des addictions comme les autres

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2014
l m a r s - av r i l
N°19
Le magazine de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale
Plan Cancer
Avis de chercheurs
Effets gravitationnels
Des souris et des os
Benzodiazépines
Avec modération
Jeux vidéo,
jeux d'argent,
sexe,
travail…
Des addictions
comme les autres ?
&
En partenariat avec :
Avec le soutien de :
©©François guénet/inserm
Si les addictions aux substances
psychoactives et les troubles
liés aux abus des jeux vidéo
se différencient, ils ont pourtant
des points communs.
On retrouve les mêmes facteurs
de risque, à la fois individuels (co-morbidités
psychiatriques) et environnementaux (parents
en grande souffrance ou absents, groupe de
pairs…) dans leur apparition et leur durée. Dans
les deux cas, il existe une perte de contrôle qui
entraîne la poursuite de l’usage ou de la pratique,
malgré la survenue des dommages. Quant aux
différences, il faut déjà noter que la toxicité n’est
pas la même : la simple expérimentation de
drogues peut être dangereuse, voire mortelle. De
même, les troubles somatiques ou neurocognitifs
provoqués par des consommations chroniques
peuvent être redoutables, alors qu’ils sont très
rares avec les addictions comportementales. Par
ailleurs, la prise excessive de psychotropes se
fait souvent dans le cadre d’autres conduites à
risques (conduite automobile sous l’emprise de
produits, agressions physiques, rapports sexuels
non protégés voire non désirés…). A contrario,
la pratique excessive des jeux vidéo peut refléter
la volonté de l’adolescent de contrôler dans
le virtuel ce qu’il ne peut gérer dans le réel et
cacher une phobie sociale. Enfin, le syndrome de
sevrage, lié à un déséquilibre du système neurohormonal dû à la consommation de substances,
n’existe pas pour les abus de jeux vidéo.
En conséquence, pour le clinicien,
les prises en charge ont également des
similitudes : importance de l’alliance
thérapeutique, impulsion de changement
sur tous les facteurs de risque et nécessité
d’une thérapie dans le respect du patient et
de ses pratiques. Les jeux existent depuis
la nuit des temps, car ils participent de
notre humanité. L’important est d’essayer
de contrecarrer les effets délétères de leur usage
abusif sur le développement de l’adolescent,
et non d’éradiquer le jeu de sa vie.
Olivier Phan
Unité 669 Inserm/Université Paris 11-Paris Sud –
Université Paris-Descartes, Trouble du comportement alimentaire de l’adolescent
SOMMAIRE
➜
à la une
lan Cancer 2014-2019
4 P
Avis de chercheurs
➜
Découvertes
6 T oxinologie Un tueur dans la garrigue
10 Effets gravitationnels
Des souris au service de nos os
➜
Têtes chercheuses
14 F
rançoise Clavel-Chapelon
100 000 femmes à la loupe
➜
REGARDS SUR Le MONDE
17 Hérédité
La peur du prédateur transmise par le sperme ?
➜
Cliniquement vôtre
18 N
eurosciences L’activité physique…… cérébrale
20 Schizophrénie Inégalité face aux traitements
➜ Grand Angle
22 Jeux vidéo, jeux d’argent,
sexe, travail
Des addictions comme les autres ? ➜
Médecine générale
➜
Entreprendre
➜
Opinions
➜
Stratégies
34 H
oméopathie Pour quels patients ?
38 R
echerche et innovation L’incontournable alliance
40 B
enzodiazépines À consommer avec modération
42 R
echerche en médecine générale
Une discipline en devenir
43 Système d’information de l’Inserm
La nouvelle feuille de route
➜
50 ans de l’Inserm
44 Génétique
Des maladies rares aux maladies infectieuses
➜
Bloc-Notes
46 La voix : l’expo qui vous parle
48 Yves Agid, L’homme subconscient –
Le cerveau et ses erreurs
mars-avril 2014 ● N° 19 ●
●
3
à la une • Découvertes • Têtes chercheuses • regards sur le monde • Cliniquement vôtre • Grand Angle • Médecine générale • Entreprendre • Opinions • Stratégies • Bloc-Notes
➜
Plan Cancer 2014-2019
Avis de chercheurs
©©INCa
Le 4 février dernier, lors des Rencontres
de l’Institut national du cancer, le Président
de la République présentait le nouveau Plan Cancer :
17 objectifs déclinés en de nombreuses actions
définissent les nouvelles orientations de la lutte
contre le cancer. Trois chercheurs déjà impliqués
dans ce domaine donnent leur point de vue.
LAdipocytes
Cellules du tissu adipeux,
spécialisées dans le
stockage de la graisse
LOstéocytes
Cellules du tissu osseux
L
oie de
V
signalisation
Succession de réactions
biochimiques en réponse
à une activation dans une
cellule
☛Olivier
☛
Delattre : unité 830 Inserm/
Institut Curie - Université Paris-Descartes
4●
« C’est en effet une
nécessité, car les
cancers pédiatriques
sont très particuliers,
commence O
­ livier
D el att re  *  ,
­directeur de l’unité Génétique et biologie des cancers
à l’Institut Curie de Paris. D’une part, ils ne sont pas
­observés chez l’adulte et ils correspondent à une anomalie du développement, plutôt que du vieillissement
ou de l’interaction avec l’environnement. D’autre part,
s’ils se traitent très bien - 80 % d’entre eux sont guéris -,
il faut tenter de limiter encore plus les éventuels séquelles
et effets secondaires des t­ raitements que pour les adultes :
l’espérance de vie après le cancer est encore longue ! Chez
l’enfant, l’irradiation d’une tumeur cérébrale se fait sur un
cerveau en développement : plus que jamais, il faut discriminer la zone ciblée des tissus sains environnants. Dans
cette optique particulière, l’un
des points importants, « c’est
de comprendre les mécanismes
Sarcome d’Ewing
à l’origine des tumeurs », précise
sur le radius d’un
le chercheur. Dans le cas des
enfant, en orange
tumeurs d’Ewing - deuxième (vues face et profil)
tumeur primitive de l’os la plus
fréquente chez l’enfant - caractérisées par l’existence d’un
gène chimérique (fusion de deux autres), le laboratoire
a réussi à montrer que les cellules atteintes dérivent
de cellules mésenchymateuses, celles qui peuvent se
­différencier en adipocytes (L) ou en ostéocytes (L). Une
information essentielle pour cibler les cellules mutées et
laisser intactes les cellules d’origine.
Par ailleurs, alors que les industriels s’intéressent rarement
aux cancers p­ édiatriques - jugés peu rentables -, Olivier
Delattre et ses collaborateurs sont parvenus à montrer
que le gène chimérique en cause avait un lien direct avec
● N° 19 ● mars - avril 2014
©©ZEPHYR/SPL/PHANIE
Booster
la recherche
sur les cancers
de l’enfant
p­ lusieurs voies de signalisation (L), par exemple celle de
l’IGF1. « Or, il existe déjà des médicaments, développés
pour les adultes, qui agissent à ce niveau ! » Médicaments
qu’il sera plus aisé d’adapter pour les enfants.
« Surtout, note le chercheur, il faut favoriser l’accès aux
innovations thérapeutiques pour les enfants : la labellisation de centres d’essais cliniques de phase précoce
par l’INCa dédiés à l’enfant est primordiale. » Car pour
les 20 % d’enfants atteints de cancers qu’on ne sait pas
encore guérir, il est en effet urgent de mettre en place
des essais cliniques novateurs.
à la une
➜
Réaliser
le séquençage
à haut débit
de l’ensemble
des cancers
que le prix a été multiplié par trois, en tenant compte
de l’inflation, la vente a été divisée par deux ! « Pour
que la mesure soit efficace, le prix doit augmenter de
20 % par an, tous les ans, insiste Catherine Hill, un
levier qui jouerait autant pour empêcher les jeunes
d’entrer dans le tabagisme que pour aider les adultes à
en sortir. » Surtout que, plus que la dose, c’est la durée
de tabagisme qui influence l’état de santé : lorsque
la dose est doublée, le risque de cancer du poumon
est multiplié par deux. Mais si c'est la durée qui est
doublée, le risque est multiplié par 20 !
LPrévalence
Proportion de fumeurs
dans la population
8 www.e-cancer.fr
« Analyser 10 000 tumeurs en 2015 et 60 000 en 2018 ; séquencer le génome ­complet
de 50 000 patients en 2019 », ce sont les objectifs du Plan pour maintenir la ­position
dynamique de la France dans le développement de la médecine personnalisée*.
Pour Pierre Laurent-Puig *, directeur de l’unité Bases moléculaires de la
réponse aux xénobiotiques au Centre universitaire des Saints-Pères, ce n’est pas
nouveau : c’est ce qui guide ses recherches depuis longtemps. Son laboratoire
a ainsi montré que les variations de
mutation du gène kras, impliquées
dans les cancers colorectaux, étaient prédictives de la réponse aux
Division de cellules
cancéreuses
traitements fondés sur l’utilisation d’anticorps dirigés contre EGFR,
(cancer colorectal)
un récepteur du facteur de croissance (L) épidermique. Depuis, ces
mutations ont été retrouvées dans d’autres tumeurs. « C’est pourquoi,
plus on connaîtra d’altérations génétiques, plus on sera à même de
trouver des traitements efficaces ! »
« En outre, insiste le chercheur, la connaissance de la génétique des
tumeurs, en plus d’être un outil d’aide au choix thérapeutique, peut
aussi être un outil de suivi, qui permettrait d’anticiper sur les ­récidives.
Les progrès technologiques permettent, désormais, de ­repérer des
cellules tumorales circulantes, précurseurs de métastases, et même
l’ADN tumoral.» Ne resterait alors qu’à
séquencer ce dernier pour identifier des
Facteur
caractéristiques biologiques particude croissance
lières. Et administrer un traitement ciblé
Protéine nécessaire
­préventif. Dans cette optique, les objectifs
à la croissance ou à
à atteindre semblent très raisonnables pour
la différenciation de
le chercheur. n Julie Coquart
certaines cellules
* Voir S&S n° 14, Grand Angle
« Médecine personnalisée Les promesses du
sur-mesure », p. 22-33
Laurent-Puig : unité 1147 Inserm
☛Pierre
☛
- Université Paris-Descartes
©©STEVE GSCHMEISSNER/SPL/PHANIE
« Premier facteur de
risque évitable de
­cancers en France, le
tabac est responsable à
lui seul de près de 30 %
des décès par cancer »,
énonce en préambule
de son objectif 10 le
Plan Cancer 2014-2019. L’objectif est donc de diminuer
d’un tiers la prévalence du tabagisme (L) en France,
­actuellement de 33 %, pour l’abaisser à 22 %. Pour
Catherine Hill, épidémiologiste à l’Institut GustaveRoussy, le problème « est que cette prévalence n’est pas un
très bon indicateur. Si l’on suit l’évolution du pourcentage
de fumeurs déclarés au cours du temps, elle ne suit pas
celle de la consommation d’après les ventes ! » En cause
d’après la chercheuse ? La fiabilité des déclarations dans
les sondages. Si l’on multiplie le nombre de fumeurs par
leur consommation moyenne déclarée, le chiffre obtenu
est bien inférieur aux données de vente ­complétées
par une estimation des achats trans­frontaliers et de la
contrebande. Parfois d’un facteur 1,9 !
Quoi qu’il en soit, la chercheuse voit dans l’augmentation du prix du tabac le meilleur moyen de diminuer le tabagisme. Ainsi, entre 1991 et 2004, alors
©©Patrick ALLARD/REA
Lancer
le programme
national
de réduction
du tabagisme
L
mars - avril 2014 ● N° 19 ●
●
5
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©©Thierry Hupin
• à la une ➜
Toxinologie
Un tueur
dans la garrigue
Le Languedocien est bien plus dangereux qu’il n’y paraît.
Non pas l’habitant mais le scorpion jaune, présent
dans le sud de la France. Son venin potentiellement létal
vient, pour la première fois, de faire l’objet d’études
biochimiques pour en déterminer la composition.
Et mieux soigner les piqûres de l’arachnide.
I
LCanaux ioniques
Ils permettent le passage
des ions à travers la
membrane cellulaire.
☛☛Marie-France Martin-Eauclaire :
UMR 7286 CNRS – Université AixMarseille, équipe Toxines animales
et cible macromoléculaire
M.-F. Martin-Eauclaire et al. Toxicon,
1er mars 2014 ; 79 : 55-63
6●
l est le Languedocien pour les locaux, Buthus
occitanus pour les scientifiques ou « tueur de
boeuf ­d’­Occitanie » pour les linguistes (Buthus,
« bœuf+tuer » et ­occitanus, « occitan », en latin), mais
pour Marie-France ­Martin-Eauclaire *, directrice de
recherche Inserm émérite du Centre de recherche en
neurobiologie et neuro­physiologie de Marseille, il est
un danger. Ce scorpion originaire d’Afrique du Nord
(du Maroc à l’Égypte) est l’une des 20 espèces dont le
venin peut tuer un homme. Arrivé en France avant que
le détroit de G
­ ibraltar ne s’ouvre de nouveau (il y a cinq
millions d’années ­environ), son lien de parenté actuel
avec ­l’espèce africaine est relativement faible. Mais la
bestiole n’en est pas moins virulente. En effet, l’année
dernière, en ­Algérie deux à quatre personnes sont
● N° 19 ● mars - avril 2014
décédées des suites d’une p­ iqûre
(sur les 25 000 enregistrées). Et la
sous-espèce française Buthus occitanus Amoreux, que l’on ne peut
confondre avec les autres s­ pécimens
présents sur le territoire français des scorpions noirs de la famille des
Chactidae aux venins inoffensifs
pour l’homme -, protégée et ­inscrite
sur la liste rouge du p­ atrimoine
­national, a pu p­ rovoquer plusieurs
cas de coma, notamment chez les
enfants. La question de la compo­
sition du venin est donc mise
en cause. Pour la déterminer, la
­chercheuse et ses collaborateurs
sont allés soulever les pierres et
­examiner les terriers du Vaucluse et
du massif des Maures à la recherche
dudit scorpion. Les 50 à 200 μg de
venin de chacun des quatre individus collectés ont été soumis à
une nano-chromatographie innovante de très haute pression qui a
permis de séparer les constituants issus de cette très
petite quantité de venin. Ceux-ci ont été du même coup
­comparés avec les composants les plus meurtriers des
venins d’Afrique du Nord. Il en
ressort une similarité troublante. “ Le blocage
Les toxines issues du « tueur des canaux
d’Occitanie » français sont très ioniques
proches de celles d’Afrique, répu- par la toxine
tées pour leur particulière létalité. On y ­retrouve notamment serait
« de petits peptides : des toxines à l’origine des
agissant comme modulateurs ou symptômes „
bloqueurs de canaux ioniques (L)
responsables du passage des ions Na+ et K+ à travers la
membrane des ­cellules nerveuses, musculaires ou glandulaires, explique la chercheuse. Ce blocage serait à l’origine des symptômes observés : vomissements, diarrhées,
troubles cardiaques et neuro­logiques… » Pour aller plus
loin, l’équipe parvient à ­déterminer sur des souris la dose
létale médiane ­au-delà de laquelle 50 % des individus
envenimés décèdent. Cette dose se révèle également très
proche de celle des venins des scorpions africains. « Le
Buthus languedocien peut représenter un danger réel pour
l’être humain, au même titre que les spécimens d’Afrique
du Nord », conclut la toxicologue. Le faible nombre
de victimes constaté serait ­seulement dû à l’isolement
géographique des populations de ­scorpions (garrigue
­calcaire, zone protégée, terrain rural en friche…) et donc
à la faible probabilité de r­ encontre avec l’homme. Cette
toute ­première étude sur la composition biochimique du
venin du Buthus occitanus Amoreux permettra ainsi de
soigner plus ­efficacement les patients victimes de p­ iqûres
et ­d’inciter les Languedociens au réflexe ­« ­Buthus du
­terroir, se ­sauver d
­ are-dare ! ». n Florian Bonetto
découvertes
➜
Ostéosarcome
Les traitements de
chimiothérapie du
glioblastome, un
cancer du cerveau,
se heurtent à la
barrière hématoencéphalique qui
limite leur passage
du sang vers le
cerveau. Pour
gagner en efficacité,
il faudrait les
injecter, en continu
et très lentement,
Une tumeur des cellules
directement dans le
gliales, ou glioblastome,
cerveau. Mais avant
vue par IRM (en orange)
d’implanter un
tel dispositif chez les malades, il est indispensable de
l’évaluer dans un modèle animal. À cette fin, l’équipe de
François Berger *, neuro-cancérologue à Grenoble, a
développé des cochons atteints de glioblastome en leur
greffant des cellules tumorales humaines. Les cerveaux
humains et porcins présentant des similitudes,
notamment au niveau de la taille, l’évaluation de
l’injection intracérébrale des traitements anticancéreux
va donc pouvoir débuter. F. D. M.
☛☛François Berger : unité 836 Inserm - Université Joseph-Fourier, Institut des neurosciences
L. Selek et al. Journal of Neuroscience Methods, 15 janvier 2014 ; 221 : 159-65
Augmenter l’efficacité
de la chimiothérapie
©©Dominique HEYMANN /U957 Inserm
Une molécule
aux multiples
cibles thérapeutiques dans
l’ostéosarcome
Malgré des progrès dans les traitements de l’ostéosarcome, un cancer
des os, la chimiothérapie n’est pas totalement efficace. L’unité Inserm
et équipe labellisée Ligue nationale contre le cancer 2012, dirigée par
Dominique Heymann * à Nantes, a montré dans des modèles murins, que le NVP-BEZ235, une molécule qui inhibe le métabolisme
cellulaire (L), ralentit la progression des tumeurs et améliore la durée
de vie des souris. En cours d’évaluation chez des
Métabolisme
malades pour d’autres cancers, cette molécule
cellulaire
pourrait être proposée en complément de la
chimiothérapie de l’ostéosarcome. F. D. M. Ensemble des
L
☛☛Dominique Heymann : unité 957 Inserm - Université de Nantes, Physiopathologie
de la résorption osseuse et thérapie des tumeurs osseuses primitives
B. Gobin et al. Cancer Letters, 28 mars 2014 ; 344 (2) : 291-8
réactions qui se
produisent dans
une cellule
Myopathies centronucléaires
Deux gènes mutés se compensent
La myopathie myotubulaire est due à des
anomalies du gène de la myotubularine.
Elle se manifeste, dès la naissance, chez
un ­
nourrisson sur 50 000 et entraîne le
décès dans l’enfance. C’est donc la forme
la plus ­
sévère des myopathies centro­
nucléaires (L), qui implique deux autres
gènes : celui de l’amphiphysine 2 et de la
dynamine 2. Autre point commun : la myotu­
bularine et la dynamine 2 sont des protéines
qui interviennent dans l’organisation des
cellules musculaires. On supposait donc
que leur fonctionnement était lié. Restait à le
prouver. L’équipe de ­Jocelyn Laporte *, à
Illkirch, a observé,
dans les cellules
Myopathie
centronucléaire de malades et
chez des souris
Myopathie caractérisée
modèles de cette
par des noyaux situés
myopathie, que la
au centre des cellules
quantité de dyna­
musculaires au lieu
mine 2 est supé­
d’être en périphérie
L
rieure à la normale, comme si elle n’était
plus régulée faute de myotubularine. Pour
vérifier cette hypothèse, les chercheurs ont
alors ­généré des souris à la fois sans myo­tu­
bularine et dont l’expression de la dynamine 2
est diminuée. Alors que les souris unique­
ment sans myotubularine meurent au bout
de 1 à 3 mois, celles-ci ont recouvré une force
musculaire normale et ont vécu deux ans,
espérance de vie habituelle de ces animaux.
Autrement dit, la ­
myopathie myotubulaire
a été « guérie » grâce à la ­diminution de la
dynamine 2 pourtant à l’origine d’une autre
myopathie. Des ­résultats certes s­ urprenants,
mais très ­encourageants, qui ouvrent la voie
à une thérapie de la myo­pathie myotubulaire
fondée sur une inhibition de la dynamine 2.
F. D. M.
☛☛Jocelyn Laporte : unité 964 Inserm/CNRS - Université de Strasbourg,
Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire d’Illkirch
B. S. Cowling et al. The Journal of Clinical Investigation, 24 février 2014
(en ligne) doi : 10.1172/JCI71206
©©Belinda S Cowling / I.G.B.M.C
©©SIMON FRASER /SPL/PHANIE
Cancer du cerveau
Un modèle porcin
du glioblastome
En haut : fibres musculaires petites
avec des noyaux centraux (souris
myopathes sans myotubularine),
en bas : retour à la normale après
réduction de la dynamine 2
mars - avril 2014 ● N° 19 ●
●
7
découvertes
➜
Méthode contre les rechutes
Une équipe de chercheurs
coordonnée par Dominique
Mazier * et Georges
Snounou *, à Paris, est
parvenue à cultiver durant
40 jours des cellules hépatiques
infectées par la forme dormante
de Plasmodium cynomolgi,
espèce de parasite responsable
du paludisme chez le singe.
Nommée hypnozoïte, cette
forme du parasite provoque une
infection sanguine lors de son
« réveil » et donc une crise de
paludisme. Mettre en culture les
hypnozoïtes aussi longtemps a
permis, pour la première fois,
de les analyser. En identifiant
une nouvelle molécule capable
de les réveiller, les chercheurs
ont également élaboré une
nouvelle stratégie « Wake &
Kill » (« Réveiller et tuer »)
pour éliminer les rechutes de
paludisme, associant cette
molécule (Wake) aux traitements
disponibles et efficaces
contre le parasite en cours de
multiplication (Kill). L. L.
Rétinopathies
La thérapie génique possible
La barrière hémato-rétinienne
(BHR) contrôle les échanges
entre le sang et la rétine.
Or, sa rupture est associée à
diverses pathologies comme
la rétinopathie diabétique ou
la dégénérescence maculaire
liée à l’âge (DMLA). Deniz
Dalkara * et ses collègues de
l’Institut de la vision ont montré,
chez des souris modèles de ce
phénomène de perméabilité
pathologique de la BHR, que la
rétine devient plus permissive
Q
ecteur
LVviral
Virus modifié
qui sert à
apporter
un gène
thérapeutique
aux cellules.
☛☛Dominique Mazier, Georges Snounou :
unité 1135 Inserm/CNRS - Université Pierreet-Marie-Curie, Centre d’immunologie et de
maladies infectieuses
L. Dembélé, J.-F. Franetich et al. Nature Medicine,
9 février 2014 (en ligne) doi:10.1038/nm.3461
aux vecteurs viraux (L) de type
AAV (pour Adeno Associated
Virus), mais que la rupture
de la BHR n’entraîne pas leur
fuite vers le sang. Un bon point
puisque cela limite la diffusion
de ces vecteurs vers des tissus
autres que la rétine malade.
« Ces résultats indiquent
que les thérapies géniques
de pathologies liées
à la rupture de cette barrière
sont envisageables, » conclut
la chercheuse. F. D. M.
©©Ophélie VACCA
Paludisme
Vecteur viral AAV (en vert)
au niveau de la barrière
hémato-rétinienne
☛☛Deniz Dalkara : unité 968 Inserm/CNRS – Université
Pierre-et-Marie-Curie
O. Vacca et al. Glia, mars 2014 ; 62 (3) : 468-76
Quesaco ?
comme Quinolone
Dérivées de l’acide nalidixique, découvert en 1962, les quinolones ­forment
une grande famille de molécules de synthèse – objets de plusieurs m
­ illiers
de brevets – utilisées comme antibactériens contre différents types
­d’infections : respiratoire, ostéo-articulaire, urogénitale, méningée ou plus
généralisée telle que la septicémie. Elles bloquent la réplication de l’ADN
­bactérien en inhibant l’activité d’enzymes impliquées dans l’enroulement et
le ­dépliement de la double hélice. Comme pour de nombreux autres anti­
biotiques, l’utilisation excessive des quinolones a entraîné l’apparition de
résistance. Un phénomène étudié par Patrice Nordmann * et son équipe,
au même titre que les résistances à de nombreux autres antibiotiques. F. B.
☛Patrice
☛
Nordmann : unité 914 Inserm – Université Paris-Sud 11, Résistances émergentes aux antibiotiques
Alzheimer et protéine Tau
Les protéines Tau
sont essentielles
à la stabilité des
neurones du cerveau.
Dans de nombreuses
maladies appelées
« tauopathies », la
plus connue étant la
maladie d’Alzheimer,
elles s’agrègent en
LSauvage
Se dit de la forme d’un
gène la plus représentée.
LSynapse
Zone de contact entre
deux neurones, ou entre
un neurone et une autre
cellule
8●
filaments pour conduire
à une dégénérescence
neuronale. Cette
dernière se propage
dans le cerveau.
Cependant, les
mécanismes
moléculaires et
cellulaires qui y
participent ne sont pas
encore identifiés. En
injectant un vecteur
contenant le gène de la
protéine Tau humaine
sauvage (L) dans
l’hippocampe de rat,
l’équipe Inserm de Luc
Buée *, à Lille, a
découvert un mécanisme
de son transfert à
● N° 19 ● mars - avril 2014
travers les synapses (L)
des neurones de
l’hippocampe ventral
vers des neurones
secondaires situés dans
les systèmes olfactifs et
limbiques du cerveau.
Ce travail ouvre de
nouvelles perspectives
thérapeutiques
pour les approches
d’immunothérapie
anti-Tau dans la maladie
d’Alzheimer et d’autres
tauopathies. L. L.
