bas
carbone.
L’analyse de Nicholas Stern devrait
déboucher alors sur la question
essentielle : pourquoi est-il si difficile
de faire progresser les négociations
internationales sur le changement
climatique ?
Les résistances aux politiques climatiques ont plusieurs origines : 1) au
sein de chaque pays, les résistances
des groupes d’individus et de firmes
impliqués dans des secteurs émetteurs
de GES 2) la lutte pour la redistribution des revenus entre les pays à
l’échelle internationale, cette lutte
Réduire les émissions de GES de 40 % à 70 % en 2050.
Les émissions de gaz à effet de serre (GES) couverts par le protocole
de Kyoto ont augmenté de 80 % depuis 1970 et de 30 % depuis 1990
pour atteindre 50 Giga tonnes équivalent CO2 en 2014 avec, en tête de la production de GES, l'énergie (35 %), l'agriculture et le transport (14 % chacun)
et la déforestation (10 %).
Au rythme actuel des émissions mondiales (+2,2 % par an sur 2000-2010), la
hausse des températures devrait être comprise entre +3,7 % et +4,8 % d'ici
à 2100. Pour respecter l'objectif de +2 %, il faut réduire les émissions de GES
de 40 % à 70 % en 2050 par rapport au niveau atteint en 2010 et revenir à des
niveaux proches de zéro en 2100.
[1] Nombre de molécules du gaz à effet de serre considéré par million de molécules d’air.
[2] O. Godard, Futuribles, n° 410, (à paraître en janvier/février 2016)
18
>
« Why are we waiting ? The logic, urgency and
promise of tackling climate change ».
qui prolonge les tensions à l’intérieur
des pays développés 3) les discours
extrêmes de certains milieux politiques qui transforment un problème
concret dont la solution implique
compromis et persévérance en une
guerre idéologique sur les relations
entre l’homme et la nature.
Mais, plutôt que d’aborder la question
de la difficulté à faire progresser les
négociations internationales de front,
l'auteur qui a l’expérience des dix
dernières années de négociations,
insiste sur la nécessité de la poursuite simultanée de la croissance et
de l’évolution vers une économie
bas-carbone, grâce à des politiques
nationales limitant les subventions
aux énergies émetteurs de GES,
facilitant l’innovation dans la gestion
des villes, l’utilisation des sols et
la décarbonisation des systèmes
énergétiques. S’il soutient la coopération internationale, une aide financière à l’investissement pour lutter
contre le changement climatique, il
se méfie des accords internationaux
trop contraignants qui ne sont pas
appliqués ou des principes généraux
comme celui d’attribution à tout
humain d’un stock personnel de GES.
Il n’évoque pas non plus l’instauration, pour le moment hors de portée,
d’un prix mondial à la tonne de carbone émise. Sur la longue marche qui
nous attend, la COP 21 préparée avec
soin par la France représentera sans
doute un progrès.
DOSSIER : LES GRANDES MUTATIONS À L’ŒUVRE DANS L’ÉCONOMIE MONDIALE
Commerce mondial :
un nouveau monde placé sous
le signe de la précaution
Directeur général de l'OMC de septembre 2005 à août 2013, Pascal Lamy analyse les grandes mutations
qui sont en train de bouleverser la nature des échanges internationaux(1) et éclaire les enjeux d'un
nouveau rôle pour l'OMC.
ous traversons actuellement
une période de transition. Un
ancien monde s'éloigne,
caractérisé par des systèmes de production nationaux où les principaux
obstacles aux échanges avaient pour
objectif de protéger les producteurs
domestiques de la concurrence
internationale. Un nouveau monde se
dessine où la production de biens et
services est transnationale et où les
obstacles aux échanges sont conçus
pour protéger le consommateur
contre les risques. Formulé autrement, nous vivons le passage d'une
gestion de la protection (quotas,
tarifs, subventions) à une gestion de
la précaution (sécurité, santé, environnement). Une nouvelle version
du vieux distinguo entre mesures
tarifaires et mesures non-tarifaires.
Un monde où la question de l'ouverture des échanges se posera tout à
fait différemment.
« Dans ce nouveau monde, a souligné
Pascal Lamy lors de son intervention
à l'European Centre for International
Political Economy de Bruxelles, l'ouverture des échanges aura toujours
pour objet de favoriser la croissance
et le bien-être, à condition toutefois
que nous veillions collectivement à
ce que la justice sociale aille de pair
avec la création de richesses. Par
ailleurs, la réduction des obstacles
aux échanges passera toujours par la
nécessité d'égaliser les conditions
de la concurrence, et de le faire de
manière prévisible ».
En revanche, ce qui change fondamentalement, c'est la manière
d'obtenir l'uniformisation des conditions de la concurrence. « Dès lors
que l'on raisonnait en termes de
protection, souligne Pascal Lamy,
l'horizon mental de tout négociateur
se résumait à un chiffre : zéro. En
N
matière de précaution, les règles du
jeu sont très différentes. Ce qui est
évident lorsqu'on parle tarifs est
inimaginable avec les normes et
autres certificats de conformité.
Impossible de gérer les mesures non
tarifaires comme les mesures tarifaires. Ce qui importe dans la précaution n'est pas d'en finir avec une
mesure, de la «tuer» en quelque
sorte, mais de parvenir à réduire les
écarts entre les différentes mesures,
entre les systèmes de précaution».
Un processus que nous avons déjà
expérimenté en Europe à partir de
1985 avec le passage du marché
commun au marché unique.
Cette transformation va de pair avec
une nouvelle équation d'économie
politique. Dans l'ancien monde, tout
négociateur avait les consommateurs de son côté, mais les producteurs contre lui, vent debout contre
l'accroissement de la concurrence
sur leur marché domestique. Dans le
nouveau, le jeu se joue à front renversé. Le producteur aspire à pouvoir
travailler avec la seule et unique
norme qui lui permettra de réaliser
des économies d'échelle. Les associations de consommateur, en revanche, montent au front pour lutter,
chaque fois que nécessaire, contre ce
qu'elles considérent comme une
diminution des standards. «Et sur le
plan du rapport de forces, ajoute
encore l'ancien directeur général de
l'OMC, cela change tout. Lorsque la
négociation portait sur l'échange
d'une mesure tarifaire sur les
bicyclettes contre une autre mesure
tarifaire sur la ferraille, celle-ci était
peu «chargée» politiquement. En
revanche, dès lors que l'on entre
dans l'univers de la précaution,
notamment si l'on parle de bien-être
animal, de la protection des données
>
Pascal Lamy a été le directeur de cabinet et le
sherpa de Jacques Delors à la présidence de la
Commission européenne de 1985 à 1994. Après un
passage à la direction générale du Crédit lyonnais,
il est retourné à Bruxelles en 1999 en tant que
commissaire européen au Commerce sous la
présidence de Romano Prodi avant d'occuper le
poste de directeur général de l'OMC de septembre
2005 à août 2013. Manuel Valls lui a confié la mission
d'organiser la candidature de la France à l'Exposition
universelle de 2025.
personnelles ou des OGM, il en va
tout autrement, car chaque risque
fait référence à des valeurs, une
culture, une histoire, une religion...»
