MODELISATION THERMOCHIMIQUE DES GAZ VOLCANIQUES SUR IO. D. Baklouti 1,2 , B. Cheynet3 et B. Schmitt1, 1Laboratoire de Planétologie de Grenoble (Bâtiment D de Physique, BP 53, 38041 Grenoble Cedex 9, France - courriel: [email protected] ), 2Laboratoire Interuniversitaire des Systèmes Atmosphériques (61 avenue du Général de Gaulle, 94010 Créteil Cedex), 3THERMODATA© (6 rue du tour de l'eau , 38400 Saint Martin d’Hères, France ). Introduction: étant donné l’activité intense du volcanisme sur Io et le renouvellement « rapide » de sa surface, mieux comprendre quelles molécules peuvent être produites par les volcans et en quelles quantités relatives, aidera à mieux prévoir ce qui peut se retrouver à la surface et à mieux comprendre les observations actuelles. C’est dans cette optique que nous avons entrepris cette étude thermochimique de la production volcanique ionienne. Modélisations et principes des calculs: Zolotov et Fegley [1,2] ont initié un premier type de modélisation des gaz s’échappant des volcans de Io. Leur modèle considère la phase gazeuse juste à la sortie de l’évent d’un volcan, juste au moment où l’équilibre thermochimique est atteint. Par soucis de simplification et étant donné les observations disponibles de l’atmosphère et du tore de plasma de Io, les auteurs ne considèrent que les éléments les plus volatils susceptibles de s’échapper des volcans, c’est à dire les molécules composées d’au moins l’un des atomes qui suivent : S, O, Na, Cl, K et dans une moindre mesure H. Par une méthode classique de minimisation d’enthalpie libre globale du système, les calculs à l’équilibre donnent la composition globale des phases gazeuse et condensée qui se forment dans les conditions thermodynamiques fixées au départ. Ces conditions concernent la température, la pression et les abondances atomiques relatives qui composent le système juste à la sortie de l’évent. Aux côtés de la phase gazeuse, les simulations de Zolotov et Fegley font aussi apparaître quelques condensats tels que le soufre, le sulfate de sodium, et le chlorure de sodium. De plus, nous savons que les températures d’éruption supérieures à 1500 K correspondent très probablement à un volcanisme basaltique, voire même mafique et ultramafique pour les températures les plus élevées. Nous avons donc décidé d’enrichir le modèle en incluant silicium, Si, magnésium, Mg et fer, Fe, dans les calculs, en plus de S, O, Na, Cl et K. L’ajout de ces éléments lourds modifie immanquablement la phase condensée mais ce modèle simplifié n’est pas adapté pour pouvoir véritablement étudier et prédire la nature des solides qui se condensent après éruption et pour comprendre les interactions qui existent entre phase gazeuse et phases condensées. Des travaux ont été menés sur les volcans terrestres afin d’étudier le refroidissement des gaz volcaniques (magmatiques et fumerolliens) [3,4]. Ces études combinent analyses de terrain et modélisation thermochimique. Elles ont montré que les gaz volcaniques ont non seulement tendance à se rapprocher de l’équilibre à leur température d’émission, mais qu’ensuite ils évoluent en système ouvert en échangeant avec l’extérieur de l’énergie (refroidissement) et de la matière (condensations) et que ce système est très bien reproduit par une modélisation thermochimique dite « modélisation avec fractionnement ». Suivre le refroidissement du système signifie tenir compte de la formation éventuelle de condensats à chaque nouveau pas de température et donc, tenir compte de l’appauvrissement de la phase gazeuse en certains éléments à chaque nouvelle étape de calcul de l’équilibre thermochimique. L’analogie qui existe entre ce processus et une distillation chimique donne ce terme de « modélisation