☛Luc
☛ Buée : unité 837 Inserm/CHRU Lille Université Lille 2 Droit et santé, Centre de
recherche Jean-Pierre-Aubert
S. Dujardin et al. Acta Neuropathologica
Communications, 30 janvier 2014 (en ligne)
doi:10.1186/2051-5960-2-14
Ci-dessus :
neurones primaires,
ci-contre : neurones
secondaires ;
la couleur brunâtre
(sur les 2 photos)
met en évidence
la protéine Tau
sous forme
hyperphosphorylée.
©©Morvane Colin et Simon Dujardin
Nouveau mécanisme de transfert
découvertes
➜
Embryologie
Des cils très sensibles
Cil artériel
(en vert)
à la surface
de la
membrane
cellulaire
(en jaune)
embryonnaire,
la formation
du système
vasculaire dépend
de l’intensité
du flux sanguin
naissant, ainsi
que des angles de
courbures des cils
cellulaires présents
sur la paroi des
vaisseaux. C’est
ce que révèle
l’étude menée par
Julien Vermot *
et ses collègues
de l’IGBMC, sur
des embryons de
poisson zèbre.
Très souples, ces
cils sont sensibles
au moindre
déplacement de
sang. En se pliant,
ils provoquent une
entrée de calcium
dans les cellules
endothéliales,
proportionnelle à
l’angle de courbure.
Une condition
indispensable au
développement du
réseau sanguin,
indiquent les
chercheurs, sans
pouvoir expliquer
pour le moment
le mécanisme en
jeu. Une fois que le
système vasculaire
est en place et que
le flux sanguin
devient plus
intense, les cils
disparaissent. V. R.
☛☛Julien Vermot : unité 964
Inserm/CNRS - Université de
Strasbourg, Institut de génétique
et de biologie moléculaire et
cellulaire (IGBMC)
J. Goetz et al. Cell Reports,
20 février 2014 (en ligne)
doi : 10.1016/j.celrep.2014.01.032
Apprentissage des odeurs
©©Nathalie Mandairon/U1028 Inserm
Le pouvoir de la noradrénaline
L’odorat des mammifères est régi par le bulbe olfactif — une sorte
de décodeur des odeurs — qui fonctionne moins bien avec l’âge.
L’équipe de Nathalie Mandairon *, du Centre de recherche en
neurosciences de Lyon, a montré, chez des souris âgées, que cette
altération est due à une baisse de l’activité de la noradrénaline,
une substance qui agit
notamment sur les neu­
rones du bulbe olfactif. Or,
en stimulant sa libération,
les chercheurs ont aussi
constaté que les souris
retrouvent leur capacité
à apprendre des odeurs
nouvelles. Malgré l’âge, les
neurones du bulbe olfactif
sont donc encore fonction­
nels ; ils ont juste besoin
d’un petit coup de fouet
pour s’activer. F. D. M.
Les neurones
du bulbe olfactif
peuvent être
stimulés.
La drosophile
choisit son repas
☛ Nathalie Mandairon : unité 1028 Inserm/
Université Saint-Étienne-Jean-Monnet/
CNRS – Université Claude-Bernard Lyon 1
2 M. Moreno et al. Neurobiology of Aging,
mars 2014 ; 35 (3) : 680-91
©©David M Phillips /BSIP
©©Goetz et al., Endothelial Cilia Mediate Low Flow Sensing during
Zebrafish Vascular Development, Cell Reports (2014), http://dx.doi.
org/10.1016/j.celrep.2014.01.032
Pendant les
premiers stades
du développement
Acides aminés
Pour garantir leur équilibre en acides aminés essentiels (L), de
nombreuses espèces ont la capacité de détecter un manque de
ces composants dans les aliments et de rechercher une nourri­
ture plus complète. En utilisant le modèle de la drosophile,
­Marianne Bjordal *, sous la direction de Pierre L
­ éopold *
de l’Institut de biologie Valrose
à Nice, a découvert le mécaAcides aminés
nisme cérébral à l’origine de ce
essentiels
contrôle de la prise alimentaire :
lorsque le contenu en acides Acides aminés non
aminés essentiels dans la nour- synthétisés par
l’organisme et devant
riture est pauvre, des protéines être apportés par
de type kinase (L), présentes l’alimentation
dans trois neurones dopamiKinase
nergiques (L) chez la larve,
sont activées, induisant un arrêt Enzyme capable de
de la prise alimentaire. Ces pro- transférer un groupement
téines étant conservées de la phosphate d’une
molécule à une autre et
drosophile à l’homme, c’est la dont le rôle est de réguler
preuve que les circuits dopami- l’activité de la cellule
nergiques jouent un rôle fondaDopaminergique
mental dans la régulation de la
prise alimentaire. L. L.
Qui sécrète de la
L
L
L
☛☛Marianne Bjordal, Pierre Léopold : unité 1091
Inserm/CNRS - Université Nice-Sophia Antipolis
M. Bjordal et al. Cell, 30 janvier 2014 ; 156 : 510–521
dopamine, l’une des
substances chimiques
libérées par les neurones.
mars - avril 2014 ● N° 19 ●
●
9
découvertes
➜
©©Reportage Photo : François guénet/inserm
Effets
gravitationnels
Norbert Laroche dépose la première
cage de souris dans une des 4 nacelles
disposées symétriquement dans la
centrifugeuse.
Des souris
au service de nos os
Alors que le projet Mars One prévoit d’envoyer
sur la planète rouge d’intrépides colons en 2025,
le Laboratoire de biologie intégrative du tissu osseux fait,
depuis peu, voler des souris en centrifugeuse.
Avec un but : étudier les effets de l’hypergravité sur
les os afin de prévenir les pertes de masse osseuse durant
les voyages dans l’espace, de mieux réparer les fractures
ou encore de mieux traiter l’ostéoporose. Plongée
au cœur d’un lieu qui se préoccupe de notre squelette.
À
☛Norbert
☛
Laroche, Laurence Vico :
unité 1059 Inserm – Université
Jean-Monnet-Saint-Étienne
10 ●
Saint-Étienne, on fait tourner les souris. On ? Les
membres du Laboratoire de biologie intégrative
du tissu osseux (LBTO), situé au sud de la ville,
sur le campus de la faculté de médecine. ­Comment ?
Grâce à une plateforme conçue et construite par
la s­ ociété t­oulousaine COMAT pour le compte du
Centre ­national des études spatiales (CNES). Depuis
● N° 19 ● mars - avril 2014
près d’un an, le LBTO, spécialisé dans l’étude des mécanismes de fragilité osseuse, en lien avec l’ostéoporose,
a, en effet, été choisi pour accueillir cette centrifugeuse
dédiée aux petits mammifères. L’intérêt ? Générer de
l’hypergravité et étudier son effet sur les organes, dont
le tissu osseux. L’hypergravité, c’est le phénomène où la
gravité, G, est renforcée, ce qui se produit lors des phases
d’accélération que subissent les astronautes et les pilotes
de chasse au moment du décollage de leurs appareils.
Sur Terre, par définition, en conditions normales, la
gravité est égale à 1 G : quand elle passe à 2 G, le corps
pèse deux fois plus lourd ; à 3 G, trois fois plus lourd…
Les effets de la gravité
C’est au détour d’un couloir, au 2e étage, que l’on a­ ccède
à la partie du laboratoire réservée à la plateforme
d’expéri­mentation et d’analyse « Plexan ». Derrière
une porte relativement banale, la centrifugeuse, d’un
diamètre de 3,70 m, attend ses petits passagers à poils
ras. Norbert Laroche *, responsable Histologie et
recherche animale, les installe : deux souris par cage
pour ­aujourd’hui, une cage par nacelle opposée. Une
fois les portes refermées, il verrouille la grille de sécurité
qui sépare la machine des tableaux de contrôle. Pour
mettre la salle aux normes, l’équipe a dû faire poser
des panneaux métalliques sur les murs. Au cas où les
nacelles se décrocheraient…
Et c’est parti pour des tours de piste ! À 2 G, les nacelles
tournent juste un peu plus vite qu’un manège pour
M E d eci n e d e d emai n
découvertes
➜
••
••
La plateforme Plexan :
en tournant à la vitesse
de 29,5 tr/min,
la centrifugeuse crée
une force de gravité
de 2 G. Elle peut aller
jusqu’à 5 G.
Ghislaine Roux,
gestionnaire de
la plateforme,
surveille le
comportement
des souris placées
en hypergravité
et filmées avec
des caméras
infrarouge.
e­ nfants : on est loin de l’image de souris qui seraient qu’ils pratiquent, les astronautes présentent ­souvent des
c­ollées à la paroi par la force centrifuge ! « Quand pertes osseuses à leur retour. Peut-on envisager l’hyper­l’appareil se met en marche, les souris ont un temps gravité comme une contre-mesure, qui lutterait donc
d’adaptation où elles restent immobiles. Mais très vite, contre les conséquences néfastes de la microgravité ? »,
elles agissent n
­ ormalement », fait remarquer Norbert s’interrogent les chercheurs. Sans partir dans l’espace,
Diaphyse
Laroche. C
­ omment l’équipe le sait-elle ? Grâce aux l’hyper­gravité pourrait aussi être bénéfique pour la Partie médiane d’un os
caméras à i­nfrarouge qui équipent
réparation des fractures, d’après long
chaque nacelle. Au printemps “ Les astronautes présentent les chercheurs de l’unidernier, pour la dernière manipuversité de ­
S amara,
lation d’envergure, par sa durée et souvent des pertes osseuses
en Russie. Le niveau
le nombre de participants, le plus à leur retour „
d’hyper­gravité et son
difficile a été de gérer un apport en
temps d’application
eau et nourriture suffisant pour 48 souris pendant toute pourraient, à terme, être optimisés pour
la durée de l’expérience : un mois ! C’est long… Mais c’est lutter contre l’ostéoporose en renforçant les
que l’expérience se veut l’exacte opposée de celle qu’ont os par une surcharge mécanique.
vécue les souris embarquées à bord du vol spatial russe Si les souris sont ici soumises à une force de
BionM1, en avril-mai 2013 : ­pendant un mois, 45 petits 2 G, c’est que l’équipe a déjà fait de premières
­rongeurs ont p­ arcouru l’espace, en état de m
­ icrogravité. études de l’impact de l’augmentation de la
« Certes, assez peu d’entre elles sont ­revenues vivantes », ­gravité sur les souris. « À 2 G, il semble y avoir
déplorent les scientifiques. Mais le LBTO en a récupéré un renforcement musculaire et osseux, à 3 G,
cinq ! Ainsi, l’adaptation physiologique c­ orrespondant la baisse de mobilité induite entraîne des effets
aux deux situations opposées pourra être comparée.
délétères avec perte de poids corporel et diminuEn microgravité, en effet, quand les voyageurs de tion de l’épaisseur des diaphyses (L) osseuses.
­l’espace flottent dans leurs habitacles spatiaux, c’est Quant à 4 G, c’est tout simplement traumatout le ­système musculo-squelettique qui est altéré : « Le tique », résume Norbert Laroche. L’une des
centre de gravité se déplace, le sang afflue vers la région questions qui guident leurs travaux concerne
céphalo-thoracique, donnant une sensation de visage la gradation des effets : existe-t-il des seuils
bouffi… », décrit Laurence Vico *, la directrice du dans les niveaux de G où certaines conséLaurence Vico
laboratoire. « Malgré les deux heures d’activité physique quences apparaissent ou au contraire s’agit-il
directrice du LBTO
mars - avril 2014 ● N° 19 ●
●
11
©©Reportage Photo : François guénet/inserm
L
découvertes
➜
©©Reportage Photo : François guénet/inserm
Les souris, soumises
au plateau vibrant, type Powerplate,
explorent leur environnement.
d’un continuum ? « D’un point de vue plus ­fondamental,
ajoute Laurence Vico, l’hypergravité est un des derniers
paramètres physiques qu’il reste à étudier, puisque l’on
connaît les effets du pH, de l’altitude, de la température… ».
De bonnes vibrations
eux, il s’agit d’une séance “ Pendant un an,
d’un quart d’heure par jour : 240 femmes
posés précautionneusement
ménopausées
sur leur plot vibrant, « les rats
ont ­tendance à se coucher tête- sont venues pour
bêche. Quant aux souris, elles des séances de
vaquent à leurs occupations », Powerplate „
remarque Norbert Laroche.
Ce matériel industriel détourné permet de faire varier
la fréquence. Malgré les effets bénéfiques trouvés chez
l’homme, les premiers résultats sur les rongeurs ont montré
que lorsque la fréquence de vibration entre en résonance
Mais l’hypergravité ne se rencontre pas que lors des
décollages. On la trouve même sur des machines
­surprenantes. De l'autre côté du mur du laboratoire,
on s'intéresse à l'hypergravité intermittente : des souris
s’essaient au « Powerplate spécial murin ». Après avoir
envahi les salles de gym, ces machines vibrantes ont
peu à peu investi les cabinets de kinésithérapeutes et
les pôles de gérontologie. Car elles pourraient avoir un
impact sur la prévention de l’ostéoporose. Ce que l’étude
­clinique VibrOs, débutée en 2010, cherche à démontrer.
Elle concerne 240 femmes ménopausées, âgées de 55 à
75 ans et sédentaires. Le dernier critère à respecter :
présenter une fragilité osseuse sans pour autant que
l’ostéoporose soit déclarée. « Pendant un an, les participantes sont venues deux à trois fois par semaine, pour
une séance de Powerplate de 20 minutes. Les p­ ostures
étaient tout à fait contrôlées », rassure L
­ aurence Vico.
Au début de l’étude, puis à 6, 12 et 18 mois, d­ ifférents
paramètres étaient mesurés : tissu osseux, force
­musculaire, dosage des marqueurs sériques… tout
ce qui peut renseigner sur le métabolisme osseux et
musculaire. R
­ ésultats prélimi­naires : les
Virginie Dumas vérifie
participantes n’avaient pas perdu d’os et
avaient gagné en force musculaire. Un sur l’écran d’oscilloscope
que la force enregistrée
résultat d’autant plus visible à six mois.
au niveau des chambres
Ainsi, les chercheurs continuent
de culture correspond
­l’exploration des bienfaits potentiels de
à celle appliquée par le
ces vibrations, sur les rongeurs. Pour déplacement des pistons.
12 ●
● N° 19 ● mars - avril 2014
M E d eci n e d e d emai n
découvertes
➜
••
••
avec les segments osseux, les effets sont
­délétères et entraînent une augmen­tation
de la résorption osseuse ainsi qu’un défaut
de minéralisation de l’os nouvellement
formé. Laurence Vico avance une hypothèse : « Il se pourrait que lorsque l’os est
trop stimulé, les ostéoblastes, les c­ ellules
qui assurent la formation du tissu osseux,
sécrètent une matrice de colla­gène qui se
­minéralise peu, comme pour se ­protéger. »
Ce qui induit une fragilité osseuse. À
l’inverse, des fréquences élevées de l’ordre
de 90 Hz sont, quant à elles, favorables à
la formation du tissu osseux. « Il faudra
donc être capable de déterminer les plages
fréquentielles et les accélérations bénéfiques
sur le corps humain afin d’utiliser les plateformes vibrantes pour délivrer des stimuli
mécaniques dans des populations qui ne
font pas d’exercice p­ hysique, fragiles et
sédentaires. »
Des modèles 3D
LNanotomographie
Imagerie en 3D à l’échelle
nanométrique
©©Reportage Photo : François guénet/inserm
Grâce aux équipements d’imagerie haute
technologie que le laboratoire héberge,
les chercheurs sont à même de faire des “ Les cultures cellulaires se font complexité d’un environobservations très précises. « À l’aide avec des matrices artificielles „
nement physiologique.
du ­microscanner, nous pouvons étudier
­Cependant, elles restent
l’architecture osseuse sur des rongeurs
aussi limitées par des
vivants », précise Norbert Laroche. Leurs études les considérations éthiques et par la lourdeur des expéripoussent c­ ependant à faire aussi appel au rayonnement mentations. Aussi, le labo s’attelle à créer des modèles
synchrotron de G
­ renoble pour étudier le réseau des complexes de cultures cellulaires tridimensionnelles.
ostéocytes en nanotomographie (L)*, une technique de Ainsi, la pièce d’à côté regroupe de nombreux équipepointe qui permet d’ « entrer » au cœur du tissu osseux. ments, à la frontière entre biologie et mécanique, apparCes études sur les modèles animaux permettent d’ana- tenant à la plateforme Ingénierie et vieillissement des
lyser les effets des contraintes mécaniques dans toute la tissus vivants (IVTV). Aux manettes : sa responsable,
Virginie Dumas *. « D’ordinaire les cultures ­cellulaires
se font en boîte de Petri. Ici, nous avons recours à des
­matrices artificielles en 3D, comme l’hydroxyapatite, un
minéral qui mime l’architecture ­osseuse », explique-telle. L’objectif de cet axe de recherche ? Développer un
système de co-culture 3D, reproduisant les facteurs clés
de l’environnement in vivo, dans un milieu d­ ynamique
et contrôlé mécaniquement. Pour cela, la jeune femme
manipule avec précaution un bioréacteur, un dispositif constitué de quatre chambres perfusées avec un
milieu de culture. En appliquant ensuite différents
­stimuli ­biomécaniques, flux et compression, on analyse
cette fois, à une échelle plus fine, au niveau cellulaire
et ­moléculaire, les effets des contraintes mécaniques.
Avec son large spectre de ­recherches, qui va des
­modèles complexes de cultures cellulaires 3D jusqu’à
l’expérimentation sur l’animal, le labo
Matrices en os
stéphanois semble le mieux placé pour
cortical poli, titane
décrypter les énigmes de la perte et de la
ou hydroxyapatite pour
formation des os, la charpente de notre
tester en 3D différents
corps. Sur Terre comme dans l’espace. n
environnements
Julie Coquart
de culture cellulaire
À gauche : écran
du densitomètre
petit animal
affichant 4 pattes
de souris ex-vivo ;
au premier plan :
poste d’anesthésie
à l’isoflurane
pour endormir
les animaux
avant analyse en
microtomographie
(en arrière-plan)
* Voir S&S n°18, Grand Angle
« Imagerie médicale :
une (r)évolution continue »,
p. 22-33
☛Virginie
☛
Dumas : unité 1059 Inserm –
Université Jean-Monnet-Saint-Étienne
mars - avril 2014 ● N° 19 ●
●
13
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• à la une • découvertes ➜
FranCoise Clavel-Chapelon
••
••
100 000 femmes à la loupe
14 ●
qui conclut que la prise de
la pilule contraceptive a
une influence positive sur
le risque de développer
un cancer du sein. Mais,
« pour pouvoir éviter de
nombreux biais et confirmer ses résultats, il fallait
une étude de cohorte ».
©©François guénet/inserm
Étudier le mode
de vie de milliers
de femmes pour
mieux déceler
les risques
de développer
un cancer :
un projet
ambitieux et de
longue haleine
pour lequel
Françoise
Clavel-Chapelon
vient de recevoir
le Grand Prix
de la recherche
décerné par
la Fondation
de France.
U
n tempérament enthousiaste et gagneur, ­doublé
d’une liberté de penser, ce sont les qualités qui
ont permis à Françoise Clavel-Chapelon de faire
­avancer la recherche sur le cancer. Titulaire d’un baccalauréat scientifique à 16 ans, la jeune Françoise Clavel est
une élève brillante. Elle se pique rapidement d’intérêt pour
l’industrie pharmaceutique et se verrait bien ­travailler
dans la gestion et l’administratif. Elle entreprend alors
des études de pharmacie à l’université Paris-­Descartes et
obtient son diplôme en 1974. Mais même après cinq ans
d’études supérieures, Françoise, alors âgée de tout juste
21 ans, se sent un peu trop jeune pour se lancer dans la vie
active. « J’avais encore un peu de temps devant moi, dit-elle
en riant, je voulais faire un diplôme supplémentaire pour
“ ­muscler ” un peu ma ­formation universitaire et avoir un
poste plus ­intéressant par la suite. » Elle choisit alors de
bodybuilder ses connaissances en économie et finances
en s’inscrivant à Sciences Po Paris. Après quoi, elle se
forme en biostatis­tique et en épidémiologie à l’université
Paris XI. Des études qui lui seront particulièrement utiles
quelques années plus tard. Mais un tragique évènement
va venir bouleverser ce parcours brillant : le décès de sa
mère des suites d’un cancer. C’est ce triste épisode qui va
la ­pousser à s­ ’orienter vers la recherche sur cette maladie.
« Je pense avoir plutôt un tempérament de fonceuse. Alors,
j’ai très vite écrit à un certain nombre de personnalités qui
menaient des travaux sur cette ­pathologie, en particulier
en épidémiologie. » Elle intègre ainsi l’équipe dirigée
par le professeur Robert Flamant à l’Institut Gustave­ illejuif. Sous sa t­ utelle, elle réalise une thèse
Roussy de V
● N° 19 ● mars - avril 2014
Une cohorte
unique
en France
C’est alors le point de
­d épart d’une des plus
grandes études de
cohorte européennes
e t d ont ­
F r anç ois e
­Clavel-Chapelon sera la
coordinatrice. « L’idée était
de suivre une population
“ À cette époque,
importante de femmes,
il n’y avait pas de
comprendre leur mode
registre des cancers de
de vie et d’en déduire des
en France „
activités ou des pratiques
qui ont une influence sur
le développement du cancer. » Mais, même avec en poche
une thèse d’état en sciences pharma­ceutiques et biologiques, elle se confronte aux dures lois du monde de la
recherche. « Au départ, l’entreprise paraissait assez folle.
Beaucoup de ­personnes pensaient que je n’y arriverais
pas, parce qu’à cette époque, il n’y avait pas de registre
des cancers en France. Et il n’existait aucune autre étude
de cette ­ampleur. Je n’avais de financement que pour
lancer le ­projet et j’étais une femme, jeune, sans titre de
professeur ! »
Son patron, Robert Flamant, qu’elle tient en grande
­estime, loin de la dissuader, est au contraire l’un des
rares à l’encourager. « C’était quelqu’un d’extrêmement positif, de très humain. Il faisait confiance aux
membres de son équipe et il regardait avec bienveillance
les idées que l’on pouvait avoir. » Forte de ce soutien,
la c­ hercheuse commence alors à monter le projet
dès 1990. Par un heureux concours de circonstances,
­l’Inserm et la Mutuelle générale de l’éducation nationale
(MGEN) se sont rapprochées à l’époque. Et parmi ses
adhérentes, la chercheuse invite 500 000 femmes sélectionnées selon leur année de naissance, entre 1925 et
1950, de façon à avoir des femmes p­ ré-ménopausées
ou post-­ménopausées. La cohorte baptisée alors E3N,
têtes chercheuses
➜
pour étude épidé­miologique auprès des femmes de
la MGEN, venait de naître. La jeune épidémiologiste
conçoit alors un questionnaire très détaillé qui les interroge sur diverses caractéristiques de leur mode de vie :
leurs antécédents médicaux et chirurgicaux, leur prise
de médicaments, leur passé gynécologique, leur statut
tabagique, leurs caractéristiques staturo-pondérales,
leur pratique d’activités physiques et enfin les cas familiaux de cancer. À sa grande surprise, 20 % des femmes
prennent le temps de répondre à ce long ­questionnaire,
soit 100 000 exactement. « Je ne m’attendais absolument
pas à avoir des réponses aussi rapidement et en aussi
grand nombre. Nous n’avions pas l’habitude de gérer
ce type de retour, d’autant que la moitié des réponses
a été obtenue en quinze jours. » Françoise fait alors
la connaissance de Jean-François Bach, président du
conseil ­scientifique de la Ligue contre le cancer, qui voit
dans E3N le moyen de fédérer les différentes délégations ­départementales de l’association. Il lui promet son
soutien. Le premier financement pour une étude qui
la mènera certainement plus loin qu’elle n’aurait pensé.
« Quand j’ai lancé cette cohorte, je prévoyais de travailler
dessus pendant dix ans. Et puis un chercheur m’a dit : “ça
va te mener jusqu’à ta retraite !” Je l’ai un peu regardé avec
des yeux ronds. Mais, bien sûr, il avait raison. »
L’étude fêtera bientôt son 25 e anniversaire.
­Vingt-cinq ans pendant lesquels la chercheuse est
parvenue à ­partager astucieusement son temps entre
le suivi de ces 100 000 femmes et ses quatre enfants,
entre le d­ épouillement des questionnaires et le tennis de
­compétition, entre l’analyse des résultats et le jardinage.
« Une des qualités du chercheur est pour moi de produire
des t­ravaux intéressants sans oublier la remise en question de ses résultats. » Principe qu’elle applique elle-même
dans son travail. Une question qui revient régulièrement :
la représentativité des résultats, car 80 % des femmes de
la ­cohorte sont des enseignantes. Mais, pour elle, ce n’est
pas un biais : « Vu que l’on
travaille sur les relations
“ Il ne faut pas
entre une maladie et une
exposition, le fait de ne pas oublier de
être ­représentatif n’est pas remettre en cause
­gênant, il n’y a pas de raison ses résultats „
de penser que ce qui est nocif
pour des enseignantes ne l’est pas pour la population générale.
En revanche, certains comportements nous manquent. »
Cette étude démontre, par exemple, que l’alcool, le tabagisme passif et une alimentation occidentale centrée sur
les viandes, beurre, pommes de terre, œufs… augmentent
le risque de développer un cancer du sein, en comparaison
d’une alimentation « méditerranéenne » tournée vers les
fruits, légumes et produits de la mer.