Dans ce nouveau monde, les acteurs
aussi sont différents. Alors qu'hier
les négociations sur les tarifs ou les
subventions étaient du ressort des
gouvernements, les groupes privés
donnent le «la» dès lors que le niveau
de précaution devient un élément
déterminant de l'arsenal concurrentiel. «Toutes ces différences, qui sont
plus que des nuances, ont et auront
des conséquences majeures sur la
philosophie du système d'échanges
international, prédit Pascal Lamy,
qu'il s'agisse des notions de préférences ou de réciprocité. Plus question désormais de trade-off, comme
avec les vélos et la ferraille ou entre
mes normes sur les briquets et les
vôtres sur les jouets. La précaution
19
DOSSIER : LES GRANDES MUTATIONS À L’ŒUVRE DANS L’ÉCONOMIE MONDIALE
n'est pas une affaire de troc mais
d'harmonisation».
Et si la nature des obstacles aux
échanges est différente, les priorités
que doivent se donner les
négociateurs doivent l'être aussi.
«Supposons, précise Pascal Lamy,
que je sois un exportateur désireux de
s'implanter sur le marché mondial...
Les coûts moyens auxquels je dois
faire face se résument à trois chiffres :
5 % (le tarif commercial moyen pondéré dans le monde), 10 % (le coût
de la gestion des flux aux frontières)
et 20 % (le coût des écarts de réglementations entre les différents
marchés). Ainsi, au cours d'un voyage
à Minneapolis, j'ai constaté qu'un
producteur d'appareils médicaux à
5 000 dollars pièce était confronté à
une quarantaine de réglementations
différentes sur la planète ! S'il existait
un standard mondial, ses appareils
seraient 30 % moins chers. Or,
actuellement, les négociateurs
consacrent 80 % de leur temps à ce
qui ne représente pas plus de 5 % des
coûts auxquels l'exportateur doit faire
face (le tarif commercial moyen pondéré dans le monde) et seulement
10 % aux 20 % qui représentent le
coût des écarts de réglementation, ce
qui est beaucoup plus important,
notamment pour les PME et les
empêche souvent d'entrer dans le jeu
des échanges». D'où l'urgence de
revoir nos priorités.
Dans le nouveau monde, l'ouverture
des échanges aura également des
conséquences sur la nature du mandat des institutions internationales,
et en particulier de l'OMC. Hier, la
démarche des négociateurs était
placée sous le signe du «moins».
Demain, c'est le «plus» qui fera le jeu.
Avec, en avant-garde, les pays
développés où PIB/tête et niveau de
protection sont intimement liés. D'où,
a souligné l'ancien directeur général
de l'OMC, l'enjeu de la négociation du
TTIP, non seulement pour les EtatsUnis et l'Europe, mais aussi pour la
planète toute entière car l'accord
servira de benchmark dans de
nombreux secteurs des biens et
services.
La mission de l'OMC n'en reste pas
moins essentielle, conclut Pascal
Lamy. «L'organisation va continuer à
administrer la zone grise entre
protection et précaution. Elle devra
aussi veiller à ce que le processus
d'harmonisation progressive suive
son cours entre les principaux paysmembres. Enfin, elle aura pour tâche
de mener à bien l'ajustement de
l'outil technique aux nouvelles
exigences de la précaution».
Compte-rendu rédigé
par Marie-Paule Virard
[1] Il s'agit ici du résumé d'une intervention de Pascal Lamy à l'European Centre for International Political Economy (Bruxelles), le 9 mars 2015.
20
DOSSIER : LES GRANDES MUTATIONS À L’ŒUVRE DANS L’ÉCONOMIE MONDIALE
Le numérique révolutionne les
Business Models et les modes
de vie
Lors de l'assemblée générale annuelle d'ICC France, Maurice Lévy, président du directoire de Publicis,
a éclairé les mutations et les opportunités promises par l'économie digitale. Voici un résumé de son
intervention.
L
>
Publicis : plus de 50 % du chiffre d'affaires viennent du numérique.
En rachetant au début de 2015 l'américain Sapient, spécialisé dans
le marketing, la communication numérique, le commerce multicanal et le consulting, Publicis a fait un mouvement stratégique
déterminant pour construire son avenir. Grâce à cette acquisition,
le Français passe la barre symbolique de 50 % du chiffre d'affaires
générés par les activités numériques.
c'est l'irruption de modèles globaux.
Google, Facebook, Youtube, Yahoo,
Twitter se sont installés dans tous les
foyers de la planète et sont imités un
peu partout : qu'il s'agisse d'Alibaba,
de Tencent ou de WeChat en Chine,
de Yandex en Russie, ces firmes ont
eu l'intelligence de copier les modèles américains, de les transformer,
de les enrichir et de les adapter à la
culture locale. Toutes ces entreprises
conquièrent des parts de marché
considérables, atteignent des valorisations boursières astronomiques
(Google pèse 360 milliards de
dollars, Facebook 200 milliards) et
disposent de capacités d'investissement inconnues jusque là.
Le président de Publicis a souligné
également que « Le monde digital
présente une autre caractéristique :
avec ces nouvelles entreprises, on
navigue dans ce que les Américains
appellent le blur (le flou). Les frontières sont mouvantes. Et, surtout, elles
ont tendance à s'effacer. Certes,
Amazon fait du commerce électronique, c'est la part la plus importante de son chiffre d'affaires, mais c'est
ailleurs, dans des activités moins
connues du grand public, comme la
vente de services aux entreprises et
le cloud computing, que la firme
gagne de l'argent. Google règne
évidemment sur le search et a racheté
You Tube au bon moment, mais c'est
aussi -on le sait moins- le premier
média mondial avec 50 milliards de
dollars de revenus publicitaires,
davantage que Time Warner !»
D'une manière générale, les nouvelles
technologies viennent en appui
de ceux, en général de nouveaux
entrants, qui veulent casser les
règles, les codes, et transformer une
activité jusque là banale en machine
à cash. Maurice Lévy fut un des
premiers à parler d'«ubérisation» du
monde, à partir
du mot Uber, du
nom de la société californienne
de VTC qui a mis
les chauffeurs
de taxi de la planète au bord de
la crise de nerf,
pour qualifier
cette révolution
naissante. La
numérisation est
en effet en passe
Maurice Lévy, président
de bouleverser
du directoire de Publicis
l'économie et...
le monde.
Aujourd'hui, grâce à l'imprimante 3D,
il est possible de construire en Chine
une maison à 1 500 euros en moins
d'une semaine. Non seulement cette
innovation révolutionne le métier du
bâtiment, mais cela signifie que le
Chinois moyen peut payer sa maison
avec moins d'un an d'économies sur
son salaire et devenir propriétaire.
Notre monde se transforme sous nos
yeux, et s'il est encore trop tôt pour
mesurer toutes les conséquences de
cette révolution, nous savons déjà
qu'elles sont innombrables. C'est
d'abord une révolution pour l'emploi.
Qu'il s'agisse de la nature de tel ou
tel métier ou de la manière dont on
l'exercera demain. «Déjà, a commenté
Maurice Lévy, certains collaborateurs de Publicis ne viennent pratiquement plus jamais au bureau.
Cette nouvelle génération conçoit le
travail autrement, mais sans compter
ses heures. Et il y a aura de plus en
plus d'entrepreneurs individuels. Il
nous faut imaginer d'autres Business
Models, d'autres modes de vie. C'est
le moment d'avoir confiance dans le
génie humain !».
Compte-rendu rédigé
par Marie-Paule Virard
©DR
e numérique révolutionne la vie
de chacun d'entre nous. On
compte aujourd'hui entre dix et
douze milliards d'appareils connectés
dans le monde et lorsque l'internet
des objets donnera sa pleine mesure,
on arrivera rapidement à trente
milliards. De l'automobile sans pilote
au taux du cholestérol transmis
directement, via une lentille oculaire,
sur le smartphone, le champ semble
infini. Et pas seulement dans les pays
les plus avancés. «Je suis frappé
de voir combien le numérique bouleverse la donne en Afrique, où il existe
déjà -souvent grâce au mobile toutes sortes d'opérations qui ne
nous sont pas encore familières» a
commenté Maurice Lévy lors de son
intervention.