avec fractionnement ». Nous avons appliqué ce type de modélisation déjà éprouvé pour les volcans et fumerolles terrestres, à Io, en testant diverses gammes de température et diverses valeurs de pression et de compositions atomiques initiales ; d’abord sans inclure les éléments lourds Si, Mg et Fe et ensuite en les rajoutant au système. Cela afin de pouvoir mieux prédire la condensation de certains matériaux au voisinage des volcans et afin d’observer l’éventuelle modification que le refroidissement peut induire sur la composition gazeuse. Tous les calculs et modélisations réalisés dans le cadre de cette étude, ont été effectués en collaboration avec Thermodata© à l’aide de la base de données thermochimiques COACH et du logiciel de calcul d’équilibres thermochimiques GEMINI, tous deux développés conjointement par Thermodata©, l’INPG (Institut National de Physique de Grenoble) et le CNRS. Résultats: mis à part la mise en évidence des séquences de condensation des solides (figure 2), le changement majeur qu’induit cette modélisation apparaît au niveau des gaz chlorés SxCly et SO xCly (figures 1). En effet, lorsque se condensent Na 2S//Na2SO4, puis NaCl et KCl//K2SO3, la phase gazeuse se retrouve plus appauvrie en alcalins (Na et K) qu’en chlore. Ainsi, à une pression de 0.01 atm, on atteint à 298 K une abondance de l’ordre de 0.1 % en fraction volumique pour SOCl2. Cette abondance est impossible à obtenir avec la modélisation simple sans augmenter fortement le rapport [Cl/(Na+K)] au-delà de 1.3, tout en se plaçant à haute pression [4]. MODELISATION THERMOCHIMIQUE DES GAZ VOLCANIQUES SUR IO: D. Baklouti et al. 1-a- modélisation simple (condensats en haut, gaz chlorés en bas) 1-b- modélisation avec fractionnement (condensats en haut, gaz chlorés en bas) Figures 1 : comparaison des résultats donnés par la modélisation simple et la modélisation fractionnée pour les condensats et les gaz chlorés (cas d’un système S-O-Na-Cl-K) 1-a- modélisation simple : T = [500, 2000 K], P= 0.01 atm, O/S = 1.5, Na/S = 0.05, Cl/S = 0.04, K/S = 0.005 2-a- modélisation avec fractionnement : Tdépart = 2000 K, Tfinal = 298 K, P = 0.01 atm, O/S = 1.5, Na/S = 0.05, Cl/S = 0.04 , K/S = 0.005 des pressions relativement élevées (P>1 atm pour T>1500 K) [4]. Ces conditions d’abondances atomiques relatives et de pression sont contraignantes et, étant donné les abondances relatives observées pour Cl et Na dans le tore de plasma de Io (Cl/Na très proche de 1 voire inférieur à 1), la contrainte [Cl/(Na+K)] ≥ 1.3 est peu probable. Par conséquent, contrairement à la modélisation simple de Zolotov et Fegley, la modélisation avec fractionnement pourrait aider à expliquer la détection de SO 2Cl2 à la surface au sud du volcan Marduk [5]. Figure 2 : séquence des condensats apparaissant par modélisation avec fractionnement pour un système S-O-Na-ClK-Si-Fe-Mg avec Tdépart = 2000 K, Tfinal = 298 K, P = 1 atm, O/S = 1.5, Na/S = 0.05, Cl/S = 0.04, K/S = 0.005, Si/O = 0.275, Fe/O = 0.065 et Mg/O = 0.05. En effet, pour former et favoriser les molécules chlorées autres que les chlorures d’alcalins, il faut que le chlore soit en excès par rapport aux alcalins. Ainsi, dans une simulation simple, le rapport Cl/S doit dès le départ être fixé de façon à être supérieur au rapport (Na+K)/S. De plus, dans ce type de simulations, SOCl2 (et SO2Cl2) n’apparaissent qu’à Références: [1] Zolotov M.Y. et Fegley B. Jr. (1999) Icarus, 141, 40. [2] Fegley B. et Zolotov M.Y. (2000) Icarus, 148, 193. [3] Le Guern (1988) Thèse de Doctorat d’Etat, Université de Paris VII UER de Chimie. [4] Quisefit et al. (1989) Geochimica et Cosmochimica Acta, 5 3 , 2591. [5] Schmitt et Rodriguez S. (2003) Journal of Geophysical Research, 108, E9, 82003.