Depuis le lancement d’E3N, d’autres maladies ont été
prises en compte – diabète, asthme, dépression, par
exemple – qui apparaissaient fréquemment dans les
réponses et « pour éviter de passer à côté de choses qui
©©François guénet/inserm
L’enquête s’élargit
pouvaient avoir un retentissement important en termes
de maladies chroniques ». Celles-ci seront davantage
étudiées dans la cohorte dite E4N, qui inclura, en plus
des femmes suivies par E3N, leur conjoint, leurs enfants
et petits-enfants. Objectif : déterminer ce qui relève de
la part génétique, de l’environnement familial et extrafamilial dans l’apparition de ces maladies.
Aujourd’hui, la cohorte de Françoise Clavel-Chapelon
est considérée comme un véritable patrimoine national.
Une grande fierté pour la chercheuse, qui préserve tout
de même son patrimoine personnel à elle, ses enfants. n
Florian Bonetto
8
www.e3n.fr
www.e4n.fr
mars - avril 2014 ● N° 19 ●
●
15
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• à la une • découvertes • Têtes chercheuses ➜
•
Coup de stress
pour un bain de jouvence
L
••
••
ETATS-UNIS
•
©©Alejandro Balazs / California Institute of Technology
Limiter la transmission
du sida par les muqueuses
En 2011, l’équipe de David
Baltimore du California
Institute of Technology a réussi à faire
produire chez des
souris, par transfert
de gène grâce à des
vecteurs (L), des
anticorps qui neutralisent le virus HIV
circulant dans le sang.
Cette même équipe vient
Structure
maintenant de montrer que
du vecteur
cette méthode bloque aussi
utilisé pour
délivrer des le virus lorsqu’il est au niveau
de la muqueuse vaginale.
anticorps
contre le VIH Cette technique pourrait
donc permettre la mise au
point d’un vaccin qui protégerait les êtres humains de la
Vecteur
Virus modifié qui transmission du sida par les
sert à apporter
muqueuses.
L
un gène
aux cellules
16 ●
2 A. B. Balazs et al. Nature Medicine, 9 février 2014
(en ligne) doi : 10.1038/nm.3471
● N° 19 ● mars - avril 2014
©©James Cavallini/BSIP
Soulager la psychose
associée à Parkinson
Les malades de
Parkinson souffrent
fréquemment
d’hallucinations, de
délire, de paranoïa.
Pour les soulager, un
nouveau traitement,
la pimavanserine, a
Dégénérescence des
été développé. Son
cellules nerveuses
bénéfice par rapport
dans le locus niger,
à un placebo (L)
zone touchée dans la
vient d’être évalué
maladie de Parkinson
chez 199 malades
par l’équipe de Clive Ballard du King’s College de Londres.
Après six semaines de traitement, l’échelle de mesure
des symptômes de la psychose a montré une amélioration
chez les malades recevant la
pimavanserine. En outre, il
Placebo
n’y a pas eu d’aggravation des
Médicament
symptômes moteurs, ce qui
composé de
n’est pas le cas des traitements
substances
actuellement prescrits. Reste
neutres, sans effet maintenant justement à les
pharmacologique
comparer à ce nouveau venu.
dans la maladie
2 J. Cummings et al. The Lancet, 8 février 2014 ;
383 : 533-40
considérée
japon
À l’heure actuelle, obtenir
des cellules souches à partir
de cellules adultes nécessite
des manipulations génétiques
longues et délicates. Haruko
Obokata et ses collègues
du Centre de biologie du
développement Riken de
Kobe (Japon) et de l’école
de médecine de Harvard
(États-Unis) ont réussi à
reprogrammer des cellules
adultes en leur appliquant
un simple stress. Ils ont
plongé des globules blancs
de souriceaux dans un milieu
acide pendant 25 minutes,
les ont passés 5 minutes en
centrifugeuse, puis placés
dans un milieu de culture.
Résultat sept jours plus tard :
des cellules souches nommées
STAP pour « Acquisition de
pluripotence déclenchée par
stimulus ». Injectées dans des
embryons de souris, elles ont
participé normalement à leur
développement. Elles sont donc
pluripotentes : elles peuvent se
différencier en n’importe quel
tissu de l’organisme. Mais pas
seulement !
©©RIKEN CDB
Royaume-Uni
•
Un embryon de souris issu
de cellules STAP
Elles semblent presque
totipotentes, autrement
dit capables de générer un
organisme complet à partir
d’une seule cellule ; une
capacité qu’aucune cellule de
laboratoire n’a jamais eue. Si
ces résultats sont confirmés, et
si cette méthode simplissime
est transposée avec succès
aux cellules humaines, la
médecine régénératrice
pourrait connaître un coup
d’accélérateur.
H. Obokata et al. Nature, 30 janvier 2014 ; 505 (7485) : 641-7
Australie
•
Le cancer sous surveillance
immunitaire
Le lymphome non hodgkinien, un cancer du système immunitaire,
est dû à des modifications génétiques des globules blancs. L’équipe
d’Axel Kallies, de l’Institut de recherche médicale Walter et Eliza
Hall, à Victoria, vient de montrer, grâce à des souris modèles
de cette pathologie, que leur système immunitaire élimine
les globules blancs génétiquement modifiés avant qu’ils ne
donnent une tumeur. Les chercheurs espèrent que ces résultats
permettront la mise au point d’un diagnostic très précoce
du lymphome.
S. Afshar-Sterle et al. Nature Medicine, 2 février 2014 (en ligne) doi : 10.1038/nm.3442
Page réalisée par Françoise Dupuy Maury
regards sur le monde
➜
••
••
Hérédité
La peur du prédateur
transmise par le sperme ?
©©Denis Bringard/Biosphoto
ETATS-UNIS
•
les histones (L) ou présence de petits ARN confèrent à la ­chromatine un certain état. Et
que celui-ci est directement lié à la capacité de
certains gènes à s’exprimer ou à être ­réprimés.
Or, que retrouve-t-on chez ces souris dont
les ascendants ont
Histones
été soumis à un
stress associé à Protéines qui
une odeur ? Une s’associent à l’ADN
expression géné- pour le compacter et
former la chromatine.
tique différente :
au niveau du nez,
Glomérules
elles présentent
olfactifs
plus de neurones Premiers relais
spécialisés dans la de transmission de
reconnaissance de l’information olfactive
cette odeur et, au entre la muqueuse
nasale et le cerveau
niveau du c­ erveau,
leurs g­ lomérules olfactifs (L) liés à ces neurones sont plus gros. On a donc identifié un
gène-candidat, des neurones et des modifications épigénétiques dans le sperme. La
transmission par le sperme du père et du
fils est démontrée mais on ne sait toujours
pas c­ omment l’information trouvée dans le
sperme est transmise à la génération suivante
et permet l’augmentation de l’expression du
gène du récepteur à l’acétophénone.
La sensibilité aux odeurs est essentielle dans
le règne animal, même les souris modifient
leurs émanations corporelles pour alerter leurs
congénères d’un danger. Une équipe de chercheurs
américains de l’Université Emory, à Atlanta, s’est intéressée à la transmission de cette
sensibilité. Leurs résultats sont étonnants : après exposition à l’acétophénone, une
molécule aromatique qui dégage une odeur désagréable aux rongeurs, couplée à un
choc électrique pour la rendre « stressante », les comportements de souris mâles
se sont modifiés ainsi que l’anatomie et le fonctionnement de leur système nerveux.
Leur descendance, sur deux générations, s’est, elle aussi, révélée plus sensible à cette
odeur. Pour expliquer cette transmission, les scientifiques
ont analysé le sperme du père et des souriceaux de la
Épigénétique
première génération et y ont décelé une modification
Ensemble des
épigénétique (L) présente sur le gène du récepteur à
mécanismes par lesquels
l’acétophénone.
l’environnement et
L
L
L
l’histoire individuelle
influent sur l’expression
des gènes
B. G. Dias et al. Nature Neuroscience, janvier 2014 ; 17 (1) : 89-96
J. Zidar et al. Animal Behaviour, 84 (3), septembre 2012 ; doi : 10.1016/j.an ;behav.2012.06.006
J. Brechbühl et al. PNAS, 4 mars 2013 (en ligne) ; doi: 10.1073/pnas.1214249110
Le point avec
Claudine Junien
Science&Santé : En quoi ces résultats éclairent la compréhension des
mécanismes épigénétiques ?
Claudine Junien : Depuis les années
1998-2000, de nombreuses publications
ont montré que des traits se transmettent
aux g­ énérations suivantes sans qu’une transmission génétique classique puisse être
­invoquée, mais que quelque chose se joue
du côté de l’épigénétique*. Ces t­ravaux sont
­révolutionnaires, car ils concernent les odeurs.
Certains phénomènes restaient inexpliqués,
comme la peur du prédateur, que ces ­résultats
­pourraient éclaiMéthylation
rés : une goutte
de l’ADN
d’urine de renard
Processus où certaines
dép osée près
bases nucléotidiques
d’u n e ­s ou r i s
peuvent être modifiées
déclenche des
par l’addition d’un
comportements
groupement méthyle.
L
©©François guénet/inserm
Professeur de génétique médicale à
l’université de Versailles Saint-Quentinen-Yvelines, présidente de la société
francophone sur l’origine développe­
mentale de la santé (SF-DOHaD)
“ La transmission de peur, même si
les rongeurs n’ont
est démontrée „
jamais vu ni senti
de renard de leur vie ! Des réactions innées,
mais difficile d’impliquer la génétique…
S&S : Et donc qu’apportent-ils ?
C. J. : Les chercheurs ont remarqué des
­différences de méthylation (L) sur le gène
du récepteur à l’acétophénone dans le sperme
du père et du fils sensibilisé à cette odeur,
on parle ici d’hypométhylation : l’ADN
­comporte moins de groupements méthyles
que celui des souris témoins. On sait que
ces marques épigénétiques - hyperméthylation, hypo­méthylation, modifications sur
S&S : Comment intégrer ces données
à la connaissance des mécanismes
épigénétiques ?
C. J. : Quand on regarde toutes les publications sur le sujet, les résultats s’accumulent en
faveur de mécanismes épigénétiques et de
leur transmission à la descendance. Chacun
de ces travaux apporte une pièce au puzzle.
Pourtant, nous n’arrivons toujours pas à les
rassembler car, à chaque fois, ce sont des
­facteurs environnementaux, des marques, des
gènes, des tissus et des mécanismes différents
qui sont concernés. Nous gagnerons beaucoup à investir dans certains programmes,
comme suivre l’évolution d’un grand nombre
de marques et mécanismes épigénétiques au
cours de différentes étapes cruciales du développement et sur de nombreuses générations.
C’est essentiel pour pouvoir relier avec certitude l’impact environnemental à ces mécanismes et mieux les appréhender un jour. n
Propos recueillis par Alice Bomboy
*V
oir S&S n° 11, Grand Angle « Épigénétique –
Comment se joue la partition du génome ? », p. 22-33
mars - avril 2014 ● N° 19 ●
●
17
Cliniquement vôtre • Grand Angle • Médecine générale • Entreprendre • Opinions • Stratégies • Bloc-Notes
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Neurosciences
L’activité physique… cérébrale
©©Photos : Sidney Grosprêtre
Nul besoin de
faire du sport
pour entraîner
l’ensemble de son
système nerveux :
imaginer les
mouvements
suffit à l’activer !
Une découverte
qui ouvre la
voie à des
applications dans
la rééducation et
les maladies liées
au vieillissement.
Une bobine électromagnétique
placée sur la tête du sujet va
stimuler la zone motrice du
cerveau. On enregistre (écran à
gauche) les signaux électriques qui
se produisent en surface du muscle.
C
☛Sidney
☛
Grosprêtre : unité 1093 Inserm –
Université de Bourgogne
18 ●
’est prouvé : se représenter mentalement un entraî- nerveux central – constitué du cerveau et de la moelle
nement physique, sans le réaliser, suffit à ­améliorer épinière – peut être activé sans pour autant qu’il y ait
ses performances musculaires en termes de force, contraction musculaire. « Mais le simple fait ­d’imaginer
de vitesse et de précision. Bien que cette méthode, un m
­ ouvement avec beaucoup de concentration ne
­nommée « imagerie motrice », soit connue depuis de ­remplace pas un vrai entraînement physique, puisque
nombreuses années, les mécanismes nerveux en jeu les muscles ne travaillent pas », admet-il.
ne sont pas encore bien identifiés. « Plusieurs études Néanmoins, ses résultats ouvrent la voie à de ­nombreuses
ont révélé que lorsque l’on imagine un mouvement et les applications thérapeutiques, à commencer par la réédu­
­sensations qui l’accompagnent, le cortex moteur est activé cation fonctionnelle. « On pense à la musculation mais
de la même manière que lorsqu’on l’effectue véritablement, on oublie souvent qu’une partie du système nerveux peut
explique Sidney Grosprêtre *, de l’unité Inserm se travailler sans utiliser beaucoup de force », précise
Cognition, action et plasticité sensorimotrice à Dijon. ­Sidney Grosprêtre. Or, quand une personne, victime
Mais, dans le premier cas, le muscle ne se contracte pas. » d’une fracture par exemple, est immobilisée, elle perd de
Quels sont précisément les mécanismes en jeu quand on la masse musculaire et de la force, mais pas seulement.
imagine un ­mouvement ? C’est
L’efficacité du système nerveux
ce qu’a tenté de comprendre ce “ Lorsqu’on imagine
s’amenuise s’il n’est pas entrespécialiste en physiologie durant un mouvement, le cortex moteur tenu régulièrement. Les sportifs
sa thèse.
de haut niveau pourraient, eux
est activé de la même façon
Pour y parvenir, le jeune que lorsqu’on l’effectue „
aussi, en tirer profit pour amé­chercheur a eu besoin de s­ imuler
liorer leurs performances lors
l’imagination du mouvement dans le c­ erveau de sujets d’une phase de récupération. Sans oublier les seniors
sains. Seule cette technique permet de retracer avec qui ont de grandes difficultés à faire des mouvements,
précision l’ensemble du trajet de l’influx nerveux, du voire une incapacité à les réaliser. « Bien que prometcerveau jusqu’au muscle. Concrètement, il a envoyé de teuse, l’imagerie motrice n’est pas magique et doit donc
faibles impulsions magnétiques, qui n’engendrent pas s’effectuer en complément d’une rééducation », souligne le
de contraction du muscle, dans le cortex moteur de chercheur. Lors de sa thèse, il a effectué d’autres expéri­
sujets sains. Puis, il a enregistré les réponses nerveuses mentations en demandant cette fois aux sujets d’imade la moelle épinière et du muscle. « Malgré ce que l’on giner seuls un mouvement. En observant par imagerie
pourrait croire, l’activité n’est pas stoppée au niveau du l’activité de leur cerveau et de leur moelle épinière, il
cerveau, mais va jusqu’à la moelle épinière », constate devrait p­ ouvoir confirmer ses premières conclusions.
Sidney Grosprêtre. Ainsi, l’ensemble du système Résultats à paraître prochainement… n Lise Loumé
● N° 19 ● mars - avril 2014
Cliniquement vôtre
➜
Régions impliquées
dans le langage
Cytomégalovirus
Plasticité cérébrale
Avec la musique, le cerveau
monte en gamme
☛Natacha
☛
Teissier : unité 1141 Inserm –
Université Paris Diderot-Paris 7, Neuroprotection
du cerveau en développement - PROTECT
N. Teissier et al. Journal of Neuropathology and
Experimental Neurology, février 2014 ; 73 (2) : 143-58
on remarque une
zone (*) dépourvue
de neurones et des
neurones (➤) en
dehors du cortex.
©©Natacha Teissier /U1141 Inserm
Le cytomégalovirus (CMV), quand il est transmis
par la mère, peut provoquer des lésions graves sur
le fœtus. Il cible notamment les cellules souches
de certaines zones profondes du cerveau (bulbe
olfactif, hippocampe et région périventriculaire).
C’est pour cela que le spectre des pathologies qui
en d
­ écoulent est très large. Natacha Teissier *,
chirurgien ORL à Paris, et ses collègues sont parvenus à ces conclusions en analysant ces zones chez
16 fœtus, suite à une interruption de grossesse après
un diagnostic d
­ ’infection
par le CMV. Les observations montrent que le
système immunitaire est
alors débordé et ne parvient pas à se débar­rasser
du virus, ce qui peut provoquer des a­nomalies
cérébrales. L’infection
congé­nitale par le CMV,
qui concerne 1 % des
grossesses, est d’ailleurs
la première cause de
Dans le cas de
polymicrogyrie
­retard mental et de surdité
causée par le CMV,
non génétique. B. S.
©©Hervé Platel/U1077 Inserm
L’infection cible
les cellules souches
Régions impliquées dans
le jugement émotionnel
Exemples de régions
cérébrales (en vert
et en violet) dont
la connectivité est
augmentée chez les
musiciens, grâce à la
présence de régions
« graines » ou le
volume de substance
grise est plus
important (en rouge).
La pratique musicale intensive modifie
l’état du cerveau au repos. Baptiste
Fauvel *, doctorant à Caen, a comparé
les IRM de cerveaux au repos de
non-musiciens et de musiciens. Pour ces
derniers, il a noté des connexions accrues
entre des zones du cerveau connues pour
être plus développées chez les musiciens
et plusieurs réseaux de neurones
impliqués dans des fonctions cognitives de haut
niveau, comme le traitement du langage,
la mémoire ou le jugement émotionnel. Résultat
cohérent selon les auteurs, puisque la musique
est codée comme un langage, son écoute est
souvent liée à des souvenirs et sa pratique,
à la retranscription d’émotions. B. S.
☛☛Baptiste Fauvel : unité 1077 Inserm/École pratique des hautes études – Université de Caen
Basse-Normandie, Neuropsychologie et neuroanatomie fonctionnelle de la mémoire humaine
B. Fauvel et al. NeuroImage, 10 janvier 2014 (en ligne)
doi : 10.1016/j.neuroimage.2013.12.065
Ménopause
Le traitement hormonal (encore) en question
À la ménopause, certaines femmes suivent des traitements hormonaux
pour compenser la diminution d’œstrogènes qui semble associée à de
nombreuses pathologies. Selon les analyses réalisées sur 295 femmes
de 65 ans au moins par Joanne Ryan *, épidémiologiste à Montpellier,
ces traitements n’ont pas d’effet bénéfique sur différents volumes
cérébraux (substances grise et blanche, hippocampe, etc.) qui peuvent
être altérés au cours du vieillissement et après la ménopause. En
revanche, les femmes qui possédent un certain type de récepteur des
œstrogènes (ESR1) présentent un risque accru de lésions de la substance
blanche pouvant être associées à des pathologies cérébrovasculaires ou
des troubles cognitifs. La causalité reste toutefois à établir. B. S.
☛Joanne
☛
Ryan : unité 1061 Inserm – Université Montpellier 1, Neuropsychiatrie : recherche épidémiologique et clinique
J. Ryan et al. Neurobiology of Aging, mars 2014 ; 35 : 645-54
©©Burger/Phanie
Cancer du sein et de l’utérus
Les étrangères passent à côté du dépistage
Le statut migratoire
a une influence
sur la fréquence
de dépistage des
cancers du sein et
du col de l’utérus.
C’est ce qui ressort
d’une enquête
menée par Claire
Rondet *, chef de
clinique à Paris, sur
1 819 femmes de la
région parisienne.
Ainsi, 26,3 % des
étrangères et
12,2 % des femmes
nées de parents
étrangers n’ont
jamais réalisé de
frottis de dépistage,
contre 6,6 % pour
les Françaises nées
de parents français.
Les différences
sont moins
flagrantes pour la
mammographie,
en raison, selon
les auteurs, de
la gratuité et de
la facilité d’accès
du test. Il devrait
en être de même,
préconisent les
chercheurs pour le
dépistage du cancer
du col de l’utérus.
L’annonce de sa
systématisation
dans le nouveau
Plan Cancer* va
dans leur sens. B. S.
* Voir « À la Une » p. 4
☛Claire
☛
Rondet : unité 1136 Inserm Université Pierre-et-Marie-Curie,
Épidémiologie, systèmes
d’information, modélisation
C. Rondet et al. Plos One,
22 janvier 2014 (en ligne)
doi:10.1371/journal.pone.0087046
mars - avril 2014 ● N° 19 ●
●
19
Cliniquement vôtre
➜
••
••
Inégalité face aux traitements
Les patients schizophrènes ne réagissent pas tous de la même manière
aux médicaments. Plusieurs profils ont ainsi été identifiés, ce qui devrait
permettre d’anticiper, de façon plus précoce, l’évolution clinique des malades
et d’adapter, si besoin est, les thérapeutiques médicamenteuses.
©©TIM BEDDOW/SPL/PHANIE
SchizophrEnie
L
LPsychose
Trouble psychiatrique
caractérisé par une perte
de contact avec la réalité
LPrévalence
Nombre de cas
enregistrés à un temps T
☛☛Clémentine Nordon : unité 669 Inserm/
Université Paris 11-Paris Sud – Université
Paris-Descartes
a schizophrénie est la plus répandue des alors posée était la suivante : à partir du moment où
­psychoses (L) chez l’adulte et touche environ 1 % les ­personnes reçoivent un diagnostic de schizophrénie,
de la population. Marquée par des délires, des quels vont être les modes évolutifs de ces patients dans les
hallu­cinations, une pensée désorganisée et un ­isolement ­premiers mois de leur traitement ? Vont-ils tous répondre
social, cette maladie chronique, souvent a­ ssociée, à tort, de la même façon ou, au contraire, ne pas répondre du
au dédoublement de personnalité, peut r­ apidement tout ? Peu d’études s’y sont intéressées surtout en situation
­devenir un handicap au quotidien. « En Grande-­ réelle de prescription », explique la chercheuse.
Bretagne par exemple, la prévalence (L) de prescrip­tions À partir de la cohorte ESPASS (voir encadré), ­Clémentine
de neuro­leptiques serait de l’ordre de 80 % chez les p­ atients Nordon s’est penchée sur le suivi, durant six mois, de
schizophrènes », affirme
­C lémentine Nordon *
de l’unité Inserm Troubles
Cohorte ESPASS : mesurer
du comportement alimentaire de l’adolescent, à Paris,
l’autonomie des schizophrènes
et spécialiste en recherche
Financée par les laboratoires Bristol-Myers Squibb et Otsuka
psychiatrique. Ces médiEurope, cette étude longitudinale observationnelle a été réalisée
caments, largement utilisés
afin d’évaluer l’évolution de l’autonomie sociale chez des patients
dans les cas de psychoses,
souffrant de schizophrénie, six mois après l’instauration ou le
sont, en effet, devenus LE
changement de traitement neuroleptique. Au total, 5 967 patients
ont été inclus. Parmi eux, 5 500 étaient déjà traités pour
traitement de ­référence de la
schizophrénie et 467 prenaient un traitement pour la première fois.
schizophrénie. « La q­ uestion
que nous nous sommes
Obésité abdominale
Les signes précurseurs
de pathologies associées
©©Houin/BSIP
Déceler rapidement les problèmes cardiaques liés à l’obésité abdominale,
c’est possible. Romain Eschalier *
et l’équipe du CIC-plurithématique de
Nancy ont montré que les personnes
asymptomatiques qui présentent une
obésité abdominale, tout en ne souffrant
d’aucune pathologie associée, subissent
précocement des modifications structurales et fonctionnelles au niveau du
cœur : augmentation de la masse du ventricule gauche, dysfonction diastolique et
signes de fibrose. Autant de signes avantcoureurs qui expliquent pourquoi ces patients sont plus susceptibles de dévelop-
20 ●
● N° 19 ● mars - avril 2014
per une insuffisance cardiaque et qui, une
fois décelés, peuvent permettre une prise
en charge anticipée. Par ailleurs, l’étude, qui
portait sur 140 sujets, révèle que, même si
ces personnes ne souffrent pas d’hypertension, leur pression artérielle est associée à
un risque de développer une insuffisance
cardiaque. Ainsi, les auteurs suggèrent que
les médicaments ciblant l’hypertension artérielle soient utilisés en prévention chez ces
patients. B. S.
☛Romain
☛
Eschalier : CIC-P 9501 Inserm/CHU de Nancy/Université de Lorraine,
centre d’investigation clinique Pierre-Drouin
R. Eschalier et al. Hypertension, 20 janvier 2014 (en ligne)
doi : 10.1161/HYPERTENSIONAHA.113.02419
Cliniquement vôtre
➜
467 patients traités pour la première
fois. L’analyse des données a mis en
évidence cinq profils de réponse
­clinique : « réponse rapide », « réponse
graduelle », patients « restant modérément malades », patients « restant
très malades » et « amélioration
Activité cérébrale
­clinique non durable ». En effet, « entre
d’un patient
­répondre et ne pas répondre du tout, il
schizophrène pendant
y a tout un éventail de possibilités »,
une hallucination
précise la chercheuse. L’amélioration
clinique observée à un mois serait, par
ailleurs, un facteur prédictif important
du devenir à six mois, indépendamment du niveau initial de
sévérité des symptômes. Un résultat appréciable qui permettrait
aux praticiens d’anticiper très tôt l’évolution clinique des patients
et d’adapter la prise en charge en conséquence. « S’il n’y a aucune
amélioration dès le début du traitement, il y a peu de chance qu’il
y en ait une au bout de 6 mois », confirme la spécialiste. Par
ailleurs, selon les conclusions de l’étude, un plus
faible niveau de sévérité de certains symptômes
Symptômes
dits négatifs (L) pourrait également constituer
négatifs
un facteur prédictif d’une meilleure réponse au
L’une des trois
traitement. De même, le fait d’avoir un emploi catégories de
serait associé à une réponse plus rapide chez les symptômes associés
patients sensibles au médicament.