Il a également souligné à quel point
«Le numérique révolutionne les
Business Models. Ceux sur lesquels
nous avons fonctionné dans le passé
sont révolus. Quel que soit le secteur
d'activité, il s'agit désormais d'en
inventer de nouveaux, en rupture
avec les précédents». Et ce qui frappe
évidemment dans cette évolution,
21
DOSSIER : LES GRANDES MUTATIONS À L’ŒUVRE DANS L’ÉCONOMIE MONDIALE
« Les entreprises doivent penser
et agir avec frugalité, c'est-à-dire
créer davantage de valeur en
consommant moins de ressources»
Navi RADJOU, Conseiller en Innovation & Leadership, co-auteur de « L'Innovation frugale, comment faire
©DR
mieux avec moins » (1)
Théoricien de l'économie « frugale », Navi Radjou, un quadragénaire franco-indien
installé dans la Silicon Valley, prône une nouvelle approche de l'innovation (comment
faire mieux avec moins) et dessine, in fine, les contours d'un capitalisme du 21ème
siècle fondé sur le partage et l'agilité. Ou quand la rareté se transforme en opportunité...
changes Internationaux. Pourquoi la frugalité est-elle, selon
vous, une des clés de la
croissance au 21ème siècle ?
Navi Radjou. Depuis la Révolution
industrielle, nous avons adopté un
modèle de développement économique à la fois coûteux et gourmand
en ressources fondé sur le postulat
que celles-ci (capital, énergie, eau)
étaient illimitées. Nous avons mis en
place d'énormes systèmes industriels qui consomment toujours plus
afin de créer des produits de plus en
plus sophistiqués et de plus en plus
chers. Ce paradigme -une croissance
fondée sur le «toujours plus»- est
remis en cause par deux facteurs.
La récession économique, qui a
débuté en 2008, a rendu la classe
moyenne, notamment en Occident,
plus consciente de la valeur des
biens. Les consommateurs sont de
plus en plus nombreux à préférer
acheter des produits moins chers
voire low-cost plutôt que des produits
de marque plus chers.
Par ailleurs, ils prennent aussi
conscience de l'accroissement des
inégalités sociales et des problématiques environnementales et sont de
plus en plus nombreux à vouloir
défendre des «valeurs». Pour les
satisfaire, les entreprises doivent
apprendre à «faire mieux avec
moins» : créer et proposer des produits et services qui tiennent compte
de quatre caractéristiques plébiscitées
par les «consommateurs frugaux»
É
22
du monde entier : abordabilité,
simplicité, qualité et durabilité. Au
21ème siècle, les entreprises doivent
penser et agir en «entreprises frugales», c'est-à-dire être capables de
créer davantage de valeur économique et sociale en consommant
moins de ressources.
E.I. A quelles conditions, cette
conception peut-elle être davantage
qu'une manière chatoyante d'accepter
l'inévitable (la rareté) ?
N.R. Si la nécessité est la mère de
toutes les inventions, alors la rareté
en est le père ! Le premier principe
du jugaad est de «se servir de ce qui
est abondant pour produire ce qui est
rare». Dans les pays émergents où
les ressources sont contraintes, les
innovateurs frugaux transcendent
cette rareté afin de créer davantage
de valeur à moindres coûts. Au
Pérou, par exemple, un pays où le
taux d'humidité atteint 95 % et qui ne
reçoit que 25 mm de précipitations
par an, une équipe d'ingénieurs de
Lima a imaginé un panneau publicitaire géant qui absorbe l'humidité de
l'air, la condense, la purifie pour produire plus de 90 litres d'eau potable
par jour ! De la même manière, les
Africains utilisent la densité de l'interconnectivité du réseau mobile (80 %
d'entre eux possèdent un mobile)
pour surmonter la pénurie de services bancaires ou énergétiques, avec
des solutions comme M-PESA
(transfert d'argent par téléphone
mobile) et M-KOPA (système d'éclairage solaire payé au jour le jour).
E.I. Nous avons tendance à voir les
pays occidentaux comme les centres
d'innovations et les pays émergents
comme les grands marchés et/ou
les ateliers du monde. Sommes
nous en train de basculer dans un
tout autre modèle de croissance ?
N.R. La Silicon Valley n'a plus le
monopole de l'innovation. Désormais,
celle-ci est diffuse et «polycentrique» : une multitude de pôles se
développent partout dans le monde,
dont beaucoup dans l'hémisphère
sud. Nous devons prendre conscience
que nous sommes entrés dans l'«âge
de la convergence» où nous aurons
à résoudre ce que j'appelle des
«problèmes sans frontières» : les
questions liées à l'eau, l'énergie, la
santé, l'éducation, sont désormais
des problèmes globaux qui concernent plusieurs milliards d'individus,
que ce soit dans les pays développés
ou en développement.
Les entreprises commencent à tisser
des réseaux d'innovation globale qui
ont vocation à combiner les talents,
le capital et les idées afin de co-créer
des solutions frugales dans le
domaine de l'énergie ou de la santé
au profit de l'humanité toute entière.
Ainsi, Saint Gobain a installé en Inde
son centre de R&D global sur les
«solutions durables pour les régions
tropicales», régions qui comptent
aujourd'hui quelque 3 milliards
©DR
DOSSIER : LES GRANDES MUTATIONS À L’ŒUVRE DANS L’ÉCONOMIE MONDIALE
>
Conseiller en innovation, Navi Radjou veut
promouvoir l'innovation « Jugaad », la recette
indienne de l'ingéniosité.
d'habitants. De la même manière,
c'est en Chine que Siemens a localisé
son «hub» R&D mondial consacré
aux équipements médicaux low-cost.
E.I. Pouvez-vous donner d'autres
exemples d'innovations «frugales»
d'ores et déjà opérationnelles ?
N.R. Renault vient juste de lancer la
Kwid sur le marché indien. Il s'agit
d'une voiture à 4 000 dollars conçue,
développée et produite à 95 % en
Inde. General Electric a créé une
nouvelle business unit baptisée
«Solutions durables pour la santé»
dont la vocation est de créer des
équipements médicaux à faible coût
destinés aux marchés à faibles revenus
en collaborant notamment avec les
ONG. Mais cette démarche n'est pas
réservée aux grands groupes. Mon
voisin dans la Silicon Valley a créé
une start-up baptisée gThrive pour
fabriquer des capteurs sans fil qui
ressemblent à des règles en plastique que les agriculteurs peuvent
utiliser pour collecter des données
sur la nature des sols, la température
de l'air, le soleil, etc. Ils peuvent ainsi
optimiser leur consommation d'eau
et d'engrais, tout en augmentant
la qualité des récoltes et leur rendement. Cette solution, rentable en
moins d'un an, représente une
aubaine pour la Californie, cinquième
producteur de denrées alimentaires
dans le monde également confrontée
à une grave pénurie d'eau.
E.I. Quels sont encore les principaux
obstacles à lever pour que l'économie frugale devienne un véritable
levier de développement ?
N.R. L'économie frugale est un
système économique dans lequel
l'offre et la demande se rencontrent
plus vite, mieux, de manière moins
coûteuse et plus durable que dans un
système traditionnel. Un système où
la créativité individuelle est reine
(«small is beautiful») et où les efforts
portent sur les économies de gammes afin de proposer des solutions
personnalisées et durables grâce à
de mini-unités de production (les
fablabs) capables de fabriquer une
multitude de produits personnalisés
pour une multitude de micro-marchés
tout en consommant peu de
ressources.
Pour réussir dans l'économie frugale, nos grandes entreprises doivent
redimensionner à la baisse leurs
chaînes de valeur en investissant
dans des unités de production
«agiles», capables de percevoir les
besoins des consommateurs et d'y
répondre rapidement. Ainsi, Novartis
est en train d'investir dans une
micro-usine de la taille d'un
conteneur capable de produire des
médicaments dix fois plus vite et dix
fois moins chers et de réduire ses
émissions de carbone de 90 % par
rapport à un mode de production
traditionnel. De même, Leroy Merlin
s'est associé à TechShop, une plateforme do-it-yourself, pour ouvrir, en
région parisienne, un atelier collaboratif où les consommateurs peuvent
venir créer leurs propres produits en
ayant accès à des outils et machines
jusque là réservés aux professionnels. La devise du 20ème siècle était
«je consomme, donc je suis», celle
du 21ème sera «je crée, donc je suis».
E.I. Quelles sont les caractéristiques de ce nouveau capitalisme ?
N.R. C'est ce que j'appelle «le capitalisme frugal» ou «capitalisme décarboné». Dans mon esprit, c'est un
capitalisme à valeurs humaines
fortes. Un système capitaliste populaire, géré par les individus, pour eux
et avec eux. Dans ce système, le coût
de l'innovation et de l'échange est
proche de zéro. C'est possible dans la
mesure où ce capitalisme frugal
repose sur deux piliers : le partage et
le «faire». L'économie du partage
permet aux citoyens d'échanger des
biens et services sur un mode «peer
to peer» en contournant les intermédiaires. Elle devrait représenter un
marché de quelque 335 milliards de
dollars à l'horizon 2025. De même, le
«Maker Movement» (avec les fablabs
et l'imprimante 3D) réduit les barrières
à l'entrée pour le développement
de nouveaux produits et permet à
chacun de devenir un inventeur. Une
start-up comme Local Motors, par
exemple, vous permet désormais de
fabriquer une voiture personnalisée à
l'aide d'une imprimante 3D ! Ce mouvement et l'explosion de l'open source
en électronique va faire éclore une
nouvelle génération de start-ups
capables de disrupter des secteurs
traditionnels comme la santé ou
l'énergie en créant des équipements
à la fois plus efficaces et à des coûts
jusqu'à cent fois moins importants
que ceux qui existent actuellement.
E.I. Quels sont les atouts d'un pays
comme la France dans cette nouvelle
aventure collective ?
N.R. Si l'on en croit le Crédoc, près
de 15 % des consommateurs français
sont prêts à choisir spontanément la
frugalité comme style de vie et près
d'un sur deux participe déjà activement à ce que l'on appelle l'«économie du partage».
De nombreux entrepreneurs et
grands groupes mettent en place des
business models innovants pour
répondre à ces attentes. Nous avons
déjà évoqué l'aventure industrielle de
Renault, de la Logan à la Kwid. Je
citerai aussi Qarnot Computing, une
start-up qui vient de lancer un
radiateur numérique. Celui-ci est
branché sur une prise Internet et ses
résistances sont remplacées par des
microprocesseurs capables d'effectuer
des calculs. La chaleur ainsi générée
est utilisée pour chauffer gratuitement logements et bureaux. La
France est également à la pointe de
l'innovation dans le domaine de
l'économie circulaire. Citons, par
exemple, Tarkett, un leader mondial
du revêtement de sol utilisant de
nombreuses techniques de recyclage
destinées à éliminer les déchets mis
en décharge à l'horizon 2020. Enfin,
la France fait figure de championne
du «Maker Movement» avec la multiplication des fablabs et des labos
communautaires qui favorisent la
«bottom up» innovation et son appropriation par le plus grand nombre.
Propos recueillis
par Marie-Paule Virard
[1] Diateino, 2015.
23
DOSSIER : LES GRANDES MUTATIONS À L’ŒUVRE DANS L’ÉCONOMIE MONDIALE
Afrique : des besoins énormes
et des ressources encore
insuffisamment exploitées
©DR
Albert YUMA-MULIMBI, Président de la CPCCAF, président de la Fédération des Entreprises du Congo
Albert Yuma-Mulimbi, Président de la Conférence permanente des chambres
consulaires africaines et francophones et président de la Fédération des Entreprises
du Congo, met ici l'accent sur les deux priorités de la CPCCAF : le développement
des PME, facteur de «croissance inclusive», et la francophonie comme avantage
économique à traiter au sein d'un même espace linguistique.
e développement économique
africain est désormais une réalité
admise par tous. Continent de
tous les superlatifs, il reste néanmoins largement exclu du commerce
mondial : il ne contribue que pour
moins de 3 % des échanges. L'Afrique
constitue pourtant la zone de plus
forte croissance démographique au
monde, avec des projections de population de 2 milliards d’habitants au
minimum en 2050, et un sous-sol qui
recèle 30 % des réserves minérales
mondiales tandis que ses terres
arables sont les plus abondantes de
la planète, avec 50 % de la totalité. La
croissance du continent reste forte
depuis le début des années 2000, mais
elle est malheureusement trop peu
inclusive car largement portée par les
secteurs primaires peu pourvoyeurs
d’emplois et soumis de surcroît aux
retournements de conjoncture sur les
marchés des matières premières.
Tous les acteurs, gouvernements,
partenaires techniques et financiers
de l’aide au développement, corps
intermédiaires, sont pourtant
convaincus que le développement
africain passera par le renforcement
de son secteur privé, de son agriculture
largement familiale, de son industrie
embryonnaire, du secteur des services, qui constituera la force motrice
de l'évolution économique et sociale,
structurant la société, favorisant
l’émergence d’une classe moyenne,
permettant de poser les fondements
d’une gouvernance élargie et partagée.
Mais ne confondons pas les causes
et les conséquences. Il nous faut
tout d’abord répondre aux besoins
L
élémentaires de nos sociétés, en eau,
en santé, en énergie, en nourriture et
investir prioritairement dans leur
satisfaction. Il nous faut investir dans
les capacités productives, créer des
emplois, former des jeunes, créer des
richesses, assurer un environnement
des affaires propices aux flux économiques pour permettre aux acteurs
de contribuer collectivement au renforcement et au financement de nos
États et de nos structures publiques.
Deux paris : les PME et la francophonie économique
Au sein de la Conférence permanente
des chambres consulaires africaines
et francophones, qui regroupe depuis
1973 les chambres consulaires de 29
pays africains et francophones, nous
avons fait deux paris. Celui des PME et
celui de la francophonie économique.
Pourquoi les PME ? Parce qu’elles
sont les principales vectrices d’emplois dans les pays de l’OCDE comme
en Afrique. Dans nos pays, elles sont
la courroie de transmission entre la
croissance de notre continent et la
plus grande redistribution des fruits
de cette croissance. Elles consomment, sous-traitent, emploient et
investissent localement, elles ont «la
croissance inclusive» et l’inclusion est
la priorité des priorités.