à la schizophrénie.
Les premières années d’évolution de la ­maladie Ils se caractérisent
sont importantes en termes de pronostic. par une altération
des fonctions
Chaque rechute est suivie d’une détérioration cognitives complexes
de plus en plus importante de l’état de santé. et se traduisent
Les conclusions de cette étude pourraient, notamment par
ainsi, permettre d’augmenter les chances du l’atonie du patient,
manque de
patient traité pour la première fois de guérir un
motivation et un
d’un premier épisode de schizophrénie. n émoussement
Karl Pouillot affectif.
Ulcère digital
L
Produits d’entretien
et asthme ne font
pas bon ménage
Une étude réalisée par Orianne Dumas *, du Centre de recherche
en épidémiologie et santé des populations, indique que l’exposition à
des produits d’entretien et de désinfection sur le lieu de travail – pour le
personnel hospitalier par exemple – est associée à un asthme sévère ou mal
contrôlé et potentiellement non allergique. Des résultats qui confirment
l’effet délétère de ces produits. Toutefois, l’échantillon testé – 391 femmes
d’une cinquantaine d’années, dont 73 asthmatiques – est assez faible et
incite donc les auteurs à conclure prudemment. B. S.
☛Orianne
☛
Dumas : unité 1018 Inserm/Université Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines – Université Paris-Sud 11, équipe
Épidémiologie respiratoire et environnementale
O. Dumas et al. American Journal of Industrial Medicine, mars 2014 ; 57 (3) : 303-11
Un traitement local
pour dilater les vaisseaux
©©Voisin/PHANIE
Asthme
©©Jean-Luc Cracowski/ U1042 Inserm
Cas de sclérodermie systémique où le flux sanguin
de l’index s’élève (en rouge et jaune),
suite à une injection d’un
vasodilatateur,
tandis que
celui des
autres
doigts reste
faible
(en bleu).
Matthieu Roustit * et
Jean-Luc Cracowski *,
du centre d’Investigation
clinique de Grenoble,
viennent de mettre au point
un nouveau traitement
prometteur pour soigner
les ulcères des doigts, dus
à une vasoconstriction.
Cette pathologie peut
survenir dans certains cas
de phénomène de Raynaud,
un trouble de la circulation
sanguine, causés par une
sclérodermie (L).
Le traitement actuel
consiste à injecter un
vasodilatateur par
voie intraveineuse,
ce qui nécessite une
hospitalisation : un
traitement invasif, coûteux
et mal toléré. Par ailleurs,
LSclérodermie
Affection cutanée
entraînant un changement
d’aspect de la peau
LMicrodialyse
Technique permettant
de doser la concentration
dermique d’une substance
appliquée sur la peau
le succès n’est pas toujours
garanti car le médicament
peine à atteindre les doigts.
À l’inverse, le nouveau
traitement testé avec succès
sur 12 patients permet
la diffusion du produit à
travers la peau, à l’aide d’un
faible courant électrique.
Une méthode appelée
iontophorèse cathodale.
Grâce à une technique
récente, l’imagerie de
contraste par laser speckle,
qui permet d’observer la
diffusion d’une substance
sur une surface importante
de peau et avec une haute
fréquence d’images, les
chercheurs ont, en outre,
la possibilité de doser
directement le médicament
par microdialyse (L),
s’assurant ainsi de
l’efficacité de la méthode. Il
leur faut désormais la tester
à grande échelle. B. S.
☛☛Matthieu Roustit, Jean-Luc Cracowski :
unité 1042 Inserm – Université Joseph-Fourier,
Hypoxie et physiopathologies cardiovasculaire
et respiratoire, et CIC 1406 Inserm – Université
Joseph-Fourier
M. Roustit et al. Clinical Pharmacology & Therapeutics,
janvier 2014 (en ligne) doi : 10.1038/clpt.2013.255
M. Roustit, J.-L. Cracowski. Trends in Pharmacological
Sciences, juillet 2013 ; 34 (7) : 373-84
mars - avril 2014 ● N° 19 ●
●
21
Grand Angle • Médecine générale • Entreprendre • Opinions • Stratégies • Bloc-Notes
• à la une • découvertes • Têtes chercheuses • regards sur le monde • Cliniquement vôtre ➜
Jeux vidéo,
jeux d'argent,
sexe,
travail…
Des addictions
comme les autres ?
22 ●
● N° 19 ● mars - avril 2014
grand angle
Surfer sur Internet, jouer au ­casino
ou à World of Warcraft, tout
simplement s’adonner au sexe ou
travailler comme un fou... Des
activités parfaitement licites. Mais
qui peuvent avoir un retentissement
néfaste sur notre vie sociale si nous
les pratiquons avec excès. Un usage immodéré est-il
pour autant synonyme ­d’addiction ? Une prise en charge
des « drogués 2.0 » est-elle toujours possible ou même
souhaitable ? Sommes-nous tous addicts à un niveau
ou à un autre ? Des questions que se pose aujourd’hui
notre société, face notamment à l’essor des nouvelles
technologies liées à Internet. Cliniciens, chercheurs et
épidémiologistes tentent d’apporter des réponses.
mars - avril 2014 ● N° 19 ●
●
23
© Urban Jörén / Bildhuset / SCANPIX/AFP
➜
Grand Angle
➜
«M
LEscapad Enquête sur la santé et
les consommations lors
de l’appel de préparation à
la défense, régulièrement
réalisée par l’OFDT à
l’aide de questionnaires
distribués aux jeunes
de 17 ans lors de leur
journée Défense
et citoyenneté
www.ofdt.fr
☛☛Marc Valleur : psychiatre et médecin
chef de l’hôpital Marmottan, responsable
du groupe de parole « Entourage des
joueurs de jeux vidéo » et membre de
l’Autorité de régulation des jeux en ligne
(ARJEL)
M.-L. Tovar et al. Les jeux d’argent et de
hasard sur Internet en France en 2012.
Tendances n° 5, OFDT, juin 2013, 6 p. J.-M. Costes et al. Les niveaux et
pratiques des jeux de hasard et d’argent
en 2010. Tendances n° 77, OFDT,
septembre 2011, 8 p. L. M. Koran, et al. Am J Psychiatry,
1er octobre 2006 ; 163 : 1806-12
doi:10.1176/appi.ajp.163.10.1806
Council on Science and Public
Health. Emotional and Behavioral Effects
of Video Games and Internet Overuse
(report), 12 août 2007, Action of the AMA
House of Delegates
24 ●
©©Pierre HAVRENNE/PACHACAMAC-REA
8
on fils passe tout son temps sur sa console, je me dire que le sexe était le contraire de l’addiction, car cette
demande s’il n’est pas accro... » Cette phrase, ­dernière était réservée à ceux qui n’avaient pas accès à
maintes fois formulée, a fini par ériger en vérité ces merveilleux plaisirs que sont la séduction et le sexe »,
populaire le concept d’addiction aux jeux vidéo. Les poursuit Marc Valleur. Si l’impression d’addiction se
loisirs numériques ne sont d’ailleurs pas les seuls à être fait sentir aujourd’hui, c’est justement parce q­ u’Internet
suspectés de provoquer des comportements addictifs. fait de la sexualité un plaisir marchand comme un
Y a-t-il un toxicomane en chacun de nous ? « La drogue autre. La consultation de Marmottan est ainsi passée
de ma copine, c’est le shopping », « Mon mari est un obsédé de 26 ­patients suivis en 2008 pour cyber-addiction
sexuel ! » Au-delà des interrogations d’une société aux sexuelle, à 102 en 2012. Dans ce service, les addictions
prises avec ses mutations, la question des addictions sans sans drogue représentent 15 à 20 % de la patientèle,
substance est un sujet épineux où cliniciens, épidémio- dont 200 à 250 joueurs pathologiques de jeux d’argent
logistes, ­chercheurs et même parlementaires se piquent par an et une quarantaine d’adeptes du jeu en réseau.
régulièrement les doigts. La question de la dépendance
aux jeux vidéo est devenue un sujet qui passionne les Internet, un dealer ?
foules malgré le manque de preuve de son existence.
S’il semble douteux de parler d’addiction à Internet Selon l’expertise collective de l’Inserm annoncée en nous y reviendrons -, la Toile joue néanmoins un rôle
février dernier, qui s’appuie notamment sur les ­enquêtes décisif dans l’émergence de comportements problémaEscapad (L) 2008 et 2011, 5 % des jeunes de 17 ans tiques. Dans le cas du cybersexe, la mise à disposition
­joueraient aux jeux vidéo entre cinq et dix heures immédiate d’une grande quantité de contenus porno­
par jour. De plus, en raison du temps passé devant graphiques fait que « les marchands s’adressent directeles écrans, 23 % d’entre eux disent avoir ­rencontré, ment aux pulsions en court-circuitant l’imaginaire, les
au cours de ­l’année écoulée, un problème avec leurs désirs et les fantasmes », note Marc Valleur. Comme c’est
­parents, 5 % avec leurs amis et 26 % à l’école ou au un plaisir immédiat qui ne passe pas par l’élaboration
­travail. Toutefois, Marc Valleur *, psychiatre de d’un contenu fantasmagorique, certains sont tentés
l’hôpital ­Marmottan à Paris, relativise : « L’addiction aux d’« augmenter les doses » pour amplifier les sensations.
jeux vidéo est très ­minoritaire par rapport à une pratique De leur côté, l’achat compulsif et l’addiction aux jeux
en train de ­devenir le loisir majoritaire de la société. » ­d’argent bénéficient largement du rôle facilitateur du Web.
Ancien directeur de l’Observatoire
En parallèle, 3 à 5 % des adolescents pourraient
français des drogues et des toxicoprésenter un usage problématique d’Internet “ On s’adresse
manies (OFTD), ­Jean-­Michel Costes
selon le rapport de l’Inserm. La consommation
directement
fait partie des huit ­personnalités
pathologique de pornographie sur la Toile serait
d’ailleurs en plein « boum », de même que celle aux pulsions en qualifiées rassemblées au sein de
de relations sexuelles tarifées. « Dans un discours court-circuitant ­l’Observatoire des jeux mis en
place par le ministère des Finances
psychanalytique classique, on avait tendance à l’imaginaire „
en 2010, suite à l’ouverture des paris
sportifs et hippiques et du poker en
ligne. En 2010, il avait mené une
vaste enquête sur les jeux de h­ asard
et d’argent. Dans la popu­lation
générale, 0,9 % des Français de 18
à 75 ans étaient des joueurs pathologiques, soit 200 000 personnes, et
1,9 %, des joueurs à risque modéré,
soit 400 000 individus, tous types de
jeux confondus. « Mais lorsque l’on
ne considère que les joueurs en ligne,
on obtient des chiffres bien supérieurs,
­affirme-t-il, puisque l’on a 6,6 % de
joueurs pathologiques et 10,4 % de
joueurs à risque. Et c’est ­encore pire
sur les sites illégaux de jeux d’argent,
où la proportion de joueurs pathologiques est de l’ordre de 50 %. » Comme
pour la pornographie, le Net exerce
Internet fait de la
une action facilitatrice en rendant le
sexualité un plaisir
jeu d’argent plus accessible. « C’est
marchand comme
une question de dispo­nibilité. Ceux
un autre.
qui pratiquent les machines à sous
● N° 19 ● mars - avril 2014
Grand Angle
sont souvent des joueurs
occasionnels. Cela ne veut
pas dire que l’on a moins
de risque d’être a­ ddict,
mais simplement que, si
on ­laissait des machines à
sous en libre service chez
les bura­listes, nous ­aurions
beaucoup plus de ­problèmes
de ­dépendance », ajoute
Jean-Michel Costes.
Face à ces comportements
problématiques, une question taraude les clini­ciens
et les neuro­biologistes :
s’ag it-i l ré el lement
­d’addictions ? « J’ai un peu
peur que l’on banalise cette
notion », nuance Michel
­Lejoyeux *. Pour ce
chef du département de
Psychiatrie et d’addictologie des hôpitaux BichatBeaujon, à Paris, « il n’y a
Les machines à sous n'étant
pas de mort dans l’addicdisponibles que dans certains
tion aux jeux vidéo ou à
lieux, ici un casino, les
joueurs restent occasionnels.
Internet, alors que c’est le
cas avec les a­ ddictions au
tabac. Il ne faut pas tout
mettre au même niveau : si l’on c­ onsidère que tout est Une définition en 11 critères
Fédération
­addiction, on court le risque de ne plus rien c­ onsidérer
addiction
comme une dépendance et de continuer à avoir une Elle est cliniquement définie par la classification du
Réseau qui fédère
­mortalité considérable sous l’effet du tabac et de ­l’alcool. » DSM-5 (L). Un patient est considéré comme v­ ictime les structures et les
Le doute est encore plus grand avec des activités socia- d’une addiction quand il présente, pendant une p­ ériode professionnels de
lement validées comme le sport ou le travail. Comment d'au moins un an, deux des 11 critères recensés (voir­ l’addictologie et assure
faire la part, en effet, entre un « ­Workaholic », un ergo- ­encadré p. 26). Parmi eux, on retrouve la perte de contrôle, des missions de formation
de constitution de
mane en français, et un simple bourreau de ­travail ? le fait que la consommation devient telle qu’elle empêche et
réseaux régionaux.
Ces derniers ne risquent pas autant la désocia­lisation la poursuite d’une activité scolaire ou professionnelle, ou
ou la précarisation que les addicts au
encore la poursuite de la consommation
crack ou aux jeux d’argent, il s’agit même “ C’est la relation
malgré la prise de conscience de troubles
DSM-5
de personnes dont la réussite sociale est
sociaux. Un nouveau critère est récem- Cinquième version du
de contrainte à un ment ­apparu, le craving, habituellement Manuel diagnostique et
« boostée » par les 60 heures de travail
hebdomadaires consenties au détri- produit qui signe
associé à la prise de cocaïne, qui renvoie statistique des troubles
(2013), classifie
ment de leur vie de famille. « ­L'addiction l’addiction „
à une envie irrépressible. « Ce n’est pas la mentaux
et catégorise des critères
n'est pas une maladie tant que l'on n’a
dépendance physique qui signe ­l’addiction, diagnostiques et des
pas posé un diagnostic qui repose sur le fait que les confirme Michel Lejoyeux, mais bien la relation de recherches statistiques
­critères diagnostiques présents sont à l’origine soit d’une contrainte à un produit. » Par exemple, un patient qui de troubles mentaux
souffrance personnelle et d’une plainte du sujet, soit doit prendre de la morphine pour calmer des d­ ouleurs spécifiques.
d'une altération importante de son fonctionnement chroniques est physiquement dépendant, mais il n’est pas
social dans la vie ­quotidienne », insiste le psychiatre toxicomane pour autant.
­Jean-Michel ­Delile *, vice-président de la Fédération Cette définition clinique officielle étant posée, peut-on ☛☛Michel Lejoyeux : unité 1123 Inserm –
Université Paris-Diderot–Paris 7, Épidémiologie
­addiction (L). Encore faut-il que son comportement l’appliquer aux troubles liés à l’usage du jeu d’argent, à
clinique et évaluation économique appliquées
soit socialement considéré comme un trouble, ce qui ­Internet, aux achats compulsifs, au sexe… ? Actuellement,
aux populations vulnérables (ECEVE)
est rarement le cas des gens qui t­ ravaillent de manière seuls les troubles associés aux jeux d’argent sont inscrits ☛☛Jean-Michel Delile : psychiatre
au CEID de Bordeaux, vice-président de la
déraisonnable. Dans ce cas, c'est souvent l'entourage dans le DSM-5 (avec 9 ­critères diagnostiques, 4 au moins
Fédération addiction et coordinateur régional
Aquitaine TREND (Tendances récentes
familial qui va tirer la sonnette d'alarme plus que le étant nécessaires pour pouvoir porter le d­ iagnostic). Ce
et nouvelles drogues) de l'OFDT, membre
milieu professionnel ou le sujet lui-même. Alors, quand type de dépendance c­ omporte, en effet, toutes les caracde la Commission consultative nationale
des stupéfiants et psychotropes (ANSM)
peut-on v­ raiment parler d’addiction ?
téristiques des ­addictions ­« ­classiques », avec, en 
L
L
mars - avril 2014 ● N° 19 ●
●
25
©©Bildagentur/SPL /PHANIE
➜
Grand Angle
➜
Addiction :
une définition internationale
Dans la cinquième édition du Manuel diagnostique et statistique des
troubles mentaux (DSM-5), un patient est considéré comme dépendant
quand il présente au minimum deux de ces 11 critères pendant
au moins un an :
• Incapacité de remplir des obligations importantes
• Usage même lorsqu'il y a un risque physique
• Problèmes interpersonnels ou sociaux
• Augmentation de la tolérance au produit addictif
• Présence d’un syndrome de sevrage, c’est-à-dire de l’ensemble des
symptômes provoqués par l’arrêt brutal de la consommation • Perte de contrôle sur la quantité et le temps dédié à la prise
de substance
• Désir ou efforts persistants pour diminuer les doses ou l’activité
• Beaucoup de temps consacré à la recherche de substances
• Activités réduites au profit de la consommation
• Poursuite de la consommation malgré les dégâts physiques
ou psychologiques
• Le craving, nouveauté introduite par le DSM-5, qui peut se traduire
par un « besoin impérieux et irrépressible ».
L’arrivée des jeux
compétitifs en ligne a
changé le comportement
des joueurs.
prime, un processus t­ypique : le fait de ­retourner
jouer pour se « refaire » après une grosse perte. Mais pour
les autres, il n’y a guère de c­ onsensus. Si Marc Valleur
considère l’addiction sexuelle comme un vrai trouble,
Michel Lejoyeux est plus dubitatif : « La ­question de pornographie pour o­ ublier une vie sexuelle défaillante.
­l’addiction à la sexualité est très complexe. Il y a des notions Une épouse ­d’industrielle insatisfaite se découvrait des
de perversité et parfois de délit qui s’ajoutent. On ne va pas ­envies i­nsatiables à 48 ans. Dans tous les cas, les témoitout expliquer par l’addiction. » Pourtant les témoignages, gnages insistaient sur le « manque à combler » et sur le
comme ceux rapportés dans le livre Les sex addicts, de fait que la ­pratique sexuelle assidue n’est apparue comme
la journaliste Florence Sandis et du psychanalyste Jean- problé­matique que lorsque les menaces sur la vie de couple
Benoît Dumonteix, insistent sur la relation contrainte au ou le ­dégoût de soi-même sont devenus trop importants.
sexe et à la pornographie. L’une des p­ ersonnes décrites « J’ai longtemps pensé que l’addiction sexuelle n’existait pas,
jouait le rôle de rabatteur pour des hommes politiques, avoue le psychiatre et addictologue Philippe Batel *.
il était pris « dans une spirale sans fin »
Mais j’ai ­découvert, chez des patients qui
dans laquelle il n’avait jamais le « temps “ La question
venaient me voir pour une dépendance
de reprendre son souffle ». Un autre de l'addiction au sexe à des p­ roduits, comme l­’ecstasy, qui
faisait une consommation effrénée de est très complexe „
augmentent fortement le désir sexuel,
➜
Les
sex addicts :
quand le sexe
devient une drogue dure
Florence Sandis et
Jean-Benoît Dumontex,
Hors Collection, mai 2012,
272 p., 19,50 €
☛Philippe
☛
Batel : Unité de traitement
ambulatoire des malades alcooliques
(UTAMA), hôpital Beaujon, Paris
Les auteurs du DSM-5
ont classé l’addiction
au sexe du côté de
l’hypersexualité.
26 ●
● N° 19 ● mars - avril 2014
©©Martilla /LEHTIKUVA OY/SIPA

Grand Angle
➜
©©Lehtikuva/VESA MOILANEN /AFP PHOTO
des ­addictions au sexe, “ Peut-on retarder
certes induites mais qui
les premiers usages
persistaient ensuite. »
Philippe Batel voit désor- du jeu vidéo comme
mais aussi des patients l’usage du tabac ? „
pour des dépendances
sexuelles pures. « Le problème est que, d’une part, la société
a du mal à comprendre que des gens puissent se plaindre
de trop faire l’amour et que, d’autre part, elle y attache
des notions de morale autour de la p­ erversion. » Dans
ce contexte, percevoir l’addiction au sexe n’est évidente
ni pour le patient, ni pour le médecin. Les auteurs du
DSM-5 ne s’y sont d’ailleurs pas risqués et, plutôt que de
reconnaître l’existence d’une addiction au sexe, ils « ont
botté en touche en classant ces comportements du côté de
l’hypersexualité », note Philippe Batel.
Le jeu vidéo, plus une « béquille »
qu’une drogue
La preuve de l’existence de la dépendance aux jeux vidéo
n’est pas moins difficile à établir que celle de la dépendance au sexe. Pour l’addictologue Olivier Phan *,
responsable de la consultation Jeunes consommateurs
du Centre Pierre-Nicole, « si on met la surconsommation de jeux vidéo au même plan que les addictions aux
­drogues classiques, on arrive à des impossibilités. Peut-on
retarder les premiers usages du jeu vidéo comme on 
☛Olivier
☛
Phan : unité 669 Inserm/
Université Paris 11-Paris Sud – Université
Paris-Descartes, Trouble du comportement
alimentaire de l’adolescent, Maison de
Solenn, Croix Rouge française, Clinique Dupré,
Fondation Santé des étudiants de France
À 20 ans, Raymond est un mid laner
à League of Legends (Lol), un jeu
multijoueur dans lequel deux équipes
s’affrontent pour détruire la base
adverse. Membre de la ligue platine,
certains le rémunèrent pour qu’il joue
sur leurs comptes afin d’améliorer
leurs statistiques. Certains jours, ce
petit commerce lui rapporte jusqu’à
60 euros, soit une bonne raison de
garder le rythme : 30 heures par
semaine. Il ne se considère pas
comme dépendant aux jeux vidéo. Il ne
ressent pas de phénomène physique,
de craving ou de sevrage lorsqu’il n’a
pas joué. Il admet cependant que ses
parents s’inquiètent du temps passé
dans les cybercafés. C’est un jeune
homme intelligent qui ne se berce pas
d’illusions. « Je ne pense pas devenir
un joueur professionnel. Cela représente
beaucoup trop de travail et de stress pour
des gains minimes. » Contrairement
à d’autres patients suivis par Olivier
Phan au Centre Pierre-Nicole à Paris,
il fait la part des choses. Depuis sa
seconde, il consulte avec sa famille.
« J’avais beaucoup de mal à me
concentrer et à
travailler, mais
pas à cause du
jeu, je ne jouais
pas énormément
à l’époque.
Cette année, j’ai
commencé des
études de droit,
mais je suis en train
d’arrêter, car ça ne
m’intéresse pas. »
League of Legends, une arène de bataille en ligne multijoueur,
Pour Raymond,
est l’un des jeux les plus joués au monde en 2013.
l’arrêt de toutes
eux s’est amélioré, mais le blocage
les études entreprises - il avait déjà
dans les études persiste. « La thérapie
abandonné une première année en
école de commerce - est un choix. Pour aide mes parents à s’inquiéter un peu
moins et à se poser des questions plus
son thérapeute, les choses sont plus
pertinentes à mon sujet », confirme
complexes, « il essaie de contrôler les
Raymond. Le jeu vidéo est pour lui,
choses. Cependant, je crois qu’il y a un
comme pour beaucoup de jeunes
véritable blocage dans la vie réelle, une
qui viennent consulter, une béquille
paralysie dès qu’il est parmi d’autres
indispensable pour supporter le monde
étudiants. Avec le jeu, au contraire, tout
extérieur. « En s’attaquant directement à
blocage disparaît, comme si les relations
celle-ci, les parents se montrent contrevirtuelles étaient moins paralysantes… »
productifs, car en réalité, devant leur
En plusieurs années de thérapie, à
écran, c’est le seul endroit où ces jeunes
raison d’une séance par semaine
se sentent bien », conclut Olivier Phan.
avec ses parents, le dialogue entre
mars - avril 2014 ● N° 19 ●
●
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©©2013 riot games Inc./dr
Quand le jeu vidéo devient un refuge
Grand Angle
Les jeux vidéo
sont de plus en
plus attractifs.
On peut les
découvrir dans
les salons
internationaux
qui leur sont
consacrés.
LPhobie sociale
Se caractérise par
une importante anxiété
causée par la crainte
de s’exposer à une
interaction avec
d’autres individus.
A. Weinstein, M. Lejoyeux. The Americain
Journal on Addictions, 13 septembre 2013 ;
doi: 10.1111/j.1521-0391.2013.12110.x
C. Lanteri et al. Neuropsychopharmacology,
2008, 33, 1724–34 ; doi:10.1038/
sj.npp.1301548; (en ligne 5 septembre 2007)
C. Lanteri et al. J Neurosci,
28 janvier 2009 ; 29 (4) : 987-97 ;
doi: 10.1523/JNEUROSCI.3315-08.2009.
28 ●
pairs et d’une illusion de “ Quand un
contrôle absolu. Selon un adolescent passe
rapport commandé par
l’Association médicale des jours et des
­américaine, jusqu’à 15 % nuits devant son
des jeunes américains au- écran, il faut faire
raient une pratique exces- une évaluation
sive du jeu vidéo, mais les psychiatrique „
auteurs se gardent bien de
les qualifier de dépendants.