Pourquoi la francophonie économique ? Parce qu’il est aujourd’hui
largement prouvé, grâce aux théories
de la gravité linguistique, qu’il y a un
avantage comparatif à traiter au sein
d’un espace commun linguistique. La
Fondation pour les études et recherches
sur le développement international
(Ferdi) l’a mis en évidence : on
commerce mieux et plus, quand on
parle la même langue. Cela peut sembler banal, mais il a fallu attendre
2013 pour que ce qui n’était qu’une
intuition soit prouvé d'un point de vue
économétrique. C’est pourquoi, nous
agissons au quotidien, avec nos partenaires comme l’Agence française de
développement (AFD)ou International
Trace Center, via nos chambres de
commerce, d’agriculture, des métiers
et de l’artisanat, qui sont les représentants de tous les ressortissants
économiques de leur territoire, en
faveur de projets qui visent à favoriser
l’entrepreneuriat, à accompagner le
développement des entreprises
existantes, à développer leurs compétences techniques et commerciales
avec des partenaires francophones et
à s’internationaliser pour celles qui le
peuvent en s’intégrant aux chaînes de
valeur mondiales.
Ces projets, nourris de la solidarité
francophone au sein d’un espace
commun, constituent in fine une forte
incitation à nouer des relations économiques entre nos différentes entreprises, objectif qui reste au cœur du projet
CPCCAF tel qu'il fut dessiné par ses
pères fondateurs, les présidents
Senghor, Boigny et Pompidou.
©DR
24
POINT DE VUE
L'Unifab a déclaré la guerre à
la contrefaçon
©DR
Delphine SARFATI-SOBREIRA, Directrice générale de l’Union des Fabricants (Unifab)
Lutter contre la contrefaçon, défendre les intérêts des consommateurs et la réputation
des entreprises et promouvoir les droits de propriété intellectuelle et industrielle... Tels
sont les objectifs principaux de l’Unifab qui s'implique activement dans cette bataille,
tant sur le plan juridique que sur celui de la communication et du lobbying institutionnel.
ujourd'hui, la contrefaçon a pris
une ampleur considérable, au
risque d'entacher la créativité
et d'étouffer l'innovation. Elle a en
outre de nombreuses répercussions
négatives, tant sur le plan économique, que sur la santé publique,
la fiscalité, l’environnement et
l’emploi... 8,8 millions d’articles de
contrefaçon ont été saisis en 2014
par les douanes françaises. Ce chiffre
en constante augmentation, traduit
une réelle prise de conscience des
instances tant françaises qu'européennes. D'autant que les contrefacteurs ne se limitent pas à un seul
secteur d’activité, c’est toute
l’industrie qui est touchée !
Cette pratique illégale, en partie
dominée par l’Asie (80% des produits
incriminés en proviennent), peut en
effet avoir des conséquences économiques et sociales inquiétantes. Les
pouvoirs publics chiffrent à 200 000 le
nombre d’emplois supprimés par an
dans le monde, dont 100 000 en
Europe et près de 40 000 en France.
A ces pertes s’ajoutent celles des
entreprises (environ 10 % de leur
chiffre d’affaires), les risques
associés à une mise en danger du
consommateur et au développement
d'une délinquance économique et
financière. Au service de ses 200
entreprises membres, issues de tous
les secteurs d'activité, l’Union des
Fabricants (Unifab), association française de lutte anti-contrefaçon, promeut et protège au niveau européen
et international, le droit fondamental
de la propriété intellectuelle et agit
par le biais de 4 missions principales.
L’Unifab s’implique activement au
niveau juridique. Elle informe,
accompagne et apporte un soutien à
ses adhérents, composés d’entreprises
et de fédérations professionnelles,
dans leur lutte anti-contrefaçon.
Cette action passe par le biais
A
26
d’informations sur l’actualité législative, l’organisation de commissions
juridiques et techniques sur des thèmes
définis, la signature de chartes ou
l’élaboration de Codes de bonne
conduite. .. . Elle dispose aussi d’un
collège composé d’experts en matière
de propriété intellectuelle en
France et à l’étranger Et a ouvert des
bureaux à Tokyo (Japon) et à Pékin
(Chine) afin d’accroître son rayonnement et son influence à l’international
pour répondre aux problématiques
posées par la contrefaçon,
L’association s'efforce également de
sensibiliser le grand public à travers
diverses actions de communication.
L’objectif est notamment d'initier une
prise de conscience des consommateurs quant à la dangerosité des
produits de contrefaçon sur la santé
ou son imbrication avec les organisations criminelles. Ainsi, l’Union des
Fabricants conçoit des campagnes de
communication grand public destinées à mettre en valeur l’authentique
et ses nombreuses vertus.
Elle est également à l’origine de la
création de l’édition française de la
Journée Mondiale Anti-contrefaçon,
d’opérations de sensibilisation
estivales du public dans le Sud de la
France ou du Forum Européen de la
Propriété Intellectuelle, qui réunit
plus de 300 participants chaque
année et se déroulera à Paris les 11
et 12 février prochains. Elle est, par
ailleurs, très active sur les réseaux
sociaux. A la fin de l’année, l’Indicam,
l’Andema et l’Unifab lanceront de
concert leur opération «AuthentiCité»
destinée à la promotion des villes
engagées dans la lutte anti-contrefaçon
par la délivrance d’un label de
propreté sous le haut parrainage de
l’Office de l’Harmonisation du Marché
Intérieur (OHMI).
L’un de nos outils de communication
privilégié reste le Musée de la
Contrefaçon : seul vrai espace qui
collectionne les faux, son caractère
unique au monde en fait un lieu
mythique et original. Rassemblées
au gré des diverses saisies en douanes,
les contrefaçons y sont présentées
aux côtés des produits originaux et
sensibilisent près de 15 000 visiteurs
par an. Depuis juin dernier, Le
musée dresse l' inventaire des nouveaux instruments d’authentification
et de traçabilité des produits développés par les entreprises pour lutter
contre ce fléau, à l'occasion d'une
exposition temporaire, «SUIVEZ LE
VRAI A LA TRACE…», mise en place
jusqu’en juillet 2016.
Si l’Unifab est impliquée dans la prise
de conscience du phénomène auprès
des entreprises et des particuliers,
sa collaboration avec les pouvoirs
publics est essentielle (formation
notamment des agents opérationnels, échanges, prises de position
communes avec l’INPI, implication au
sein du CNAC…).
Enfin, l’Unifab exerce une action de
lobbying auprès d’instances internationales et européennes, telles que la
Commission européenne, l’OHMI,
l’OMPI ou encore Interpol, afin de
protéger la propriété intellectuelle.
C’est pourquoi elle a souhaité se
rapprocher de la Chambre de
commerce internationale (ICC),
l’Organisation mondiale des entreprises, très fortement engagée au
niveau mondial pour défendre les
droits de la propriété intellectuelle et
lutter contre la contrefaçon. C’est
ainsi qu’ICC conduit depuis de nombreuses années un projet spécial,
dénommé BASCAP, fer de lance des
entreprises au niveau mondial dans
la lutte contre le piratage et la
contrefaçon. Ce rapprochement vient
de se traduire par la signature récente
d’un accord de coopération entre
l’Unifab et ICC France.
POINT DE VUE
V.I.E : la solution RH pour le
développement export des PME
©DR
Michel OLDENBURG, directeur du V.I.E. de Business France
Le Volontariat International en Entreprise (V.I.E) permet aux entreprises françaises
de confier à un jeune, homme ou femme, de 18 à 28 ans, une mission professionnelle
à l'étranger d'une durée de 6 à 24 mois, renouvelable une fois dans cette limite de
deux ans.
a première contrainte à laquelle
est confrontée une entreprise
lorsqu’elle se lance à l’export
est relative aux ressources humaines.
L’international nécessite un travail
préparatoire et impose, dans la
plupart des cas, une présence sur
place.
Pour répondre de manière efficace à
cette problématique, le gouvernement a créé en 2000 un statut unique
au monde pour donner aux entreprises françaises les moyens humains
de leur développement à l’export.
Sa gestion est déléguée à Business
France, l’agence nationale au service
de l’internationalisation de l’économie française, mandatée à cet effet
par le Secrétariat d'État chargé du
Commerce extérieur, de la promotion du Tourisme et des Français de
l’étranger.
La formule est ouverte aux jeunes
Françaises et Français ayant l’âge
requis, de tous profils et niveaux de
formation, en règle avec leurs obligations de service national, ainsi qu’aux
jeunes ressortissants de l’Espace
économique européen dans les
mêmes conditions.
Le statut public du volontaire exonère
l’entreprise de tout lien contractuel
(le contrat est passé entre Business
France et le candidat) ainsi que de
toutes charges sociales en France.
Cette formule apporte à l’entreprise,
ainsi qu’au V.I.E, un cadre protecteur
et sécurisé. Ainsi déchargée des
tâches de gestion du personnel,
l’entreprise peut se consacrer
uniquement au pilotage opérationnel
de la mission du V.I.E.
Depuis l’instauration du V.I.E en 2000
et le départ des premiers volontaires
en 2001, plus de 54 000 jeunes ont
L
Une formule qui vous fait bénéficier de nombreux avantages financiers.
L’entreprise n’est pas assujettie aux charges sociales en France sur
le V.I.E.
Les indemnités (hors frais) versées aux V.I.E en poste sont déductibles du
résultat de l’entreprise française avant impôt.
Le budget V.I.E est intégrable dans une assurance prospection COFACE.
Une part importante du coût du V.I.E est prise en charge dans certaines
régions (jusqu’à 100% des indemnités du jeune sur 12 mois sur une mission commerciale).
Le recours à un V.I.E ouvre droit au crédit d'impôt export, mesure destinée aux PME qui engagent des dépenses de prospection commerciale afin
d'exporter.
Les dépenses liées au recours à un V.I.E sont éligibles au Prêt de développement export Bpifrance.
Le recours au V.I.E est intégré dans le calcul de la taxe d’apprentissage
pour les entreprises de plus de 250 salariés.
profité du dispositif pour le compte
de plus de 5 800 entreprises.
Cette opportunité n’est pas réservée
aux grands groupes. Bien au contraire. En juin 2015, 1 870 entreprises,
dont 67% de PME, avaient eu recours
au V.I.E dans le développement de
leur activité économique et 8 680 V.I.E
étaient en poste dans 128 pays à
travers le monde.
Depuis sa mise en place, le V.I.E a
rapidement trouvé sa place au sein
des services RH des entreprises. Il
est aujourd’hui reconnu comme une
formule efficace pour le développement à l’international des entreprises
et un accélérateur de professionnalisation et de carrière pour les jeunes.
Il leur permet d’acquérir une vraie
expérience professionnelle valorisante à l’étranger. 68 % se sont vu
proposer un poste à l’issue de leur
mission et, un an après la fin de leur
mission, le taux d’embauche est de
97 %. Un signe fort que le Volontariat
est, pour les entreprises aussi, un
moyen efficace d’évaluer un jeune
talent sur le terrain avant une
embauche définitive éventuelle. 95 %
d'entre elles considèrent le V.I.E
comme un vivier de recrutement
pour des salariés de valeur et 65 %
considèrent que le V.I.E a eu un
impact direct sur leur implantation
commerciale. Le résultat est au rendez-vous : 73 % des entreprises ayant
eu recours au V.I.E ont vu leur chiffre
d’affaires progresser, 72 % ont bénéficié d’une hausse de notoriété et
60 % affirment avoir gagné de nouveaux
clients (enquête CSA 2011 et 2014).
Soulignons enfin que si l’entreprise
n’a pas de bureau local, elle peut
bénéficier du portage par un grand
groupe français implanté dans le
pays ou héberger son V.I.E au sein du
bureau Business France local ou
chez un de nos partenaires.
Pour en savoir plus. Business France
(0 810 659 659, prix d'un appel local)
[email protected]
27
POINT DE VUE
Un atout pour l' Europe
industrielle: le brevet unitaire
et la juridiction unifiée
Alice PEZARD, avocat, membre du Groupe d'experts chargé d'établir les règles de procédure de la juridiction unifiée
©DR
des brevets, conseiller honoraire à la Cour de Cassation
La juridiction unifiée des brevets et le brevet européen à effet unitaire constituent deux
institutions essentielles à la survie de l'Europe industrielle. Il y a urgence à les mettre en
œuvre après une coopération erratique de plusieurs décennies.
n créant, le 19 février 2013, par
voie d'Accord international, une
Cour européenne des brevets,
l'Europe a reconnu l'ampleur et la
complexité des questions juridiques
portant sur les brevets. Cette juridiction unifiée des brevets (JUB) a
vocation à harmoniser la jurisprudence
européenne en ce qui concerne la validité des brevets et les sanctions contre
la contrefaçon, à l'instar de la mission
de la Court of Appeals for the Federal
Circuit américaine. Parallèlement,
l'Union européenne s'est dotée -par
règlement du 17 décembre 2012- d'un
brevet européen à effet unitaire.
E
Un brevet à effet unitaire.
Le brevet à effet unitaire n’est pas un
nouveau titre de propriété industrielle
mais le brevet européen créé par la
signature de la Convention de Munich
du 5 octobre 1973 (CBE). Il aura désormais un effet unique restreint aux États
de l'Union ayant ratifié. Sa portée peut
être demandée pour plusieurs ou
l'un des États contractants de la
Convention de Munich.
Son entrée en vigueur est subordonnée
à celle de la juridiction unifiée des
brevets (la JUB) et est prévue le mois
suivant le dépôt du 13ème instrument de
ratification de l’Accord à condition que
la Grande-Bretagne, la France et
l'Allemagne aient ratifié. À ce jour,
8 États ont déjà ratifié, parmi lesquels
la France, le 13 février 2014.
Selon l'Accord intervenu le 24 juin
dernier entre les États de l'Union européenne, à l'exception de l'Espagne, la
Pologne, l'Italie et la Croatie, sur le
montant des redevances qui seront
dues par les titulaires, l'enregistrement de ce brevet en une seule fois
coûtera moins de 5 000 euros, soit six
fois moins qu'aujourd'hui.
28
Un régime provisoire pour la langue du
brevet s'impose pendant une période
ne pouvant aller au-delà de douze ans :
le breveté devra fournir une traduction
en anglais si le brevet est en français
ou en allemand, et si le brevet est en
anglais, une traduction dans une autre
langue de l’Union.
Une juridiction unifiée
Chaque État membre pourra avoir une
ou plusieurs divisions locales, dans la
limite maximale de quatre. Plusieurs
d'entre eux pourront se regrouper pour
créer une division régionale.
La Division centrale ou Tribunal de première instance aura son siège à Paris,
avec deux sections à Londres et à
Munich et le premier président sera un
magistrat français avec le greffe installé
à Munich. La section de Londres traitera
les nécessités courantes de la vie, dont
les produits pharmaceutiques, la chimie
et la métallurgie ; celle de Munich, la
mécanique, l’éclairage, le chauffage,
l’armement et le sautage ; la Division
centrale traitera à Paris des techniques
industrielles et des transports, des
textiles, du papier, des constructions fixes,
de la physique et de l’électricité. La Cour
d'appel aura son siège et son greffe à
Luxembourg. Des comités de médiation
et d’arbitrage seront créés à Lisbonne et
à Lubiana. La JUB sera composée d'une
centaine de juges qualifiés sur le plan
juridique et/ou sur le plan technique. Un
centre de formation a ouvert ses portes
à Budapest.