D’autres addictions ont par ailleurs une existence plus
théorique qu’avérée. « Tant que personne n’est venu me
consulter, je ne peux pas dire qu’un type d’addiction est
une réalité, estime Marc Valleur qui cite l’exemple de
la télévision. Cela fait quarante ans que nous avons
ouvert une consultation qui lui est dédiée, et seulement
trois personnes sont venues nous voir pour une dépendance aux programmes télévisés. Il s’agissait de gens qui
­téléchargeaient des séries et qui ne pouvaient pas s­ ’arrêter
tant qu’ils n’avaient pas tout vu ! » Là encore le rôle
facilitateur d’Internet est mis en avant, et le très petit
nombre de cas interdit de conclure à l’existence d’une
dépendance à la télévision.
retarde le premier usage du tabac ? ­Comment quanti­
fier l’usage non problé­matique ? » Pour ce ­spécialiste,
qui ­reçoit de nombreux adolescents ­accompagnés Le point de vue de la neurobiologie
de ­parents inquiets, il y a derrière chaque ­prétendu Puisque la clinique ne peut pas encore dessiner la ­frontière
« ­addict », un jeune qui refuse de se confronter à ses entre l’addiction et la manie, peut-on trouver la réponse du
peurs. Si les jeux ne sont pas des « drogues » en soi, la côté de la neurobiologie ? En ­septembre dernier, la métamanière dont ils sont conçus depuis quelques années les analyse, menée par Michel Lejoyeux et le psychologue
a rendus plus attractifs encore. « Cela fait trente ans que israélien Aviv Weinstein, spécialiste de la dépendance,
le jeu vidéo existe, mais seulement quatre ou cinq ans que montrait des modifications dans le fonctionnement du
l’on voit a­ rriver des jeunes qui passent vraiment b­ eaucoup circuit de la récompense chez les patients incapables de
de temps à jouer. Depuis que les jeux en ligne compé- ­contrôler leur consommation de jeux vidéo et d­ ’Internet.
titifs sont arrivés. » Un jeu de combat qui rassemble Celui-ci représente les mécanismes cérébraux qui règlent
plusieurs joueurs devant un même écran se révélera, ­l’intensité de la motivation en fonction de la récompense
en effet, moins « dangereux » qu’un jeu de s­ tratégie perçue (nourriture, argent, drogue...). Les ­chercheurs
auquel ­chacun joue depuis chez lui, seul derrière son constataient notamment une altération de la taille du
ordinateur. Le temps passé à jouer n’est en revanche striatum ventral et une forte augmentation de l’activité des
pas un indicateur. « Je me souviens d’un é­ tudiant qui neurones dopaminergiques dont le rôle est, entre autres,
jouait sept heures par jour à World of ­Warcraft, mais qui de nous pousser à réagir davantage face à une source de
avait 16 partout parce qu’il était extrêmement brillant. » motivation. Des effets similaires sont observés chez les
Comme pour l’addiction sexuelle, cette frénésie de jeux patients alcooliques ou toxicomanes. « Nous avons ­montré
vidéo peut cacher autre chose. « Quand un adolescent que, confronté à la stimulation qui provoque le plaisir, le
passe des jours et des nuits d’affilée devant son écran, il ­cerveau du dépendant au jeu va s’exciter plus, analyse
faut faire une évaluation psychiatrique et on peut tomber Michel Lejoyeux. Les modifications révèlent qu’il se met à
sur une ­phobie sociale (L) sévère non encore répérée », dysfonctionner lorsque qu’il est en présence d’un jeu vidéo. »
confirme Jean-Michel
­Delile. Il est également
possible qu’un joueur
­abusif ­recherche avant
tout à fuir une ­situation
difficile (conflit familial, échec ­personnel…)
dans une pratique où
il ­b énéficie d'une distraction par ­rapport à
ses difficultés, d’une
Dans ce cerveau, les zones, en jaune, sont activées lorsque le joueur
­reconnaissance par ses
gagne de l’argent.

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©©Stefano Palminteri/Inserm
©©Juergen Schwarz/Getty Images/AFP
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Grand Angle
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Le circuit de la récompense occupe un
rôle central dans la mise en place et le
maintien d’une addiction. Pour savoir
quelle réaction adopter vis-à-vis d'une
récompense perçue, qu'il s'agisse
d'un verre d'alcool ou d'une partie de
poker, notre cerveau s’appuie sur les
informations sensorielles qui transitent
par le tronc cérébral puis les aires
associatives, de l’arrière vers l’avant,
pour aboutir au noyau accumbens.
L’action de cette région dicte des
sorties comportementales, comme la
sensation de plaisir ou de peur, mais
aussi, l’accoutumance et la sensation de
dépendance. Le circuit de la récompense
Ces résultats valident l’idée qu’il s’agit d’un trouble avec une
véritable identité neurobiologique qui ressemble étrangement à celle de l’addiction telle que décrite dans le DSM,
« mais je ne voudrais pas que l’on fasse un amalgame pour
autant », insiste Michel Lejoyeux.
Pendant très longtemps, les spécialistes ont, par ailleurs,
envisagé l’addiction comme uniquement causée par un
est régulé par l’activité des neurones
dopaminergiques (en vert) qui activent
les sorties comportementales et les
neurones sérotoninergiques (en bleu)
et noradrénergiques (en rose) qui,
eux, régulent la remontée des entrées
sensorielles. Le dysfonctionnement de ces
trois systèmes peut générer l'addiction.
dysfonctionnement de l’activité des neurones dopaminergiques impliqués dans la motivation et la modulation
de notre réponse à l’environnement (voir infographie).
Une explication qui ne satisfait pas le neuro­biologiste
Jean-Pol Tassin * pour qui « la modification induite
par les drogues sur la d­ opamine n’est pas un mécanisme
pérenne et n’explique pas à elle seule les changements 
☛☛Jean-Pol Tassin : UMR 952 Inserm/CNRS
7224/Université Pierre-et-Marie-Curie,
Paris 6 équipe Physiopathologie de la
dépendance et de la rechute
J.-P. Tassin. Biochemical Pharmacology,
1er janvier 2008, 75 (1) : 85–97
mars - avril 2014 ● N° 19 ●
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©©infographie : frédérique koulikoff/inserm, FOTOLIA
Désir, récompense, addiction...
un enchevêtrement complexe de circuits de régulation
Grand Angle
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30 ●
● N° 19 ● mars - avril 2014
Les joueurs
pathologiques
présentent
un déficit de
motivation et
d’activité cérébrale
(en jaune) au sein
du système de
récompense
lorsqu’ils sont
face à des
récompenses
autres que
monétaires.
Sescousse
☛☛Guillaume Sescousse : post doctorant
senior, Donders Institute for Brain,
Cognition and Behaviour, Nijmegen,
Pays-Bas
G. Sescousse et al. Brain, août 2013 ;
136 (Pt 8) : 2527-38 ; doi: 10.1093/brain/
awt126 (en ligne 11 juin 2013)
G. Sescousse et al. J Neurosci,
29 septembre 2010 ; 30 (39) : 13095-104 ;
doi: 10.1523/JNEUROSCI.3501-10.2010
Ce tableau s’applique-t-il aux addictions sans drogue ?
Pour Jean-Pol Tassin, le jeu d’argent ou les jeux vidéo ne
sont pas assez puissants pour provoquer un tel découplage. « Le stress lié au jeu pourrait cependant activer de
façon symétrique les systèmes noradrénergique et séroto­
ninergique et soulager le joueur qui souffrirait d’autres
addictions. » Cette explication serait cohérente avec les
résultats de la méta-analyse menée par Michel Lejoyeux,
et avec les résultats de l’étude de l’OFTD de 2010 selon
laquelle deux tiers des joueurs excessifs fument, soit le
double de la population générale. La moitié d’entre eux
présente aussi une consommation problématique d’alcool
et un quart développe une alcoolodépendance, ce qui est
très largement supérieur aux 3 à 4 % que l’on retrouve
dans la population française. Philippe Batel fait le même
constat pour la dépendance sexuelle. Selon une étude en
cours sur 800 patients alcoolodépendants, 13 % d’entre
eux souffriraient également d’addiction sexuelle.
Mais certains mécanismes neurobiologiques pourraient
être très spécifiques à l’addiction aux jeux d’argent,
comme la distorsion de la perception des probabilités,
sur laquelle ont travaillé Guillaume Sescousse * et
ses collègues du Centre des neurosciences cognitives
à Bron, dans la banlieue de Lyon. Ils sont partis d’un
Guillaume
Perdre la notion des probabilités
résultat ­décrit par la théorie des perspectives élaborée
par le Prix Nobel Daniel Kahneman et son collègue
Amos Tversy. Ces deux psychologues avaient modélisé
le comportement de la population générale qui consiste
à surestimer les faibles probabilités et à sous-­estimer les
fortes probabilités. « Notre perception des probabilités, au
lieu d’être linéaire, suit une sorte de courbe en S inversée »,
raconte Guillaume Sescousse. Dans leur expérience,
les chercheurs de Bron demandaient aux patients :
« Vous préférez obtenir de façon certaine 10 euros tout
de suite, ou bien avoir une chance sur deux de gagner
20 euros ? » Lorsqu’ils choisissaient la somme d’argent
certaine, les expérimentateurs abaissaient la somme à
5 euros. Si, ensuite, ils choisissaient le pari, la somme
était r­ emontée à 7,5 euros. Au bout de cinq ou six choix,
les chercheurs parvenaient à une situation d’indifférence
subjective où le participant hésitait entre l’issue risquée
et l’issue c­ ertaine. L’expérience était ensuite r­ épétée avec
©
 de compor­tement qui
perdurent sur un très long
terme », ­explique-t-il. En
2002, son équipe a mené
de nombreux ­travaux sur
les neurones noradré­
nergiques et sérotoninergiques qui n’agissent
pas sur nos réactions (les
sorties comportementales) comme les n
­ eurones
dopaminergiques, mais
en amont, sur les ­entrées
s ensorielles. Ils ont
­
­démontré que, chez une
souris privée de récepteurs à la ­noradrénaline,
la dopamine n’est plus
­activée. « La noradrénaline
augmente la réaction vis-àvis d’un élément n­ ouveau
et la sérotonine protège le
­système nerveux central
des émotions trop fortes
(voir infographie p. 29).
Pour J­ ean-Pol Tassin, « la dopamine ne peut pas faire son
travail s’il n’y a pas de sérotonine et de noradrénaline. Chez
la souris, la drogue conduit à un découplage entre ces deux
systèmes alors qu’ils doivent fonctionner ensemble en temps
­normal. » Les toxicomanes sont donc submergés par leurs
émotions jusqu’à ce que la prise de drogue synchronise à
nouveau ces deux systèmes.
Grand Angle
➜
©©Sophie Brandstrom/Lookatsciences
Lorsqu’un jeu de
roulette apparaît sur
un écran, le joueur
volontaire, placé dans
un caisson d’IRMf, doit
parier sur la couleur
qui va sortir.
Son activité cérébrale
va être enregistrée
pendant 4 heures et
étudiée par Guillaume
Sescousse (à droite).
n’a pas de valeur intrinsèque, c’est ce
diffé­rentes chances de gains telles que “ Le stress lié au
que l’on peut acheter avec, sa valeur
25 %, 75 % ou 10 %, ce qui p­ ermettait
subjective, qui en fait une gratification.
de tracer une ­fonction de proba­bilité jeu pourrait activer
Les récompenses primaires activent
­subjective. Résultat : les données des symétriquement
joueurs ­pathologiques ­présentaient une les systèmes
une région ­phylogénéti­quement (L)
courbe en S inversée comme les autres, noradrénanergique
plus ancienne que celle activée par
mais nettement d
­ éplacée vers le haut, et sérotoninergique „ l’argent. Chez les joueurs problémasignifiant que les joueurs font preuve
tiques, la présentation d’images en
d'une forme d’optimisme quelles que soient les chances rapport avec l’argent provoque une a­ ctivation de cette
de gains. La m
­ éthodologie e­ mployée lors de cette expé- « aire des gratifications primaires » en plus d’activer celle
rience fait désormais partie des tests utilisés pour repérer des récompenses secondaires. « C’est un peu comme si
les sujets présentant une forte impulsivité. Selon Jean-­ l’argent leur apportait un plaisir déconnecté du fait que
Michel D
­ elile, cette distorsion de la perception des proba­ ce n’est qu’un outil qui donne accès à d’autres récompenses
bilités « explique aussi la forte prévalence de ces troubles primaires », analyse Guillaume Sescousse. Si cette
du contrôle de l’impulsion au moment de l’adolescence où ­théorie est exacte, cela voudrait dire que les « accros »
la maturation du cortex préfrontal n’est précisément pas aux jeux d’argent considèrent le gain comme étant aussi
encore arrivée à son terme ».
vital que la nourriture ou la boisson. Cela s­ ignifierait-il
Les joueurs invétérés perdent donc la notion des proba­ que l’on a découvert une explication aux addictions
bilités. Mais perdent-ils aussi celle de la h­ iérarchie entre compor­tementales et peut-être même une piste de
les gratifications ? C’est une autre voie explorée par les ­traitement ? Non, car, outre le fait que cette expérience
chercheurs du Centre de Bron, dont des études d’imagerie doit être confirmée, les troubles liés à la pratique de
par résonance magnétique ­fonctionnelle (L) ont montré jeux d’argent sont des maladies multi­factorielles, avec
une confusion entre les aires du cerveau associées aux des origines bien plus complexes. Une telle découverte
­récompenses primaires et secondaires situées au sein du fournirait cependant des approches supplémentaires
cortex orbitofrontal. Localisée en avant de l’encéphale, pour mener des thérapies fondées sur la parole, visant
juste derrière les arcades sourcilières, cette région inter- à remettre l’argent à sa place parmi les préoccupations
vient dans l'évaluation s­ ubjective des r­ écompenses et secondaires de la vie.
les processus de ­décision en ­collaboration avec l’hippo­
campe (voir i­nfographie p. 29). Notre c­ erveau fait la La psychothérapie en première ligne
distinction entre les récompenses ­primaires qui ont une En attendant, pour trouver son plaisir ailleurs que
valeur innée, le sexe et la n
­ ourriture par exemple, et les dans l’addiction, Michel Lejoyeux propose une autre
récompenses secondaires qui nécessitent un apprentis- démarche dans son dernier livre, Réveillez vos désirs :
sage, comme l’argent ou la considération sociale. L’argent la r­ echerche du plaisir. Pour le thérapeute, « la seule 
LIRMf
Imagerie par résonance
magnétique fonctionnelle,
technique d’imagerie
médicale permettant
d’avoir une vue 2D ou 3D
d’une partie du corps,
utilisée pour étudier le
fonctionnement
du cerveau.
LPhylogénétique
Fait référence au
point d'apparition d'un
caractère au cours de
l'évolution.
➜ Réveillez
vos désirs Vos envies et
vos rêves à votre portée
Michel Lejoyeux
Plon, février 2014, 272 p.,
18,50 €
mars - avril 2014 ● N° 19 ●
●
31
Grand Angle
©©Daniel Allan /Cultura Creative/AFP
➜
« Workaholic »
ou simple
bourreau
de travail,
comment faire
la différence ?
J. Grant et al. Ann Clin Psychiatry,
septembre 2002 ; 14 (3) : 155-61
J. Grant et al. Am J Psychiatry,
février 2006 ; 163 (2) : 303-12
J. Grant et al. Biol Psychiatry,
15 septembre 2007, 62 (6) : 652-7
(en ligne)
on va lui présenter les possibilités de traitement et
ainsi de suite », détaille Michel Lejoyeux.
Quand on lui amène un jeune qui consomme
trop de jeux vidéo, Olivier Phan a une démarche
différente. « C’est très rare qu’il n’y ait pas de
p­ roblé­matique familiale, explique-t-il. J’essaye
alors de voir tous les membres de la famille.
­J’explique aux couples en difficulté qu’il ne faut
pas se disputer devant les enfants. Si son foyer n’est
plus accueillant, l’enfant peut en effet choisir le
jeu vidéo comme refuge. » Les premières séances
sont consacrées à la création de l’alliance avec le
patient. Une fois celle-ci conclue, vient l’étape du
changement : faire prendre conscience à l’enfant
de ce qui l’effraie et le confronter à ses peurs, et
enfin la consolidation du changement. La même
approche est employée dans l’addiction sexuelle
par Philippe Batel. « Je suis convaincu que la
­psychanalyse seule ne ­fonctionne pas, expliquet-il. Il faut en premier lieu faire une évaluation de
 ­manière de sortir d’une addiction, ce n’est pas l’inter- l’ampleur du s­ ymptôme et fixer un objectif raisonnable
diction mais c’est de retrouver des désirs qui ne sont pas dans le temps pour le faire disparaître totalement. » C’est là
addictifs ni nocifs ». La simple prise de conscience ne que les d
­ ifficultés c­ ommencent : on peut discuter sur une
­suffit cependant pas. Jean-Michel Delile cite l’exemple ­abstinence ­totale de cocaïne ou d’héroïne, mais comment
de ce patient, ingénieur en statistiques : « Il pouvait faire avec la sexualité ? « À un moment ou à un autre, il
m’expliquer pourquoi il avait mathématiquement tort de faut une période d’abstinence sexuelle, selon Philippe Batel.
continuer à miser de l’argent, mais c’était plus fort que lui, Puis, dans un second temps, il faut réorganiser la sexualité,
il le faisait quand même, avec la croyance que lui-même et rendre l’estime de soi au patient. Il faut qu’il puisse se
qualifiait d’irrationnelle qu’il allait finir par se “refaire ”. » juger autrement qu’à travers le prisme de sa sexualité. »
Il faut donc passer par les cinq stades
Cette étape d’assèchement des ­symptômes
classiques du dialogue ­thérapeutique “ C’est très rare
est d’autant plus compliquée à négocier
définis dans le modèle trans-théorique
que toutes les tentatives de traitement
qu’il n’y ait pas
du ­changement, établi dans les années
pharma­cologique comme la naltrexone,
1970 par les psychiatres James Prochaska, de problématique un inhibiteur des opiacés, le baclofène,
de l’université de Rhode Island, et Carlo familiale „
utilisé dans la réduction de l’alcoolo­
DiClemente de l’université du Maryland.
dépendance, ou encore les ­traitements
Le premier stade est la pré-contemplation, quand le hormonaux, qui agissent sur la synthèse de la
patient considère qu’il n’y a pas de problème, puis ­testostérone, ont échoué, quand ils n’ont pas a­ ggravé la
vient la contemplation, le patient reconnaît qu’il a un s­ ituation. « J’ai un patient catholique intégriste et militant
problème, la préparation au traitement, le traitement d’extrême-droite qui passe six heures par jour à ­regarder
et la maintenance. L’action thérapeutique dépend du de la pornographie sur le Web. C’est une ­souffrance
stade dans lequel se trouve le patient. « Nous allons absolument monstrueuse car cela heurte ­profondément
­provoquer la prise de conscience chez celui qui est dans la ses préceptes moraux, raconte le psychiatre. Comme
­pré-contemplation. À celui qui contemple son problème, il a aussi un ­problème d’alcoolisation, je l’ai mis sous
Jeux d’argent et addiction, une association qui ne date pas d’hier
Le premier texte qui décrit
médicalement l’addiction aux jeux
d’argent sans recourir au prêtre ou
à la morale date de 1561. Son auteur,
le médecin flamand Pascasius Justus,
y relate les erreurs que font
les joueurs face au hasard.
En 1923, Sigmund Freud réalise
la première analyse psychanalytique
du jeu pathologique à travers son
32 ●
● N° 19 ● mars - avril 2014
texte Dostoïevski et le parricide,
dans lequel il évoque les problèmes
de l’auteur de Crimes et châtiments.
Mais il faut attendre 1957 pour que le
psychanalyste Edmund Bergler écrive
Psychology of Gambling, considéré
comme fondateur. C’est également
dans celui-ci qu’apparaissent
les premières références au
Workaholisme, ou ergomanie
en bon français, à travers une
catégorie de joueurs que Bergler
appelait les « Success hunters ».
Il faudra néanmoins attendre 1968
pour la première véritable définition
de l’ergomanie par un autre
psychologue américain, Wayne Oates,
qui s’est appuyé sur l’observation
de son propre besoin incontrôlable
de travailler.
Grand Angle
➜
©©Jean-Claude MOSCHETTI/REA
Les centres de soins dédiés
vont permettre une meilleure
prise en charge des personnes
qui ont un problème de jeu.
nature pathologique du phénomène
dont ils souffrent. Cela impose donc
de développer notre c­ ommunication,
le repérage initial reposant fondamentalement sur le patient lui-même
et son entourage. » La média­tisation
du baclofène contre l’alcoolo­
dépendance a montré que le simple
fait qu’il existe un traitement médicamenteux pousse les malades à
frapper à la porte des consultations.
Quelques pistes existent, comme
les antagonistes aux opiacés, qui
réduisent les effets euphorisants des
substances addictives et préparent le
terrain à la réduction de la consommation. Le psychiatre Jon Grant, de
l’université de Chicago, avait ainsi
noté que la moitié des joueurs
­pathologiques inclus dans son étude
de 2006 voyaient leur dépendance
diminuer grâce au n
­ alméfène. « Il est
important de ­disposer d’une ­batterie
d’outils, même si l’on sait qu’on ne
les utilisera pas tous. Mais pour le
jeu comme pour le reste, le cœur
du traitement doit rester la psycho­
thérapie », juge Marc Valleur.
À la question : les addictions sans
baclofène, ce qui a eu pour effet de “ Le repérage initial
drogue sont-elles des ­addictions
démultiplier son addiction sexuelle. Il
les autres ? Il serait
repose fondamentalement comme
­maladroit de répondre par « oui »
s’est mis à aller sur des sites gays ou
sur le patient lui-même
encore scatophiles. »
ou « non ». La réponse est bien
Avec peu, voire pas de traitement et son entourage „
plus subtile que cela. Il existe
fiable, la prise en charge de l’ensemble
de ­n ombreux mécanismes et
de ces patients est donc bien c­ omplexe. Mais m
­ aintenant ­symptômes communs mais cela ne s­ uffit pas t­ oujours.
que le jeu d’argent a fait son entrée dans le DSM, les En dehors de l’addiction aux jeux d’argent qui est correc­
centres de soins d’accompagnement et de prévention tement étudiée, un manque de données important
en addictologie en ambulatoire (CSAPA) vont pouvoir frappe les autres formes d’addictions comportemens’emparer du problème. « Cela ­signifie que l’on va avoir tales et empêche de conclure clairement. Combien de
une communication plus agressive pour que les personnes patients sont concernés exactement ? Comment les
qui ont uniquement un problème de jeu puissent l’iden- ­traiter ? Doit-on passer par le sevrage ? Autant de
tifier, non plus comme une sorte de “ tare ” personnelle, questions dont les r­ éponses nécessiteront de nouvelles
mais comme un problème médical pour lequel ils p­ ourront études aussi bien cliniques, qu’épidémiologiques et
recevoir une aide, espère Jean-Michel Delile. Ce qui est neuro­biologiques. D’ici là, et qu’elles soient officiellecompliqué en psychiatrie, c’est que nous n’avons aucun ment qualifiées d’addiction ou non, certaines consom­examen complémentaire, aucun outil diagnostic biolo- mations excessives peuvent entraîner une ­souffrance
gique pour “objectiver” le diagnostic, il reste exclusivement au quotidien, que les cliniciens devront, dans tous les
clinique avec une délimitation assez floue pour le profane cas, prendre en charge avec les armes dont ils disposent,
présentant des comportements excessifs mais normaux… qu’ils soient face à une dépendance avec substance
Damien Coulomb
Beaucoup de patients restent donc dans l’ignorance de la ou sans. n Conduites addictives
chez les adolescents
Inserm, coll. Expertise
collective, 2014 (à paraître)
Jeux de hasard
et d’argent : contexte
et addiction
Inserm, coll. Expertise
collective, 2008, 492 p.,
40 €
8 www.inserm.fr
Les Mardis de l’Espace
des sciences
Quand la passion du jeu
devient addiction
avec Jean-Luc Venisse,
psychiatre, professeur de
psychiatrie à l’université
de Nantes, fondateur du
Centre de référencement
du jeu excessif (CRJE)
au CHU de Nantes
➜ 20 mai, 20h30
salle Hubert-Curien des
Champs Libres, Rennes
8 www.espace-sciences.org
mars - avril 2014 ● N° 19 ●
●
33
Médecine générale • Entreprendre • Opinions • Stratégies • Bloc-Notes
• à la une • découvertes • Têtes chercheuses • regards sur le monde • Cliniquement vôtre • Grand Angle ➜
••
••
HomEopathie
Pour quels
patients ?
Deux laboratoires de l’Inserm ont participé
à EPI3*, l’une des plus larges études
épidémiologiques qui aient été conduites sur
la pratique homéopathique en médecine générale.
Leurs conclusions : les patients qui l’utilisent
se distinguent principalement par la vision
holistique qu’ils ont de la médecine fondée sur
une prise en charge globale de la personne.