La «bifurcation» allemande, qui distingue le juge de la validité du brevet et
celui de la contrefaçon ayant été
retenue, la division locale ou la division
régionale a le pouvoir discrétionnaire
de :
• juger l'action en contrefaçon et la
demande reconventionnelle en
nullité (en s'adjoignant un juge
technicien) ;
• renvoyer la demande reconventionnelle en nullité devant la Division
centrale et juger l'action en contrefaçon ;
• avec le consentement des parties,
renvoyer l’affaire devant la Division
centrale.
La Division centrale a pour compétence la demande en nullité des brevets.
S'agissant de la contrefaçon, la
Division compétente peut être celle du
lieu de la contrefaçon, du domicile du
défendeur ou celle choisie par les
parties. L'octroi des dommages et
intérêts est séparé avec une prescription quinquennale à partir de la date à
laquelle le breveté a eu connaissance
de la contrefaçon.
La langue de la procédure devant les
Divisions locales ou régionales est la
langue nationale ou l’une des trois
langues officielles de 1'OEB (anglais,
allemand et français). La division
locale française retiendra vraisemblablement à la fois le français et
l'anglais. Devant la Division Centrale,
comme en appel, seule la langue du
brevet est applicable. La représentation est assurée par un avocat d'un
État-membre ou un mandataire
européen spécialisé, avec à l'audience,
l'assistance facultative d'un mandataire en brevets, tous protégés par le
«legal privilege».
La survie de l'Europe industrielle exige
une entrée en vigueur de ces institutions
dans les meilleurs délais en limitant
le système de l'«opt out», réversible
à tout moment qui permet pendant
7 ans, renouvelable une fois, au titulaire
d'un brevet européen classique de
déroger à la compétence exclusive de
la juridiction unifiée en contrepartie du
paiement d'une taxe.
ÉVÉNEMENTS
Les nouvelles règles du jeu
douanier en Europe
Raphaël BARRAZA, Avocat au barreau de Paris, membre de la Commission Politique commerciale, douanes
Le 20 octobre dernier, la commission « Politique commerciale, douanes et facilitation
du commerce » d'ICC France organisait un séminaire consacré à la réforme du Code
des Douanes de l’Union (CDU) réunissant des experts de la Direction Générale des
Douanes (DGDDI), mais aussi de chargeurs et de commissionnaires. Au programme :
les nouvelles règles du jeu douanier de l’Union.
ien que le CDU soit entré en
vigueur le 30 octobre 2013,
i l n ’ e st p a s p o u r a u ta n t
applicable. Depuis janvier 2014, la
Commission, les États-Membres et
les représentants du Trade ont
discuté activement des dispositions
d’application (désormais baptisés
«Actes d’exécution» et «Actes délégués», selon la nouvelle nomenclature du Traité de Lisbonne) appelées à
remplacer les actuelles Dispositions
d’Application du CDC. L’ensemble
de ces textes entrera en vigueur
le 1er mai 2016. Afin d'en faciliter la
mise en œuvre, la nouvelle réglementation comporte des dispositions
transitoires jusqu’au 1er mai 2019.
B
Des facilités accrues sous conditions
Le CDU est un projet ambitieux qui
vise à la fois la modernisation et la
sécurité de l’Union Douanière.
L’Opérateur Économique Agréé y
tient une place de choix. Si les
conditions d’obtention de cette
certification ne connaissent pas de
changements majeurs, le CDU
ambitionne en revanche d'octroyer
des «avantages» effectifs aux
Opérateurs économiques agréés
(OEA). En matière de contrôles douaniers, le principe de l’allègement est
maintenu, tandis que l’OEA se voit
notamment offrir la possibilité de
choisir le lieu de déroulement du
contrôle. Le dédouanement centralisé
communautaire, qui permet de
déposer des déclarations dans un
État-Membre distinct de celui de
l’introduction physique des marchandises, sera réservé aux OEA-C.
30
Dans le CDU, les régimes «économiques» du CDC deviennent «particuliers».
Outre cet amendement terminologique, de nombreux changements
sont à noter, comme, par exemple, la
disparition des régimes de l’entrepôt
de type D et de la transformation
sous douane, la généralisation de la
taxation de la plus-value pour le
perfectionnement passif, ou encore,
la dématérialisation du document de
transit. Un examen approfondi des
dispositions transitoires s’impose
pour tous les opérateurs afin d’anticiper les changements opérationnels
à venir.
Les règles d’assiette de la valeur en
douane
Sur cette question essentielle pour
les chargeurs, les évolutions sont
importantes. En matière de ventes
successives, le CDU supprime
progressivement une facilité qui permettait aux opérateurs de se référer
à une vente «antérieure» pour les
besoins de l’évaluation. Sous l’impulsion de l’Organisation mondiale des
Douanes (OMD), la vente pour
l’exportation sera désormais la
dernière avant l’introduction des
marchandises sur le territoire de
l’UE. Très contestée par ICC, cette
réforme sera mise en œuvre après
une période de «grâce» prenant fin
au 31 décembre 2017.
En matière de redevances, la rédaction des nouveaux textes n’est pas
sans susciter quelques questionnements. En effet, la «condition de la
vente», autrefois requise dans des
conditions strictes pour l’inclusion
des redevances dans la valeur en
douane, se trouve définie de façon
très extensive. Toutefois, la DGDDI
rappelle que l’objectif n’est pas pour
autant de taxer toutes les redevances
et indique que la Commission
Européenne travaille à l’élaboration
de règles directrices pour éclairer la
portée de ces nouvelles dispositions.
La représentation en douane
La dualité des modes de représentation - directe et indirecte - est
conservée au sein du CDU. Toutefois,
la représentation directe, autrefois
réservée en France aux commissionnaires en douane, sera ouverte à
d’autres opérateurs, chargeurs ou
transitaires non agréés. Outre cette
ouverture, un opérateur pourra
exercer une représentation en douane
dans un État-membre autre que celui
dans lequel il est établi, sous réserve
d’y être enregistré. Ces changements
devront se traduire d’ici la fin d’année
par une nouvelle législation au plan
français.
La réforme du CDU représente une
étape importante dans la modernisation de l’Union Douanière. Pour
autant, ce processus doit faire face à
des défis importants, notamment
l’interopérabilité des systèmes informatiques au sein de l’UE, prévue
pour fin 2020, qui conditionne
l’effectivité de certaines facilités
promises aux opérateurs.
©DR
©DR
et facilitation du commerce d'ICC France, représentant au Trade Contact Group
ÉVÉNEMENTS
Retour sur trois années
d’application du Règlement
d’arbitrage de la CCI
Christine LECUYER-THIEFFRY, associée co-fondatrice de Thieffry et associés et avocate au barreau de Paris
©Gilles Dacquin
Le séminaire qui s’est tenu le 23 juin 2015 au siège mondial de l'ICC, organisé par
ICC France dans le cadre de l’Observatoire de pratique du Règlement d’arbitrage
de l'ICC, a permis autour de trois tables rondes de faire le point et de débattre sur
trois années de son application.
oin de suivre un
phénomène de
mode, les dispositions relatives à
l’arbitrage d’urgence
répondent à un besoin
des utilisateurs. Tel
est le constat du
Secrétaire général de
l a C o u r , A n d ré a
Carlevaris, qui a précisé que chaque affaire pose de nouvelles
questions dans un
contexte où le panorama législatif sur l’exécution des décisions
de l’arbitre d’urgence
est en évolution.
L
Un groupe de travail sur l'arbitre
d'urgence
Cela a conduit la Commission internationale de l’arbitrage à confier au
groupe de travail co-présidé par Diana
Paraguacuto-Maheo la mission
d’étudier les retours d’expérience sur
l’utilisation la procédure d’arbitre
d’urgence d’ICC ainsi que sur celles
d’autres institutions d’arbitrage, d’analyser les questions de procédure et de
fond et d’examiner les tendances qui
pourraient se dessiner.
Philippe Pinsolle a, quant à lui, constaté
que les dispositions nouvelles relatives
aux arbitrages complexes sont parfois
utilisées par les parties et leurs
conseils de manière stratégique pour
influer sur la constitution du tribunal
arbitral ou la remettre en cause,
entraînant ainsi inévitablement des
délais dans la constitution du tribunal
arbitral.
De la bonne utilisation de la conférence sur la gestion de la procédure
Yves Derains, et à ses côtés Roland
Ziade et Isabelle Hautot, forts de
leurs expériences respectives en tant
qu’arbitre, conseil et représentant de
l’entreprise, ont abordé les questions
pratiques liées aux rôles respectifs des
parties et du tribunal arbitral dans la
conduite de la procédure.
Le besoin de prévisibilité des parties et
leurs conseils résultant d’une certaine
standardisation de la procédure ne
devrait pas faire obstacle à la flexibilité
de la procédure arbitrale et devrait
conduire à évoluer vers du « sur mesure ».
La conférence sur la gestion de la procédure offre à l'arbitre l’occasion d’agir
en pédagogue en indiquant aux parties
que ce qui importe est de prouver leurs
demandes et d’établir une relation
directe entre leurs allégations et la
preuve qu’elles rapportent. Pour cela
il doit s’investir dès le début de la procédure en prenant connaissance des
éléments du dossier sans hésiter à
tenir d’autres conférences de la procédure à l’occasion de points d’étape
après l’échange des premiers mémoires et autant que nécessaire.
Vers une plus grande transparence
Face à la concurrence de plus en plus
vive des institutions d’arbitrage le nouveau président de la Cour, Alexis
Mourre, a réaffirmé sa volonté de
renforcer le caractère global et inter-
national de la Cour d’arbitrage en
prolongeant son ouverture vers
l’Amérique Latine et en organisant des
réunions ailleurs qu’à Paris. Ainsi, en
2016, une session de travail de la Cour
se tiendra à New York.
Dans un contexte de suspicion à l’égard
de l’arbitrage d’investissement qui
risque de contaminer l’arbitrage commercial, il a par ailleurs souligné que
l'ICC se devait d’être exemplaire dans
ses pratiques.
Le débat entre le professeur Laurent
Aynes et Laurence Kiffer a porté sur
l’exigence de transparence de plus en
plus forte de l’arbitrage qui n’est pas
sans incidence sur les délais de constitution du tribunal arbitral et qui s’est
traduite par une évolution de la pratique
de la Cour sur la non-communication
aux parties des motifs de ses décisions.
Depuis le mois d’octobre, par dérogation aux dispositions du Règlement, et
à la demande de toutes les parties, la
Cour pourra communiquer les motifs
des décisions de récusation d’un arbitre
ou de son remplacement lorsque celuici intervient à l’initiative de la Cour.
Cette pratique pourrait être étendue à
la demande de toutes les parties aux
décisions rendues sur la jonction
d’arbitrages et sur la compétence
prima facie. Pour en bénéficier, les
parties devront en faire la demande
avant que la décision de la Cour ne soit
prise. La décision d’accepter ou de
rejeter une telle demande reste à la
discrétion de la Cour qui peut la conditionner à une augmentation des frais
administratifs n’excédant pas normalement 5 000 dollars.
31
FORMATIONS ET SÉMINAIRES
Programme d’ICC France
au 1er semestre 2016
Notez les prochains rendez-vous sur votre agenda !
Avec son Centre de Perfectionnement au Commerce International (CPCI), ICC France répond aux
besoins des entreprises françaises désireuses de former et de perfectionner leur personnel aux
techniques et aux règles du commerce international.
epuis sa création en 1919, la
C h a m b re d e C o m m e rce
Internationale s’est donnée
pour mission d’élaborer des règles
et des contrats-types pour faciliter
les transactions commerciales
internationales : Incoterms, contrats
modèle … etc ; autant d'outils qui
correspondent à de bonnes pratiques reconnues dans le monde
entier. Ainsi, les entreprises peuvent
négocier des contrats équilibrés
et sécuriser leurs transactions
internationales.
D
NOS FORMATIONS
Au cours du 1er semestre 2016, les
formations et séminaires portent
principalement sur le Trade Finance
et les modes alternatifs de règlement des litiges. Pour animer ces
formations, ICC France fait appel aux
meilleurs spécialistes des sujets,
dotés d’une solide expérience
comme formateurs.
Chaque formation propose deux
niveaux : initiation ou maîtrise. La
priorité est donnée aux sessions
d’une journée ou aux sessions
fractionnées, mais rapprochées
dans le temps. Le nombre de participants est volontairement limité à
12 personnes par stage, afin de
faciliter le processus pédagogique et
l’interaction entre participants et
formateurs.
Les sessions se tiennent principalement à Paris, au siège d’ICC
France (9, rue d’Anjou 75008 Paris).
Sur demande auprès d’ICC France, il
est possible de les organiser en
entreprises et partout en France.
Calendrier
Règlement des litiges
• 14 janvier 2016 : Expertise en
médiation internationale
• 13, 20, 27 janvier, 3 et 10 février
2016 : Etude d’un cas d’arbitrage
international
Trade Finance
• 9 et 10 mai 2016 : Maîtrise des
garanties bancaires internationales
• 12 mai 2016 : Opinions bancaires
d’ICC sur les crédits documentaires
• 18 au 26 mai 2016 : Formation
intensive aux crédits documentaires
• 2 et 3 juin 2016 : Initiation aux
crédits documentaires
• 16 juin 2016 : Initiation aux garanties bancaires internationales
NOS SEMINAIRES
Soucieux de répondre aux préoccupations des entreprises, ICC France
organise chaque année des séminaires sur des thèmes économiques et
juridiques d’actualité. Nous nous
attachons à choisir les meilleurs
experts pour intervenir dans le cadre
de ces manifestations. Nous faisons
appel à d’éminents professeurs de
faculté, des avocats et des conseils,
des magistrats, des dirigeants
d’entreprises, des représentants
d’organisations professionnelles
pour animer ces séminaires. En
général, les séminaires se déroulent
soit sur une demi-journée, soit sur
une journée, au siège mondial de
la Chambre de Commerce
Internationale 33-43 avenue du
Président Wilson Paris 16ème.
Calendrier
SEMINAIRES PROGRAMMÉS AU
COURS DU 1er SEMESTRE 2016
Ils porteront sur les thèmes suivants :
- L’actualité du Trade Finance
(20 janvier 2016)
- Contribution de la justice transactionnelle à la lutte contre la
corruption (23 février 2016)
- Le droit des marques et le développement des nouvelles technologies
de communication, en partenariat
avec l’UNIFAB (mars).
- L’application extraterritoriale des
lois nationales : un obstacle pour le
commerce mondial et l’investissement international ? en partenariat
avec l’AFJE (mars/avril).
- L’arbitrabilité des litiges liés à la
corruption (mai/juin)
Retrouvez le programme détaillé de nos formations et de nos séminaires sur
www.icc-france.fr
Pour plus d’informations et vous inscrire, contactez ICC France,
au 01 42 65 12 66 ou envoyez un message à : [email protected]
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sur
et
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