À
* Epidemiology in three groups
of primary care practice
☛☛France Lert : unité 1018 Inserm/
Université Versailles-Saint-Quentin-enYvelines - Université Paris Sud 11
F. Lert et al. Homeopathy, janvier 2014 ;
103 (1) : 51-7
34 ●
l’époque de la médecine fondée sur les
preuves, l’usage de l’homéopathie est
souvent décrié car peu d’études cliniques
démontrant son efficacité sont ­disponibles. La
pratique reste toutefois une alternative thérapeutique dispensée couramment en médecine
générale (36 % des F­ rançais utili­sateurs réguliers selon un s­ ondage IPSOS 2012). Dans ce
contexte, les chercheurs Inserm du Centre
de recherche en épidémiologie et santé des
populations (CESP), à Villejuif, et de l’unité
Pharmaco-épidémiologie et évaluation de
l’impact des produits de santé sur les populations, à
Bordeaux, ont participé à l’étude épidémiologique EPI3.
Objectif : décrire la pratique des médecins généralistes
et la perception des patients en matière d’homéo­pathie.
Le dernier volet de cette étude visait n
­ otamment à
­dessiner le profil des patients reçus en premiers recours,
selon la place de l’homéopathie et des autres médecines
complémentaires (acupuncture, méso­thérapie…) dans
la pratique de leur médecin ­traitant. « Nous avons
conduit des entretiens téléphoniques auprès d’un panel
représentatif de généralistes, explique France Lert *
du CESP et co-auteure de l’étude. Ils devaient préciser
la nature de leur pratique : est-elle fondée exclusivement ou majoritairement sur un recours à la médecine
conventionnelle ? Quelle est la place faite aux médecines
complémentaires et, notamment, à l’homéopathie ? Ou
encore ces généralistes ont-ils une reconnaissance auprès
de l’Ordre des médecins en homéopathie ? Ensuite, un
attaché de recherche clinique a été envoyé chez 804 de ces
praticiens pour recueillir les données par questionnaire
standardisé sur le profil des patients reçus durant une
● N° 19 ● mars - avril 2014
journée de consultation, sur leur perception des thérapeutiques alternatives et complémentaires, et sur la manière
dont les médecins les prennent en charge, notamment
en termes de prescription d’actes et de médicaments (via
un autre questionnaire rempli par le médecin à l’issue de
la consultation). Nous avons ensuite comparé le profil
des médecins et les caractéristiques des 6 379 consultants
selon la catégorie de praticiens fréquentée : médecine
conventionnelle exclusive, ou mixte - médecine conventionnelle et pratiques des médecines complémentaires et
homéopathes. »
Une meilleure hygiène de vie
En premier lieu, ces travaux ont permis d’observer
les spécificités des patients selon le profil du médecin
consulté. Bien que modestes, quelques distinctions ont
été relevées : ceux qui consultaient des médecins spécialisés en homéopathie étaient plus souvent des femmes,
avec un niveau d’éducation supérieur et une meilleure
hygiène de vie en termes d’indice de masse corporelle,
de consommation d’alcool ou de tabac. Les motifs
médecine générale
➜
©©Illustration : Paul Gendrot
L’homéopathie, c’est quoi ?
Fondée par Samuel Hahnemann en 1796, cette
méthode thérapeutique non conventionnelle repose sur
trois principes : la similitude - d’où elle tire son nom,
du grec homoios « semblable » et pathos « maladie » -,
l’individualisation et l’infinitésimal. Le premier principe
énonce que ce qui rend malade à forte dose, guérit
à faible dose. Les traitements homéopathiques sont
fabriqués à base de substances qui, chez un individu sain,
produiraient des symptômes similaires à ceux du malade.
Le principe suivant dicte que tous les symptômes doivent
être pris en compte, et pas seulement ceux liés à une
maladie. Et le dernier, que les substances actives,
dites « souches », sont diluées de nombreuses fois
pour éviter leur toxicité, une dilution qui peut parfois être
inférieure à celle d’une goutte dans l’océan Pacifique.
L’autorisation de mise sur le marché n’est obligatoire
que si une indication thérapeutique est revendiquée.
Si ce n’est pas le cas, la législation française
oblige seulement les fabricants de médicaments
homéopathiques à prouver leur innocuité mais pas
leur efficacité, sujette à controverses.
ceux qui consultaient un médecin de
pratique mixte (médecin généraliste) et,
à plus forte raison, ceux qui consultaient
un médecin spécialisé en homéopathie,
­accordaient plus d’importance à ce que
« les traitements n’aient pas d’effets secondaires » et « qu’ils n’utilisent que des ingrédients naturels ». Ils considéraient aussi que
« les déséquilibres de la vie peuvent entraîner
des maladies », que « les traitements doivent
prendre en compte le bien-être de la ­personne
dans son ensemble » et que « le corps a natude consultation d­ ifféraient “ Ces patients illustrent
rellement une capacité à guérir ».
aussi légèrement : certaines
résumer : « Ceux qui consultent les
leur volonté d'autonomie Pour
­maladies c­ hroniques (­ anxiété,
médecins pratiquant l’homéopathie se
­caractérisent par une vision holistique de
dépression, fatigue, troubles et d'implication dans
du sommeil, pathologies leur prise en charge „
la ­médecine, et donnent un rôle important
­ostéo-articulaires, problèmes
à l’environnement et au comportement
dermatologiques) étaient ­légèrement plus fréquentes ­individuel en matière de santé », p­ récise France Lert.
chez ceux ayant consulté un médecin homéopathe, à Une vision qui colle aux principes mis en avant par
l’inverse des pathologies cardiovasculaires et endo- l’homéopathie, qui r­ evendique une prise en charge
criniennes. Une des hypothèses pouvant expliquer ce globale du patient.
constat, et suggérée par certains auteurs de l’étude, est « Cela illustre leur volonté d’autonomie et d’implication
que cette surreprésentation de troubles chroniques ou en matière de prise en charge, poursuit-elle. Les patients
récurrents pour lesquels la réponse de la médecine trouvent donc les soignants qui leur conviennent, sans que
conventionnelle serait perçue comme insatisfaisante.
l’on ait exploré pour l’heure si cette opinion est antérieure
ou influencée par leurs premiers contacts avec un médecin
Une vision holistique
pratiquant l’homéopathie. »
Le questionnaire comportait également une échelle Complété par les données propres aux pratiques des
­spécifique (Complementary and Alternative Medicine médecins, l’ensemble de l’étude EPI3 devrait apporter
Beliefs Inventory) sur les perceptions et croyances en une vision épidémiologique actualisée de l’homéo­
­matière de médecines alternatives et complémentaires. pathie en médecine de premier recours. n Les différences étaient ici plus nettement marquées : Caroline Guignot
mars - avril 2014 ● N° 19 ●
●
35
Médecine générale
➜
Médecine du travail et généralistes
Pour un mariage de raison
©©B. BOISSONNET / BSIP
Les médecins généralistes doutent de l’indépendance
des médecins du travail qui, eux-mêmes, regrettent la
méconnaissance de leur champ de compétences par leurs pairs.
En pratique, voilà un frein à une prise en charge efficace des
problématiques de retour à l’emploi, un enjeu important dans
un contexte de recul de l’âge de départ à la retraite et de hausse
des maladies chroniques. Pour améliorer le niveau de confiance,
il serait donc nécessaire, selon l’auteur de cette étude,
Pierre Verger *, du Sesstim, de clarifier le rôle et les obligations
de ces deux professions pourtant désireuses de travailler main
dans la main pour plus de 70 % de leurs membres. E. C.
☛Pierre
☛
Verger : unité 912 Inserm/IRD – Aix-Marseille Université, Sciences économiques et sociales de la santé
et traitement de l’information médiale (Sesstim)
P. Verger et al. Journal of Occupational and Environmental Medicine, février 2014 ; 56 (2) : 209-13
Les jeunes femmes
plus touchées
Les femmes les plus
concernées par les
accidents du travail sont
les plus jeunes, tous
métiers confondus. C’est la
conclusion de l’étude menée
par Nearkasen Chau *,
épidémiologiste à Paris,
pendant trois ans auprès
de 23 000 employées de la
SNCF. La faible expérience et
le manque de connaissance
du métier jouent un rôle
puisqu’au-delà de quatre
ans d’activité dans un
même service, les accidents
diminuent. En revanche,
après 45 ans, le risque de
chute est accru. Cette fois,
les effets du vieillissement
seraient incriminés. De
façon générale, les risques
s’expliqueraient surtout
par les conditions du travail
et aussi, en partie, par
l’accumulation du stress
et de la fatigue au sein de
la cellule familiale en plus
de celle du travail. Ces
résultats pourraient aider les
décideurs socio-économiques
à développer le suivi des
risques professionnels
dans les premières années
d’activité de son personnel
et à adapter les postes en
fonction de l’âge. E. C.
☛Nearkasen
☛
Chau : unité 669 Inserm/
Université Paris 11 - Paris Sud - Université
Paris-Descartes, Troubles du comportement
alimentaire de l’adolescent
N. Chau et al. American Journal of Industrial
Medicine, février 2014 ; 57 (2) : 172-83
36 ●
Enquête épidémiologique
Par téléphone ou par Internet ?
Un questionnaire audio et écrit, à remplir via
un ordinateur, semblerait a priori plus appro­
prié qu’un entretien téléphonique pour mener
une enquête épidémiologique sur des sujets
­sensibles. Pourtant, d’après François Beck *
au Cermes3, la différence de résultat entre
les deux méthodes n’apparaît pas si évidente.
En comparant les données de deux enquêtes
nationales portant sur l’usage de drogues et
l’abus d’alcool, le chercheur et ses collègues
ont pu observer que les données obtenues
par ­téléphone sont tout aussi fiables pour les
femmes et les personnes de plus de 30 ans.
Les jeunes hommes sont, en revanche, plus
enclins à révéler leurs pratiques en passant par
un a
­ uto-questionnaire. Un constat qui confirme
l’intérêt d’une approche combinée pour caracté­
riser au mieux la population générale. V. R.
☛☛François Beck : unité 988 Inserm/CNRS/Université Paris-Descartes –
École des hautes études en sciences sociales, Centre de recherche médecine,
sciences, santé, santé mentale et société (Cermes 3)
F. Beck et al. Plos One, 22 janvier 2014 (en ligne)
doi : 10.1371/journal.pone.0085810
Douleur chronique
Plus la tête est alerte,
moins elle s’installe
Des fonctions cognitives
performantes
permettraient de limiter
le développement d’une
douleur chronique.
C’est ce que suggère
l’étude menée par
Nadine Attal * qui
a suivi 189 patients
après une intervention
chirurgicale. Leur
flexibilité cognitive capacité à s’adapter et
à passer d’une tâche
à une autre -, leur
aptitude à planifier,
leur mémoire visuelle
ainsi que leur attention
● N° 19 ● mars - avril 2014
©©Attal et al (2014). Brain in press
Accidents du travail
ont été mesurées
avant l’opération.
Six mois et un
an après la
chirurgie, ils ont
été interrogés
sur les douleurs
ressenties.
Résultat : les
patients rapportant une
douleur significative
présentaient, avant
leur opération,
une altération
des performances
cognitives.
Une évaluation
neuropsychologique
pourrait donc prédire
l’apparition de douleurs
chroniques, ce qui
permettrait une prise
en charge adaptée. V. R.
☛Nadine
☛
Attal : unité 987 Inserm –
Université Versailles-Saint-Quentinen-Yvelines, Physiopathologie et
pharmacologie clinique de la douleur
N. Attal et al. Brain, 17 janvier 2014
(en ligne) doi : 10.1093/brain/awt354
L’altération
cognitive est
2 à 3 fois plus
élevée chez
les patients
douloureux à
12 mois que
chez les autres.
médecine générale
➜
Endocardite infectieuse
Anti-inflammatoires
non stéroïdiens
Les lésions cutanées,
signes de possibles
complications
☛Tobias
☛
Kurth : unité 897 Inserm - Université de Bordeaux Segalen
T. K urth et al. Eur J Intern Med, 10 février 2014 ; doi : 10.1016/j.ejim.2014.01.013
schémie
LIcérébrale
transitoire
Déficit neurologique
soudain, lié à une
diminution de l’apport
sanguin, qui régresse
en moins d’une heure,
sans séquelles.
LNodules d’Osler
Nodules violacés
de la pulpe des doigts
ou des orteils
LLdeésions
Janeway
Rougeurs aux paumes
des mains ou aux
plantes des pieds
LPurpura
Lésion hémorragique
de la peau de couleur
pourpre
L’endocardite
infectieuse,
majoritairement
due à des
bactéries, cible
les valves du
cœur. L’infection
est difficile à
pronostiquer
car certaines
manifestations
extracardiaques,
Patient présentant une
en particulier
endocardite et un purpura
cérébrales,
cutané : l’angiographie IRM
peuvent
révèle des micro-hémorragies
survenir.
cérébrales et un anévrysme
Par ailleurs,
non rompu.
la maladie
s’accompagne souvent de lésions cutanées,
telles que des nodules d’Osler (L), des lésions de
Janeway (L), des hémorragies conjonctivales ou du
purpura (L). Xavier Duval *, coordinateur du centre
d’investigation clinique Bichat, a montré que ces
lésions cutanées sont associées aux complications
cérébrales jusqu’ici difficiles à repérer car
asymptomatiques. Ces résultats devraient permettre
de guider les praticiens dans le choix du traitement
le plus approprié. B. S.
☛☛Xavier Duval : unité 1137 Inserm/Université Paris 13-Paris Nord – Université Paris Diderot-Paris 7,
Infection, antimicrobiens, modélisation, évolution, et CIC 1425 Inserm
A. Servy et al. Jama Dermatology, 5 février 2014 (en ligne) doi : 10.1001/jamadermatol.2013.8727
Consommation de cocaïne
Des douleurs thoraciques fréquentes
©©Africa studio/Fotolia
L’utilisation de molécules anti-inflammatoires non stéroïdiennes (NSAID), comme
l’ibuprofène, est liée à un risque accru
d’accident vasculaire cérébral (AVC). Mais
comment la sévérité des séquelles d’un
­
AVC est-elle, elle aussi, influencée par la
prise de ces molécules ? Pour le savoir,
une équipe franco-américaine dirigée par
Tobias Kurth *, du Centre de recherche
Inserm Épidémiologie et biostatistique, de
­Bordeaux, a suivi 39 860 femmes pendant
près de seize ans : au cours de cette période,
1 325 d’entre elles ont été victimes d’une
ischémie cérébrale t­ransitoire (L) ou d’un
AVC avec des séquelles ­allant de mineures
à un handicap sévère. Pour les femmes sous
NSAID, cette consommation est associée à
un risque plus élevé d’AVC avec des conséquences fonctionnelles modérées (symptômes absents ou sans r­ etentissement sur la
vie ­quotidienne). En ­revanche, il semble que
la survenue d’un AVC à l’impact plus sévère,
ou d’une ischémie ­cérébrale ­transitoire, n’est
pas significativement liée à la prise de ce
type de m
­ édicaments. Reste, au regard de ces
­résultats, aux experts de la ­pratique ­clinique
d’établir des recommandations quant à la
prise de NSAID. A. B.
©©Pr. Xavier Duval
Un risque d’AVC
avec des séquelles
modérées
Sur les 50 consommateurs réguliers
de cocaïne interrogés par Yavor
Delchev, sous la direction de Florence
Vorspan *, addictologue à Paris,
plus de la moitié (52 %) avaient
déjà ressenti une douleur dans
la poitrine. Un constat qui souligne
le risque d’infarctus du myocarde
en lien avec la prise de cocaïne.
Chez ces consommateurs,
la sensation est apparue dans les
16 minutes qui ont suivi l’inhalation
et a perduré 22 minutes en moyenne.
La douleur se situait majoritairement
(61 %) derrière le sternum et était
perçue comme oppressante dans plus
d’un quart des cas (28 %). Quasiment
aucun d’entre eux n’a consulté de
médecin, précisent les chercheurs,
qui espèrent désormais identifier des
biomarqueurs pour déterminer les
profils à risque. V. R.
☛☛Yavor Delchev, Florence Vorspan : unité 1144 Inserm Université Paris-Descartes, Variabilité de réponse aux psychotropes
Y. Delchev et al. Journal of Addiction Medicine, 5 février 2014
(en ligne) doi: 10.1097/ADM.0000000000000016
mars - avril 2014 ● N° 19 ●
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37
Entreprendre • Opinions • Stratégies • Bloc-Notes
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Recherche et innovation
L’incontournable alliance
©©François guénet/inserm
L’Alliance pour les sciences de la vie et de la santé
(Aviesan)* a un partenaire industriel privilégié :
l’Alliance pour la recherche et l’innovation des
industries de santé (Ariis). Par son intermédiaire, une
grande part de nos recherches trouve une valorisation
industrielle, nationale ou internationale, pour le
bénéfice quotidien des malades. Claude Bertrand,
président de l’Ariis, analyse le paysage français de
l’innovation et présente sa vision stratégique.
Claude
Bertrand
président
de l'Ariis
* Voir S&S n° 9, Stratégies
« Politique de recherche –
Aviesan souffle ses
3 bougies », p. 42-43
38 ●
Science&Santé : Comment
est née l’Ariis ?
Claude Bernard : Elle fait
suite à la naissance d’Aviesan
en 2009. Et elle a vu le jour en
février 2010. Ces deux institutions résultent, en effet, d’une
volonté stratégique commune.
D’un côté, face à la complexité
de l’organisation de la recherche
publique française, notamment
au grand nombre d’organismes
de recherche et à l’intrication des équipes, il semblait
utile de créer une institution fédératrice : Aviesan. De
l’autre, il fallait que la recherche académique trouve, dans
le monde industriel, un environnement structuré avec un
point d’entrée unique et accessible : l’Ariis. Celle-ci représente toutes les industries de santé du territoire national,
de la santé humaine et vétérinaire jusqu’aux dispositifs
médicaux, en passant par le diagnostic et toutes les
­biotechnologies appliquées à la santé. Une telle organisation, assez unique au monde, n’existe nulle part ailleurs
en Europe ! Elle fait de nous une alliance aux deux sens
du terme : nous sommes un groupement d’industriels
unis par le même désir d’innovation et l’indéfectible allié
d’un partenaire exceptionnel, Aviesan.
S&S : N’y a-t-il pas, pourtant, de profondes
­divergences de culture entre recherche
­publique et innovation industrielle privée ?
C. B. : Cette vision est typiquement française et dommageable car elle freine la valorisation de la recherche dans
notre pays. En réalité, secteur public ou secteur privé,
nous avons le même parcours scientifique. Moi-même,
par exemple, qui suis directeur de la R&D du groupe
pharmaceutique Ipsen, j’ai un doctorat en pharmacie et
● N° 19 ● mars - avril 2014
un PhD en pharmacologie. Et nous mesurons le succès de
la même façon : à la qualité des publications ! En revanche,
le privé a certainement une vision plus « court-termiste »,
nous ne pouvons pas allouer les mêmes ressources que
les institutions publiques à des recherches fondamentales
de longue haleine. Mais nous pouvons créer un environnement favorable à l’innovation pour accélérer son
émergence. Il y a donc une vraie complémentarité ! Avec
André Syrota, président d’Aviesan et président-directeur
général de l’Inserm, et Thierry Damerval, directeur
­général délégué de l’Inserm, nous luttons contre ce fossé
idéologique qui oppose public et privé. Nous favorisons,
par exemple, les partenariats public-privé, ou la mise en
place de bourses doctorales réalisées en partie en entreprises. Et tous les deux ans, Aviesan organise avec nous
l’École de l’innovation théra­peutique, dont la prochaine
se tiendra du 11 au 13 juin prochain. Cette rencontre de
deux jours entre étudiants, chercheurs et entrepreneurs
est très appréciée. Elle p­ ermet aux étudiants de découvrir très tôt nos métiers, dès le commencement de leur
­formation, en quoi nos ­univers sont complémentaires,
et par quelles étapes
“ Nous pouvons créer passent la découverte et
le développement d’une
un environnement
solution thérapeutique.
favorable à
C’est aussi l’occasion de
l'innovation pour
resserrer nos liens, avec
accélérer son
une volonté nette de ne
émergence „
pas se cloisonner.
S&S : Aviesan et l’Ariis co-organisent aussi les
Rencontres internationales de la recherche
(RIR)…
C. B. : Oui et leur succès va croissant d’année en
année : en octobre 2013, plus de 300 participants se
sont r­ etrouvés autour de la prévention et du traitement
des maladies ­inflammatoires. En 2012, le thème était
le cancer. Le format de ces journées est assez original :
des chercheurs français et des industriels, ainsi que des
investisseurs et décideurs internationaux, se rencontrent
d’abord à des conférences et des tables rondes classiques,
puis conduisent des sessions de speed dating extraordinairement dynamiques – des rendez-vous entre partenaires désireux de se parler quelques minutes, de manière
informelle, pour peut-être vivre ensuite un belle histoire
ensemble. Je crois qu’il est toujours fructueux de faire se
côtoyer des acteurs qui n’en ont pas l’habitude. Ces RIR
créent un véritable foisonnement d’idées, qui se concrétisent par la signature de partenariats inédits. L’intérêt
mutuel est en tout cas si fort que nous devons limiter le
entreprendre
©©François guénet/inserm
➜
nombre de participants en nous fondant sur l’excellence
scientifique. Aux Rencontres 2014, les maladies rares
seront à l’honneur. Il faut dire que l’industrie s’y intéresse
de plus en plus. Leur étude permet parfois de changer le
regard que nous portons sur des maladies plus courantes.
Par exemple, les travaux menés sur la mucoviscidose
permettent d’améliorer notre compréhension d’autres
maladies pulmonaires. Qui plus est, les temps de développement industriel sont potentiellement plus courts
que par le passé, ce qui facilite l’investissement dans ce
secteur. D’un côté, donc, l’industrie souhaite investir
dans ce domaine. D’un autre, justement, la recherche
­française est très bien placée au niveau international,
ce qui peut en faire un partenaire de premier choix.
Je pense, entre autres, à des instituts de maladies rares
vraiment uniques et remarquables comme la Fondation
Imagine à l’hôpital Necker.
S&S : Cette excellence française est-elle assez
reconnue ?
C. B. : La recherche en santé est l’un des fleurons de la
France ! Il ne s’agit pas d’une vision idéaliste, mais d’une
réalité dont on a surtout pris conscience à partir de 2012,
avec le rapport de Louis Gallois sur la compétitivité de
l’industrie française. Celui-ci recommandait de r­ enforcer
le domaine de la santé et de l’économie du vivant. Nous
avons encore une chance de défendre ce secteur en
France et de le rendre attractif au niveau interna­tional :
l’excellence de la recherche française en santé mérite
que l’on s’y acharne. Le gouvernement a “ Nous sommes l'indéfectible
montré qu’il nous appuyait. Sa ­présence
allié d'Aviesan „
aux deux dernières Rencontres a été
précieuse, alors que nous traversions
une crise de confiance dans le sillage des victimes du
Mediator®. Jean-Marc Ayrault y expliquait, en 2012,
que « la France doit demeurer une force d’entraînement
et une référence en matière de recherche médicale dans le
monde ». Par son excellence, la recherche française a des
arguments à défendre au niveau international !
S&S : Y compris au niveau européen ?
C. B. : Bien sûr. L’Europe ouvre des opportunités à ne
pas manquer. Aviesan et l’Ariis retroussent littéralement
leurs manches pour soutenir les atouts de la ­recherche
française en Europe, par exemple sur les cohortes popula­
tionnelles, la création de biobanques (L) ou la lutte contre
l’antibiorésistance ! Nous actionnons tous les leviers
­possibles afin d’accroître notre participation à la recherche
européenne. Il faut que les chercheurs répondent à plus
d’appels à projets européens. Nous avons, dès cette année,
de très bonnes perspectives de coopérations au sein du
p­ rogramme H
­ orizon 2020**, et nous avons reçu, avec
André ­Syrota, des membres de la commission scientifique de la C
­ ommunauté européenne, pour définir quelles
compé­tences françaises sont les plus à même de contribuer
à la croissance européenne. Ce chantier nous occupera
­activement durant les deux prochaines années ! n
Propos recueillis par Nicolas Rigaud 8
LBiobanques
Structures qui regroupent
des collections
d’échantillons biologiques
pour la recherche
scientifique.
** Voir S&S n°16, Stratégies
« Horizon 2020 », p. 42
www.horizon2020.gouv.fr
mars - avril 2014 ● N° 19 ●
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39
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BenzodiazEpines
À consommer
avec modération
Nous prenons trop et trop longtemps de somnifères et
d’anxiolytiques en France, alerte l’Agence nationale de
sécurité du médicament (ANSM). Ces médicaments, des
benzodiazépines, ont de grandes vertus thérapeutiques
mais aussi des effets indésirables dont certains peuvent
être ravageurs sur le long terme. Trois spécialistes
analysent les risques d’une consommation déraisonnable.
Ce qui fait débat
Jean-Jacques Laboutière
L
40 ●
● N° 19 ● mars - avril 2014
Psychiatre et président de
la Fédération française de psychiatrie
En quinze ans, la consommation de benzo­
©©François guénet/inserm
es Français sont des champions
de la consommation de
benzodiazépines en Europe :
tous les rapports nationaux et
européens concordent sur ce point.
Ces médicaments, qui agissent sur
le système nerveux central, sont
notamment utilisés comme somnifères
(hypnotiques) ou pour atténuer l’anxiété
(anxiolytiques). Entre 2000 et 2010,
la prise d’anxiolytiques avait chuté et
celle des hypnotiques restée stable.
Mais depuis, comme le révèle un récent
rapport de l’ANSM, l’excès de ces deux
médicaments repart de plus belle. Cette
remontée signale le faible respect des
bonnes pratiques, qui peut avoir de
graves conséquences pour le patient :
état confusionnel, amnésie, somnolence
impliquée dans les accidents de la route,
agitation, pharmacodépendance, chutes
des personnes âgées avec lésions et
fractures, coma. Alors que les risques
à long terme se précisent (démence,
vieillissement cérébral précoce…),
pouvoirs publics et praticiens se
réuniront bientôt pour définir, dès 2014,
une action commune de lutte contre
cette surconsommation.
diazépines a nettement chuté en France. Les
­médecins généralistes, principaux ­prescripteurs,
évitent maintenant de les ­associer entre eux et
respectent assez bien les doses ­recommandées.
Les patients aussi ont conscience des effets
­indésirables, au point même de redouter de
les prendre. Leur efficacité thérapeutique est
réelle et, en l’absence d’alternative pharmaco­
logique, il n’est pas souhaitable que cette prise
La durée de
en charge disparaisse : les benzo­diazépines
prescription
sont une r­éponse de première intention à
­l’anxiété et aux troubles du sommeil. Certes,
est souvent
elles r­ enforcent le risque d’accidents de la
excessive et la
consommation route, mais ­l’épuisement aussi !
Reste que la durée de prescription cumulée est
par patient
souvent excessive et que la consommation par
augmente „
patient augmente. Pourquoi tant de femmes
prennent-elles continuellement des anxioly­
tiques après 50 ans ? Et pourquoi les troubles du sommeil sont-ils si
répandus ? Face à de sévères insomnies, sans signes caractéristiques
d’anxiété ni de ­dépression, le médecin, démuni, aide un patient épuisé
à récupérer. Ce soulagement doit déboucher, dès que possible, sur une
autre prise en charge. Mais il serait illusoire de limiter le pouvoir de
prescription des généralistes pour pousser les patients vers la consul­
tation psychiatrique : celui qui va mal n’est pas toujours disposé à voir un
psychiatre, ni en mesure de changer de mode de vie, ni prêt à s’engager
dans une psychothérapie afin de vivre mieux sans ces médicaments.
opinions
➜
Sophie Billioti de Gage
Doctorante, unité Inserm 657 Pharmaco-épidémiologie et évaluation de l’impact
des produits de santé sur les populations, Inserm/Université de Bordeaux
©©B. Boissonnet/bsip
Agence nationale de sécurité
du médicament. État des
lieux de la consommation des
benzodiazépines en France,
janvier 2012. Rapport d’expertise
©©François guénet/inserm
8 ansm.sante.fr
Peut-on préciser ces résultats
entre consommation de benzo­ par durée de traitement ou type
diazépines et risque accru de démence, de molécule ? Nous étudions
définie comme une altération cognitive des ­données de santé publique
progressive et irréversible. Ces travaux du Canada, qui semblent mon­
ne tiennent pas compte des signes trer un risque au-delà de trois
­précoces de la maladie (dépression, mois de traitement, une rela­
anxiété, ­insomnie), ­potentiellement tion dose/effet, et une i­ nfluence
associés à un r­ ecours
plus marquée avec
plus fréquent aux
des ­
m olécules à
Le risque de démence demi-vie (L) longue.
b e n z o­d i a z é p i n e s
quelques années avant
peut être lié à la durée L’ensemble de ces
le ­diagnostic clinique
résultats incite à
du traitement ou au
de démence. Afin de
­renforcer la sensi­
type de molécule„
mini­miser l’influence
bilisation actuelle sur
de ce biais, des sujets âgés et nouveaux le respect de la règlementation d’usage :
consommateurs de benzo­diazépines ne pas dépasser les quelques semaines
ont été comparés à des non-consom­ de traitement recommandées, préférer
mateurs vis-à-vis du risque et du délai les molécules à demi-vie courte chez le
de survenue de la démence, en utili­ sujet âgé. Même s’il faut plus d’études
sant les vingt ans de suivi de la cohorte sur des groupes plus jeunes ou sur les
­Paquid (L). Résultat : le traitement mécanismes impliqués, on voit bien que
­augmente de 50 % le risque de d
­ émence l’usage sans discernement des benzo­
au-delà de cinq ans après son début. diazépines est à proscrire !
Nathalie Richard
Directrice adjointe à la Direction des
médicaments en neurologie, psychiatrie,
antalgie, rhumatologie, pneumologie,
ORL, ophtalmologie, stupéfiants (ANSM)
En France, 11,5 millions de personnes
consomment des benzodiazépines. Ces
médicaments sont utiles et ont des ­effets
positifs quand ils sont bien utilisés. Mais
on leur connaît aussi des effets indési­
rables, confirmés par des ­données de
pharmacovigilance récentes, et leurs
conséquences sanitaires à long terme
©©François guénet/inserm
Plusieurs études indiquent un lien
LPaquid
Cohorte de l’Inserm
regroupant des sujets
de plus de 65 ans en
Aquitaine et visant
à suivre l’évolution
temporelle des fonctions
cognitives. 3 777 sujets
ont participé à l’étude.
LDemi-vie
Temps mis par un
médicament pour
perdre la moitié
de son activité
pharmacologique.
se dévoilent. Or, en 2012, 131 millions de avons étudié le temps d’exposition à
boîtes de benzodiazépines ont été ven­ une benzodiazépine sur six ans – un
dues, dont 117,5 millions d’anxiolytiques patient sur six n’arrête jamais ! Or,
et d’hypnotiques. C’est trois millions de certaines études montrent que la sur­
moins qu’en 2010 mais cette diminution venue d’une démence augmenterait
est due à la chute de la consomma­ avec cette consommation ! Les consé­
tion de clonazépam et de tétrazépam. quences sanitaires à long terme de
Le premier, utilisé
cette surconsom­
contre l’épilepsie,
mation promettent
Seule une action
a vu ses conditions
d’être élevées. Face
d’accès fortement
à ce phénomène,
concertée permettra de
restreintes, ce qui a
les pouvoirs publics
réduire cette tendance „
permis de limiter son
disposent d’une
usage détourné. Le second, décon­trac­ palette d’actions possibles : sensibi­
turant musculaire, a été déremboursé lisation des patients et des médecins,
en 2011 avant d’être interdit en Europe en particulier des généralistes, qui
en 2013, en raison de risques d’affections prescrivent 90 % des benzodiazépines,
cutanées parfois mortelles.
encadrement plus strict de la prescrip­
En réalité, c’est la consommation tion ou de la délivrance… Dans tous
par patient, et non le nombre de les cas, seule une action concertée
­patients, qui a fortement augmenté. avec les professionnels permettra de
Et ­l’inquiétant n’est pas tant le dosage réduire cette tendance préoccupante.
que la durée de ces traitements : nous
Propos recueillis par Nicolas Rigaud
mars - avril 2014 ● N° 19 ●
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Stratégies • Bloc-Notes
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Recherche en mEdecine gEnErale
Une discipline en devenir
En janvier dernier, le Comité d’interface Médecine générale
de l’Institut et le Collège de la médecine générale (L) ont publié
dix propositions pour développer la recherche en médecine
générale en France. Une activité bien peu soutenue à ce jour.
Association qui fédère les
sociétés scientifiques et les
structures universitaires
de médecine générale,
et les syndicats de
professionnels.
Pour en savoir plus :
www.lecmg.fr
oins de santé
LSprimaires
Premier niveau de contact
de la population avec
le système de santé, ils
concernent la prévention, le
dépistage, le diagnostic et
le traitement des maladies,
mais aussi l’orientation et
le suivi des patients dans le
système de soins.
A
lors que les politiques de santé ne cessent de
réaffirmer l’importance des soins de santé
­primaires (L), prodigués essentiellement par les
médecins généralistes, la recherche en la matière est
négligée. Or, « c’est la première source de données qui
permet d’implémenter de nouvelles pratiques », souligne Pierre-Louis Druais, président du Collège de la
médecine générale. Il vient de cosigner, avec le Comité
d’interface de l’Inserm, une lettre contenant leurs propositions pour développer la recherche en soins de santé
primaires, envoyée en janvier dernier respectivement
aux ministres des Affaires sociales et de la Santé et de
l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, la médecine
générale est une spécialité récente et la filière universitaire associée également. Ce n’est qu’en 2007 que sont
nommés les premiers chefs de clinique en médecine
générale. « Avec la structuration de l’université et des
postes de chef de clinique, il y a eu des avancées, reconnaît
Pierre-Louis Druais. Nous ne sommes toutefois qu’une
trentaine d’enseignants-chercheurs titulaires en médecine
les 10 propositions
Formation
• Mettre à disposition
des jeunes médecins
généralistes-chercheurs
des bourses de recherche
(masters M2, thèses
d’université).
• Donner les moyens
humains et matériels
aux départements de
médecine générale de
développer un secteur
recherche, sur le modèle
des unités de recherche
clinique hospitalières.
Appels d’offres
• Mettre en place au sein
de l’Agence nationale de
la recherche un appel
thématique « Santé
et système de soins
ambulatoires » pour des
projets de recherche sur
42 ●
les soins de proximité.
• Créer et abonder des
Programmes ambulatoires
de recherche clinique.
• Instituer le lancement
par l’Institut de recherche
en santé publique d’un
appel d’offres centré
sur les soins de santé
primaires à partir de
l’exploitation de bases de
données existantes.
Bases de données
• Proposer un
financement pérenne et
coordonné des actions, et
mutualiser les ressources
actuelles.
• Mettre en place et
financer un dispositif
de recueil en continu
des pratiques réelles
concernant les prestations
● N° 19 ● mars - avril 2014
de soins de santé
primaires.
• Mettre à disposition,
au sein de l’assurance
maladie, des ressources
humaines permettant aux
médecins-chercheurs
d’accéder aux bases de
données institutionnelles
de type SNIIRAM (L).
Implication des médecins
dans la recherche
• Valoriser la participation
au recueil de données
comme une mission du
médecin généraliste,
et l’inclure dans les
indicateurs de la
rémunération sur objectifs
de santé publique.
• Favoriser le
développement de la
recherche en soins de
©©Yves Rousseau / BSIP
L
Collège de
la médecine
générale
Beaucoup de généralistes sont prêts
à faire de la recherche
générale ! C’est ridicule au regard des 5 200 enseignantschercheurs en CHU. » Ce n’est pas faute de vocations,
puisque un tiers des médecins généralistes seraient prêts
à faire de la recherche ou à s’investir dans le recueil de
données, encore en jachère. « Notre base de données,
l’Observatoire de la médecine générale, a été fermée il y
a deux ans, par manque de moyens », regrette-t-il. « Or,
imaginez ce que pourraient collecter 20 000 médecins
généralistes qui reçoivent 100 patients par semaine sur
45 semaines par an ! », soit 90 millions de consultations...
Fin février, tandis qu’une réponse du ministère de
­l’Enseignement supérieur et de la Recherche est attendue,
le ministère de la Santé,
quant à lui, a proposé de
réaliser des travaux de
médecine générale dans le
santé primaires au sein
cadre du programme hosdes maisons et pôles de
santé pluri-professionnels
pitalier de recherche cliet l’intégrer dans les
nique (PHRC)*. Solution
nouveaux modes de
jugée complexe pour Pierrerémunération et dans les
Louis Druais, qui aspirerait
critères de labellisation
universitaire.
à pouvoir aussi adosser la
recherche en médecine
générale à une structure
SNIIRAM
comme l’Inserm. n
Créé en 1998 et mis en
Pascal Nguyên
place progressivement
L
depuis 2004, le Système
national d’information
intertégimes
d’assurance maladie est
une base de données
nationale à vocation
médico-sanitaire
(données sur les
patients, consommation
de soins, maladies
traitées…).
* Créé en 1982, le PHRC a pour
objectifs de dynamiser la
recherche clinique hospitalière,
participer à l’amélioration de
la qualité des soins et valider
scientifiquement les nouvelles
connaissances médicales.
I. Supper et al. Family Practice 2010 ;
28 (2) : 226-32 ; doi : 10.1093/fampra/cmq073
8
w ww.sante.gouv.fr
www.lebottinrecherche.fr
stratégies
➜
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SystEme d information de lInserm
La nouvelle feuille de route
Le département du Système d’information (DSI) de l’Inserm
se mobilise à l’aune des nouveaux besoins et au service du
contrat d’objectifs 2011-2015 de l’Institut. Laurent Vigneron,
son directeur, détaille cette mutation dont le maître-mot
est d’être un véritable partenaire des utilisateurs.
Tous les logiciels, de la
messagerie aux outils de
gestion financière, de RH
et d’évaluation…
directeur
LCduomité
Système
d’information
Créé en janvier 2013 sous
l’impulsion de Thierry
Damerval, directeur
général délégué de
l’Inserm, c’est la nouvelle
gouvernance du Système
d’information de l’Institut.
nformatiques
LIscientifiques
Concevoir des
algorithmes, adopter
des langages de
programmation...,
adaptés aux besoins
des chercheurs
* Voir S&S n° 18, À la Une,
« Colloque de l’Inserm - La recherche de demain se
prépare aujourd’hui », p. 4-5
&Revu
corrigé
Dans le n° 18
de Science&Santé,
à la rubrique
« Stratégies » (p. 43),
il convenait de lire que
« la Mildt soutiendra
encore le projet des
Apprentis Chercheurs Maad
(Mécanismes Addiction Alcool
et Drogues) qui est développé
par l’Inserm et l’association
l’Arbre des connaissances ».
S&S : Vous êtes en train de mettre en place une
nouvelle stratégie. Quelles en sont les grandes
lignes ?
L. V. : Depuis 2013, le DSI développe une nouvelle
politique de soutien en faveur des unités de recherche.
Pour vous donner un exemple, nous avons accompagné
les scientifiques dans l’élaboration du cahier des charges
pour le suivi de la cohorte SEPAGES*. Cet appui aux
utilisateurs, particulièrement aux chercheurs, fait partie
de nos nouveaux objectifs. La note d’orientation stratégique 2013-2017, approuvée par le comité directeur
du Système d’information (CSI) (L), est notre nouvelle
feuille de route qui repose sur 4 axes :
• soutien au pilotage de l’établissement, par la mise en
place notamment de tableaux de bord et de bases de
données relatifs aux finances, aux ressources humaines
et à l’évaluation ;
• soutien à la recherche via, par exemple, une démarche
de coordination des informatiques scientifiques (L) ;
• soutien à la gestion en faisant évoluer les outils informatiques des départements administratifs du siège
(finances, RH, évaluation…) ;
• soutien transverse et mise en place des moyens qui
permettent notamment l’accès simplifié et sécurisé à
l’information et aux données de référence.
La construction de cette nouvelle stratégie a été réalisée
par Isabelle Perseil et Régis Lacour, chefs de service au
sein du DSI.
Laurent
Vigneron
directeur
du DSI de
l'Inserm
©©François guénet/inserm
LApplications
Science&Santé : Pouvez-vous nous rappeler
concrètement quelle est la mission du DSI à
l’Inserm ?
Laurent Vigneron : Le DSI réalise, bien sûr, des
­interventions techniques, comme la création d’un
réseau informatique ou le traitement des incidents de
messagerie, mais sa mission est aussi bien plus large. Elle
consiste à mettre en œuvre et coordonner la politique de
l’établissement en matière de système d’information (SI)
pour, notamment, améliorer les flux de données entre
les applications(L) et conduire des projets applicatifs
en faveur des différentes structures de l’établissement
(départements, instituts thématiques, unités).
S&S : Justement, avec quelle volonté a-t-elle
été construite ?
L. V. : Celle de respecter une logique :
• de mutualisation forte avec nos partenaires (universités,
CNRS, CEA, Inra, Inria, IRD…) ;
• de renforcement des collaborations en interne avec les
départements administratifs, les instituts thématiques
scientifiques et les délégations régionales de l’Inserm ;
• de changement progressif de l’organisation du DSI pour
améliorer son fonctionnement ;
• et d’évolution professionnelle de ses agents pour plus
de savoir-faire (conduite des projets, pilotage des prestataires externes, soutien aux activités de recherche), dans
le respect des délais, des objectifs et des coûts.
S&S : En pratique, quelles actions vont être
menées ?
L. V. : Elles sont en cours de programmation. Après
avoir recueilli les exigences d’une quinzaine de laboratoires, des départements du siège et des instituts thématiques, nous avons défini les projets prioritaires à réaliser
jusqu’en 2015. Nous présenterons au CSI du 28 avril une
planification pluriannuelle, en distinguant les projets déjà
validés par le CSI comme la refonte de notre système
d’évaluation des personnels déjà amorcée, les projets estimés prioritaires à lancer prochainement, ceux en cours
d’étude de cadrage - la coordination, incluant information
et formation, s’agissant des informatiques scientifiques
en support à la recherche biomédicale - et les projets à
reporter à 2015. Ces priorités seront revues chaque année
via le CSI, en fonction de notre capacité de travail, du
budget imparti et des objectifs de l’Inserm. n Propos recueillis par Pascal Nguyên
mars - avril 2014 ● N° 19 ●
●
43
••
••
GEnEtique
Des maladies rares aux
La génétique a peu à peu investi tous les domaines de la médecine.
Hier, les recherches concernant les maladies rares de l’enfant
occupaient la première place. Aujourd’hui, on découvre que les
maladies infectieuses peuvent avoir un fondement génétique.
Le texte est blanc mais il existe...
Arnold Munnich, qui prit la suite de Jean Frézal à la tête de la première
unité de génétique médicale de l’Inserm et Anne Puel, responsable
d’une équipe à l’Institut des maladies génétiques Imagine, témoignent.
©©Patrice Latron/Inserm
et de demain
C
j­amais ce que notre formation doit à l’Inserm. »
Parmi les pionniers, ceux qui ont donné une orientation
« génétique » à la pédiatrie de l’hôpital Necker dans
les années 1950, Robert Debré, Maurice Lamy, Jean
­Frézal et Pierre ­Maroteaux ont décrit un grand nombre
de ­maladies génétiques. « Jean Frézal a, le premier,
­introduit la génétique moléculaire au lit même de l’enfant
malade et suscité, ainsi, d’innombrables vocations parmi
nous », se souvient le chercheur, qui lui succèdera un
temps à la direction de l’unité 12 de l’Inserm, ­Génétique
médicale. Au cours de ses travaux, alliant médecine
de recherche et médecine de soins, Arnold Munnich
a pu avec ses collègues, notamment Judith Melki,
Stanislas Lyonnet, Valérie Cormier, Agnès Rotig et
­Josseline ­Kaplan, identifier une cinquantaine de gènes
­responsables de maladies rares, dont l’achondroplasie
­(nanisme), la maladie de Hirschprung (défaut congénital
de la motricité colique), l’amyotrophie spinale (faiblesse
et atrophie des muscles)... Des découvertes dont les
premières retombées ont consisté à rendre possibles
des diagnostics prénatals et préimplantatoires, et qui
ont permis d’élaborer des approches théra­peutiques
dans certains cas. « Les recherches sur les maladies
génétiques rares doivent continuer, ­souligne le cher­
cheur. Ce sont des modèles prodigieux pour les maladies
communes. De l’observation attentive d’une forme rare,
même unique de maladie génétique o­ sseuse ou dermatologique, peuvent émerger des avancées spectaculaires
pour le traitement de maladies telles que l’ostéoporose ou
le psoriasis. » C’est tout le défi de l’Institut hospitalouniversitaire Imagine, dont son unité Inserm est fonda­
trice, que d’associer étroitement
soins, recherches, enseignement
Qu’est-ce qui vous fascine dans la génétique ?
et valorisation. « Notre ambition
est de faire en sorte que cet institut soit le lieu géométrique où se
« Nous sommes tous
50 000 gènes. Et tous
pratique la meilleure médecine
porteurs de 3 milliards de
sont susceptibles de présenter
d’aujourd’hui et où s’invente celle
nucléotides, correspondant à des anomalies. »
de demain. » Vaste programme !
’est dans les années 1980 que
les ­premiers gènes de maladies
­génétiques ont été identifiés en
France. Et Arnold ­Munnich *,
chef du département de génétique médicale de
Centre de
génétique
­l’hôpital N
­ ecker-Enfants malades, est à l’origine de la
médicale
­découverte de nombre d’entre eux, responsables de
Jean-Frézal,
handicaps neuro­logiques, ­métaboliques et malfor­matifs
hôpital NeckerEnfants malades de l’enfant. Au cours de ses études, le futur ­lauréat du
Grand Prix Inserm (en 2000) effectue plusieurs stages
(Paris)
auprès de personnalités « qui vont l­’impressionner » et
le pousser à la ­recherche. ­Parmi eux, les pédiatres de
­ ecker qui accueillaient dans une même salle
­l’hôpital N
de l’hôpital les enfants atteints de maladies rares, qu’on
­appellerait plus tard les maladies ­génétiques ! « À cette
­ édicale
époque, poursuit Arnold Munnich, la g­ énétique m
était l’apanage des pédiatres puisque les m
­ aladies
concernées se déclaraient à la n
­aissance. » Comme
cétonurie, un trouble métabolique respon­
la phényl­
sable ­d’arriération mentale si un régime alimentaire
­particulier n’est pas suivi par l’enfant.
Regrettant que l’enseignement médical ne soit pas
assez scientifique, après avoir été nommé à l­’internat,
☛Arnold
☛
Munnich : unité 1163
le jeune médecin complète son parcours par une
Inserm/CNRS – Université Paris­inscription en fac de sciences, en maîtrise de b
­ iochimie.
Descartes, IHU Institut Imagine
Et se forme « à la recherche, par la recherche », comme
old Munn disait Philippe Lazar. Un concept novateur pour
ich l’époque. « Grâce aux postes d’accueil pour les
Arn
internes des hôpitaux dans les laboratoires
de l’Inserm, beaucoup d’entre nous avons été
formés à la recherche. Nous ­n’oublierons
©©François guénet/inserm
ENJEU d'hier
••
••
44 ●
● N° 19 ● mars - avril 2014
maladies infectieuses
REPÈRES
Première
description
d’une maladie
héréditaire :
l’alcaptonurie, par
Archibald Garrot.
Les membres d’une
même famille avaient
les urines noires.
1902
Description
de la première
immunodéficience
primaire (i.e. d’origine
génétique) : l’agam­
maglobulinémie liée
au chromosome X, par
Ogden Bruton et ses
collaborateurs
1952
James Watson
et Francis
Crick présentent la
structure en double
hélice de l’ADN.
1953
Premiers
séquençages et
analyse du génome
humain
2001
l’approche géné­
tique des mala­
dies infectieuses
est en plein
développement.
C’est là le r­egistre d’Anne Puel *,
colla­
boratrice ­
d’Arnold Munnich. En
1992, quand elle choisit son sujet de
thèse, « l’outil génétique n’est pas si répandu dans la recherche en immunologie ».
C’est pourtant ainsi qu’elle questionne la
thématique du laboratoire d’immunolo­
gie qui l’accueille : pourquoi des lignées
de souris, obtenues par croisement
sélectif, produisent-elles plus ou moins
d’anticorps après immunisation par des
globules rouges de mouton. La jeune
chercheuse met alors en évidence une
dizaine de régions génétiques qui parti­
cipent au contrôle de la production de
ces molécules du système immunitaire.
La suite de son parcours, incluant un
stage post-doctoral au NIH de ­Bethesda
qui portait sur les enfants souffrant
d’immunodéficience sévère combinée
– « les bébés-bulles » – , n’a de cesse
de répondre à cette ­question : pourquoi
certains enfants présentent-ils des in­
fections sévères à des pathogènes plutôt
communs ?
Elle s’intéresse ainsi aux patients pré­
sentant une susceptibilité accrue aux
infections fongiques, comme dans le
cas de la candidose cutanéo-muqueuse
chronique (CCMC) alors caractéri­
sée par des infections persistantes ou
­récurrentes de la peau, des ongles et
muqueuses par les champignons
des ­
Candida, principalement C. a­ lbicans.
Une origine génétique de la CCMC avait
été proposée dans les a
­nnées 1970,
mais ce n’est qu’en 2011 que les pre­
mières causes ont été identifiées par
­ ettant en é
­vidence le rôle
l’équipe, m
majeur de l­’interleukine 17 (L) dans
l’immunité mucocutanée vis-à-vis
de C. ­albicans. L’une de ces causes
résultait de mutations dans le facteur
de ­transcription (L) STAT1. Contrai­
rement aux mutations « perte de
fonction » de STAT1, p
­ réalablement
identifiées par le laboratoire, cette
fois-ci, la mutation produisait un
« gain de fonction » de la protéine !
Les ­implications de ces travaux sont
majeures puisqu’ils aident à d
­ écrire
et caractériser des mécanismes bio­
logiques impliqués dans l’immunité
protectrice spécifique de C. albicans.
De plus, ils offrent une meilleure
compréhension des mécanismes
physiopathologiques associés à une
susceptibilité a
­ccrue aux infections
fongiques en conditions naturelles.
D’un point de vue médical, c’est aussi
la possibilité d’effectuer un d
­ iagnostic
moléculaire, plus sûr que le diagnos­
tic clinique, et de proposer une meil­
leure prise en charge des patients.
Récemment, à la fin de l’année 2013,
l’équipe dirigée par Anne Puel a identifié
la cause génétique d’une autre maladie
infectieuse fongique parfois mortelle,
la dermatophytose profonde. Les pre­
miers cas décrivaient des personnes at­
teintes issues de familles consanguines
ou de familles avec plusieurs individus
touchés, suggérant un défaut immu­
nitaire monogénique (i.e. lié à un seul
gène). Et c’est le cas, puisqu’il s’agit
d’une mutation du gène CARD9.
Ces découvertes ont un impact ­direct
pour les patients. En termes de re­
cherche fondamentale, cela renforce
l’hypothèse que certaines maladies
infectieuses peuvent révéler des mala­
dies héréditaires monogéniques de
la réponse immunitaire. C’est toute
l’approche des maladies infectieuses
­
qui en est révolutionnée ! Rubrique réalisée par Julie Coquart
Anne
Pu
e
« La diversité ou au
contraire le spectre très
restreint des phénotypes cliniques qui
peuvent être associés à
des mutations dans un
même gène. »
LInterleukine
Protéine du système
immunitaire (SI) servant
de messagers entre
les cellules du SI
acteur de
LFtranscription Molécule qui intervient
dans la régulation de
l’expression des gènes
☛Anne
☛
Puel : unité 1163 Inserm/
CNRS – Université Paris-Descartes,
IHU Institut Imagine
&Revu
corrigé
Dans le n° 18 de Science&Santé,
à la rubrique « Les 50 ans de
l’Inserm » (p. 45), sur la photo
de Jean-François Landrier,
une erreur d’appartenance
de laboratoire s’est glissée,
ce chercheur est bien à l’unité
Inserm 1062 comme il est
indiqué en bas de la page.
mars - avril 2014 ● N° 19 ●
●
45
©©François guénet/inserm
©©Lanternier F et
Dermatophyte
à l'intérieur
d'un granulome
(forme
filamenteuse)
chez un patient
atteint de
dermaphytose
invasive
A ctuellement
Qu’est-ce qui vous fascine
dans la génétique ?
l
coll. Puel A. N Engl J Med. 2013
Oct 31;369(18):1704-14
Une nouvelle approche
Bloc-Notes
● SANTÉ EN QUESTIONS
Mémoire et oubli :
un couple inséparable
avec, à Paris, Francis Eustache (EPHE,
unité Inserm 1077-Université Caen
Basse-Normandie, directeur du GIP
Cyceron) et, à Marseille, Patrick Lemaire
(laboratoire de psychologie cognitive,
CNRS UMR 7290 Aix-Marseille
Université)
➜ 22 mai, 19 heures à 20 h 30
Cité des sciences et de l’industrie,
Paris 19e
en duplex avec le Campus Saint-Charles
d’Aix-Marseille Université
EXPOSITION
••
••
conferences
• à la une • découvertes • Têtes chercheuses • regards sur le monde • Cliniquement vôtre • Grand Angle • Médecine générale • Entreprendre • Opinions • Stratégies ➜
La voix : l’expo
qui vous parle
Consacrée à la voix humaine, la nouvelle exposition
de la Cité des sciences et de l’industrie regroupe
25 dispositifs qui s’étendent sur 600 mètres carrés.
Objectif : comprendre toutes les subtilités de notre
principal moyen de communication.
A
●E
nquête de santé :
des populations sous surveillance
avec Denis Hémon et Marcel Goldberg,
du Centre de recherche en épidémiologie
et santé des populations (Villejuif)
Un partenariat Inserm/Paris bibliothèques
➜ 10 avril 2014, 19 heures
Bibliothèque Batignolles - Paris 17e
www.idf.inserm.fr
8 equipement.paris.fr
●V
ie et mort
des épidémies
➜ jusqu’au
28 septembre
Pour tous les publics
à partir de 8 ans
Cité des sciences
et de l’industrie,
Paris 19e
avec Patrice Debré
Un partenariat Inserm/
Paris bibliothèques
manifestaTIONs
P. Debré et
J.-P. Gonzalez
2013, Odile
Jacob, 288 p.,
23,90 €
➜ 17 avril, 19 heures
Bibliothèque Valeyre,
Paris 9e
www.idf.inserm.fr
8 equipement.paris.fr
8 www.cite-sciences.fr
Le mois de la santé
et de la recherche
médicale en Alsace
Conférences, discussions,
débats, séances cinéma,
expositions, cafés
des sciences avec des
chercheurs, médecins,
associations de malades…
➜ 11 mars-12 avril
à Strasbourg
et dans toute l’Alsace
8 www.grand-est.inserm
46 ●
● N° 19 ● mars - avril 2014
u détour d’un couloir de la Cité des sciences et
de l’industrie, la lumière tamisée et ­l’ambiance
feutrée attisent votre curiosité. À peine l­’entrée
franchie, les éclats de voix de Céline Dion se m
­ êlant
aux monologues de Fabrice Lucchini et aux vocalises de Natalie Dessay vous mettent la puce à
l’oreille. Alors, cédant aux chants des sirènes, vous
vous engouffrez à la découverte de l’instrument
dont tout le monde sait jouer : la voix. « Il n’y avait
jamais eu d’exposition d’une telle envergure faite sur
ce thème en Europe, assure Evelyne Hiard, l’une des
deux ­commissaires. Elle ­permet de croiser sciences,
technique et art. En partenariat avec l’Ina et l’Ircam,
nous avons réalisé de nombreux éléments d’exposition
intuitifs et ludiques pour montrer toute la richesse de la
voix, pour une durée de visite de plus de trois heures. »
Devant vous, s’étend alors un premier ensemble de
films et d’expériences à la fois ludiques et didactiques
invitant à comprendre le processus de production de
la voix ou comment l’air des poumons est transformé
en voix. Après avoir construit un puzzle représentant l’appareil vocal, vous vous amusez à vieillir ou
Festival Sciences Métisses Salon du livre scientifique, l’Inserm partenaire de
l’Association Science Technologie et Société NordPas-de-Calais sur le thème :
L’agriculture, du champ à l’assiette
Pour les enfants, le jeu de l’oie sur la nutrition de l’Inserm
➜ 3-5 avril, à Hellemmes
www.nord-ouest.inserm.fr
8 www.sciences-metisses.org
Les mois de la santé à Angers
Conférences, visites de labos, rencontres élèves
chercheurs, ciné-débats, expositions
➜ 7 avril-4 juin
8 www.grand-ouest.inserm.fr
bloc-notes
©©Arnaud Robin/EPPDCSI
➜
••
••
cinema
Mon cerveau
a-t-il un sexe ?
Documentaire
de Laure Delesall
(2010, 52 minutes)
De la recherche biologique
aux dernières avancées
en sciences humaines,
la réalisatrice mène
l’enquête et secoue
les idées reçues.
➜ 8 avril, 20 heures
UGC Ciné Cité
Strasbourg
Réservation conseillée :
[email protected]
devant le quiz situé dans la troisième “ Dis-moi comment tu parles,
partie de l’exposition qui s’attache au
lien entre voix et art. « À qui appartient je te dirai qui tu es „
cette voix ? » C’est le thème de ce jeu où
vous affrontez quatre adversaires. Ça joue, ça apprend
et ça rit ! Alors, fort de vos résultats, vous vous décidez à
aller pousser la chansonnette dans la « douche vocale ».
Que vous ayez une voix de stentor ou de crécelle, dans ce
dispositif, votre chant est magnifié par un chœur virtuel
s’adaptant à votre mélodie. En sortant, le mur orné d’une
frise chronologique propose, en 12 tableaux sonores,
l’histoire du chant de l’antiquité à nos jours. Du chant
grégorien au rap, en brassant les courants baroque et
romantique, toutes les périodes ont voix au chapitre et
sont illustrées par des extraits musicaux. Dans la continuité de ce mur, vous entrez, pour finir, dans une petite
salle de projection où toutes les techniques vocales sont
Un serious game
décortiquées et analysées.
pour la recherche
Petits ou grands, vous vous laisserez donc envoûter. Mais,
développé par
bien qu’elle puisse faire vibrer votre corde sensible, il ne
quatre chercheurs
faudrait pas que cette exposition vous laisse sans voix,
du Cnam, et primé
elle y perdrait tout son intérêt… n Florian Bonetto
à la compétition
JEU
rajeunir, puis féminiser
ou masculiniser des voix
de personnalités célèbres,
pour ensuite en faire de
même avec la vôtre.
Plus loin, vous croyez entendre un Québécois parler à un
Toulousain… La présence de deux si lointains cousins
francophones vous intrigue. Vous vous approchez d’un
panneau introductif dominé par la maxime « Dis-moi
comment tu parles, je te dirai qui tu es », qui vous propose
alors d’entrer dans la deuxième partie de l’exposition.
Celle-ci se consacre au rapport entre expression et voix,
ou encore comment cette dernière reflète votre personnalité. Ici, vous découvrez les caractéristiques des
différents accents régionaux et la façon dont la voix est
utilisée à travers le monde. Effectivement, elle révèle nos
origines géographiques et sociales, mais aussi notre état
physique et émotionnel. Progressivement, les diverses
expériences vous amènent à vous convaincre que « la
voix est un second visage », phrase de l’essayiste Gérard
Baüer, reprise dans l’exposition.
Mais les jeunes visiteurs ont la langue bien plus ­pendue
Malevil
de Christian de
Chalonge (France 1980 - 1h59), avec
Michel Serrault,
Jacques Dutronc,
Jean-Louis Trintignant,
Jacques Villeret
Ciné-club Univers
Convergents –
Sciences, Fictions, Société, organisé
par l’Institut Henri-Poincaré
Suivi d’un débat autour des questions
de risque nucléaire et de création
de nouvelles sociétés après une
catastrophe, avec François Taddeï (unité
Inserm 1001), Patrick Criqui (économiste,
CNRS) et Gaëlle Clavandier (sociologie
des catastrophes)
©©dr
Dans ce casting
vocal, chacun
cherche sa voix…
de célébrité
➜ 27 mai à 19 h 30
Grand Action
Paris 5e
Entrée gratuite,
sur réservation
8 www.ihp.fr
Udock
internationale de jeux
pour l’éducation et la
recherche (décembre
2013). Accessible à
tous, Udock est un
projet de recherche
dont l’objectif premier
est de découvrir
si des joueurs
peuvent trouver des
assemblages de
protéines qui ont
du sens pour les
chercheurs.
➜ Gratuit
et librement
téléchargeable
sur udock.fr
8 recherche.cnam.fr
mars - avril 2014 ● N° 19 ●
●
47
bloc-notes
••
••
● Rencontres du Café
des techniques
Médicaments génériques, copies
conformes ?
Livre
conferences
➜
➜ 15 mai, 18 h 30 - 20 heures
Salle des conférences
● Dialogues –
Des clés pour comprendre
Maladies émergentes, nouvelle menace
sur la planète !
avec François Renaud (Maladies infectieuses
et vecteurs, CNRS/IRD) et Stéphane Blanc
(CNRS/Institut écologie et environnement)
* Voir aussi S&S n° 17, Grand Angle « Virus émergents
– Comment garder le contrôle », p. 24-35
➜ 22 mai, 18 h 30 - 20 heures
Amphithéâtre Abbé Grégoire, Paris 3e
Musée des arts et métiers
8 www.arts-et-metiers.net
Yves Agid
L’homme subconscient –
Le cerveau et ses erreurs
Membre fondateur de l’Institut du cerveau et de la
moelle épinière (ICM) à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière,
à Paris, professeur émérite de neurologie et de biologie
cellulaire, Yves Agid nous invite à découvrir comment
notre subconscient gère automatiquement la masse
d’informations que notre cerveau reçoit en permanence.
Mais l’auteur nous explique aussi ce qui se passe quand
notre subconscient est malade et comment le soigner.
●L
e choc allergique, des modèles
expérimentaux à la réalité clinique
avec Pierre Bruhns (Laboratoire des anticorps
en thérapie et pathologie, Institut Pasteur)
➜ 8 avril, 14 h 30
Institut Pasteur, Paris 15e
(accès sans réservation, entrée 6 €)
8 www.pasteur.fr
● Immunologie et cancer
avec Franck Pagès et Éric Tartour
(Immunologie biologique, hôpital européen
Georges-Pompidou)
➜ 10 avril, 14 h 30
Bâtiment Biologie du développement,
Institut Curie, Paris 5e
Entrée libre
rencontre
8 chercheurs_toujours.vjf.cnrs.fr
➜ L’homme
subconscient –
Le cerveau et
ses erreurs
Yves Agid
Robert Laffont,
septembre 2013,
288 p., 24 €
Les chercheurs accueillent les malades
À l’occasion de ses 50 ans, l’Inserm ouvre plus de 180 laboratoires
aux malades et à leurs familles pour 4 journées thématiques,
en partenariat avec 60 associations de malades.
Maladies rares
en partenariat avec Alliance maladies rares,
l’AFM-Téléthon et avec Orphanet
Une soixantaine d’associations participeront
à cette journée organisée dans près
de 20 villes où plus d’une trentaine de
laboratoires Inserm accueilleront les malades.
➜ 23 mai
Nombre de places limité, s’inscrire sur
8 www.chercheurs-malades.fr
48 ●
● N° 19 ● mars - avril 2014
Science&Santé : Pouvez-vous, tout d’abord, nous
définir ce qu’est exactement le subconscient ?
Yves Agid : C’est le « pilote automatique » du cerveau. Il
nous donne la possibilité de réaliser des actions habituelles
ou routinières sans y penser. « Je ne pense pas que je fais
mais je fais de façon automatique. » Par exemple, quand
nous marchons, nous ne pensons pas à mettre un pied
devant l’autre, ni à balancer les bras pour garder l’équilibre.
Nous marchons, voilà tout. C’est aussi lui qui nous permet
de conduire tout en parlant à notre passager. Cet état de
subconscience, qui est permanent, nous désengage des
routines pour que nous puissions adopter des comportements non automatiques, intelligents et créatifs, ceux-là.
S&S : Et pourquoi avez-vous souhaité consacrer
un livre à ce sujet précis ?
Y. A. : D’abord parce que très peu d’ouvrages abordent
le subconscient et les comportements automatiques.
Or, nous passons la plupart de notre existence dans un
état de subconscience, sans penser à ce que nous faisons
ou r­ essentons. Par ailleurs, la pratique clinique et nos
r­echerches m’ont amené à travailler sur de petites structures primitives situées à la base du cerveau qui gèrent le
subconscient : les noyaux gris centraux. J’ai donc voulu partager avec le grand public mon expérience, en illustrant de
découvertes scientifiques et de cas cliniques. Et démythifier
ainsi un certain nombre d’idées reçues sur le subconscient,
en particulier, et la fonction cérébrale, en général.
S&S : Vous abordez aussi les erreurs du cerveau.
À quoi faites-vous allusion exactement ?
Y. A. : Aux dysfonctionnements des noyaux gris c­ entraux,
qui provoquent une altération des comportements
­moteurs automatiques, comme dans le cas de la maladie
de Parkinson. Les patients ont des ­difficultés à réaliser
des auto­matismes - marcher ou enfiler un vêtement, par
exemple. Mais leurs dysfonctionnements peuvent aussi
bloc-notes
EXPOSITIONs
➜
Science/Fiction : voyage au cœur du vivant
Exposition Inserm
➜ 26 mars-17 avril
Lycée Jean-Mermoz, Saint-Louis (Alsace)
La science se livre 2014 À la découverte du temps
Précieux sommeil
En collaboration avec Isabelle Arnulf (unité Inserm 975,
Centre de recherche en neurosciences de la Pitié-Salpétrière)
Le sommeil est riche en activités de toutes sortes dont le rêve
n’est pas la moindre.
➜ 11-29 mars
Médiathèque, Cherves-Richemont (Charente)
8 www.emf.fr
©©François guénet/inserm
La radioactivité :
de Homer à Oppenheimer
Palais de la découverte, Paris 8e
8 www.palais-decouverte.fr
photographiée par Mathieu Pernot
L’Asile des photographies
©©Installation réalisée et
Mathieu Pernot et Philippe Artières
Des centaines d’images, des années 1930 à
nos jours, témoignent de la vie de l­’hôpital
psychiatrique Le Bon Sauveur, à ­Picauville
(Manche).
➜ 13 février – 11 mai
Maison Rouge, Paris 11e
www.lamaisonrouge.org
Le dortoir des agités
à Picauville
8 www.artistikrezo.com
Science Tour
Pour célébrer ses « 50 ans »,
l’Inserm s’associe au
Science Tour* :
➜ Nord-Ouest : 3-5 avril
à Hellemmes,
10-21 avril à Berck-sur-Mer
Grand-Est : 11 avril à Strasbourg, 18 avril
à Nancy, 6 mai à Besançon, 13 mai à Dijon
Grand-Ouest : 24-26 avril à Nantes,
28 avril à Redon
Le texte est blanc mais il existe...
••
••
••
••
en tournee
S&S : Est-ce qu’il existe des solutions thérapeutiques à ces différents troubles ?
Y. A. : Oui. Grâce à des médicaments ou à la stimulation électrique intracrânienne pour les cas
échappant à tout traitement, on peut rétablir un
fonctionnement normal des noyaux gris centraux
et, ainsi, améliorer de façon spectaculaire les symptômes de la maladie de Parkinson. C’est également
possible pour certains patients atteints de la maladie de Gilles de la Tourette ou de TOC. Peut-être
même pour d’autres maladies psychiatriques qui
impliquent des émotions anormales involontaires
comme la schizophrénie, l’autisme ou la dépression. J’invite donc les psychiatres, les neurologues,
et les industriels de la pharmacie, à coopérer plus
étroitement et à considérer les noyaux gris centraux
comme une cible thérapeutique potentielle. n
Propos recueillis par Simon Pierrefixe
➜ jusqu’au 8 juin
Debats
se traduire par des
troubles émotionnels,
tels que la dépression,
les troubles obsessionnels compulsifs (TOC)
ou des tics sévères
comme dans la maladie de Gilles de la Tourette. Nous parlons alors d’« émotions et pensées anormales involontaires ».
“ J'ai voulu
démythifier un certain
nombre d’idées reçues
sur le subconscient „
L’exposition évoque aussi bien les épisodes
les plus dramatiques de la radioactivité que
les usages positifs, notamment en médecine
et, dans un tout autre genre, les personnages
de dessins animés qui y font référence.
Bar des sciences
La robotique au service
des neurosciences
avec Mehdi Khamassi (Institut
des systèmes intelligents et
de robotique, CNRS et UPMC)
et Peter Dominey (unité 846
Inserm/CNRS, Institut Cellule
souche et cerveau)
➜ 8 avril, 20 heures
Bar de l’hôtel Bristol
Montbéliard
Entrée libre et gratuite
* Voir S&S n° 18, Bloc-notes p. 47
Autres dates, voir sur :
8 www.inserm.fr
8 www.pavillon-sciences.com
mars - avril 2014 ● N° 19 ●
●
49
bloc-notes
➜
livres
Enquête de satisfaction sur Science&Santé
Handicap et perte d’autonomie : des défis pour
la recherche en sciences sociales - Conférences
inaugurales des trois chaires EHESP-CNSA
Jean-François Ravaud, Claude Martin,
Florence Weber (dir.)
Merci à nos lecteurs qui ont bien voulu répondre
à notre enquête. Pour ceux qui n’auraient pas pu le faire,
le questionnaire est disponible sur le site de l’Inserm.
Vous pouvez répondre en téléchargeant le pdf.
janvier 2014, Presses de l’EHESP, 168 p., 8 €
8 www.inserm.fr
Engagée dans la création d’une Maison des sciences sociales
du h
­ andicap, l’EHESP a créé trois chaires au sein du département des Sciences
humaines, sociales et des comportements de santé, associant l’Inserm, le CNRS et
l’ENS Paris, en partenariat avec la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie.
➜ Retour du questionnaire rempli par mail
[email protected], ou par courrier
Inserm – Disc/Science&Santé, 101, rue de Tolbiac – 75013 Paris
AlicE 2630
Armelle Rancillac
Face au risque épidémique
Didier Houssin
janvier 2014, Rancillac/CloniTech éd., 212 p., 11,95 €
Un roman d’anticipation, écrit par une jeune chercheuse
­Inserm, qui dépeint un monde futuriste aux nombreuses
avancées en neurobiologie, qui pourraient bien devenir r­ éalité !
février 2014, Odile Jacob, 304 p., 24,90 €
Aujourd’hui conseiller de l’OMS, l’auteur a été au cœur
des nombreuses crises de nature épidémique qui se sont
enchaînées au XXe siècle. Il en retrace ici les temps forts et
dresse le bilan des réponses qui ont été apportées.
Cabanis – Anthropologie médicale
et pensée politique
Textes réunis et présentés par Marie Gaille
Côté nuit, côté soleil
Témoignages recueillis par Muriel Scibilia
janvier 2014, CNRS Editions, 254 p., 23 €
« Des observations sur les hôpitaux » et « Quelques
­principes et quelques vues sur les secours publics », deux
textes présentés par Marie Gaille, chercheuse au CNRS,
pour redécouvrir un médecin réformateur, qui plaçait son exercice dans
une approche g­ lobale, proprement politique.
février 2014, éditions Slatkine (Genève), 160 p., 27 €
Ils avaient entre 3 ans et 18 ans quand le cancer a bouleversé
leur vie. Dix jeunes témoignent de ce combat impensable,
pour aider à comprendre et à accompagner.
Faire des enfants demain
Jacques Testart
Chercheur au quotidien
Sébastien Balibar
janvier 2014, Seuil coll. Raconter la vie, 80 p., 5,90 €
L’auteur, physicien au CNRS, nous fait partager la vie
­quotidienne d’un chercheur, entre « bricolage » rationnel
et production de connaissances auxquelles le scientifique
associera son nom.
Les 100 mots du rêve
Jean-Pol Tassin, Serge Tisseron
mars 2014, Seuil coll. Documents, 216 p., 16 €
Près de 3 % des enfants sont conçus avec l’aide de la biomédecine dans les pays industrialisés. Aujourd’hui la régulation bioéthique fait l’objet d’une permissivité croissante et
la question se pose de savoir jusqu’où ira la médicalisation
de la procréation. L’auteur, directeur de recherche honoraire à l’Inserm, fut
un pionnier des méthodes de procréation assistée.
Les conflits d’intérêts en médecine :
quel avenir pour la santé ?
France, États-Unis, Japon
Marc A. Rodwin, trad. Geneviève Knibiehler,
préface de Martin Hirsch, introduction de
Dominique Thouvenin
février 2014, PUF coll. Que sais-je ?, 128 p., 9 €
Deux regards croisés, celui d’un neurobiologiste, chercheur
à l’Inserm, et celui d’un psychiatre-psychanalyste, pour
tenter de comprendre ce qu’est le rêve.
mars 2014, Presses de l’EHESP, 384 p., 30 €
Le poids du corps à l’adolescence
Annie Birraux, Didier Lauru
février 2014, Albin Michel, 304 p., 18,50 €
Cet ouvrage, qui réunit des psychanalystes d’adolescents,
des pédopsychiatres, psychothérapeutes et spécialistes des
services de chirurgie pour adolescents obèses, éclaire sur ce
problème de santé publique et les drames qu’il peut causer.
N°19
mars - avril 2014
Abonnement gratuit, écrire à :
science-et-sante @ inserm.fr
50 ●
Directeur de la publication
Pr André Syrota
Directeur de la rédaction
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef
Yann Cornillier
Secrétaire de rédaction
Maryse Cournut
Chef de rubrique Julie Coquart
● N° 19 ● mars - avril 2014
Les conflits d’intérêt, courants dans le système de soin, questionnent la
loyauté des médecins envers leurs patients et leur indépendance professionnelle et économique. L’auteur, professeur invité à la chaire Droit et santé à
l’EHESP et à l’ESSEC-Santé, examine le développement de ces conflits en
France, aux États-Unis, et au Japon.
Assistante d’édition
Coralie Baud
Ont collaboré à ce numéro
Alice Bomboy, Florian Bonetto,
Damien Coulomb,
Élodie Courtejoie,
Françoise Dupuy Maury,
Caroline Guignot, Lise Loumé,
Pascal Nguyên,
Rubrique réalisée par Maryse Cournut
Simon Pierrefixe, Karl Pouillot,
Vincent Richeux, Nicolas Rigaud,
Bruno Scala
Conception graphique
et direction artistique
Ghislaine Salmon-Legagneur
Iconographie
Cécile Depot
Consultante projet
Françoise Harrois-Monin
Crédit de couverture
Illustration :
Jean Leblanc
Impression
Groupe Burlat
N° ISSN : 2119-9051
Dépôt légal : Mars 2014
2012
2013
www.inserm.f r
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19/02/2014 18:41
50 ans
© La Sorbonne - Chancellerie des universités de Paris / Xavier Richer et Gilles Trillard / Lycée Brassaï
Suivez en direct
le colloque
organisé à l’occasion des 50 ans de l’Inserm
jeudi 3 avril 2014
de 10 h à 19 h
sur Inserm.fr
En présence de
Monsieur François Hollande, Président de la République
et de
Madame Marisol Touraine,
Ministre des Affaires sociales et de la Santé,
Madame Geneviève Fioraso,
Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche,
Madame Françoise Barré-Sinoussi,
Prix Nobel 2008, directrice de recherche à l’Inserm
et
Monsieur Jules Hoffmann,
Prix Nobel 2011, membre de l’Académie française
Le colloque sera ouvert par le Professeur André Syrota,
Président-directeur général de l’Inserm
et animé par Franz-Olivier Giesbert.
Cette rencontre internationale rassemblera scientifiques, politiques, partenaires institutionnels et économiques, associations de malades et tutelles
afin de porter un regard sur l’avenir et l’évolution des sciences, la prospective
et l’indispensable interdisciplinarité des sciences de la vie et de la santé.
101, rue de Tolbiac
75654 Paris Cedex 13
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